Après sa soirée aux sources, la veille, et sa rencontre avec un drôle de zigoto, elle s'était dégotée une auberge qui avait accepté un coup de main en cuisine en échange d'une petite chambre de bonne pour la nuit. Ils avaient même apprécié ses plats et sa discussion et lui avaient offert le déjeuner. Ensuite, l'homme, un peu bourru, mais au cœur grand comme ça, lui avait indiqué où trouver une boutique dont le propriétaire, un ami de longue date, se ferait un plaisir de lui montrer la ville sous toutes ses coutures. Et bien sûr, comme à son habitude, la prêtresse s'était perdue... Elle avait pourtant conscience des risques, et aurait dû demander qu'on la mène directement à son guide, mais n'avait pas osé s'imposer et déranger davantage.
Avisant un homme qui traversait la rue en sens inverse, Merry hésita. Se moquerait-il si elle avouait s'être perdue malgré les nombreuses indications visibles ? Et s'il lui indiquait le mauvais endroit volontairement ?! Elle risquait de se retrouver dans des rues mal fréquentées... Et son récent duel avec Sofia lui avait laissé une cicatrice à l'ego dont la blanche ne s'était pas encore remise et qu'elle se refusait à mettre à nouveau à nue. Mieux valait considérer qu'elle était incapable de se défendre correctement pour l'instant, et faire profil bas. Mais continuer d'errer risquait de la fatiguer inutilement et de la mettre de mauvaise humeur, ce qui aurait été bien dommage...
- Excusez-moi ! Bonjour ? Je... Heum... Je cherche la boutique de l'Encapé, rue des tanneurs, je crois... Vous sauriez me l'indiquer ? Je suis supposée y trouver quelqu'un capable de m'apprendre tout ce qu'il y a à savoir sur cette ville... Enfin, sauf si vous connaissez un meilleur guide ?
Oui, elle avait décidé de prendre le risque, envers et contre tous. Et puis, si cet individu pouvait lui faire visiter, pourquoi en chercher un autre ? Merry n'en connaissait de toute façon aucun des deux... Elle ajusta sa besace sur son épaule, par-dessus sa cape de voyage qui cachait la tenue offerte par ses hôtes du Village Perché, un pantalon simple noir de jais, et une tunique bleue nouée à la taille par un gros ruban. Sa longue chevelure était remontée en un savant chignon tressé qui laissait malheureusement son cou nu et soumis aux bourrasques glaciales. Un violent frisson la fit frissonner des pieds à la tête tandis qu'elle ajoutait :
- Si vous pouviez également m'indiquer un tailleur, je vous en serais reconnaissante. Je crois que ma tenue n'est pas adaptée au froid rigoureux de cette région.
Oh, non, il n'est pas lassé de ses nouvelles fonctions. Au contraire, c'est un honneur et une fierté. Mais comme toutes choses, bonnes ou mauvaises, l'excès n'est jamais vraiment bon. La tête dans les parchemins depuis des lunes, et quand bien même le Nord possède sont lot de glace et de froid hivernal, Harald frôle la surchauffe cérébrale et il était nécessaire de refroidir tout ceci dans une promenade, incognito pour une tranquillité totale, en dehors des responsabilités. Une nouvelle bouffée d'air, une oxygénation de son emploi du temps pour une pause amplement méritée.
Habillé d'une longue fourrure aux épaules sur une tunique serrée à la taille, des braies de cuirs où le fourreau de son épée tape régulièrement contre sa jambe puissante, chaussé par de longs bottes qui finit en-dessous des genoux, la neige craque sous ses pieds tandis qu'il erre dans les entrailles de La Forteresse.
