J’époussetai d’un mouvement de la main la poussière du mécanisme qui était venu se perdre sur ma tenue. J’avais opté pour des vêtements confortables, mais Maximilia tenait absolument à ce que je porte des robes même lors de mes déplacements, même si cela devait se montrer inconfortable. Je l’entendais presque me rabrouer qu’elle ne supportait pas se voir dans un pantalon. Y repenser me fit lever les yeux au ciel, je n’aurais jamais pensé une seule seconde que mon adorable sœurette pouvait se montrer aussi exigeante pour des choses aussi futiles que des vêtements. Je me demande si l’image qu’elle reflétait à travers moi était sa véritable personnalité, ou bien juste l’illusion qu’elle désirait avoir d’elle-même. C’était une question qui resterait sûrement sans réponse indéfiniment.
« Qu’est-ce que je ne ferais pas pour ses beaux yeux, grommelai-je faiblement. »
Descendant mon chapeau pour me protéger du soleil, j’entamai mon périple au travers de la ville, foulant les lattes de bois qui grinçaient sous mes pas. C’était la première fois que je me rendais dans une autre ville que la Capitale, tout se ressemblait au point que j’avais la sensation d’avoir fini dans un labyrinthe. Je sortis mon morceau de papier où étaient gribouillées à la va-vite quelques indications.
Je devais ressembler à un pauvre touriste égaré avec ma carte et le ridicule morceau de papier que je me traînais d’une main, tandis que de l’autre, je tenais ma maigre valise. Je grimaçai, complètement perdu alors que je cherchais l’auberge dans laquelle je passerais mes quelques nuits le temps de mon séjour dans la cité. Mon voyage avait été éreintant, je ne souhaitais qu’une chose, m’installer et me reposer. Peut-être à une terrasse où je pourrais admirer la vue sur la forêt en contrebas. Et cet objectif me semblait si lointain alors que je m’étais complètement perdu.
Contrairement à nos croyances, la cité était vivement animée, alors que les bruyants mécanismes qui permettaient de se mouvoir entre les arbres faisaient apparaître encore une ribambelle d’habitants. Venant d’un hameau peu avancé, j’avais déjà eu l’impression d’arriver dans un nouveau monde en m’installant à la Capitale, mais c’était encore autre chose d’admirer le Village Perché. Il se décorait d’une végétation abondante donnant presque la sensation de vivre dans un milieu sauvage. Je regrettais que cette découverte ne se fasse pas en compagnie de ma sœur. Poussant un profond soupir, je repris mon expédition sans vraiment chercher à retrouver mon chemin plus attiré par la beauté du paysage environnant. Lorsqu’enfin mes pas m’entraînèrent jusqu’à une place commerçante. Celle-ci encore plus peuplée que le reste des endroits que j’avais pu visiter. Suspendue comme un plateau entre plusieurs arbres, qui étrangement ne semblait même pas émettre le moindre mouvement de balancement malgré la hauteur certaine qui le séparait du sol. Attirant l’attention d’un serveur qui passait non loin, je me permis de commander quelques sucreries. Il était d’ailleurs évident que c’était un accord tacite avec moi-même pour le cacher à ma sœur afin qu’elle ne vienne pas me reprocher qu’elle avait encore pris des hanches. Ma joue se déposa sans grande motivation dans la paume de ma main, je me demandais si un jour, nous pourrions juste retrouver nos corps d’origine. Lorsque je relevai les yeux, quittant les arabesques complexes du bois de la table, je rencontrai le regard d’un jeune homme. À son allure, je devinai sans grande difficulté à être face à un noble dont les manières laissaient à désirer alors qu’il s’était installé sans même émettre la moindre demande.
Je croisai mes jambes en lui décochant un sourire aimable. Les intentions étaient toujours les mêmes. C’était devenu fatiguant de vivre en permanence dans le corps d’une femme. Alors qu’il le prit comme une invitation, il ouvrit enfin son clapet, m’assommant de déclarations ennuyantes.
« Dégage, fut ma seule réponse. »
Je sentis sur moi un regard de merlan frit, son expression me fit exploser d’un rire non contenu. Il était vrai que l’apparence gracile de Maximilia pouvait laisser supposer qu’elle répondrait timidement à des avances un peu trop osées. Et c’était bel et bien le cas. Je penchai légèrement la tête, en croisant mes bras sur la table.
