Assise dos contre un arbre, une silhouette écrasait les hauts brins d'herbes. L'esprit tranquille, l'ombre, les deux mains derrière la tête, les yeux vers les cieux arborait un grand sourire. Voilà bien longtemps que Dante n'avait eu l'occasion de se rendre dans sa région natale et il devait bien l'admettre, cette coupure avec la capitale lui faisait le plus grand bien. Malgré l'apparente sérénité que dégageait son visage et la presque totale plénitude ressentie par son âme, le Garde ne pouvait s'empêcher de garder de nombreuses pensées pour sa protégée, tant professionnelles qu'affectives. Il n'aimait guère être trop loin d'elle. Même si on lui avait autorisé cette permission et qu'il la savait globalement en sécurité au palais, il ne pouvait s'empêcher de penser au pire, avec la Furie Atheas. Telle qu'il la connaissait, elle serait bien capable de s'évader de la Capitale pour le rejoindre ici, à Village Perché. A vrai dire, Dante aurait aimé qu'elle puisse venir, mais ses obligations faisaient que pour cette fois, il lui faudrait rentrer seul. "Tant pis, je lui montrerais le grand arbre une autre fois" songea le garde royal.
Une léger souffle éolien vint caresser le visage assoupi de Dante, faisant virevolter sa chevelure de jais. Il reviendrait revigoré de cette permission, c'était certain. Sa sieste dura un certain temps, relativement courte mais fort régénératrice, le piaillement de quelques chanteurs aviaires vinrent éveiller le Protecteur de la Princesse. Dans son habituel calme, il s'étira en douceur, tel un félin avant de tranquillement se redresser. Après tout, il n'était pas venu ici pour dormir, initialement, mais pour récolter un bouquet pour sa chère mère ! Son objectif était donc de trouver au moins une Lumis Sylvatica, et de repasser dans cette magnifique forêt qui l'avait quasiment vu grandir.
Désormais totalement éveillé, il bondit sur ses pieds et épousseta sa cape ainsi que ses vêtements, une simple chemise noire, accompagnée d'un banal pantalon noir lui même assorti à des bottes noires. Poignard à la ceinture toujours en place, de même pour celui qu'il cachait vers sa botte, il dégaina sa lame et vint faire quelques moulinets pour la forme. Il rengaina et se remit en route, ce n'était certainement pas en dormant qu'il mettrait la main sur une rare Lumis Sylvatica ! Le ciel s'était assombri durant sa sieste, parfait, c'est ce qu'il fallait pour discerner la fameuse plante. Ses pas le approchant du Grand Arbre, Dante passa par tous les coins où il furetait, marmot. Des souvenirs revinrent et beaucoup de nostalgie, il n'était pourtant pas bien vieux, pourquoi ressentait-il déjà ce sentiment ? Peut-être qu'au fond, même s'il ne s'en rendait pas spécialement compte, sa terre natale lui manquait plus qu'il ne le pensait. Il chassa cette bribe d'idée de son esprit et vint s’accroupir vers un parterre sauvage de diverses fleurs. Bravant plusieurs ronces et autres épineuses, le Garde poussa délicatement chaque plante afin de voir si, dessous, ne se cachait pas le trésor qu'il cherchait.
Ses yeux fixaient peut-être les plantes, mais ses oreilles continuaient de capter ce qu'il se passait autour de lui. Un pas relativement doux semblait approcher. Continuant à déranger la flore d'une main, il vint poser sur la garde son sabre, caché par sa cape. Simple précaution, on ne savait jamais sur qui on pouvait tomber en pleine forêt, au crépuscule.
- Comme c'est beau...
Elle se promena longuement, observant la forêt, avide de beauté sauvage. Tout était si nouveau ! Même si elle en avait déjà vu certains éléments dans des livres, pouvoir les toucher était tout à fait autre chose. Mais seule, il était difficile de céder à ses pulsions sans prendre de risque... En touchant n'importe quoi, elle risquait de s'empoisonner... Elle devait trouver un guide ! Au moment où elle eut cette révélation, le soleil avait dépassé son apogée. Il devait donc être... Plus de midi ?! Ah ! Elle avait recommencé !!!
