La bouche pâteuse. Un goût amer en bouche. La tête qui sonne les carillons. Bien sûr, tout le monde vivait un jour ou l’autre la gueule de bois. On la vivait ou alors on n’avait pas vraiment vécu à ce moment-là. Pourtant, en ce petit matin à déambuler dans un quartier où elle s’était perdue, Arwen sentait au fond d’elle-même qu’elle avait déjà vu tout cela. Dans un rêve, une vision, ou alors son sixième sens avait-il été plus rapide qu’elle ?
Elle n’arrivait pas à poser le mot dessus. Elle n’arrivait pas à se défaire de ce profond sentiment d’irréalité. Une senteur d’onirique l’entourait alors qu’elle faisait un pas, puis un autre. “Tu t’es grisée trop vite. Ton pouvoir n’a pas supporté et te fait porter le coup. Délirer sous le coup de l’alcool, ça te donnera une bonne leçon, tiens”. Jean grognait. Ou était-ce elle qui grognait en essayant de faire un pas, puis un autre ? Etait-ce elle qui faisait l’ours ou était-ce Jean qui était l’ours et qui lui faisait écho ?
Jean n’était plus là, se raisonna-t-elle. La rue, déserte à cause du petit matin, résonna de son grondement plaintif et animal. Elle ne se rendit même pas compte qu’elle renversa un tonneau vide laissé à l’abandon. Elle déambulait comme une ombre, un fantôme, un de ces esprits qu’on voit passer pour ne plus jamais le recroiser.
Jean n’était plus là, s’était-elle raisonnée, et pourtant, elle continuait à l’entendre. Elle continuait à le sentir auprès d’elle, comme un mort qui colle à la peau. La mort ne lui faisait pas peur. Les morts ne l’avaient jamais effrayée, elle avait bien eu l’habitude d’apercevoir leur face livide, leurs joues décharnées et leurs corps désarticulés. Son père préparait les corps pour l’inhumation, elle, dans un coin de la cahute, le regardait faire. Ou bien était-ce Jean qu’elle avait observé découper les dépouilles de fauves trop aventureux de la plaine ?
Un souvenir superposait l’autre. Un déjà-vu se créait alors. Arwen ne savait plus.
“Vous pouvez pas faire attention ? C’est p’têt l’heure où certains se lèvent, mais y’en a qui veulent encore dormir, putain !”
Le gars avait ouvert sa porte, fulminant. Jean la fixait de son air sévère, de ses pupilles d’acier, aussi chaleureuses que la frontière du Nord. Comme à son habitude, elle grogna et continua sa route.
“Ouais, ouais…”
Il ne lui avait pas la morale pour une fois, tiens. Elle releva ses grands yeux noirs, tandis que le pâle de sa peau se faisait de plus en plus doré à l’approche du jour qui se levait doucement. Le soleil perçait doucement derrière les murailles de la cité, et elle continuait en titubant sa marche. La cité ? N’était-elle pas dans le village des plaines, où elle habitait avec Jean depuis bientôt huit ans maintenant ? La jeune femme sentait que ses souvenirs, ses pensées et sa mémoire se superposaient, sans différencier les temps.
Jean la retrouverait. Jean la récupérerait. Il faisait toujours ça, surtout quand elle avait passé la nuit à boire. Il viendrait hein ? Sans s’en rendre compte, elle avait dérivé dans le quartier bien plus calme des brodeuses. Elle tituba jusqu’à une fontaine et s’assied sur le rebord, pour contempler ses mains noires de crasse et collantes de bière. Encore ce même goût de déjà-vu.
”Il va venir, hein ?” se murmura-t-elle à elle-même.