« Je ne me suis pas montrée assez claire ? Repris-je en faisant cliqueter mes doigts. Tu m’ennuies, je cherchais juste un endroit calme pour me reposer. »
Il s’offensa en commençant à crier en plein milieu de la place, attirant l’attention sur moi. Il me fatiguait.
« C-Comment oses-tu ? Hurla-t-il en me pointant du doigt. Tu… Tu n’as aucune tenue. »
Me redressant, j’attrapai son visage entre mes doigts, plantant mon regard dans le sien. La vermine ne s’exterminait pas tout seule, et s’il continuait, je pourrais bel et bien dire adieu à ma belle journée. Je resserrai ma prise alors qu’il avait cessé ses jérémiades.
« Je ne me répéterai pas. Fiche-moi la paix. »
Beaucoup d'événements du passé et du futur allaient bientôt la rattraper d'un coup, et il était plus que temps de savourer les quelques moments tranquilles qui lui restaient.
Alors qu'elle se promène, Java aperçoit au loin une jolie chevelure rose, accompagné d'un visage d'ange plus que familier. Elle a déjà vu cette gamine, plus d'une fois d'ailleurs, non ? En se rapprochant, elle avait vraiment l'impression qu'oui. Et lorsqu'elle fut assez proche pour entendre sa voix, elle eut confirmation de ses doutes, en même temps que la confirmation que quelque chose d'anormal était en train de se passer.
La petite herboriste qu'elle connaissait avait un vocabulaire bien plus châtié, en temps normal ! Comme les gentes dames dans les spectacles. Java attrape le gugusse qui dérange par l'épaule, et le fusille du regard.
▬ Fais comme elle a dit, sinon j't'apprends à voler sans ailes.
Le fait d'être un tas de muscle avec une tête à manger des sangliers crus doit aider, parce que le jeune homme prend immédiatement ses jambes à son cou. Java le regarde partir, puis prend une chaise pour s'asseoir en face de la demoiselle visiblement énervée.
▬ Ben alors, Maximimine ! C'est pas comme ça qu'tu parlais la dernière fois que j't'ai vue ! Il a vraiment dû t'énerver, ce vilain type, hein ?
La tête posée dans ses mains, accoudée à la table, Java sourit avec les yeux. Elle en a vu passer, des lourdauds qui embêtaient les jolies dames... Si elle avait su qu'un jour, elle verrait de ses propres yeux la jolie Maximilia toute grande se faire embêter comme ça ! C'était à la fois un peu émouvant, et un peu énervant. Elle mérite mieux, quand même !
▬ Ca fait un moment qu'on s'est pas vues, hein ? Mais j'suis contente d'te croiser ici. J'peux te tenir compagnie ? On rattrapera le temps perdu, et j'ferai fuir tous les guignols qui t'embêteront !
J’aurais certainement pu faire fuir cet imbécile seul, et sûrement que j’aurais remballé également la personne qui s’en était mêlée avant que cette voix familière ne me rappelle sans mal des souvenirs nostalgiques. Et si je devais les définir en un mot, ce serait « cool ». Encore maintenant, il était difficile de nier les bons moments passés en présence de Java.
Un rire étouffé traversa la barrière de mes lèvres tandis que l’homme s’enfuyait sans demander son reste, je ne serais pas étonné de ne jamais le revoir. Sûrement que mon langage fleuri ne devait pas naître de nulle part maintenant que j’écoutais la garde.
« Non, en effet, il faut croire qu’en quelques années beaucoup de choses changent, n’est-ce pas ? »
Je n’avais pas entendu que Java était allée se perdre dans les bois du Village Perché, c’était probablement la raison pour laquelle nous ne l’avons pas revue depuis quelque temps. Si l’on oubliait également notre entrée dans la Capitale qui n’avait pas dû aider la cause. Je retirai mon chapeau pour le déposer sur mes genoux, dévoilant la cascade rosée qui tombait sur mes épaules, avant d’enfoncer la joue dans la paume de ma main.
