Petite famille presque parfaite

Allongée sur mon lit, vêtue d'une simple tunique longue par dessus mes sous-vêtements, je me repasse les dernières heures de ma journée passée aux côtés de ma fille. Elle m'a semblée particulièrement joyeuse aujourd'hui, presque chipie. Est-ce qu'elle me cache quelque chose ? Oui, clairement. Mais elle a dit que j'aurai la surprise demain.

Alors il me tarde d'y retourner. Et pour une fois, avec cette promesse en tête, je sens que je vais bien dormir. M'occupant de passer un baume cicatrisant sur ma cicatrice presque totalement refermée, je coupe la lumière et me laisse bercer par mon imagination jusqu'à m'endormir enfin.

Et quand j'ouvre les yeux, je suis particulièrement perplexe. Ce qui me surprend d'abord, c'est cette sensation gluante qui me colle à la peau alors que je suis allongée dedans. Mais qu'est ce que... ?

"On est où là ?"

Je regarde autour de moi, mais je ne vois que de la brume autour de moi et des formes étranges... Avec des bruits étranges...

- Je ne sais pas... Et franchement, ça m'inquiète.

Je me relève, sentant alors ma morsure du froid alors que je suis toujours dans la tenue dans laquelle je me suis endormie... Mes pieds nues s'enfonçant dans cette espèce de bouillasse qui recouvre le sol. En le regardant de plus prêt, je distingue des traces de pas encore fraiches, de deux sortent : des grandes et des petites. Et j'ai l'impression que comme moi ceux à qui elles appartiennent sont arrivés ici... Car ces traces ne vont que dans un sens et partent de là où je suis.

- Mais on est pas seul, et il semblerait qu'il y ait un enfant au vu de la taille des empreinte.
- Maaaa' !!? Tu nous entends ?

Oh putain.

"J'ai un mauvais pressentiment."

- KAHLUA !

Sans même prendre plus de temps de réflexion, ignorant tout l'environnement autour de moi, je fonce à travers la brume, la panique me prenant.
Pourquoi ?! Pourquoi est-elle ici ? Est-elle seule ? Les Lys... Ils auraient découvert que je les aies retrouvés ? Ils nous auraient enlevés et envoyé ici pour me punir ?
Non, non. Kahlua ! Je te protégerai, je ne les laisserai pas te faire de mal ! Je !

- KAHLUA !
- Ma' ! On est là ! Ma' !

On ? Raaah mais c'est pas vrai ! Pourquoi ?! Cette fois c'est foutu, ils savent tout. J'arrive alors en face d'un Elion blême et d'une Kahlua au bord de la panique bien que perché sur les épaules de son père mais semblant légèrement rassurée que je sois là.

- Je... Je suis désolée, je...

Tout est de ma faute. Si on est ici. Si seulement je m'étais tenue à distance d'eux ! Si seulement je n'avais pas bravé l'interdit ! J'aurai pu éviter ça ! Des larmes de culpabilités et de peur roule sur mes joues, non pas tant à cause de l'environnement qu'à cause de la situation.
La seule chose qui me reste, c'est que je suis avec eux, et libre de mes mouvements.

- Je... Je vous protégerai. Peu importe ce qui arrive, je vous jure de vous protéger.

Même si, prestement, ça risque d'être compliqué... Sans arme, sans armure... Mais qu'importe : moi vivante, je ne laisserai personne leur faire du mal.

D'un coup, la tension montait en moi quand la petite se mit à hurler à travers ces bois.

"Kahlua ! Tais-toi ! Ca ne va pas ?! Pourquoi tu beugles comme ça !? Chuuuuut !" Fis-je en murmurant.

En un moment, je la descendis de mes épaules pour poser ma main sur sa bouche, faisant les gros yeux, l'indexe sur ma bouche pour imposer le silence. Sérieux Kahlua, ferme la ! Je me sentais tellement tendu que des idées plus radicales m'étaient venues en première intention. La peur pouvait défaire quelques principes que je m'étais imposé. Cependant, un mouvement derrière moi me fit des suées froides. Je fis volte-face malgré cette voix que je ne pouvais pas reconnaitre dans ce contexte.

" Qu-qu'est ce que tu fous là toi ? "

Oh Lunarya ! Je ne sais pas si je dois te maudire ou te bénir. Bon, d'un côté, savoir une garde avec nous était un réel plus. Ca ne desserrait pas la boule que j'avais dans le bide mais au moins, on aura des conseils de professionnel. A vrai dire, je n'étais pas tant flippé pour moi. Beaucoup plus pour 'Lua.

" Mais qu'est-ce qu'on fout là ? Pourquoi nous trois ? Peut-être qu'il y a d'autres personnes dans les bois.. Faut trouver un abri le temps que le jour revienne. Ou un truc au sec. Je détournais mon regard vers ma fille. Il ne faut surtout pas que tu te perde. Tiens moi la main ou celle de ta mère. T'as froid ?"

