Trois jours, un temps qui me semble à la fois long et court... Entre temps, il y a eu la soirée de la garde Royale, mais surtout : la discussion avec Joshua et Iris Lys, mes parents adoptifs... Et cette discussion n'a vraiment rien eu pour me plaire.
Cela fait maintenant dix ans et demi que ma fille est née. Et autant de temps que je l'ai abandonnée. Lors de ma grossesse, les Lys voulaient que j'avorte, que je tue ce petit être entrain de grandir en moi. Mais pour la première et dernière fois de ma vie, j'ai refusé d'obéir. Ils m'ont faite souffrir, tentant de me faire céder par la douleur qu'ils peuvent m'infliger sans que je ne sache comment... Mais j'ai tenu bon. Haku et moi avons tenu bon. Et ce n'est qu'après avoir promis que je ne connaitrai jamais mon enfant et que je consacrerai ma vie à la noblesse de notre famille qu'ils ont accepté de me laisser la mettre au monde.
Le fait est aujourd'hui que je n'ai pas pu tenir une partie de cette promesse puisque six ans plus tard, j'ai retrouvé Elion et Kahlua, et cela fait maintenant quatre ans que je les visite régulièrement. Alors quoi, qu'est ce qui change aujourd'hui ?
Les objectifs que l'on m'impose...
Il y a encore deux jours, mon objectif premier était de devenir Prétorienne dans le seul but d'avoir accès aux secrets du royaume et pouvoir trouver des moyens de pression a ma famille pour gagner en importante... Une tâche qui me dégoutait dans le fond car si personnellement j'ai toujours voulu entrer dans la garde, c'était pour défendre les faibles et la justice. Il n'en aurait tenu qu'à moi, je serais surement dans la garde civile plutôt que la royale. Mais bon, j'avais promis... Et ce n'est pas comme si j'étais libre de mes choix.
Sauf qu'après cette discussion, cet objectif avait changer. Parce que j'avais été trop longue à réagir ? Possible. Toujours est-il que la situation des Lys se dégrade et qu'un des moyens pour y remédier sans effort du couple gérant, c'est de marier leur fille adoptive à une riche famille. En gros : me marier.
Et malheureusement pour moi, ce mariage fait pleinement partie de la promesse... Aussi, j'ai eu beau exprimer mon désaccord, ce simple rappel m'a clairement coupé l'herbe sous le pied.
Me marier... Partager ma vie avec un autre homme qu'Elion... En serais-je seulement capable ? Après tout, même s'il me déteste pour ce que j'ai fait, moi je n'ai jamais cessé de l'aimer...
"On devrait prendre un jour Luna... De toute façon, ça ne sert plus a rien de se tuer au travail."
Je regarde l'esprit du Mist lié à moi alors que je suis allongée sur mon lit de la caserne. Je suppose qu'Haku a raison. De toute façon, même si j'allais travailler, je ne serais pas capable de penser à autre chose... Alors autant essayer d'aller se détendre non ?
"En plus on a jamais pris de jours et c'est plutôt calme en ce moment. Je doute qu'on nous le refuse."
Je souffle, ne répondant pas pour ne pas réveiller mon collègue qui dort encore. Car si personne d'autre que moi ne peut entendre Haku, l'inverse n'est pas vrai.
Ne trouvant pas le sommeil, je choisi de me lever et d'aller tenter de trouver un de mes supérieurs pour avoir mon jour. Cette corvée administrative faite, je selle un cheval au petit matin et me dirige vers la sortie de la ville avec pour seule équipement mon épée accrochée à ma ceinture, sans autre arme ni armure.
Pas d'école aujourd'hui. Du coup Pa' est parti travailler ailleurs qu'à l'auberge. Ça lui arrive de temps en temps, surtout la journée. Il reste vague sur ses activités et en général je ne cherche pas plus que ça à savoir ce qu'il fait. Je me plains juste qu'il ne soit pas là, d'autant plus qu'à ces moments-là je dois rester avec Lina. Ce n'est pas que je ne l'aime pas, mais… Elle a aussi ses propres enfants, d'autres préoccupations que moi. Puis ce ne sera jamais pareil qu'avec lui. Ou avec Ma' si jamais elle était disponible.
Alors voilà. Nous sommes dans les rues de la Capitale, en plein marché, à observer les différentes échoppes pendant que Lina fait ses courses avec ses enfants, plus jeunes que moi et nécessitant donc plus d’attention. Elle leur tient la main tandis que je les suis difficilement, tentant de passer entre les différentes personnes pour ne pas les perdre de vue. Jusqu’à ce que des sabots ne se fassent entendre alors que Lina rejoint une échoppe, et que quelques murmures commencent à se faire entendre. Les rumeurs font vite et les personnes sur un cheval attirent très rapidement l’attention. La personne est assez éloignée, ne venant pas dans les rues bondées du marché.
Curieuse, je finis par me détacher d’eux pour tenter de voir qui peut bien être cette personne. Avec un peu de chance, c’est peut-être Ma’ ! Elle pourrait passer du temps avec moi, un temps que je n’aurai pas l’impression de perdre avec des personnes qui ne me tiennent pas plus à cœur. Mes petites jambes me portent, tentent d’esquiver les passants alors que je ne vais pas dans le même sens qu’eux, je trébuche parfois, mais ma détermination reste intacte : je ne dois surtout pas perdre ce cheval de vue ! Jusqu’à ce que je sois assez proche pour… ne pas reconnaître la personne dessus. C’est un homme, fier, souriant, qui a l’air d’avoir la grosse tête. Déçue, je soupire, avant de finalement commencer à stresser, alors que je tourne plusieurs fois sur moi-même. J’ai perdu Lina ! Comment vais-je la retrouver ? Si encore ma transformation me permettait de retrouver leur odeur… Mais là ce n’est pas le cas.
