Armure Rutilante
Franchement ? Il aimerait savoir ce qu’il fout là. Devant les immenses portes en chêne massif de cette maison qui pourrait aussi bien être appelée un manoir ou un château. Lui, pauvre banal citoyen paumé au milieu de cette foule incommensurable qui peuple la capitale. Il fait horriblement tache dans ce décor qui pue la richesse jusqu’au moindre petit caillou traînant sur le sol.
Pwouah, ce qu’il ne donnerait pas pour faire marche-arrière sur le champ. Il a déjà mal à la tête comme l’enfer pour avoir traversé la ville jusqu’ici, croisant mille et une couleurs sur son chemin… Il n’est certainement pas prêt à faire face à toutes les conneries d’un de ces nobles et leurs grands airs de je-sais-tout. En fait, il préférerait de loin écouter toutes les bêtises que son casse-pied de colocataire pourrait lui lancer. Et ses compositions, en passant. Tout cela en restant dans le noir, les yeux fermés. Journée parfaite.
Mais non. Il est juste… là. Était-ce même nécessaire de le convoquer pour lui faire tout un speech qui se résume en ’oui, oui, nous vous prenons’ ? Une lettre ou peu importe quoi n’était pas suffisant ? Il est pourtant sûr que tout noble ne voudrait certainement pas perdre son temps à le rencontrer.
C’est réciproque, d’ailleurs.
D’accord alors. Ça pourrait aussi être de sa propre faute. Pour avoir cédé si facilement aux conseils de son mentor. Il n’était même pas au courant de la demande jusqu’à ce qu’elle lui soit présentée, et qu’il ait été convaincu d’y postuler pour, espérons-le, obtenir un peu plus de renommée. Parce que vraiment ? C’est tout à fait ce qu’il cherche, oui, bien sûr. Non, sérieusement ? Qu’est-ce que ça peut lui foutre d’être inconnu ? Il fait juste ce qu’il aime : peindre. Dans son style abstrait.
Il doute aussi très fortement que ce riche apprécie l’art abstrait pour sa demande. Donc il n’avait aucune, mais alors vraiment aucune, raison de postuler.
Jusqu’à ce que son mentor sorte les mots magiques. ’Étends tes horizons.’
Il gémit intérieurement au souvenir. Donc. Il avait essayé de sortir de ses habitudes. C’est, en fait, une des deux raisons pour lesquelles il a accepté. Ça lui donne un certain défi. Bien qu’il aurait peut-être aimé choisir son sujet. Les armures… il ne peut pas dire que ça l’intéresse grandement. Mais bon, il fera avec.
Quoi qu’il en soit, il se trouve désormais devant les portes, attendant qu’on lui ouvre. Cela ne tarde pas, car très vite, un majordome apparaît et l’invite à entrer. Quelles sont les bonnes manières chez les nobles ? Guère bon en communication, il se contente d’adresser un signe de tête en guise de bonjour, puis se permet de passer la porte. Apparemment, c’est suffisant, puisque le domestique lui retourne la salutation, avant d’ouvrir la voie vers… vers qui sait où. Le lieu de réunion, très probablement.
Et les couloirs… il y en a des tonnes. Tous dépeignant plus de richesse les uns que les autres. Il regarde autour de lui, ses yeux se posant surtout sur les tableaux ornant les murs. Des œuvres d’art dans tous les styles, d’artistes connus. S’ils ont des peintres si connus travaillant pour eux, pourquoi l’ont-ils choisi à nouveau ? Il secoue la tête avec exaspération.
Alors qu’il pensait marcher dans ces couloirs infinis depuis des heures, l’odeur intense de propre n’aidant certainement pas son mal de tête, le majordome s’arrête finalement devant une porte plus simpliste qui s’ouvre sur… une bibliothèque. Il fronce les sourcils, revisualisant les choses, et comprend qu’il s’agit, en fait, d’un bureau.
Il y a… un homme dans la pièce. Mais avant qu’il puisse en déduire davantage, la couleur de son âme envahit sa vision. C’est sombre, et pendant un instant, il aurait pu penser que l’homme était de mauvaise humeur. Sauf que la flamme flotte en son cœur normalement. Elle est tel un tourbillon d’obscurité et de vin, le noir plus important que le violet-rouge, hypnotisant.
Déstabilisant, est le premier mot qui lui vient à l’esprit.