Hâtant le pas, par appétit comme par crainte de causer de l'inquiétude à ses si gentils hôtes, Merry déboucha dans une clairière et réalisa pour son plus grand désarrois qu'elle s'était perdue. Aucun de ces arbres ne lui semblait familier, et elle ne pouvait pas rejoindre le village par le premier passage venu. Pas dans cet état... La blanche regarda ses jambes en grimaçant. Elle avait de la terre quasiment jusqu'aux mollets et divers fragments de végétaux étaient venus se coller à sa peau humide ainsi qu'au pantalon de cuir. Des pétales s'étaient même mêlés à ses cheveux nacrés quand elle avait joyeusement dansé sous les saules au bord d'un ruisseau où elle s'était désaltérée, dessinant un drôle de tableau.
Après avoir poussé un profond soupir et s'être sermonnée intérieurement, la prêtresse tenta de revenir sur ses pas, mais l'humus était trop souple pour conserver des traces nettes de son passage. Elle entra dans une nouvelle trouée et s'arrêta soudainement en repérant, juste là, en pleine lumière, un homme tout de noir vêtu. Hésitant en le voyant concentré sur sa tâche, elle finit par avancer pour s'arrêter à ses côtés. Merry se pencha au dessus de lui pour regarder ce qu'il faisait en retenant sa chevelure afin qu'elle ne lui tombe pas dans les yeux. Elle oublia cependant son pendentif qui fit danser sur les végétaux un halo bleuté :
- Que faîtes-vous ? Demanda-t-elle doucement, la voix emplie de curiosité infantile.
Les pas approchaient. Ils étaient, comme l'avait supposé Dante, doux et relativement réguliers. Aucun bruit d'arme ou d'armure ne venait. Il ne risquait probablement pas une attaque. Décidant de continuer à vaquer à sa recherche florale, le garde ne put s'empêcher de venir saisir, tel un félin, l'aura azurée qui capta son attention. Il remarqua ce dont il s'agissait et relâcha bien vite le bijou, sa tête se levant vers la propriétaire de la voix qui venait de s'élever.
Dante se perdit quelques secondes dans un sublime regard d'azur, ces saphirs de vue semblaient aussi expressifs que les yeux du garde taciturne. Il se releva tranquillement et adressa un sourire à la jeune femme face à lui, avant de lui répondre:
-Bonsoir. Je cueille des fleurs pour ma mère, plus précisément, je cherche une espèce rare appelée Lumis Sylvatica.
Dante profita de cet instant pour observer plus en détail la curieuse, une va-pieds-nus ? Voilà qui était brave, surtout en pleine forêt ! Il ne put s'empêcher de taquiner l'inconnue:
-Aviez-vous un serpent dans vos bottes ou faites vous partie de ces gens qui n'en portent jamais ?
Le garde fit quelques tours d'yeux supplémentaires afin de sonder à nouveaux les environs, la lumière étant d'avantage tombée, le fruit de sa recherche devrait commencer à se vouloir plus apparent. Son doigt se leva ensuite et indiqua une corolle de papillons qui s'évadaient, laissant leur place à quelques lucioles qui, timidement, commençait à nuancer l’écorce des arbres et l'herbe fraîche de leur éclat. Les yeux toujours rivés sur ce spectacle, Dante s'adressa à nouveau à la belle aux yeux revolvers:
-Et vous, pourquoi êtes-vous ici ? Il est plutôt rare de croiser d'autres personnes dans ces coins.
A vrai dire, au vu de sa tenue, il y avait peu de chance pour qu'il eut s'agit d'une aventurière ou d'une botaniste, l’hypothèse la plus probable était... qu'elle s'était perdue. Dante vint croiser les bras avant de regarder à nouveau la va-nus-pieds:
-Êtes vous perdue ? A moins que vous ne soyez une sorte d'esprit venu vous venger pour je ne sais quelle raison ?
Bien entendu, il blaguait, pour la seconde partie, mais son ton na changeant que très peu, il fallait le connaître ou bien savoir écouter pour saisir la subtilité de l'humour Dantesque.
Une complainte feuillue vint aux oreilles du garde qui, machinalement, leva légèrement le menton, les yeux rivés vers la cime des arbres. Bien qu'il eut s'agit de la saison chaude, les soirs savaient rester frais, surtout en pleine forêt, le vent naissant n'aidait, par ailleurs, en rien. Dante reposa le regard sur l'inconnue de la forêt, avant de lui demander:
-Madame... ?