Mais il est mort, lui répondit une voix. Il n’est plus là. Il ne sera jamais plus là. Jean est mort. Il fallut qu’elle se le répète plusieurs fois pour que son esprit sorte enfin de la brume qui l’enveloppait. Pour la première fois depuis des semaines, une digue céda qu’elle avait retenu jusque-là sans mal. Elle n’avait pas pleuré lorsqu’elle avait trouvé le vieillard endormi dans son fauteuil, au coin du feu. Elle n'avait pas pleuré pendant l'enterrement, ni pendant son voyage, ni même pendant ces deux dernières semaines d'acclimatation à la vie de la caserne et de la capitale. Alors, pourquoi maintenant ? Les larmes coulaient sur ses joues, sans qu’elle ne prononce un mot, sans qu’une lamentation ne trépasse ses lèvres. Son visage si fermé, si froid, si hostile était si bouleversé et perdu à la fois. C’était des larmes qu’elle versait pour Jean, mais pour son père aussi, le vrai, celui qu’elle avait effacé peu à peu de sa mémoire.
Et elle pleurait en silence, d’injustice et de stupéfaction. L’émotion la foudroyait à un moment qu’elle n’avait pas prévu. Son regard noir et d’habitude orageux, dérivant vers un lointain qu’elle seule semblait pouvoir voir, n’accrocha pas sur la silhouette d’un autre badaud qui rentrait aussi d’une nuit agitée.
La seule silhouette qu’elle voyait devant elle, c’était Jean qui s’en allait, lui tournait le dos et… Arwen leva les yeux devant l’imposante figure qui lui faisait face. L’impression de déjà-vu reprenait doucement. Cette fois-ci, les souvenirs ne se superposaient pas au présent. C’était le passé qui ressurgissait. Il y a trois ans, dans son patelin campagnard, elle avait retrouvé quelqu’un au bord d’un puits après une nuit arrosée.
Les mêmes yeux sombres. Les mêmes cheveux noirs. Les mêmes traits taillés au couteau, qui faisaient glousser de plaisir les filles du village. La jeune femme n’avait pas oublié cette soirée. Elle n’oubliait rien, encore moins un homme qui avait essayé de la charmer sans être le pire des lourds. Il avait vu le sort du précédent tombé au fond du puits, il ne s’y était pas risqué. Ce n’était pas son genre simplement.
La différence avec il y a trois ans, c’est qu’elle était alors distante, fermée, cordiale, sans rien montrer de plus que ce visage militaire et bourru qu’elle montrait à chacun. Là, saoule et esseulée, Arwen se sentit nue comme un vers lorsqu’elle croisa son regard.
”Newt ?” fut la seule chose qu’elle réussit à articuler.
Les bribes de leur rencontre refluait doucement, comme si elle avait retrouvé les paroles d’une vieille comptine oubliée depuis longtemps.
- - Paramnésie - -
- feat Arwen -
Newt était venu avertir Aeron de la présence suspecte de cette tour dans la foret. Il n’avait pu voir Grimvor ou Athéas, a qui le jeune noble voulait montrer son oeuf de Lumios recémment acquis. Il avait vu au matin même que l’oeuf présentait une fissure, aussi le jeune noble s’était rendu dans une auberge assez riche, réservant une chambre pour la nuit. Nivom était fatigué de sa rencontre avec la tour, et Newt voulait qu’il se repose. Posé sur son lit, le jeune homme fixait l’oeuf blanc. Il en avait oublier de manger, il avait hate de voir ce compagnon tout nouveau et dont on lui avait assuré la rareté.
C’est en sentant près de lui une truffe humide que Newt se réveilla. Il s’était assoupi et la lumière du pelage du lumios l’éblouit presque. Protégeant ses yeux en mettant sa main devant ses yeux, Newt effraya sans le vouloir le petit animal.
— Eh mon grand, salut. Viens. Viens là. T’es tout mignon dis moi.
Il tendit sa main au lumios qui, allez savoir comment, avait fait réduire la lumière de son pelage. Il s’approcha de Newt et renifla sa main avant de s’y frotter. Newt sourit et le caressa doucement.
— Bienvenue dans ce monde, Odin.
Le lumios avait le pelage tout doux et soyeux, un peu épais pour son espèce habituellement à poil ras. Il avait officiellement une boule de peluche avec lui. Nivom tapa avec sa queue à la fenêtre, faisant sursauter Odin. Newt l’attrapa et le caressa pour le rassurer tandis qu’il ouvrait la fenêtre. En quelques grognements de son compagnon de toujours, Newt comprit qu’il devait sortir.
