Vous savez, il y a cette vieille rumeur rampante, insidieuse qui traîne peut-être même dans votre tête en ce moment, après tout, chaque habitant d'Aryon est, de leur propre volonté ou de manière inconsciente, colporteur de tels échos. Après tout, ne dit-on pas que les clichés et les stéréotypes, bien que parfois horribles et sûrement blessants, viennent d'un fond de vérité qu'une communauté a colporté sur une autre ? Quand les gens ont du mal à s'entendre, c'est qu'ils ne se comprennent pas complètement, souvent, ils croient qu'ils sont chelous, c'est juste que ça capte pas très bien. C'est du moins ce que crois Hryfin, et lui se pense hors d'atteinte de ces murmures, alors qu'il fait partie de ce panel visé. Non, il en démordrait fort, pourrait même en venir aux mains en cas de mésentente prolongée et véhémente.

Non ; tous les gardes ne sont pas des piccolos.

Et puis, un verre de temps en temps, oh, pourquoi pas ?

Ça fait de mal à personne, si ?

Enveloppé de cet état d'esprit, il poussa seul la porte d'une petite taverne. Usuellement, le grand n'aime pas bouleverser ses habitudes ; le même groupe de collègues ou anciens confrères, les mêmes commandes, en bref, des soirées similaire et donc réconfortantes. Bon, y a bien des fois où ça dérape, comme une des dernières où il s'est rendu dans une taverne qui lui était étrangère tient, dans le Sud de la capitale. Il y avait fait une rencontre...Intéressante, qui eut le mérite de marquer une de ses nuits.

Sans gène, il s'invita à rentrer, accueillit par un tavernier qui- oh bordel, non ? Comment avait-il fait pour ne pas le croiser depuis tout ce temps ? Il n'est donc pas le seul individu à dépasser les deux mètres ? Oui, les grands, ça ne manque pas dans le pays, certains dépassent le mètre quatre vingt dix. Les gaillards de plus de deux mètres, en revanche, ça court pas les rues ! A dire vrai, il aurait pu intérieurement jalouser l'homme, Le garde royal se complaît dans le fait d'être si grand, une marque de fabrique, une identité, pourtant le gérant le dépassait de quelques petits centimètres, Ô théoriquement insignifiant, mais quand on touche le ciel du bout du crâne, chaque millimètre est digne de concurrence. Au moins avait-il l'avantage de présenter un physique un peu plus développé, allez, mettons, un partout, balle au centre. Prenant place au bar, il décocha un sourire au tenancier.

'' Une pinte pour le moment ; commençons simple. Ça fait bien plaisir de pas avoir à baisser la tête pour s'adresser à quelqu'un, pour une fois ! ''

Aucunement une boutade, ni un reproche envers les petites gens, juste des salutations un peu customisées envers un frère qui devait, lui aussi, connaître les fameux ''Wow t'es grand'' et autres ''Et sinon, la météo là haut, c'est comment ?''. Attendant patiemment sa boisson, son regard se porta aux alentours. Un établissement simple, charmant et sans prétention, bien loin de tout ce qui attire les ''piliers habituels, mais si, vous savez, en armure de jour, complètement à poil de nuit''. A vrai dire, peut-être changeait-il en espérant un bouleversement, un rencontre comme il en avait déjà fait ? Attention, ce colosse est bel homme, mais ce n'est vraiment pas de ça qu'il parle. Juste casser la routine, et croiser cette personne était déjà un premier pas. Les clients n'étaient pas super bruyant, il était encore tôt après tout, le monde avait bien le temps d'arriver. Une fois servit, il eut plus l'occasion d'observer le propriétaire, et ça sautait aux yeux ; malgré une habileté sans doutes forgée par l'habitude de sa condition, il avait tout de même un bras en vrac. Il prit une première longue gorgée.

'' Dur, le bras. Vieux souvenir de bataille ? Accident bête ? T'as l'air d'avoir pris le coup de main, en tout cas. ''

Si sa première prise de parole avait été sympathique, son manque de tact légendaire se retrouve présent dans ces derniers mots. Déjà, bien trop à l'aise pour tutoyer une personne qu'il a rencontré il y a quoi, deux minutes à tout péter ? Ensuite, s'immiscer dans sa vie privée comme ça ? Enfin, cette remarque aussi candide que mal interprétable ? Ouais, de l'hippogriffe certifié ça, cent pour cent précis. Avec un peu de chance, il le prendrait pas trop mal.

L'hippogriffe n'avait même pas remarqué le tour de passe-passe de l'homme pour ce qui était de sa boisson, et quel dommage ! Un sujet de discussion inédit qui aurait été des plus détonants, les pouvoirs élémentaires, d'hybridation, de transformation, tout ça était d'un affligeant commun, attention, pas moins impressionnant, juste qu'à force de barouder en ville comme c'est son cas, et d'appréhender les criminels, un peu de changement est rafraichissant. Après tout, il est bien plus simple de braquer une taverne, dévaliser une boutique ou attenter à la vie de quelqu'un quand son pouvoir est de faire de son corps une arme vivante, plutôt que de pouvoir rendre n'importe quelle surface brillante, comme recouverte d'une multitude de paillettes ! Oui, il avait regardé de manière intriguée la bouteille d'eau posée sur le bar, assisté au clin d’œil du gérant, mais fut incapable de joindre les deux bouts ensemble pour former un ensemble cohérent à ce qu'il se passait. Tout ce qu'il pouvait affirmer, c'était que la bière était quand même fichtrement bonne ! Si les autres alcools sont tous comme ça, il ne donne pas cher de son foie pour la soirée ; de son crâne le lendemain matin.

