L'avant garde

S’il y a bien un truc que je n’ai jamais toléré, c’est que l’on puisse faire du mal à des gens qui n’ont pas la capacité de se défendre et pire encore lorsqu’il s’agissait d’enfants. Alors je vous avoue que lorsque j’ai entendu parler de ces disparitions de gamins non loin dans un village au sud du Temple, je n’ai pas pu m’empêcher de vouloir m’y rendre. Mais bon, je ne peux bien évidemment pas y aller seule et sur un coup de tête. Puis connaissant Valentino, il ne restera pas de marbre face à la situation. Après tout, si Mélusine est avec nous aujourd’hui, c’est à cause d’une histoire de ce genre.

J’ignore si Valentino a tiré les ficelles, mais nos deux noms sont ressortis pour essayer de retrouver ces enfants. Non seulement nous devions nous préparer rapidement pour notre départ, mais nous devions aussi nous assurer que Mélusine serait entre de bonnes mains pendant ce temps. Heureusement que la petite était compréhensive.

Avant de partir, nous avions quand même pris le temps d’étudier les témoignages des familles brisées : les enfants semblaient tous avoir été vus pour la dernière fois au sud du village où ils partaient jouer. Ce qui est le plus étrange c’est que les adultes n’avaient pas réussi à les retrouver parce qu’il semblerait que quelque chose les empêchait d’aller plus loin. Il faudra interroger les témoins, une fois arrivés au village.

Bien évidemment, Arlequin sera ma monture pour le voyage et Naamah restera à l’écurie de notre demeure. Comme nous ne savions pas réellement ce qui nous attendait là-bas, et que cela allait peut-être nous amener à travailler de jour, je ne préférais pas lui imposer la lumière du soleil même si je m'étais procuré des lunettes fumée et que je pouvais lui faire porter un bandeau de lin.

Avant de me mettre en route, je vérifiai qu’il ne me manquait rien. Équipements magiques, mon armure que je gardais cacher dans mon sac pour le moment, des potions, quelques rations pour subvenir à nos besoins. J’avais aussi mon emport’tout magique pour nous accueillir durant ce voyage.

Les derniers préparatifs maintenant faits, nous voilà maintenant sur nos montures en direction du village en question. Je sais que normalement je ne suis pas très bavarde, mais il semblerait que je le sois encore moins qu’à l’habitude. Arborant un visage songeur, mon esprit semblait essayer de comprendre ce qui se passait. Pourquoi les enfants disparaissaient-ils et pourquoi les adultes n’avaient-ils pas les moyens de les retrouver? Qu’est-ce qui ferait en sorte que nous y arriverions plus qu’eux? Un soupir s’échappa d’entre mes lèvres et Arlequin tourna légèrement la tête en ma direction.

*Khalie, perdue?*
*Un peu…*

Ma main glissa sur son encolure alors que mon regard se porta sur Valentino qui se tenait non loin de moi.

Cela nous avait pris quelques jours avant d’arriver jusqu’au village le plus proche d’où avait été émise l’alerte des disparitions. Nous nous étions arrêtés seulement pour le nécessaire : manger, boire et dormir. Et même là, nous étions restés plutôt silencieux. La nature de notre mission n’a rien d’amusant et bien que nous ayons trouvé le moyen de faire les cancres dans d’autres circonstances, je n’avais pas spécialement envie de parler. Et si cela nous était arrivé à nous? Si nous ne retrouvons pas les enfants ou pire encore s’il n’était plus en vie, qu’est-ce que nous ferions? Je sais que nous ne sommes pas responsables de leur vie, que nous nous sommes mise en route dès que nous avions été réquisitionnés pour cette assignation, mais voilà! Une part de moi s’inquiète. Je sais que je ne peux rien leur promettre, mais ils me demanderont certainement l’impossible.

Le village maintenant en vue, et je poussai ma monture à accélérer le pas. Je ne sais pas dire ce qui m’avait poussée à faire cela, mais je savais qu’au plus profond de moi, j’avais envie de commencer à investiguer et questionner les habitants du village. Malheureusement, comme il faisait nuit au moment de notre arrivée, il n’y avait qu’un endroit où nous pouvions mettre les pieds; l’auberge du coin.