Le lumios dans sa veste, le jeune homme descendit dans la grande salle de l’auberge et sortit pour rejoindre Nivom. Le dragon, dormant dehors, lui indiqua une silouhette près d’une fontaine sur la place. Newt, sourcil froncés, méfiants, s’épprocha avant de reconnaitre Arwen. Il l’avait connu quand Grimvor et son père l’avait envoyé prendre des nouvelles des paysans isolés du royaume. Il avait trouvé Jean Lamont touchant quand il l’avait rencontré, mais avait connu Arwen dans une taverne lors de cette mission. A l’époque grand dragueur, il avait tenté de l’approcher pour voir si cette carapace armée renfermait un physique avantageux. Il s’était mangé un mur. Et c’était déstabilisant de voir Arwen en pleurs ici. Déjà, il ne s’était pas trompé, Arwen n’était pas laide, loin de là. Mais ce n’était pas le moment. Quand elle prononça son nom d’une voix étranglée, le jeune héritier s’accroupit près d’elle tandis qu’Odin gagnait son épaule.
— Arwen ça va ? Qu’est-ce que tu as ?
Il posa doucement une main sur l’épaule de la jeune femme, inquiet de savoir ce qui avait pu percer ainsi ce mur.
Newt n'était pas n'importe qui. Arwen l'avait appris bien plus tard, mais le brun qui avait essayé de la draguer cette soirée-là et qu'elle avait repoussé poliment mais froidement, était le fils du gouverneur du port. Jean lui avait soufflé dans les oreilles, pestant et maudissant sa tête d'ours qui n'en faisait qu'à sa tête. De là, venait la rencontre et la connaissance. Étaient-ils proches ? Pas tant que ça. Ils n'avaient pas même gardé contact, après cet accrochage où la jeune femme avait été plutôt rude et sèche, comme à son habitude. Un bouclier, une armure, une forteresse que nul ne pouvait briser à l'époque.
Elle n'aurait pas cru le revoir dans la capitale. Elle n'aurait pas cru le revoir du tout, à vrai dire. C'était peut-être la dernière personne à laquelle elle aurait pensé s'adresser ou croiser dans cet état-là. Aussi désarmée que démunie, elle n'avait rien à cacher, rien à retenir, rien à garder entre ses doigts. Ce qu'il lui restait après tout, n'était que du sable, des cendres, du rien. Des souvenirs.
Elle ne sentit que la caresse de sa main sur son épaule et sa voix, où perçaient l'inquiétude. En même temps, elle se souvenait de la manière dont il l'avait accostée il y a trois ans de ça. Pas discrètement, avec la fougue de la jeunesse. Les yeux dans le vague, la jeune femme ne fit même pas attention à l'animal posé sur l'épaule du noble.
"Jean... Jean est parti"articula-t-elle, la voix rauque. Doux euphémisme pour dire qu'il n'était plus de ce monde. Le vieillard, aussi rude et droit qu'une montagne, peu loquace, mais respectueux et loyal s'était effondré, Arwen à sa suite. Elle se déversait là, sans s'en rendre compte véritablement. Ce furent les seules paroles qui lui échappèrent, trop abêtie par l'alcool et stupéfaite par les émotions qui lui étaient revenues avec la force d'un bélier en charge.
Elle n'expliqua pas sa présence ici, loin de la campagne paisible et profonde, où l'odeur du blé et des foins régnait, contrastant fortement à la rumeur étiolée de fragrances qu'était la capitale. Elle ne lui demanda pas même ce qu'il faisait là, car ce n'était pas le plus important. "Qu'est-ce que tu fais dans ces cas-là ? A quoi on est sensé se raccrocher ?"
Le vide et l'absence qui s'ouvraient béants devant elle étaient terriblement vertigineux et inquiétants. Dans ses deux questions, il y avait l'angoisse et la perte de repères. Jean avait toujours son repère, sa boussole, son étoile du Berger, la girouette qui lui disait dans quelle direction le vent soufflait. Jean n'était plus là et Arwen n'était plus qu'une coquille de noix qui dérivait au fil de l'eau. Il lui sembla reprendre ses esprits, pendant un instant, où l'armure et l'amertume revinrent.