L'écho du rire puissant du tavernier retentit dans l'établissement, faisait lever sourcils et tourner regards vers le duo de grands. Le garde royal, lui, ne le suivit pas dans son hilarité ; l'aurait-il fait s'il avait pu décrypter l'origine de cette esclaffe, ne serais-ce que réussir à discerner s'il avait vexé son hôte, ou si, au contraire, la remarque avait été si bien prise qu'elle déclencha une once de joie dans le cœur de l'homme, appréciant le côté curieux et, oserais-je, bavard du brun ?

Et bavard, Ryf ne l'était pas.

Lui, par contre, pfiou. D'ici sa sortie, il est persuadé qu'il connaîtra sur le bout des doigts la vie de cet homme.

Homme de peu de mots, en tout cas, de prime abord, encore plus sobre, l'hippogriffe était quand même doué pour écouter, ce qu'il fit assidûment malgré sa petite pique mentale qui le fit bien sourire. Un ancien aventurier, donc. Il devait être une terreur ; aussi bien redouté par ses pairs que toutes ces créatures qu'il aurait eues à chasser ! Seulement, il mit en évidence la balafre cicatrisée qu'il avait sur son faciès, donc seule blessure de sa vie passée, hein ? Dommage. L'accident qu'il a subit a du être tragique, les naufrages, vraiment, aucun moyen d'en ressortir la plupart du temps. Après, impossible pour le fils Danvil de se projeter à sa place ; on sort les ailes, et hop, on flap flap jusqu'à atteindre la terre ferme. Il avait donc du mal à se sentir concerné, peiné, bref, pas d'empathie envers son histoire, si ce n'est qu'il la comprend tout à fait. Son attention aurait été plus captée s'il avait quelque chose de type ''Oh, ça ? Rien, une micro blessure, de quand je me suis battu seul contre une chimère''. Bon, à son tour de parler. Ça sera plus bref, plus concis. Jetant un œil à sa propre tenue, il est vrai qu'il est impossible de deviner qu'il appartient à la garde royale, il n'est ni en armure, ni en uniforme réglementaire.

'' Triste histoire. Tout ça à cause d'une erreur de navigation j'imagine. Jsuis à la capitale car j'y vit. Et j'y travaille. Jsuis garde. Euh, royal, ouais. Garde royal. Donc pas aubergiste, non. ''

Non, il a encore tous ses neurones et toute sa sobriété, tiens, en parlant de ça, retremper ses lèvres dans ce liquide mousseux semblait une bonne idée, il s'y exécuta donc. S'il a tant de mal, c'est car même un an après sa nouvelle affectation, il peine à s'y faire. Le nouveau salut, les nouveaux uniformes, les nouvelles affectations, les nouvelles tâches, c'est à la fois gratifiant et décourageant. Allez, ton serveur n'est pas avare en détail, essaye de communiquer un peu plus.

'' Après, 'fait longtemps que jsuis là. J'ai servi neuf ans dans la régulière avant de rejoindre les troupes du capitaine Hekmatyar. Toujours à la capitale, hein. ''

Rien à faire, il peinait encore bien trop à parler de lui. S'il fallait commencer à s'ouvrir, mériter sa promotion et les potentielles futures à venir, c'est pas une barrique émotionnelle, calamité relationnelle, qui servira au mieux les intérêts de la garde, du pays, et de la couronne. Alors, relançons le patron sur autre chose, qui sait, peut-être les débouchés permettront de faire avancer le tout. Il avala cul sec le reste de son verre.

'' J'en prendrais une autre. Et la cicatrice ? Elle t'es venue comment ? Ton bras, t'as tout essayé ? Les meilleurs soigneurs, les guérisseurs de l'armée, l'Astre de l'Aube ? ''

Tant de questions qui trouveront réponse, lui même et plusieurs de ses camarades ont déjà été parfaitement soignés et traités de problèmes liés à la lacune de soins immédiats ou sur place. Après, le temps a potentiellement joué en sa défaveur, ce dernier fait des ravages quand il se décide de traîner et se faire attendre.

Oh ?

Ce nom, Hryfin le connaissait bien. Jaina Stonebridge. Ouais, elle avait servit avec lui et les autres, à la garde royale. Aux dernières nouvelles, elle n'est plus des leurs malheureusement, ou si c'est le cas, cela fait fort longtemps qu'il ne l'avait pas vu, pourtant, la discrétion et la dissimulation ne font pas vraiment partie de l'éventail de talents de cette femme. Il haussa tout de même un sourcil, jamais il n'aurait penser qu'un tavernier puisse – Ouais non, ça par contre, faire la grande tournée des bars, ça, c'était plus dans ses cordes, pas si étonnant qu'il l'évoque du coup. Après, les deux semblent avoir connu le même destin, au même endroit, quelle coïncidence.