Les rues étaient vides et mises à part les quelques torches par-ci et par-là qui éclairait la rue principale, il n’y avait pas grande source de lumière. Même les maisonnettes gardaient leur volet fermer empêchant ainsi à quiconque de voir à l’intérieur. Je me doute que suite aux disparitions, les villageois ne doivent pas se sentir très en sécurité. Et si ce qui est enlevait leurs enfants décidaient de venir jusqu’au village.

« C’est quand même triste de devoir vivre ainsi… », dis-je à voix haute en jetant brièvement un regard à mon partenaire.

Il n’est pas bien difficile de nous diriger. La plupart des grands établissements de ce genre se situaient surtout au centre du village où tout le monde y avait facilement accès. Je descendis de ma monture, la laissant près des abreuvoirs prévus à cet effet et attendis que Valentino soit prête pour m’avancer vers la porte.

Lorsque j’ouvris cette dernière, des regards dont la suspicion à notre égard se lisait dans leurs yeux se tournèrent dans notre direction. Plutôt logique… Emmitouflé dans ma cape, il n’est pas possible de savoir ce que je cache, mis à part Valentino qui se trimballe dans son éternel accoutrement. Les chaises se déplacent légèrement, alors que certains posent simplement l’extrémité de leur derrière pour réagir à la moindre chose, mais le tavernier nous accueille comme tout bon hôte.

« Bienvenue au Gobelet scintillant. Qu’est-ce que je peux faire pour vous en cette soirée bien entamée…
- Nous sommes de la garde et mon lieutenant et moi-même sommes ici pour obtenir de plus amples informations concernant les disparitions, dis-je en retirant doucement ma cape pour montrer mon insigne.
- Lucy soit remerciée, elle a attendu nos prières… entendis-je plus loin. »

Évidemment, voir notre insigne permit à plus d’un de souffler un bon coup.

« Asseyez-vous, amis et laissez-moi vous offrir à boire et à manger. Vous en avez certainement besoin. J’imagine que vous voudrez prendre une ou deux chambres?
- Une seule suffira.
- Hey Paulo, vont préparer une chambre pour nos amis les gardes! cria alors le tenant du comptoir.
- Vous n’êtes pas obligé d’en faire, autant vous savez… On est que des gardes… pas des héros. »

C’était une façon détourner de dire que nous ne pouvions pas faire l’impossible et qu’il ne devait pas se faire de faux espoirs.

« J’suis désolée… c’est que ma p’tite fille a disparu elle aussi et elle nous manque tellement…
- Et si vous nous parliez de ce que vous avez pu voir depuis sa disparition… »

Et c’est ainsi qu’il commença à parler des vieilles ruines du temple Helmex qui se trouvait un peu plus au sud du village. Les enfants avaient pu s’y rendre, mais aucun adulte ne le pouvait… Il poursuivit ses explications nommant ainsi plusieurs noms – certainement des enfants disparus – sans jamais reprendre son souffle. Il en avait beaucoup sur le cœur et cela paraissait évident.

Après une nuit de sommeil des plus agités, je me réveil avec la même impression que si je n’avais pas du tout dormi de la nuit. Il faut dire que cette mission m’affecte plus que je ne le laisse paraître. J’ai rêvé qu’on nous apprenait que la p’tite avait aussi disparu et qu’il nous était impossible d’aller la chercher. J’dois dire que je garde cela pour moi. Je sais bien qu’il ne s’agit d’un rêve et non de réalité et que Mélusine ne nous a pas suivi dans ce genre de mission.  

On se prépare, ramasse nos affaires et même si je ne voulais pas que Val’ voit mon armure de la corneille pour le moment, je l’enfile tout de même. Je préfère être protégé convenablement alors que je ne sais pas ce qui nous attend plutôt que d’avoir peur de me montrer avec. Puis si ça se trouve, Valentino ne reconnaîtra pas sa provenance puisque l’armure vient plus du nord. Enfin, je croise les doigts pour éviter une engueulade entre nous, puis je le rejoins rapidement. On prend un petit dej’ vite fait et on se remet en route n’ayant comme piste que les témoignages. Au moins on sait vers quel endroit se diriger.  

