Almassar écoute sa comparse de soirée pester sur son maître sans tenter de l'en empêcher. Ça se sent qu'elle a besoin d'évacuer certaines choses et que l'alcool aide à le faire. Et qui sait, peut être que sa présence joue aussi. Sans réellement s'en rendre compte, l'enchanteur sait très bien que si il peut être particulièrement ennuyeux pour ne pas dire chiant quand il est emporté dans ses passions, il tend aussi à dégager un certain calme teinté d'amusement et de curiosité qui incite les gens à s'ouvrir à lui quand ils en ont besoin. Et heureusement que le secret est gravé dans sa peau et son travail, après tout, qui voudrait travailler avec quelqu'un n'hésitant pas à dévoiler les dons et les enchantements qu'il offre à ses clients ?

L'ambiance est de plus en plus détendue, et l'homme regarde avec une curiosité non feinte la forgeronne quand elle commence à fouiller dans son sac sans fond à la recherche d'un quelque chose précis qui finit par trouver un nom. Un couteau qui, sans être une œuvre d'art, semble déjà fort efficace et utile. L'enchanteur souffle à son tour un rire aux propos de la demoiselle au sujet de son trop plein d'idées. Définitivement un point commun qu'ils semblent tous deux partager. Puis le point qu'elle évoque fait arquer un sourcil à Almassar, qui pose son regard sur la lame en se mordillant la lèvre après une nouvelle gorgée. Il fait tourner le concept dans sa tête, le lessive et l'essore rapidement pour savoir ce qu'il pourrait en faire sortir de tout cela. Finalement, il arque un sourcil en se saisissant de la lame qu'il examine quelques seconde en la faisant tourner entre ses doigts lentement, délicatement. Il n'est pas un expert du couteau et aimerait éviter de s'entailler stupidement tandis qu'il observe l'objet.

-"Alors je vois l'idée et elle peut être intéressante, mais comme vous l'avez dit, il existe déjà les aiguiseurs magiques. Penses-tu vraiment qu'il y'a un marché pour ce genre d'outils ? Je ne suis pas du milieu donc je ne saurais dire combien de bouchers, de taverniers et assimilés ne savent user de tels outils et requièrent une aide extérieure..."

La lame glisse entre ses doigts, tandis qu'il continue de froncer les sourcils et de se mordre la lèvre. Des idées éclatent entre ses pensées, floraisons incandescentes et insaisissables de sa curiosité et sa passion sans failles. Finalement, il sourit en déposant de nouveau le couteau.

-"Néanmoins si vous pensez qu'un marché est possible il est toujours possible de voir pour en faire quelques prototypes à revendre. Je pense à un enchantement qui augmente le tranchant. Ou encore qui le reforme tout seul, par exemple en contact avec l'eau. Ce serait possible un enchantement qui, quand de l'eau coule sur la lame, augmente la pression sur la lame pour l'aiguiser d'elle même au rinçage. Il serait possible d'enserrer la lame dans un enchantement protecteur, mais j'ai peur que ça nuise à la capacité de découpe propre. Mais c'est une idée à tester aussi."

Encore une fois il s'emporte dans l'optimisme du travail, poussant la lame vers sa propriétaire en récupérant une nouvelle fois sa chope pour la vider de moitié. Le rose lui monte aux joues, son débit de parole augmente encore tandis que peu à peu ses inhibitions tombent. Heureusement il se tient encore pour le moment, mais si il abuse trop cela pourrait rapidement partir en vrille. Sia sait heureusement le focaliser et il dévore du regard le carnet et les croquis présents dessus, glissant une main sur la ligne de sa mâchoire et son menton pour réfléchir en écoutant la demoiselle parler. Les notes sont dévorées, et un hochement de tête sera la seule chose qui répondra à la forgeronne tant il est perdu profondément dans son esprit. Sa main se saisit de son propre carnet et sa plume, revenant noter rapidement dessus ses nouvelles hypothèses ainsi que les demandes de la jeune femme. C'est particulièrement complexe, mais il aime le défi et l'idée de découvrir de nouveaux horizons. Finalement, il relève les yeux pour détailler celle face à lui et reprendre la parole.

-"Alors pour la possibilité de retirer la fleur mais garder les compétences, c'est quelque chose à voir et expérimenter mais je doute, de deux manières différentes. On pourrait faire des expérimentations mais il faudrait définir précisément comment la fleur est liée à toi. J'imagine possible le fait de pouvoir la bouger voir la bouturer ailleurs, mais j'ai l'impression que tu as besoin d'elle pour charger ton énergie. Et je vais pas mentir, si solution il existe, elle risque de couter une somme assez élevée..."

Laissant la suite de sa phrase en suspens, il revient détailler la fleur, se mordillant la lèvre. Ce que demande la forgeronne est loin d'être aisé, pour ne pas dire impossible. Mais depuis quand Almassar laisse cela l'arrêter ? Il songe plus à la récompense monétaire qu'il peut demander, et surtout dont il aura besoin. Le silence reste quelques secondes, durant lesquelles il vient déposer sa chope en soupirant doucement, se secouant pour retirer de son esprit les vapeurs alcoolisées.

-"Et pour mes frais personnels, je propose d'en discuter quand ils se poseront. Il est sur que si je dois passer plusieurs semaines voir mois à l'examiner et expérimenter dessus, cela risque de ne pas être donné. Mais après, si l'on travaille ensembles, il sera surement possible de trouver une solution qui nous convienne tous les deux sans te ruiner. C'est pas le but après tout. Et j'ai vraiment envie de découvrir à quel point tu es en symbiose avec cette plante. Donc a toi de me dire si cela te convient."

La chope vide, il voit que celle de la forgeronne l'est aussi. Levant la main avec un sourire il revient commander... Ce qui n'est absolument pas raisonnable, mais bon, depuis quand cette soirée est faite pour l'être ? Il vient d'arriver à la Forteresse, il a peut être déjà trouvé du travail, pourquoi se priver ? Ce serait particulièrement dommage après tout. Pivotant ensuite vers Sia, il incline légèrement la tête.

-"Et donc vous, quel est votre objectif après tout cela ? Vous parlez d'un maître forgeron, de revenir apprentie, et pourtant vous n'êtes pas forcément en accord avec tous ses préceptes. Vous comptez repartir et vous installer à votre propre compte ensuite ?"

La question qui fâche, mais que voulez-vous, la curiosité de l'homme est débordante, bien trop pour son bien... Surtout quand il a quelques bières qui infusent doucement dans son sang.

Mon idée semble plutôt appréciée par l'enchanteur. Cela me réjouit et je ne peux retenir un large sourire à cette réponse. Finalement, peut être que mes idées ne sont pas si nulles ! Avec mon maître, j'ai pris l'habitude de les taire et de les garder pour moi, de les noter dans un coin de ma tête ou de mon carnet et éviter d'aborder le sujet avec lui. Notre relation est déjà bien assez difficile comme cela. Almassar émet tout de même quelques doutes sur l'utilité de la chose, ce qui est plutôt compréhensible. Il est vrai que souvent on finit par maîtriser l'entretien de ses outils lorsqu'on apprend à les manipuler, mais je me rappelle encore clairement l'avoir fait pour nombre d'artisans à la capitale. Certes, Lyle n'est pas du genre à prendre ce genre de commandes, qui irait dans les montagnes pour faire aiguiser son couteau de toute façon ?

En tout cas, mon idée emballe l'enchanteur qui propose déjà plusieurs idées et théories. Je n'ai aucune fichue idée de laquelle est la meilleure, ni comment elle fonctionne, mais semble passionner mon compagnon de table. Toutefois, mes croquis et mon carnet l'intéressent bien plus et semble encore plus le passionner. Je l'écoute sans rien dire, l'observant avec un petit sourire. L'alcool me monte déjà à la tête et je me sens bien, juste bien. Je m'accoude à la table et pose mon menton dans ma paume en constatant que j'ai fini par complètement vider ma chope. Un petit sourire ne quitte plus mes lèvres alors que mes joues rosissent toujours plus, la chaleur commençant à s'emparer doucement de moi. Je ne suis pas du genre à avoir froid ni trop chaud, mais l'alcool a ce don de révéler ma vraie nature et me donner cette chaleur désagréable dont j'ai tendance à vouloir me débarrasser.

L'enchanteur ne semble pas encore avoir fini sa chope et il se met à réfléchir à mes croquis, à aborder des possibilités. Je ne peux m'empêcher de grimacer quand il aborde une histoire de prix. Je m'en doutais un peu. Une telle capacité va demander beaucoup de temps pour comprendre le fonctionnement de mon corps, mais aussi pour trouver le moyen de détourner son fonctionnement pour l'améliorer. Forcément, pour un enchanteur qui voyage cela devient vite coûteux de faire ce genre d'études. Entre les frais d'hébergement, de nourriture, les matériaux et le temps passé à étudier ce sujet plutôt qu'un autre... Je me doute qu'il va falloir que je sorte une belle quantité de cristaux. Je vais devoir mettre les bouchées doubles pour produire des armes vendables facilement et rentables, mais aussi sûrement prendre de nouvelles missions. Je pourrais certainement faire un tour à la guilde demain pour voir les missions donnant les récompenses les plus intéressantes...

Alors que je me perds dans mes pensées pour réfléchir à un moyen de pouvoir gagner une telle quantité de cristaux, Almassar me sort de mes pensées en venant proposer que l'on discute du prix plus tard. Je souris quand il parle du fait de travailler ensemble. C'est vrai, avoir un partenaire commercial devrait m'aider à dépenser moins, on peut toujours s'arranger avec des échanges équivalents et autres petits marchés. Je fais parfois des marchés similaires avec Adam et son patron, pourquoi pas avec un enchanteur ? Il commence à parler d'expérimentations. Je ne suis pas sûre de le suivre complètement, mais je comprends bien que je vais devoir servir de cobaye. Je souffle un rire avant de me redresser légèrement.

« Ça me va. De toute façon, je ne pensais pas pouvoir avancer sans donner un peu de ma personne... »

Je laisse ma phrase en suspens, ne sachant pas vraiment comment la terminer. J'ai l'impression que des mots m'échappent et le cours de mes pensées n'arrivent plus à rattraper la fin de ce que je voulais dire. Heureusement, le jeune homme nous commande à nouveau à boire et décide de me lancer sur un autre sujet. J'arque un sourcil en le regardant, un peu étonnée de cette question. Je me redresse quand le tavernier pose les nouvelles chopes pleines sur la table. Je le remercie rapidement avant d'en prendre une et de me lancer.

« Mon objectif ? Je rêve d'avoir ma propre boutique et forge. J'ai travaillé à la forge familiale pendant deux ans après avoir fini mon apprentissage... mais j'avais l'impression de stagner, de ne pas avoir le niveau pour ouvrir ma propre échoppe. Alors j'ai décidé qu'il fallait que je trouve un moyen de changer cela. C'est comme ça que je me suis trouvée un nouveau maître. »

Je prends une gorgée de bière qui vient tout de suite adoucir un peu ma gorge. Je réfléchis un peu avant de continuer.

« Mais ça fait plus de six lunes que je suis sous son apprentissage. Il n'a plus rien à m'apprendre, surtout que je connaissais déjà toutes les bases. Disons que c'est plus de l'entrainement intensif qu'un véritable apprentissage. Et puis, il commence à être populaire le bougre, il reçoit de sacrées commandes. De véritables petits défis que n'importe quel forgeron ne pourrait pas relever. Et il touche de ces matériaux... Au final, il n'a plus besoin de tant dépenser que cela sur les matières premières vu que ses clients fournissent les métaux précieux pour avoir des commandes sur mesure. C'est une chance inestimable pour me faire de l'expérience. Pourquoi cracher dessus ? »

Je crois que je me suis un peu perdue dans mes paroles. Ce n'est pas vraiment le sujet initial. Je me ressaisis un peu et me racle la gorge pour essayer de revenir sur la question posée.

« Je vais sûrement finir mon année d'entrainement et ensuite voler de mes propres ailes. J'ai commencé à réfléchir à où m'installer, mais j'avoue ne pas trop savoir encore où me poser... J'ai bien des accords avec la guilde des aventuriers pour quand j'ouvrirais ma propre échoppe, mais j'ai un peu la bougeotte, je n'arrive pas encore à trouver un endroit unique où me poser. Les clients se trouvent dans les villes, mais je préfère la tranquillité des lieux plus isolés. Tu vois un peu mon dilemme ? »

Je souffle un petit rire en reprenant ma chope, prenant une large gorgée bienvenue après avoir tant parlé. A ce moment un nouveau client entre dans la pièce, faisant s'engouffrer un courant d'air frais ainsi que plusieurs flocons de neige.

L'optimisme de la forgeronne est débordant, au point même d'arriver à atteindre l'enchanteur, qui n'en avait pourtant pas besoin en cet instant précis. Tout va bien pour lui en cet instant, et les deux conversations qui s'alternent sont des plus agréables. Tant sur le point professionnel et l'idée d'une collaboration qui peut se promettre très enrichissante tant pécuniairement qu'humainement que celle sur les dons plus que particuliers de Sia. La bière descends lentement, les imbibe et les inhibe. Almassar ne peut toutefois rater la légère grimace qui traverse les traits de la demoiselle quand il évoque le prix. Bien sur que parler de cela ne fait jamais plaisir, mais il préfère être sincère et directement parler de ce qui blesse avant de s'engager dans le travail. Les ressources coutent chères, et la main d’œuvre l'est tout autant. Heureusement elle saisit la perche qu'il lui offre concernant les coups de pouce. Après tout, si ils viennent à travailler ensembles et de manière pérenne, les offres de paiement sont bien plus variées et peuvent être espacées dans le temps, tout étant une question de confiance. Et si il n'est pas particulièrement méfiant vis à vis de la demoiselle aux teintes de plus en plus rosées, il sait que l'argent fait naître les passions et les conflits, et préfère largement prévenir que guérir.