Il aimait marcher dans les étables, où les tubercules sont les maîtres sur chaque stand. Un sourire au lèvres pour apprécier la cacophonie ambiante ; des crieurs qui annoncent leur promotion sur ses concurrents, des enfants qui jouent à la balle ou avec la neige. Des potins sifflés dans un groupe de femmes âgées, quand ces dernières ne sont pas en train de râler sur leurs propres enfants, maintenant adultes aujourd'hui. Un brouhaha désagréable pour beaucoup, ajouté à ça le froid mordant, le nez qui coule et les lèvres gercées, et nous avons un enfer glacial dont moult citoyens d'Aryon se passeraient de vivre. Mais, pour lui, c'était l'une des meilleures choses qui lui soit arrivé depuis des lunes, se rappelant de ses premières patrouilles en tant que garde, et réaliser que le temps passe. Incroyablement vite, un sablier où les grains tombent dans un débit surhumain.
Quelques cheveux blancs, des batailles, et des centaines d'entraînements plus tard, le voilà Capitaine. C'est sur cette pensée qu'un sourire fendit ses lèvres dans sa barbe épaisse, jouant avec les deux tresses qui ornent son bouc qu'il attend une voix. Fluette, féminine, un oisillon égaré. Il se retourne cherchant des yeux ladite voix avant de détailler la jeune femme, belle, élancée, son derme pâle sur un visage de poupée, un océan est scellé dans ses yeux, le regard décoré par une chevelure d'argent attachée dans une couronne tressée, fait perturbant est qu'il ne puisse pleinement définir le sentiment qu’elle l’inspire.
« Bonjour, madame. La boutique de l'Encapé ? Bien sûr, je vous y conduis. »
Un autre fait, plus amusant, c'est qu'elle ne le reconnut pas. Plus qu'amusant, c'est très rassurant pour l'homme qui surplombe de toute sa masse cette étrangère égarée de pouvoir agir dans l'anonymat, qui le protège pour cette journée dédiée au repos qu'il convoitait depuis longtemps. Pas de gardes dans les environs, il se dit qu'en toute humilité il pouvait rendre service à autrui sans passer par des dizaines de démarches ou de blablas solennels. Une moue compatissante tandis qu'il pouvait apercevoir l'outrage du climat déverser ses caprices sur son corps. Instinctivement, il retira sa longue fourrure de grognours qui décore ses épaules afin de la couvrir, sa chaleur corporelle réchauffant suffisamment le vêtement pour une étreinte chaude et confortable.
« En attendant l'arrivée chez le tailleur. » Qu'il murmure d'une voix douce.
Fils du Nord, apprivoisant le froid depuis des années déjà, il indiqua d'une main sans trembler la direction tandis qu'il marcha à ses côtés.
« Nouvelle arrivante à La Forteresse ? Bienvenue, dans ce cas. Harald. » Qu'il fit en se présentant, tendant une main dans sa direction.
- Merci, hâtons-nous dans ce cas, je ne veux pas que vous attrapiez la mort par ma faute !
L'épaisse fourrure avait emmagasiné la chaleur de son porteur, et celle-ci apporta aussitôt à la prêtresse un sentiment de réconfort malgré sa gêne. Elle se cala sur son pas fait de longues allonges en répondant avec un immense sourire :
- De passage seulement, mais merci ! J'entreprends un long voyage à travers tout Aryon, afin de mieux servir Lucy à mon retour. Je suis une prêtresse du Temple du lac, mais je suis loin de chez moi ici, alors appelez-moi simplement Merry, Harald. Quel genre de travail faites-vous ? Oh, laissez-moi deviner ! Bucheron ? Je vous imagine bien fendre des bûches en un coup avec des bras pareil !
Son regard azuré ne cessait de sauter d'un élément à un autre et à un croisement, alors qu'elle devait tenir à deux mains la cape pour empêcher la bourrasque de la lui arracher, elle demanda de but en blanc :
- Est-ce toujours comme ça, le temps, ou suis-je arrivée un mauvais jour ?
L'éternelle enfant shootait dans des tas de neige, le regard pétillant malgré son nez écarlate et ses doigts engourdis. Elle sautait parfois dans les pas de l'homme, bien plus imposants que les siens, en pouffant. Jamais elle n'aurait cru que la neige changeait autant un paysage ou même la façon de vivre ! Elle vit des enfants qui cassaient des stalactites sous un porche en rigolant avant d'en croquer le bout et s'exclama, inquiète :
- Ils ne risquent rien à manger la glace comme ça ?
