Attablé, un verre de rhum posé négligemment devant moi, son contenu à moitié vide plus pour me donner du courage que pour me réchauffer, je répète dans mon esprit mon histoire, je dois être capable de répondre à toutes ses questions, me préparer à ses doutes, des inquiétudes, ses incertitudes. D'une certaine manière je viens ici presque sans aucune preuve, je n'ai rien d'autre qu'un crayonné et un récit à lui offrir! Au moins, le dessin et ressemblant! Moi lorsque j'avais cinq ou six ans, fait par l'une de mes connaissances, un faussaire de génie, suite à ma description aussi précise que possible de mon visage juvénile avant mon changement drastique d'apparence. J'espère que cela servira, que ce sera suffisant pour la convaincre que le jeune Brent est au mieux de sa forme et qu'elle ne doit, en aucun cas, tenter de le retrouver. Si elle persiste sur cette voie, je n'aurais d'autre choix que de "mourir" une nouvelle fois! Je ne peux prendre le risque que quelqu'un apprenne que le jeune Brent ne fait qu'un avec le pirate du même prénom, mystérieusement disparu du jour au lendemain, surtout si j'apporte des croquis de cet enfant qui n'est pas censé existé.
Vêtu de beaux atours, je ne tente pas d'être discret, techniquement je n'en ai pas besoin, de toute manière Orisha - qui m'attend devant la taverne - aura vite fait d'indiquer ma présence à l'apprentie forgeronne, je pourrais en profiter pour vérifier comment se passe l'évolution de son travail, détourné l'attention du sujet qui la touche le plus pour recentrer sur celui censé me concerner directement moi - même si étrangement, cette description peut coller aux deux sujets dont il sera question - tentons de régler cette affaire avec précision, justesse et une certaine dose de fermeté aussi... Vidant mon verre, j'entends le bruit de la porte de la taverne s'ouvrir et me tourne, est-ce donc la jeune femme qui fait son entrée?
Je n'ai jamais été doué pour le mensonge, mon visage me trahissant rapidement alors que je parle. Quand ce n'est pas mon visage, c'est ma voix qui devient fébrile. Alors je me suis répétée mon excuse plusieurs fois, m'entrainant sur un mensonge très simple. En utilisant une demie vérité, j'ai prétexté un rendez-vous avec un collègue aventurier pour une possible future mission. Après tout, Lyle sait que je n'ai rien prévu tant que l'armure de familier en obidium n'est pas terminée, mais je n'ai rien dit sur la suite... Mon mensonge ne semble pas avoir éveillé les soupçons de mon maître, ce dernier m'écoutant à peine alors que je m'apprête à partir. Comme à son habitude et tel un père voulant protéger sa fille, il me demande d'être prudente et de ne pas rentrer trop tard.
Je quitte la demeure Obsid avec une légère boule au ventre et de nombreuses questions en tête. Je ne sais pas ce que l'aventurier va m'annoncer et je ne sais pas non plus à quoi m'attendre. A-t-il trouvé Brent ? Est-ce qu'il va bien ? Est-il heureux ? Ou au contraire, est-il malade ? Ou pire... Plus j'avance et plus l'inquiétude ainsi que le stresse me gagnent. Le voyage à pied jusqu'à la forteresse me parait à la fois bien trop court et trop long. J'ai hâte d'avoir des nouvelles du petit garçon, mais dans le même temps, je les crains au plus haut point. Quand j'aperçois enfin la silhouette de la ville, j'ai l'impression d'entendre mon pouls à mes oreilles. Je mets un petit moment à reprendre mon calme avant de me diriger vers le bourg.