Notre voyage nous mena donc jusqu’au mur invisible qui nous empêchait de nous approcher d’avantage et qu’importe ce que nous tentions de faire, rien ne fonctionnait. Arlequin, quant à lui était un animal, alors il n’avait pas ce problème, mais même en tant que familier, il ne pouvait pas régler la situation par lui-même. Valentino semblait avoir une solution qu’il avait gardé de me dire jusqu’à présent et je dois avouer que tout comme lui, je ne suis pas des plus à l’aise à l’idée de prendre une potion de jouvence. Redevenir une gamine allait être très handicapant. Je pousse un fort soupire et attrape la potion qui m’est destinée.  

« Si on pas le choix...» commençais-je en levant la potion. « Arlequin et Amarok, on compte sur vous...» Cela allait nous prendre des guides fiables pour nous empêcher de faire des conneries. Je n’attends même pas une seconde de plus avant d’ouvrir le flacon et de la boire en entier.  

Comme la dernière fois, je me sens étrange jusqu’à me sentir plus petite et à retrouver l’innocence même d’une enfant.  

*Khalie petite... Mignonne.*
« Wooow qui à dit ça?»
*Moi, Arlequin, unicorne*

En même temps de dire cela, la grand cheval noir cornu vint poser ses naseaux sur le dessus de ma tête m’arrachant ainsi un rire. À mes côtés se tient de nouveau Val’ le garde-pirate! C’est mon amoureux maintenant! Mais ce n’est pas le moment de penser à ça! On a une mission de la plus haaaaaute importance.  

Étrangement, maintenant que nous sommes devenus petits, il nous est maintenant possible de passer le mur invisible.  

« Allons retrouvé nos amis perdus! Peut-être qu’on pourra jouer avec eux après!... JE SAIS! Criai-je en tapant mon poing fermé dans ma paume de main. Je suis sûre qu’ils jouent à chache-cache et qu’ils n’attendent qu’on les trouve! »

Le grand cheval noir semble souffler des naseaux comme s’il se moquait de moi et je le regarde en plissant des yeux en le pointant de mon petit doigt. Je l’ai à l’oeil celui-là. Je suis sûre qu’il travaille pour maman! D’ailleurs, il ne faudrait pas qu’elle sache que je suis ici. Je suis sûre qu’elle serait fâcher.  

Sans attendre plus longtemps, j’attrape la main de mon copain au cache-œil et prend la direction du grand bâtiment qui se trouvait au loin.  

C’est main dans la main que nous prenons la direction du temple! Le mur qui nous avait empêché de passer quelques minutes plus tôt nous ouvrit grandement les bras. Enfin, je ne sais pas trop pourquoi on est ici, mais je sais qu’on est à la recherche d'amis comme nous! Ça me rappelle la fois où j’avais en partie oublié ma maison et ma famille et que j’avais rejoint une bande d'enfants qui vivaient dans les rues. En tout cas, j’espère que maman ne saura jamais que je suis venue ici, sinon elle ne me laissera plus jamais sortir. Déjà qu’elle aime pas Val’ parce que c’est un petit voyou…Je sais qu’elle a déjà dit pire, mais comme je ne veux pas faire de peine à mon amoureux et bien je ne vais pas lui dire. En tout cas, il doit s’en douter puisqu’il demande au grand cheval cornu de ne pas le répéter.

« Il m’a parlé dans ma tête. Il est cool. Il a dit qu’il s’appelait Arlequin! »
* Khalie connaît Arlequin… Arlequin avec Khalie depuis un moment.*
« Il a même dit qu’il était avec moi depuis un moment! Alors on doit lui faire confiance…»

Enfin, il aurait pu dire n’importe quoi que je l’aurais cru! Parce qu’il est trop cool et que j’avais toujours voulu avoir un familier. Si ça se trouve maman ne le sait pas.

« Cache-cache c’est bien! Comme ça on devient meilleur pour se faire oublier et se faire discret! On peut faire des choses sans se faire voir! Du coup, c’est bien de jouer à cache-cache! On peut voler des petits gâteaux discrètement. »

Bref, on arrive devant le grand temple et Val’ s’arrête soudainement rattrapé par son ami étrange et poilu et se retourne vers moi. Le grand cheval nous suit aussi, mais ne semble pas m’aviser de quoi que ce soit. Enfin, dans tous les coups, c’est peut-être parce que je suis plus petite que lui et que je passe inaperçu plus inaperçu, mais j’abandonne la main de ce dernier pour m’avancer silencieusement. C’est rigolo, car c’est que maintenant que je le remarque! Quand je ne dis rien, je suis aussi silencieuse que la plus sombre des nuits noires!