Newt n'avait pas à entendre tout ça. Il n'avait même pas à y répondre. Que pouvait-il y répondre de toute manière ? Avait-il jamais perdu quelqu'un ? C'était ce qu'elle se disait et ce fut pour cette raison qu'elle se releva un peu trop vivement, prête à s'enfuir.
"J'ai trop bu, certainement. Pourquoi est-ce que je te raconte ça ? La dernière fois qu'on s'est vus, je t'aurais jeté dans un puits, si Jean ne m'avait pas retenue" Tout en disant cela, elle riait jaune et elle essayait de ne pas tituber en s'appuyant au rebord de la fontaine. Mais, sa main glissa et le haut de son corps tomba dans la flotte. Trempée jusqu'aux épaules, elle étouffa un juron, comme pour retrouver le bouclier de rudesse qu'elle avait toujours eu. La brune ne pouvait rien lui cacher derrière les vapeurs d'alcool pourtant. Ses yeux noirs ne brillaient pas de colère, ils étaient ternes d'inquiétude et de détresse.
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Arwen était au bord d'un gouffre que Newt ne voyait pas, mais qu'il avait aussi connu il y a plusieurs années : aujourd'hui réparé, il devait faire face à ce qu'il avait été. Quand Arwen dit que Jean était parti, et vu l'état de la jeune femme, Newt comprit rapidement qu'on ne parlait pas d'un voyage. Newt s'assit à côté d'Arwen, proche d'elle, hésitant à la prendre dans ses bras. Lui, à l'époque, ça l'avait bien aidé, quand son père lui avait dit que sa vraie mère, celle dont on l'avait privé, était morte. Newt avait compris avec le temps que cette femme l'avait abandonné et que sans son père, il n'en serait sans doute pas là.
- Qu'est-ce que tu fais dans ces cas-là ? A quoi on est sensé se raccrocher ?
Il haussa les épaules et exerça une douce pression sur celle de la demoiselle.
- On fait avec, on se raccroche à ceux qui sont là... Et on sert les dents
Il avait parlé avec le regard dans le vague. Elle sembla alors soudainement reprendre ses esprits, se levant avec un sérieux vacillement. Il annonça qu'elle avait trop bu, qu'elle l'aurait jeté dans un puit à l'époque. Mais en se relevant et en prenant appui, elle glissa et se retrouva trempée jusqu'aux épaules. Newt se releva, cala le Lumios dans son col et s'approcha.
- Ok, tu me jèteras dans un puits la prochaine fois. fit-il en croisant son regard.
Il s'approcha doucement, prête à la retenir si elle s'effondrait. Il ne pouvait la laisser là. Jean avait élevé Arwen et il était hors de question qu'il arrive quelque chose à cette femme entre les mains de Newt.
- Tu m'en voudras pour ça mais laisse moi faire... fit-il d'une voix douce.
Il attrapa les épaules d'Arwen et l'entraina avec lui vers l'auberge ou il passait la nuit. En bas des escaliers menant à sa chambre, le jeune homme passa ses bras sous les jambes de la jeune femme et la souleva pour se faciliter à la tache mais pour l'aider aussi. A peine fut-il dans sa pièce personnel qu'il déposa Arwen sur son lit.
- Tu vas prendre un bon bain chaud, et crois-moi ça ira mieux après.
La laissant seul dans la pièce, il remplit une bassine d'eau qu'il chauffait par ses flammes et bientot, la bassine fut remplie d'eau chaude.
Ecrit sur ça
En temps normal, elle aurait hurlé. Elle l'aurait insulté. Elle lui aurait donné des coups de pied. Elle aurait tout fait pour qu'il lâche prise, qu'il la laisse tomber comme une pauvre vieille chaussette. Mais Arwen ne fit rien de tout cela et elle le laissa l'emporter sur son épaule, les yeux dans le vague.
Elle se raccrocha à ceux qui étaient là et elle serra les dents.