Et… Et… La panique ne faisant que monter, mon corps se transforme petit à petit, rétrécissant alors que des plumes viennent remplacement toute ma peau. Sous les yeux surpris d’un grand nombre de personnes, je m’envole. Depuis quelques temps, j’ai commencé à m’habituer à ces transformations. Il n’en est pas de même pour tous ces inconnus… Bon, par où pourrais-je aller pour la retrouver ? Dans le pire des cas, je n’aurai qu’à rentrer à l’appartement et Pa’ finira bien par m’ouvrir quand il rentrera.
Mais ces pensées sont interrompues par d’autres sabots. Je tourne la tête vers la provenance du bruit, pour la voir. Ma’ ! Elle est là ! Mais je suis en oiseau. A quoi bon passer du temps avec elle sous cette forme… ? Après, ce ne sera pas du temps de perdu : de toute façon, je serai avec elle au moins pour les prochaines six heures.
Désolée Pa’.
Cette fois-ci c’est vers elle que je vais me réfugier. J’avance alors rapidement vers Ma', passant à côté sans m’arrêter, avant de faire demi-tour et de venir me poser sur la croupe du cheval. C’est… un peu trop mouvementé. Mes petites pattes s’accrochent un peu plus à ses poils et je me prends un bon coup de queue dans la figure. De quoi me faire tomber. Raaah vilain canasson ! Tu ne m’auras pas !
Après avoir repris mes esprits, je repars de plus belle et fonce sur Ma’ et son cheval par derrière, tentant de viser le petit trou dans ses sacs. Une fois réussi, je m’installe à l’intérieur sur ses affaires, bercée par l’animal, jusqu’à finir par m’endormir au bout d’une dizaine de minutes…
- Ça fait dix neuf ans Haku, ça aura forcément changé... Mais bon, toi t'en fou, tu n'étais pas encore là.
"Pas faux. D'ailleurs, tu aurais pu m'y amener plus tôt quand même !"
- Alors ça y est, toi aussi tu vas me faire des reproches ?! C'est pas comme si j'avais eu l'occasion d'y retourner avant aujourd'hui !
"Je sais Luna... Je rigolais."
- Je sais... Désolé.
Le voyage est long jusqu'à mon village natale. Dire que ça fait presque vingt ans que mes parents sont mort et que j'ai été emmenée à la capitale. Et en ces temps difficiles pour moi, cela me rend nostalgique. Je sais bien qu'il n'y aura rien pour moi là bas, et pourtant, je ressens le besoin de me rendre dans ce lieu de souvenirs.
Car mon enfance insouciante me manque. Nos jeux avec Elion me manquent. Et aujourd'hui, je sais que je dois faire une croix dessus. Alors malgré les six heures de cheval pour m'y rendre, je fais ce voyage pour faire un dernier adieu à ces souvenirs heureux.
Et au moins, étant seule pendant ce voyage, je peux parler librement à mon mist spirituel sans passer pour une demeurée.
Après de longues heures de routes, le village apparait enfin à l'horizon. Cette vision me serre soudainement le cœur et me force à m'arrêter.
"Luna..."
Evidemment, Haku ressent tout ce que je ressens. Pour autant, je préfère ne pas mettre de mot sur ma peine. Alors même à lui, je préfère ne rien dire, ne rien exprimer. Du déni ? Probablement un peu.
- Il nous reste à peine une demi heure de route. On a bien avancé et j'ai faim.
Sans plus d'explication, je pose alors pied à terre et ouvre mon sac de selle après avoir flatté l'encolure de Bergamote.
Et là, entrain de picorer mon morceau de pain, qu'est ce que je vois ?! Un oiseau ! Un mignon petit oiseau bleu luisant à l'ombre de mon sac qui, à l'ouverture relève la tête et me piaille dessus !
Mais ?! Quoi ?!
- Mais qu'est ce que tu fais là petite...
Et soudain, c'est le flash dans ma tête. La révélation : Kahlua peut se changer en mérion azurée. Et cette oiseau n'est rien d'autre qu'un mérion azurée.
Et comment un mérion azurée sauvage se serait retrouvée dans mon sac de selle ?!
Soudain mon sang ne fait qu'un tour. Pourvu que je me trompe. Pourvu que ce ne soit pas elle ! Si c'est elle, Elion va me tuer !
Mais d'un autre côté...
- Kah... Kahlua ?
Ma voix est hésitante tant mes émotions fortes et contraires me dépassent. Et mes yeux brillent de ces mêmes émotions.
Bon sang, qu'est ce que je dois faire ?!
Au fur et à mesure que le temps passe et que mes réveils se font, une envie irrésistible de m'envoler et d'aller chercher des graines se fait sentir. Je résiste comme je peux, même si cette envie ne fait qu'augmenter dans mon esprit. Tout comme venir nettoyer mes plumes avant de me rendormir. Toutefois encore consciente, je sais que je suis proche du délai à partir duquel je pourrai redevenir humaine. Mais je dois tenir bon, rester là et attendre que Ma' ne se soit arrêtée.