« Attendez ici! Je vais aller voir. Je suis une experte en cache-cache! »

Je m’avance alors vers la grande porte du temple qui est entrouverte et passe la tête par cette dernière. Il y en une grande pièce avec des colonnes par-ci et par-là. Des rayons de lumière passent par le toit pour venir éclairer faiblement les quelques bancs endommagés faisant voler dans leur halo de lumière de nombreux flocons de poussière. La nature semble vouloir reprendre son règne en ce lieu s'entortillent autour des colonnes alors que le sol était à quelques endroits jonché d’un tapis de mousse verte.

J’entre donc, après un petit moment d’observation et je n’entends pas un bruit. Avançant avec prudence, je me fais discrète dans l’ombre alors que j’ai l’impression que des visages de pierre m’observent. Des statues de guerrier dont pour certain leur manquait des membres, décoraient l’endroit de chaque côté de la grande pièce ouverte. Il y avait même des peintures de guerre et j’vais pas vous mentir, mais j’avais vraiment la trouille d’être là. Je reste silencieuse encore un moment tout en m’avançant, mais si je devais me cacher, ce n’est sûrement pas ici que je le ferai. Dans tous les cas, il n’y a personne dans cette pièce pour le moment.

Je retourne donc vite fait à l'entrée pour faire savoir à mes amis qu’ils peuvent entrer. Enfin, Arlequin, bien plus grand que l’autre va sûrement avoir du mal à se déplacer, mais bon, nous allons voir. Le temple est grand!

« Venez, mais faites pas de bruit! » que je leur dis en sortant seulement ma main entre l’ouverture de la porte et commence finalement à m’avancer au centre. J’observe de chaque côté et finalement quand j’avance l’un de mes pieds et le dépose, celui-ci semble faire un drôle de bruit d’objet froissé. Je m’arrête aussitôt pour regarder sous ce dernier et y trouver une enveloppe de bonbons… Je l’attrape pour le regarder et un éclat non loin attire aussi mon regard. Un autre?

« Il y a des enveloppes de bonbons par terre! Il sait pas qu'en laissant des traces derrières eux, on les trouveras! »

Peut-être qu’un copain les a laissés au sol pour nous montrer le chemin? En tout cas, s’il y a des friandises, moi j’en veux bien!

Je me doutais bien que l’endroit allait plaire à Valentino! C’est rempli de statue de guerrier et de monsieur avec de grosses armes. Ils me font un peu peur, mais je me dis qu’ils ne pourront jamais rien me faire. Après tout, les statues ça ne bouge pas n’est-ce pas? À cette pensée je sens un drôle de gargouillement dans mon ventre et une légère sueur froide me parcoure comme si mon corps voulait me faire savoir l’inverse de ce que je pensais. Comment on appelle ça déjà? Une instuitition? Enfin, ça passe vite et je me sens bien par la suite comme si ce n’était jamais arrivé. Je me retourne alors vers Valentino qui observe le décor qui nous entoure. « Et moi j’aurai ma statue de Lily la fée qui se tient juste à côté de toi, parce qu’on est une super équipe! »

Enfin, je continue d’avancer découvrant par le même fait des enveloppes de bonbons et dès que j’en fais part à mon partenaire, il arrive en courant vers moi pour m’enlever les sachets de bonbons vide des mains. « Je sais déjà ça…» dis-je en soupirant en roulant légèrement des yeux et comme si c’était une évidence même qui descendait du ciel. « Ma maman me dit la même chose et surtout que je ne dois jamais manger ce qui vient des endroits sales et pauvres… Elle dit que je risque de tomber malade! »

À ce même moment, j’entends quelque chose qui bouge plus loin et lorsque je me tourne, tout ce que j’ai le temps de voir, c’est un morceau de tissu blanc, enfin je crois, qui disaparaît dans un couloir. J’attrape la main de Val’ et l’entraîne à ma suite. « Par là! » que je lui dis tout simplement en empruntant l’entrée du couloir. Ce dernier est bien long, mais il n’y a aucune présence si ce n’est de nouveau la présence de friandises au sol par-ci et là comme si une personne les avait laissé là…

« Je me souviens d’une histoire que papa m’avait lu. Ça parlait de petits enfants perdus qui laissaient derrière eux des miettes de pain pour retrouver leur chemin. Tu crois que les enfants on fait pareil avec les bonbons? Ça ne doit pas être facile de se retrouver là-dedans…»

Il y faisait quand même sombre et la seule lumière qui pénétrait ces lieux était dû au bris qu’il y avait dans les murs et le plafond. Je ne peux pas nier que j’ai peur et je resserre un peu plus la main de mon amoureux. Peut-être que ça me donnera un peu plus de courage comme ça?