En arrivant devant la bâtisse, j'aperçois Orisha qui semble monter la garde. Le familier semble me reconnaître, sa tête se levant un instant vers moi et me fixant. Je lui souris, hésitant à venir caresser la créature. Finalement j'opte plutôt pour une salutation simple qui me permet d'évacuer une partie de la tension qui m'a gagné. L'animal réagit à peine et m'observe à hésiter devant l'entrée du bâtiment. C'est après une grande inspiration que je prends mon courage et pousse la porte. Une fois à l'intérieur, je balaie la salle du regard et trouve rapidement l'homme que je cherche attablé non loin, un verre devant lui. Je viens m'installer en face de lui avec un petit sourire.
« Bonjour Aslander. »
Une serveuse vient prend ma commande et je demande une bière légère. Je pense qu'un peu d'alcool ne me fera pas de mal. Mon stress est palpable, contrairement à mon habitude je ne reste pas silencieuse, ayant besoin de retarder l'échéance du moment où il devra m'annoncer une nouvelle qui risque de me blesser.
« Comment allez-vous depuis notre dernière rencontre ? »
Le message que je reçois dans mon esprit coïncide exactement avec le moment durant lequel mon regard se pose sur la jeune femme venant d'entrer dans le bâtiment. On dit que les animaux ont une sorte de sixième sens, un instinct permettant de ressentir les émotions humaines et de réagir en conséquence, la peine, la peur, même la joie sont autant de signaux qu'ils peuvent concevoir et comprendre, parfois même mieux que les humains... Pourtant cette fois, je crois que n'importe qui peut lire l'inquiétude dans le regard de cette belle fleur qu'est l'apprentie forgeronne... Elle s'approche et je détail ses mouvements, le langage corporelle parfois bien plus évident que toute parole pour qui saurait le lire. Une habitude que j'ai en réalité même si cela fait un moment que je ne l'ai plus "exercé" après tout, la séduction passe par la lecture de ce dit langage d'une certaine manière, il faut savoir décodé pour comprendre quelle approche employer et, très clairement, la jeune femme doit être rassurée.
Elle s'installe face à moi, commande une bière auprès d'une serveuse qui vient voir notre table avant de se retirer pour ramener à la demoiselle son breuvage et moi, je me contente d'un léger sourire et d'une gorgée de rhum. Inutile d'aller trop vite, il vaut peut-être mieux lui laisser faire le premier pas? M'assurer qu'elle soit prête à entamer cette discussion et très clairement, elle ne l'est pas! Une question sommes toute banale, polie également bien-entendu mais je doute que sa principale attention soit à la politesse bien que, elle est apprentie de Lyle tout de même, je me souviens l'agacement du maître forgeron lorsque je n'ai guère exprimé de salutation orale lors de ma dernière visite... Une erreur qu'il vaut sans doute mieux éviter de réitérer non seulement à l'avenir mais, peut-être également avec sa protégée. Allez savoir à quel point maître et apprentie peuvent se ressembler sur ce point et puis, je m'en voudrait d'offenser une si belle fleur alors qu'elle semble déjà sur le point de faner d'affolement pour peu que cela soit réellement possible.
"Bonjour Sia, un plaisir de vous revoir." Courtois, galant, après tout chassez le naturel et il revient au galop, je sais que je ne suis pas ici pour séduire, ce n'est d'ailleurs en aucun cas mon but, mais je ne puis m'empêcher d'user de mes charmes. D'une certaine manière, cela sera peut-être bénéfique, comme un message subtile visant à lui signaler qu'il n'y a pas lieu de s'en faire de la sorte. "Je vais très bien merci et vous même? Comment se passe votre apprentissage?" Quelques futilités, des échanges sans aucun doute attendus qui ne sont nullement en lien avec notre affaire mais, il convient de la rendre un peu plus sereine avant d'aborder le sujet clef de nos retrouvailles, après tout, je dois encore chercher comment amener mes informations de manière à la fois logique et crédible. Je suis un bon menteur mais la belle aura sans doute des questions, mieux vaut qu'elle soit bien disposée à écouter mes réponses pour ne pas qu'elle les questionne trop. Un bon mensonge n'est réellement efficace que si votre interlocuteur vous fait confiance après tout.
