Oui, probablement. Mais toujours est-il qu'elle m'a bouffée toute mon énergie pendant une semaine, notamment à cause de cette blessure qui a failli me faire perdre mon bras... Si bien que je n'ai pas pu retourner voir ma fille dans la taverne où bosse Elion.
J'espère qu'elle n'a pas cru que je l'avais encore abandonnée. Alors, sous cette douche que je prends pour me débarrasser des derniers restent de ces quelques jours, je souffle. Malgré la fatigue, malgré mon envie de me reposer, je préfère tout de même aller les voir.
Parce qu'ils me manquent, tous les deux. Ils me manquent bien plus que je manque de sommeil.
Si tôt propre, je me rhabille en laissant mon armure au placard, ne prenant sur moi qu'une simple dague, au cas où... Ce n'est clairement pas mon arme de prédilection mais je ne suis pas en service alors ce sera juste en cas d'extrême urgence. Puis, ma longue chevelure tressée et encore humide, je sors de la caserne et disparait dans la pénombre du crépuscule qui envahie petit à petit la capitale pour me rendre auprès des deux seuls personnes pour qui je suis prête à tout, même à renier ce que je suis réellement.
Et mon empressement à les revoir est telle que j'y cours presque. Où du moins, je marche vite et j'ouvre la porte rapidement, les cherchant du regard.
Évidemment, Elion est là, fidèle à son poste de serveur. Et l'impatience que j'avais à les revoir disparait presque totalement lorsque je croise finalement son regard, noir. Ça fait quatre ans que ça dure, et même si je devrais être habituée maintenant, ça fait toujours aussi mal. Alors je baisse les yeux, ralentissant drastiquement mon allure avant de m'installer à ma table habituelle. Et ce n'est que là que j'ose lever les yeux, cherchant celle qui rend ma vie un peu moins triste, et me donne la force d'aller de l'avant.
Mais Kahlua n'est pas ici. Peut être est-elle encore à l'école ? Quelle heure est-il au juste ? Et quand bien même, peut être qu'elle a eu une réunion, ou un spectacle ou qu'est ce que j'en sais ! Si Elion est ici, je suppose que je n'ai pas à m'inquiéter plus que cela et simplement attendre qu'elle arrive.
Après tout, elle est tout pour lui non ? Alors jamais il ne serait là à travailler s'il avait des raisons de s'inquiéter.
Où était-elle ? Est-ce que son instructeur était gentil avec elle ? Avait-elle fait une crise ? S'était-elle perdue ? Mangeait-elle assez ? Avait-elle de bons vêtements ? S'amusait-elle ou au contraire, souffrait-elle de cette excursion ?
Et si... elle ne revenait pas ?
Tous les jours, je regardais le calendrier et étais heureux de voir le temps s'écouler.
En soi, dans les faits, son absence ne changeait pas grand chose à ma vie. Je pouvais même me permettre plus d'extra au niveau du travail, pouvant disparaitre plus facilement sans qu'elle ne comprenne que je sois avec d'autres. Je ne voulais pas lui parler de cet aspect de mon travail : elle était trop jeune et je ne voulais pas lui faire porter ce poids. C'était mon choix pour elle. Plus longtemps je la préservais, plus longtemps je mériterai l'amour ingénu qu'elle me portait. J-j'ai trop peur de la décevoir ou de lui faire peur et qu'elle.. qu'elle s'en aille pour de bon. Je n'en étais plus à un mensonge près pour elle.
Cependant les nuits passées seul étaient oppressantes. N'ayant pas son souffle régulier auprès de moi, je me sentais vide. Triste. Sans son amour. Sans pouvoir lui en donner. Et surtout, je ne trouvais pas le sommeil. Là, je ne réfléchissais plus pour "nous" mais... pour 'moi'. Ce que je n'avais pas fait depuis au moins dix ans. C'était terrifiant... Et je n'aimais pas me retrouver face à moi-même. Alors j'intensifiais mes rendez-vous, laissant une part à mon gérant. Plus je travaillais, moins je pensais. Moins je pensais, plus j'avais de cristaux. Plus j'avais de cristaux, plus je pouvais manger et investir en ce corps qui pouvait encore m'apporter plus. Plus j'avais un corps intéressant, plus je travaillais...