Enfin la question retourne à la fleur, sujet de toutes les conversations et tous les débats. Et heureusement, car avec l'alcool, Almassar laisse ses propres pensées, dérivant sur les possibilités ouvertes en travaillant avec une forgeronne. Bien des choses lui traversent l'esprit, des inventions que lui même n'avait pas encore imaginé ou osé essayer et qui mériteraient de mettre le doigt dessus. Et si cette collaboration est prolifique, l'enchanteur lui même pourra s'expérimenter à bien de nouvelles arcanes, avec bien moins de restrictions de matériel. Voyant que Sia comprends ce que ses expérimentations et sa propre curiosité implique, il ne peut s'empêcher de sourire et même de rire à cette tournure de phrase fort particulière qu'il ne relève toutefois pas.

-"Tant mieux si nous sommes d'accord en ce cas. De toute façon, vu la nature particulière de ton don, je ne vois pas d'autres façons d'en découvrir les limites précises et comment l'améliorer autrement que par l'expérimentation et beaucoup d'imagination. Même si vu les regards que l'on te jette, je doute pas un seul instant que beaucoup de monde à beaucoup d'idées te concernant"

Il lâche un rire sincère et légèrement alcoolisé à sa blague grivoise, prenant quelques secondes pour arriver à s'en remettre. Puis, la conversation devient ensuite un peu plus personnelle, sur les rêves et les envies de la demoiselle de plus en plus rosée sous ses yeux. C'est important aux yeux du chercheur de savoir à qui il a affaire, tant sur un plan professionnel qu'un peu plus personnel. Après tout, ses souhaits sur l'avenir reflètent bien qui elle est, dans quelle direction elle souhaite évoluer. Un bon moyen de rapidement savoir si il est compatible avec quelqu'un. La façon de parler de Sia le fait rire, lui qui imbibe lui même peu à peu à force de descendre des bières, désormais la quatrième. Plus il boit, plus il enchaine rapidement. Le fameux théorème de l'ivrogne qui conseille d'accélérer la descente pour faire passer ce qui bloquait avant. Après tout, si un litre et demi ont du mal d'être digérés, c'est qu'il faut en boire deux de plus pour pousser le bouchon. Un concept élémentaire, sans aucune faille si ce n'est celles retapissées au fond des ruelles quand il est appliqué avec trop de zèle.

-"C'est un bon plan de se trouver un second maître plus compétent que le premier pour apprendre tout ce qu'il est possible de lui. Surtout si il est réputé et possède des commandes rares. C'est un moyen pour se faire un nom et des connaissances qu'il faudrait normalement des années à expérimenter. Aucune raison de cracher dessus en effet, au contraire. J'aurais été moins con et pressé de voler de mes propres ailes, j'en aurais surement fait de même. Mais hélas, comme dit juste avant, je suis con. Trinquons donc à ça."

Il rit, avant de redresser sa chope de nouveau, la descendant rapidement. Nouvelle tournée, le tavernier se frottant les mains. Ils ne détonnent pas au milieu des clients, et la soirée semble clairement percer plus de tonneaux que de neurones. Lui même se perd dans la conversation, commencant à rebondir de manière aléatoire aux propos que tient sa comparse.

-"Pour ma part j'ai commencé installé à la Capitale... Mais si je prends gout à ce voyage et aux suivants, je vais pas mentir, je risque de songer à essayer de créer une tente magique pouvant contenir un atelier à l'intérieur... Comme ça, plus de limites, je pourrais voyager comme j'en ai envie avec mon outil de travail sur moi. Peut être un croisement entre un emporte tout et un sac sans fond, à réfléchir. Donc oui je vois ton dilemne, vu que j'ai le même. Pour éviter de dépenser des fortunes en matériaux, je devrais m'en rapprocher ou les chercher de moi même, mais de fait, y'a pas beaucoup de clients au milieu des forêts ou des montagnes. Ou alors faut être sacrément connu pour faire venir à toi le client, ce qui est pas encore mon cas."

Voyant qu'il attaque déjà bien la cinquième chope, dans un éclair de lucidité il décide de la déposer quelques secondes, juste le temps de faire le point. Bon, il est a peu près aussi précis qu'une rature d'élève scribe sur un parchemin précieux, mais c'est une belle tentative. Ses joues se gonflent un instant et il porte un poing devant sa bouche pour taire ce rot devenu toussotement au dernier instant, avant de reprendre comme si de rien n'était, avant d'être coupé durant un instant par un duo d'amis déjà passablement ivres eux aussi, laissant entrer un brouillard de flocons et de vent glacé, leurs capes brillant de l'argenté des flocons piquetant le tissu et laissant clairement apparaître la douce couverture de poudreuse s'abattant sur la région.

-"Je suis sur qu'il y'a un marché pour les artisans itinérants ! Tu passes de ville en ville, tu achètes ou va récolter les ressources rares et précieuses locales, puis tu repars. Comme ça, t'as toujours une clientèle nouvelle, et tu vois du pays. Faut juste avoir de bonnes jambes. Et un bon sac sans fond. Et un bon approvisionnement. Et ..."

Il se perds un moment ainsi, avant de s'arrêter soudainement et de rire, posant de nouveau son regard brillant, presque autant d'alcool que de curiosité sur Sia, observant tant la demoiselle que sa fleur. Et nul n'a envie de savoir ce qui traverse en cet instant son esprit aux hautes vagues de l'ivresse...

J'écoute l'enchanteur parler des expérimentations qu'il souhaite faire. Je suis d'accord avec lui qu'il n'y a pas énormément de façons de découvrir les limites de mon don qu'autrement qu'en essayant des choses. Je fronce les sourcils à sa remarque sur le fait que l'on doit avoir pas mal d'idées me concernant. Je ne suis pas certaine de ce qu'il veut dire, mais dans le doute, je regarde un peu mes voisins de table qui sont tous plutôt concentrés sur leurs discussions bien alcoolisées. Quand Almassar part dans un rire, je hausse juste des épaules et reprend la descente de ma bière.

Il continue alors sur ce que je lui ai raconté, l'histoire d'avoir un nouveau maître. Il est d'accord avec moi sur le fait que c'est une bonne occasion de se faire de l'expérience et un nom. Il dit lui-même avoir été con et semble sous-entendre qu'il a raté sa chance. J'arque légèrement un sourcil. Je sais que je suis plutôt jeune et encore très inexpérimentée dans le domaine des artisans, pourtant Almassar ne me semble pas si vieux que cela. Ou alors il fait plus jeune que son âge ? Je le suis dans la descente de ma chope et le tavernier nous ressers assez rapidement.

Le fil de mes idées et pensées commence à devenir de plus en plus confus. L'enchanteur me parle de sa vie je crois, il parle de voyager et de... tente magique ? Un emport'tout avec un sac sans fond ? J'ai dû rater un truc et je n'ai plus l'occasion de l'arrêter.  Il continue en parlant du marché à prendre des artisans itinérants. Je l'écoute en sirotant ma bière, me concentrant pour essayer de suivre tout ce qu'il dit. L'idée est vraiment intéressante. Je repose ma chope et me met à compter ce qu'il énonce tout en réfléchissant moi-même.

« Et ?... »

Je regarde l'enchanteur qui éclate de rire tout en m'observant. J'ai beau réfléchir, je ne sais pas ce qui le fait ainsi rire. Je cligne un peu de l'œil, mais rapidement je n'arrive plus à réfléchir très droit. Tout commence à se mélanger dans ma tête.

« C'est pas con de devenir artisan itinérant... Les bonnes jambes... Je crois que ça va, j'ai l'habitude avec les missions de la guilde. Un bon sac sans fond... c'est fait. Il faudrait juste que je trouve des revêtements pour le protéger. L'approvisionnement... je dois pouvoir m'arranger avec la guilde. Je crois que le conseiller Calla-truc m'a parlé d'avantages en logistique et pour fournir des matériaux. Peut-être que si je lui parle d'un projet comme ça... Ouais, je suis sûre que le moustachu va être emballé. Il était super sympa ce moustachu même si visiblement il aime pas trop le thé. En plus avec mon métier de forgeronne, je peux viser le marché des aventuriers encore plus facilement. Bam, des accords avec la guilde et le tour est joué ! »

Je récupère mon carnet et y note frénétiquement les idées qui me traversent l'esprit en utilisant une écriture hâtive et grossière, partant légèrement de travers avec l'alcool. Je ne tiens pas à oublier les éclairs de génie qui me traversent, mais je ne suis pas certaine de pouvoir me relire une fois l'ivresse redescendue. Qu'importe ? C'est des idées géniales, je ne dois pas les oublier.

« J'ai qu'un soucis ! Un forgeron ça a besoin d'une forge. Une enclume et les outils, ça passe encore dans un sac sans fond. Avec un poids plume, c'est même plutôt simple à faire. Mais je fais comment pour le feu et le foyer pour chauffer le métal ? Ça serait comme placer une cheminée allumée dans un sans fond... C'est dangereux et presque impossible, non ? »

Je réfléchis en reprenant ma chope. Alors que je porte le liquide à mes lèvres, un nouvel éclair me traverse et je repose mon beuvrage avec force sur la table.

« Attends attends... C'est quoi ton histoire de tente magique là ? Une sorte d'emport'tout ? On pourrait mettre un foyer allumé dans un emport'tout ? Tu pourrais me faire une forge à emporter ? »

Déjà mon regard brille à l'idée d'avoir une forge mobile, pouvoir me déplacer sans abandonner mon envie de forger et mon rêve de devenir la meilleure des forgeronnes, de faire ma place en tant que femmes de ce monde masculin.

« Si tu peux me faire une forge à emporter, je suis prête à mettre toutes mes économies pour t'aider à trouver comment faire. Je me débrouille, je prends des quêtes et des chasses aux monstres pour récolter les cristaux. Il me faut une forge mobile ! »

Je me relève un peu, visiblement emportée par l'alcool et l'excitation mêlée à la curiosité qui monte en moi. Je fixe l'enchanteur avec le regard brillant, suspendue à ses lèvres pour savoir si je peux rêver d'une telle forge.

Plus l'alcool descends à flot, plus les pensées deviennent décousues. L'esprit est tel un pull fait avec amour par une grand mère attentionnée que l'enfant turbulent accroche contre une branche et tire avec toute sa force pour s'en libérer sans penser aux conséquences. Les volutes d'alcool délient les liens mentaux, décrochent les neurones pour les faire baigner dans une douce inconscience innocente. Peu à peu il devient de moins en moins réceptif aux stimulations externes, ignorant les conversations toutes aussi avinées que la leur pour se concentrer sur la forgeronne. Le teint d'Almassar commence à virer au rose de plus en plus vif, et il commence à perdre le compte de ses commandes. Cinquième, sixième ? Peut être plus ? Toujours en est-il qu'ils arrivent au stade ou le tavernier leur demande de payer en avance les consommations, sait-on jamais qu'il faille les éjecter en vitesse des lieux car ils commencent à faire bordel. Après tout, souvent le calme précède la tempête. Et pour la quantité d'alcool qui descends, ils sont actuellement aussi sage que des images.

Hélas pour eux, l'échange devient peu à peu de plus en plus difficile. Il est malaisé de se comprendre quand vous avez l'impression de parler à deux personnes en une seule, comme si le son provenait d'un aquarium. L'enchanteur tente de se concentrer, alors que même son écriture devient plus tremblante et hésitante, lui qui met pourtant un point d'honneur à garder des notes de qualité. Ce vœu est bien loin derrière lui alors que le trait est grossier, la ligne perdue. Et pourtant, il continue d'écrire en voyant l'enthousiasme de la forgeronne, venant même en rajouter par dessus, comme si elle n'était déjà pas capable d'elle même de trouver des idées provenant de l'âme des cart... De la bière.

-"C'est vrai que bosser avec les aventuriers, c'est facile pour toi ! Et en plus de proposer de belles lames, tu pourrais même en proposer des enchantées ! Deux en un, encore plus d'argent... Et c'est bien l'argent. On aime les cristaux... Ils brillent, ils réconfortent le cœur quand on les voit. Et pourtant, on en a jamais assez ! Ils partent encore plus vite qu'on ne peut les gagner, a croire qu'ils aiment te fuir dès qu'ils entrent dans ta poche... Peut être qu'eux aussi ils sont enchantés pour ça, après tout, on sait même pas comment ils sont faits !"

Puis soudainement la forgeronne s'enflamme à l'idée de travailler en étant itinérante, de se faire fabriquer une forge mobile. Bien sur, cela emporte Almassar qui, imbibé comme il est, s'enflamme comme un baril de poudre laissé trop proche d'un feu. Ses pensées en font de même, éclatant dans tous les sens. Ballons magiques pour la faire flotter dans les airs, création mécanique avec une âme artificielle pour servir de maison mobile, même quelque chose capable de creuser des tunnels pour emporter le matériel. Que des idées plus connes les unes que les autres, mais qui finalement cessent quand la chope de Sia claque la table, accompagnée par celle du chercheur qui décide d'en faire de même, sans savoir pourquoi. Peut être car elle est vide, en fait. Il tente de réfléchir un instant sérieusement aux propos de la jeune femme, avant de voir son regard brillant de curiosité, d'espoir et surtout teinté d'un voile d'ivresse. Portant une main à sa joue il la frotte, dans un "mhhhhhmmmm" qui dure, dure, dure... Et qui pourtant finit par accoucher d'une réponse, presque réfléchie.

-"Je peux pas dire la sur le coup... Je suis presque sur qu'avec quelques enchantements comme tu l'as dis... C'est possible de tout mettre dans un emport'tout presque tout ce qui est vital. Mais peut être qu'il est possible d'en modifier un pour avoir un toit à ciel ouvert et un haut fourneau... Ou alors de faire l'inverse, de créer une sorte de sac qui, une fois lancé, se déploierait en une vraie petite forge. L'inverse d'un emport'tout tu vois ? Tu le lances et hop, t'as une forge en plein air sous la main !"