« Mais j’ai toujours appris des meilleurs, fis-je avec un sourire narquois. »
Je remontai le chapeau pour dissimuler mes lèvres, laissant échapper un léger rire sardonique, tandis que mes yeux se plissaient avec amusement. Ça n’était jamais arrivé à Maximilia, mais j’avais quelques souvenirs où j’avais mérité une bonne mandale derrière le crâne pour ce genre de réflexion. C’était un jeu entre nous, celui qui jouait au plus con, et c’était avec une grande fierté que je pouvais annoncer être le grand gagnant.
« Je suis contente de te revoir également, j’ai l’impression que ça fait des lustres que l’on s’est pas vues, t’as peut-être même pris quelques rides depuis la dernière fois. Mais c’est difficile de ne pas te reconnaître. »
Mon tact légendaire était reconnu depuis des années, je pouvais tenter d’imiter ma sœur, mais j’avais l’impression de sonner faux. Et je ne doutais pas une seule seconde qu’elle finirait par dissocier le vrai du faux. Parfois, je me disais que ça ne servait à rien de cacher nos identités, car si nous étions fusionnels, nous n’étions en rien similaires.
« Installe-toi, ça me fait plaisir de te voir, et ta compagnie est toujours bien plus plaisante qu’un abruti qui se pense supérieur. Et tu tombes à pic, je commençais à désespérer d’être perdue. »
Je fis un signe au serveur qui passa non loin de nous, car avec toute cette agitation, je n’avais pas été en mesure de prendre ma commande, il était donc temps de le faire, et rien ne serait mieux que de le faire en compagnie de la montagne de muscles qui se tenait à mes côtés. En plus de rappeler de bons souvenirs, j’avais un bouclier pour moi seul, et c’était étrangement plaisant comme situation.
« Tu veux quelques choses ? Je me permets de le payer pour te remercier de ton intervention. »
J’avais des milliers de questions à lui poser, mais à ce rythme, elle allait soit m’étouffer, soit s’enfuir – même si je l’imaginais peu s’enfuir ou tout du moins pas comme ce fichu gosse de riche. Je retraçai les nervures du bois de la table du bout de l’index, avant de m’adosser plus confortablement contre le dossier de ma chaise.
« J’aurais dix mille questions à te poser, mais avant tout, j’espère que tu pourras m’aider à me repérer dans ce labyrinthe, à ce rythme, je serai encore attendue durant des lunes par le commerçant. »
Le soleil avait légèrement décliné, nous offrant l’ombre de fin d’après-midi.
Elle est avant tout contente de revoir ce genre de bon gamin dans de bonnes conditions, et pas dans un scénario où elle devrait la courser dans tous les sens pour lui apprendre à respecter la loi. Et puis, ça se voit qu'elle a bien grandi, elle propose même de l'inviter ! Java regarde les tables aux alentours pour décider ce qu'elle veut, et pointe du doigt un homme assis devant une belle pile d'une demi-douzaine de pancakes couverts de meringues et de crème fouettée.
▬ J'veux ça ! Eh m'sieur, z'avez commandé quoi ?
▬ Pas mal, hein ? C'est une de leurs nouveautés pour le menu de la saison froide. Ils appellent ça le Déjeuner du Solstice.
▬ Ca, c'est un déjeuner digne d'un p'tit creux !
Elle hoche la tête avec satisfaction avant d'alpaguer un serveur pour passer sa commande et demander une carafe d'eau. Au cours de l'échange, elle se rend compte que le monsieur gourmand a confondu saison fraîche et saison froide, mais elle préfère ne pas relever. Le plus important, c'est qu'elle va engloutir une sacrée plâtrée de pancakes. Et maintenant qu'elle a ça dans la tête, tout s'annonce absolument parfait pour profiter d'une agréable conversation avec cette chère Max.
▬ J'vais te t'nir compagnie. Tu peux poser toutes les questions qu'tu veux. J'te guiderai quand j'aurai fini d'manger.
Java ne dit pas ce qu'elle pense, mais ça se voit dans ses yeux. Elle pourrait parler de n'importe quoi avec cette petite devenue grande, refaire le monde à l'endroit puis à l'envers, juste pour le plaisir de la redécouvrir. Elle lui apprendrait à faire un salto avant sans prendre d'élan si elle le voulait, ou vraiment, n'importe quoi : comment boire une bouteille à la verticale sans s'étrangler, l'école de combat de la mante orchidée, toutes les façons de retrouver son chemin sans boussole et sans carte, comment repriser une chaussette, sa recette de soupe à l'oignon... Peu importe ! La jeunesse est faite pour être instruite, pas vrai ?