Le bain lui fit un bien fou. L'eau nettoya les brumes qui avaient recouvert son esprit. Elle n'effaça pas le reste cependant, ni la tristesse, ni l'inquiétude, ni la douleur. Ni la gêne profonde qu'elle ressentit lorsqu'elle ressortit de sa chambre. Elle tentait en particulier de cacher les cicatrices qui vrillaient son corps, derrière la longue tunique qu'elle avait remise. Les bras croisés, collés tout contre son corps, tout son langage corporel avait changé. Plus rien de fort ou d'imposant, l'armure s'était brisée en morceaux. On aurait pu la comparer à une biche effarouchée prête à s'enfuir. Il n'était pas faux de dire qu'à l'instant, c'était la seule réaction qui lui faisait envie. S'enfuir loin de honte.
Ses longs cheveux bruns avaient ondulés sous l'effet de l'eau et si elle s'était vue dans un miroir, elle se serait peut-être encore plus maudite de l'effet "chouette ahurie" qu'elle renvoyait. Son regard croisa celui de Newt. Elle ne dit rien d'abord, s'apprêta à parler, s'arrêta, puis soupira en se massant les tempes :
"Désolée. C'était pas prévu. J'ai légèrement craqué. Tu aurais dû me faire tomber dans la fontaine, plutôt que de faire chauffer une bassine d'eau."
Même si c'était très gentil de ta part, aurait-elle voulu ajouter. Arwen ne savait simplement pas où se mettre à l'instant, peu habituée... Peu habituée à quoi ? Dans sa tête, elle essayait de se rappeler ce qu'il y avait de si étrange et de familier à ça.
Ah, oui. Les grands bains matinaux, c'était Jean qui les lui donnait dans l'étang du jardin, pour la réveiller sans peine. Les punitions, les rabrouements, les leçons de morale, c'était Jean qui les lui avait donnés. Le quotidien et l'intime, c'est tout ce qu'elle avait partagé avec lui pendant près de sept ans. Ce qu'avait fait Newt, ce ne serait jamais du Jean. Ce ne serait jamais du strict et imbuvable Jean. Ce ne serait jamais non plus la douceur et l'aura rassurante que le vieillard avait pu lui renvoyer par moments. Mais ce matin-là, ç'avait été suffisant pour qu'elle se rappelle qu'elle avait été seule trop longtemps, que si Jean n'était plus le centre de son monde, il lui suffisait d'en retrouver un autre.
Caressant machinalement ses cheveux et évitant soigneusement son regard, elle finit par murmurer après s'être raclé la gorge :
"Merci"
Simple, bête, méchant. De sa part, ça voulait dire beaucoup pourtant. Elle ne dit rien de plus, elle ne savait pas quoi dire au final. Elle n'avait jamais été très douée pour ça, à vrai dire. L'hésitation la tiraillait pourtant, entre rester encore un peu et connaître un peu mieux ce jeune noble qu'elle avait mal jugé, et s'enfuir et retourner à son quotidien morne. Ils l'attendaient probablement à la caserne, le soleil était déjà bien haut dans le ciel...
- - Paramnésie - -
- feat Arwen -
Newt était sorti de sa chambre pour laisser Arwen tranquille. Il en avait profité pour s'arrer que Nivom allait bien et de toute évidence, l'immense dragon faisait sa vie tranquillement. Il était partie hors de la ville pour n'effrayer personne, et avait ensuite gagner le chateau royal, ou les gardes avaient l'habitude de sa présence.
Le jeune homme avait regagné sa chambre, patientant qu'Arwen sorte. La jeune femme avait remis sa tunique mais semblait déjà dans un meilleur état qu'une heure auparavant. Elle restait néanmoins très fragile, quand elle croisa son regard, Newt qu'elle allait se briser. Il fit revenir son Lumios sur son épaule avant de croiser calmement les bras.
- C'est rien... J'aurais pas pu te laisser dehors.
Son attitude trahissait une gêne et on pouvait enfin distinguer la femme sous l'armure. Perdant ses doigts dans ses cheveux, elle lâcha un petit merci qui arracha un léger sourire à Newt.
- Allez viens, on va manger. Je m'occuperais de la caserne, ne t'inquiète pas. Il ne t'arriveras aucune réprimande.