Il marqua une pause afin de signifier qu'il aurait aimé la nommer mais qu'il en était actuellement incapable, puis reprit:
-...Cher Esprit vengeur, si vous avez froid, je peux vous prêter ma cape, n'hésitez pas à demander.
A vrai dire, ce n'était pas dans ses habitudes, de converser avec des esprits, mais il se dégageait de la femme au pendentif bleu une sorte de bienveillance. Etait-ce son visage, sa voix ou encore sa façon d'être ? A moins qu'il n'eut s'agit de son pouvoir ? Dante n'en savait rien, tout ce dont il était sûr, c'est qu'il ne s'agissait pas là d'une brigande ou autre gredin venus pour semer le trouble.
- Quel acte honorable ! Laissez-moi vous aider !
La blanche allait demander une description de la fameuse plante quand la question de l'individu lui fit hausser un sourcil avant qu'elle n'éclate de rire.
- Oh, non, du tout ! Elles n'avaient pas eu le temps de sécher et faire skuink skouink à chaque pas n'aurait pas été très discret pour observer les habitants à quatre pattes de ces bois ! Aussi je me suis dit qu'y aller pieds nus m'offrirait plus de chance de succès... C'était un peu idiot, je le reconnais, haha !
L'homme en noir désigna de son index des petites bêtes lumineuses qui prenaient leur envol et le regard de Merry pétilla alors qu'elle s'excalamait en sautillant sur place :
- Des lucioles !!!
Vint la question, logique, à laquelle la jeune femme souffla, concentrée sur la danse envoûtante des insectes :
- Je me promenais sans but particulier. Quoi qu'on pourrait dire que je voulais en apprendre plus sur cette forêt, mais ce n'est pas évident lorsque l'on est seule et que l'on ne possède pas les connaissances de base...
L'homme prit une posture suspicieuse et l'interrogea à nouveau. Gênée, Merry rétorqua, boudeuse :
- Tous ces arbres se ressemblent et je ne retrouve pas le chemin pour accéder à la trappe proche de la maison où l'on m'héberge... Pourquoi voudrait-on se venger de vous ?
La question lui avait échappé, aussi naturellement qu'un enfant dit tout haut ce qui lui passe par la tête sans penser aux conséquences. Une bourrasque secoua la végétation et fit virevolter la chevelure pâle de la dame qui frissonna. Sa tunique avait beau avoir des manches longues, elle n'était pas bien épaisse et le soir tombant rafraîchissait rapidement le couvert des arbres. Pas le moins du monde inquiète de donner son nom à un parfait inconnu, c'est tout sourire qu'elle lui lança :
- Merry ! Mais madame l'esprit vengeur fera tout aussi bien l'affaire. Je vous laisse le choix !
Elle secoua les mains devant elle en signe de négation et ajouta poliment, avant de finir sur une provocation :
- C'est très aimable de votre part, mais je ne voudrais pas que ma bêtise vous vaille un mauvais rhume. Il faut assumer ses erreurs ! Essayons de trouver cette plante, et, si vous le voulez bien, rentrons ensuite au village suspendu, puisque je suppose que c'est là que vous allez également, non ? Monsieur... ? L'homme des bois ?
A quoi ressemblait la lumis sylvatica ? Et bien plutôt que des mots, une image, plutôt un dessin, serait plus parlant. Dante fouilla dans sa poche, les yeux toujours rivés vers l'esprit vengeur, qui ne tarda pas à se présenter. Il sortit son carnet de route et l'ouvrit, fouillant jusqu'à tomber sur la page concernant la fameuse plante. Il tendit le bloc de papiers à Merry, un dessin sans couleur représentait plutôt bien et fidèlement la plante.
-Voilà à quoi ressemble la fleur, mademoiselle Merry l'Esprit Vengeur. Il faut attendre la nuit pour mieux la discerner, c'est une fleur qui éclaire, un peu comme une luciole. Le jour, elle ressemble d'avantage à une plante fanée qu'à une jolie fleur qu'on offre à quelqu'un.