Silencieusement, il écouta avec attention, l'histoire de cette voyageuse, ambitieuse d'une grande épopée à travers tout le Royaume. Il observa dans ses yeux sa volonté, sa détermination, mais aussi la foi qui brillait de mille feux dans ses prunelles. Mais... Une question lui était retournée, et Harald n'aimait guère mentir. Mais il voulait garder son statut d'homme serviable, et il voulait qu'on le regarde comme un simple homme, et non un Capitaine de la Garde à qui il faut ployer le genou à la moindre caprice. Alors, comment contourner tout ceci ? Oh, il y a peut-être bien une solution.
« Enchanté, Merry. Vous êtes admirable, puisse Lucy vous récompenser dans votre voyage, et vous protéger des hostilités par sa lumière Divine. Pour ma part, je ne suis qu'un simple Garde du Blizzard, le Bastion du Nord. Une épée parmi tant d'autres pour protéger la région et le reste du Royaume. Contrairement à vous, je reste enraciné ici. Mais, il est souvent arrivé d'être en déplacement dans les quatre coins d'Aryon. Sur le champ de bataille, en patrouille, en expédition. »
Dis dans un ton neutre pour traduire son humilité, sa voix s'éteint doucement, un bras fera bouclier devant l'énième bourrasque glaciale qui embrasse la région de son froid mordant. A cela...
« Vous arrivez dans un jour assez mauvais. Mais, il y a pire ! Tout comme il y a beaucoup mieux, aha. Ce temps peut rester des jours entiers sans discontinuer. »
Nous poursuivons le chemin, nous ne sommes pas si loin de notre destination. Merry, comme une enfant curieuse, dépaysée par l'endroit, lui arrache un rire amusé sur sa dernière question. C'est vrai qu'en analysant les enfants dans cette situation si singulière, beaucoup de touristes pourraient se poser la même question. Pas évident pour Harald, car lui aussi faisait la même chose étant enfant. La meilleure position pour avoir une réponse claire et limpide.
« Le seul risque, c'est de laisser sa langue trop longtemps contre la glace. Mais sinon, si vous voulez vous faire un avis... »
Il se décale pour s'approcher du porche et d'un geste ferme arracher deux stalactites. Avant d'en tendre un dans sa direction.
« ...Vous y arriverez ? Voyez ceci comme une expérience de voyage que vous pourrez raconter aux habitants du Sud. "J'ai mangé la glace du Nord". »
Sur ses mots, ses mâchoires broient un morceau avant de croustiller entre ses dents. Attendant tout simplement qu'elle fasse de même, avant de lui indiquer d'un bras la direction à prendre lorsqu'ils arrivent dans un carrefour. Les gens circulent dans plusieurs courants différents, des charrettes transportant des stères de bois, ou bien des sacs de blé ou légumes secs. Des crieurs annoncent les nouveautés du Royaume, des enfants jouent à la bataille de boules de neiges, et bientôt, l'enseigne de la boutique de l'Encapé plus loin.
- Des jours ?! Mais c'est terrible ! Vous devez avoir envie de vous enrouler dans des fourrures au coin du feu et de ne plus en bouger... Oh, y a-t-il des conteurs dans la ville ? J'adorerais entendre les légendes locales !
Ils avaient atteint le groupe d'enfant et le garde du Blizzard lui proposa de s'essayer à leur pratique, la provoquant presque pour l'inciter à céder après lui avoir tendu la spécialité locale. Et il est vrai qu'ayant commencé par regarder le bout de stalactite de travers, la blanche n'aurait sans doute pas craqué s'il n'avait pas insisté. Les sourcils froncés, elle entrouvrit les lèvres, hésita à nouveau sous les rires des enfants, puis se résolut à la croquer. Le froid envahit aussitôt sa langue, puis l'intérieur de ses joues. Au-delà de ça, elle fut presque déçue de découvrir que la glace n'avait pas un goût particulier et se contentait de fondre tout bêtement. Posant les mains sur ses hanches, le buste bien droit, Merry leva le pouce fièrement en reprenant la phrase d'Harald :
- J'ai mangé la glace du nord... Et c'était froid ! Froid, mais génial !