Il n'aura pas fallu beaucoup de temps avant que cela n'arrive. Sauf que la découverte de ma présence est arrivée bien plus tôt que je ne l'aurais pensé. Les yeux à moitié fermés à cause de la lumière du jour qui m'éblouit, le visage de Ma' se fait de plus en plus net. Pendant un instant je ne sais pas trop comment je dois réagir. M'envoler et m'enfuir pour l'observer d'un peu plus loin ? Ce serait trop dangereux si je perdais à nouveau mes capacités de réflexion… Rester là et avouer ?
Mais le temps n'est pas trop à la réflexion… Alors je m'envole, reste un instant dans les airs, avant de venir me poser sur sa main en piaillant joyeusement. Enfin, ça n'a duré qu'un instant car j'ai commencé à observer les endroits alentours et… Je n'y reconnais rien ! Rien du tout ! Où sommes-nous... ?
Ayant envie de réponses, je quitte finalement son doigt avant de me rapprocher du sol pour m'y poser et reprendre forme humaine en quelques secondes. Les envies de picorer ou lustrer mes plumes n'ont pas encore disparu mais cela ne m'empêchera pas de lui parler. Après avoir éternué une fois parce que j'ai un peu froid... Sans mes vêtements... Mince ! Ils sont encore restés au sol en ville. J'espère que Pa' va les retrouver.
En attendant, je viens chercher de la chaleur en me jetant dans les bras de Ma'.
– Ma' ! On est où !? Je t'ai vue quand tu étais encore à la capitale, alors je me suis incrustée pour passer du temps avec toi mais… Je ne pensais pas que tu irais dans un lieu inconnu et aussi éloigné…
Suffisamment pour que tout le temps où je suis bloquée dans ma transformation ne soit déjà passé. Légèrement honteuse, je baisse donc la tête tout en restant contre elle.
Pour autant, je la serre fort dans mes bras, en réponse à sa propre étreinte. Au fond, pouvoir être avec elle, et savoir qu'elle voulait juste passer du temps avec moi me procure une vague de soulagement et de gratitude. J'ai fait si peu pour elle depuis qu'elle est née et pourtant... A aucun moment elle ne m'a rejetée. Alors finalement, est-ce une chance qu'elle soit ici ? Devrai-je en profiter ? Ou alors faire immédiatement demi tour et la ramener avant la nuit à son père qui va très certainement m'étriper...
Tout en y réfléchissant, je desserre l'étreinte pour plonger la main dans mon sac de selle et en retirer une grande cape qui me sert en cas de mauvais temps. Elle est chaude, sans doute trop pour le temps qu'il fait, mais c'est le seul vêtement que j'ai a lui mettre sur les épaules là tout de suite. Et une fois rhabillée, je me baisse à sa hauteur pour la regarder dans les yeux.
- Tu sais que ça me fait toujours plaisir de passer du temps avec toi ma chérie mais... C'est ton père qui est responsable de toi... S'il ne sait pas où tu es, il va avoir vraiment très peur et il pourrait très bien...
M'empêcher de te voir. Mais les mots ne franchissent pas mes lèvres. Je n'ai pas envie de penser à cette possibilité. Je n'ai pas envie de me dire que c'est la dernière fois que je la verrai.
Et pourtant... Au fond... Est ce que je ne devrai pas ?
Sans rien ajouter de plus, je la serre une nouvelle fois contre moi, à la fois pour la sentir contre moi et pour ne pas qu'elle voit mon visage déchirer par la peur et la tristesse. En face de moi, Haku me dévisage, inquiet.
"Luna... J'espère que tu ne penses pas a..."
Mais lui non plus ne finit pas sa phrase. Le temps de faire un bisou à ma fille et me voilà de nouveau debout et plus souriante.
- Bon, je n'avais pas prévue que tu sois ici mais... Tu voulais savoir où on est non ? Et bien sache que le village là bas est là où nous avons grandis, ton père et moi. Tu veux le visiter ? Je suis sûre qu'on y trouvera des vêtements pour toi. Je comptais m'arrêter ici pour manger mais... On peut grignoter et aller se faire un festin à l'auberge, qu'en penses tu ?
Me tournant vers mon sac, je lui attrape du pain et du fromage que je lui tends en attendant d'arriver là bas. Si elle est avec moi depuis qu'on a quitté la capitale, ça doit faire près de six heures qu'elle est enfermée la dedans et je suppose qu'elle doit mourir de faim.
Mais bon, Ma' agit bizarrement et j'en reste bouche bouée. Elle est si contente que ça de me revoir ? C'est vrai qu'on ne passe pas tant de temps ensemble que ça, mais quand même. Cet élan d'affection me surprend mais me fait plus plaisir qu'autre chose alors j'en profite.
Et je suis encore plus contente quand elle me montre la nourriture. Je sautille quelques fois en l'attrapant, puis hésite un instant. Mais pas très longtemps.
– Oh ? C'est vrai ? C'est ici que vous avez grandi ?
Je sautille de nouveau quelques fois avant de commencer à prendre la direction lentement, observant les alentours alors que j'attends qu'elle me montre le chemin tout en grignotant le pain et le fromage, toute contente de retrouver de l'énergie. Aaaah, j'ai tellement hâte de voir à quoi cet endroit ressemble !
Tiens, d'ailleurs…
– Ma', si vous avez grandi ici… Pa' et toi y avez encore de la famille ? Je vais rencontrer d'autres personnes !?
Toute contente à cette idée, je me mets presque à chantonner en faisant un peu attention à ne pas m'étouffer la nourriture.
Quant à mes propres parents...