Il marqua une pause et réfléchit quelques instants, pourquoi voudrait-on bien pouvoir se venger de lui... Il n'y avait aucune réelle raison, à vrai dire ? Enfin, pourquoi avait-elle posé cette question ? Elle semblait rigolote, cette brave Merry, ses expressions faciales et ses questions la rendaient très candide, l'était-elle vraiment, où était-ce une façade ? A vrai dire, il fallait vraiment l'être, pour se promener ici, en pleine nuits et sans chausses, une excursion qui pouvait s'avérer rapidement dangereuse. Mais cette grande enfant était chanceuse, elle venait de tomber sur un individu nullement dangereux, du moins, pour quiconque n'attentait ni à sa vie, ni à celle d'innocents.
-Justement ! Pour aucune raison, voilà pourquoi je suis surpris. Qu'un esprit vengeur si gentil veuille s'en prendre à moi...
Sur une note plus sérieuse, Dante reprit, refermant et rangeant son carnet:
-Tous les arbres se ressemblent et vous ne retrouvez pas votre chemin, vous êtes effectivement perdue.
Il agrandit son sourire et poursuivit:
-Et bien... Il se trouve que je connais assez bien les lieux. Nous pourrions peut-être faire une excursion pédagogique, qu'en dites-vous ? Mais il vous faut des bottes, et de quoi vous couvrir, la nuit est fraîche !
Il remarqua d'ailleurs ses frissons et, sans tenir compte de son refus, il tira sa cape et vint la poser sur les épaules de la demoiselle. Sa cape ne cachait plus son sabre et Dante espérait que Merry ne prendrait pas peur face à son arme. Il répliqua à la pique de Merry:
-Je ne suis pas frileux et il semblerait que j'attire d'avantage les âmes vengeresses que les rhumes, ne vous en faites pas. Et puis... Mes pieds ne sont pas dénudés, le froid me gagnera moins vite.
Il cessa quelques secondes et enchaîna:
- Appelez moi Dante, mais l'homme des bois me va aussi bien. Qui sait ? Peut-être que je coulerais d'heureux jour s ci, pour ma retraite !
Il leva ses bras et s'étira de tout son long avant de replonger son regard dans les sphères azurées de Merry, il passa quelques secondes les yeux sur son pendentif avant de regagner ses pupilles:
-Vous savez, ma plante n'étant visible que la nuit, si vous n'avez pas mis trop longtemps à venir ici, nous pourrions peut-être retourner à Village Perché vous chercher des chaussures ? A moins que vous ne pensiez pouvoir braver notre excursion pédagogique pieds nus ? Ensuite nous pourrons nous mettre à la recherche de ma plante tout en explorant un peu les lieux, qu'en dites vous ?
La providence avait menée cette âme curieuse pile sur Dante, un connaisseur des lieux, il aurait été dommage de simplement rentrer sans accéder à la requête de la gentille Merry, qui voulait simplement assouvir sa curiosité et découvrir la belle vie florale et la faune de la Grande Forêt. Puis, il fallait bien l'avouer, Dante était amoureux de ces lieux et les faire découvrir à d'autres personnes le rendait franchement heureux.
- Elle ne révèle donc sa beauté que la nuit ? C'est original ! Et ça lui évite sûrement d'être cueillie en masse par des aventuriers en promenade la journée... Ce serait donc une sorte de protection ? La nature est si mystérieuse !
L'homme des bois l'informa qu'il ne connaissait aucune raison à ce que l'on veuille se venger de lui et la demoiselle haussa les épaules en ajoutant :
- Disons simplement que j'ai été intriguée par votre présence, alors. Un grand gaillard comme vous, tout en noir, en train de chercher des fleurs, c'est plutôt comique ! Mais aussi touchant, quelque part.
Nouveau haussement d'épaule accompagné d'une grimace quand le brun insista sur le fait qu'elle était perdue. Oh, ça va, elle avait compris ! Elle roula des yeux tandis qu'il souriait, mais avant qu'elle n'ait pu rétorquer quoi que ce soit, il lui proposa exactement ce qu'elle attendait. Sautillant sur place, Merry frappa dans ses mains en s'exclamant :
- Avec joie ! J'ai hâte d'en apprendre plus ! Est-ce que... Je dois vous appeler professeur ? Ou Maître Homme des bois ?