Réfléchir lui ferait presque mal au crane, si ce n'était pas aussi naturel pour l'homme d'ainsi songer à de nouvelles branches magiques et de nouveaux usages pour des enchantements déjà existants. Finalement, il se perd de nouveau, continuant de marmonner à voix haute

-"Dans ton sac tu fous le charbon, les lingots, comme ça t'as tout sous la main... Et tu gardes juste le matériel lourd à coté... Je suis sur qu'il y'a moyen de faire quelque chose avec ça. Je ferais bien ça pour mon atelier mais... J'aime bien trop l'idée d'avoir un petit chez moi en voyage, j'ai pas envie de devoir faire des enchantements sous la pluie ou la neige... Toi par contre avec la fumée produite, je vois pas comment tu peux y couper... Mais je suis sur que tu serais capable d'aimer ainsi frapper du métal chaud sous une petite cape enneigée... Ça t'irais même bien je suis sur !"

Nouvelle chope servie après une commande d'une main particulièrement hésitante pour le tavernier, approchant rapidement le point de non retour, celui qui assure des cheveux qui tirent le lendemain et des souvenirs cuisants d'alcool...

La bière coule à flots et je perds progressivement le compte des chopes que j'ai déjà englouties. Nous en sommes au point que nous devons payer directement les bières que nous commandons et de déjà régler notre repas. J'ai même l'impression que le tavernier est de plus en plus réticent à nous servir. Mes joues sont rouges, je sens même que mes oreilles chauffent. Mes idées s'embrouillent et je commence à avoir du mal de suivre les paroles de l'enchanteur. Il parle de cristaux je crois, qu'ils sont sûrement enchantés ou qu'ils ont une volonté propre. Je sais juste que je pouffe un rire en l'entendant parler et que j'ai du mal de m'arrêter de rire.

Mon idée de forge mobile semble aussi l'intéresser. Il met un long moment à y réfléchir, un moment qui me semble durer des heures sous l'effet de l'alcool. Je ne suis pas vraiment ses explications, mais il semble se mettre en tête de faire une forge à ciel ouvert. Je fronce les sourcils et le regarde avec un "Hein ?" qui sort de ma bouche sans aucune classe. Est-ce qu'il est déjà rentré dans une forge ? C'est vrai que l'on peut avoir des forges en extérieur, néanmoins ça a beaucoup de désavantages. Déjà, on ne peut pas travailler si la météo n'est pas avec nous. Frapper le métal avec les mains gelées en pleine saison froide, c'est moyen. Et puis pour peu que l'on ne pense pas à un petit toit pour se protéger de la pluie, la fraicheur de la pluie peut refroidir le métal bien trop rapidement. Non, une forge à ciel ouvert, ce n'est pas pour moi.

« T'as cru que moi j'ai envie de forger sous la pluie et la neige moi ? C'est pas parce que je tape du métal brulant que mes mains ne gèlent pas. Je suis réchauffée, mais je ne suis pas aussi chaude que mon fourneau. »

Je frappe la table de ma chope vide et regarde Almassar l'air contrarié et visiblement très alcoolisé. Je renifle légèrement avant de réagir à sa dernière remarque.

« Je vais pas travailler sous la neige. Ça refroidit le métal trop vite. Il me faut une forge fermée avec une cheminée, rien de compliquée ! C'est comme un emport'tout avec une cheminée. Y'a pas des équivalents qui sont populaires pendant la période du Solstice ? Tu sais, ces espèces de théière avec une petite chambre chauffée à l'intérieur. J'ai oublié le nom... »

Je me creuse un peu la tête à la recherche du nom de cet objet magique quand mes idées sont interrompues d'un coup. Je me redresse sur mon siège et me relève d'un coup. Je me penche sur la table et regarde mon compagnon de tablée en le pointant du doigt.

« Je dois aller pisser. Je te fais confiance pour surveiller mes affaires. Sinon, je te retrouve et te montre ce que ça fait de contrarier une forgeronne. »

Cet avertissement terminé, je me dirige en titubant vers l'endroit qui semble être les toilettes pour les clients de la taverne. Rejoindre cet endroit semble être une épreuve du combattant tant la pièce tangue dans tous les sens. Pour avoir déjà été sur un bateau en pleine mer, j'ai l'impression d'être en pleine tempête. Je finis par atteindre le trône tant attendu alors que je suis à la limite extrême de la contenance que ma vessie peut avoir. C'est avec un petit soupir de bonheur que je commence à la vider et prend le temps de calmer les vertiges qui me prennent légèrement. Finalement, je vais peut-être devoir vider mon estomac après ma vessie. Je reste ainsi un moment aux toilettes à essayer de calmer les différents effets de la bière. Je perds même un peu la notion du temps et je ne sais combien de temps je reste dans les toilettes. Quand j'en sors, je prends le temps de me laver les mains ainsi que le visage pour calmer la chaleur qui le prend. Je finis par sortir de l'endroit et essayer de rejoindre ma table. Au passage, je crois le tavernier et parvient à l'interpeller.

« De l'eau. »

Le tavernier arque légèrement un sourcil à cette demande, mais hoche de la tête avant de repartir. Je rejoins alors ma place en face de l'enchanteur et l'interpelle dès que je suis assise.

« Merci bien le magicien, je vois que mon sac sans fond et mon carnet sont toujours là. »

Je récupère ce dernier et le range dans mon sac. Le tavernier vient alors poser une carafe d'eau ainsi que des verres. Je m'en sers un sans attendre et le descend presque cul sec avant de le reposer sur la table en soupirant.

« Bordel, que ça fait du bien... »

Je regarde à nouveau l'enchanteur, essayant de me ressaisir légèrement.

« Tu veux encore boire ? Sinon, on pourrait profiter de la fraicheur pour se remettre les idées en place. C'est que, je travaille demain et je risque d'avoir mal au crâne si je continue à ce rythme. »

"C'est la vapeur qui me donne si chaud ?" se demande l'homme tandis qu'il observe autour de lui. En finissant sa bière -il en a perdu le compte, il préfère les nommer "bière" directement plutôt que d'essayer de se souvenir ce qu'il a déjà enfilé-, avant d'observer autour de lui. Sauf que de la vapeur, il y'en a nulle part. A la limite le feu les réchauffe, mais il est obligé d'admettre que c'est l'alcool descendu qui lui provoque un tel effet. Enfin, il l'admettrait si il arrivait à réfléchir de façon posée plus de quelques secondes. Puis la voix tonnante de la forgeronne l'arrache de ses réflexion alcoolisées. Il se fait presque vociférer en plein visages tous les inconvénients d'une forge d'extérieur, la nécessité d'un toit, le métal qui refroidit... Beaucoup de choses pertinentes, qu'il n'est pas en état d'assimiler. Almassar écrit d'un geste mécanique particulièrement imprécis sur le carnet des notes qu'il peinera lui même à relire, essayant de retranscrire ce que lui dit la forgeronne, se retrouvant ainsi à enregistrer d'une main ivre des informations provenant d'une bouche l'étant tout autant. Autant dire que la qualité de la retranscription laisse à désirer, et ressemblerait plus à une ordonnance médicale qu'a des écrits soignés d'artisan.

Quand enfin elle termine de lui faire la morale, il vient relever la plume vers elle avant que la demoiselle n'ait l'occasion de se relever, l'agitant légèrement pour attirer son attention en grognant, n'appréciant pas particulièrement se faire parler ainsi lors d'une conversation technique tout ce qu'il y'a de plus calme. Après tout, ils sont justement la pour parler de ce genre de soucis !

-"Pas la peine de me parler comme ça, j'entend ! Je reprend donc, pas de forge en extérieur. J'aurais pu faire une sorte de toit enchanté... Mais j'comprends. Donc un emporte-tout avec une cheminée ou quelque chose du genre. Garder une température constante à l'intérieur et t'empêcher de geler, c'est noté."

Enfin, noté, c'est vite dit. Gribouillé serait un mot plus précis et sincère de son état actuel. La menace  sous-jacente lui arrache un nouveau grognement sans réponse tandis qu'il agite de nouveau sa plume. Heureusement qu'il est ivre et que tout cela sera oublié demain, car ce ne sont pas les meilleurs auspices pour commencer une telle collaboration.

Dans son état, impossible de faire autre chose que de buller en arrêtant de boire. Sa chope est vide, et l'homme arrive à concentrer le peu d'esprit nécéssaire lui restant pour ne pas commander de nouveau. Pas sur que le tavernier aurait accepté de toute façon. Puis, en repensant aux paroles de Sia, il sent soudainement sa propre vessie se rappeler à ses bons souvenirs, comme si elle avait été éveillée par cette prophétie de l'homme ivre : tout liquide ingéré doit au bout d'un moment être rendu à Mère Nature.

La pression commence à monter, comme dans tout bon circuit fermé. Heureusement qu'il est juste assez ivre pour ignorer les signaux d'alerte, mais assez conscient pour les retenir, autrement le résultat aurait pu être catastrophique. Almassar en profite pour relire ses notes, sans apercevoir le temps qui passe. C'est la voix bourrue de Sia qui l'arrache de ses pensées, suivi d'un léger rire.

-"Que veux-tu. Je suis trop honnête pour mon bien, j'allais pas partir avec tes affaires. Et tu voudrais que j'en fasse quoi de toute façon ?"

Le verre d'eau est décliné dans un premier temps, alors que la proposition de Sia est fort charmante. Il hoche en grognant, essayant de se sortir la tête de cette brume qui l'enserre.

-"Très bonne idée... Mais je dois faire la même chose que toi avant. Demande une seconde carafe avant de partir, j'en aurais besoin..."

Et c'est à son tour de tituber jusqu'aux toilettes de l'établissement. Le chemin est aussi dur que pour la forgeronne, transformant ces quelques mètres en parcours du combattant digne des marécages les plus profonds. Le soulagement d'arriver à l'objectif est palpable, et le soupir d'aise audible. Définitivement, boire autant n'est pas raisonnable, après tout l'homme n'a pas des intestins en acier pour gérer des flux à trop forte pression. Quelques minutes lui sont nécessaires pour faire le point avec lui même et surtout se rendre compte qu'il a fini ce qu'il était venu faire. Un lavage de main consciencieux plus tard, il reprend la direction de la table, toujours en titubant, mais bien plus léger. Attrapant la carafe, il descends un verre, deux, trois. La vidant de moitié sans même y réfléchir pour essayer de mélanger un peu l'alcool et limiter le mal de crane qui commence déjà à tambouriner au loin, attrapant d'une main gauche son manteau pour l'enfiler

-"Sortons alors... Par contre j'préviens, je connais pas du tout le coin, je viens à peine d'arriver... Donc évite de nous perdre sans que je puisse rentrer. Ca serait con de finir en glaçon le jour de son arrivée !"

Le second rire qui suit est bien trop ivre, bien trop fatigué pour ne pas donner l'impression de provenir d'un vieux marchand quarantenaire. Heureusement, il ne s'en rend même pas compte, tandis qu'il siffle autant d'eau que possible, vidant tout contenant présent à sa portée et pas déjà assailli par la forgeronne pour enfin trouver la sortie et la liberté, un peu d'air frais pour chasser ces vapeurs d'alcool et l'odeur de sueur de la salle commune à laquelle il vient enfin d'échapper.

Je hoche de la tête quand l'enchanteur me dit qu'il a aussi besoin de soulager sa vessie. Je me ressers un verre d'eau tout en le regardant partir. Je lance un regard à son carnet qu'il a laissé sur la table dès que mon verre est fini. On dirait que notre conversation lui a permis de noter de nombreuses choses. Je regarde mon propre carnet et viens y ajouter plusieurs notes, essayant de me rappeler tous les détails qu'il a évoqués pendant la soirée. J'ajoute aussi des notes sur ce qu'il faudrait dans une forge mobile. Il faudrait un bon fourneau, du charbon, de nombreux outils dont une enclume et une meule. Il ne faut pas oublier de quoi refroidir le métal, mais aussi des rangements divers. Il faut aussi évidemment de quoi stocker les métaux. Je me gratte un peu le crâne avec mon crayon, réfléchissant à ce que j'oublie. Je gribouille un petit croquis d'une bonne forge, réfléchissant à l'apparence d'un emport'tout avec une cheminée.

Je suis en train de peaufiner mon semblant de croquis quand l'enchanteur revient de sa petite pause. Je l'imite et me sers un nouveau verre d'eau que je bois plus lentement cette fois. Je le regarde en arquant un sourcil alors qu'il demande à ce que je ne le perde pas.

« Je dors ici aussi. Donc j'ai tout intérêt à revenir. »

Je souris et accoste le tavernier, lui demandant si je peux avoir de l'eau chaude pour prendre un bain à mon retour. Nous échangeons rapidement, puis je récupère mes affaires et mon sac sans fond tout en laissant l'enchanteur faire de même. Tout en quittant la pièce où les rires gras et les bruits de chopes se frappant se mélangent, je sors une cape de mon sac la nouant à mon cou pour ne pas attraper la mort. J'ai beau être réchauffée, résistante et au pouvoir de régénération extraordinaire, je ne tiens pas à avoir un rhume alors que j'ai du pain sur la planche pour les prochains jours.

Le froid nous assaille rapidement et des petits nuages de vapeur se forment devant nos visages. La nuit est bien tombée, les ruelles de la forteresse se sont vidées alors que les différentes tavernes se sont remplies. Le piquant du vent sur mon visage m'aide un peu à me ressaisir. Un frisson me traverse le corps d'un coup et m'aide pendant un instant à récupérer un peu de lucidité. J'ai l'impression de décuver un peu, même si ma démarche est tout sauf droite. J'avance lentement sans vraiment chercher de sujet de conversation. Il neige légèrement par moment, le froid invitant cette dernière à tomber par petits flocons et commençant à geler les routes pavées. Je lance un regard à Almassar et décide de lancer un sujet de conversation.

« Et toi alors ? C'est quoi ton rêve ? Tu veux juste voyager et voir où les cristaux te mènent ? »

Je souffle un rire clairement alcoolisé et lève une main comme pour lui indiquer de ne pas répondre tout de suite.