J'attrape Kahlua et la soulève sans grande difficulté pour la déposer sur le dos de Bergamote avant de l'y rejoindre moi même. On a encore un peu de route avant d'atteindre le village et on ira plus vite à cheval, même si soudainement ce sera un peu plus pénible pour la jument de transporter une personne et demi. Heureusement que je n'ai pas mis mon armure...
- On peut essayer de retrouver la famille d'Elion si tu veux, mais... Je ne sais pas ce qu'il t'a dit à leur sujet, mais il ne les a pas quitté en bon terme. Alors tu ne dois pas t'attendre à ce qu'ils soient heureux de te rencontrer. Et c'est pareil pour ces frères et soeurs. Quant à ma propre famille... Ils sont malheureusement mort quand j'avais sept ans.
Mieux vaut ne pas trop en dire pour le moment là dessus. Si elle pose des questions, j'y répondrai honnêtement mais si elle ne cherche pas à savoir alors... Autant la laisser dans l'ignorance, car je ne suis pas sûre que ça lui apporte quoi que ce soit de savoir que ses grand parents maternels étaient des criminels.
- Bref, c'est comme tu veux Kahlua. Si tu veux qu'on tente de retrouver les Rechel, on peut essayer mais il faut que tu sois prête à ce qu'il ne veuille pas te connaitre. Je te laisse choisir.
Même si au fond se serait surement préférable qu'on évite. Mais si c'est ce qu'elle veut, je le ferai. Et si ils doivent me demander réparation pour les erreurs de leur fils, alors je payerai. Après tout, c'est le moins que je puisse faire... Si ça peut permettre à Kahlua de rencontrer sa famille...
Et peut être à Elion de renouer avec eux ? Mais le connaissant, il est beaucoup trop borné pour avoir un jour l'audace d'aller présenter des excuses...
– Je ne pensais pas à la famille de Pa' mais à la tienne. Il m'a un peu parlé de ses parents, mais… Ma', est-ce qu'ils sont… vraiment tous morts ? Est-ce qu'ils te manquent ?
Et puis…
– S'ils sont déjà tous morts, pourquoi… viens-tu ici ?
Visiter leur tombe ? Ma bonne humeur habituelle a disparu alors que j'observe, devant moi, le village qui se rapproche à chacun des pas du cheval.
– Ils sont morts oui... Et, même s'ils me manquent, les choses sont ainsi...
Elle marque une légère pause, et comme je peux m'y attendre, y penser est douloureux pour Ma'. Elle tente tout de même de se reprendre rapidement et enchaîne.
– Pour autant, mes meilleurs souvenirs sont ici. Avec ton père, nous étions jeunes, insouciants, heureux. Et cette époque m'a parue soudainement bien trop lointaine à mon goût, c'est pour ça que j'ai eu envie de revenir, pour pouvoir revivre mes souvenirs dans ces lieux.
– Oh, alors... Tu veux leur rendre visite ?
– Je... Je pensais juste me balader dans le village et profiter du calme de la forêt alentour et voire s'il reste encore des traces de notre cabane... Mais...
Elle est pensive. Parce que les souvenirs sont douloureux ? Joyeux ? Qu'elle regrette cette période et voudrait les revivre ? Je n'en sais rien. Mais... Si Ma' venait ici pour elle, je ne suis pas censée la déranger, alors...
– ... Ma'. C'est moi qui t'accompagnes, alors... Emmène moi où tu voulais aller. Et... Raconte moi ces souvenirs ! Je veux... en savoir plus sur vous deux.
Un léger sourire revient sur mes lèvres alors que, juste devant elle, je fais exprès d'amplifier les mouvements du cheval, me déplaçant de gauche à droite de manière exagérée. Je suis avec Ma', nous allons faire ce pour quoi elle est venue et je vais revenir avec plein de nouvelles choses ! Et on pensera à Pa' quand on sera sur le chemin du retour... Tant qu'on est ici, autant en profiter.
Je réfléchis une nouvelle fois, mais à des choses plus joyeuses que est ce que je devrai visiter la tombe de mes parents. Je n'ai pas encore la réponse mais puisque Kahlua est avec moi et que nous sommes toutes les deux dans ce village loin de toute noblesse... Pour une fois dans ma vie je choisis d'en profiter pleinement. D'autant plus que la voir de si bonne humeur me fait sourire sous le regard attendri de mon mist esprit.
Alors... Par quoi pourrais-je commencer... ?
- Je t'aurai bien raconté ma rencontre avec Elion, mais d'aussi loin que je me souvienne, je l'ai toujours connu. Il était toujours joyeux, prenant la vie comme elle venait alors que moi je voulais toujours tout calculer, tout faire du mieux possible pour que tout le monde soit content. J'ai toujours aimé sa légèreté, même si j'avais peur pour lui... Je savais qu'il se faisait gronder par ses parents et j'étais très inquiète qu'il puisse le punir... Quand j'y réfléchis maintenant, je crois que j'avais juste très peur qu'on ne puisse plus se voir un jour...
Mon cœur se serre un instant sous ces mots tandis qu'une main lâche les rennes pour venir se poser à l'endroit de mon collier, toujours caché sous mes vêtements. Après tout, c'est exactement ce qu'il s'est produit le jour où j'ai été adopté. Le jour où mes parents sont morts... Je sais que c'était des criminels, et qu'ils ont mérité la peine qu'ils devaient payé, que leur mort n'était qu'un accident parce qu'ils ont résistés mais... J'aurai vraiment aimé pouvoir vivre auprès d'eux plutôt qu'à la capitale.