« Avec joie, ça nous permettra de refaire connaissance, fis-tu en l’assommant d’un nouveau sourire rayonnant. »
Tu ne peux que te sentir touché par ses propos alors qu’elle prenait sur son temps uniquement pour toi et toi seul – enfin ta sœur, mais cela ne revenait-il pas au même ?
Tu apportas brièvement ta tasse fumante jusqu’à tes lèvres pour aspirer une gorgée silencieuse, puis après t’être allégé de quelques cristaux, tu commenças à échanger quelques banalités sans réelles valeurs, hésitant à dévoiler également la vérité, sur tout ce que vous aviez vécu avec ta sœur. Tu ignorais quelle serait sa réaction tandis que vous aviez piétiné un lieu sacro-saint par pure curiosité et que vous aviez été punis sans savoir si un jour vous seriez capables d’inverser ce processus. Pendant que tu parlais, un chat s’était approché de votre duo, curieux du ruban qui dépassait de ta manche. Machinalement, tu remuas ton bras pour le faire sauter au rythme de tes mouvements, jusqu’à ce qu’il se lasse et vienne s’installer sur une chaise un peu plus loin, profitant des rayons du soleil pour s’assoupir.
À la place tu commenças à raconter brièvement votre entrée dans l’aristocratie, les problèmes que cela engendraient mais surtout les plus grands regrets de Maximilia de ne jamais avoir pu rejoindre la garde. Sans t’en rendre compte, comme si Java avait cet effet sur toi, tu t’étais confié. Toi, qui habituellement raillais ouvertement, exploitant les plus grandes faiblesses de chacun pour en faire ta force. Toi, dont la confiance démesurée te rendait inébranlable même parmi les plus hautes sphères de la société, tu te laissais aller aux confidences comme si ce lien que vous aviez noué avec la jeune garde ne s’était jamais estompé avec le temps.
Un vif regard vers elle puis tu soupiras longuement, apportant à nouveau ta boisson à tes lèvres. Tu n’avais fait aucun détour, exprimant autant ta colère que tes ressentiments avant de réaliser soudainement que tu avais vraiment tout laissé échapper. Te redressant d’un coup honteux, tu te raclas faiblement la gorge, t’affublant à nouveau d’un apparat inflexible.
« Allons chercher la boutique. »
Tu sortis ton plan à la volée, traversant non sans peine les plateformes en bois pour trouver ce fichu marchand. Le soleil s’était mis à décliner, dès lors, la pénombre se remplaçait par quelques lueurs des cristaux de lumière. Et lorsqu’enfin vous aviez fini par arriver à destination, la fameuse boutique indiquait qu’elle était à présent close. Tu te laissas tomber sur le sol en poussant un gémissement désespéré, tu n’avais plus qu’à revenir le lendemain.
« Bon, excuse-moi, mais on a mis trop de temps à venir. Au moins, je connais le chemin, je pourrai y revenir demain. »
Les épaules basses, tu contournas la garde. Tu aurais aimé passer plus de temps à ses côtés, mais il commençait à se faire tard et il fallait encore que tu puisses trouver un hébergement.
Mais bon, ça fait pas tout. En la voyant se refermer d'un coup, Java plisse légèrement les yeux. Elles sont arrivées sur un sujet sensible, et elle veut visiblement changer de sujet. La garde éloigne son assiette – évidemment vide et brillante comme un sou neuf – du bout du pouce en la regardant dans les yeux.
Elle se reconnaît un peu en elle. Enfin, en vérité, elle se projette, mais laissons la y croire. Elle aussi, elle préfère bouger quand une discussion trop lourde lui pèse sur l'estomac. Direction la boutique ! Menant d'abord à sa vitesse habituelle, Java se rend vite compte que la demoiselle ne suit pas. Avec les minutes, elle ralentit le pas, jusqu'à finalement se caler sur le rythme de l'autre. L'avantage du mimétisme compulsif, c'est que ça vient sans réfléchir.