Je regarde à nouveau Aslander et lui offre un sourire. J'essaye de prendre un minimum de contenance, de chasser mes inquiétudes pour lui répondre de façon naturelle.
« Je vais bien, merci. »
Mensonge évident. Mais j'enchaine sans trop d'interruption.
« Mon apprentissage se passe plutôt bien. Avec Lyle nous avançons sur l'armure d'Orisha a un bon rythme et nous allons tenir les délais qu'il vous a donnés sans problème. Je tiens d'ailleurs à vous remercier de m'avoir laissé travaillé sur un tel projet et avec un métal aussi rare que l'obidium. C'est une occasion rare pour moi et cela favorise grandement mon expérience et mon apprentissage. Merci de votre confiance. »
Je lui offre un petit sourire sincère avant de prendre une nouvelle gorgée de bière. Parler de la forge a l'avantage de me faire oublier la raison de ma venue ici. Je dois vraiment beaucoup à Aslander. Il est rare d'avoir un client de Lyle qui accepte que son apprentie puisse ainsi travailler sur un projet de cette ampleur, beaucoup sont habitués à la rapidité du maître forgeron et s'en passe assez difficilement. Il est également compliqué de me faire ma propre clientèle tant que je suis son apprentie et que je vends dans sa boutique. Même si je commence à apposer mon propre sceau sur mes créations, elles font encore pales figures aux côtés des siennes. À moins d'une commande personnalisée, il va être difficile que je vende mes premières créations tant que je devrais les présenter à côté de celles de mon maître.
Mais assez parlé travail. Je suis venue ici pour une bonne raison. Je fixe l'aventurier avec un instant d'hésitation. Est-ce que j'engage la conversation ou non ? Peut-être veut-il encore retarder le moment fatidique ? Je ne sais pas. Finalement, je préfère crever l'abcès.
« Alors ? Quelles nouvelles avez-vous à m'apporter ? »
"Allons Sia, vous devez ce contrat uniquement à votre professionnalisme! J'ai vu avec quelle diligence vous avez pris les mesures de mon compagnon et avant même d'en discuter avec Lyle, vous aviez déjà en tête une idée de l'armure à concevoir. L'apprentissage avec Lyle a sans aucun doute de grands avantages mais, je ne doute pas qu'il soit également contraignant n'est-ce pas? Après tout lorsqu'on travaille avec un maître, on peut facilement être évincé par des clients qui n'acceptent pas moins que sa marque de fabrique! Je sais ce que c'est, mon mentor était un homme réputé qu'il a été difficile d'égaler..." Dis-je avec un léger sourire, une réalité même si je tais la nature de sa renommé, on parle ici d'un capitaine pirate que j'ai tué de mes mains après tout... "Si je peux vous aider à prendre votre envol, alors je suis heureux d'y contribuer et puis... J'ose espérer que vous ne m'oublierez pas le moment venu, avoir deux maîtres forgerons dans mes contacts et un luxe que je ne me refuserais pas!" Un léger rire suivi d'une gorgée d'alcool, bien-entendu je tente de lui rendre un peu de confiance mais si je dois être parfaitement honnête, mes propos ne sont pas dénués de vérité. Après tout, je suis un "homme d'affaire", même si je le masque parfaitement, je ne fais que rarement les choses sans espérer en tirer un bénéfice évident... C'est cela les affaires après tout!
Mais naturellement, malgré nos échanges somme toute courtois qui pourraient laisser penser à des retrouvailles entre deux amis, ce n'est pas réellement le cas. Nous sommes ici pour des affaires biens différentes et il est temps pour la jeune femme d'avoir des réponses, du moins celles que je suis disposé à lui offrir. Pas de réponse immédiate, à la place je termine mon verre de rhum d'une traite, c'est maintenant qu'il va falloir sortir le grand jeu et inventer une histoire faisant sens...