Une souffle glaciale arriva par derrière faisant bouger tout ce qu’il pouvait sur son passage. L’ombre de quelque chose bougeant sur le sol avait attiré mon regard et je sentis une drôle de sensation lorsque je levai la tête pour y voir des poupées de chiffon suspendu dans les airs par des bouts de ficelle. Je ne sais pas si c’est normal, mais je déglutis péniblement. C’est peut-être une coutume des grands guerriers qui vivaient ici? Je les montre tout de même du doigts à mon compagnon et soudainement une odeur de chocolat fondant se fait sentir me faisant presque oublier la peur que je venais de ressentir.

*Khalie être prudente. Arlequin pas aimer être ici…*

Le grand cheval cornu avait réussi à nous suivre. Heureusement les couloirs étaient assez grands pour nous tous!

« T’inquiète pas, on est fort et on se laissera pas avoir! »

À ces mots, de drôles de rires d’enfant se firent entendre autour de nous, comme s’ils résonnaient de partout à la fois…

C’est donc main dans la main que nous poursuivons notre chemin à travers les couloirs du temple. Le rire d’enfant qui était parvenu jusqu’à nous c’était maintenant tû et un dernier souffle était venu jusqu’à nous faisant bouger les petites poupées de chiffons et nous plongeâmes par la suite dans le plus grand des silences.

La peur, bien que déjà présente, m'envahit toujours plus. Nous sommes loin de la maison et il n’y a pas d’adulte pour nous venir en aide si besoin. Je sais que ce qui se passe n’est pas normal et tout ce que je souhaite c’est de retourner chez moi, mais nous ne pouvons pas rebrousser chemin, car nous devons retrouver nos amis cachés.

Mes mains sont moites et j’abandonne la main de Valentino pendant quelque instant pour l’essuyer vite fait sur mon armure avant de la rattraper. Le bruit que font les sabots d’Arlequin à chacun de ses pas est certainement la seule chose qui vient troubler le silence qui nous entoure. *J’espère que maman ne saura pas ce qui s’est passé aujourd’hui…* me dis-je mentalement. J’aurai de gros ennuis si elle venait à l’apprendre. Dans tous les cas, j’ai cette désagréable sensation qu’on nous observe.

*Arlequin pas aimé être ici…* me dit-il alors que ses oreilles s’agitent doucement comme s’il entendait des choses que nous n'entendons pas.

Je laisse donc Val’ nous guider dans ses nombreux couloirs jusqu’à tomber sur de grandes portes à moitié fermées. Dessus se trouvaient les dessins de grands guerriers qui semblaient vouloir se porter un coup.  La porte n’était pas totalement fermée, ne laissant qu’une ouverture assez grande pour nous deux. Une faible lueur orangé émanait de l’interstice signe qu’il y avait une chandelle d’allumer.

Je m’arrête donc l’observant un moment de haut en bas et jette un regard à mon compagnon. L’ouvrir davantage reviendrait à signaler notre présence, mais je crois que les enfants le savent déjà sinon, il n’aurait pas laissé ce chemin, il n’y aurait pas eu ses rires et je n’aurais pas eu l’impression de voir quelque chose prendre la fuite plus tôt.

« Laissons nos compagnons ici… S’il y a quoi que ce soit, ils pourront nous rejoindre après. »

De toute façon, en m'approchant silencieusement de la porte, je note, en y déposant mes mains, que je ne suis pas capable de la pousser. Le temple est abandonné depuis un moment et la nature semble vouloir reprendre son cours. Des racines traversent le sol à quelques endroits, la verdure pousse entre les dalles alors peut-être que quelque chose coince de l’autre côté.

