J’avais sûrement fait ce chemin une centaine de fois pour m’adonner aux joies de la pêche, la vaste étendue de glace étant en fait qu’un lac gelé depuis des décennies, mais la vie continuait de grouiller dans ce lagon sauvage. Habitué à pratiquer cette activité seul, j’eus du mal à m’habituer à la présence de Sia. Durant une conversation, j’avais distraitement parlé de mon passe-temps, sans penser une seule seconde que l’aventurière se serait jointe à moi dès le lendemain. Nous avions l’habitude de faire des affaires, elle disposant d’une forge bien plus conséquente que nos fours ridicules, mais de là à penser que nous serions prêts à partager une expérience en-dehors de notre profession m’avait laissé pantois.
Décidant de faire une pause de quelques minutes, je pris le temps d’admirer le paysage qui semblait presque hors du temps. Il était parfois remarquable de contempler les différents visages que pouvait adopter la nature. Autrefois enfermé dans un décor immuable, j’avais appris à aimer chaque facette de notre monde dans son état le plus brut. Lorsque je me sentis enfin abreuvé par la vue, je repris ma route, parcourant les derniers mètres nous séparant de notre destination. N’étant que peu à l’aise avec de la compagnie, je n’avais pipé mot de tout notre trajet. J’aurais sûrement dû pour cette amie me lancer dans quelques échanges de formalités. Mais la parole à part pour baragouiner quelques mots pitoyables, ce n’était pas vraiment mon fort. Cette peur lancinante, qui continuait de dévorer mes entrailles, devenait un réel handicap dans ma vie quotidienne.
Mon pied rencontra enfin la solide plaque de glace. Une quinzaine de centimètres devaient nous séparer de l’eau. Je fis signe à ma partenaire de s’écarter de quelques mètres, j’avais besoin de savoir si elle était assez robuste pour nous supporter. J’avais déjà dégainé l’épée qui trônait habituellement à ma hanche. Soulevant la lame à deux mains au-dessus du sol, je finis par l’abattre de toutes mes forces sur la plateforme gelée. Des éclats cristallins jaillirent autour de nous, mais j’avais à peine entamé la surface. Nous ne risquions sûrement aucun danger une fois au centre du lac. J’offris ma main à Sia pour qu’elle puisse me rejoindre sans glisser.
« Au moins, notre plus gros risque serait de nous casser les dents sur le verglas, plaisantai-je d’une voix faible. »
J’avais déjà entendu des histoires d’aventuriers trop téméraires qui n’avaient jamais pu retrouver la surface au milieu de ce terrain dangereux. Il valait mieux parfois prendre trop de précautions que pas assez. Maintenant assez éloignés de la rive, je déposai notre encombrant matériel sur le sol, avant de me mettre à inspecter le sol avec attention. Après avoir saisi la foreuse, j’entamai lentement la glace pour y créer une ouverte. C’était une activité plus physique que ce que ça laissait imaginer, la couche était dure, et il fallait marteler à plusieurs reprises sans fragiliser la glace. Lorsque la dernière nappe de glace finit par céder, je me laissai tomber sur le sol en poussant un long soupir. En passant la tête au-dessus, on pouvait voir des formes sombres se mouvoir dans l’étang gelé. Nous ne rentrerions sûrement pas les mains vides.
« Tu m’as dit que tu t’y connaissais, je te laisse la priorité. »
Installant nos petits sièges pliables, tout était enfin prêt pour que nous puissions profiter de cette belle journée. C’était toujours un réel plaisir de ramener un butin à la maison, surtout lorsque le poisson était fraîchement pêché.
C'est au détour d'une anodine conversation avec Adam que j'ai découvert que l'armurier pratique régulièrement la pêche. Quoi de mieux qu'un partenaire commercial et un collègue aventurier pour s'entrainer ? Avec mon habituel tact, j'ai proposé au jeune homme de le rejoindre lors de sa prochaine session de pêche. Et c'est ainsi que l'on s'est donné rendez-vous à la forge Obsid, prenant ensuite les chemins de montagne pour rejoindre un lac que mon partenaire du jour dit bien connaître. C'est en silence que je le suis, nos respirations créant de petits nuages de brume devant nos visages. Les jours de début de saison froide ont rapidement ramené le froid dans les montagnes, la neige est revenue sur la plupart des sommets qui n'en sont pas recouverts tout au long de l'année. Rapidement, nous montons en altitude, le froid se mettant à mordre notre peau et nous forçant à mettre des couches supplémentaires pour nous en protéger. La neige apparait ensuite sur notre chemin, s'épaississant à mesure que l'on grimpe.
Nous arrivons finalement en vu d'un lac gelé. J'observe un instant le paysage. L'endroit a l'air des plus paisibles, presque toujours à l'ombre, créant une sorte de cuvette naturelle dans la montagne, des morceaux de forêt entourant cette masse d'eau complètement gelée. Une vue magnifique où se mêlent le blanc de la neige et de la glace, les différentes nuances de vert des arbres et l'intense bleu du ciel. Quand je reviens à moi, Adam a repris la route pour s'approcher de notre destination. Je le laisse vérifier l'épaisseur de la glace avant qu'il ne m'invite à le rejoindre, de manière à la fois élégante et galante. J'esquisse un petit sourire à cette vision, me rappelant Aslander et ses manières, mais aussi Lyle qui se moque de ce genre d'attitude. Personnellement, j'apprécie cette élégance quand elle est faite pour être poli et serviable. J'accepte alors sans rechigner cette main tendue, m'avançant sur la glace avec prudence.