Je me passais de l'eau fraiche sur le visage, la fatigue tirant mes traits. D'un regard en biais, je vis mon reflet dans le miroir. L'image renvoyée me faisait pitié mais en plus de ça, je vis un élément qui m'agaçait au plus haut point : une trace dans mon cou. L'incompréhension me fit froncer les sourcils. Je pris de l'eau et me mis à frotter, imaginant que ce n'était que du rouge à lèvre... Or non, c'était un suçon. Je ne donne pas encore assez de moi qu'on doive me marquer comme un objet ?! La colère était là, dans mes mains qui serraient bien trop fort la céramique du lavabo. Impossible de le cacher. Je devais.. assumer. Naïvement, j'imaginais que certaines personnes étaient dupes et être ainsi tagué me faisait mal. Il était écrit sur ma peau que je.. je...
Pourquoi malgré le temps je n'arrivai toujours pas à assumer ?
Comment cela se fait-il que j'avais encore un peu de fierté ? Elle devrait avoir éclaté depuis bien longtemps...
Je retournais en salle, rechaussant mon rôle de serveur. Alors que l'après-midi se fanait au profit du début de soirée, la porte s'ouvrit une énième fois. C'est toujours plaisant de voir des clients entrer. J'avais ma phrase d'accroche pour souhaiter la bienvenue sur le bout de la langue mais dès que je compris que c'était elle, je la ravalais. Non, toi c'est pas plaisant de te voir. Elle le comprit très vite.
D'ailleurs je m'approchai d'elle assez rapidement et fis simplement :
" Elle n'est pas là, tu peux dégager."
Et cette remarque... Je n'y réponds même pas et ne bouge pas, gardant la mine triste, restant là sans bouger. Il veut que je parte, comme toujours non ? Je sais très bien qu'il n'est jamais heureux que je vienne voir notre fille alors je suppose qu'il veut simplement que je parte avant qu'elle n'arrive, pour qu'on ne puisse pas se voir...
Je me laisse alors tomber dans ma chaise, soufflant de lassitude et de fatigue avant d'enfin dire quelque chose.
- Je prendrai un grand verre de thé glacé s'il te plait. Et la soupe du jour.
A aucun moment, je n'ose lever mon regard vers lui. De toute façon, je sais très bien qu'il me hait au moins autant que je l'aime. Et ça, c'est uniquement à cause de ce que je lui ai dit il y a plus de dix ans maintenant, lorsque je lui ai confié notre enfant. Alors malgré tout ce que je ressens, malgré ma peine et ma souffrance, je ne me donne pas le droit de me plaindre.
Mon regard se relève à mi hauteur entre le sol et le sien, s'enfonçant plutôt dans les yeux noir de Haku, mon mist que je suis là seule à voir. Je ne me souviens même plus si j'avais déjà parlé de lui à Elion.
"Un jour, tu devrais vraiment lui expliquer les choses Luna."
Un jour oui. Si un jour les Lys me libère de leur contrainte, de cette épée de Damoclès qu'ils font planer au dessus de ma tête et que je suis certaine qu'ils ne pourront jamais l'atteindre lui ou Kahlua, oui, je lui raconterai tout avant j'implorerai son pardon. Et si à ce moment là, il choisit de me pardonner, alors je serai sans aucun doute la femme la plus heureuse du monde.
Mais sans ces certitudes, sans l'assurance que leur en parler ne les mettra pas tous les deux en danger, je ne peux pas un seul instant envisager de le faire.