Il n'eut pas le temps, à dire vrai, l'envie de l'ouvrir, préférant laisser le gérant continuer son récit, tout en observant ses mouvements ; donc oui, il avait entraperçu juste, il change bel et bien l'eau en alcool. Ah, cette réplique avait des relents de vieille histoire oubliée de tous, un malheureux capable de telles prouesses. Mais l'heure n'est pas aux fictions, puisque c'est bien en train de se dérouler sous ses yeux. ''Il aura bien réussit sa reconversion'', pensa-t-il. Tient, faudra ptet qu'il le dise à l'oral ça non ?

Ce ne sont pas deux misérables pintes qui auront raison de lui, surtout s'il s'agit de boisson houblonnée. Si la soirée se tient, qui sait, possible qu'il rentre chez lui en rampant, ce ne serait pas une première, rien ne dit, de surcroît, qu'il atteindrait sa destination. En tout cas, il avait l'air d'un sacré baroudeur, à défaut, une personne incroyable ; quiconque aurait fuit, dans sa situation, sa bravoure était à saluer, sans cesse rappelée par cette marque. Eh, comment se serait débrouillé le petit Hryfin, sans doutes encore dans la régulière à cette époque ? Il aurait claqué des genoux quelques instants, avant de laisser place à ses deux instincts principaux ; celui du guerrier, et celui de la survie.

'' Ouais, Jaina, c'est un nom que je connais. Pas trop de nouvelles non plus. 'fin dans le sens où j'crois qu'elle est tristement plus des notres. Aucune idée de ce qu'elle fait. En général hein. Là, maintenant, sans doutes la même chose que moi. Mais ailleurs. ''

Prenant une grande lampée de son verre, il remarqua que le pouvoir de l'homme ne s'arrêtait pas à faire de la bibine depuis l'eau, mais bel et bien tout type d'alcool. Incroyable, de survivre en tant qu'aventurier avec un pouvoir aussi peu tourné vers le combat et la survie. Le grand ne doit donc son succès qu'à son imposant physique, ce qui donne une longueur d'avance à l'hippogriffe de ce côté là ; rapide, aérien, fort, il ne pouvait pas rester cantonné à sa forge et devait utiliser ses capacités, innées comme pouvoir, au service des autres. Ryf leva son verre au nouvel arrivant,

'' Pas grand chose à dire en vrai. La même routine ; les voleurs à choper, les assignations à effectuer ; la hiérarchie à respecter. Eh, en vrai, je passais même des jours plus heureux à la régulière qu'à la Royale. Vivement que la refonte arrive, le stéréotype qui dit qu'on regarde les murs du palais, bah, c'est pas qu'un stéréotype. Après, le capitaine l'est pas chiant. M'a laissé partir déloger une moloch pour un noble. La dégager de manière pacifique, putain tu te rends compte ? Merde, si seulement j'avais pu me frotter à ce truc comme tu t'es frotté à cette mante religieuse ! ''

Fin de tirade, houla, c'est déjà beaucoup de mots de sa part, vite, s'arroser le gosier. Aucune idée de si c'était l'alcool qui lui déliait la langue, ou le caractère chaleureux du tavernier qui s'intéressait fortement au garde royal malgré la présence d'autres clients au sein de sa taverne, qui semblaient manquer de liquide de leur côté.

'' C'est ultra con pour ton bras. Après, si ça te gêne pas. Jtrouve ça handicapant perso. Eh, au moins, t'as trouvé la reconversion parfaite ! Ton pouvoir là, ça marche qu'avec de l'eau ? Et tu peux, genre, tout faire ? Niveau alcool jparles hein. ''

Vraie question qui déterminerait sans doutes le temps que passerait le brun dans cet établissement, que ce soit à la fois de suite ou dans un futur plus ou moins proche. Prit d'un élan de sociabilité, il tendit sa lourde main caleuse vers le balafré.

'' Jme suis pas présenté. Hryfin. Hryfin Danvil. ''

Au delà de ces salutations respectueuses et sincères, il y avait cette étincelle de malice et de curiosité nichée au fond de son regard, un défi silencieux, un jugement discret, vérifier si cette imposante carrure n'est pas qu'une apparence.

A force de discussion, le garde royal en viendrait presque à oublier la présence d'autres clients, qui sont pourtant bel et bien présents. Des petits groupes étaient présents, chacun s'était approprié une table, des réguliers qui connaissent bien les lieux à la limite de graver leurs noms de leurs couteaux sur la table aux gens qui découvrent en groupe le coin. Il y a bien pire que la place commerçante pour s'installer, du genre, les rues ou traînent coupe-jarret et autres tire-laine. La capitale est une des villes les plus sûres d'Aryon, du moins, c'est ce qu'auto-proclament les gardes locaux, sans doutes la même rengaine partout, vous me direz. Il reste vrai que rapporté à la grande population d'ici, la garde n'a pas à se plaindre, l'effectif suit la démographie.

Sa poigne étant assurée, forte et puissante tout en restant cordiale, il n'en attendait pas moins à vrai dire. Le reste de la discussion était toujours l'occasion d'en apprendre plus sur le tenancier. S'il était vraiment là depuis neuf ans, en vrai, Ryf était là depuis encore plus longtemps. Que le temps passe, en vrai. Déjà si longtemps qu'il avait quitté sa famille, le grand port, le Sud, la chaleur, la forge...Eh, saurait-il ne serais-ce que forger une simple épée maintenant ? Bien que cet art fait sans doutes partie des choses qui ne s'oublie jamais, il n'en demeure pas moins aussi rouillé que cette lame qui doit traîner quelque part après toutes ces années passées loin de son cocon familial. Une notion que l'hippogriffe n'absorbait pas trop ; que c'est chiant de se retrouver lier à des gens avec qui on ne partage pas d'atomes crochus. La solitude, ça lui va amplement pour l'instant, pesante parfois, salvatrice la plupart du temps. Par contre, c'est pas le cas du gaillard en face de lui. Femme et enfant, donc. Il lui aurait bien donné plus de la trentaine, mais pas au point de se retrouver déjà avec un gamin dans les bras.