Nous marchons quelques instants sur cette patinoire jusqu'à ce que mon compagnon décide que l'endroit lui convient, il s'attèle ensuite à percer la glace en utilisant une foreuse qu'il a emmené avec lui. De mon côté, j'entreprends de sortir notre matériel de mon sac sans fond. Je suis celle qui transporte la majorité de notre équipement, sortant cannes à pêche, seaux, petits sièges, filets, mon sub'harpon et même de quoi boire et grignoter pour passer le temps. Quand le blond semble avoir fini sa tâche, il se laisse tomber au sol, visiblement fatigué de notre marche et de cette session de forage. J'entends d'ici mon maître râler en disant que ce n'est pas grand-chose, qu'il faut travailler plus pour augmenter son endurance. Avec un sourire, je tends ma gourde fontaine à Adam, m'installant ensuite pour commencer la pêche.
« M'y connaître est un bien grand mot. Disons plutôt que Lyle m'a enseigné ce qu'il y a à savoir et que maintenant je dois m'entrainer. »
Je récupère ma canne, m'empare de l'hameçon et d'un appât, l'installant en me souvenant des différentes instructions de mon maître. Quand tout semble prêt, j'inaugure donc cette session de pêche, appliquant les différentes techniques que j'ai appris au fil de mes essais.
« Et puis j'ai aussi ce sub'harpon à essayer à l'occasion. Je l'ai gagné à une loterie pendant mes vacances de saison chaude. Je n'ai aucune fichue idée de comment on l'utilise. »
Je désigne l'engin d'un mouvement du menton, ne détournant pas le regard du trou dans la glace. Je fais bouger mon appât à la surface de l'eau, essayant de doucement attirer un poisson. Je fais cela à plusieurs reprises, essayant de profiter du moment où je vois une masse sombre passer. Finalement, ma technique semble faire mouche. Je sens une petite tension dans ma canne à pêche et un sourire vient étirer mes lèvres.
« Il semblerait que j'inaugure plutôt bien cette journée. »
Je souris légèrement à ma compagne, je ne savais pas si un harpon nous serait utile si nous ne plongions pas dans l’eau. Je me gardais cependant de lui dire au risque de la froisser. Nous avions beau communiquer régulièrement pour affaires, je n’étais pas encore assez à l’aise avec elle pour m’ouvrir aussi facilement. Je me contentai donc d’un faible hochement de tête. Sia finirait de toute façon par trouver ses réponses elle-même.
« C’est la même fonction qu’une arbalète mais pour les poissons, finis-je tout de même par lui dire doucement. »
Mon regard se vissa comme hypnotisé sur la surface de l’eau tandis que les ombres s’agitaient davantage, attirées par les mouvements de la canne. Contrairement à ses dires, elle s’en sortait plutôt bien, je la regardai alors tirer la ligne pour faire sortir notre premier butin. Le corps d’une perche s’agitait frénétiquement accrochée à hameçon avant qu’elle ne s’immobilise transie par le froid. Je saisis alors le corps poisseux de l’animal pour le coucher sur le sol glacé, d’un geste vif, je lui plantai un poignard dans le crâne pour l’achever d’un coup. Une traînée écarlate se répandit sur le terrain immaculé, je retirai l’arme dans un bruit spongieux. Me réinstallant dans mon siège, j’ouvris le poisson pour le vider, lançant ses entrailles dans la cavité, l’odeur attirerait certainement des prises plus grosses. Une fois ma tâche accomplie, je balançai le cadavre de l’animal dans un seau que j’avais préalablement rempli de glace.
« Contrairement à ce que tu disais, je trouve que tu t’en sors très bien. »
Sia était une personne assez calme, et elle me semblait particulièrement patiente, ce n’était pas étonnant que la pêche soit une activité qui lui collait bien. Elle avait toutes les armes pour réussir.
Ce que j’appréciais dans la pêche sur glace, c’était l’impossibilité de savoir ce qui allait mordre, la glace agissant comme le rideau d’une scène pour dévoiler une surprise inattendue. J’aurais sûrement été un excellent client dans un casino, le hasard faisant naître en moi une certaine frénésie. Sortant enfin de mes pensées, j’attirai la canne à moi pour y accrocher mon appât. Une fois dans l’eau, j’attendis patiemment en jetant parfois un coup d’œil vers la jeune femme. Sia était une femme qui laissait une impression marquante, et il se dégageait d’elle une assurance inébranlable. À côté, je faisais pâle figure, presque recroquevillé sur moi-même pour esquiver perpétuellement le regard des autres. J’enviais ces personnes qui savaient ce qu’elles voulaient et qui ne faiblissaient pas au moindre regard de travers.
Reportant mon attention sur ma canne, je me laissai aller au silence reposant de la montagne. J’appréciai le calme qui nous entourait, parfois perturbé par les bourrasques de vent qui sifflaient dans la cavité glaciale.
Lorsque la ligne se tendit à nouveau, je tirai sur la canne pour faire sortir une truite des profondeurs. Machinalement, je saisis le poignard qui se tenait à ma ceinture pour le lancer sur la créature qui ne tarda pas à rejoindre son congénère. M’attelant à nouveau à vider le poisson, je laissai la place à ma comparse.
« Je pense même que nous aurons notre repas de ce midi si nous continuons comme ça, lui lançai-je accroupi sur le sol. »
J’étirai mes muscles endoloris à force de rester dans la même position, tandis que l’odeur désagréable du poisson me monta au nez. Mes gants étaient sûrement fichus, étant complètement imprégnés par le liquide poisseux. Mais il valait toujours mieux ça que sentir la poiscaille pendant des jours et me faire jeter de l’atelier parce qu’Ivan ne supportait pas l’odeur.