Il l'entraina doucement avec lui jusqu'à la salle à manger de l'auberge, déserte à cette heure ci, entre le petit déjeuner et le repas. Newt avait faim et il savait aussi qu'Arwen devait manger, ne serait-ce que pour limiter l'effet de sa gueule de bois. Ils prirent place et Newt commanda de lui-même deux gros petits déjeuner. Quand le tavernier quitta la pièce, Newt croisa ses bras sur la table et se pencha vers la jeune femme.
- Alors ? Pourquoi tu t'es mis dans un état pareil ? demanda-t-il d'une voix douce, qui ne se voulait pas autoritaire et qui ne le fut pas.
S'occuper de la caserne ? Aucune réprimande ? Arwen s'apprêtait à protester, mais Newt lui prit la main et l'entraîna à sa suite, l'obligeant à rester simplement silencieuse. Son travail, c'était toute sa vie et le respect du code et de l'étiquette militaire était tout ce qu'elle avait toujours connu ou presque. C'était ce qui l'avait sauvée, qui lui avait donné un objectif et un avenir. Elle le suivit sans dire un mot, tout en se demandant si elle était vraiment à sa place.
La salle à manger était déserte, chose plutôt profitable. Elle n'aurait pas à supporter les cris, le chahut et toute l'agitation qui n'auraient fait qu'aggraver son mal de crâne. Elle s'assit avec un peu de gaucherie et observa l'auberge avec un brin de curiosité et d'admiration. Sur le chemin à la capitale, elle n'avait fait que dormir dans des fermes, par manque d'argent et de moyen. La garde n'aurait certainement pas eu le luxe de résider dans de tels bâtiments et encore moins l'envie.
La solitude et le silence étaient pour ainsi dire ses meilleurs amis.
Avec un sourcil froncé, elle interrogea Newt du regard quand l'aubergiste arriva avec deux plateaux remplis à ras-bord de pain, d’œufs, de beurre, de lait, de purée de pois et même d'une tome de fromage. Pouvait-elle vraiment se permettre ? La question du jeune homme, qui s'était légèrement avancé vers elle, les bras croisés, la désarçonna un peu.
Le ton n'était pas agressif. Simple, sans arrière-pensée. Arwen ne put s'empêcher de jauger le jeune homme d'un rapide coup d’œil : il avait pris en taille et en muscles depuis la dernière fois qu'ils s'étaient vus, mais plus encore en maturité, semblait-il. Vu la douche froide qu'elle lui avait mise, il y avait peu de chance qu'il se remette à faire le rentre-dedans comme il l'avait fait.
Elle détourna le regard. Parce qu'elle n'avait pas envie de voir son propre reflet au fond de ses yeux noirs. Cela n'avait rien de courageux ou de glorieux, mais elle en était effrayée. De voir à quoi elle ressemblait ce matin, c'était effrayant. Si elle croisait les doux yeux du jeune homme, peut-être craquerait-elle aussi. La voix, la contenance, la fermeté, tout lui manquerait.
"J'ai bu, grogna-t-elle,"on avait bu aussi il y a trois ans, tu sais." Le silence de la salle à manger ne fut percé que par les rires et les cris d'enfants passant dans la rue. Le regard au vague, essayant d'avoir l'air plutôt détaché, Arwen reprit doucement, sans s'en rendre totalement compte : "La seule différence par rapport à il y a trois ans, c'est que je suis dans la capitale et que Jean... N'est plus là. J'ai eu la main un peu plus lourde que d'habitude."
Mensonge, hein.
En vérité, Arwen, tu n'as pas envie d'en parler. Tu n'as pas envie d'en parler parce que ça te dévore de l'intérieur et que tu as déjà envie d'oublier cette crise de larmes et cette crise de panique qui t'a prise dans la rue. Cette déchéance dans l'alcool, pire que d'habitude, c'était pour mieux oublier cette prise de conscience que tu avais eu soudainement, d'être toute seule et de probablement le rester. Cela te pique l'orgueil, de l'admettre. Elle caressa ses cheveux, tout en baissant la tête et en fronçant le nez :
"J'ai pas vraiment envie d'en parler Newt. De me rappeler ce qui m'est passé par la tête à ce moment-là. Je préférerais oublier, qu'on n'en parle pas, que ça reste entre toi et moi, et voilà. J'ai bu, ça m'est revenu sur la conscience et, et..."