Non, ce qui l'intéressait plus, c'était les précisions sur le pouvoir de l'homme. Donc, il pouvait presque réaliser tous les plus grands délires des alcooliques d'Aryon ? Mais dans ce cas là, où est la garde ? Ces hommes en armure devraient pulluler de partout, surtout avec cette qualité. Bon, dans ce cas, il s'en occuperait lui même, du bouche à bouche, mais avant, faut pousser pour voir jusqu'où ses prouesses éthyliques peuvent aller. Mais avant tout, encore à lui de se dévoiler. Pourquoi pas, après tout ? Pas de langue de bois, rien à cacher, il n'est ni avec les collègues, ni dans un lieu fréquenté par le gratin, ni dans son établissement habituel. D'une grande gorgée bruyante, il finit son verre.

'' Enchanté, Devon. Franchement, jpouvais plus rester avec ma famille. Ces putains d'hypocrites...Ah, ils voulaient qu'on en parle, des Danvil, hein. Bah voilà. C'est réussis. Des nobliaux de mes deux, pensent qu'à leur gueule, leur confort et leurs cristaux. Pas mon délire, si jvoulais rouler sur l'or, j'aurais pas rejoint la garde hein. Y'a pas de honte à pas passer l'examen, pas si facile qu'on l'croit hein. Nan, jvoulais être utile, pour la population, la famille royale, tout le monde. Mes assignations à la royale sont pas bien différentes de la régulière, enfin, sauf avec tout ce putain de gratin, qui se prend pour le haut du panier sans s'apercevoir que l'fond, l'est percé. ''

Le grand était en effet bien bâti et de bonne constitution, mais même pour lui, deux pintes comme ça, en moins d'un quart d'heure, ça commençait à faire. Bientôt, les phrases auraient toujours du sens, mais que dans son cerveau limité, les critiques envers certaines catégories d'habitants allaient pleuvoir aussi sur que un et un font deux, de toutes façons, il a pas à s'en cacher tant que le sigle de la royale est absent de ses vêtements. Il fit glisser son verre sur le bar, dans un grincement peu agréable à l'oreille.

'' Donc, si je te demande un truc audacieux, jsais pas...Eau de vie, blonde, vin blanc et crème de cassis. Tu sors ça de ta bouteille magique aussi ? ''

Cocktail bien connu de toutes personnes appréciant se faire taper sur le système, sans pour autant se retrouver avec la bouche pâteuse et la langue râpeuse, loin de tous ces mélanges mélangeant l'amer à l'acide. Patientant gentiment, il se tourna sur son tabouret, dorénavant presque de dos au barman, coudes appuyés sur le comptoir ; vu sa taille, il peut se le permettre sans soucis, délicatement penché en arrière, il observait la salle, les gens, l'atmosphère. A côté de lui, le nouveau venu, avec son verre, semblait accumuler toute la peine du monde sur ses épaules. Mieux vaut pas trop s'en mêler hein, c'est un coup à se faire aspirer dans un tourbillon de désespoir et de tristesse. Alors qu'à la table à côté, ça rigole fort et boit jusqu'à plus soif.

'' Deux salles deux ambiances, hein ? Beaucoup de réguliers, j'imagine. T'arrive à jongler, avec madame et le marmot ? Ou la marmotte hein, jsais pas du coup. Jpourrais pas moi. Pour ça que t'as raccroché aussi, en plus de la blessure ? Te poser ? Éviter qu'à la maison, ça s'inquiète ? Ça m'empêcherait tellement de bosser. ''

Lui ne se voit pas du tout comme ça. Femme sur un bras, l'enfant sur l'autre, rentrer sous les pleurs, les critiques, la fatigue accumulée, très peu pour lui, Ô que non merci. Y a bien des gardes, femmes gardes hein, des gardesses ? Donc, ouais, certaines qui comprendraient tout ça, avec qui il pourrait éventuellement, un jour, peut-être, se voir. Ça sonnerait une retraite presque précoce, il veut inquiéter personne, ne pas se retrouver face à l'ennemi avec ce vague à l'âme, qui le tétaniserait devant des risques inconsidérés. Non, sa vie n'est pas dangereuse, il suffit d'un bandit, d'un coup de malchance, d'une expédition qui tourne mal pour que tout bascule. Ou sinon, une bonne grosse promotion canapé, du genre où l'on s'ennuie comme un rat mort en lâchant ses instructions et signant la paperasse, grassement payé pour être pépouze, vissé sur un fauteuil confortable. Ouais, on en revient au même truc, au final : la retraite anticipée.

Putain.

Non mais putain.