À nous regarder de loin, l’activité ne semblait pas spécialement passionnante. Mais au même niveau que la chasse, elle demandait un savoir-faire étonnant. Lorsque le soleil vint nous éclairer à son zénith, je fis signe à Sia de retourner sur la rive pour que nous puissions manger avant de reprendre notre activité. Cherchant un rocher plat qui n’avait pas été trop enseveli sous la neige, je laissai à la jeune femme le loisir d’allumer notre feu pendant que j’écaillais les poissons.
Sûrement attiré par l’odeur, un renard s’approcha prudemment de nous, les oreilles dressées sur le haut de son crâne. Il semblait prêt à fuir au moindre geste brusque. Sortant l’une des prises les plus petites, je lui lançai devant le museau. Prudent, il sursauta avant de venir sentir sa proie, il la saisit entre ses crocs avant de déguerpir aussitôt pour aller manger à l’ombre des prédateurs.
Mon compagnon me complimente d'ailleurs, me faisant hausser des épaules pour toute réponse. Je ne me trouve pas spécialement douée. Je suis une débutante, je suis patiente et j'ai envie d'apprendre, mais j'ai l'impression que la pêche, c’est surtout beaucoup de chance et réussir à trouver le bon coin pour poser ses appâts. Un peu comme chasser en piégeant. Je n'ai pas spécialement de talent, simplement de la chance et de bonnes bases. C'est ensuite au tour du jeune homme de pêcher, exécutant les mêmes gestes que moi précédemment.
Je profite de ce moment pour observer le blond. Même si cela faisait un petit moment que lui et moi nous connaissions et échangions, je ne peux pas vraiment dire que nous sommes devenus proches ou des amis. C'est à peine si nous nous connaissons. Pourtant, il y a quelque chose qui a su attirer ma curiosité chez ce jeune homme, une certaine candeur, peut-être sa timidité ou le fait tout simplement qu'il me rappelle un peu ma sœur. Il est certes plus renfermé qu'elle, mais il peut parfois rayonner comme Sio, dégageant une certaine chaleur que je n'ai pas avec mon maître. Dans ces moments, je ne peux m'empêcher d'avoir un petit sourire en coin, et dès qu'il le remarque, le blond redevient plus renfermé et timide.
Au milieu du calme de la montagne, seuls le bruit du vent et celui de nos mouvements étouffés par la neige se font entendre. Je lève le regard vers le bleu du ciel, laissant la lumière venir gorger ma fleur de son énergie solaire, appréciant cet effet grisant qu'elle peut avoir sur mon corps. Bien que l'astre solaire réduit en intensité et en présence avec l'avancée de la saison fraiche, je peux encore profiter de ses effets sur mon corps et mon pouvoir, ces derniers réduisant de jour en jour maintenant que la saison chaude nous a quitté.
Nous continuons ainsi de nous relayer pour pêcher jusqu'à ce que le zénith soit là. C'est la force de la lumière et son effet sur mon corps qui me réveille presque, ainsi que le vide se faisant ressentir dans mon estomac. Après avoir passé une bonne partie de la matinée à pêcher, nous avons notre lot de prises. Au moins, nous aurons un bon repas et nous risquons même de devoir écourter notre séance de pêche si nous ne voulons pas vider le plan d'eau de ses poissons. Nous nous installons tranquillement sur la rive où je laisse le loisir à mon partenaire de préparer nos prises pour notre repas. Pendant ce temps, je prends le temps de récupérer du bois et de l'allumer avec ma pierre à feu. Nous nous retrouvons rapidement avec un feu pour nous réchauffer après une matinée sur la glace et à manipuler des corps humides et poisseux.
Le silence règne alors que chacun s'attèle à sa tâche. Quand le feu est suffisamment fort, Adam vient commencer à faire cuire les poissons qu'il a embrochés, faisant tenir les brochettes avec des pierres. Seul le crépitement du feu vient briser le silence qui règne entre nous, captivant mon regard de sa danse chaleureuse. Les ondes rouges et orangés captant mon regard et me plongeant dans ma bulle, comme lorsque je suis à la forge. Le contraste de la chaleur vibrante se dégageant des flammes et la fraicheur du vent sur ma peau viennent légèrement hérisser les poils de mes bras, me sortant de ma torpeur. Je dirige alors mon attention sur l'armurier. À vrai dire, si je lui ai aussi proposé cette session de pêche, c'est pour essayer d'apprendre à le connaître, de sympathiser avec lui. Je ne connais pas grand-monde ici dans les montagnes ou à la forteresse, alors pouvoir échanger avec une personne que cette tête de pioche de Lyle pourrait me faire le plus grand bien. Récupérant une des brochettes pour la faire cuire à la main et la tourner lentement dans les flammes, je décide d'engager la discussion.
« Alors Adam, comment vont les affaires dernièrement ? Je sais que j'ai été pas mal occupé avec mes commandes chez Lyle et mes missions avec la guilde, alors je n'ai pas vraiment pris le temps de voir comment ça se passe pour toi. »
Il ne faut pas trop m'en demander après tout. On ne change pas une équipe qui gagne. Me demander à moi d'engager une conversation sans alcool ? Autant parler boulot dans ce cas, un sujet où il y a toujours des choses à dire.
Les affaires de la forge tournaient plutôt bien, mais cela nous demandait un travail sans modération où chaque coup de marteau demandait un effort supplémentaire jusqu’à se briser les bras. Mais l’odeur du métal en fusion était presque devenue une drogue permanente à laquelle je refusais de me soustraire.
La douce morsure du feu était la bienvenue avec le froid glacial des montagnes, les langues de feu offraient une couverture chaleureuse contre l’environnement. Je réprimai un sourire, étrangement détendu dans cette petite bulle que nous nous étions constituée. Un halo rougeoyant s’illuminait au rythme du crépitement des flammes.