Sans sa réponse, je la mis contre moi. Sa présence me rassurait... un peu. Ca m'arrachait la tronche de l'avouer, mais j'étais content d'être avec Lunarya à cet instant précis.

" Donc, c'est toi alors qui faisais tout ce bruit. J'ai cru qu'il y avait des créat-..."

Des cliquetis. Il y avait des cliquetis derrière moi. Tous mes poils se hérissèrent alors qu'une sueur froide remontait le long de mon dos. E-et ça se rapprochait. J-j'ai peur... Je fis d'une petite voix...

" Luna, prends Kahlua et courrez ! A toi de la protéger ! "

Je lançais presque notre fille dans ses bras alors que je.. bah je... ne sais pas quoi faire. Elle elle saura. Luna la protégera mieux que moi... Et sans moi, elle aura un boulet de moins, non ? Je s-suis un adulte, j-je devrais m'en sortir, non ? Mon bras se fit agripper plus ou moins violemment alors que j'étais concentré sur l'origine du bruit. J'étouffais un cri de panique.

" - Je vous protègerai tous les deux, et si on court, on sera moins discret.
- Mais ils sont lààà...." Fis-je d'une voix presque liquide.

Il n'y avait que moi qui les entendais ?! J'avais envie de fuir le plus vite possible... Et s'ils voyaient dans la nuit ? S'ils avaient un odorat très développé ? Comment nous repéraient-ils ? Alors qu'on se mettait en route, j'entendais de plus en plus de déplacement dans l'eau. Mais pas des 'plocs' de pas.. plutôt des "plics" très réguliers et fréquents, comme s'ils étaient légion. On entendait des frottements, comme des plaques qui s'ajustaient au mouvement.

Je dois être forte, pour eux. Ne pas craquer, maintenir le cape, rassurer...

Rassurer... Plus facile à dire qu'à faire avec ces deux qui sont de plus en plus en proie à la panique... Bon sang, si seulement j'étais équipée ! Si seulement j'avais au moins mon épée ! Et ces bruits... cette humidité... ce froid... Putain mais où on a été emmené là !

Mais je dois tenir bon, pour eux. Alors quand je les sens faillir, je tente d'être rassurante et ferme, et quand finalement Kahlua commence à s'excuser, ça me fend le coeur... Comme si ça pouvait être de sa faute ! Et puis quoi encore.

Alors malgré l'ambiance, je prends le temps de m'accroupir pour me mettre à sa hauteur sans lâcher sa main et la regarder droit dans les yeux.

- Hé, ce n'est pas ta faute d'accord ? On va s'en sortir et tout ira bien, mais il faut qu'on soit courageux.

Puis je me redresse, fixant Elion avant de dire ma dernière phrase.

- Qu'on soit tous courageux.

Puis, me retournant vers les bruits de cliquetis et de frottement d'eau qui ne cesse d'avancer, je reprends la marche, entrainant les deux autres avec moi tandis que mon regard se pose sur tout ce que je distingue dans l'environnement : à savoir de la boue, de la brume et des arbres morts...

Rien que je ne puisse véritablement utiliser... Ou peut être ? Sans lâcher la main de ma fille, je m'avance vers l'un de ces troncs des plus biscornus, attrapant d'une des branches à hauteur et tirant dessus de toute mes forces. Sauf qu'à une main, c'est une tâche plutôt ardue. Je desserre donc la main de Kahlua pour la lâcher un instant mais celle ci resserre son étreinte sur la mienne, me regardant avec un air qui montre clairement sa désapprobation à mon geste.

- Si je dois vous défendre, il me faut une arme Kahlua. Tu n'as qu'à tenir ma tunique juste le temps que je casse ça.

Et même si elle n'est clairement pas réjouit de cette perspective, elle obéit et j'arrive enfin à récupérer ma branche... Une arme tellement minable. Mais à défaut d'avoir mieux, il faudra faire avec.
Et comme promis, je reprends immédiatement la main de ma fille avant de continuer à avancer un peu plus rapidement dans ce marécage des plus angoissant.

Courageux... courageux.. elle est marrante celle-là. Je tremblais... pas que de peur mais aussi de froid. Je n'étais pas beaucoup fourni en énergie et la nuit couplé à l'humidité grillaient mes faibles réserves. Je me taisais, resserrant ma petite contre moi, tentant tant bien que mal de faire taire mes modulations corporelles.