« Attends, laisse-moi deviner. »

Je réfléchis un instant qui est sûrement plus long que je n'en ai l'impression, me plongeant dans mes pensées. De quoi peut bien rêver un enchanteur itinérant.

« Toi, je te vois bien partir à la quête d'un trésor magique perdu. Le chercher à travers tout le royaume à partir d'une vieille et obscure légende qui dirait que celui qui le trouve pourrait percer les mystères de la magie. Je me trompe ? »

Je ris bien plus franchement cette fois. Je dis ce qui me passe par la tête, et visiblement je lis bien trop d'histoires d'aventuriers ou de romans.

« Non, plus sérieusement. T'as envie de quoi dans la vie à part voyager et écouter les idées farfelues de potentiels clients et partenaires commerciaux ? »

Je renifle et esquisse un sourire, resserrant au passage un peu ma cape. Cette dernière a déjà récupéré plusieurs flocons restés accrochés dessus. Est-ce que c'est dans cette tenue qu'il disait m'imaginer forger en plein air ? J'ai comme un doute. Mon esprit alcoolisé oublie rapidement cette question pour plutôt se concentrer sur un groupe d'ouvriers alcoolisés sortant brusquement d'une taverne. Ces derniers nous bousculent légèrement et je me retrouve à rattraper l'enchanteur tel un prince charmant venant aider une belle demoiselle trébuchant maladroitement. Je souffle un rire tout en aidant le jeune homme à se redresser et éviter qu'il ne finisse le fessier à terre.

« Faut faire gaffe, y'a pas mal d'obstacles ici le soir et la rue est parfois glissante. Vas pas te briser un truc avant d'avoir pu m'étudier ! Sinon je serais obligée de te soigner. »

Je souffle un rire. En voilà une bonne occasion pour inspecter ma magie, il serait aux premières loges !

La bise glaciale fait son petit effet sur l'enchanteur à peine la porte de l'établissement passée. Sur les toits, l'air siffle et crisse aux oreilles, en une étrange symphonie aiguë. Loin d'être totalement habitué, le son perturbe légèrement Almassar qui tente déjà d'émerger un peu de sa brume alcoolisée. L'air frais qui vient fouetter son visage et porter quelques flocons apporte un secours certain tandis qu'il vient resserrer les pans de sa tenue contre lui. Si il n'a eut le temps de faire des emplettes propres et décentes concernant ses vêtements, il avait pris un minimum de matériel à la Capitale en préparation de ce voyage. Il ne risque donc pas de geler sur pied, même si l'immobilité prolongée pourrait rapidement se rendre désagréable. Après tout, les longues rues de la Forteresse et sa hauteur n'aident pas à couper le froid et le vent qui s'engouffre dans chaque interstice et tente d'ainsi lécher leur peau pour arracher chaque vital degré à des pores ainsi maltraités.

Le pas est lent, tout comme l'esprit. Embués par l'alcool, ils divaguent sur les rivages de la psyché comme sur les pavés, en une étrange synchronicité. Après le barrage verbal continu de l'auberge, un peu de calme naturel apporte le plus grand soulagement. Oh bien sur, des bruits proviennent de certaines maisons d'étage, dont les rez-de-chaussée servent de boutiques. D'autres tavernes laissent échapper lumière, chaleur, rires gras et conversations scabreuses. La question de Sia lui fait arquer un sourcil de sa nature soudaine, et alors même qu'il tentait de répondre, il se fait couper. Prenant son mal en patience, il laisse la neige s'imbiber métaphoriquement d'alcool et apposer son toucher frais à ses tempes et son front brulant de la chaleur de l'ivresse.

Les élucubrations de la forgeronne finissent par lui arracher un rire coupé d'une légère toux, la gorge sèche. A vrai dire, il a lui même besoin d'un moment pour songer à cette question. Car si ce voyage est le fruit d'une mure réflexion, il est en même temps simplement l'envie de réaliser une pulsion et un besoin. Les sourcils froncés en une réflexion intense qui l'arrache légèrement des bras du houblon, l'enchanteur vient se tapoter la lèvre en réfléchissant. La réponse finissait enfin de fleurir sur sa lippe quand, fauché en plein vol il se fait balloter par des ouvriers tout aussi ivres qu'eux. Totalement ailleurs, il perd l'équilibre et ne doit son salut qu'a Sia qui possède de bons réflexes malgré la nuit qui s'avance. La situation le fait rire, avant de hausser les épaules.

-"Merci, j'étais absolument pas préparé à ça... Et oui, j'ai l'impression que je vais devoir m'habituer au coté traitre de cette ville et de ses glaces éternelles. Et je préfèrerais être mon propre cobaye pour vérifier le fonctionnement de ton bracelet !"

Suite à cet avertissement il continue d'avancer, enfonçant les pieds dans la neige qui tombe de plus en plus drue. Dès qu'il arrive à concentrer son esprit sur deux taches différentes, Almassar répond enfin à la question initiale en souriant de nouveau quand il repense aux conneries de sa comparse.

-"A vrai dire mon rêve je n'en sais rien. Jusque la je travaillais à la Capitale, mais je savais que j'avais besoin d'air pour découvrir autre chose et pas m'empâter comme la plupart des artisans de carrière..."

Et car il avait rien à perdre et tout à gagner ainsi. Peut être bien l'une des rares fois ou sa fougue et son impétuosité s'exprimant parfois dans ses actes peut s'avérer payante. A la Capitale, rares sont les occasions de tirer son épingle du jeu au milieu des artisans reconnus à travers les contrées. Alors qu'en voyageant, quelqu'un peut totalement commencer à se faire un nom et l'expérience désespérément requise pour pouvoir faire face aux plus grands.

-"J'ai des recherches à mener pour une cliente, et pour le trésor tu aurais presque juste, si un tel artefact existait. Je dirais plutôt qu'il faut partir dans des dizaines de petites quêtes et missions pour dénicher différents artefacts, livres, bouts d'histoire et de passé pour peu à peu rassembler le puzzle géant qu'est la magie et l'enchantement."

Ses pas hésitants l'apportent face à une porte qui s'ouvre par surprise pour laisser échapper un couple aux intentions surement fort peu louables vu l'agitation qui les anime et l'heure à laquelle leur méfait tient lieu, mais cette fois le chercheur était plus attentif et fait un pas sur le coté avant de rire.


-"Bordel, voyager ici de nuit c'est une vraie expédition, encore pire que se taper le voyage depuis la Capitale à pied... Et pour te répondre, j'ai envie d'approfondir mes connaissances, de voir jusqu'où il est possible de porter l'enchantement. Peut être un moyen aussi d'aider plus de gens en produisant de tels ouvrages en masse, car il est difficile de nier que les objets les plus efficaces coutent une véritable petite fortune et sont inaccessibles. Et bien sur se faire des cristaux en quantités indécentes. Tu n'imagines pas combien peuvent me couter mes recherches. Même avec de bons clients comme j'ai actuellement, j'ai du mal de garder la tête hors de l'eau."

Cela le peine un peu d'admettre cela, mais il est bien trop ivre pour encore posséder toute sa gêne et sa réserve naturelle quand à sa propre situation personnelle. Un haussement d'épaule s'ensuit de nouveau alors qu'il observe aux alentours, essayant d'enregistrer un peu le chemin parcouru.

-"Mais je ne suis pas à plaindre pour autant, et si ça se trouve je trouverais du travail ici, comme avec toi par exemple. Mais toi donc, si jamais ce désir de forge mobile est réalisable, tu ferais quoi de ton avenir ? Autrement qu'a te déplacer pour forger des armes pour la Guide ? Tu dois bien avoir une envie profonde, un souhait qui t'anime ?"

Non définitivement, l'alcool désinhibe un peu trop, au point de poser des questions si personnelles sans même une seconde pensée. Au loin, les murs de la Forteresse apparaissent par intermittence entre les bâtisses, forçant l'enchanteur à regarder tout autour de lui... Yep, il est définitivement perdu et devra compter sur Sia pour rentrer.

Je souffle un rire à la remarque de l'enchanteur, la forteresse n'est pas spécialement agitée la nuit, pas plus que ne l'est la capitale, cependant le givre et le verglas s'installent plus facilement ici. Je ressers à nouveau ma cape alors qu'un vent frais vient hérisser les poils de mes bras nus dessous. Après ce moment, il répond à la question que j'ai posé, mais aussi aux hypothèses farfelues que je lui ai sorties. Je l'écoute silencieusement, hochant juste de la tête à ses mots. Je comprends parfaitement ce qu'il veut dire. Après avoir commencé à faire des missions pour la guilde, j'ai ressenti ce besoin de bouger, cette envie de m'envoler loin du nid douillet de la famille. Certes, ce n'est pas facile et j'ai ressenti la solitude à de nombreuses reprises, pourtant j'apprécie l'idée de pouvoir me débrouiller sans eux.

J'arque légèrement un sourcil à la suite de sa réponse. J'ai envie de lui demander "Pourquoi tu ne rejoins pas la guilde des aventuriers ?" mais la porte s'ouvrant rapidement m'en empêche. Le couple visiblement très amoureux et impatient me fait légèrement grogner. J'ai horreur de ce genre de comportements. Ils ne peuvent pas prendre une chambre ? Je remonte ma cape sur mon visage et me tasse pour que mes lèvres soient cachées par le tissu, essayant de légèrement dissimuler mon mécontentement. J'écoute à peine Almassar qui continue de parler et se plaindre. Mon regard se dirige plutôt sur le paysage. De nombreuses chaumières sont maintenant illuminées, le feu dans les cheminées laisse échapper de la fumée de chacune d'elles. Au loin, j'entends des enfants jouer et crier, profitant certainement d'un dernier moment de calme pour se faire une bataille de boule de neige avant le repas du soir ou le coucher.

J'écoute d'une oreille les mots de l'enchanteur, hochant à nouveau la tête quand il parle d'aider les gens. C'est une intention louable et que j'admire. Je n'ai pas l'intelligence pour de telles choses, je me contente d'aider à mon échelle. J'ai beau avoir de bonnes intentions, je n'ai jamais aucune idée de comment faire les choses. Mes pensées vont un instant vers Kim et Emerald. Il faudrait que je prenne des nouvelles du noble et de notre projet que la petite rousse nous a éveillé. Ses mots sur le fait de s'en sortir financièrement me touchent sincèrement. Je ressens un petit pincement, comprenant ce qu'il veut dire. Forgeron, ce n'est pas si rentable que cela, c'est avant tout une histoire de passion. Le coût des matériaux, du matériel, les clients tatillons et qui négocient beaucoup, le fait de réussir à attirer les regards... Si je n'avais pas mes missions d'aventurière je n'économiserais pas grand-chose malgré toutes les bonnes intentions de mon maître. Je fais clairement pâle figure à côté de lui, et je n'ai presque aucun bon client comme il peut avoir.

Nous dépassons un bonhomme de neige dont le chapeau tombe doucement de sa tête, ayant déjà perdu plusieurs cailloux servant à dessiner son visage avec la fonte de la neige. Je m'approche de lui et viens redresser son couvre-chef avec un petit sourire, essayant de réaligner les cailloux restants pour qu'il ressemble encore à quelque chose. Je pousse alors un soupir en entendant les questions du jeune homme. Je réfléchis tout en regardant la figure de neige, penchant légèrement la tête sur le côté. Ce que je veux faire de mon avenir ? En voilà une bonne question. Je n'en sais fichtrement rien. Et l'alcool ne m'aide pas beaucoup à réfléchir.

« Je veux devenir la meilleure des forgeronnes. »

Je sors cela de but en blanc, sans trop réfléchir. À vrai dire, ma capacité de réflexion et mon inhibition est presque nulle avec l'alcool que j'ai ingéré. Même le froid mordant qui pique mon visage n'arrive pas à me faire revenir complètement à moi. Au moins, je ne tangue plus trop, c'est déjà cela.

« Je veux parcourir le royaume, et si possible le monde, en apprendre plus et en découvrir plus pour perfectionner mon art. Je suis devenue aventurière pour aider ma sœur dans son rêve, mais finalement, c'est un boulot qui m'aide bien pour le mien aussi ! Et puis, ça arrondit les fins de lunes. C'est pas toujours rose, j'ai déjà risqué ma vie, mais ça en vaut parfois le détour. J'ai rencontré un type capable de créer le métal qu'il veut comme ça ! Même les plus rares ! Une aubaine pour une forgeronne comme moi. Et puis on peut récupérer des matériaux des fois, de potentiels clients ou même des infos sur des artéfacts et autres légendes. »

Je hume un instant une odeur sucrée qui détourne légèrement mon attention. Tout en continuant de parler, j'essaye de repérer l'origine de cette bonne odeur.

« Et puis, j'ai rejoint un programme de la guilde pour quand je voudrais monter ma propre boutique. Avantage financier et autres logistiques en partenariat direct avec la guilde, la possibilité d'être reconnu comme artisan affilié et des choses du genre. Bref, ça m'a apporté pleins de bonnes choses les aventuriers ! Tu devrais essayer à l'occasion si tu galères. Même si tu rejoins pas la guilde, tu pourras sûrement avoir des négociations avec eux. Le conseiller moustachu à la capitale, il est super sympa et arrangeant. Tu devrais essayer de le rencontrer. »

Mon flair fini par identifier cette odeur qui réveille mon estomac. Oui, j'ai mangé une bonne portion en buvant, mais l'alcool a le don d'éveiller mon appétit et puis je n'ai pas eu de dessert. Je viens récupérer le bras d'Almassar et m'y accrocher alors que je l'embarque à travers le dédale de rues.

« Et si on se trouvait un gâteau pour se faire un dessert ? Tu aimes le sucré j'espère. Moi, ça me manque. L'autre ronchon, il aime pas ça. Les pâtisseries de ma mère me manquent. »

Me voilà partie à la quête d'un dessert tout en entraînant l'enchanteur avec moi. S'il n'en veut pas, tant pis pour lui, il en aura quand même. Je ne suis de toute façon pas en état de me dire qu'Almassar n'est peut-être pas d'accord d'être ainsi balloté.