« Je t’avoue que c’est Ivan qui se charge des affaires, continuai-je d’un ton pensif. La forge me permet surtout… De m’évader. »
C’était un peu gênant à dire en sachant que ma vie tournait autour de la forge et des quelques quêtes que j’acceptais pour la Guilde. Mais c’était surtout grâce à cette force que j’avais gagné mes ailes après de longues années difficiles, donc, le travail pouvait bien se montrer éreintant, mais ce n’était en rien comparable. Je pouvais suivre passivement les histoires d’argent de la boutique, mais je devais avouer que ça avait principalement des effets soporifiques. J’avais bien étudié le pouvoir commercial, mais c’était une plaie dont je me passais volontiers.
J’admirai beaucoup ceux qui étaient capables de maintenir un établissement d’une main de fer et sans faiblir. Je ne doutais pas qu’il faille beaucoup de volonté pour y parvenir. Je glissai un regard vers ma partenaire, un peu gêné. J’avais l’impression d’être à des années lumières de son expérience.
« Puis j’aime ça, ajoutai-je avec un sourire. »
C’était agréable d’être accompagné de Sia même si le froid environnant donnait plutôt envie de s’enrouler dans un plaid bien chaud. L’altitude que nous avions atteinte ne nous permettait malheureusement qu’un désert de glace interminable. Je baissai le regard sur le poisson qui s’était mis à dorer sous les assauts du feu. Je soulevai machinalement les brochettes pour en tendre une à mon amie, venant croquer machinalement dans la mienne.
Je supposai que si Lyle avait pris l’aventurière sous son aile, c’était également parce qu’elle avait elle aussi trouvé un certain refuge dans la forge, ou encore qu’elle s’était découvert une passion. Ce n’était pas un métier facile, mais la création d’objets uniques pouvait donner un certain sentiment de satisfaction lorsque l’on arrivait à nos fins.
« Du coup, je suppose que si notre marché ne s’est pas écroulé, c’est que nous nous en sortons plutôt bien. »
Je mastiquai pensivement dans la viande tendre du poisson, avant de remarquer que le soleil du midi nous avait abandonnés pour quelques rayons timides qui osaient à peine traverser l’épaisse couche de nuages. Le ciel couvert rendant la sensation de froid encore plus glaçante. Enroulé dans ma cape, je pouvais supporter ce froid sans trop difficulté, mais je ne savais pas s’il en était de même pour Sia. Je m’approchai d’elle pour entourer ses épaules de ma cape avant de baisser les yeux.
« Ne te méprends pas, c’est juste que… Il fait froid… Et… Bredouillai-je fastidieusement. Et c’est une cape anti-climat. »
Je ne pouvais m’empêcher de me justifier, mais je ne voulais pas qu’elle interprète mal mes actions, seulement, j’avais l’impression que les conditions météorologiques n’iraient pas en s’améliorant. Nous étions assez loin des chalets les plus proches, donc dans l’incapacité de nous protéger si une tempête se manifestait. Je jetai un bref regard autour de nous avant de lui tendre la main pour l’aider à se lever.
« Je pense que le temps ne sera pas clément avec nous aujourd’hui. Allons trouver un lieu où nous abriter en attendant que l’on puisse rentrer. »
La pêche s’était déjà montrée bien assez florissante pour nous, nous aurions d’autres occasions pour nous y essayer. Jetant un léger regard en direction de notre lieu de chasse, je m’y dirigeai afin de rassembler nos affaires avant qu’elles ne soient ensevelies sous la neige. Chargeant le tout sur mon dos, je repartis à l’inverse pour rejoindre la rive, sans voir l’ombre qui s’agitait sous la glace, se rapprochant dangereusement de la surface. Celle-ci commença à se fissurer derrière moi. Il semblait, que nous avions attiré quelque chose à force d’agitation. Même si cela pouvait paraître improbable après toutes les fois où je mettais rendu sur ces lieux.
Plutôt que de courir, je me laissai glisser sur la glace jusqu’à rejoindre Sia, m’écrasant sur elle à la réception avant de me redresser aussitôt tandis que des tentacules géants jaillissaient dans mon dos. Je saisis le poignet de la jeune femme avant de me mettre à courir pour m’éloigner de la rive, tandis que les premiers flocons commençaient à onduler gracieusement dans le ciel.
Un premier rugissement, je me retins de me retourner pour voir ce qui essayait de nous chasser même si j’en avais une vague idée, préférant sauver nos vies, même si dans la neige se déplacer était assez compliqué.
« Essayons de trouver une caverne en attendant pour rester au chaud. »
En revanche, j’arque les sourcils quand il s’approche de moi et enroule sa cape autour de mes épaules. Je suis évidemment surprise de ce geste, mais je lui réponds avec un sourire, heureuse qu’il ait cette petite attention pour moi. La cape n’est pas très épaisse, mais je dois reconnaitre qu’elle coupe particulièrement bien le froid. Il faudrait que je pense à investir dans ce genre de tissus quand j’en aurai les moyens. Je ne repousse pas le blond, étant même un peu attendris par son air timide. On dirait presque un petit chiot à qui j’aimerais caresser le sommet du crâne. Je vais éviter ce genre de contact avec Adam, je ne veux pas le mettre mal à l’aise.
À sa remarque sur la météo, je lève le regard vers le ciel. En effet, le beau ciel bleu a fait place à de menaçants nuages. Le problème en montagne, c’est que la météo est rapidement changeante. C’est dommage, la pêche était agréable. J’aide alors mon ami à ramasser nos affaires. Lui va récupérer notre matériel de pêche pendant que m’occupe d’éteindre notre petit feu et ranger ce qu’il reste de notre repas. Le bruit de la glace se fissurant me fait réagir, voyant Adam glisser jusqu’à moi. Je le rattrape sans vraiment comprendre ce qu’il se passe. Les tentacules sortent ensuite de l’eau, mon ami venant d’échapper au fait d’être le repas d’une bien étrange créature aquatique.