Alors une nouvelle fois, je baisse les yeux au sol avant de venir les frotter de deux doigts pour tenter d'en chasser la fatigue qui me ronge. J'espère que Kahlua ne sera pas trop longue à arriver, sinon j'ai peur de m'effondrer sur place...
" - Un thé glacé et une soupe du jour.
- Tu ne le prépares pas toi-même ?
- Si c'est moi qui le fais et qu'elle se sent mal après, on va m'accuser de meurtre. Alors si tu v-...
- Elion...!"
Une dame avec un accoutrement semi luxueux était entrée dans l'établissement. Elle avait le double de mon âge... Et je la reconnus immédiatement. Il est vrai qu'il était l'heure... Je n'en avais pas envie... Je n'en avais pas la force...
"- Oh, madame, bienvenue. Fis-je avec mon faux entrain et un sourire tout aussi truqué. Je te laisse le service. Soupirais-je à ma collègue.
- C'est déjà la quatrième fois aujourd'hui ! En plus il y a plein de monde. Je ne vais pas réussir toute seule. "
Elle avait raison de râler. Et je ferai de même si j'étais dans sa position. Mais la main pressante de notre patron sur son épaule tua toutes nouvelles réflexions.
"Il nous fait plus gagner comme ça qu'en tant que serveur. Alors mis à part si toi aussi tu passes le pas, tu fais son boulot jusqu'à contre ordre."
Le regard qu'elle me lança était entre la rage et la pitié. Et c'était la seconde qui me fit baisser les yeux. Si seulement tu savais ce que j'éprouvais.. Mais je n'avais pas le choix. Encore et toujours la même rengaine. Une fois que j'aurais mis Kahlua en sécurité, j'arrêterai. Pitié, toi ne tombe pas là dedans. Tu ne mérites pas ça. Aies plus de respect pour toi même que j'en ai pour moi.
Alors que je montais les marches de l'escalier, j'entendis ma coéquipière servir l'Autre... Je lui avais demandé de lui dire que 'Lua n'était pas là aujourd'hui ni les prochains. Moins je la voyais, mieux je me portais...
Car sinon, pourquoi prenais-je tant de temps à refermer cette porte sur moi ? Pourquoi lui lançais-je ce dernier regard ? Est-ce que j'espérais croiser le sien ? Et qu'est-ce que j'espérais y voir ?
Résigné, la porte claqua.
- Et voilà ta soupe. Et ton thé.
- Ah. Merci.
Je crois que la serveuse qui bosse avec le père de ma fille ne m'aime pas elle non plus. Surement lui a-t-il raconté tout un tas de chose... De quoi me forger une véritable réputation au sein du personnel de cet établissement.
Et le temps que je relève mes yeux de ma soupe, la porte s'est refermée, avalant celui que j'aime et cette femme venue profiter de lui. Si je m'écoutais, je lui arracherai la tête à celle là. Elle et toutes les autres... Mais aussi à ce patron qui ose faire ce genre de pratique.
Mais ai-je réellement mon mot à dire ? Non. J'ai clairement perdu ce droit le jour où j'ai osé lui dire toutes ces choses horribles pour tuer l'amour qu'il me portait. Alors je ne peux qu'accepter et fermer ma gueule.
- Ah ! Et Elion me dit de te dire qu'elle est pas là, Kahlua. Si j'ai bien compris, elle est en voyage scolaire donc pas la peine de rester, ni de revenir avant un moment.
- Je vois... Merci.
La serveuse me laisse alors seule avec mon assiette et cette information... Maintenant qu'elle l'a dit, je me souviens qu'elle m'en avait parlé mais... C'était avant que je me blesse... Et avec la fièvre, j'avoue que j'avais complètement oublié.
Sans véritable appétit, je remue ma soupe sans y toucher, réfléchissant à ce que je devrai faire. Rentrer ? Sans doute que ce serait le mieux mais... Le devrais-je vraiment ? Même si tu me détestes Elion, même si tu désires que je parte, ta simple présence en ces lieux ne me donne qu'une envie : rester. J'ai beau savoir que tu me rejettes, que tu aimerais que je redisparaisse de ta vie... Je ne peux m'y résoudre.