Alors que Lunarya s'armait avec une branche, je sentis quelque chose à mon épaule. Un contact glacé. Mes cheveux se hissèrent sur la tête alors qu'un nouveau frisson me traversait. J'étais paralysé. Terrorisé alors que l'haleine de la chose derrière moi goutait la peau de ma nuque. En quelque seconde, je sentis une morsure terrible me barder le torse et me tracter vers les ténèbres. Je n'eus que le temps de hurler et de lâcher Kahlua avant de ressentir une vive douleur dans le dos : une seconde mâchoire me prenait en tenaille. La chose ressemblait à une pince de mante religieuse tandis que de petites pinces semblaient se délecter de mon sang.

Je hurlais de peur, de douleur et de surprise. Je mis mes mains sur la pince, tirant dessus vainement alors que la chitine résistait à ma pression.

" Cassez-vous !!"

Hurler eut pour effet de vider mes poumons et faciliter mon broiement. L'air me manquait alors que la panique m'affectait très clairement. Cependant, alors que je sentais une tension énorme sur mes côtes, je vis Lunarya foncer vers moi et armer son bâton. Elle lui fit bouffer son bout de bois alors qu'il se brisait en mille morceau. La bête ne poussa aucun cri, aucun son et au lieu de montrer sa colère, renforça sa prise sur moi tout en reluquant Lunarya à présent proche d'elle.

Je grondais de douleur, écumant à chercher mon air. Un bruit sinistre retentit avant qu'un chapelet d'autres le suivirent : ma cage thoracique cédait. Je n'eus que le temps de voir Lunarya repartir à la charge... et croiser le regarde de Kahlua.

" Partez..."

- ELION !!!

Putain de bordel ! Fait chier ! Saloperie de monstre ! J'ai beau le frapper, tenter de le repousser, lui faire bouffer mon arme improviser, rien ne semble marcher ! Cet espèce de scolopendre géant semble totalement immuniser à mes coups. En même temps, vu sa carapace et mon manque d'arme, ce n'est pas si étonnant. Est ce que je lâche l'affaire et écoute Elion pour autant ? Jamais de la vie.

La rage qui gronde en moi m'aveugle complètement, m'empêchant d'être rationnelle. Elion tombant à terre, je n'ai plus qu'une idée en tête : tuer cette créature, l'étriper, lui arracher les pattes une par une.

Alors, je lui attrape une pince et tire de toutes mes forces, hurlant de rage, balançant mes pieds dans son torse tout en esquivant son deuxième membre tranchant et ses mandibules claquant non loin de mon corps. Mais rien n'y fait.
Et soudain, les mandibules trouvent la chair de mon bras, créant une douleur violente dans mon membre. J'étouffe mon cri de douleur avant de finalement regarder la tête de la créature qui tire sur ma chair et, d'un mouvement, lui enfoncer sa pince que je tente toujours vainement d'arracher dans son propre oeil.

Et cette fois, la créature recule d'un coup, lâchant sa prise sur mon bras tandis que dans mon dos, des petits pious plaintif se font entendre, me ramenant soudainement à la réalité.

- Kahlua !

Sans plus de cérémonie, je me penche pour récupérer le corps toujours inerte d'Elion en passant un de ces bras sur mes épaules. Puis je cours, fuyant l'endroit aussi vite que je peux tandis que le petit mérion azurée est toujours lové dans le cou de son père.

Je cours, dans l'espoir de trouver un abri, n'importe quoi où je puisse soigner Elion, où je puisse me reposer, m'équiper... Mais il fait si noir, si froid...

Bordel, serait-ce vraiment là fin ? Après tout ce temps à m'avoir contrôlé, les Lys ont finalement décidé de se débarrasser de nous trois en même temps ?! Ça n'a pas de sens.
Tout ça n'a pas de sens.

Non mais qu'est ce qu'on fout là bordel ?!

Je n'avais pas pu faire grand chose si ce n'est subir les évènements. Comme d'habitude. Alors voilà, je suis mort ? Etrangement, cela ne me fit ni chaud, ni froid. Pire : un soulagement intense m'apaisa.

Or, un picotement de plus en plus proéminent me gênait et troublait ma paix. Cela ne dura que quelques secondes avant que la souffrance ne me fasse revenir à moi. Quand je rouvris les yeux, Lunarya me tractait et un truc désagréable me piquetait le cou. A ma toux, je vis ses yeux se poser sur moi, oscillant entre l'espoir et l'incompréhension. Il ne fallut que quelques secondes pour que mes quintes disparaissent, ainsi que la douleur associée. Je sentais l'air entrer dans mes poumons et mis à part le froid qui me lacérait, je ressentais le silence de mon corps. La santé.

Sans doute s'arrêta-t-elle pour me reluquer, comme si je revenais des morts. Doucement, les souvenirs revenaient à moi et ce fut moi qui lui pris la main pour continuer à fuir. Sans que je ne le sache, je la tirai sur son bras que le monstre avait mordu : là aussi, plus aucune douleur, pas même une cicatrice. La panique balayait mon esprit critique et je n'arrivais pas à mettre de l'ordre dans mes idées. D'ailleurs, cela ne me choquait pas que je n'avais pas plus mal que ça malgré la violence des évènements : l'adrénaline sans doute.