Donc, il avait pu faire ce cocktail à la perfection. Lui, ce Devon, fallait que ça devienne son pote, bientôt, il ne pourra plus se passer de cette incroyable capacité. Malgré son imposante carrure, il se retrouvait être une personne des plus agréable et surtout, respectable. Ainsi, il n'est pas le seul à avoir pour ambition de protéger le petit peuple d'Aryon. Avec du recul, on peut se dire que c'est, dans le fond, l'objectif, la volonté primaire de toute personne s'engageant dans la garde, le problème est que cette étincelle de devoir, cette envie de faire le bien, s'évanouit peu à peu, plus les années s'accumulent, plus l'ombre remplace la lumière. Beaucoup deviennent corrompus, sombrent, ne se rappelle plus ce pourquoi ils ont prêté serment. Heureusement pour lui, Ryf n'était pas l'un d'eux, sa ferveur est toujours présente, et ne risque pas de dépérir de si tôt, encore tant de choses à prouver, à lui même, tous ceux qui auraient pu douter de lui, sa famille, sa sœur.

'' Eh, bien sur que les aventuriers sont une part essentielle de ce royaume. On peut pas être partout, s'occuper de toutes les tâches, et y a bien des gens que, tu sais, ils veulent pas s'frotter à nous, des trucs privés qui demandent une discrétion que nous on peut pas faire. ''

Faudra peut-être penser à arrêter les mélanges d'alcools différents, que ce soit à la commande ou en cocktails dévastateurs, car il serait plus dur à la compréhension, et la conversation va glisser fort. Donc du coup, cet établissement est bel et bien ce qu'il pensait au premier coup d’œil, rassurant, ses capacités d'analyse ne l'ont pas encore laissé sur le carreau. Du mal à se sentir touché par l'histoire du bonhomme en face de lui, il s'est beaucoup plaint, toutes ces années ; de sa famille, de sa situation, de la garde qui devenait en plus en plus difficile à vivre, le statut de garde royal qui pèse beaucoup sur ses épaules, sa sœur qui ne fait que lui écrire, lui faisant pousser un soupir las à chaque nouvelle réception de cette enveloppe estampillée Danvil, l'attendant toujours avec crainte et déni.

En tout cas, le reste de sa vie à l'air de se passer pour le mieux pour l'instant. Tant mieux. Personne ne mérite de finir dans une spirale de tristesse et de haine, comme le mec à côté qui en est quand même à plusieurs whiskys d'affilés dans le nez, et lui fait pas plus de deux mètres pour la centaine de kilos passés. Il allait finir par être un problème, si le tenancier n'y mettait pas un holà, disons que l'hippogriffe n'était ni dans l'envie, ni dans la lucidité totale pour effectuer son travail, en vrai, il aurait déjà fort à faire, avec le groupe derrière lui qui commençait à se lancer dans un jeu de cartes ; rien de bien grave s'apprêtant aux décadences monétaires et sociale d'un casino, juste des amis qui décompressent en misant quelques cristaux pour le fun du truc. Voilà peut-être pourquoi la garde se pointe pas, soit il se font plumer, soit il se sentent pas d'agir comme s'ils étaient au boulot.

Imperturbable, le brun continuait de siroter, non, de détruire son verre. Ce qu'il avait commandé était particulièrement traître, presque étonnant qu'il fut servit sans soucis, de par sa visible expérience, le tavernier savait très bien ce qu'il était en train de servir, ici, on est pas dans la modération, reste juste à tester à quel point ça peut aller dans l'exact opposé, l'excès.

'' Désolé pour ton ex. Une de perdue, bah...Une de retrouvée, du coup. Perso, mon choix est déjà fait ; tombe dessus, tombe pas dessus, jmen cogne, c'est pas moi qui irait tomber amoureux d'une meuf que j'aurais sauvée ou quoi. Abandonner l'idée d'aider les gens pour se concentrer sur une seule personne. C'est con. ''

Non, il ne voulait pas tacler Devon. Juste...Il est comme ça, encore pire après quelques grammes. Oui, il se rendrait compte de ses propos potentiellement blessant si on lui faisait remarquer, les quelques oreilles indiscrètes se turent rapidement, Ryf lui n'a aucune idée des relations entre le colosse et sa femme, eh, c'est pas car elle est en cloque que tout est rose au pays des Lapillons. Finissant son verre d'une autre traite, il grimaça quelque peu avant d'hoqueter, un léger mouvement de torse trahissant une insertion un peu trop rapide de ce puissant breuvage dans son organisme, qu'il paierait sans doutes cher le lendemain.

Attendez une minute.

Payer ? Cher ?

Sourire chafouin, une idée lui traversa l'esprit, l'habitude de baisser la tête partie lui rappela que c'est pas toujours qu'il croise un collègue gargantuesque, et son côté compétitif beauf naturel lui revint aussi vite qu'un naturel qu'on a chassé pour mieux s'en retourner au galop. Levant son bras, il laissa choir lourdement et bruyamment son coude sur le bar, amplifiant encore un peu le silence, plus un mutisme d'interrogation et d'attente qu'un silence de mort. Main tendue vers le gérant, il attendait qu'une chose : cette épreuve de force, aussi vieille que le monde qu'elle est débile et parfois, terriblement dangereuse.