"J'ai fais joué mes relations, demandé de l'aide à certains de mes employés. Après tout, des personnes capables de chasser des monstres devraient pouvoir retrouver un enfant pas vrai? Cela a prit du temps mais j'ai trouvé une piste : un enfant retrouvé en pleine crise de somnambulisme dans les rues du grand port... Il a été prit en charge par un orphelinat, le lendemain a son réveil, il ne se souvenait de rien si ce n'est son nom : Brent!" Je marque une légère pause en regardant la jeune femme avec un petit sourire confiant, certain de lui apporté ici des nouvelles du bon enfant même si tout n'est que mensonge. Ou presque... "L'enfant n'est pas resté longtemps dans cet orphelinat, apparemment sa mère serait venu le chercher, une femme prénommée Kiara." Pas de mensonge cette fois, c'est bien le prénom de ma mère... Pour le reste, il faut que je prépare parfaitement le terrain, sortant un bout de vélin, je le tend à la jeune femme. "Mon employé a fait ce dessin de l'enfant, est-ce bien lui?" Dis-je en lui donnant le portrait de moi plus jeune.
« Je tâcherais de m'en souvenir. »
Je souris avant de prendre une gorgée d'alcool à mon tour. Évidemment que je m'en souviendrais. Il va m'être réellement difficile de me démarquer de mon maître, de l'égaler, voire le surpasser, alors avoir déjà dans mes contacts un client connaissant mon niveau et à qui je n'ai pas besoin de prouver mes compétences, je ne vais pas cracher là-dessus. Je reste pragmatique, je saisis toutes les occasions se présentant à moi. Me laisser emporter par mes sentiments n'est pas dans mes habitudes, et à vrai dire je n'aime pas cela.
Brent fait partie de ces choses m'affectant trop. Alors quand le brun reprend la parole, je sens tout de suite que le ton a changé. Je serre à nouveau les dents, mon corps se raidissant par réflexe. Je l'écoute sans dire un mot, suivant son récit en me concentrant sur chaque mot, chaque intonation, m'imprégnant de chaque information qu'il me donne. Je regarde le dessin qu'il me tend et je revois alors le petit garçon hantant mes rêves et souvenir sur ce gribouillis. Je sens mon corps se relâcher d'un coup et l'émotion m'envahir. C'est bien Brent, j'en suis certaine. Je hoche simplement la tête pour répondre, sentant que ma gorge s'est trop serrée pour répondre. Je retiens comme je peux les larmes qui montent et viennent me piquer le nez.
Alors, il était en pleine crise de somnambulisme au milieu du Grand Port... Et il a été aussi touché d'amnésie ? Cela expliquerait plus ou moins son état quand je l'ai trouvé. Je ne sais pas ce qui l'a mis ainsi, mais je suis rassurée de savoir qu'il a une mère et qu'il va bien. Il m'a certainement oublié, c'est même certain. Je reprends alors un peu contenance, me redressant sur ma chaise et chassant la larme pointant au coin de mon œil. Je plonge mon regard dans celui d'Aslander, un petit sourire étirant malgré tout mes traits.
« Je suis contente d'apprendre qu'il va bien... Sincèrement. »
Je ne mens pas en disant cela, je le pense réellement. Certes, je ne peux m'empêcher d'avoir un petit pincement à l'idée qu'il m'ait complètement oublié, mais je suis heureuse et rassurée sur le fait qu'il a pur retrouver et rejoindre sa famille. Je me mords un peu la lèvre avant de poursuivre, hésitant légèrement sur les mots à utiliser.