L'inconvénient, c'est qu'en avançant comme des escargots retraités, la boutique était déjà fermée lorsqu'elles sont arrivées devant. Java cherche du regard une petite lumière d'espoir à l'intérieur, mais rien, même pas un reste de chandelle. Maximilia a l'air toute abattue, et Java se fait une promesse. Peu importe ce qu'elle doit faire pour y arriver, elle refusera de la laisser partir avec une tête toute déconfite comme ça.
Alors elle pose sa main sur son épaule un peu fermement pour la retenir.
▬ Tu vas où comme ça ? On a pas dit où on s'retrouvait demain.
Grand sourire, et elle glousse un peu, fière de sa réplique trop classe.
▬ T'as plus b'soin d'moi pour r'trouver la boutique, mais c'est pas une raison. Tu veux v'nir t'entraîner un peu avec ta bonne copine Java ? J'm'adapterais à tes p'tites jambes, promis. Ca t'fera du bien pour l'endurance et la vitesse !
Et même si elle affiche une confiance inébranlable, une petite lumière au fond de ses yeux trahit son intention. Au fond, Java a vraiment envie qu'elle dise oui. D'abord, parce qu'elle apprécie vraiment les moments qu'elle partage avec les jumeaux. Ensuite, parce qu'elle connaît quelqu'un avec qui Maximilia pourrait bien s'entendre...
D’un geste presque naturel, tu apportas tes doigts jusqu’à tes lèvres pour y égarer un sourire amusé. C’était un fait, tu ne voulais simplement pas faire tes adieux à Java alors que vous veniez tout juste de vous retrouver. La tête légèrement penchée sur le côté tu ne pus t’empêcher de froncer les sourcils.
« J’y peux rien si tes grandes perches te font faire des plus grands pas que les miens, rouspétas-tu plus pour la forme que par réel agacement. J’aimerais t’y vois à gambader avec des talons qui font trois fois ta taille, et des bas stupidement bouffants que t’as l’impression que la moindre bourrasque te ferait t’envoler. »
Les bras croisés sous ta poitrine, tu venais alors de lui faire face. Tu troquerais bien un quart de ses muscles pour te les coller aux bras, car même si tu devais posséder ton propre corps, tu devais bien avouer que vous n’étiez pas bien impressionnants, que ce soit Max ou toi-même. Par simple curiosité, tu tournas autour de la garde pour l’observer.
« Cela dit, ça a dû te demander beaucoup de travail pour en arriver à un tel point. C’est quoi ton secret ? »
Un mince sourire étira tes lèvres tandis qu’une lueur espiègles venait d’éclairer soudainement tes orbes céruléens, et tu saisis le bras de Java sous le tien, l’entraînant avec toi vers le chemin inverses. Même à travers les épaisses couches de vêtements qui enrobaient ton corps chétif, tu pouvais sentir la fermeté des muscles qui roulaient à chaque mouvement que faisait la garde.
« Ecoute, je pense qu’on aura tout le temps devant nous pour que tu puisses me raconter tous tes exploits. Ça me semble plus palpitant que les emmerdes de la haute société. »
Tu roulas des yeux, crachant presque tes derniers propos tant ce nouveau rang te fatiguait. Les éclairages de la cité s’éveillaient peu à peu à mesure que le soleil déclinait à travers le ciel, vous laissant dans une pénombre presque apaisante.
« C’est vrai, j’ai fait que parler de ma poire, mais t’as pas ouvert ton bec une seule fois, je suis sûre que M-… Gabriel serait ravi aussi que je puisse un peu lui parler de toi. Il va crever de jalousie à l’idée que moi j’ai pu te voir. »
Un léger ricanement s’empara de tes lèvres et tu te laissas guider entre les divers mécanismes de la ville, sans trop savoir où vous vous rendiez. Après tout, cette confiance aveuglée que tu portais à la garde n’était plus à prouver. Et puis au moins, tu ne risquais plus d’avoir un imbécile heureux qui se tenterait à des galanteries barbantes.
Ton regard se perdit un instant dans le vide, car si ta bonne humeur était rare, elle n’en était pas moins réelle à l’heure actuelle, et tu regrettais que Maximilia n’ait pu faire ses preuves à la garde. Soudain un éclair de génie te frappa, et tu saisis Java par le col pour la secouer.