'' Eh. Vas y. Si j'gagne, jpayes pas la prochaine conso. Deal ? Jsuis sur de pas être le premier à le proposer, mais jsuis ptet un des seuls qui peut se vanter d'pouvoir gagner ! '' Aucune réaction de l'homme en face de lui. Ah. Ouais. Il rangea ce bras, pour poser l'autre. '' Ah oui, c'est vrai, jme suis gourré de bras. Alors ? On va pas y passer la nuit ! ''

Ce qu'il ne dit pas, c'est qu'il gagne ou qu'il perde, la seule issue serait s'il payera ou non ce verre ; si Devon a des habitués, il y a des chances que tôt ou tard, Hryfin en fasse partie, sentiment amplifié par la qualité du breuvage, mentons pas, mais aussi la chaleur de son hôte et le charme du lieu en général. C'est pas loin de chez lui. Pas loin du travail. Un endroit animé où il ne risque pas de se faire détrousser par un inconscient en sortant. Que demander de plus ?

C'est dingue quand même.

Comme une personne peut-être à la fois pédagogue, psychologue et confident. Et vous détruire au bras de fer, aussi. Bon, détruire est un mot trop fort qui impliquerait que Hryfin a opposé autant de résistance qu'une gazelle face au plus féroce des lions, c'était plutôt une épreuve entre deux ours ; deux karthoghans. Sauf que parmi les deux, y en a un a un peu bu. Ok, pas mal. Ok, qui a forcé sur la boisson, surtout avec le dernier mélange qui est des plus détonants, et avec les deux pintes qui sont déjà parties, liquide disparu comme le plus grand des magiciens du royaume. Le garde royal avait donné toutes les cartes au tavernier pour gagner, il eut suffit d'un hoquet, d'un moment d'inattention que le tavernier, sûrement de par son expérience passée, son avant-vie d'aventurier aux aguets, sût exploiter au maximum, abattant le bras de l'hippogriffe dans un lourd fracas contre le comptoir. Mine faussement boudeuse, le buveur passa sa senestre sur son bras droit, exerçant une singulière pression sur différentes parties ; poignet, avant bras, juste au dessus du coude.

'' Bah, jsais même pas à quoi je m'attendais de toutes façons. N'avait 'tant de chances de gagner, jpenses, jme suis pas aidé, stout. ''

Il le pensait ardemment, en tout cas. La prochaine fois, il viendrait sobre, et commencerait par le bras de fer ; s'il gagne, nuit gratuite. En conso hein, il payerait la nourriture ; il n'est pas un monstre. Quoique, il en sert ici ? Il n'en sait rien, et ce n'est pas pour ça qu'il est venu. Blanc de quelques minutes, se traduisant simplement par l'héritier Danvil cessant de parler, puisque de toutes façons, bavard et sociable, le propriétaire en profitait pour discuter avec les autres, congratulé pour sa victoire depuis plusieurs secondes déjà. Rien d'étonnant. Toute l'assemblée dût entendre ce qu'il faisait pour gagner sa vie. Depuis quelques temps, les gardes n'ont plus trop la cote, l'opinion publique n'a jamais vraiment été élevée, pour être tout à fait honnête, mais celle envers les gardes royaux n'a jamais été aussi basse depuis Klarion Brando. Cet enlévement a définitivement foutu un coup à tout le monde, et la famille royale n'a jamais été aussi appréciée que depuis qu'elle a été érigée comme bouc émissaire pour détester la garde encore plus.

'' Mais bien sur que que vous êtes plus appréciés, y'a qu'à voir comment que c'est t'as géré le Will là. Les zaventuriers, y s'occupent de ce que nous on nous empêche parfois de faire ; tcrois j'aimerais pas barouder la pampa aider les gens parfois ? Tiens, jveux bien que tu m'en remettres un ptit. '' Il fit glisser son verre vide jusqu'au colosse. '' En vrai j'avoue non j'aimerais pas. Jsuis du genre à rester dans mon monde. Mais ui, jsuis aussi d'accord avec toi que jle suis avec moi. Mais tsais ce qui aide pas ? C'est qu'nous, 'y passent notre temps à nous pisser dessus. ''

'' Et à tort, peut-être ? ''

Et voilà. Devon en aura la preuve en direct live. La voix venait de derrière lui, un des nombreux clients d'une des deux tables. En premier lieu, la cible de cette pique ne bougea pas d'un poil, attendant patiemment que son breuvage finisse de passer du statut d'eau à celui d'alcool. Ce n'est pas le genre du grand de demander de l'aide, se plaindre ou chercher un quelconque allié, une compréhension à la limite. Aucunement abattu, son regard affronta celui de son vis-à-vis.

'' Du coup, tu vois sque jveux dire. ''

'' Non mais, jvous jure, ça doit protéger le peuple, la famille royale et la noblesse même, et c'est là à picoler avec nous ! Bordel, même pas capables d'empêcher l'enlèvement de la REINE, alors qu'ils passent tellement de temps à zieuter les murs du palais qu'ils ont tous l'empreinte de leur front dessus ! ''

'' Ok, là c'est trop. ''

Lentement, titubant, peu sur de lui quant à sa capacité à rester debout, il prit quand même les devants pour se lever, s'aidant du bar pour quitter son assise, se dirigeant bon an mal an vers le groupe assemblé.

'' Si vous avez un putain de problème, soyez des hommes dites le en face. ''

Quelques uns, pas démontés, l'imitait et quittait doucement leurs chaises. Pas un soucis, même sous quinze grammes, il devrait être capable de tous les prendre, pas comme s'il venait de perdre un simple bras de fer hein, l'alcool c'est comme la transformation en hippogriffe ; ça donne des ailes.