Comme pour cacher son insolence, la cape de Dante vint couvrir la demoiselle qui le remercia d'un sourire en la nouant sur ses épaules. Elle était trop grande, mais confortable et chaude et en bonus, elle ne sentait pas la sueur ! La blanche repéra alors la lame et souffla, aussi impressionnée qu'amusée à l'évocation d'un futur si lointain :
- Joli couteau que vous avez là ! Peut-être qu'il vous servira à peler des pommes, une fois à la retraite !
Dante mit en avant la nécessité pour la novice de trouver de quoi se chausser afin de partir en exploration et la prêtresse dut expliquer, gênée :
- À vrai dire, je suis partie tôt ce matin et je n'ai aucune idée d'où nous nous situons. Si nous ne sommes pas trop loin, nous pouvons effectivement aller chercher mes bottes et ma cape, ce qui me permettrait de vous rendre la vôtre. Mais si nous sommes trop loin, je supporterai de terminer notre cueillette ainsi. Ne vous inquiétez pas, je suis plus solide que j'en ai l'air.
Elle gonfla le bras dans une mimique glorieuse, particulièrement hilarante au vu de la situation. Ha, qu'elle était contente d'avoir fait cette rencontre ! Même s'il était un peu bourru, Merry sentait qu'elle allait bien s'amuser avec Dante l'homme des bois !
Tout sourire car il allait partager son savoir et faire découvrir ce joli coin à quelqu'un d'autre, Dante répliqua aux premières dires de Merry:
-Et bien, à vrai dire, elle servirait surtout de balise nocturne pour les animaux. Banale voir laide le jour, elle est laissée en paix, mais, la nuit, on s'en sert comme d'un témoin pour se déplacer. Enfin, c'est une plante rare et peu d'aventuriers s'aventurent jusqu'ici !
Ayant accompagné sa réplique de quelques gestes d'une main, Dante revint croiser ses bras et se tut, l'espace de quelques instants. Il réfléchissait au prochain lieu qu'il ferait voir à la touriste pieds nus. Il aurait lui montrer des coins au coeur de la forêt mais ceux-ci s'avéraient plus sauvages et, par la même occasion, plus dangereux. De plus, y aller pieds-nus pouvait s'avérer épineux. Il faudrait voir plus tard, si la forêt est calme, alors Dante emmènera Merry voir d'autres coins.
Le plein cœur de l'étendue sylvestre éloigné, le Garde pensa à cette grotte où, enfant, il allait avec ses camarades. Un chouette endroit qui ne demandait qu'à être montré et qui plairait, sans nul doutes, à la grande enfant qui se tenait face à lui. Il opina discrètement du chef, comme pour valider son idée et il répondit aux traits d'humour de sa comparse:
-Quel rustre oserait peler une pomme ? Les pommes ça se mange avec la peau !
Il coupa quelques secondes avant de poursuivre:
-Cela dit, je pense que ce haut couteau ferait de magnifiques tranches de pain.
Il offrit un joli sourire à son étudiante puis il se retourna, invitant la demoiselle à le suivre, d'un geste de la main:
-Bien, je vais commencer par vous montrer un endroit que j'affectionne beaucoup. J'espère que ça ira pour vos pieds.
Il commença à marcher, continuant à parler:
-Ca devrait aller, pour l'instant mais si le chemin devient trop piquant, n'hésitez pas à le dire, je suis vous porterai quelques temps.
Ils s’enfoncèrent tous deux dans la forêt, la fameuse caverne n'était pas bien loin, à vrai dire, mais l'obscurité tombait et la prudence dont il fallait faire preuve augmentait, on ne savait jamais sur quelle bête hostile l'on pouvait tomber, il leur faudrait une bonne vingtaine de minutes pour arriver à destination. Le guide improvisé faisait aller ses yeux, ça et là, scrutant après une Lumis Sylvatica et observant les potentiels dangers. Durant le trajet, le guide présenta plusieurs plantes et insectes à Merry, dont les fameuses lucioles, il tentait, au mieux, de détailler les choses pour que sa camarade en apprenne le plus possible. Dante ne put s'empêcher de demander à la douce, trop curieux, des informations sur son pendentif:
-Au fait, Merry, pouvez-vous m'en dire plus sur votre collier ? Je le trouve particulièrement joli mais surtout très intriguant.