La soirée est des plus étrange, pourrait se dire Almassar si il était en état de réfléchir à une telle chose. En effet, lui qui voulait simplement profiter de son arrivée pour se détendre un peu près d'une cheminée bien alimentée et d'un repas chaud, le voici plus qu'a moitié ivre à traverser les rues de la ville en compagnie d'une forgeronne tout aussi éméchée que lui. Le destin réserve définitivement de bien étranges surprises, et il se pourrait que cette première rencontre au sein de la Forteresse en soit l'une des plus marquantes. Au moins à cause de la gueule de bois qui l'attends le lendemain. Heureusement pour l'enchanteur, la neige continue de doucement tomber, linceul de pureté immaculée jusqu'au passage de leurs bottes recouvrant le monde d'un drap blanchâtre apaisant et cotonneux, engourdissant les sens et la pensée. Pile ce dont l'homme a besoin pour laisser l'alcool passer et arriver à suivre l'échange avec la forgeronne. En effet, il est difficile de suivre la jeune femme en tentant de marcher à peu près droit -ce qui veut dire faire une queue de poisson au vent tous les dix mètres-, surtout quand elle parle et qu'il doit se concentrer. Donc cette source de fraicheur et d'apaisement externe est la bienvenue.

Finalement la conversation reprends, et les mots doivent faire leur chemin dans ce miasme nocturne et vaporeux. Les mots se glissent dans les couches alcoolisées, essayent de ne pas être déformés par le filtre de l'ivresse, avant d'enfin entrer dans le crane de l'enchanteur qui ne peut s'empêcher de rire en entendant la première phrase de la demoiselle. Il part presque dans un fou rire, portant une main à son flanc, posant la seconde contre la façade d'un bâtiment. Oui, cela le fait sincèrement rire, tant de cette franchise que de cette simplicité. Après tout, lui même aurait un objectif assez similaire, au fond. Une fois la crise passée, reprenant sa respiration de façon rauque en toussant un peu, il redresse la tête avec un large sourire encore présent sur les traits, le regard pétillant, non pas de champagne mais d'amusement.

-"Meilleure forgeronne, rien que cela ! Je ne peux que te souhaiter du courage, ce n'est pas un objectif facile. Mais qui sait, peut être qu'un jour les gens chanteront les louanges de tes armes et qu'elles seront transmises de génération en génération comme de précieux legs."

C'est de la vanité, mais en un sens il ne peut pas la lui reprocher. Après tout, qui n'aimerait pas devenir célèbre, marquer l'histoire avec un grand H de son nom et savoir que même après sa mort, les cloches de la renommée continueront de sonner pour soi ? Tandis que Sia reprends les explications sur ses motivations, Almassar ne peut s'empêcher d'être compatissant, voir même de leur trouver des points communs. Les deux font un travail qui les passionne tous deux, et qui n'est pas facile tous les jours. Oh bien sur sur la renommée et la gloire leur ouvre les bras, ils peuvent être riches et réaliser nombre de leurs rêves, mais pour arriver à cette place, il faudra gravir de nombreuses marches, toutes plus accidentées les unes que les autres. Puis elle parle de sa sœur, et l'homme hoche du chef. Son propre travail l'a bien éloigné de sa famille, en bien comme en mal. Il le regrette parfois, et avec l'alcool les vagues se font plus proches, leur son venant bercer quelques instants les oreilles. Secouant la tête pour se sortir ces mauvaises idées de l'esprit et éviter de sombrer dans l'alcool triste,  l'enchanteur plonge son regard en direction des toits à la nappe de poudreuse, les cheminées laissant échapper leur volutes vers le ciel, offrande des hommes au dieu du feu pour préserver les habitants du froid et des intempéries. Il repère même sur l'un des toits légèrement pentu un bonhomme de neige entre deux éclats de la lune, signe qu'un ou plusieurs enfants sont bien plus débrouillards qu'ils ne voudraient l'admettre, au grand dam de leurs parents.

-"Je note l'idée. Il est vrai que j'ai aussi décidé de voyager pour plus facilement trouver les ressources rares ou locales dont je pourrais avoir besoin. Donc un partenariat avec des aventuriers ou la Guilde elle même serait particulièrement rentable. Un bon moyen d'avoir des clients et de pouvoir leur vendre à prix réduit ou troquer les matériaux dont je manque parfois tant. Si je me souviens de tout cela demain, j'essayerais de le noter quelque part pour ne pas en perdre la trace."

Almassar aurait pu continuer longtemps cette conversation si il n'était pas soudainement attrapé par le bras pour se faire emporter contre son gré en direction de... Il ne sait pas quoi à vrai dire, en fait. L'odorat de la forgeronne est bien plus adapté au froid que le sien, et arrive encore à fonctionner alors que lui même à l'impression que son nez commence à couler. Un rire glisse de nouveau entre ses lèvres en entendant Sia ronchonner alors qu'il hésiterait presque à lui tapoter un instant la tête, avant de se retenir. Un peu de tenue tout de même, surtout dans l'ébriété. Ce serait dommage de se faire briser des doigts pour un malencontreux incident.

-"Je serais pas contre un dessert non plus ! Et j'aime beaucoup le sucré, même si je dois avouer être tenté pour essayer un gâteau à la citrouille si jamais vous en avez par ici. C'est un plat peu commun à la Capitale et pourtant je l'adore."

En parlant de nourriture, son ventre gargouille lui même. Oui, enchainer les bières remplit la vessie mais vide l'estomac. Après tout, le liquide, ce n'est pas très nourrissant. Et la plâtrée qu'il s'est enfilé peu auparavant est loin de lui suffire... Finalement, son propre odorat arrive à capter la trace que la forgeronne suit tel un chien de chasse traquant sa proie. Deux petites rues plus tard et les voici face à un petit pâtissier ouvert de nuit. Quelques ivrognes sont déjà présents, et le lieu semble être le rendez-vous de tous ceux à la recherche d'un moyen d'étouffer l'alcool dans la nourriture.

-"Je vais finir par croire que tu viens souvent par ici pour connaître un tel lieu. Mais je vais pas m'en plaindre, ça a l'air bon bordel. Et tout chaud en prime, de quoi se réchauffer les mains et l'estomac..."

Et sans se faire attendre, voici l'enchanteur qui s'avance tel un enfant le jour du Solstice pour aller acheter une pâtisserie... Voir même deux. Hélas pour lui le vendeur ne propose pas de spécialité à la citrouille, mais les fumets de chocolat chaud et de brioche sucrée tout juste sorties du four suffisent largement à adoucir son courroux face à cette terrible injustice. Et c'est les mains pleines -et presque la bouche, si il ne se retenait pas le temps de laisser sa comparse commander- qu'il se retrouve, tout heureux.

-"Définitivement, je vais rester un moment ici je pense... Et bon appétit pour la seconde fois de la soirée !"

Et une nouvelle fois il rit. Fatigué, ivre, content. Le trio qui risque de provoquer bien des idées aussi explosives que stupides d'ici la fin de la nuit...

Est-ce qu'il est en train de se moquer de moi ? On dirait bien. J'ai envie de prendre de la neige et la balancer au visage de l'enchanteur pour l'aider à se calmer. À la place, je mets un coup de pied dans un petit tas et grogne dans l'épaisseur de ma cape. Quand enfin il se calme, je l'écoute en le regardant du coin de l'œil. Je vois bien qu'il est encore amusé, me demandant s'il est sincère dans ses mots, mais il ne semble pas mentir pour autant. Surtout avec son taux d'alcoolémie actuel. Légèrement vexée, je me retourne en grognant et me contente de guider Almassar à travers les rues sans l'écouter. Mon odorat fini par me guider jusqu'à un pâtissier qui ouvre tardivement, permettant d'acheter des petites douceurs à grignoter ainsi que quelques boissons chaudes pour les ouvriers travaillant de nuit ou les quelques personnages fortement alcoolisés du coin.

J'arque un sourcil à la remarque de l'enchanteur. Quelle image est-il en train de se faire de moi ? Au moins son attention est vite tournée vers la nourriture et il s'empresse de commander. Je profite de ce moment pour observer la vitrine et faire mon choix. Quand vient mon tour, j'opte pour une brioche en forme de bonhomme et un chocolat chaud. Dès que mon en cas est payé, je viens croquer la tête de mon homme brioché et récupère mon chocolat de mon autre main. Je souffle un rire quand il déclare vouloir rester ici un moment, prenant une gorgée de chocolat chaud, me brulant presque le palet au passage.

Du coin de l'œil, j'aperçois un tenko qui saute sur le petit toit du pâtissier, jouant avec la neige se trouvant dessus. Ce petit malin touche la neige du bout de la patte et la pousse quand quelqu'un s'en approche. Je pouffe légèrement quand un client se prend d'un coup une grosse boule de neige sur la tête, ce qui semble amuser le petit félin. Je mange mon homme brioché tout en le regardant faire, finissant par me décider à jouer un peu avec lui.

« Tu peux me tenir ça deux minutes ? »

Je confie alors mon chocolat chaud à l'enchanteur, récupérant mon sac sans fond pour fouiller dedans. Je retrouve rapidement mon jade de téléportation dedans. Je récupère ensuite mon chocolat et en prend une bonne gorgée. Je m'approche de l'avancée de l'avancée où se trouve le félin, un petit sourire étirant mes traits. Je lance mon jade dans la direction du toit et le tenko le repère rapidement, s'approchant de la boule pour commencer à jouer avec. Malheureusement pour lui, trois secondes plus tard je me trouve à l'endroit du jade. Avec un grand sourire, je viens lâcher un grand "Bouh !" au chat qui est effrayé et s'enfuit en glissant sur la neige avant de planer jusqu'à un autre toit. Je souffle un rire avant de relancer mon jade au sol pour m'y téléporter à nouveau, retrouvant Almassar. Je range mon jade et récupère à nouveau son bras de ma main libre.

« Promenons-nous encore pendant que l'on finit nos boissons. Je suis sûre qu'on va trouver un endroit où se réchauffer avant de rentrer. Tu as encore beaucoup à découvrir de la forteresse ! »

J'embarque à nouveau mon compagnon de soirée à travers les rues de la ville enneigée. Nous marchons un moment silencieusement, seuls les bruits de nos pas dans la neige et les moments où nous buvons dans nos verres chauds venant briser ce calme. Je laisse nos pas et nos envies nous guider, me dirigeant tantôt avec des odeurs, tantôt avec des bruits. Finalement, nous arrivons devant ce qui ressemble à une sorte de taverne très animée. Le nombre de clients est plutôt faible, mais l'endroit me semble tout de même chaleureux et bon enfant.

« Là, ça me tente bien ! Ça a l'air d'être un endroit sympa. »

Je finis mon chocolat presque cul sec, jetant mon verre dans une poubelle proche avant de venir ouvrir les portes de la taverne. L'air chaud nous accueille, mais contrairement au bruit que l'on entendait juste avant, un silence plus relatif se fait lorsque l'on entre. Je me dirige directement vers ce qui semble être un bar et m'adresse au tavernier.

« Deux bières s'il vous plait ! »

L'homme souffle un rire en me regardant un peu de travers, mais me sert tout de même mes bières, me réclamant rapidement de quoi payer ensuite. J'arque un sourcil face à son empressement et lui tend les quelques cristaux suffisant à régler la commande. Je donne son verre à mon compagnon et me penche vers lui pour murmurer à son oreille.

« Ou peut-être pas... On n'a pas l'air d'être bienvenus ici. »

L'enchanteur voit bien que ses propos semblent avoir vexés la demoiselle, alors qu'au fond, il les comprend et les partage. Mais il est bien trop ivre pour continuer sur le sujet, alors qu'il s'attaque à sa première brioche et profite de cette douce chaleur tant pour échapper au froid qu'emplir son estomac que trop plein d'alcool. Voyant le chocolat chaud de Sia, il regrette presque de ne pas en avoir pris un aussi, une envie enfantine d'y tremper son gâteau le prenant soudainement. Grognant d'une voix sourde entre ses dents, il ne repère le petit animal que quand la forgeronne s'y arrête plusieurs secondes, lui fourrant la boisson entre ses mains. A partir de cet instant, une lutte intestine terrible prend place : regarder la demoiselle faire son étrange manège avec une petite pierre, ou profiter de son dos tourné pour tremper sa brioche dans la boisson et en savourer le divin mélange.

Et c'est finalement l'odeur pétillante de la magie qui attire son regard. La jade s'active et Almassar regarde les yeux brillants la téléportation prendre place. Un objet toujours utile, et il serait des plus agréablement satisfait d'en posséder un lui même. Peut être un jour, car pour le moment il n'a pas le temps d'y penser. A peine l'animal enfui que la jeune femme se téléporte en bas et récupère son bien. Elle n'a heureusement pas laissé assez longtemps sa boisson sans surveillance, et cette dernière n'a pas mystérieusement baissée, toujours vierge de toute trace de brioche. Sans se faire demander son avis une nouvelle fois, il se fait encore trainer à travers la ville, grignotant avec appétit tout en hochant, arrivant néanmoins à garder la règle élémentaire de politesse de ne pas parler la bouche pleine -ce qui n'est pas aisé avec l'alcool, même si ce dernier chute légèrement entre le froid et la nourriture-.

-"Je me doute, je viens à peine d'arriver ! Il me faudra des semaines voir des mois pour en faire le tour, et des années si je commence à me perdre dans les bibliothèques des quartiers scientifiques et ingénieurs !"