Et soudainement, je sens l'émotion grandir un peu trop en moi à ces pensées, me rappelant pourquoi je suis venue ici en premier lieu. Ce n'est pas tant pour me remémorer ces souvenirs que pour leur dire adieux.
Mais heureusement pour moi, nous arrivons enfin au village.
- Bon, allons te chercher des vêtements.
D'un simple mouvement, je tire sur les rennes pour diriger Bergamote vers là où je me souviens avoir acheter des robes avec ma mère. Et fort heureusement pour moi, la coutière est toujours là. Descendant la première de ma monture, j'attrape ensuite Kahlua et la pose au sol tandis qu'elle est toujours emmitouflé dans ma cape.
- Allez viens, et choisi tout ce que tu veux.
Bon. En attendant, regardons les vêtements. Selon mes préférences, je traverse la boutique en sautillant pour tenter de trouver une jolie robe. Il ne reste plus qu’à savoir de quelle couleur je vais bien pouvoir la prendre… Aloors, cette fois, ce sera… Celle-ci ! J’en attrape une avant de revenir vers Ma’ et de lui montrer.
– Celle-ci !
Elle est bleu clair, dans les couleurs pastel, avec des dessins de fleurs blanches un peu partout. Assez simple, ample au niveau des jambes : de quoi pouvoir continuer à vagabonder partout ! Je lui laisse alors le vêtement avant de refaire un tour dans la boutique, à la recherche de… chaussures. Il ne me faut pas bien longtemps pour en sortir une paire de chaussures fermées, avec un fermant qui a une boucle argentée et qui passe sur le dessus du pied. Je retourne vers Ma’ avant qu’elle ne m’indique la cabine pour aller essayer les vêtements. Pendant ce temps, j’en profite pour poser cette question qui ne m’a pas quittée. Et que je n’ai jamais osé poser devant Pa’. Je suis sûre qu’il l’aurait mal pris…
– Ma’. Est-ce que tu aimes toujours Pa’ ? Tu as l’air tellement triste quand tu parles de vous deux…
Comme si tu regrettais ces moments ensemble…
Un moyen de fuir la question qui me met soudainement mal à l'aise ? Oui, je l'admets. Alors je la pousse vers la cabine et lui souris avant qu'elle ne referme le rideau sur elle, me laissant seule avec Haku pour réfléchir.
Devrai-je lui dire la vérité ? Dans tous les cas, je n'ai pas tellement envie de mentir. Mais si je lui avoue que je n'ai jamais cessé d'aimer son père, n'ira-t-elle pas le lui dire ? Et à ce moment là, la croira-t-il ? Et si oui, que fera-t-il alors ? Si jamais... Si jamais il s'inquiétait pour moi et tentait quelque chose... Alors toutes ces années loin d'eux n'auraient servi à rien. Il les mettrait tous les deux en danger pour tenter d'alléger ma peine...
Si tant est qu'Elion me pardonne mes choix... Et ça, au vu des sacrifices qu'il a choisi de faire pour élever notre fille, je doute qu'il y parvienne un jour. En y réfléchissant, même s'il devait savoir que je l'aime et que je l'ai toujours aimé, je doute très sérieusement que cela change quoi que ce soit à la haine qu'il ressent pour moi aujourd'hui.
Alors, soufflant longuement, je m'avance jusqu'à la cabine et m'adosse contre un mur non loin tandis que Kahlua est toujours entrain de se changer dedans.
- Je n'ai jamais cessé de l'aimer. Tout comme je t'ai toujours aimé, toi aussi. Même si... Même si l'on ne m'en donne pas le droit.
Oui, je n'ai pas le droit de vous aimer, ni l'un, ni l'autre. Et pourtant, qu'importe ce qu'ils me demandent ou me disent, je refuse de laisser tomber cet amour. Il fait parti de moi, il me définit. Alors même si éprouver ces sentiments pour eux me condamne à la tristesse, je refuse de les abandonner, de les changer.
Mais je n'ai pas envie de me morfondre plus sur moi même. Aujourd'hui, j'ai la chance de pouvoir partager cette journée avec ma fille. Une chance unique qui ne se reproduira plus jamais. Il est donc hors de question que je n'en profite pas. Pour une fois, je veux être la mère que j'aurai toujours voulue être pour elle, et qu'elle mérite. Alors à peine sort-elle la tête de la cabine que je la regarde, émerveillée par cette presque jeune fille qu'elle est devenue.
- Tu es magnifique comme ça.
Puis je me tourne vers la vendeuse.
- On prendra le tout, et aussi cette cape au cas où le temps se rafraichisse. Ah, et ce petit nœud aussi.
Un jolie nœud bleu qui servira à attacher ses cheveux pour qu'elle ne les ait pas dans les yeux. Et si tôt dis, si tôt acheté. L'avantage c'est qu'il n'y a pas besoin de paquet puisque la miss a du tout enfiler directement, je garde juste nos deux capes sur le bras avant de rejoindre ma monture et de les mettre dans les sac de selle.
- Bien, maintenant que tu es rhabillée, je te propose qu'on aille mangé et après, je te montrerai là où on avait notre château fort avec ton père.
Je me demande si notre cabane de bois à survécu tout ce temps ou si elle s'est faite démantelée sauvagement...