Je récupère le dernier sac à dos avant que mon ami ne me tire pour nous éloigner rapidement de la rive et du danger. Nous avançons sans nous retourner, la bête rugissant derrière nous. Quand enfin nous semblons assez loin, nous reprenons notre souffle. Le ciel s’obscurcit de plus en plus, les nuages devenant menaçant alors que des flocons commencent à doucement tomber. Je hoche de la tête à la remarque de l’armurier, essayant de repérer l’endroit où nous sommes. Je repère ensuite un abord rocheux de la montagne, le pointant.
« On devrait trouver une grotte ou une cavité par là. Récupérons à nouveau du bruit au passage, on risque d’avoir besoin de se réchauffer pour ne pas mourir de froid. »
Si une tempête s’annonce, nous risquons d’être bloqués un petit moment, autant prévoir. Nous avons encore un peu de poisson pour nous nourrir, nous pouvons même passer la nuit à l’extérieur s’il le faut. Je prends les devants et avance dans la neige, essayant de récupérer des branches au passage. Le froid parait de plus en plus intense, me forçant à rester active alors que nous cherchons une cavité ou un creux dans la montagne.
Finalement, je trouve l’entrée d’une petite grotte. L’ouverture n’est pas large du tout, mais assez pour nous abriter et faire un petit feu à son entrée sans risquer de nous enfumer. Je fais signe à mon ami de me rejoindre avant de me glisser à l’intérieur. Je récupère ma pierre de feu pour nous éclairer légèrement, évitant de m’éloigner pour garder la luminosité provenant de l’extérieur. Quand le jeune homme me rejoint, je pose nos affaires en soupirant.
« On devrait être tranquille. Ça semble s’enfoncer plus loin, mais je n’ai pas l’impression que c’est habité par un prédateur. »
J’essaye de rapidement me mettre en mouvement pour ne pas être prise par le froid et nous faire du feu. Cela nous réchauffera en plus de nous éclairer. Le bois est un peu humide à cause de la neige et me force à utiliser quelques pages d’un de mes carnets pour démarrer le feu. Je souffle sur les braises naissantes avant qu’il ne prenne et commence à lentement se propager aux branches. Je me détends enfin un peu alors que ma vue s’habitue à l’obscurité ambiante. La lumière de notre petit feu de fortune commence à s’intensifier, nous permettant de mieux discerner les formes se dessinant plus loin dans la grotte.
Après quelques minutes, je commence à entendre un bruit similaire à celui d’un petit animal qui gratte contre la roche. Je relève le regard vers Adam pour savoir s’il entend aussi ce bruit. Je regarde l’extérieur où la tempête commence à siffler, les flocons tombant abondamment et nous bouchant la vue à quelques mètres à peine. Ce n’est clairement pas le moment de sortir. Les grattements se font à nouveau entendre.
Après un échange de regards avec mon ami, je saisis une branche de notre petit feu et la tend pour éclairer en direction du bruit, plus loin dans la grotte. Je ne repère rien et me relève pour faire quelques pas. J’avance prudemment, les parois rocheuses faisant un petit virage qui me bouche la vue. Je tends lentement ma torche et me penche pour regarder ce qui peut ainsi faire ce bruit. Je repère non loin, une sorte de petit félin, de la taille d’un chat qui gratte la paroi rocheuse. Après avoir cligné de l’œil à plusieurs reprises, je sors de ma cachette et tend la torche dans sa direction.
Le petit félin repère alors la lumière de ma torche. Il se retourne d’un coup avant de pousser un petit miaulement aigu, visiblement terrorisé. L’instant d’après, l’animal se met à courir avec ses courtes pattes pour s’enfoncer plus loin dans la grotte. À la fois surprise et amusée de cette rencontre avec un lolori, je lâche un petit rire avant de revenir vers mon ami, soulagée.
« Ce n’est rien... Visiblement, un groupe de loloris doit vivre dans cette grotte et je viens d’en effrayer un. »
« Effectivement, ils ont dû commencer à se préparer pour la saison froide. »
Je baissai le regard sur le sol, un long sifflement glacial résonnant dans la grotte, tandis que le vent s’engouffrait dans l’antre, cueillant nos corps transis par le froid. Me redressant, j’offris un léger sourire à ma belle amie en lui désignant l’intérieur de la grotte.
« S’il y a des loloris, c’est que la grotte ne doit pas être habitée par de nombreux prédateurs. Je te propose que l’on s’y enfonce un peu plus et voir si on ne peut pas déboucher sur une autre sortie. »
Le temps se montrant assez arbitraire, il était difficile de savoir quand la tempête finirait par se calmer enfin. Et je n’avais pas franchement envie d’attendre que la nuit passe pour que l’on rentre que le lendemain. Et je savais que la créature était aux aguets pour nous saisir à la moindre occasion. Il était difficile d’imagine ce qui se tapissait dans l’eau et je n’étais pas assez curieux pour le savoir. Sous la projection des torches, mon corps se déforma, renvoyant contre le mur, une silhouette familière, munie de quelques atouts qui nous serons favorables dans ce paysage de glace.
J’avais fait taire la douleur lancinante qui faisait crier la peau qui s’allongeait et des protubérances qui forçaient mon corps à subir ce qui ne devait normalement pas exister. Le pouvoir traversa mes veines tel un torrent de lave dont je ne pouvais me soustraire. Ce n’était peut-être que partiel, mais je pense que jamais je n’arriverai à m’habituer à cette douleur démentielle qui me parcourait à chaque fois que je faisais appel à mon pouvoir.