Malheureusement pour eux, le Tenko semble les avoir pris en grippe, surtout depuis l'attaque de Sia. Les poursuivant en sautant et volant de toit en toit, il commence à s'amuser à essayer de leur jeter de la neige depuis les hauteurs quand ils passent trop près d'un toit, tentant de les toucher comme il a su faire avec tant de clients durant la soirée. Et finalement, l'une d'elle finit par atteindre le groupe, mais la mauvaise cible. C'est l'enchanteur qui, finissant sa bouchée, se prends un colis glacé et poudreux sur le crane par surprise. Grognant il plisse le regard vers le toit et l'animal qui semble tout fier de lui. Relâchant le bras de la forgeronne, il vient attraper à son tour de la neige pour riposter. Si ce chat hybridé veut jouer, ils peuvent être deux ! Et bien rapidement, c'est l'homme qui commence à bombarder l'animal et non l'inverse, ce dernier esquivant en semblant bien se moquer de cette tentative de l'assaillir. Puis l'un des projectile vient effleurer l'un de ses ailes et il se décide simplement à repartir finir sa nuit ailleurs, à embêter d'autres humains ou peut être simplement s'occuper de trouver son repas, satisfait de son méfait.

Apercevant la taverne si bien placée dans leur perdition nocturne, Almassar hoche et suit la demoiselle sans poser de questions. Que pourrait-il mal se passer après tout ? Eh bien absolument tout en fait, tandis que le silence se fait rapidement à leur entrée. L'enchanteur remarque que les regards s'accrochent à eux, encore plus quand on leur demande de payer dès les boissons servies. Un souffle répondra à la forgeronne, accompagné d'un léger hochement.

-"J'ai l'impression qu'ils aiment leurs petites habitudes et pas beaucoup les nouveaux arrivants dans le coin... J'espère qu'on aura pas d'ennuis, j'ai déjà assez mal au crane comme ça..."

A peine le temps de prendre une première puis une seconde gorgée qu'un trio d'hommes, ou plutôt de gros bras vu la carrure, surement occupés à dépecer et découper les carcasses apportées par les chasseur toute la journée, s'approche du comptoir. Il ne leur faut que quelques instants pour se poster en triangle, sans que l'aubergiste ne daigne dire quoi que ce soit à ce sujet. Roulant un peu des mécaniques pour se faire bien remarquer, l'un d'eux finit par prendre la parole.

-"Alors, vous faites quoi par ici ? Généralement on ne vient pas trop nous déranger dans ce bar, vous n'avez pas eut le mémo que cet endroit était privatif ? Si vous voulez vous faire accepter ici, il va falloir le mériter..."

Entendant cela, l'enchanteur plonge la tête dans sa chope en soupirant, pivotant lentement pour examiner les armoires à glace face à lui. Il n'a clairement aucune chance, et ne peut que jeter un regard à la demoiselle à ses cotés qui se fait déjà très clairement reluquer au vu de sa tenue, essayant de voir si elle a une idée derrière la tête...

Nous n'avons même pas le temps de nous installer à une table et commencer à déguster nos bières que trois tas de muscles viennent commencer à nous embêter. Je ne peux m'empêcher de pousser un soupir en posant mon verre devant moi. Je demande juste un peu de tranquillité pour ce soir et pouvoir savourer quelques bières en bonne compagnie que l'on vient nous chercher les problèmes. Je vois aussi que l'on commence à me reluquer alors que l'enchanteur ne sait pas quoi faire pour se sortir de cette situation. Je tourne la tête vers l'un des hommes qui affiche un sourire presque carnassier en me regardant. De mon côté, j'affiche un regard impassible, presque blasée par cette situation, répondant d'une voix extrêmement froide.

« Maintenant on privatise les tavernes ? Je croyais que l'on pouvait se faire servir tant que l'on paye. Et je pense que j'ai plutôt raison, non ? »

Je récupère ma bière et la soulève sous le nez de l'homme avec un léger sourire, reprenant une gorgée.

« Après si vous voulez qu'on parte... »

L'homme ricane en me regardant, cherchant du regard ses deux autres comparses. Ce type a l'air du genre à passer ses journées avec un métier plutôt physique, peut être bucheron, boucher, ou encore maître de chiens de traineau. Ce n'est clairement pas un peintre. Almassar a l'air bien fragile et petit en comparaison. Moi-même qui suit plutôt musclée ne peut rien en comparaison.

« Vous pouvez rester, si vous vous en montrez digne. »

J'arque un sourcil en regardant l'homme, puis l'enchanteur avant de revenir vers l'armoire à glace.

« C'est-à-dire ? »

Son sourire se fait bien plus horrible alors qu'il se met à rire avec ses deux coéquipiers. Il vient glisser une main sur une de mes cuisses en prenant un ton bien plus pervers.

« Pour toi, il y a bien des manières ma jolie... Je te réchaufferais bien, je suis sûr que les flocons qui tombent par cette belle nuit étoilée te donnent froid... »

Mon corps entier se tend et je sens un immense frisson de dégoût me traverser le dos. Presque par instinct, je viens me saisir du poignet de l'homme et lui faire une des clés que Java m'a enseignées. Rapidement, l'homme se retrouve la face contre le bois de la table, son bras coincé dans le dos, le laissant grogner de douleur et de contrariété. Je me penche à son oreille tout en lançant un regard mauvais à l'un de ses compagnons.

« Et maintenant, je le mérite ?... »

L'homme grogne et lâche un juron avant de se rendre, me faisant légèrement sourire. Je ne remercierais jamais assez la lieutenante du Village Perché pour m'avoir appris ces nombreuses prises et pour m'avoir pris sous son aile. Ses techniques me sortent vraiment de situations parfois improbables. Je relâche alors l'homme en souriant, fière de moi. Je me rassieds et récupère ma bière que je sirote tranquillement. L'armoire à glace décide tout de même de rester avec nous, et l'un de ses copains assis à côté de l'enchanteur décide de l'embêter.

« Toi par contre le gringalet, il va falloir faire tes preuves ! Et si t'es un homme, ne te repose pas sur l'aide d'une donzelle. Montre-nous tes pectoraux ! »

J'arque un sourcil en regardant Almassar. Je suis bien curieuse de la façon dont il va se sortir de cette situation, soufflant de manière amusée dans mon verre.

L'enchanteur observe la situation se dérouler sous ses yeux l'air un peu perdu. L'alcool redescend rapidement, l'adrénaline monte en échange. Le sang pourrait rapidement lui battre aux tempes mais... Hélas il n'a pas la carrure pour se battre, surtout pas contre des montagnes pareilles. Il est agile, possède une certaine rapidité, certes. Mais il reste avant tout un civil dans un travail calme et reposant. Son activité physique a beau avoir grimpée en flèches les dernières semaines, cela lui permet surtout de marcher plus longtemps qu'auparavant -et avec une charge sur le dos-, en somme, rien de bien utile dans cette situation. Et c'est ainsi presque sans défense, et obligé de compter sur l'assistance d'une inconnue qu'il voit la scène se dérouler. Quand le trio s'approche un peu trop et commence même à la peloter sans aucune vergogne, il passe les idées possibles dans sa tête. Et mis à part tenter un coup de surprise, il n'a pour ainsi dire aucune chance. Mais Sia a exactement la même idée, l'entrainement en plus. Un clignement d’œil d'Almassar plus tard et l'un des colosse heurte la table. Difficile de dire qui est le plus surpris entre le touriste, l'homme subissant la prise ou ses comparses. Finalement, le trio abandonne la partie et leurs intentions plus perverses, préférant se détourner vers une cible plus facile.

L'enchanteur détaille les loubards, comprenant bien qu'il ne s'en sortira pas ainsi. La question le prends un peu au dépourvu, et durant un instant il est tenté d'essayer de s'en sortir au bagout. Sauf qu'il est ivre. Ils le sont. Et en dernier recours, c'est celui avec les plus gros muscles qui gagnent, et ils le savent bien. Finalement, il dépose sa chope en se redressant, essayant d'avoir l'air plus assuré qu'il ne l'est réellement au vu de la situation. Après tout, il pourrait finir au mieux avec des os cassés sans que personne ne pleure grand chose, au vu de sa situation de nouvel invité par forcément souhaité. Et bien sur, impossible de compter sur l'aide de la forgeronne qui a déjà gagnée son entrée. Et vu l'air amusé sur ses traits, elle semble adorer le moment et ce qu'il risque de lui arriver. Pour peu, il pourrait l'insulter... Mais l'alcool fait bien des choses. Dont parfois taire des paroles malheureuses.

-"J'ai pas grand chose à montrer je le crains. Je ne suis pas un grand adepte physique... Mais si vous y tenez."

Coopérer et voir si jamais une opportunité s'ouvre. Mieux vaut une petite humiliation que l'autre option. Retirant son manteau de fourrure puis ses vêtements épais, il révèle un corps relativement peu épais, légèrement athlétique au mieux. Même à l'intérieur, l'air frais s'attaque rapidement à sa peau et une légère chair de poule le prends rapidement. Pour la faire passer, il commence à s'agiter sur lui même, remuant les membres pour laisser sa chaleur alors que le trio commence à rire en se moquant.

-"Eh beh, regardez moi ça ! Aucun muscles et ça veut gagner son entrée parmis nous ! Eh bien les gars, je pense qu'il faut le mettre un peu à l'épreuve voir si il en a plus dans le ventre qu'il ne le laisse paraître, vous en dites quoi ?"

L'enchanteur aimerait bien protester mais on ne lui laisse pas vraiment le choix. Les assentiments fusent de partout, d'hommes tous au moins aussi ivre que l'enchanteur et sa comparse. Sans qu'on lui laisse le temps de parler, il se fait embarquer par deux des armoires à glace, attrapant chacun l'une de ses épaules pour le tirer à l'extérieur. A peine la porte ouverte, le vent glacial siffle à ses oreilles et fait frisonner sa peau. Bien sur, il tente de se débattre, mais entre l'ivresse et la différence de carrure... Le combat est perdu d'avance, et ça fait même ricaner un peu le troisième du lot, qui récupère un peu de son égo après s'être ainsi fait rebuffer par une femme.

-"Allez, tu vas me faire cinquante pompes dans la neige, si tu arrives à tenir sans finir frigorifié, peut être que finalement, tu en as un peu plus que tu veux bien le montrer."

Almassar cligne des yeux à l'idée incongrue. Si il n'a rien contre faire du sport, le faire en pleine nuit dans les montagnes, sous la neige et contre le vent c'est une autre histoire... Balancé dans la rue, il roule pour se rattraper rapidement, ayant encore un minimum de réflexes. Quand son regard se redresse, il voit que de nombreux hommes sont sortis avec ses tortionnaires pour profiter du spectacle, riant et commençant à prendre des paris à voix haute. Nul doute que les riverains passeront un bon moment, et risquent de s'en souvenir le lendemain. Puis son regard croise celui de la forgeronne avec qui il partage la soirée, grognant d'une voix mi amusée, mi alcoolisée et mi vexée.

-"Ah ça je te jure, tu me le payeras ce coup la ! Attirer un touriste qui connait pas la forteresse dans un traquenard, c'est du joli mademoiselle !"

Puis il commence les pompes. Sa peau est prise d'une chair de poule et de frissons réguliers, alors qu'il les enchaine rapidement. Son corps s'est heureusement endurci durant le voyage, et il les accompagne bien plus aisément qu'auparavant. Cela ne l'empêche clairement pas de claquer des dents, de frisonner de tout son corps et de peu à peu ne plus sentir le bout de ses doigts puis de ses mains ou de ses pieds. Mais il continue, enchainant dizaine après dizaine. L'effort et le taux d'alcoolémie dans son sang lui donnent une fausse sensation de chaleur, mais la sueur qui coule sur sa peau et refroidit à chaque souffle de la bise ne trompent personne. Il est de plus en plus tremblant, et une fois les cinquante terminées, comptées à voix haute par des parieurs improvisés en commentateurs sportifs amateurs, il se redresse rapidement, claquant des dents et les lèvres presque bleues. Il ne sent pour ainsi dire plus ses mains, et c'est avec une tape dans le dos que l'on le pousse de nouveau dans la cohue pour rentrer de nouveau à l'intérieur.

-"Bah tu vois quand tu veux gringalet ! Quelques mois comme ça et on fera de toi un homme !"

Le touriste ne répond même pas, profitant de rentrer à l'intérieur en claquant des dents pour rapidement se jeter sur ses vêtements qu'il enfile directement, suivi de la bière qui descends à un rythme fou, essayant de profiter de la fausse sensation de chaleur apportée par l'alcool, son regard cherchant la forgeronne pour lui siffler en claquant toujours des dents, frigorifié malgré ses vêtements retrouvés.

-"C'... C'est toujours comme ... Ça par ici ... ? Que je sache quoi préparer... Pour la prochaine fois..."

Et vu comme il tremble, c'est presque un succès qu'il ait réussi à prononcer cette phrase, commandant un vin chaud pour commencer à se réchauffer les mains contre à peine servi, soupirant un peu plus d'aise en essayant de reprendre le contrôle de son corps bien trop maltraité pour la soirée.

Il semblerait que le pauvre enchanteur ne va pas échapper à une démonstration bien virile de son statut d'homme. Je ne peux m'empêcher de soupirer légèrement aux différentes remarques des hommes nous ayant pris à partie. Évidemment, le pauvre bougre qui m'accompagne n'est pas du genre musclé. Ils ont bien choisi leurs victimes. Enfin, personnellement je préfère des personnes faisant travailler leur tête plutôt que leurs muscles. J'ai déjà bien assez de Rid dans la catégorie débile qui aime cogner. Pas besoin d'un autre. Mais il semblerait que les hommes nous entourant font aussi partie de cette catégorie. J'ai réussi à les impressionner pour le moment, et ils décident de se tourner vers le pauvre touriste qui n'a rien demandé.

Je soupire à nouveau quand je vois que les hommes décident de tirer le pauvre Almassar à l'extérieur alors que la nuit est bien tombée et qu'il neige à nouveau à petits flocons. Lui qui est déjà torse nu, pas habitué au climat et n'ayant que la peau sur les os. C'est certain, il va finir avec un bon rhume par cette froide soirée étoilée. Je les suis donc pour au moins m'assurer qu'ils ne vont pas risquer de blesser bêtement mon compagnon de soirée. Je dois avouer que j'apprécie sa compagnie qui a su égayer ma soirée, je n'apprécierais pas que l'on vienne à le blesser. D'ailleurs, ce dernier semble penser que je l'ai volontairement entrainé dans ce traquenard. Il se trompe, mais je n'ai pas l'occasion de me défendre que déjà l'enchanteur commence ses pompes pour se sortir de cette punition au plus vite.