A dire vrai, c'était probablement pour le mieux. Le garde royal avait ostensiblement ignoré toutes règles de bienséance et de respect en répondant ainsi à la vulgaire provocation, à peine plus élaborée qu'un crachat reçu en pleine tête, barrant votre visage d'une coulée de honte. Fondamentalement un être dont l'intelligence se retrouve plus primaire qu'évoluée, Hryfin resta néanmoins fidèle à son stéréotype qui circule dans la garde royal, celui qui en vient rapidement à la confrontation physique quand tout le reste semble dénué de sens, une bête acculée qui sort ses griffes, et quelles griffes.

Tel un coup de tonnerre, le coup de poing de Devon sur le lourd bois du comptoir fit sursauter la majeure partie de l'assemblée, mais pas le garde royal. Pas qu'il soit immunisé, qu'il s'y attendait ni rien. Juste...Un manque de réaction général sur à peu près tout, dédoublé par l'alcool coulant dans le sang.

En un sens, la vision des choses du tavernier était des plus louables, bien qu'il doute de la faisabilité de ses déclarations, pas de soucis pour sortir quelques citoyens alcoolisés, des nobles prétentieux, des gardes désabusés, des aventuriers insouciants ou des gardes désabusés, par contre, personne ne donnerait bien cher du dernier bras valide de l'homme s'il venait à toucher au roi -eh, ce serait peut-être même à Hryfin de s'exécuter, la boule au ventre et à contre cœur.

Rien de surprenant à ce qu'il vienne prendre sa défense, après tout, se mettre la garde à dos quand on tient un commerce, c'est se tirer un sacré carreau dans la jambe. Les clients iront et viendront naturellement d'eux même, les nouveaux clients d'aujourd'hui finiront par devenir les réguliers de demain, et c'est ainsi que la roue de la décadence tourne en Aryon. Eh, quand on y réfléchit, tout le monde se retrouve dans ces établissements, des fortunés qui passent du bon temps aux plus modestes qui viennent noyer leurs problèmes dans un tsunami qui n'emportera que leur raison sur plusieurs années pour quelques heures de flottement et d'insouciance. Il reste facile d'y retrouver son compte sur le moment, y a même un vieux dicton qui dit que l'alcool et un anesthésique qui permet de supporter l'opération de la vie. C'est beau putain, il en chialerait.

Par contre, ce n'est pas une raison pour virer ses clients comme ça, chose qu'il fit avec un aplomb, un charisme et un coffre forçant le respect. L'hippogriffe aurait pu réagir, annoncer que non, c'est bon, c'est lui qui allait partir, il aurait en tout cas bientôt sa dose, celle l'ayant rendu assez léthargique pour être bien, assez éveillé pour réussir à rentrer chez lui. Et puis, renchérir là dessus n'aurait pas aidé le tenancier, qui perdrait à la fois tout le monde et toute crédibilité. Toujours debout, aussi incrédule que ridicule, le brun restait bras ballants, corps tanguant, observant le groupe de trois récupérer manteaux et autres affaires, laissant quelques cristaux sur la table, de quoi régler leurs consommations sans doutes, grommelant, se plaignant, vociférant dans leur barbe envers le garde. Allez, au revoir, aucun regret de son côté. Putain, si ça pouvait se passer comme ça à chaque fois, quel pied ce serait. Interpellé par Devon, il revint lentement à un raisonnement normal, hochant si lentement et profondément la tête qu'on aurait plus dit un salut qu'autre chose, se rendant de nouveau à son tabouret, qui grinça sous le poids du soldat qui se laissa à moitié tomber dessus, attendant l'éventuel retour du tavernier derrière son comptoir pour reprendre.

'' Spas avec des mots non plus. Si rien n'marche, autant que ce soit mes nerfs qu'ils soient détendus. Au bout d'un moment qu'ils pigent. Et sans dents, on dit moins de conneries. ''

Attrapant son nouveau verre plein, il hoqueta après seulement quelques gorgées. A vrai dire, c'est un savant mélange que l'héritier Danvil n'avait jusqu'à présent que rarement réussit avec justesse et adresse, alors que sans réfléchir, d'expérience et de pouvoir, Devon pouvait lui fournir tout ce qu'il demandait.

'' D'tout façons, jvais pas faire d'vieux os là. Jvais pas tarder, tsais quoi, jvais même tpayer là tant que c'est que j'y penses. ''

Maladroitement, il plongea sa main dans une bourse à sa ceinture, le tintement des cristaux émit une petite mélodie satisfaisante, avant qu'il les bombarde sur le bois. Une bonne poignée de cristaux gris, parmi lesquels se battaient sans doutes en duel des cristaux clairs. Une somme bien trop importante pour ce qu'il a consommé, bien que de qualité, les cervoises les plus basiques se négociaient en moult cristaux sombres qu'en cristaux ne serais-ce que gris. De l'argent de poche pour lui, grâce de sa famille. Pour un mec qui n'apprécie guère les nobles, les riches, l'exhibition, il avait un curieux rapport étranger à l'argent, comme tous ceux qui ne manquent de rien. Et puis, en elle même, la paye de garde royal se suffit.