Il ne la regarda pas durant cette phrase, non pas par impolitesse ou par manque d'estime pour elle, mais parce que ses globes oculaires s'affairaient déjà à guetter partout.
Leurs pas finirent par les mener à la fameuse grotte. Ils étaient en dessous, du moins, l'entrée de la caverne se trouvant un peu plus haut. Il n'existait pas de réel chemin pour l'atteindre. A vrai dire, il fallait grimper et se démener un peu pour tomber sur l'entrée. Face à un mur à peu prés deux fois plus haut que lui, Dante prit son élan et vint prendre appui sur le mur avant de s'accrocher à un rebord et de balancer ses jambes pour créer une impulsion, avant de se hisser sur ce même rebord. Il jeta un oeil derrière lui, là où se situait la fameuse entrée et un sourire vint irradier son visage lunaire. Le garçon offrit ce spectacle de joie à son étudiante et il la fixa de bas en haut. Il ne savait pas trop si la jeune femme saurait grimper seule, pieds nus, qui plus était. Son sourire se transforma en sourire de défi et il lança, à l'égard de l'esprit vengeur:
-Et bien, chère étudiante, arriverez-vous à me rejoindre ou avez-vous besoin d'un peu d'aide ?
Il vint s'accroupir au bord de la plateforme où il était, le bras tendu vers Merry, déjà prêt à la rattraper si elle se lançait. Il s'attendait, pour une raison obscure, à ce qu'elle tente de grimper seule, même si elle n'en était pas capable. En tous cas, Dante avait hâte de voir les yeux de Merry lorsqu'elle découvrirait la grotte. Il avait, par ailleurs, aussi hâte de revoir les dessins qu'ils avaient jadis faits, ses amis et lui, des croquis qui représentaient leurs aventures, du haut de leur maigre compétence en art. Il s'agissait là de ses premiers essais, il avait, bien entendu, progressé depuis.
Comme quoi, parfois, en forêt, on pouvait faire de chouettes rencontre. Mais qui aurait pu croire qu'un esprit vengeur et un homme des bois feraient si bien la paire ?
- J'ai beau ne pas peser plus lourd qu'un sac de grain, je ne souhaite pas devenir un fardeau. De plus, on pourrait mal interpréter votre geste et je ne tiens guère à vous attirer des ennuis, mais cette attention reste tout à votre honneur.
Loin d'être effrayée, la prêtresse fixait l'obscurité comme un enfant une vitrine de sucrerie. La moindre ombre, le plus discret chant nocturne, tout alimentait son imaginaire débordant. Bien qu'ils n'aient jusque-là croisé qu'un envol d'oiseaux invisibles et quelques rongeurs fuyant entre leurs pieds, Merry, au plus profond d'elle-même, souhaitait en voir plus. Pas qu'elle ignore le danger que cela pouvait représenter, non, la jeune femme qui avait grandi dans un Temple sans jamais s'en éloigner voulait simplement découvrir le monde dans tous ses aspects. La question de l'homme des bois l'arracha à sa contemplation aveugle et ses doigts se portèrent naturellement à la pierre qui roulait de gauche à droite contre sa peau à chaque pas. L'azurite était tiède, lisse et doux au touché, son contact aspira une part de sa bonne humeur et un profond soupir précéda son explication :
- C'est un cadeau de ma mère. Je ne sais ni d'où il vient, ni qui l'a fabriqué, mais il est vrai que c'est une très belle création. C'est un azurite, d'après l'une des Soeur avec qui je vivais au Temple, elle est supposée aider à développer l'ouverture d'esprit, mais... Je ne crois pas trop à ces choses là je dois dire.
Chassant la chape de tristesse qui avait ralenti ses pas, Merry s'activa pour rattraper son retard pile au moment où ils déboulaient sur une impasse. Son guide grimpa la paroi rocheuse sans visuellement fournir d'effort et la blanche resta en bas, à le regarder se réjouir sans savoir encore pourquoi. Sa provocation fit apparaître sur le visage fin de la jeune femme une pointe de détermination et elle s'élança à son tour, faisant fi des risques. La pierre, rugueuse et tranchante sous la plante de ses pieds menus l'égratigna, mais l'élan lui permit d'atteindre la main tendue. Dès que la poigne se referma sur elle, la prêtresse lui offrit un sourire fier et se vanta alors même qu'elle pendait encore dans le vide :
- Que pensez-vous de ma prestation, professeur ?