« Sinon, t’as pas quelques tours à me montrer ? Ça me ferait pas de mal de renforcer ce squelette sur pattes ! Je n’ai pas la prétention d’avoir la possibilité de te ressembler, mais si déjà je peux faire dix mètres sans cracher mes poumons, ça me serait bien utile. »
Tu la relâchas en te rendant compte de l’absurdité de tes propos, Java restait une garde avec des priorités qui étaient autre que s’occuper d’un gosse à peine sorti des jupes de sa mère. Tu trituras légèrement tes doigts, la tête basse. C’était tant l’occasion de passer du temps avec elle, mais tu n’étais pas encore assez égoïste pour lui voler de son temps.
▬ Nan, j'vais t'payer une chambre dans une auberge de confiance, et on se retrouvera demain matin, ma jolie. Comme ça j'suis sûre que tu feras un bon dodo et que tu s'ras en pleine forme !
La belluaire sourit avec l'ignorance des bienheureux, et guide tranquillement sa future pupille tout en discutant. Elle clame haut et fort qu'elle non plus elle aime pas les talons, parce qu'elle trouve que c'est comme les sabots bizarres des gens qui habitent au Sud-Est, sauf que les sabots au moins c'est confortable. Elle passe ensuite cinq minutes à vanter les mérites des sabots de la population sudorientale du Royaume, puis cinq autres à expliquer que ça devrait rester des chaussures à porter seulement quand on va bosser parce que ça fait beaucoup de bruit, mais elle tient quand même à préciser que des fois les chaussures qui font du bruit, c'est sympa, parce que les gens font des petites danses avec.
Bref : beaucoup de blabla pour pas grand chose, mais c'est sa façon à elle de montrer qu'elle est contente. Voyant qu'elles arrivent bientôt vers l'auberge où elle compte déposer Maximilia, elle décide de retourner à un sujet plus sérieux.
▬ 'Taleur, tu demandais mon « secret ». J'en ai pas. Je m'entraîne, et je donne tout ce que j'ai, et je constate les dégâts après. Va te reposer un coup, et demain je viens te chercher au lever du soleil. On s'arrangera pour rendre tes fringues plus... euh.... plus pratiques.
Java entre dans l'auberge, et signale à la propriétaire plus que familière qu'elle est là pour payer une chambre à une amie. La petite dame rondelette et enjouée salue amicalement la demoiselle, puis elle échange quelques banalités avec Java avant de l'encaisser.
▬ Tu prends bien soin d'elle, hein ? C'est une p'tite dame maintenant, elle est délicate. Et toi ma p'tite Maxoulette, file faire ta toilette et au lit ! Allez, j'repasse demain.
Alors oui, vu de l'extérieur, on dirait un peu que Java lui force la main. Vu de l'intérieur aussi. Et puis même quand c'est vu de côté ou du dessous. Mais elle est comme ça, elle se pose pas la question. Dans sa tête, quand les gens veulent vraiment pas un truc, ils se laissent pas faire. Ca la rassure de penser ça, parce que ça lui évite de se poser trop de questions.
Quand elle revient à la caserne, Java se dirige tout de suite vers la volière, et demande à un des gardes de la division des faucons en poste si elle peut envoyer un message personnel. C'est pas très conventionnel, mais c'est important, alors elle insiste un peu et elle fait les yeux doux, jusqu'à ce qu'on lui donne un bout de parchemin et un crayon pour griffonner ce qu'elle veut envoyer à la nuit tombée.
Java s'applique pour ne pas casser la mine en écrivant : « Tré cher Sia, jesperre que tu aies deja en routte. J'ais trouver une cammarade de jeu pours demain. Je pense que vou vou amuseré bien. JAVA ». Et après avoir fini cette missive soignée, elle roule le petit papier et laisse son collègue l'attacher au pied d'un pigeon messager, qui s'envole dans la nuit.
Maintenant, elle peut aller dormir. Demain, quand le soleil se lèvera, elle pourra aider Maximilia à découvrir son vrai potentiel face à Sia, qui s'aguerrit de lune en lune. Et vu la façon dont elle sautille jusqu'à sa chambre, elle déborde déjà de fierté pour les deux jeunes femmes.