Et je le peux encore moins alors que tu es là haut, entrain de faire je ne sais quelles choses avec cette femme qui ne t'aimera jamais comme moi je t'aime. Qui ne te traitera jamais comme j'aimerai pouvoir te traiter...
Ça me rend tellement... malade.
Et pourtant, il y a quatre ans, je t'ai dit que tu pouvais me demander de l'aide si ce n'était qu'une question de finance. Je t'ai dit que tu valais mieux que ça.
Tu vaux tellement plus. Tellement plus qu'être traiter ainsi, comme un simple objet. Je... Qu'est ce que je pourrais faire ?
Comment pourrais-je t'aider sans que tu ne me rejettes ?
Et tandis que je suis là et las, je vois ta collègue entrain de s'échigner dans tous les sens, tentant de palier à ton absence tant bien que mal. Mais elle est seule et toi tu es là haut, occupé à vendre ton corps pour des cristaux. Si ce n'est que ça, je pourrai très bien payer. Payer ton patron plutôt que toi et alors tu n'aurais pas le choix que d'accepter mes cristaux. Mais alors, tu me détesterais encore plus, non ? J'ai bien compris la dernière fois... J'ai bien compris que je n'avais pas à m'immiscer dans ton travail, que je n'avais pas le droit d'émettre le moindre jugement ou conseil.
Alors tout ce que je peux faire, c'est rester là. Rester là et attendre que tu reviennes. Pour te montrer que peu importe ce que tu décides de faire, ça ne me fait pas partir. Parce que je sais que ce n'est pas toi. Je sais que tu vaux mille fois mieux que ça.
Mais surtout... Parce que tu me manques Elion. Là, maintenant, alors que j'ai failli perdre bêtement mon bras et ma vie, j'ai juste envie de te voir toi et Kahlua. Et si notre fille n'est pas là, alors il ne me reste que toi.
"Tu te fais du mal Luna... On devrait rentrer."
Haku a raison, on devrait oui. Après tout, c'est ce qu'ils attendent tous : que je parte. Mais je vais rester. Parce que je suis fatiguée de me battre contre moi même. Juste pour cette fois, je vais accepter de me faire "plaisir" et...
- Patron !
- Oui ?
Je ne sais pas trop pourquoi, je me suis soudainement levée avec une idée précise en tête.
- J'aimerai aider au service.
- Hein ?
- Elion manque à l'appel et Sofia a du mal à tenir le coup toute seule. Laissez moi l'aider et donner ma paie à Elion.
- En voilà une demande culottée.
- Rendez vous à l'évidence, les clients attendent et commencent à être mécontent, je peux vous soulager de cette peine.
- Et pourquoi ferais-tu ça ? T'es pas garde toi ?
- Est-ce que ça a vraiment une quelconque importance à vos yeux ? Tant que le travail est fait, ça devrait vous convenir non ? En plus, je connais bien votre carte depuis le temps que je viens ici.
- Chef, il nous faut encore deux ragouts pour la sept et j'aurai besoin de six pressions pour la quatre.
- Très bien, tu n'as qu'à servir là où Sofia te le dira.
- Parfait, merci.
Je veux juste pouvoir t'aider Elion. Même si tu refuses mon aide, mes cristaux ou simplement de me parler... Mais... Si je te remplace et que ton patron te paye mieux grâce à cela, peut être que tu ne m'en voudras pas ?
Faut juste que je fasse attention à ne pas trop forcer sur mon bras qui n'est toujours pas complètement cicatrisé... En soit, rien de bien sorcier.
Je n'ai jamais été autant parfumé que depuis mon commencement dans ce métier. Elles cocottent !