Sous le regard enjoué et ivre des hommes de la taverne, mais aussi celui intrigué et légèrement amusé des riverains, le pauvre homme se met à faire des pompes dans la neige. Avec ce froid de canard, il est certain qui va attraper la mort. Les hommes ne peuvent s'empêcher de compter à voix haute les pompes et certains se mettent même à parier. Je me tourne vers l'un des parieurs qui viens de dire qu'il ne tiendra que pour trente pompes.

« Deux cristaux sombres qu'il va tenir les cinquante pompes. »

L'homme s'esclaffe et commence à se moquer de moi. Comment un gringalet comme lui pourrait tenir ainsi dans la neige à faire des pompes et à survivre au mordant du nord en pleine saison froide ? Personnellement, j'y crois. En croisant les bras, j'affiche un petit sourire fier, l'alcool faisant ressortir mon esprit de défi. Je compte alors mentalement les pompes en même temps que les hommes. Il est déjà arrivé à vingt, et il continue à un bon rythme. Le temps défile au rythme des nombres qui défilent et sous les regards tantôt surpris, tantôt impressionnés et même ceux légèrement dégoûtés alors qu'il dépasse la moitié du nombre total annoncé. L'homme à mes côtés fini par abandonner son pari en voyant que l'enchanteur arrive doucement à ses trente pompes.

« D'accord, mais jamais il ne va terminer les cinquante. C'est pas possible un touriste comme lui par ce froid. »

Mon sourire s'élargit. C'est que j'encouragerais presque mon camarade de beuverie juste pour contredire ces hommes.

« Et moi je dis qu'il va réussir. Prépare les cristaux. »

Les nombres continuent de défiler. Même s'il ralentit, il arrive à quarante. La dernière ligne droite. Je me mets à compter à voix haute, de plus en plus enthousiaste à mesure qu'il s'approche des cinquante. Quarante-cinq. Quarante-six. Quarante-sept. L'homme à côté de moi est de plus en plus impressionné. Au moins l'alcool le rend joyeux et pas violent pour un sou. Quarante-huit. Quarante-neuf. Pour la dernière pompe, c'est comme si tous les spectateurs étaient en haleine tout le long du mouvement de l'enchanteur.

Quand enfin le pauvre réussi sa dernière pompe, on se presse à lui et on se dépêche de lui faire regagner la chaleur de la taverne. Il est grelotant, les lèvres presque bleues, mais un fin filet de transpiration a su se faire sur sa peau, le frigorifiant encore plus avec le vent. Les hommes plus qu'alcoolisés et joyeux ne veulent plus le lâcher et finissent de l'encourager. Alors que l'on regagne l'intérieur, on m'interpelle et on vient me placer des cristaux dans la main.

« Tu as parié et tu as gagné. Je n'ai qu'une parole ! »

Je souffle un rire et récupère mon gain. Je connais un homme qui va être heureux que je puisse lui payer quelque chose de bien chaud. Je me faufile comme je peux entre les gaillards pour retrouver mon compagnon désormais rhabillé. Ce dernier est grelottant, mais il parvient à me siffler quelques mots qui me font froncer les sourcils.

« Désolée, les hommes du nord sont souvent comme ça. Ils sont pas méchants et pas vraiment du genre à arnaquer comme ça peut être le cas dans le sud... Ils ont même plutôt le cœur sur la main. Bourrus, mais généreux. Désolée que tu aies fini embarqué là-dedans. »

Je viens détacher ma cape et la poser sur les épaules de l'enchanteur. J'intercepte aussi un serveur alors que les hommes nous entourant se dispersent peu à peu pour retourner à leurs beuveries respectives. Maintenant que nous sommes acceptés ici, nous allons pouvoir être un peu plus tranquilles.

« Une boisson bien chaude pour mon compagnon, et si vous avez aussi une soupe ou un truc à manger qui peut le réchauffer rapidement... »

Je me tourne alors vers l'enchanteur en souriant alors que le serveur part rapidement chercher ma commande.

« On va te réchauffer rapidement, et après je paye ma tournée. Avec tes exploits, on va pouvoir se payer encore quelques verres ou ce que tu veux pour bien finir la soirée. T'en dis quoi ? Une façon de me faire pardonner. »

Je lui montre alors les quelques cristaux que j'ai récupérés avec mon pari. Avec une telle quantité, on peut se payer au moins cinq nuits en auberge ou une dizaine de repas. De quoi s'amuser un peu !

Le geste de la forgeronne d'ainsi glisser sa cape sur ses épaules est apprécié. Futile, vu l'état dans lequel il est, mais apprécié. Les doigts glacés, fripés à cause de la neige qui a fondue entre ses doigts  durant cet exercice physique intense pour l'enchanteur qui est clairement plus du genre à faire chauffer les neurones que les biceps, il s'accroche à la moindre bribe de chaleur qui vient à sa portée. Tout plutôt que chopper la mort, surtout en venant d'arriver. Almassar n'a nullement envie de passer une semaine au lit, surtout pour un défi stupide. Risquant de presque se bruler la gorge tant la boisson est chaude, il prends une première gorgée de son vin chaud, savourant cette piqure sur la langue et le palais qu'il regrettera plus tard, mais qui en cet instant est bienvenue en glissant dans sa gorge et réchauffant sa route jusqu’à son estomac. C'est bien peu comparé à la déperdition de chaleur qu'il vient de subir avec ses pompes, mais c'est un bon début. Ses dents claquent légèrement moins, les frissons qui parcourent sa peau s’adoucissent imperceptiblement. Mais malgré son état, il ne peut s'empêcher de rire aux propos de Sia, secouant la tête en reprenant sa respiration pour arriver à articuler de manière plus compréhensible.

-"Sacrée main sur le cœur, je saurais m'en souvenir... Mais oui, il est sur que cela change de la capitale. Surement le climat qui forge les êtres autrement que par ici. Après tout, on risque pas de mourir pour une nuit passée dehors en étant mal habillé. Un bon coup de froid, certes, mais rien de similaire à ce que l'on peut vivre ici il semblerait."

Les nouvelles boissons commandées arrivent finalement apportées par un serveur qui semble presque pressé, après avoir aperçu les exploits de ses clients à l'extérieur de l'établissement. Pile quand Almassar termine son premier verre. Le palais commence à désagréablement lui brûler, mais il avait bien besoin de ça. Son corps semble lentement retrouver une température corporelle plus humaine, et la sorte de grog des montagnes servi ne peut qu'aider à éloigner la maladie comme le froid. La vue des cristaux le fait sourire, roulant même légèrement des yeux alors que son amusement et son esprit habituel reprend peu à peu le pas sur les considérations physiques urgentes désormais éloignées, et désormais bien plus sobre, le vent lui ayant arraché une bonne partie de sa léthargie.

-"Comme quoi, il y aurait presque un marché à monter avec des arènes ou les touristes tentent de passer les épreuves offertes par des locaux. Un moyen de se distraire et de se faire de l'argent facile. Mais je suis pas sur que la Garde soit très heureuse d'un tel concept, donc on va tout de suite l'oublier. Mais c'est sur, on va pouvoir se réchauffer et profiter un peu de la nuit, même si elle avance à bon rythme."

Pivotant sur son siège, l'homme observe l'établissement, les gens revenus à leurs occupations. Finalement, tout cela ne semble avoir été qu'une petite distraction passagère, et maintenant que les deux sont acceptés, le monde reprend son sens habituel. Définitivement une taverne des plus étranges se dit Almassar, qui n'arrive pas à comprendre comment on peut en venir à tenter d'ainsi tenter de palper quelqu'un, en balancer un second dans le froid, pour cinq minutes plus tard les féliciter presque et les abandonner comme si il ne s'était jamais rien passé. Ce qui fait rebondir son esprit sur une question qui le taraude.

-"Mais dis moi, tu as appris à te défendre où ? Car clairement il n'était pas préparé à te voir te défendre avec une telle vigueur, et si je suis censé rester dans le coin, ça me ferait peut être pas de mal de m'entrainer un peu plus le corps pour arriver à tenir autre chose que simplement al marche, et savoir me défendre si on me cherche de nouveau des histoires."

Un peu de temps passe avant qu'il ne goute à son nouveau verre. Les mains enserrées contre la boisson, il absorbe autant de chaleur que possible, n'arrivant définitivement pas à comprendre comment la forgeronne peut se passer d'autant de couches de vêtements sans être handicapée en un tel milieu. A moins que ce soit un effet secondaire de la fleur qui augmente de manière spectaculaire les capacités de son organisme. Encore quelque chose à essayer, alors qu'il secoue la tête et change de nouveau de sujet pour reprendre la conversation comme si de rien n'était.

-"En tout cas c'est désormais sur, si je n'attrape pas la mort avec cette nuit, je vais rapidement chercher à explorer la Forteresse et ses alentours. Chercher ce pourquoi je suis venu ici, et avec un peu de chance faire quelques découvertes intéressantes. Quitte à rester quelques semaines, voir mois en cet endroit, autant rentabiliser le passage. Et avec un peu de chance ,arriver à financer le billet pour payer le pass de téléportation, et revenir plus facilement la prochaine fois. J'aimerais éviter de me taper deux semaines à l'aller et autant au retour à chaque fois..."

Il est sincère et pourtant, il semble divaguer légèrement, savourant enfin son grog en se faisant claquer le palais, la fatigue prenant doucement son prix sur cet organisme fatigué et que trop sollicité. Si l'enchanteur est encore loin de s'endormir debout, difficile de nier à la voix qu'il est légèrement moins vif que quelques minutes encore auparavant, et récupère difficilement de cet effort soudain. D'où sa demande sur l'entraineur de la forgeronne. Clairement, il n'a pas envie de rester longtemps dans un tel état de faiblesse, et même sans être un aventurier, Almassar considère que ça ne fait jamais de mal de savoir se défendre...

Je ne peux retenir un léger rire à la remarque de l'enchanteur. C'est vrai, on peut parfois être étonné du comportement des personnes ici, mais à force, on s'y fait. Personnellement, je me suis plutôt bien intégrée dans le nord du royaume et j'apprécie son cadre. Je me vois difficilement revenir à la Capitale ou partir plus au sud trop longtemps. Le nord risque de devenir mon pied à terre pour un bon moment. Les gens ici sont certes bourrus, mais ils ont le concept du partage et l'esprit de communauté. Même quand on a tendance à sortir du lot et du troupeau comme moi, on m'accueille toujours bien.

Je récupère mon verre de grog à mon tour, une boisson me réchauffant bien alors qu'Almassar se met à divaguer à propos d'arènes. Je souffle un rire dans mon verre. S'il savait le pauvre... Il y a bien des rumeurs d'arènes clandestines çà et là. Effectivement, l'idée ne plait pas forcément à la garde, mais cela n'empêche pas que quelques malfrats en ouvrent dans plusieurs villes. Aujourd'hui, si on cherche un peu on peut toujours en trouver une dans un coin du royaume. Il faut juste se faire accepter des locaux et savoir où chercher. Je préfère éviter d'aborder ce sujet avec l'enchanteur ou nous risquons de mal terminer cette première soirée.

En y réfléchissant, on vient de se rencontrer, mais il y a naturellement un bon contact entre cet homme et moi. Un peu comme avec Lyle, Emerald ou Adam, je ne me sens pas mal à l'aise à ses côtés. Je ne dirais pas que je me sens en sécurité comme cela m'arrive avec mon maître, mais j'apprécie sincèrement sa compagnie. Alors cela me fait plaisir de pouvoir ainsi le taquiner et partager ses verres. Et puis, il m'aide à chasser la morosité qui m'envahissait plus tôt et je ne vois pas le temps passer en sa compagnie.

« Où j'ai appris à me défendre ? »

Sa question me surprend sur le moment et me fait arquer les sourcils. Je m'enfonce un peu dans ma chaise alors qu'un petit courant d'air vient faire frissonner ma peau. Je prends une bonne gorgée de ma boisson chaude et commence à parler tout en réfléchissant.

« Je sais pas trop. On s'est toujours beaucoup bagarré plus jeunes. Que ça soit avec les gamins du quartier ou avec mon frère. Donc je pense que j'ai ça dans le sang... »

J'ai quelques souvenirs d'enfance qui remontent et que je chasse en continuant de parler.

« Après pour la technique de plus tôt... C'est une lieutenante du Village Perché qui me l'a enseigné. Une brave femme que j'admire beaucoup. Elle est amie avec mon stupide de frère, ils ont apparemment fait de la collocation quand ils étaient dans la même caserne ou un truc du genre. Alors quand ma sœur et moi on a voulu devenir aventurières, mon frère et Java nous ont donné des cours particuliers pour qu'on sache se défendre et survivre. »

Je souffle un petit rire en repensant au dernier "cours" de Java. Ses clones m'en font toujours voir de toutes les couleurs, mais je ne peux pas nier que j'ai beaucoup progressé grâce à elle. Il faudrait que je pense à aller la voir si j'ai une occasion de passer près du village perché. Ça fait un bout de temps que je ne l'ai pas vu, et j'ai l'impression d'avoir rouillée depuis que je vis avec Lyle.

« Elle devrait d'ailleurs beaucoup t'intéresser. Elle est... unique en son genre. Si jamais tu viens à passer par le Village Perché, tu devrais essayer de la rencontrer. Crois-moi, tu ne seras pas déçu de cette rencontre. Par contre, évites de l'inviter à manger si tu tiens à tes cristaux. »

Bon, au moins la dernière fois, c'est elle qui a sorti les cristaux pour me nourrir comme rarement j'ai pu manger, mais je connais son appétit aussi monstrueux que celui de ma sœur. Avec ces deux là, je suis sûre de toujours perdre aux concours où il faut manger.