Quelle utopie, que celle où tout le monde pourrait se permettre d'être pacifiste, tendre l'autre joue et laisser couler, un monde où le garde royal n'aimerait vraiment pas vivre, sans verser dans l'ultra violence gratuite, déjà, il perdrait son emploi, et devrait se tourner vers un truc bien plus monotone, on sait pas, du genre cuisinier ou coursier -autant s'isoler au delà des frontières du Nord, si vous voulez son avis ! Quand on ne vous donne pas le respect, on le prend ; est-ce une vision respectable des choses ? Rien n'est moins sur. Encore est-il que l'hippogriffe préfère toujours cette estimation, au lieu de se laisser marcher dessus comme s'il n'était qu'un misérable déchet. Cette vie, il l'a choisie, il n'a pas a subir les affres des détracteurs de la garde, il y a encore une dizaine d'année, il était d'une âme pure et charitable, ce sont les divers comportements à son égard et celui de son corps de métier qui font ce qu'il est aujourd'hui, et s'il faut pour ça apprendre l'amabilité à la dure, aucun soucis de ce côté là.

Quelle ironie, que de se retrouver être la chose qu'on s'est promise de ne pas devenir, de ces gardes stupides et violents qui rôdent partout, dans la capitale comme au Grand Port. Quid, du comportement de celles et ceux qui lui ont donné envie de rejoindre cette institution ? Le tavernier gagnait encore un point très valide dans cet éternel débat tout en nuances de gris, aucune opinion n'écrasant une autre, chaque côté ayant ses arguments, ses conciliations, la même volonté d'avancer dans le même sens, les actions pourtant si disparates que l'impression inverse, de bloquer toute l'avancée de la machine, se fait bien plus ressentir.

'' Pas qu'un tavernier. 'fin, si, un tavernier, mais pas que un tavernier. 'fin si, puisque t'es plus aventurier à côté, et que tu fais que ça. 'fin c'est bon, tu vois sque je veux dire. T'écoutes, tu parles, tu conseilles, eh, c'est un rôle aussi gratifiant qu'ingrat. Jsais que jpourrais pas. Déjà car ça finirait en cercle de combat, tous les jours. Puis les problèmes des autres...Vazy, j'en ai assez de mon propre côté pour en avoir quelque chose à carrer. ''

Continuant timidement son verre, il prit d'un demi sourire le rire et la tirade du grand. A dire vrai, il a un peu perdu la notion de l'argent. Même sans contact avec sa famille, il n'a que tout l'argent qu'il lui faut, et payer en extra pour de la qualité et une bonne oreille n'est pas de refus, il fait partie de ceux qui pensent que la richesse devrait tourner, ne pas rester condensée entre certaines mains avides, sommes colossales comme les deux hommes qui ne sert de toute manière, un seuil atteint, à plus rien à par l'exhibition. Une des raisons qui fait qu'il exècre les nobles ? Oui. Parmi d'autres. Tant d'autres. C'est plutôt la goutte d'eau qui fait déborder le vase, avec le caractère pompeux et cette étiquette de façade, si faux !

'' C'est l'argent de la famille. Si la garde royale payait aussi bien, bah par Lucy qu'on serait nombreux ! Jme plains pas du solde, franchement l'est cool, je pourrais m'en sortir qu'avec. Le reste, c'est bonus. Eh, de toute façon, c'est pas qu'on est tous pas assez payés pour ce qu'on fait ? T'as l'air de bien tourner. Et t'es un putain de tricheur, on peut pas dire qu'ce soient les frais qui t'assassinent, tout squi t'faut, c'est de l'eau ! ''

Un rire. Enfin, ça faisait déjà quelques minutes qu'il en avait pas sorti, pour quelqu'un dans le fond aussi jovial que lui. Le tenancier avait déjà prit ce qui lui semblait bon comme paiement, si bien que Hryfin récupéra le reste, sans en laisser néanmoins deux ou trois traîner sur le bar. Avec la bonne humeur, tout reviens, les idées plus claires, le corps assainit. Attrapant vigoureusement son verre, il s'enchaîna le reste cul sec, le reposa dans un bruit sourd contre le bois, sans un hoquet ni une grimace. Dans la foulée, il procéda à se lever, toujours pas remis des liquides ingurgités, mais de manière déjà moins pataude que tantôt.

'' Rof, t'en fais pas, j'ai dja été pire, et j'habite pas trop trop loin. Jcrois ? Jrisque pas de me perdre, en tout cas, tsais après dix ans de service ici, on connait la ville comme not' poche ! J'ai même pas à tl'expliquer, tu sais dquoi jparles quoi. ''

Il tendit de nouveau une main amicale vers le gérant.

'' Ce fut un plaisir. Jpense que jvais m'en partir, maintenant. Jrepasserais certainement ! Et cette fois, ce sera ton poignet qui s'ra douloureux après avoir rencontré l'comptoir ! Et t'inquiètes pour mes cristaux va. On risque pas de m'les piquer comme ça. ''

Sourire simple et bienveillant, cette adresse risque de devenir une nouvelle favorite -comme beaucoup d'autres dans la capitale, faudrait vraiment qu'il ralentisse le rythme, permission ou non, on se souvient comme ça s'est passé la dernière fois. Un coup que le colosse, au moins son égal en taille, lui aura procuré ce simple au revoir solennel, qu'il tournera les talons pour profiter du bon repos du juste.