" Merde ! Où est Kahlua ?!"

Je m'arrêtais, à bout de souffle, me retournant vers Lunarya. La plaie qui lacérait mon torse quelques instants plus tôt avait totalement disparu... et je ne m'en étais pas du tout rendue compte. Ce ne fut que quand l'oiseau bleuté vint auprès de moi que je fus rassuré. Nous recommençâmes notre course effrénée jusqu'à trouver un renforcement dans un arbre. La nuit était si sombre, sans aucun éclat pour nous repérer...


" Qu'est ce qu'on va faire ? Qu'est-ce qu'on peut faire ? Qu'est ce qu'on fout là ? Tu sais pourquoi on a été envoyé ici ? Qui nous veut du mal comme ça ? Et ces quoi ces putains de trucs ?!"

Aussi paradoxal que ça soit, je murmurais ma terreur. Mes lèvres bleuies par le froid tremblaient. Et pourtant, j'étais désespérément vivant.

Quelque chose cloche.

Quelque chose cloche VRAIMENT.

Déjà, y'a deux secondes encore, Elion était a moitié mort et là, maintenant, c'est lui qui me tire. Qui me tire sur ce bras qui était en charpie l'instant d'avant à cause de cette horrible créature.

Alors les blessures qui n'en sont pas, ça pourrait très bien être une illusion... Pourquoi pas. Mais Elion qui me tire part le bras ?! Ce type de déteste ! Il me déteste au point de vouloir me voir mourir à la première occasion pour que je sorte enfin définitivement de sa vie !.. Non ?

Raaah, je comprends vraiment plus rien. Et quand le roux commence à paniquer à poser son milliard de question a la suite, j'essaye de me remettre les idées au clair. Bon sang, qu'est ce qui se passe au juste ? Est-ce que tout ça est simplement réel ?

Sans rien dire, je pose ma main sur son torse pour vérifier son état : rien. Il y avait un trou béant mais il n'y a absolument rien maintenant. Alors je fronce les sourcils tandis que Kahlua pioute autour de nous sans que j'y prête véritablement attention, trop concentrée à essayer de comprendre.

Si comme je le pense les Lys sont bien derrière tout ça... Alors pourquoi se servir d'illusion ? Parce que s'en sont bien non ? Elion va bien, je vais bien... Et pourtant l'instant d'avant c'était la panique. Et ces cliquetis qui continuent inlassablement... Raaah mais ils peuvent pas la fermer cinq minutes que je réfléchisse là ?!

Tout en continuant d'avancer, je me masse les tempes, fermant les yeux et me laissant guider quelques secondes.
Si ce sont des illusions... A quel point le monde qui nous entoure est une illusion ? Il fait nuit, j'ai froid et le sol est boueux sous mes pieds nues... Mais est ce que c'est réel ? Et Elion ? Pourquoi Elion reste avec moi ? Est-il réel ?
Et Kahlua ?

Tiens, je n'entends plus ces pious.

Je rouvre les yeux et lèvent la tête : alors qu'Elion me dévisage tout le long en attendant ses réponses, Kahlua elle n'est plus qu'un petit point brillant dans le brouillard qui s'éloigne à tire d'aile...

- KAHLUA REVIENT ICI !

Et sans plus d'intense réflexion, je me précipite à sa poursuite pour tenter de la rattraper, Elion sur mes talons.
Et pendant qu'on court, je me décide à lui faire part de certaines hypothèse.

- Je crois que ces choses ne sont que des illusions ! Regarde, ni toi ni moi sommes blessé ! Ça n'a pas de sens ! A croire que tout ceci n'est qu'un putain de mauvais rêve !

En disant cela, je m'arrête soudainement. Un rêve. Ça pourrait être ça ? Non... Non, si c'était un rêve, la vision d'Elion se faisant dévorer aurait du me réveiller, et je ne parle même pas de ma blessure au bras...
Quoi que... Les Lys auraient très bien pu trouver un moyen magique de me torturer non ? Mais dans ce cas, Elion et Kahlua ne devrait pas être réel...

Raaah, je ne sais pas. Et dans le doute, je n'ai pas envie de prendre de risque, alors je reprends ma course pour rattraper le petit oiseau bleu qui semble bien décider à foncer je ne sais où.
Une vraie tête de mule celle là, comme ses parents.