« Vous dites qu'il ne se souvenait de rien ? Je veux dire, ce n'est pas rien... Un enfant retrouvé dans cet état, ça ne doit pas arriver tous les jours. Et j'imagine que cela peut être inquiétant pour sa famille... Alors, si je peux être d'une quelconque aide... Après tout, j'ai trouvé Brent dans un état étrange aussi, donc si mon témoignage peut être utile pour savoir ce qui lui est arrivé, j'apporterais mon aide avec plaisir. »
Est-ce un moyen détourné d'essayer de revoir cet enfant ? Complètement. Même si j'essaye de ne pas me faire trop de faux espoirs là-dessus, j'essaye de trouver un moyen de peut-être le revoir, d'espérer qu'il se souvienne de moi et que je ne suis pas la seule qui vais garder ce souvenir qui m'est cher. Enfin, il y a aussi Sio, mais ce moment n'a pas la même valeur pour elle. Je ne sais quelle magie a opéré sur nous exactement, mais je ne suis réellement attachée à ce petit garçon. Je pense que mon regard en dit long, il trahit à quel point j'espère pouvoir le revoir, mais j'essaye tout de même de rester lucide. Une femme débarquant ainsi au milieu d'une famille heureuse parce qu'elle a été une mère de remplacement durant une soirée, cela peut paraître dès plus étranges.
Pourtant, derrière cette affirmation, ces propos, je sens bien qu'il y a autre chose, quelque chose qu'elle ne peut ou ne veut simplement pas dire, comme un aveux silencieux qu'elle se refuse à faire à haute voix et à rendre réel. Mieux vaut sans doute ne pas la pousser, en réalité je serai bien satisfait si cette histoire venait à s'arrêter ici! Je me débarrasse ainsi d'une épine dans le pied tout en ayant rassuré la belle, le meilleur des deux mondes donc! Cela fait mon affaire et elle peut recommencer à avancer simplement cependant, cela serait bien trop simple n'est-ce pas? Le somnambulisme et la perte de mémoire c'est la manière simple de finir cette histoire, il a oublié cette nuit, oublié la jeune femme mais il va bien donc elle ne doit pas s'inquiéter! Sans doute cela aurait été suffisant avec d'autres personnes de mon entourage, des gens qui aurait le coeur plus dur, les émotions plus simples et qui ne se serait pas attaché à ce bambin apparu de nul part mais malheureusement, l'apprentie forgeronne ne fait pas partie de ces personne que rien ne peut ébranler... Elle a une douceur, une sensibilité qui ne colle pas réellement avec l'image d'un manipulateur de marteau et de minerais et pourtant, je m'y attendais quelque part! Après tout, elle s'est parfaitement occupé de l'enfant que j'étais devenu durant une soirée.
"C'est tout à votre honneur de vouloir aider Sia et, je comprends que vous vouliez revoir cet enfant." Dis-je avec un petit sourire, après tout sa motivation à retrouver Brent - chose malheureusement impossible - est loin d'être discrète... Malheureusement c'est aussi problématique! Si jamais elle décide de retrouver l'enfant d'elle-même, même si je lui dis qu'il ne vaut mieux pas, cela pourrait compliquer ma couverture et surtout, mon partenariat avec son maître... Je doute qu'il apprécie mes mensonges vis-à-vis de son apprentie... C'est alors qu'un éclair de génie me traverse l'esprit! Cela demanderait du temps mais... "Écoutez Sia, pour l'heure je pense qu'il vaut mieux laisser cette famille tranquille... Je sais que vous voulez aider mais, sa mère était morte d'inquiétude, je ne pense pas que leur infligé cela soit une bonne idée..." Dis-je en plongeant mon regard dans celui de la jeune femme. "Cependant, si vous m'accordez encore votre confiance, je vous promet de rentrer en contact avec cette dame, Kiara, et d'essayer d'organiser une rencontre. Mais cela risque de prendre un peu de temps..." Un peu de temps oui, le temps de me débarrasser de mon ancien équipage! J'ai bien l'intention de recruter Isabella une fois mes comptes régler avec Mason et ses hommes, la belle m'est toujours fidèle et sa connaissance de la mer en fait la personne toute désignée pour devenir capitaine du navire d'expédition du trône d'Amphitrite. Elle pourrait avoir une autre utilité, ma vieille amie, âgé de trente-trois ans pourrait parfaitement joué le rôle de ma mère, il suffirait alors d'une potion de rajeunissement pour devenir une nouvelle fois Brent et boucler cette histoire...