Puis, quelques instants plus tard, de retour sur la terre ferme, la curiosité l'emporta devant la bouche béante qui s'enfonçait dans la roche :
- Qu'y a-t-il là-dedans ?
Une prêtresse qui n'était guère superstitieuse, voilà qui s'avérait étonnant. Dante nota l'information dans le coin de sa tête mais ne releva pas, on regard focalisé sur la pieuse qui tentait de grimper la paroi. Ca manquait de technique et d'habitude mais pour une première, ce n'était pas si mal. Le garde vint saisir la main levée de son acolyte et il l'aida à se hisser sur la hauteur rocheuse.
-Et bien vous ne manquez pas de cran, pour une prêtresse aux pieds nus. Ce n'était pas si mal, vous pourriez devenir douée avec quelques entrainements !
Ils avancèrent ensuite dans l'orifice rocheux. Dante saisit sa lanterne, qu'il tenait légèrement en hauteur afin de dévoiler un plus grand rayon. Tout y était encore, quoi que, certains dessins souffraient du passage du temps et des plaies de la roche érodée. Des petites boules lumineuses lévitaient autour d'une plante, visible grâce à la lumière de ces mêmes sphères magiques, Dante inspecta brièvement la grotte, appelant tous ses sens. Aucun bête ne semblait en avoir fait sa tanière, il était donc toujours le maître de ces lieux sauvages. Perdu dans ses pensées, le garde s'approcha d'une des parois et vint glisser sa main sur la représentation d'un loup dont la fourrure avait certaines allures de flammes ou d'autres matières éthérées. C'était son loup, la grotte lui avait servi de lieux d'entraînement et représenter son animal spirituel l'avait beaucoup aider à se concentrer pour l'invoquer. Prenant conscience qu'il n'était pas seul, Dante se tourna vers la douce Merry:
-Beaucoup de choses, à vrai dire, les débuts d'un artiste, entre autre.
Il retourna à sa paroi et ferma les yeux avant de sourire. Son sourire disparut et il se tourna, à nouveau, vers la prêtresse, l'air dur:
-A moins qu'il ne s'agisse d'un piège et que l'homme des bois ne vous ait entraîné dans sa tanière pour vous dépecer puis vous manger.
Il fit quelques pas vers la prêtresse, l'air dangereux, autant qu'il le pouvait, du moins, avant de rire calmement. Se retourner avait éclairé d'autres parois de la cavité troglodyte ainsi que trois galeries. Sur les nouvelles parois visibles, des gravures mélangées à des sortes de pictogrammes luttaient, l'une contre l'autre. On pouvait aussi discerner, parfois, des quadrillage emplis de ronds et de croix. Il était vrai que ses amis de jadis avaient aussi marqué ce mur rocheux. Tranquillement, le garde s'approcha d'avantage de la prêtresse et avant doucement lui saisir la main avant de marcher doucement vers la galerie la plus à l'est.
-Venez, allons par-là. Nous pourrons nous asseoir un peu et je vous raconterai, si ça vous intéresse, l'histoire de cet endroit !
La galerie n'était pas bien grande et le duo arriva bien rapidement à l'endroit que Dante voulait montrer à son étudiante. Le bruit de l'eau qui s'écoule s'entendait déjà dans la galerie et, maintenant qu'ils furent face à ce dit cours d'eau, le chant cristallin du liquide vital sonnaient en continu dans leurs oreilles. Relativement doux, le courant poussait tranquillement et inexorablement ces ces myriades de gouttes. Des cristaux lumineux déformaient le plat du plafond et des parois des alentours. Légèrement bleutés, ils offraient un peu de visibilité, certains, même, directement flanqués au fond de la rivière souterraine donnaient à l'eau un aspect presque magique. En outre, on discernait les restes d'un foyer et quelques autres ustensiles de cuisine, rongés par le temps et inutilisables. Dante releva un gros morceau de bois couché qui devenait une assise de fortune:
-Tenez, mademoiselle, votre trône.
Il se retourna vers la rivière et vint remplir sa gourde, avant de revenir auprès de Merry.
-Nous venions souvent ici, avec mes amis, nous avons, en quelques sortes, fait de ce lieu notre quartier général.