- Ça ne sert à rien de t'agiter comme ça Kahlua, je ne comprends pas ce que tu essayes de dire !
- Pas étonnant ça. Si tu avais été une mère digne de ce nom, tu saurais.
- Tu crois vraiment que c'est le moment pour s'engueuler Elion ?
- Oui ! OUI C'EST LE MOMENT ! Je commence à me dire que c'est de ta faute tout ça !
- ET ALORS ?! SI C'EST DE MA FAUTE, TU COMPTES FAIRE QUOI, HEIN ?!
- JE NE SAIS PAS ! NE PLUS JAMAIS TE REVOIR PEUT ÊTRE ?!
- ÇA C'EST CE QUE JE T'AVAIS DEMANDÉ DE FAIRE ! JE T'AVAIS DEMANDÉ D'EMMENER KAHLUA LOIN DE CETTE CAPITALE DE MERDE ! JE TE L'AI DEMANDÉ OU PAS ?!
- J'EN AI RIEN A FOUTRE DE CE QUE TU M'AS DEMANDÉ LUNARYA ! JE FAIS ENCORE CE QUE JE VEUX !
- DONC C'EST TA FAUTE ! SI TU M'AVAIS ÉCOUTÉ ON EN SERAIT SUREMENT PAS LA !
- NON MAIS C'EST DU DÉLIRE !...

Le ton monte encore et encore entre nous, la peur et l'angoisse n'arrangeant rien à nos humeurs respectives, et ceux, jusqu'à ce que Kahlua me tire les cheveux pour me prévenir de la bête qui nous cours dessus. Et réflexe de garde Royale oblige, je la pare soudain dans son élan, me faisant embrocher avant de hurler aux deux autres de partir, partir en me laissant là, de se trouver une cachette et de m'y attendre.

Et d'un geste, Elion attrape le petit oiseau bleu avant de filer à toute jambe sans demander son reste tandis qu'une pince me transperce le ventre. La douleur me parcourt, je crache du sang et désespère de retenir le monstre. Mais la colère est plus forte, et luttant pour ma vie mais surtout pour celle de ceux que j'aime, j'arrive à arracher les pinces tranchantes du monstres qui hurlent sa douleur avant de fuir le combat et de me laisser là, seule, dans cette boue, à me vider de mon sang.

Et si une part de moi voudrai rester là et tout laisser tomber, une autre, plus vive, ne compte pas abandonner la chair de ma chair. Ma fille, celle pour qui j'ai tout donné, celle pour qui je me suis tant sacrifiée.
Non, je ne peux pas l'abandonner dans cette endroit. Je ne peux pas me résigner... Je ne peux pas...

Mon poing se serre dans la boue alors que, rassemblant mes forces, je me redresse et m'assoie à genoux dans ce marais putride. Durant de longue minutes, je reste là, respirant fortement, prenant sur moi pour passer outre la douleur, me concentrant sur ma fille, sur l'image de son sourire, le son de son rire...

Ma fille, ma Kahlua.

Quand je rouvre enfin les yeux, aussi étrange que cela puisse paraitre, je n'ai plus aucune blessure, ni plus aucune douleur.
Alors je me relève et, cherchant dans la pénombre, je retrouve tant bien que mal les traces de ceux que je veux protéger de tout.

Elion a trouvé un arbre creux où il s'est logé avec Kahlua toujours au creux de ses mains.

- T'es pas morte ?
- Faut croire que non. Cet arbre est bien, reposez vous un peu pendant que je monte la garde et que je cherche une solution à tout ça...

A rester posée là avec Pa’, j’ai fini par m’endormir, me sentant en sécurité dans cet endroit restreint où il fait chaud et où toute image parasite a disparu. Cette situation est éprouvante émotionnellement et difficile à gérer. Même si mon sommeil n’est pas très reposant, je reste un long moment posée là, comme attendant quelque chose. Et je n’attends pas n’importe quoi. Il faudrait que je redevienne humaine. Et la meilleure solution pour que le temps passe vite, c’est d’essayer de dormir en espérant que ce moment arrive bientôt. Je ne sais pas combien de temps Ma’ a mis à nous retrouver, mais déjà un bon moment, et je ne l’ai remarqué qu’à moitié alors que je somnole encore bien au chaud.

Je ne sais pas combien de temps précisément on est restés là à attendre, la faim ne semblant pas vouloir nous déranger dans cet endroit où il est difficile de savoir où l’on en est vraiment. Pas de notion du temps, pas de soleil qui a l’air de vouloir se lever ni d’étoiles. Pas de vent non plus. Comme si l’on était enfermés dans un lieu parallèle. Enfin. Moi je pense savoir ce que l’on fait là, je ne comprends juste pas pourquoi le décor est ainsi.

– Kahlua, tu devrais pouvoir te retransformer maintenant.