« Mais si tu veux de l'entrainement, je peux sûrement te donner un peu de temps pour te donner quelques exercices pour t'aider avant de trouver un vrai prof. Mais une fois que l'alcool sera passé. D'ailleurs... Garçon ! »

Dès que le serveur arrive, je nous commande à chacun une spécialité alcoolisée de la taverne. Je ne sais pas du tout à quoi m'attendre, mais j'ai promis de payer ma tournée, et je vais le faire.

« Buvons et parlons simplement de ce qui nous traverse l'esprit. »

Je souffle un rire et lève le fond de mon grog pour trinquer avec l'enchanteur. Nous passons encore une bonne heure à enchainer les verres dans cette taverne, à essayer d'écouler les cristaux que j'ai gagnés tout en parlant de nombreux sujets qui peuvent nous traverser l'esprit. Nous sortons des idées d'objets magiques que nous oublions dans la seconde, des théories sur le Nord, nous parlons travail et avenir, nous commençons même à imaginer comment serait de potentielles commandes que nous ferions ensemble. Rien de bien sérieux et l'alcool mélangé à la fatigue nous fera sûrement tout oublier, mais nous passons un agréable moment jusqu'à finir presque chassé de la taverne en raison de l'heure très tardive. Une fois dehors, nous marchons en essayant de nous soutenir l'un l'autre, faisant des efforts pour que notre trajet soit le plus droit possible. Nos fous rire s'enchainant alors que l'on oublie même ce dont on parlait juste avant.

Je renifle un coup alors que l'air froid commence à faire couler mon nez. Je suis accrochée au bras d'Almassar et mon esprit divague alors que je suis censée nous ramener à notre auberge.

« Mon petit Alma, t'es vraiment un chic type... »

Un rot peu féminin remonte alors. Je le retiens autant que possible pour ne pas faire trop de bruit et surtout éviter de vomir tout ce que j'ai ingurgité.

« Tu vois, j'ai rencontré pas mal d'hommes quand même... j'ai même vécu avec des hommes et je vis avec un abruti qui pense qu'à forger. Mais des comme toi ! Non, jamais j'ai vu ça... T'es vraiment un type bien Alma. C'est quelqu'un comme toi qu'il me faut dans ma vie. »

Mes mots suivent à peine mes pensées et ces dernières ne sont visiblement plus logiques du tout. Je suis complètement imbibée et désinhibée.

« J'ai pas ris comme ça depuis longtemps. On devrait se refaire une soirée tant que tu es là. Tu en penses quoi ? Tiens. On est pas déjà passé par ici ? »

Vous ai-je déjà parlé de mon sens de l'orientation quand je suis bourrée ?

L'alcool recommence à couler à flots. A peine la fournée précédente entame sa digestion et sa lente descente en taux d'alcoolémie que la suite s'annonce. L'enchanteur souffle et soupire en sentant que le lendemain s'annonce compliqué -sans même parler de la fin de la nuit qui s'annonce fort chargée-, mais n'oublie pas de noter une chose. Le courant d'air qui fait frisonner la forgeronne. Ainsi, elle sent quand même le froid, même si il faut une sacrée dose pour arriver à l'affecter. l'alcool aidant à peu à peu le réchauffer, combiné à la chaleur de la taverne, Almassar décroche sa cape pour la remettre sur les épaules de la forgeronne qui semble désormais en avoir besoin. Enserrant ensuite le grog dans ses mains, l'homme observe sa comparse qui se plonge dans ses souvenirs. Qu'est-ce qui peut bien ainsi la retenir à cette simple question sur ses talents martiaux ?

La réponse est surprenant sans l'être. Une officière du Village Perché. Effectivement, Sia est une aventurière, bien sur qu'elle a surement eut l'occasion de voyager, et même beaucoup. Malgré son jeune âge et le fait qu'elle est déjà présente ici depuis plusieurs lunes de ses propres mots, elle a surement découvert bien des paysages, et la plupart si ce n'est toutes les grandes villes. Un haut fait que le chercheur souhaite bien rapidement égaler. Si lui même ne fait pas partie de cette caste qui fait rêver les enfants en quête d'histoires glorieuses et de futurs emplis du chant des bardes, il compte bien profiter de chaque occasion de se faire accompagner de ces voyageurs de l'extrême pour étendre ses propres savoirs.

Mentalement, Almassar tente de suivre le flux des paroles de la forgeronne, entre deux gorgées de son grog. Mais c'est peine perdue, et si les mots entrent dans son esprit et qu'il arrive à les comprendre, rien ne semble durablement s'incruster, du moins à première vue. Certains ressortiront bien une fois que l'ivresse aura quitté les berges de l'esprit de l'homme, certains directement, d'autres au travers les songes ou une étrange brume vaporeuse.

-"Lieutenant du Village Perché, donc une garde, du nom de Java... J'essaye de retenir, ça pourrait me servir quand j'irais la bas. Après tout, bien s'entendre avec la garde permet toujours d'assurer d'avoir moins d'ennuis ! Et une base de formation militaire ne peut me faire de mal, moi qui compte souvent voyager et bouger hors des villes et des villages. Tout ne sera surement pas sur, loin de la."

La remarque sur l'invitation à manger le fait rire. Il note mentalement ce fait, qu'il aura surement hélas oublié le lendemain. Une connaissance stratégique qui pourrait surement l'aider plus tard en cas de rencontre avec cet étrange énergumène de l'armée. Mais les nouveaux verres arrivent, et les conversations s'enchainent. Difficile de tenir le compte du temps qui passe ni de ce qui est échangé, amalgames de verres, de rires, d'idées farfelues pour ne pas dire folles. Ça discute travail, passion, avenir et passé. Tout ça et bien encore. Le monde est défait puis refait, telle la toile du temps qui perds pied dans cet échange alcoolisé. Les chopes se vident et se replissent en une succession qui n'a ni queue ni tête. Finalement, le froid de l'extérieur les enserre, quand ils sont presque jetés dehors après avoir consommés plus que de raison. Mais personne ne les a interrompus, qui n'aime pas voir des clients consommer après tout ? Et ils ont un esprit bon enfant, donc personne n'était dérangé par leurs conversations parfois un peu trop fortes...

La nuit par contre est noire et bien avancée. Si avancée qu'a ce stade, l'aube pointerait presque le bout de son nez, si ils n'étaient pas dans l'une des saisons les plus propices à l'astre nocturne de l'année. Zigzaguant entre les rues en ce qui se veut une trajectoire droite mais qui ressemble plus à la course d'un poulet décapité, l'enchanteur est autant appuyé à la forgeronne que cette dernière ne se maintient à lui. Un château de carte vivant, tremblant et respirant les volutes désinhibitrices par tous les pores de la peau. A la déclaration de Sia, un rire prend l'homme.

-"Toi aussi je t'aime bien Sia. T'es bourrue mais sympathique. J'ai vraiment passé une super soirée avec toi..."

Le rot lui arrache un autre rire. Il est bien trop ivre pour réellement se formaliser de ça, déjà qu'il n'en ferait pas grande cause au naturel... Il écoute la suite avec une déférence surprenante pour son état d'ébriété, arrivant à imprimer ce qu'elle lui raconte sans réellement l'imprimer. Lui, unique ? Il a du mal de l'imaginer, mais de l'autre coté il a tellement été plongé dans ses livres, ses études et sa passion... Un souffle amusé échappe de ses lèvres à la fin, alors qu'il lui répond.

-"C'est les livres, je crois que ça a fini par me faire rentrer quelques idées dans le crane. Dont celle d'essayer d'être a peu près correct avec les gens. A peu près. Et toi aussi tu sais tu as ton charme, à ta façon. Tu es brute mais avec une certaine douceur sous-jacente, c'est vraiment rafraichissant d'être avec toi. Ça change de ce que j'ai connu à la capitale..."

Il finit par tiquer à la dernière phrase de la demoiselle. Et ce que lui même à dit. Un léger rougissement vient le prendre, noyé par l'alcool et le fait que son inhibition est déjà partie en vacances avec le bon sens. Un hochement vigoureux répond à la suite.

-"Je suis la pour un moment ! Et même quand je repartirais pour m'occuper de certaines affaires, juste pour te voir, ça vaudra le coup de revenir à la Forteresse..."

Il cligne ensuite des yeux, regardant à droite puis à gauche, haussant les épaules au décor qui l'entoure.

-"Je vois des toits. Je vois de la neige. Pour moi tout est nouveau et tout ressemble à ce qu'on a déjà croisés. Je compte sur toi pour arriver à nous retrouver, sinon on va jamais s'en sortir..."

Bien sur ils continuent de déambuler dans les rues de la Forteresse, se perdant. Ils finissent même dans un cul de sac, faisant cligner des yeux à Almassar tandis qu'il recule, toujours appuyé et brinquebalant contre Sia, avant de repartir... En sens inverse, retournant au niveau de la dernière taverne dans laquelle ils viennent de finir de boire il y'a quelques mi... Ah non, il y'a déjà plus d'une heure en fait, si jamais ils arrivaient à suivre l'avancée de la lune dans le ciel. Ce que l'enchanteur n'est clairement pas en état de faire. Et hélas, la devanture est maintenant entièrement fermée pour offrir quelques heures de repos méritées aux riverains avant leur nouvelle journée.

-"Elle te dit pas quelque chose cette taverne ... ? On s'est pas un peu perdus la, tu crois ... ?"

Sans rire qu'ils sont perdus. A tel point qu'a ce stade, ils pourraient presque repasser devant leur auberge sans s'en rendre compte...

Nous sommes perdus. Et pas qu'un peu. Je plisse le regard pour observer la devanture de la taverne. Oui, elle me dit vaguement quelque chose, mais ici toutes les maisons se ressemblent. Je crois que je peux dire adieu à mon bon bain chaud en rentrant... Je soupire alors que je ressers ma cape en sentant un frisson me traverser. C'est que, il fait froid à force de se promener dans la neige. Je grogne en regardant la devanture fermée.

« On est perdu. »

J'essaye de tourner un peu sur moi-même sans avoir le tournis. Je renifle et prend le temps de regarder les chemins s'offrant à nous. La brume de l'alcool trouble mes pensées même si le froid commence à me réveiller. Je grogne en m’enfouissant le visage dans mon vêtement pour me tenir chaud. Je finis par pointer l’un des chemins que je semble reconnaître.

« Par là. »

Je traine plus ou moins mon compagnon alors que je commence à récupérer doucement de mon taux d’alcoolémie. Je me colle un peu plus à lui pour essayer de profiter de sa chaleur corporelle. Nous avons cessé de rire pour le moment, j’essaye déjà de nous diriger et cela prend toute la concentration qu’il me reste. La neige a cessé de tomber, mais elle a bien recouvert les rues dont seules quelques rares traces de passants et d’animaux sont venues entacher la perfection de ce petit manteau blanc.

« Raaaaaah ! J’en ai marre ! »

Je lâche alors mon compagnon et fais deux pas avant de me diriger vers un tas de neige pour me laisser tomber dedans. Cette envie de me jeter dans la neige comme dans un tas de feuilles mortes me démangeait depuis un petit moment et je viens de l’accomplir. Le froid vient rapidement piquer ma peau et l’humidité imprégner mes vêtements. Je me redresse en rigolant, secouant la tête pour enlever la neige dessus. Avec mes mains, j’en récupère et forme une boule que je lance en direction d’Almassar... et le loupe de près d’un bon mètre.

« Puisqu’on est perdu, on n'a qu’à attendre de croiser quelqu’un. Ou réveiller ceux qui dorment pour qu’ils nous dirigent. »

J’esquisse alors un sourire malicieux, ignorant le froid qui pique ma peau et commence à engourdir mes membres. Je forme une nouvelle boule et la lance sur mon compagnon, atteignant cette fois sa cible. Je ris à nouveau avant de m’avancer rapidement plus loin pour éviter les projectiles de l’enchanteur. J’arrive à un croisement presque intact de traces de pas et je me laisse tomber dans la neige et me met à bouger les bras et les jambes pour former un ange de neige. Mon comparse me rejoint alors et je me relève pour récupérer le bras de mon compagnon et me coller à lui pour me réchauffer. Au passage, je dois bien le rafraichir et l’humidité de mes vêtements s’imprégner aux siens.

« Je crois que je reconnais où on est. Par là ! »

Je le tire alors et nous marchons à nouveau en entamant une conversation n’ayant qu’un sens que nous seuls pouvons comprendre. Nous marchons et rions ensemble, continuant de discuter de tout et rien.

« Je veux pas retourner à la Capitale. Les gens là-bas sont pas agréables. Ici, c'est plus sympa. Le sud, c’est pas mon genre. J’ai pas testé le village perché, mais la forêt, c'est sympa. Dangereux, mais sympa. Faudrait qu’on se teste plusieurs tavernes, je pense. Et après on décidera laquelle est la meilleure. Moi, je dis, dans le nord, ils font de l’alcool bien fort qui te maintient éveillé. Regarde, on est fatigué, mais on est encore là. Tiens, c’est pas le jour qu’on voit là-bas ? »

Non, simplement une maisonnée qui vient de s’allumer, ses habitants sûrement réveillés pour une quelconque raison. Ou par le bruit que nous faisons. Je me détourne rapidement de ce sujet, pour reprendre la marche et complètement changer de sujet.

« Alors tu m’aimes bien ? Dis-moi, t’as connu quoi à la capitale alors ? J’en viens aussi, tu peux me dire, que je compatisse un peu avec toi. Avec moi, tes secrets seront bien gardés. »

Je les aurais surtout complètement oubliés. Je crois que je n’ai pas été aussi bourrée et aussi longtemps de toute ma vie. Même avec mon maître, je ne me suis pas mise une mine pareille. Je renifle à nouveau alors que le chemin est familier. Cette fois, je nous guide avec bien plus d’assurance et je suis sûre que notre taverne n’est plus très loin.