Il vint croiser ses bras et, le regard toujours rivé sur la prêtresse, il vint demander:
-Ca va, vos pieds ? Et vous ? Ce petit périple vous plaît ?
Merry semblait curieuse et semblait admirer la faune et la flore mais une grotte, c'était différent de la verdure. Il haussa légèrement ses épaules, sortant de ses pensées par la même occasion:
-Si vous avez froid, je peux vous montrer comment allumer un feu, l'air ici est plus frais qu'à l’extérieur. Nous pourrons ensuite discuter un peu.
Plus frais et plus humide, en effet, c'était là le principe d'une grotte.
La blanche regarda son guide s'attarder sur une représentation et s'approcha doucement pour l'observer à son tour. Un loup ? Un drôle de loup, plutôt, avec une fourrure qui pouvait être de la fumée, ou des flammes, selon l'interprétation. L'homme la tira de sa contemplation en sous-entendant qu'il l'avait mené là pour la tuer, en réalité. La dame ne put se retenir de pouffer et souffla en haussant les épaules, faussement désinvolte :
- Vous oseriez condamner votre âme en causant la mort d'une prêtresse ? Si c'était le cas, vous auriez pu me tuer dans la forêt, y laisser mon cadavre et n'emporter que ce que vous vouliez manger... Mais je n'ai que la peau sur les os, alors j'espère que vous n'avez pas trop faim !
N'avait-elle vraiment pas été inquiétée par ses paroles ? Bien sûr que si, au moins un peu. Mais... Elle ne connaissait pas la forêt et ils s'y étaient enfoncés suffisamment pour qu'elle ait peu de chance d'en ressortir si le danger avait été réel. Oui, Merry se rendait bien compte de la stupidité dont elle avait fait preuve en suivant un parfait inconnu au fin fond des bois, pieds nus, en pleine nuit. Mais qu'y pouvait-elle ? Il lui avait paru digne de confiance, et elle pensait toujours qu'il l'était d'ailleurs ! Il lui prouva qu'elle avait raison, et, après avoir rit tranquillement de sa blague, il attrapa sa main et la guida plus loin dans le ventre de la terre.
Quand il lui proposa de lui apprendre ce qu'était cet endroit pour lui, la jeune femme lui offrit un sourire qui acceptait clairement pour elle. Plus la blanche discernait de dessins sur les murs, et plus elle s'imaginait que la grotte avait représenté pour lui ce que le temple avait été pour elle : une échappatoire, un lieu où elle pouvait s'épanouir. Sa main, qui couvrait la sienne, était chaude, et rassurante, loin de cet homme des bois qu'il lui avait dépeint plus tôt en plaisantant. Elle n'avait pas l'habitude des contacts physiques, ça lui rappela sa rencontre avec Aord, des années plus tôt. Le ruissellement de l'eau ainsi que le plic ploc des gouttes qui tombaient du plafond formaient un son apaisant, pour le plus grand bonheur de la dame. Le sol ici n'était plus humide, mais carrément luisant, tandis que la mousse lui chatouillait la plante des pieds et s'immisçait entre ses orteils.
Elle cessa de s'amuser de cette sensation lorsque le cours d'eau, transcendé par la lumière des cristaux azurés, illumina ses yeux ronds comme des soucoupes. L'onde l'attira si fort qu'elle faillie quitter la cape pour plonger, mais c'aurait été une bête idée par un tel froid. D'ailleurs, Dante lui avait dégotté un siège de fortune, auprès d'un foyer éteint, et lui posa quelques questions auxquelles la dame répondit d'un ton enjoué :
- Merci, c'est un honneur ! C'est un magnifique endroit, je l'adore. Ne vous inquiétez pas, l'eau a lissé la roche et l'a rendue si douce que j'ai eu l'impression de marcher sur de la soie ! Et ces dessins ! Ils sont de vous, n'est ce pas ? J'ai ressentit une forte affection de votre part envers ce loup majestueux.
La soudaine proposition de l'homme concernant le foyer attendant d'être ravivé alluma une étincelle dans les saphirs de la dame. Elle allait peut-être pouvoir se baigner finalement... Enfin, seulement si elle parvenait à faire un feu !
- Apprenez-moi !
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