Je lui souris, bien que moins enthousiaste que peu de temps auparavant. Peut-être n'aurais-je pas dû poser cette question. En tous cas, sa réponse sonne bizarrement à mes oreilles. Probablement parce que je ne comprends pas ce qu'elle sous-entend par ces mots-là. On ne m'en donne pas le droit. Qui ? Quoi ? Comment ? Pourquoi ? C'est bizarre, non ? Si je n'ai pas le droit de faire quelque chose, c'est parce que Pa' ou Ma' me l'interdisent. Mais Ma' est adulte. Elle devrait pouvoir faire ce qu'elle veut. N'est-ce pas pour cela qu'on veut devenir adulte, par ailleus ?
– Ma'. Est-ce que le lieu dans lequel on va manger, tu y as déjà été ? C'était avec Pa' ?
Ma main se dirige alors vers un objet pour le pointer du doigt. Devant une maison, il y a une sorte de statuette représentant un animal que je ne reconnais pas. Il a juste l'air gros et féroce, sans pour autant être comme les dragons des légendes.
– Et ça, c'était déjà là quand tu habitais ici ? C'est quel animal ? On en voit beaucoup dans les environs ?
Je me demande bien à quel point cet endroit est différent de la capitale. Et à quel point il a pu changer depuis son dernier passage, avant ma naissance visiblement...
- Non, nous mangions chaque jour chez nos parents respectifs, où chez les parents de l'autres quand nous décidions de rester ensemble le midi, rarement le soir. La seule nourriture qu'on achetait tout seul, c'était des pâtisseries.
Quand j'étais enfant, j'en raffolais. J'ai eu l'occasion de toutes les tester mais mes préférés ont toujours été ces petits choux à la crème que faisait la boulangère, surtout quand elle rajoutait une couche de chocolat dedans avec la crème.
Une friandise que je n'ai plus pris depuis qu'il m'en a offert à la capitale... Quand nous nous sommes retrouvés. Maintenant, à chaque fois que j'en vois, mon cœur se serre de solitude... Mais aujourd'hui, je suis avec Kahlua... Alors je pense que ça ira si je lui fais découvrir ça.
- Si tu veux, on ira en chercher en dessert. Je te ferai goûter mon gâteau préféré.
Puis je regarde la petite statuette qu'elle m'indique, tentant de rechercher dans ma mémoire si tout cela me parle. Du coin de l'oeil je regarde Haku, après tout, c'est lui qui a une mémoire de mist.
"Je te rappelle que je n'existais pas encore à cette époque..."
Vrai qu'il découvre tout cela en même temps que Kahlua lui...
- La forge me parle, mais la créature devant... Je crois que c'est un Smilodon calciné. Et cette statuette ne me parlant pas plus que ça, je suppose qu'il n'y était pas avant. Et fort heureusement non. En tout cas, je n'en ai jamais vu en vrai.
Puis nous arrivons à la petite taverne ou je m'installe à une table avec ma fille. Le serveur nous accueil gentiment et lui demande ce qu'ils ont au menu, la liste faite, je fixe alors ma fille.
- Encore une fois, prend tout ce que tu veux, à condition de finir.
Après tout, il ne faut pas gaspiller.
J'hésite un moment avant d'enfin répondre, levant les yeux vers le serveur.
– Mmh... Comme vous n'avez pas l'air de faire de menu enfant, c'est possible d'avoir un demi cordon bleu ?
Le serveur grimace et semble hésiter. Faire un cordon bleu pour le couper en deux, ça ne doit pas être terrible, je suppose...
– Ou si vous pouvez en faire un plus petit, je veux ça.
La solution n'a pas l'air de lui plaire non plus.
– Je vais voir ce qu'on peut faire. Je reviendrai vers vous si ce n'est pas possible. Dans tous les cas, les cordons bleus sont servis avec des pommes de terre sautées.
Il se tourne alors vers Ma'.
– Et vous, avez-vous décidé ce qui vous ferait plaisir ?
– Oh, et de l'eau s'il vous plait !
Une fois que le serveur a tout noté, il disparait pour aller prendre d'autres commandes, s'arrêtant à différentes tables avant de disparaître.
Pendant ce temps, je me remémore les mots qu'elle a prononcés auparavant, me disant que c'est un lieu que Ma' découvre en même temps que moi ici.
– Ma'. Est-ce que, à première vue, la ville a l'air d'avoir beaucoup changé ?
La forge a l'air d'être au même endroit d'après ce qu'elle a dit, mais des choses ont dû changer… Comme partout, en autant de temps.
La ville a t-elle vraiment changée ? Où est-elle simplement différente vu de mes yeux maintenant adultes ? Hm, difficile à dire, d'autant que mes souvenirs sont lointain maintenant.
- Certaine maisons ont changés oui, tout semble plus petit qu'avant mais c'est surement du au fait que la dernière fois que j'étais là, j'étais encore plus jeune que toi aujourd'hui. Cela dit, j'arrive encore à me repérer, un peu. Par exemple, la couturière n'a pas bougé d'endroit, les rues sont toujours les mêmes et cette auberge est toujours là aussi, même si je n'étais jamais à l'intérieur.
Et je me demande si ma maison est toujours là. De mémoire, elle était situé à trois rues d'ici, en périphérie de la ville, tandis que celle d'Elion était totalement à l'extérieur, avec de nombreuses parcelles de légumes à entretenir tout autour, et une basse-cour avec de nombreuses volailles. Je me souviens que j'aimais bien ce lieux, mais lui le détestait tant ses parents était exigeant avec lui.
Devrai-je montrer tout cela à Kahlua ? Je ne sais pas trop, mais j'aimerai au moins repasser devant chez moi, quitte à ne pas lui dire que c'est là où j'ai grandi. Après tout, c'est une des raisons qui m'a faite revenir ici...