Je tendis ma main en direction de Sia pour l’inviter à m’accompagner, sortant enfin de mon mutisme, alors que la peau de mes lèvres rougeoyait encore de la morsure que je leur avais infligée afin de ne pas laisser échapper un gémissement douloureux. Je ne distinguais maintenant que quelques formes floues au loin, mais les échos de la grotte me faisaient savoir qu’en s’enfonçant nous rencontrerions très certainement un courant d’eau, et il fallait bien qu’il débouche quelque part. Donc nous pourrions également trouver une sortie. Je fermai les yeux afin de me concentrer pleinement sur le monde qui nous entourait, et je ne discernais aucun souffle ou battement de cœur lent qui annonçait la présence d’une créature qui nous serait dangereuse.
« L’endroit semble assez calme, murmurai-je doucement. Je pense que nous ne risquons pas grand-chose. »
J’entrainai Sia à travers le dédale rocheux, uniquement guidé par le bruit des quelques créatures qui peuplaient la grotte, et le torrent incessant qui faisait naître une légère odeur minérale et humide. Placé devant, dans le cas où je m’étais trompé, je pouvais faire office de rempart si une créature mal lunée se décidait à s’inviter dans notre escapade. Ma main était inconsciemment posée sur la garde de mon épée, toujours à l’affût du moindre bruit qui changeait.
Au bout quelques dizaines de minutes de marche à suivre un décor qui ne semblait ne jamais changer, nous avions fini par débouler sur une cavité bien ouverte où le glacier venait déverser contre la roche, une cascade limpide. Sur la berge, une décoration bien étrange de quelques dizaines de chats sculptés dans du cristal. En tendant l’oreille, il était possible de percevoir un battement lent mais régulier, comme si tous les corps s’étaient mis en pause le temps que la saison froide s’achève.
« Voilà donc leur cachette, soufflai-je tout pas pour ne rompre la sérénité des lieux. Évitons de les effrayer davantage, on ne sait jamais. C’est cardiaque ces bestioles. »
M’arrêtant un instant, j’observais les deux couloirs parmi les nombreux chemins, où l’eau s’écoulait comme une invitation à le suivre. Le courant plutôt paisible, aucun torrent ne pouvait alors nous emporter dans les ténèbres de la grotte. Mais s’il était impossible de s’y noyer, le froid ferait sonner le glas à la place.
Seulement aucun des deux chemins ne semblait se différencier de l’autre, et je ne savais pas vraiment lequel emprunté. D’autant plus que je sentais déjà mon pouvoir se retirer, et je ne serais bientôt plus capable de nous diriger avec autant de précision.
« Il y a moins d’écho sur le chemin de gauche. Ça peut signifier une ouverture. »
Je détournai le regard, le doigt pointé dans la direction sous-entendue, un peu honteux de ne pas être en mesure de nous sortir de cette situation aussi facilement que je l’aurais souhaité. Seul, j’aurais sûrement emprunté n’importe quel chemin quitte à perdre du temps. Mais je ne voulais pas m’imposer pour Sia qui avait déjà eu la politesse de m’accompagner dans mes loisirs ennuyants. Je la plaignais sincèrement d’être tombée dans cette situation avec moi. J’étais loin du grand héros que l’on pouvait s’imaginer dans les contes.
« Je suis désolé, bafouillai-je piteusement dans ma barbe. »
La créature qui a voulu se nourrir d’Adam n’est peut-être pas loin. Simple créature aquatique ou possibilité qu’elle puisse se déplacer en dehors de l’eau ? Je n’ai pu la voir complètement et le nombre de créatures pouvant posséder de tels membres n’est pas petits. Probablement même qu’il s’agit d’une espèce rare ou non répertoriée.
Je décide de suivre mon ami pour nous enfoncer dans la grotte. Je ne tiens pas non plus à passer la nuit ici si possible. Nous sommes assez haut dans la montagne, mais les réseaux de grottes sont connus pour être labyrinthiques et pouvant vous emmener d’un bout à l’autre de la vallée sans que vous vous en rendiez compte. Explorer et profiter qu’il n’y a pas de signe de danger pour trouver une sortie qui pourrait nous mener plus bas me semble la meilleure des idées.
Je récupère nos affaires, éteint notre feu pour user de torches et de ma lampe magique pour illuminer notre chemin, je me rends alors compte du changement physique de l’armurier. Je cligne un instant de l’œil avant de suivre du regard ses adorables oreilles blanches. Bien qu’il n’a jamais caché son pouvoir, je n’ai jamais vraiment eu l’occasion de le voir l’utiliser. Sa chevelure de blé se mélange parfaitement au pelage d’argent qui couvre ses organes auditifs. Je reste ainsi hypnotisée un moment à observer leurs charmants mouvements, écoutant à peine le goupil et le suivant sans trop réfléchir.
Quand je reviens à moi, je me rends compte que nous avons beaucoup avancés. Devant nous un petit cours d’eau qui nait ici de la fonte des glaces. Bien que peu profond, il semble légèrement trompeur. J’espère simplement qu’il ne permettra pas à notre prédateur tentaculaire de venir jusqu’ici. La présence des loloris cristallisés me rassure tout de même. Si ces petites bêtes se sont installées ici, ce n’est pas pour servir de garde-manger. Enfin, je l’espère ? Je suis silencieusement mon ami, faisant attention à ne pas donner une crise cardiaque à ces pauvres félins qui survivent par on ne sait quel miracle de Lucy et nous arrivons devant un choix.
J’essaye de diriger la lumière devant nos deux options, essayant de différencier les deux couloirs. Il est difficile de deviner lequel des deux peut descendre où nous le souhaitons. L’eau s’écoule paisiblement et nous permet d’avancer. Au moins, si elle part dans ces directions, c’est le sol est suffisamment incliné. Un indice précieux si l’on veut pouvoir retrouver la vallée.