Je fais donc signe à Valentino de rester silencieux en plaçant mon doigt devant ma bouche et je me glisse donc en retenant mon souffle dans la mince ouverture de la porte. Il semble y avoir des rangées de banc et plus loin un petit autel surélevé par quelque marche. La lueur semblait provenir de derrière et de là nous parvenait une voix où se tenait une drôle de créature qui ne nous était pas visible de la grandeur d'un enfant portant un drap sur sa tête et le reste de son corps. Deux grands cercles sombres lui faisaient office d'yeux alors que son nez et sa bouche n'étaient que dessinés par le relief du drap. Une corde rouge tressée entourait son cou et le reste du drap tombait sur lui comme une genre de toge ne laissant voir que ses bras minces et décrépit.

« Jou…jouuuer…a..avec moi…» fis la voix comme si elle était lente, enrouée voir même inhumaine.

La lumière projette les ombres de nouvelles poupées de chiffon blanches retenue par un fil rougeâtre qui étaient suspendues à nouveau au plafond. C’est à ce moment que Valentino me rejoint à son tour…

« N..nouveaux amis…pouvoir rester et jouer avec nous. »

La lumière provenant de derrière l’autel s’éteint soudainement, nous plongeant à nouveau dans la pénombre. Malheureusement, il n’y a pas de fenêtre ici pour nous éclairer un peu. Il n’y a que quelques secondes qui se passent avant que cette même voix surgisse des ombres. « POUR TOUJOURS! » s’écria-t-elle poursuivit d’un rire enfantin, mais qui vous glace le sang.

La chose surgit de sur le côté, comme si elle se trouvait sur le mur et m’entraîna sur son passage me faisant ainsi tomber plus loin au sol. Un cri de surprise s’était échappé entre mes lèvres, mais heureusement, mon armure avait encaissé le gros du choc. Relevant les yeux, je pus l'apercevoir vaguement avant qu’il ne disparaisse derrière les bancs.

« Pourquoi est-ce qu’il est déguisé en fantôme? »

Pas un fantôme? Il est vrai que s’il en était vraiment un, il n’aurait pas pu me toucher. Enfin, je suppose. Les fantômes n’ont pas vraiment de corps et même que je suis sûre qu’ils n’ont pas de jambe. Je ne peux donc pas contredire Valentino et comme c’est lui le chef c’est qu’il a sûrement raison.

Je reste donc à l’affût de toute chose, restant accroupie près des bancs. Il pourrait surgir de n’importe où et contrairement à mon ami, je n'ai pas de pouvoir. Papa m'a dit que je ne devais pas m'inquiéter et qu'il allait certainement se manifester plus tard puisque tout le monde en a un. Ça serait quand même triste que ça ne soit pas le cas pour moi, n'est-ce pas? Je dois donc compter sur Val' même s'il semblerait que je sois quand même bien équipée. Il y a de drôles d'étuis contenant de drôles d'armes dans ces dernières. J'attrape l'un des deux en main et constate qu'il s'agit de deux anneaux tranchants. Si mes parents apprenaient que je me baladais avec des armes, je serais punie jusqu'à la fin de mes jours!

« Fais attention! Il ne faut pas le mettre en colère! » dis-je à Valentino.

D'ailleurs, comme si elle répondait à l'invitation de Valentino, cette dernière surgit à nouveau mais cette fois-ci, elle fonce sur lui. Elle ne semble pas avoir de très bonnes intentions. Ses mains tendues vers l'avant, ils foncent vers l'hybride dans le but de le percuter.

Mais je ne sais pas trop pourquoi, ma main semble agir d'elle-même et je lance aussitôt le chakram que j'ai en main. L'anneau semble faire mouche, touchant l'un de ses bras, mais aucune plainte de douleur ne semble parvenir jusqu'à nos oreilles si ce n'est le bruit métallique que fait l'arme une fois au sol. Pourtant je suis sûre que ça a touché!

La créature ne semble pas arrêter par l'attaque. Elle ne semble même pas l'avoir senti et aucun sang ne s'échappe de sa plaie. Quelques pas la sépare de Valentino et si ce dernier à un fin odorat, il peut déjà sentir cette drôle d'odeur… Comme si quelque chose pourrissait dans les environs.