La salle était presque comble et le service tournait à plein régime. Sofia devait être débordée. La pauvre. Je ne voulais vraiment pas lui faire passer une si mauvaise soirée. Satané rendement de merde...! Et ce patron tellement pingre qu'il préférait nous tuer au travail que de recruter une troisième personne. Je culpabilisais de cette organisation pourrie en voyant la souffrance de Sofia peinte sur ses traits. Fichue nuit de m...Hein ? Je vis un éclair rouge entrer, prendre des plats et ressortir aussitôt. Aurais-je rêvé ? Je passais une serviette sur mon visage mouillé quand mon hallucination revint : Q-quoi ?! J'enfilai un haut alors que j'étais encore trempé et glissais un œil sur la salle :
Mais, quoi ?!
Alors que j'allais m'interposer, le patron posa une lourde main sur mon épaule.
" - Tu viens en support.
- Virez la. Elle n'a rien à foutre là.
- Elle nous aide. Alors elle reste.
- Je n...!
- Où est ma part ? Tu veux que je l'augmente car pendant ce temps là, tu n'es pas en bas en train d'aider ta collègue ? Car là, je te paye pour que tu t'envoies en l'air. Ce type de soirée, tu me fais perdre du fric. Alors, encore un mot et je te ponctionne. "
Heureusement que Kahlua n'était pas là pour voir ni entendre ça.
Les poings serrés, je me mis au bar, à réaliser les plateaux pour que les filles les distribuent. J'étais furieux. Mais je la maintenais enfermée en pensant travail et en l'utilisant pour me donner l'énergie de rester debout. Car j'étais épuisé. Physiquement. Mentalement.
Quand nos regard se croisèrent (car c'était inévitable), je me verrouillais automatiquement. Pourquoi..? POURQUOI ?! Pourquoi tu trainais dans cet endroit miteux ?! Pourquoi t'être engagé auprès de ce fils de... fripouille ?! Qu'importe ce que je faisais, je me sentais bafoué. Qu'importe ce qu'elle faisait, je lisais toute la pitié que je lui inspirais. Et je ne me résignais pas à l'accepter. Tu n'as pas à me mettre plus bas que terre et après pleurer sur ma tombe... c'était du foutage de gueule !
Un moment, alors qu'elle allait chercher un plat en cuisine, je pris son bras et l'emmenais dans la réserve juste derrière nous :
" Tu ne comprends pas quoi dans 'tu peux dégager' ? Et qu'est-ce que tu fais ? Casse toi ! "
Ma force d'homme pourrait peut être rivaliser avec la sienne bien plus entrainée. De toute façon, mon but était simple : qu'elle parte. Que je la mette à la porte moi même n'était qu'une possibilité parmi tant d'autres.
Trop tard. Je le sens bien : ce simple geste de m'attraper et de me tirer avec lui dans la réserve, en plus de me faire franchement mal, vient de réveiller ma blessure.
- Merde.
Ce n'est pas contre lui que je dis ça, ni même en rapport avec que qu'il vient de dire et que je choisi clairement d'ignorer, quoi qu'une fois de plus, cela plante un nouveau poignard dans mon cœur mais c'est devenu tellement habituelle que je ne réagis même plus. Non, là, ce qui m'inquiète vraiment, c'est de savoir si oui ou non les points de sutures ont sautés.
Je pose le plateau vide que j'ai gardé en main sur une des étagères de la réserve et entreprends de déboutonner le haut de mon col pour pouvoir vérifier directement l'état de ma plaie sans faire attention au rouquin qui continue de me dévisager avec un air de tueur. Déboutonnant juste ce qu'il faut pour ne pas être indécent, je descends le tissu jusqu'à mon coude, laissant alors voir la plaie fraichement recousu et encore bien rougie de la récente infection qu'elle a subit.
Et le plus dur maintenant : vérifier. Rapport que la plaie se situe évidemment derrière, là où je ne peux pas la voir moi même. J'ai beau tenté de voir, il n'y a rien à faire. Heureusement, j'ai un allié de taille pour ce genre de chose : certes Haku ne voit que ce que je vois, à l'exception de moi même.