Alors que le pouvoir de mon ami semble commencer à se retirer, il m’indique une direction avec moins d’écho. J’illumine ensuite l’endroit, l'entendant s’excuser. Je souffle de manière amusée, un sourire étirant mes traits. Je me tourne vers lui et pose ma main libre sur le sommet de son crâne, bien que légèrement déçue de ne pas avoir pu profiter de la douceur de ses oreilles, j’essaye de le rassurer. Adam a un véritable problème de confiance en soi, et bien que je le comprenne, je tente de l’encourager à ma façon.
« Merci Adam. On va essayer par là. Je fais confiance à ton ouïe. »
Je le prendrais bien par la main pour le tirer avec moi, mais je préfère poser ma main libre sur la garde de mon épée. Je prends les devants et avance prudemment en suivant le cours d’eau. Parfois nos pieds n’ont pas le choix que de tremper dedans avant de pouvoir retrouver de la pierre plus sèche. Lentement, mais sûrement, le cours d’eau devient plus large, l’eau s’insinuant le long des murs jusqu’à rejoindre cette source.
Le bruit de nos pas résonnent pendant un long moment, ce qui semble êtres des dizaines, voire quinzaines de minutes, je finis même par commencer à avoir peur qu’il n’y ait jamais de sortie. Et puis, d’un coup l’écho se modifie. Même si je ne vois pas de lumière signe d’une sortie vers l’air libre, nous arrivons à un endroit où le son se répercute différemment. Je m’arrête un instant, faisant des signes des mains pour communiquer muettement avec lui, qu’il se tienne prêt en cas de danger.
Quand nous sommes tous deux parés, j’avance plus doucement. Je finis par voir une grande ouverture sombre où l’eau continue de s’écouler. Avant de ne sortir du boyau, je vérifie que le sol devant moi est toujours plat et m’avance avec une grande prudence, mains sur le garde de mon arme.
Nous débouchons dans ce qui semble être une immense cavité accueillant un petit lac souterrain. Le paysage y devient féérique. Dans l’eau des cristaux brillent faiblement et paraissent s’illuminer bien mieux dans l’obscurité totale, s’éteignant légèrement quand la lumière de nos torches les perturbent. On peut également apercevoir un large groupe de lux-ianuam près de l’eau ainsi que des champignons luminescents que je n’ai jamais vu recensés dans des herbiers. L’eau du lac parait particulièrement limpide, seulement de petits poissons et crustacés y vivant de manière paisible. Je soupire, apaisée de ne pas risque de retomber sur notre monstre mangeur de pêcheurs et observe les parois rocheuses.
Il y de nouveau plusieurs ouvertures, dont certaines au sol et d’autre plus haut dans le plafond. Un léger goutte à goutte se fait entendre, signe que nous devons être sous le glacier et que l’eau s’insinue pour rejoindre ce petit lac qui lui-même doit alimenter d’autres cours d’eau qui descendent dans la vallée. J’observe nos propositions, n’entendant aucuns bruits particuliers et constatant que soit nous avons des cours d’eau qui s’écoulent en direction du lac ou de simples chemins parfois illuminés par d’autres lux-ianuam. Je soupire et réfléchis à mes enseignements pour survivre dans de telles conditions. Me viens alors une idée et je décide de l’exposer à mon ami.
« Essaye d’approcher ta torche des ouvertures. Si l’une d’entre elles donnent sur l’extérieur, la flamme devrait s’agiter pour indiquer un courant d’air, même un léger. Ça serait un bon indice. »
L’écho de la grotte se répercutait inlassablement contre les parois, narguant notre passage comme une mauvaise blague incessante. Nous nous étions enfoncés dans le cœur de la montagne qui nous murmurait ses dangers alors que nous avions manqué de peu la fauche d’un monstre aquatique qui se dissimulait depuis certainement bien des années sous le sol glacé de ma pêche. Heureux rescapés, nous devrons certainement prévenir la guilde pour enquêter sur la menace qui rôdait dans les lieux. D’autres n’auraient peut-être pas la chance qui nous avait été faite en ce jour. Le sang-froid de Sia me laissait tout de même pantois. Je ne pouvais m’empêcher de l’envier lorsque je la voyais si rayonnante et en même temps, je souhaitais pour elle qu’elle réussisse tout ce qu’elle entreprenait. Il aurait été de toute manière odieux d’imaginer autre chose pour elle.
Seulement éclairé par une la lueur vacillante de la lampe de Sia, je regardai les spectres de son ombre se dessiner sur les cloisons gelées. Rythmés par le souffle invisible de nos pas dans une danse informe. Je restai silencieux, jusqu’à arriver à une impasse, la route s’ouvrant de nouveau sur plusieurs chemins. Arrêté pour profiter du spectacle lumineux, je ne finis par réagir que lorsque la belle aventurière m’interpella.
J’obtempérai à sa remarque, venant approcher ma torche des différentes entrées. À la troisième, la flamme ne vacilla même pas, me faisant pincer les lèvres. Il ne restait plus qu’une ouverture où un ruisseau gelé continuait sa course dans un sillon creusé à même le sol par le temps. Glissant ma torche vers celle-ci, la flamme crépita faiblement, mais suffisamment pour nous prouver qu’une sortie était possible dans cette direction. Un sourire triomphant en direction vers mon ami, et je m’engouffrai dans la cavité. Notre parcours était parsemé d’une multitude de statues de loloris qui venaient d’entrer en pleine hibernation, certains restes de leurs repas à peine entamés. Je m’étonnais toujours autant de voir à quel point cette grotte était paisible alors que nous étions sur les sentiers mortels des glaciers. Pourtant, rien ne rompait la quiétude des lieux.