« Joooouuuer à…la p..poupée. »

Lancés de dés:

La créature veut jouer à la poupée et pourtant elle n'a pas l'air de s'y prendre de la bonne façon. Pour y jouer ça prend des poupées, non? Moi je ne vois que nous ici… Pourtant ça ne l'empêche pas de foncer rapidement en direction du jeune pirate-scorpion qui avait enfilé son armure toute dure. Plutôt que de se prendre la chose en pleine poire, Val' préfère jouer la sûreté et se lance dans ma direction pour nous éloigner tous les deux de la chose. L'odeur de cette dernière vient aussitôt nous attaquer les narines et une grimace de dégoût se dessine sur mon visage alors que je me pince le nez d'une main tout en secouant l'autre devant moi. Ça n'y change pas grand chose et malheureusement ça ne fait qu'empirer.

La créature drapesque se retourne vers nous et laisse échapper un genre de gargouillement mécontent d'entre ses lèvres. À vrai dire, plus le temps passe et plus je pense qu'il s'agit en fait d'un monstre et non d'un humain qui tente de nous faire une farce. Puis, il faut dire qu'il est un peu trop tard pour ma part puisque je lui ai lancé un anneau coupant sur le bras… D'ailleurs ce dernier est plus loin et impossible pour moi de le récupérer rapidement…

Val' semble avoir un plan et évoque la possibilité de le faire brûler. Ce qui n'est pas totalement une mauvaise idée… Peut-être que j'ai quelque chose sur moi pour nous aider aussi et aussi silencieusement que possible je fouille dans mon sac sans fond qui se trouvait avec moi et en ressort un drôle de masque à l'allure de médecin de peste… On dirait le symbole de ma famille! Je sais que papa m'avait déjà parler de lunette étrange qui permettait de voir dans le noir et peut-être que ça en était? Je les enfile donc et sursaute légèrement! *Woaaah c'est magique!* pensais-je dans ma tête. Je relève doucement la tête et remarque finalement l'hideuse créature qui semble nous chercher. Je baisse alors la voix pour m'exprimer et lui faire part de mon infaillible plan!

« D'accord, je vais faire diversion pendant que tu cherches de quoi lui mettre le feu. Alors fais vite! »

Sans plus attendre, je me lève d'un bon rapide tout en faisant de grands signes dans le noir.

« Hey le puant! Je paris que tu pourras pas m'attraper! »

Aussi dit, aussitôt je me mets à courir entre les rangs de bancs. La créature qui n'est pas du tout humaine, maintenant que je la vois, se met aussitôt à me poursuivre les bras tendus vers l'avant. Il faut dire que je m'étais bien surestimé puisqu'il que je suis petite et que j'ai des petites jambes. Lui il est grand avec de fines jambes et de longs bras fins… Alors quand je le vois se rapprocher de moi je ne pense qu'une chose à ce moment-là.

« HIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII J'AI PEUR!!! MAMAN! »

Je me retourne vite fait pour voir où il se trouve et il n'est qu'à quelques pas de moi… Son odeur putride m'arrache un haut le cœur, mais inconsciemment, je touche le banc à mes côtés et fait un simple geste en sa direction. Le banc s'envole aussitôt dans la tête de ce dernier qui tombe au sol et me donne le temps de me cacher derrière un banc.

« AAAAAAAHH P…paaas content! » s'écria alors la créature en se relevant tout en jetant le banc juste au-dessus de ma tête.

Je me mis en petite boule, tremblante comme une feuille en espérant qu'il ne me retrouve pas. J'entends ses pas qui se rapprochent dangereusement alors qu'il s'arrête à chacune des allées…

Toujours caché entre deux rangées de banc, je regarde le sol espérant ne pas voir les gros pieds moches de la créature s'approcher de moi. Mais je ne me fais que des idées, car je l'entends avancer d'un pas lent. Ses râles mécontents sont bien présents et pour ma part je ne bouge pas. J'essaie de retenir mon souffle et de ne faire aucun bruit. Cette chose n'est sûrement pas humaine et je ne veux même pas penser ce que ce monstre pourrait me faire avec ses longs bras. Il pourrait me couper en deux en tirant bien fort… J'échappe un frisson de dégoût et alors que le premier pied apparaît dans mon chat de vision, j'entends une voix sur d'elle-même s'exclamer fortement. C'était Val' qui cherchait l'attention de la créature qui s'arrêta et se retourna aussitôt dans la direction de celui-ci. Je rampe légèrement, à quatre pattes, pour regarder dans le couloir central et un éclat de lumière intense m'aveugle soudainement. Une forte chaleur s'ensuivit aussi, alors que la créature poussa un cri affolé se mettant à courir comme s'il cherchait à éteindre son drap en feu. Il s'agissait d'une véritable boule de feu ambulante et cela risquait de mettre le feu au banc de bois qui s'y trouvait.