Elle grimaça et les enfants éclatèrent de rire avant qu'elle n'en fasse autant. D'un signe, elle souhaita une bonne journée aux petits et prit la direction indiquée par son guide en demandant, se souvenant de la mise en garde :
- Pourquoi ne faut-il pas laisser sa langue dessus, au fait ?
La boutique apparut bientôt, entourée d'autres échoppes lui ressemblant, et la prêtresse demanda timidement :
- Vous voulez bien m'y accompagner et me conseiller ? Je ne connais ni les matières ni les tarifs, j'aurais peur que le vendeur en joue. Mais je comprendrais, si vous refusiez ! Je ne veux pas abuser de votre temps. Vous avez déjà eu la gentillesse de me guider, et de me parler de votre ville, c'est bien assez.
« Eh bien... Tout bêtement, votre langue ne décollera pas de la glace. Ça devient douloureux au bout d'un moment si vous ne trouvez pas une source de chaleur pour la retirer de sa surface. Pour des raisons évidentes, je ne ferais pas de démonstrations, vous en conviendrez. »
Déjà sur la route, il en profita également pour expliquer un petit peu leur localisation.
« Nous nous trouvons dans le Bourg. C'est là où la vie dans notre région est la plus animée. Normalement vous trouverez tout ce qu'il vous faut pour avoir le nécessaire. La boutique de l'Encapé n'en est qu'une parmi tant d'autres. Je ne crains par contre que vous ne trouverez guère les frivolités, ou bien des hors d'œuvres extrêmement bien détaillés. Ici, on va au simple et à l'efficace. » Qu'il termine, strict.
Il approcha ensuite son oreille dans sa direction lorsqu'il écouta la proposition la voix fluette et timide de Merry. Il aurait presque voulu lui couper la parole pour effectivement accepter d'office, mais assez curieux des arguments qu'elle avançait. Effectivement, elle n'est pas à l'abri d'un charlatan, mais ici, nulle crainte.
« J'espère pouvoir vous être utile, allons-y. »
Il s'approcha de la porte en bois, lourde et épaisse, qu'il poussa d'un bras avant de laisser passer la voyageuse. Le réconfort d'un feu vient tout de suite rougir les joues de nos invités, un léger frisson traverse la colonne suite au choc thermique et on pouvait voir dans une seule pièce un comptoir, des étables, des fourrures suspendues un peu partout. Un homme roux, légèrement plus petit qu'Harald mais bien plus imposant aux épaules, accompagné d'une brune bien plus petite. Harald chercha machinalement sa capuche pour essayer de passer incognito, mais se rappelant bien vite que le vêtement se trouve aux épaules de Merry.
La sanction va très vite tomber.
« Capitaine Brive ! Que c'est bon de vous revoir ! S'exclame Brodir Steinkelsson, chasseur et tanneur, sous le regard très gêné de l'interpellé.
- Quel honneur de vous recevoir dans notre modeste établissement. Répond sa femme, tailleuse et couturière, Gyrid, qui se plie d'une courbette en remontant légèrement sa robe.
- Euh, je... »
Oui, il était bel et bien foutu. Brodir se rapproche pour faire le salut militaire du Blizzard, comme si cela ne suffisait pas.
« Qu'est-ce qu'on peut faire pour vous ? Oh, bonjour mademoiselle. »
Une lueur concupiscente dans les yeux tandis qu'il sourit dans sa longue barbe tressée. Sa femme vient tout de suite désamorcer la situation en se mettant en au milieu, coup de coude dans les côtes. Harald finit par lever la main dans sa direction.
« Cette demoiselle cherchait justement un tailleur pour être davantage parée au froid. » Qu'il tousse.
Et surtout, ne pas regarder notre chère dame...