C’est ce qu’il vient de me chuchoter, comme s’il ne voulait pas que Ma’ nous entende. Est-ce qu’ils sont toujours fâchés comme tout à l’air ? Je l’observe un instant, tournant ma tête de gauche à droite en réfléchissant. Est-ce que je peux vraiment ? Mes instincts d’oiseau n’ont pas l’air très prononcés, mais d’un autre côté, il y a peu de choses alentours qui peuvent me trigger. Alors je tente, repensant à mon corps et à sa forme habituelle, avec toute cette volonté de redevenir celle que je suis habituellement. Mes cheveux bleu foncé, ma peau blanche, mes vêtements… Il ne me faut que quelques secondes pour réussir à redevenir bipède, mes vêtements toujours présents sur mon corps alors que je suis maintenant sur les genoux de Pa’.

J’observe mes doigts pendant quelques secondes, ayant soudainement envie de faire « piou ». Alors j’attends encore, tentant de remettre mes idées dans l’ordre, avant de commencer à bouger pour me remettre sur mes pieds, tentant de conserver mon équilibre un peu précaire après avoir été habituée si longtemps à être un oiseau. Puis je commence à me déplacer, trottinant suivie de Pa’ qui m’appelle pour tenter de me faire rester avec lui. Est-ce qu’il espère que je ne vais pas retrouver Ma’ ? Pas possible, il faut que je leur dire.

– Ma’ !

Je continue de courir alors vers elle, suivie de près tandis que je m’arrête entre eux, triturant un peu mes mains avant de tenter de prendre à nouveau la parole.

– Je, c’est de ma faute si l’on est ici. J’avais eu une pastille de rêve, et, comme on m’a dit que cela pouvait nous emmener dans des endroits que j’aime, je vous en ai fait avaler à tous les deux, et j’en ai pris une aussi… Du coup, Ma’, ce n’est pas de ta faute si l’on est ici mais la mienne.

Je n’ose pas trop les observer pour l’instant, m’attendant à être rouspétée par tous les deux alors que je nous ai bloqués ici.

Je reste silencieuse un long moment sous les dires de ma fille, pensive. Une pastille de rêve ? Je n'en avais jamais pris auparavant... Mais si cette pastille a un tel effet, ce serait plutôt une pastille de cauchemars, non ? Cela dit, être dans un rêve expliquerait que nos blessures ne sont ni mortelles, ni réelles puisque nos corps redeviennent indemne après quelques minutes...

- Qu'est ce que tu en penses toi ?

Je me tourne vers la forme spectrale de Mist qui me suit depuis près de vingt ans. Haku, que je suis la seule à pouvoir voir, me dévisage, perplexe.

- Ah, parce que le mist est là aussi.
- Notre fille se transforme en oiseau, alors pourquoi mon pouvoir ne m'aurait pas suivi ?
- Pfff.

Je roule des yeux sous la réaction d'Elion. Parfois, je me demande vraiment c'est quoi son problème... Il est censé me détester alors en quoi ça le regarde si j'ai un mist qui me suis partout ?

- Si c'est un rêve... Alors il faut essayé de voir ce qui te réveille d'habitude pour en sortir, non ? Cela dit, les blessures ne marchent pas.
- On peut essayer autre chose.
- Et qu'est ce qu'il dit ?
- De trouver le moyen de nous réveiller.
- Ah bah c'est sur que sans lui on y aurait pas pensé, tiens.
- Je t'en pris Elion garde tes sarcasmes, tu veux ?

Il ne répond pas. Soufflant, je baisse alors mes yeux sur la petite fille aux cheveux bleue qui semble totalement anxieuse de la situation. Je me baisse alors à son niveau pour lui faire face.

- Si on est juste dans un rêve, alors ce n'est rien de grave, d'accord Kahlua ? Tu n'as pas à être inquiète. On va juste trouver le moyen de sortir de là et après on pourrait reprendre nos vies comme si de rien était, d'accord ? Par contre, il ne faudra plus accepter les cadeaux des inconnus dans la rue, ça peut être vraiment dangereux, tu sais...
- Tu essayes de te faire donneuse de leçon maintenant ? Si c'est vraiment un rêve, le meilleur moyen de nous réveillé doit être de nous endormir, tout simplement.
- Tu as pas déjà dormi dans cet arbre ?
- Et te laisser nous protéger, toi qui sais si bien abandonner les gens ? Certainement pas...

Mon poing se serre en même temps que ma mâchoire... Mais ça ne dure qu'un instant avant que j'abdique. Après tout, en un sens, il a raison de penser cela... Même si ça fait vraiment mal.

- Alors aller dormir pour de vrai cette fois... Si ça marche je me réveillerai de la même manière.
- En attendant, tu peux toujours essayer d'autres moyens... la chute par exemple ? Quand tu rêves que tu trébuches, ça nous réveille non ?

Oui, c'est vrai. Mais le problème, c'est que si ça marche, je ne pourrais pas le leur dire... Cruel dilemme.