Ça et aller dans la forêt pour retrouver notre terrain de jeu favori... Revoir cette petite cabane perdue dans les arbres que nous avions si bien aménagée avec Elion.
Heureusement, les plats arrivent enfin, me sortant de mes réflexions. Et malgré l'assiette pleine devant moi, je reste un moment à regarder ma fille se battre avec son petit cordon bleu fait spécialement pour elle. Est-ce que ça lui suffira vraiment ? Au pire... On se rattrapera sur les sucreries.
Je souris un moment, profitant simplement d'être avec elle...
Même si c'est probablement la seule et unique fois que ça arrivera...
C'est toute contente que cette fourchette arrive dans ma bouche, le fromage encore tout chaud et fondu y finissant alors que… Ouaaah, c'est tellement bon ! Il ne faut juste pas oublier les pommes de terre. Chose que je m'attaque à terminer en premier, histoire de garder cette histoire toute douce de fromage en tout dernier. Même s'il est un peu fort en goût. Mais c'est bon quand même.
Je finis une bouchée de pommes de terre avant de finalement lui reposer une question.
– Et, et. Pour le village, il n'a pas grandi un peu depuis la dernière fois ? L'endroit semble quand même bien plus petit que la capitale.
Il n'est pas non plus comparable au village perché, cet endroit où toutes les maisons sont perchées sur les arbres, toujours plus haut. Dans ce lieu, il est difficile de se rendre compte du nombre de personnes qui peut y habiter.
Je continue mon repas tranquillement, commençant à finir calée alors qu'il ne reste plus que quelques pommes de terre dans l'assiette que je m'efforce de manger avec difficulté. Un peu d'eau la fera passer. Oui. Faisons comme ça. Et c'est avec satisfaction que je me pose contre le dossier de ma chaise, observant Ma'.
– J'ai réussi à finir, j'peux pas manger plus ! On peut attendre un peu plus tard pour le dessert ?
Je ne compte quand même pas le laisser passer, celui-là.
Je baisse un peu la tête, soufflant de dépit. C'est bien pour ça qu'Elion a choisi ce petit bout de femme dans un endroit comme la capitale... Pour les opportunités qu'il y existe. Une chose que je peux comprendre, même si à mon sens, c'était clairement une erreur.
Ils auraient été beaucoup plus heureux s'ils étaient revenus ici.
Tandis que je mange ma salade en face d'elle, je me laisse bien souvent aller à l'observer, la couvant de mon regard, soucieuse du moindre de ces désirs, de la moindre de ces réactions. Si seulement j'avais pu être là plus souvent pour elle, partager plus de moment comme celui là ! Mais non. Et ce sera encore pire à partir de demain...
Et même si mes yeux se voilent de tristesse un instant, je décide de chasser ces pensées d'un mouvement de tête alors que je termine mon assiette quelques instants avant Kahlua.
- Oui bien sûr, on est pas pressé. Allons plutôt nous dégourdir les jambes dehors, ça nous aidera à digérer pour pouvoir en profiter !
Lui souriant, je me redresse pour appeler le serveur et régler l'addition.
- Dites, je vous regarde depuis tout a l'heure et... Je me demandais si vous étiez pas déjà venu ici ?
Je blêmis un peu, le dévisageant un moment... Si mes souvenirs sont exactes, un des grands qui embêtait souvent Elion était le fils de l'aubergiste. Un type que j'ai frappé à maintes reprises et qui m'a encore plus répondu.
- Non, c'est la première fois.
- Vous êtes sûres ? Parce que votre visage m'est familier...
- Vous devez faire erreur. Aller viens Kahlua, allons y.
- Kahlua vous avez dit ?!
Et merde.
- Mais si ça me revient maintenant ! T'es la fille Kayne qui a été adopté par la garde civile ! Lunarya !
Fais chier.
- Viens Kahlua, allons y.
La meilleure des défenses étant encore l'ignorance... Je ne suis clairement pas venu pour renouer avec mon passé et parler à de trop vieilles connaissances... Alors je me lève sans un regard de plus au serveur et tend la main vers ma fille pour qu'elle me suive.
- Non mais ! Attends ! J'ai dis quelque chose de mal ?! Lunarya ! Re... Reviens !
Et alors que le type s'exclame, à ma suite, tous les regards se tournent vers moi. Pour autant, il est hors de question que je m'arrête, fonçant comme une mule vers la sortie sans me retourner en tirant ma fille derrière moi.
Et ce n'est qu'une fois sortie de l'établissement que je prends le temps de souffler avant de reposer mes yeux sur l'amour de ma vie.
- Allons dans la forêt voir si cette cabane a survécu.
Mais nous nous arrêtons et, serrant toujours sa main dans la mienne, je l'observe et hésite un court moment.
– Ma'... Comment cet homme peut connaître mon nom ? Je ne suis jamais venue ici, non ?
Elle s'arrête un instant, semblant réfléchir quelques secondes avant de finalement souffler et répondre à ma question tout aussi innocente que moi.
– Princesse Kahlua. C'est le nom que je m'étais trouvé dans nos jeux d'enfants… Ton père était mon chevalier, et son rôle était de me protéger. Je t'ai donné ce nom parce que, à partir du moment où tu es née, c'est toi qu'il devait protéger et rendre heureuse.
– Oh, mais, et… J'hésite un moment à nouveau, n'ayant pas trop envie de remuer un couteau qu'il ne faudrait pas. Mais trop curieuse pour laisser passer cette possibilité d'avoir des informations sur Ma'. Ce monsieur te connaissait assez pour savoir ça ? Tu le connaissais ? Ce n'est pas l'impression que tu donnais, c'est bizarre… Non ?