La jeune femme cherchait ses mots et évitait toujours soigneusement son regard. Les sourcils froncés, son masque sévère ne la quittait désormais plus. Les mots se perdaient, elle ne savait plus quoi dire. Elle ne savait plus comment se justifier, en vérité, puisque c'est de cela qu'il s'agissait. Retrouver sa contenance, remettre le bouclier en place, alors qu'on s'était déjà effondré à genoux. C'était par habitude, par orgueil. Par timidité peut-être, tant elle n'avait été qu'une pierre silencieuse depuis toutes ces années.
Mais Newt ne serait pas dupe. Les mots ne sortaient tout simplement plus.
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L'aubergiste amena rapidement deux petits déjeuner plus que digne de ce nom. Newt avait les moyens, aucun problème là-dessus, et il pouvait parfaitement payer pour Arwen qui s'apparentait à une amie, malgré son attitude souvent glaciale envers le jeune noble. Quoique... La dernière fois, glacial, ici, désoeuvrée... Newt ne savait pas s'il pouvait compter Arwen comme une amie, mais il se sentait obligé de la protéger d'elle-même, surtout maintenant que Jean n'était plus. La jeune femme n'avait pas besoin de lui pour se défendre, mais contre elle-même, il lui fallait un pillier pour succéder à Jean. Les quelques jours où ils s'étaient fréquentés à l'époque avaient permis à Newt de mieux la connaitre.
Arwen lui dit qu'elle avait bu. Plus qu'il y a trois ans, que la capitale, Jean... Tout cela lui avait donné la main lourde. Newt ne chercha pas à croiser ses yeux. Il lui attrapa néanmoins la main, gentiment, avant de lui faire un petit sourire et de se reculer dans son siège, attrapant une tranche de pain beurrée.
- Je ne vais pas insister. Tu m'en parleras si tu le veux. Maintenant, mange. Ca soigne tous les mots ça.
Il croqua dans son pain, pensif, le regard posé sur Arwen. Il ne savait plus quoi penser. Il hésitait à lui dire que Jean ne serait pas d'accord avec son attitude, mais il ne dit rien. Les mots restaient bloqués dans sa gorge, de peur de voir Arwen s'effondrer de nouveau. Il ne pouvait se le permettre, pour son image et pour celle qu'Arwen avait d'elle même. Elle tentait de rétablir son mur glacial mais Newt n'était pas dupe. Pour autant, il n'insista pas, attendant qu'elle s'ouvre à lui plutot que l'inverse.
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Arwen était têtue mais le jeune homme avait eut ses réponses : Jean Lamont n’était plus et Arwen perdait pied. Elle mangea néanmoins un morceau sous les conseils du dragonnier mais ne s’exprima pas davantage : son corps parlait pour elle. Il ne pouvait promettre qu’il veillerait sur elle, il n’était pas souvent à la capitale, mais il jura pour lui-même de demander à Solus de veiller sur la jeune femme du coin de l’oeil. Son meilleur ami lui devait bien ça.
Après leurs petits déjeuners, les deux jeunes gens sortirent faire un tour, où Arwen semblait se détendre et reprendre un peu des couleurs. A défaut de pouvoir vraiment prendre soin d’elle, Newt se chargea de lui hanger les idées.
Sans surprise, on questionna Arwen sur son absence et Newt, en qualité de fils du gouverneur, insista sur le fait qu’il avait eut besoin de la jeune femme aujourd’hui. Heureusement, Arwen ne fut pas sanctionné de cette journée manquée et le jeune repartit après avoir touché de loin un mot à son ami lieutenant. Il repartit le coeur léger en sentant malgré tout la peine de la perte de Jean Lamont. En rejoignant Nivom, le jeune homme eut une pensée pour le vieillard. Après tout, le monde manquait de gens comme lui.