"Tu vas te faire pourrir par la médecin. Il a fait sauter un point et ça saigne à nouveau"
- Fait chier... Est-ce que tu aurais de quoi faire...
Je redresse alors ma tête et croise de nouveau le regard d'Elion qui semble complètement figé. La colère de me voir toujours là je présume ? Bon, laissons tomber.
- Elion, Lunarya, vous foutez quoi ?! Je vous paie pas à vous bécoter en secret !
Nous bécoter ?! Je rougis bêtement à cette simple idée. Mais je me reprends très vite, le devoir des responsabilité me rattrapant... Comme toujours.
- Tu devrais y retourner ou tu vas avoir des ennuis. Je vous rejoins tout de suite.
Je regarde rapidement autour de moi et attrape une serviette propre posé sur le tas et l'utilise pour compresser ma blessure et tenter d'essuyer rapidement le sang avant de remettre ma manche correctement en laissant le tissu en plus sur ma cicatrice. Puis je termine de reboutonner mon haut, m'arrêtant une seconde sur la vision du collier qui est soudainement devenue visible...
L'a-t-il vu ? L'a-t-il reconnu ? Je...
Cela a-t-il la moindre importance ? Alors sans lever les yeux, je termine de me rhabiller pour retourner en salle et reprendre le service.
Elle était blessée.
Et elle disparut aussitôt. C-c'était moi qui... lui avait fait mal ? Je regardais la main complice de cette atteinte : pas de sang, rien... C'est vrai qu'elle avait un métier bien plus dangereux que le mien. Je n'avais pas voulu lui faire du mal... Et pourtant ma colère m'a.. m'a...
"T'es qu'un idiot... Putain !"
Reprends toi ! Je soufflais longuement pour faire descendre la tension en moi. Cette soirée devait se finir. Très rapidement. Car j'allais bientôt perdre ma santé mentale. Je repris un bon bol d'air et sortis à mon tour de la réserve. Je disparus quelques secondes pour chercher du matériel. Je revins au bar et pris une bouteille d'un vieil alcool dégueu' mais bien fort avant de faire quelques plateaux pour les filles. Quand l'autre revint à mon niveau, je lui pris l'autre poignet de manière bien plus douce, forçant nos regards.
" Viens."
Je sentais le trouble qui s'instillait en elle. Est-ce que je ne faisais pas une grosse connerie ? J-je l'avais déjà fait avec d'autres... alors pourquoi pas elle ? J-je pouvais... Elle vint avec moi, nous retournâmes dans la réserve. J'avais tout ce qu'il me fallait...
" - Retire ton haut.
- Quoi ?!"
Aussitôt je compris ce qu'elle avait entendu et le rouge vint automatiquement à mes joues. Il était vrai que le raccourci était très simple et.. et... je baissais les yeux. Oui : je suis un gigolo mais.. pas que.
" - R-remontre moi ta blessure.. Fis-je pour me justifier
- Ah... ça... T'occupe, c'est pas important."
Elle se retourna et partit. Encore une fois... j'étais seul. Je regardais ce que j'avais amené et... je compris que je n'étais qu'un idiot... Encore. Je fermais les yeux puis me les frottais. Encore un échec cuisant. Je pris une grande rasade de cet alcool qui était effectivement vraiment dégueulasse. Cette brulure dans ma gorge me rappelait douloureusement que j'étais vivant. Vivant, malheureusement.
Je rangeais mon matériel que j'avais prévu pour elle. Une aiguille, un fil... des serviettes propres. Je pris l'alcool et me remis au bar, tel un pilier. Mécaniquement, je servais sans réfléchir. Je faisais les cocktails... les cafés. Je ne voyais plus rien, je ne réfléchissais plus. Et je refusais les avances des dames car je faisais semblant de ne pas comprendre.