Il ferme les yeux une minute, tandis que Black-and-Wine l’invite à s’asseoir. « Comme vous le savez probablement déjà, je suis Ashley O’Callaigh. Mais avant d’aller plus loin, attendons notre deuxième invité. »
Rouvrant les yeux, sa vision mieux reconcentrée, il voit plus clairement l’homme. Il acquiesce et s’installe. Le noble devant lui, gracieux jusqu’au bout des ongles dans sa stature, pourrait aussi bien être son frère aîné s’il en avait un. Juste avec les cheveux légèrement plus foncés. En plus de son âme déstabilisante, Black-and-Wine alourdit l’air de la pièce de sa simple présence. C’est bien un noble, pas de doute. Et ce type en a parfaitement conscience.
Il détourne les yeux de l’homme vers les innombrables livres, un sentiment de malaise lui nouant l’estomac. Mais la sensation d’être scruté persiste horriblement, le laissant se sentir comme s’il était jugé profondément en silence. Ce qui est sûrement le cas, à vrai dire.
Et cette pensée lui permet de se renfrogner légèrement, atténuant à peine le malaise.
Quelques minutes plus tard, la sensation disparaît en même temps que le son de l’ouverture d’une porte. Il se retourne pour voir le nouveau ve— oh well. Voilà une connaissance inattendue. Huh. Gêne qui s’ajoute au malaise. Bien qu’il ne soit pas sûr de qui entre eux deux soit le plus perturbé ici. Malgré tout, il renvoie le signe de tête poliment. Pas la peine d’aggraver les restes pendants lamentables de leur amitié.
Qui aurait cru qu’il aurait, un jour, la chance de potentiellement essayer de la réparer ? Même s’il n’a pas la moindre idée de par où commencer cela.
Plus que cela, il ne peut s’empêcher de suivre le va-et-vient (à sens unique) entre les deux. Vraiment, c’est plus comme si l’excitation débordait du tourbillon qu’est l’âme de Black-and-Wine, ou du moins, c’est ainsi qu’il interprète le fait que le violet-rouge prenne plus d’ampleur, face à l’inquiétude grandissante de son supposé ami, visible par la fine ligne jaune longeant le bleu variant qui tressaille dans des petits pics à chaque mouvement ou parole de Black-and-Wine.
Bien qu’il laisse essentiellement la conversation se dérouler sans intervenir, même s’il souhaite offrir n’importe quelle forme de soutien dont il n’est pas sûr que cela aide à son vieil ami, il doit se mordre la langue pour retenir une réplique du type ’Franchement ? Pas moi.’ face à la possible offre de contrat. Peut-être qu’ils viennent juste de se rencontrer, mais si cet homme dérange son ami, alors ce n’est pas et ne sera jamais ok avec lui non plus. Pas que cela l’aurait été même en circonstances normales, il doit bien l’avouer.
Ce n’est que lorsqu’ils sont renvoyés dehors qu’il se permet de soupirer longuement de soulagement. Il espère sincèrement ne pas revoir Black-and-Wine de si tôt.
Il s’éloigne du bâtiment aux côtés de son ami perdu il y a des années. Avec cela, l’âme de ce dernier semble s’être davantage stabilisée. Il reste quelques tremblements, mais rien d’aussi inquiétant que dans ce bureau.
« Ouais… » Il est aussi bon à communiquer que jamais. Il passe une main dans ses cheveux hérissés, avant de la laisser retomber contre lui. Il le regarde, bleu dans toutes ses nuances les plus claires, et jaune ondulant un peu frénétiquement devant lui. « Alors euh… est-ce que… ça va ? Je veux dire… à la fois en général, et avec euh… Black-and-Wine. » Il esquisse un geste vers le manoir qu’ils viennent de quitter, espérant que son vieil ami comprenne. Il a déjà zappé le nom du noble.
Il réalise après coup que, peut-être, vu la discussion plus tôt, le blond ne souhaite pas en parler ni même y penser. Ni maintenant, ni dans les jours à venir. Ni probablement jamais à nouveau. De ce fait, il essaye tant bien que mal de se rattraper. « En fait, t’as pas à me le dire si tu veux pas. Est-ce que… tu veux passer chez moi pour qu’on voie ce qu’on a à faire ensemble ? » Il désigne vaguement la foule au loin qu’ils vont devoir traverser à nouveau s’ils espèrent atteindre sa maison partagée. D’ailleurs, il n’a pas prévenu son colocataire. Non pas qu’il savait qu’il ramènerait quelqu’un avec lui, de toute façon…
De plus, il a un petit atelier… qui est essentiellement sa chambre, mais bon. Il peut deal avec ça. C’est juste… franchement le bordel à l’intérieur. Mais il ne pense pas que ni Adam, ni lui, ne veuillent rester dehors à travailler sur un projet au milieu de la foule. Il aurait pu suggérer leur lieu de rencontre, sauf qu’il doute que ce soit un bon souvenir. Alors, il ouvre la voie vers sa maison. S’ils changent d’avis… well, ils n’auront qu’à changer de cap en cours de route.