Totalement alerte à notre environnement, j’ai pris la décision d’ouvrir la marche dans le cas où une créature dissimulée se décidait de nous attaquer. Notre marche fut lente, seulement accompagnée de l’écho de nos pas.
Je ne saurais dire combien de temps nous avions mis pour traverser ce couloir unique jusqu’à ce qu’un halo lumineux se dévoile au bout de ce tunnel infini. Je tournai vers Sia un sourire victorieux. La vaste ouverture s’ouvrit sur le flanc de la montagne où une cascade se déversait en-dessous de nos pieds, l’eau ayant creusé à même la roche pour faire un réseau souterrain. Tel un geyser, elle se répercutait contre les parois. Le sol était gelé, devenant le plus gros danger des lieux, un seul faux pas, et nous risquions de nous fracasser le crâne quelques mètres plus bas.
La pente était raide, nous n’avions aucune chance de descendre même avec une prise sur la roche à l’endroit même de la sortie. Ce qui me rassura en revanche, c’était de voir plus loin les immenses remparts de la Forteresse. Au final, plutôt que de contourner la montagne comme nous l’avions fait durant la matinée, nous avions simplement tracé une ligne droite. Sur le côté, des escaliers de pierres naturels nous ouvraient enfin une voie pour nous échapper de cette drôle de journée.
J’offris ma main à ma partenaire pour l’aider à gravir le rocher. L’idée aurait été de dévaler la pente neigeuse sur nos deux pieds jusqu’à atteindre le plateau. Je pris une longue inspiration en plantant mes deux pieds dans la neige. J’étais prêt à dévaler la pente.
« Je passe en premier pour être certain que tu ne risques rien. »
Sans lui laisser le temps de protester – car je savais qu’elle ne me laisserait pas y aller, Sia était ainsi, si gentille – je me mis légèrement en arrière pour maintenir mon équilibre avant de de commencer à descendre lentement. L’épaisseur de la neige agissait comme un frein, et au final, la descente se fit avec douceur, presque avec la sensation d’une simple marche.
Une fois en bas, je fis de grands signes en direction de mon amie pour lui intimer que la voie était sans danger.
L’endroit est incroyablement calme, presque entièrement silencieux dont seuls les bruits de nos pas vient briser la quiétude. Nous marchons un long moment, ne nous rendant pas vraiment compte du temps qui défile et en perdant complètement la notion. Nous savons juste qu’il y a une sortie et celle-ci fini par apparaitre. Un nouveau sourire se dessine sur mes traits en même temps que celui de mon ami. Nous allons enfin pouvoir sortir.
D’un pas légèrement plus précipité, nous nous dirigeons vers l’air libre. Nous constatons que la journée n’a pas encore touchée à sa fin, même si elle a bien avancé durant cet épisode de spéléologie. Voir les remparts de la Forteresse a quelque chose de rassurant. Cette journée va pouvoir toucher à sa fin. Je laisse mon ami m’aider à passer par-dessus une roche avant de devoir le laisser passer devant. Je grommelle légèrement, protestant pour moi-même sur le fait que je ne suis pas en cristal et que je n’ai pas besoin d’être protégée. Après tout, je suis aussi une aventurière.
Quand je vois qu’Adam atteint le bas et qu’il me fait signe que tout va bien, je suis ses pas. Je prends quelques minutes pour descendre de manière prudente sur la roche avant que mes pieds ne rejoignent l’étendue de neige nous menant jusque chez nous. Un soupir satisfait s’échappe de mes lèvres en même temps qu’un sourire.
Cette journée aura été étrange. Débutant par une simple pêche en montagne, nous avons dû échapper à un étrange prédateur tentaculaire, traverser des grottes parsemées de loloris et nous voilà de retour à la civilisation. Quand tout semble bon et que j’ai laissé mon ami s’assurer que je ne me suis pas blessée -c’est qu’il s’inquiète facilement ce petit renard- nous nous mettons en route. La luminosité naturelle baisse doucement et quand nous franchissons les portes de la Forteresse, le nuit nous accueille déjà.
Nouveau soupir de ma part, étrangement heureuse de retrouver des gens après cette journée en plein air. Nous gagnons le logement d’Adam pour pouvoir y déposer nos matériels de pêche, mais aussi ce qu’il reste des prises que nous n’avons pas consommées. Même si cette journée a été étrange, j’en suis plutôt satisfaite. Je sens que la peau de mes joues tire légèrement en se réchauffant après avoir été exposé au froid durant des heures, j’ai également l’impression d’être revigorée.
Quand tout semble ranger, mon ventre ne peut s’empêcher d’émettre un bruit assourdissant. Rougissant légèrement de cette expression sonore de mon corps, je lâche un léger rire gêné à l’intention de l’armurier.
« Dis Adam. Si on finissait correctement cette journée ? On va se manger un bout dans une bonne auberge. Promis, je paye ma part de nourriture ! »
Nouveau rire de ma part alors que je rassure mon ami sur les cristaux à débourser pour réussir à satisfaire mon appétit. Je réfléchis déjà à des endroits calmes où nous pourrons discuter agréablement et où il pourra se sentir à l’aise. Et puis, avant qu’il ne réponde, je choisis pour lui, venant récupérer son bras en l’enroulant du mien.
« Tu sais quoi ? Tu viens. Je paye même ta part. Ça me fait plaisir et c’est pour te remercier de m’avoir montré des nouvelles techniques de pêche. Promis, je ne t’emmène pas dans un endroit bizarre... J’ai d’ailleurs un endroit en tête que j’aimerais bien essayer. Ça va être l’occasion ! »
Et sans demander plus que cela son avis à mon ami, je l’embarque avec moi pour sortir de son logement et retourner dans le froid mordant et désormais familier du climat du nord.