Je les observe un moment se disputer, marmonnant quelques mots qu'ils n'ont sûrement pas entendu.

– C'est pas ce que je voulais…

Sinon il n'y aurait pas eu besoin de pastilles. Ils sont tout le temps comme ça. Ou presque. Ils se disputent et pendant ce temps-là, notre famille n'existe plus et je suis mise à l'écart. Une fois encore. Heureusement que Ma' est là pour me rassurer, parce que le comportement de Pa' à l'heure qu'il est… me déçoit quand même un peu. Il ne pourrait pas faire un petit effort pour que tout se passe bien ?

– Mais, Ma', moi j'ai déjà vraiment dormi et je suis encore là. Vous êtes sûrs que ça va marcher ? Et puis, pourquoi nous on partirait sans toi ? J'ai pas envie de te laisser derrière, viens avec nous.
– Tu es sûre d’avoir vraiment dormi ? Et ne t’inquiète pas, je vous rejoindrai juste après.
– Ben, oui, j'ai pas vu les heures passer... D'un coup je pouvais de nouveau redevenir humaine alors que je n'ai pas senti l'esprit de l'oiseau venir...

Je doute un peu à ce moment. Mais c’est à cause de ses mots, non ? Je, est-ce que j’ai vraiment dormi ?

– Bon, dans ce cas testons autre chose… Une idée ?

Retour case départ. Il faut trouver quelque chose. Je ne sais pas. Je ne les ai écoutés qu’à moitié tout à l’heure.

–  Ben, euh, ici, on peut faire quoi… Courir, sauter, dormir, peut-être manger mais on n’en ressent pas le besoin, et se faire attaquer… Mh… Il n’y a rien d’autre qu’on puisse faire ? Quelque chose… qui pourrait nous réveiller ? Je sais pas trop…

Je frissonne après avoir énuméré ces idées. Il y a bien des choses mais elles font aussi peur que les créatures qui nous coursent. Et je n’ai pas envie d’y penser. Mais quand on fait parfois des cauchemars, on ne peut pas s’en empêcher… Entre les créatures qui nous coursent et nous dévorent, maman qui disparait encore, Pa’ qui me laisse toute seule, et les gens qui nous poussent dans le vide, ou le petit oiseau qui s’écrase lamentablement au sol… On n’est jamais à l’abri de rien.

Je regarde ma fille, puis Elion, perplexe. Si elle a effectivement déjà dormi alors qu'est ce qu'il nous reste à faire ?
Haku m'a proposé la chute, mais est ce que ce ne serait pas risqué ? Si, probablement, mais d'un autre côté, nos blessures semblent guérir presque immédiatement dans ce rêve alors... Est ce vraiment risqué ? Pour moi non, par contre je ne voudrai pas qu'Elion ou Kahlua endure des souffrances inutiles.

- Haku me proposait de tester la chute. Je vais donc grimper à cet arbre et sauter. Si je disparais dans la chute c'est que ça aura fonctionné.

Enfin, en théorie. Parce que qui me dit que la chute ne va pas simplement me faire m'exploser sur le sol et me tuer ? J'ose croire qu'au vu des blessures que les monstres du coins m'ont infligés, ce n'est pas quelques fractures qui vont avoir raison de moi dans ce monde. Le problème, c'est que je n'ai aucune certitude... Je peux donc me tromper.

- Mais, mais, Ma'... Tu veux pas plutôt qu'on tente tous ensemble ? Qu'on reste ensemble jusqu'au bout ?

Je regarde ce petit bout de femme qui me dévisage les yeux pleins d'espoirs. M'agenouillant devant elle, je lui prends alors les mains tandis que son père me dévisage un instant avant de regarder ailleurs.

- J’aimerai bien ma puce mais… je préfère être certaine que vous ne risquez pas de vous faire mal. Moi je suis une garde, c’est mon rôle d’assurer votre sécurité. Alors je vais sauter, et si je disparais vous pourrez faire pareil et on se retrouvera très vite à notre réveil, d’accord ?
- ... D'accord.

Elle ne semble clairement pas ravie de cette acceptation, mais se résigne tout de même. L'embrassant sur le front, je la rassure comme je peux en lui affirmant que tout ira bien avant de me détacher d'elle. Une petite main toujours dans la mienne, je cherche le regard de l'homme que j'aime mais qui me hais, ne serait-ce que pour calmer l'appréhension que j'ai par son approbation. Chose qu'il ne m'accorde pas. Est-ce étonnant ? Non, clairement pas.

Alors je lève finalement les yeux aux ciels, cherchant la cime des arbres, mais la brume semble tout engloutir, n'offrant aucune visibilité.

- Aller, je vais monter.

Je lâche alors la main de ma fille en lui offrant un dernier sourire rassurant avant de m'attaquer à l'ascension de l'arbre le plus proche.