Pourquoi suis-je ainsi ? Pourquoi me suis-je autant attachée à ce gamin ? Je n'aime pas les enfants. Qu'on se le dise franchement, mon instinct maternel est déplorable, me confier un enfant, c’est s'assurer que ce dernier soit oublié dans un coin. Je m'enferme pendant des heures dans la forge - un lieu parfaitement sécurisé pour un enfant - ce n'est pas pour être dérangée par un bambin. J'apprends à m'enfermer dans ma bulle, à battre le fer à la chaleur du brasier, à mener mon corps jusqu'à ses limites physiques, à m'épuiser physiquement tout en ignorant ce qui se passe autour de moi. Je ne suis absolument pas ce qu'il faut pour élever un enfant. Alors pourquoi ? Est-ce une magie étrange qui a opéré sur moi ce soir-là ? Peut-être. Peut-être ne puis-je pas laisser Brent partir ainsi parce que je suis encore sous l'emprise d'un étrange sort.
Je serre la mâchoire et me redresse, prenant une gorgée de ma boisson pour me détendre. Je souffle un bon coup en me forçant à me détendre. J'affiche un petit sourire en regardant à nouveau le brun, l'air un peu plus rassuré et détendu.
« Vous avez parfaitement raison. J'en ai bien conscience. Écoutez, Aslander... » Je laisse ma phrase en suspens, cherchant à formuler correctement ma réponse. « Je vous accorde ma confiance, mais je ne veux pas forcer cette famille à me rencontrer. Si cette femme souhaite me contacter ou discuter avec moi, ce sera avec plaisir. Je ne veux surtout pas les déranger ou les perturber. Après tout, cet enfant a dû tout oublier de ce qui s'est passé ce soir-là... »
Malgré moi, ma voix se brise légèrement à la fin de ma phrase. Je serre à nouveau un peu les dents, mais m'efforce de prendre une attitude assurée. Je reprends une gorgée de mon verre, l'alcool m'aidant à me détendre et à améliorer mon humeur. J'ai l'alcool joyeux et plutôt affectif, malheureusement, je le tiens assez mal. J'affiche alors un air bien plus confiant en continuant.
« Si vous pensez qu'une rencontre est possible ou nécessaire, alors je vous fais confiance, sinon, oubliez cela. »
Je lui offre un petit sourire, mon regard franc et bien plus assuré. Oui, je dois me faire une raison, je dois avancer et passer à autre chose. J'ai des objectifs de vie, des projets et des rêves, Brent n'en fait pas partie. Il restera un moment agréable, le souvenir d'une soirée de vacances, un éclat de rire et des sourires que je n'oublierais pas facilement, mais rien de plus. Un souvenir. C'est tout.
« Je tiens sincèrement à vous remercier pour votre travail et pour ce service, Aslander. Je sais que vous n'étiez pas obliger de faire cela et que vous avez fait cela parce que vous... On va dire que vous faites un pari sur mon avenir. » Je souffle de manière amusée avant de reprendre. « Mais laissez-moi au moins vous offrir un bon repas chaud et un peu de compagnie. Je crois que nous avons tous les deux fait de la route pour venir jusqu'ici, alors profitons au moins de la spécialité du patron. Qu'en pensez-vous ? »
J'affiche un sourire bien plus large. À vrai dire, je n'ai pas envie de repartir tout de suite, regagner la route et la solitude de la montagne. Les heures de marche m'attendant pour rentrer à la forge me laisseront bien assez de temps pour réfléchir, mais je n'ai pas envie de faire cela tout de suite.