Dans tous les cas, je m'en fichais un peu. Nous avions bien compris qu'il n'y avait que nous ici et aucun enfant ne se trouvait dans les parages donc il y avait peu de risque que ces derniers prennent feu… sauf s'ils étaient enfermés plus loin.

Enfin, je regarde finalement en direction de Valentino qui avait bondit jusqu'à moi, me tendant sa main alors qu'il était trop fière de lui. Il voulait assister au spectacle… Regarder quelque chose qui pouvait se mouvoir brûler, n'avait rien de très plaisant surtout que la créature semblait réellement désemparer poussant des cris horribles et déchirants comme s'il ne voulait pas quitter ce monde. Si ça se trouve, c'est nous qui sommes dans le tort… Je secoue la tête et me blottit contre Valentino, cachant mon visage contre son torse. Je n'aime pas ça et ça me fait peur. Cette chose va hanter mes rêves et je suis sûre qu'elle cherchera à se venger pour ce que nous lui avons fait subir…

Au bout de longues minutes, la créature finit par tomber au sol, plus capable de se déplacer alors que ses membres calcinés ne pouvaient plus la porter. Le drap qui couvrait son corps avait été brûlé le plus rapidement et heureusement pour nous, les feus qui avaient pris naissance à cause de ses braises volantes s'étaient rapidement éteints.

« Allons voir prudemment…»

En m'approchant, je sentis un relent de dégoût m'envahir alors que le corps de la créature nous était de plus en plus visible. Un être qui avait perdu son humanité depuis bien longtemps, une créature sortie de nos pires cauchemars… On aurait pu facilement croire qu'il s'agissait d'un être humain aux membres décharnés, mais nous ne pouvions en être sûr. Dans tous les cas, même avec les flammes qui dévoraient son corps, la chose ne semblait pas souffrir… Mais la voir se débattre ainsi, comme si elle luttait pour avancer en rampant tel une larve au sol me fit pitié.

À l'extérieur de la grande pièce de la fumée commençait à sortir par l'embrasure de la porte ce qui commença à inquiéter l'unicorne qui les attendait depuis tout ce temps. Il ne prit même pas la peine de communiquer avec sa maîtresse et se tourna afin d'ouvrir la porte de deux bons coups de sabots bien placés. Assez paniqué de voir sa jeune maîtresse près de ce feu, Arlequin s'approcha aussitôt et en voyant la chose au sol étendre ce qui lui restait de bras en direction de la jeune garde, il se rua aussitôt et vint écraser le crâne de la créature de ses gros sabots arrachant un dernier gargouillement de la gorge de cette chose. Le familier s'éloigna du feu et se rapprocha alors de sa cavalière.

Un cri apeuré et dégoûté s'échappa d'entre mes lèvres alors que je sentis des larmes s'échapper de mes yeux. Qu'est-ce que je venais de voir?

* Khalie hors danger…*

Mais je restai muette à ses paroles. Secoué et toute tremblante, le cheval à corne me poussa alors à l'aide de ses naseaux pour m'éloigner de cette scène horrifiante.

Cela prit d'ailleurs un moment avant que je retrouve mon calme, mais pas que ça. Il semblerait que la potion que nous avions consommée avait perdu tous ses effets, nous permettant ainsi à Valentino et à moi de reprendre nos apparences d'adulte. Les souvenirs sont toujours frais dans ma mémoire et je n'avais pas spécialement envie de plaisanter, surtout qu'il nous fallait trouver encore les enfants, mais sans grand succès. Il allait certainement falloir annoncer la mauvaise nouvelle aux familles…

« Tu crois qu'il y a un lien entre les petites poupées qui ont la même apparence que la créature que nous avons terrassé ainsi que la créature qui disait vouloir jouer à la poupée avec nous? » demandai-je tout simplement en regardant vers le plafond où nous nous trouvions…