- Tu comptes monter jusqu'où ?

Je ne réponds pas à Haku, le laissant flotter à côté de moi tandis que je force sur mes membres pour me hisser de branche en branche, montant toujours plus haut.

- Ma' ! Tu as sauté ? Ma' !

La voix de ma fille m'atteint mais semble terriblement lointaine. Suffisamment ?

- Tu veux tester en même temps si mourir suffirait ?
- Soit je disparais dans ma chute, soit à l'atterrissage. Dans tous les cas, ils seront fixés... ÇA Y EST, JE SAUTE !

Et l'instant d'après, je cours sur ma branche et saute dans le vide...

Le stress monte face à cette idée qui n’a absolument rien de rassurant. J’ai les yeux rivés vers l’endroit où je l’ai vue disparaître, même plus haut, cherchant à observer Ma’ dans cette quasi-pénombre qui nous en empêche. On ne peut qu’estimer. Toujours est-il que l’attente est longue, d’autant plus quand on ne peut avoir aucune idée du temps qui passe, si ce n’est compter les secondes ce que je n’ai pas fait. Peut-être aurais-je dû.

Enfin nous entendons sa voix, lointaine, qui crie, et nous annonce qu’elle saute. Va-t-elle tomber juste devant nous ? Un peu plus loin ? Nous observons tous les deux le ciel, à la recherche de son corps qui tombe, ou de n’importe quoi. Un son, une image, quelque chose qui pourrait nous aider pour envisager la suite.

BAM

Il n’aura fallu que quelques dizaines de secondes après qu’elle ait annoncé avoir chuté pour que l’on entende ce bruit, pas très loin derrière nous. Nous n’avons rien vu venir et le choc de l’impact a fait hérisser mes poils alors que je m’accroche au bras de Pa’, loin d’être rassurée par cette situation. Et trop apeurée pour me retourner. Pourtant, je le sens le faire, avant qu’il ne commence à se déplacer dans la direction du bruit et que je me retrouve à le suivre, restant à moitié cachée derrière son corps. Pourtant, très vite, ce stress commence à descendre pour être remplacé par un autre. Il n’y a rien. Plus rien. Est-elle sortie de ce rêve ? Enfin, plutôt de ce cauchemar. Ou a-t-elle juste simplement disparu et nous ne la reverrons plus ? Rien que penser que cette idée puisse être réelle me fait vraiment peur et douter. Pourtant, me voilà toujours entrain de suivre Pa’ qui tente de me rassurer en disant que l’on va faire la même chose. De toute façon, nous n’avons pas le choix parait-il. Alors, légèrement tremblante, je le suis.

Nous montons à cet arbre. Je ne suis pas bien grande ni habituée à ce genre d’acrobaties alors ça devient vite très difficile pour moi qui me retrouve aidée à chaque branche par mon père. Lui a l’air plus à l’aise, même si me porter sur son dos ne semble pas être envisagé. Dans cette condition, je deviendrai sûrement un fardeau qui l’épuisera bien plus. J’imagine. Alors je ne dis rien, ne propose rien, et ne me plains pas, endurant cette difficulté en silence bien que l’adrénaline ne fait que monter au fur et à mesure que nous prenons de la hauteur. C’est difficile de savoir si c’est suffisant, comme nous n’avons aucun repère. Je ne sais pas pendant combien de temps nous sommes montés en silence, mais il a bien fallu se rendre à l’évidence qu’il serait peut-être temps de sauter. Peut-être que Pa’ non plus n’en a pas envie et qu’il a souhaité retarder ce moment. Mais plus on monte, plus la chute va être longue. Trouver le bon compromis n’est pas évident. Mais il faut surtout être sûrs que la hauteur suffise pour ne pas avoir à recommencer.

Et si ça ne fonctionnait que pour elle ?

Je me hisse sur la dernière branche, aidée par Pa’. Alors qu’il conserve ma main dans la sienne, nous nous observons un instant, accroupis sur celle-ci pour ne pas tomber maintenant. Puis nous nous redressons un peu avant de, simultanément, courir vers l’extrémité de la branche aussi vite que l’on peut avant de sauter. Pa’ étant plus lourd, son poids m’emporte plus rapidement vers le bas alors que nous ne nous lâchons pas. Notre vitesse augmente chaque seconde alors qu’il est difficile de voir quand le sol est proche. Avant que nous n’ayons le temps de comprendre ce qui nous arrive, une sensation de brisure se fait sentir avant de complètement disparaitre et que nous ne nous réveillons en sursaut dans notre chambre, blottis l’un contre l’autre et en sueur face à ce cauchemar.

Pourvu que cette expérience reste la seule dans son genre.
Plus jamais je ne toucherai à une pastille de rêve.