D'un mouvement, je viens déposer ma main sur la sienne, plantant mes iris dans les siens. Étrangement, j'affiche toujours un petit sourire sur le visage mais plus compatissant. rassurant même, que charmeur. Je ne tente pas de séduire la demoiselle, juste lui apporter mon soutient dans cet échange, comme une promesse silencieuse de ne pas l'oublier, de ne pas la laisser tomber lorsque cela sera nécessaire, lorsqu'elle aura besoin d'un appuie que je devine car, malgré son discours, malgré la résolution de son regard, sa voix a tremblé, sa voix s'est brisé à un instant et, même si je n'ai aucun mérite à l'avouer, je sais reconnaitre la fragilité chez une dame! J'en ai souvent abusé pour obtenir d'elles ce que je désirai.
"Votre confiance me touche Sia et n'ayez crainte, je vais faire tout ce qui est en mon pouvoir pour vous aider dans cette affaire... Si cela peut vous rassurer, je doute que cet enfant vous ai oublié, après tout les enfants ont une bien meilleure mémoire que les adultes, c'est bien pour cela que c'est en étant jeune que l'on apprend le plus facilement... Je ne vois pas comment il pourrait vous oublier!" Non, impossible pour moi d'oublier la belle, certes cela ne peut paraître que comme des mots se voulant rassurant, des affirmations sans fondement mais, même si elle l'ignore, je suis bien placé pour savoir que cet "enfant" ne risque pas d'oublier la douce dame qui s'est si bien occupé de lui... En toute logique, je devrai maintenant partir, la raison de ma venue étant accomplie, je n'ai nul besoin de m'éterniser. Je pourrais prétexter un rendez-vous important, quitter le froid des montagne pour retrouver la chaleur du Sud, laisser ici Sia avec une promesse d'espoir et faire fie du reste... C'est ainsi que j'agirai normalement cependant, ma relation avec la jeune femme n'a rien de réellement normale alors... "Et bien, il n'est pas recommandé de faire la route le ventre vide et puis... Comment pourrais-je refuser un repas en si charmante compagnie? Si la compagnie d'un vieil aventurier peut égayer quelque peu votre journée, c'est avec plaisir que j'accepte votre invitation."
« Allons Aslander, vous êtes certes plus âgé que moi, mais vous n'êtes pas si vieux ! »
Je souffle un nouveau rire avant d'arrêter une serveuse qui passe prêt de nous.
« Deux de vos plats du jour, je vous prie, de l'eau et une boisson pour accompagner le tout, je vous prie. »
La jeune femme prend ma commande avec plaisir, contente que nous nous décidions à consommer bien plus que nos boissons alors que nous sommes présents déjà depuis un moment. Je me tourne alors vers l'aventurier pour reprendre notre conversation.
« J'espère que les repas ici sauront satisfaire le palais d'une personne de votre rang. »
J'affiche un petit sourire pour montrer que je suis sur le ton de la plaisanterie, essayant de m'amuser du récent statut de noblesse qu'a acquis l'homme. La serveuse revient rapidement avec une carafe d'eau, de verres et de boissons pour nous faire patienter.
« Une spécialité de la maison ! »
Je souris à la serveuse qui repart et lève ensuite mon verre en direction du brun.
« Alors... à l'avenir ? »
Nous trinquons et je goutte cette boisson alcoolisée qui semble faire la fierté de l'établissement. Le breuvage a un goût intéressant qui a le mérite de me surprendre tout en plaisant à mon palais. Je repose alors mon verre et relance l'aventurier pour essayer de faire la discussion pendant ce qui s'annonce un agréable repas.
« Alors dites-moi, un aventurier de votre trempe a dû acquérir pas mal d'expérience. Je suis encore une jeune aventurière. Des conseils ou choses à raconter à une jeune pousse telle que moi ? »
J'esquisse un sourire alors que s'engage le début d'une discussion qui risque de nous occuper un bon moment.