La sensation de sa main sur mon poignet... Pourquoi ? Pourquoi je le ressens encore ?
- Mademoiselle !
- Hein ?
- J'ai demandé un verre d'eau s'il vous plait.
- Oui, pardon, je vais vous chercher ça tout de suite.
- Non mais franchement, quand on ne sait pas faire le service, on ne le fait juste pas... Ils embauchent vraiment n'importe qui ici.
Je m'éloigne de la table sans rien dire bien que la remarque de la cliente me fait réfléchir... Est-ce que ça vaut vraiment la peine de continuer ? Elion est revenu maintenant, et Sofia est là elle aussi... Alors il ne manque plus de personnel maintenant. Et puis, le plus gros des clients est passé alors...
- Tu peux me remplir un verre d'eau s'il te plait ?
Je le regarde à peine en lui demandant. Fixant plutôt ce poignet qu'il a prit tout à l'heure. Mais je n'arrive pas à comprendre : pourquoi ? Pourquoi d'un coup il a voulu s'occuper de moi ? Ça n'a... tellement pas de sens ! Il me déteste, il veut juste que je parte non ?
Le verre glisse jusqu'à moi mais je ne le vois même pas. Doucement, la fatigue, le doute, le stress et la peur me rattrape.
- Allez, dépêche toi !
- Oui, désolé...
Sofia vient de me rappeler à l'ordre. J'attrape alors le verre d'eau et me dirige vers la cliente vraiment mécontente de l'attente pour le lui tendre.
- Je suis vraiment désolé pour l'attente.
Oui. Mieux vaut arrêter là. Alors je me dirige vers la cuisine où bosse le patron.
- Il me semble que vous n'avez plus besoin de mon aide.
Il jette alors un œil à la salle, puis hoche la tête.
- N'oubliez pas notre accord. Mon salaire est pour lui.
- Je n'oublis pas non. Mais j'ai une question.
Enlevant mon tablier, je le regarde pour l'inviter à continuer.
- C'est pour elle que tu fais ça ? Ou pour lui ?
Je lui lance un regard noir.
- A votre avis.
Puis je le laisse sans demander mon reste. Et de retour dans la salle, je m'arrête soudainement. Que faire ? La logique voudrait que je rentre mais... Je regarde ma main, puis je le regarde lui tout en portant ma main à mon cou, à ce collier qu'il m'a offert il y a plus de dix ans.
- Madame ?
Hein ? Je me tourne vers la personne qui vient de me héler.
- Désolé de vous importunez mais... Vous saignez.
- Ah, oui, je sais. Merci de vous en inquiéter.
Ma main quitte alors mon collier pour aller rejoindre ma blessure et tenter de cacher la tâche de sang qui commence à traverser ma manche.
- Vous devriez vous en occuper rapidement, sinon la plaie risque de s'infecter.
- Je sais... je vois mon médecin demain. Ça ira, je vous assure.
- C'est vous qui voyez.
Putain de plaie. Maintenant qu'elle est visible, je suppose que je n'ai plus d'autres choix que de rentrer.
"Allez Luna... On pourra toujours revenir demain."
Mais demain, me détestera t-il à nouveau ? Là, ce soir, l'espace d'un instant, il m'a semblé que sa haine avait un peu disparu... L'ai-je rêvé ? Malgré moi, mes yeux s'imbibent de larmes alors que je le fixe une dernière fois. Et clairement, c'est le signal qui sonne mon envol, car je ne veux pas qu'il me voit comme ça.
Pas d'au revoir.
Pas d'à plus tard.
De toute façon, qu'est ce que ça changerait ? Il m'a bien vu partir non ? Alors il doit être soulagé : il a enfin ce qu'il veut.