– C'est un petit village, et il est un peu plus vieux que moi. Alors oui je le connais mais... Je n'en garde pas particulièrement de bon souvenir. Et je préfère largement passer du temps avec toi que de recroiser des connaissances de mon passé.
– D'accord, mais, hm… Il n'y a personne que tu aurais souhaité revoir ici ? Ou… ils sont tous partis ?
– Il n'y a personne non… Enfin… Non. Quand j'ai décidé de revenir ici, c'était plus pour pouvoir revoir les lieux que les gens.
– D'accord…
Je la quitte des yeux un instant, observant rapidement les alentours. Je peux comprendre son faible attachement aux humains, après tout, je ressens la même chose avec la plupart des personnes rencontrées jusque là... Alors.
– Elle est où, cette cabane, du coup ?
Partons avant qu'il ne revienne s'il lui en vient l'idée. Nous repartons donc main dans la main, s'éloignant un peu du village pour se rapprocher d'une forêt. Après tout, les cabanes en pleine ville, je doute que ça doit exister... Si on oublie les nids d'oiseaux. Après quelques minutes de marche silencieuse, nous observons les alentours. Est-ce qu'il devait vraiment se trouver quelque chose ?
– Ma', on est au bon endroit ? Il… n'y a rien.
Conduisant ma fille au travers des broussailles qui jonchent le sol, je fais un effort de mémoire pour me rappeler de sa localisation exacte. Mais avec le changement d'échelle du au fait que j'ai relativement bien grandit depuis, c'est un peu compliqué, cherchant un peu trop en hauteur alors qu'en réalité...
Et finalement, après cinq bonnes minutes à me concentrer, je fini pas repérer une vieille marque dans le bois. Une griffure que j'avais gravé il y a longtemps sur le tronc d'arbre qui passait au milieu de la cabane... A la base c'était un cœur avec un E + L au milieu, mais j'avais peur qu'Elion découvre mes sentiments pour lui, alors je l'ai raturé sauvagement.
La marque à hauteur de ma tête d'adulte, je passe une main dessus, me souvenant clairement du moment où je l'ai faite.
- C'est ici...
Je regarde autour de moi, et quelques bribes du paysage me rappellent des souvenirs, même si tout à bien changer... D'ailleurs on peut voir encore quelques trous de clous dans les troncs à côté de celui que je touche, dernier restes d'une époque maintenant oubliée...
- J'ai peur qu'il n'en reste plus rien finalement... Désolé Kahlua.
Un peu comme ma relation avec ton père... Ce constat me rend plutôt triste. L'espace d'un instant, mon regard se perd dans le vague avant que la petite main dans la mienne ne me rappelle à l'ordre.
- J'ai bien peur que ce petit paradis que nous avions construit ne vive maintenant plus que dans nos souvenirs... Pour autant, nous sommes là toutes les deux alors... Que souhaiterais-tu faire ma puce ? On peut... Construire une petite cabane nous même ou alors... Je peux te raconter des histoires du passé... Ou...
Ou on pourrait rentrer, et mettre fin au supplice d'Elion qui doit être dans tous ces états... Mais cette dernière option ne me plait pas tellement...
Je réfléchis alors un instant à ses propres mots, remarquant que je n'ai pas du tout répondu à la question de Ma', ou plutôt à ses différentes propositions. Dont une qu'elle laisse en suspens. Ou… On pourrait faire la sieste. Regarder le ciel d'ici en profitant de la brise et de la fraîcheur que la campagne nous apporte, loin du brouhaha ambiant et habituel de la capitale. Ou sinon, on pourrait… Je ne sais pas. Ah, si peut être.
Gardant la main de Ma' dans la mienne, je commence à plier mes genoux pour me rapprocher du sol jusqu'à m'y asseoir lentement, l'incitant à me suivre alors que je l'observe en souriant.
– Je n'ai pas trop envie de faire une cabane. Et puis... Je n'en vois pas trop l'intérêt. Des cabanes y en a partout pour les oiseaux.
Je lui souris en pensant à toutes les petites cabanes que l'on peut trouver partout : artificielles ou non, les deux existent, et n'importe quel trou juste assez grand pour m'accueillir peut faire office de cachette sans qu'il n'y ait trop à se prendre la tête. Et souvent le confort n'a pas trop d'intérêt dans ces conditions : les oiseaux n'en ont pas grand chose à faire tant qu'il fait assez chaud.
– On peut juste profiter un peu ici. Faire une sieste si tu es fatiguée. Ou tu peux juste me raconter d'autres histoires de ce que tu faisais avec Pa'. Ou de... Si... tu vas finalement le lui dire, que tu l'aimes ? Je... Je ne sais pas si je pourrai lui cacher quand on rentrera. Après tout...
J'hésite quelques secondes, l'observant avant de venir me blottir dans ses bras.
– J'aimerai tellement qu'on puisse vivre ensemble tous les trois.
Juste tous les trois. Un rêve qui paraît devenir de plus en plus proche de la réalité. Après tout, si Ma' aime Pa', qu'elle le lui dit… Comment Pa' va réagir ? Est-ce qu'il va l'accepter ? L'envoyer promener ? Moi aussi je pourrai gronder Pa', comme il le fait parfois, pour lui montrer mon mécontentement ? J'ai un peu peur de le faire si jamais ça arrive, mais s'il le faut… Si ça peut changer quelque chose… Je le ferai ! Pour mon rêve.