Je ne dis pas ça pour que tu aies encore plus pitié de moi. Je ne dis pas ça pour que tu tentes de m'aider. Je n'attends rien de ta part. J'ai attendu et j'en ai souffert trop longtemps. A présent, je préférai t'effacer de ma vie, ne pas imaginer ce qu'elle aurait été avec toi. Avec d'autres choix. Avec d'autres circonstances. Je ne veux pas m'imaginer heureux. Je ne veux pas m'imaginer épanoui. Je ne cherche plus toutes ces choses superflues. Mon existence n'a qu'une utilité : faire grandir ma fille et lui assurer un avenir.
Ne pense pas que ce geste vers toi était un drapeau blanc. J'ai recousu des alcooliques et des vêtements à ne plus savoir les compter. Le médecin coute cher. Les vêtements encore plus. Je suis obligé de m'adapter. Je suis obligé de trouver des solutions. D'autres moyens de faire des cristaux. D'autres moyens de vivre.
Sofia voyait dans quel état j'étais mais se gardait de lancer une conversation. Elle savait qu'il n'y avait rien à faire et que je gardais tout pour moi. A quoi bon de toute façon ? En parler ? Offrir ses faiblesses à d'autres ? On ne fera que les exploiter pour faire pression sur moi. Après tout : je n'étais qu'un rouage.
Je rangeais le dernier verre du bar tandis que ma collègue nettoyait les tables et les redressait. Il fallait encore que je range la chambre à l'étage. Pourquoi avais-je des bouffées d'angoisse dès que j'entrais dans cette pièce ? En plus elle puait. Elle dégoulinait de sueurs, de parfums et de... Je mis de nouveaux draps, je vidais les poubelles, j'aérais en grand... Le jour se levait au loin. Il était donc si tard ?
L'air frais me fit du bien... Je m'accoudais au rebord de fenêtre et pris quelques minutes à contempler l'aurore. La ville dormait encore bien que quelques lèves tôt (voire des couches tard) étaient déjà en activité. La fourmilière se mettait en marche. Mon esprit dérivait... et sans m'en rendre compte, une larme coula le long de ma joue. Discrète. Révélatrice. Pour que mes émotions puissent sortir, c'était mon corps qui cédait. Mais si je laissais les choses se faire, j'avais peur de ne pas me relever. Alors, encore, je ravalais ma colère, ma tristesse, ma solitude, mon dégoût de moi et de ma vie, l'injustice de ces situations qui me prenaient à la gorge. Je ne devais pas réfléchir. Je ne devais pas 'comprendre' toutes les implications. Délibérément, je ne voyais pas plus loin que le bout de mon nez.
J'articulais ma vie autour de cette cécité. Refusant de voir la dureté de ma situation tout en la prenant en main. Ces moments à moi étaient si rare... et je les fuyais avec véhémence. A quoi pourrais-je penser ? Que pourrais-je faire ? Et si, je m'enfonçais encore ? D'ailleurs, je pensais déjà trop. Et d'un mouvement vif, je refermais les fenêtres sur moi.
" Elle a donné de son temps et son argent pour t'aider. Tu devrais la considérer plus." Fit mon boss qui était sur le pas de la chambre.
J'étais totalement déstabilisé de le savoir là, qu'il me voyait ainsi et surtout, quand je rattrapais cette bourse de cristaux qu'il m'avait lancé. Je lui lançais un regard interrogateur tandis que le sien glissait sur mon visage. D'un mouvement trop brusque, je séchais d'un revers de main la larme sur ma joue.
" Elle t'a donné son salaire de ce soir. Elle aurait pu te donner ces cristaux de cette manière... Il fit un signe vers le lit. Mais là, note bien que c'est la seule qui l'a fait sans se retrouver dans ces draps. ... ... Bien que je ne sache pas ce que vous avez fait dans la réserve. J'aimerai ne pas jeter des marchandises pour rien. T'es censé me rapporter de l'argent, pas m'en faire perdre. Compris ? "
J'hochai de la tête.
" J'te donne un congés pour aujourd'hui. J'ai plus aucune bière en stock. On ne pourra pas ouvrir."
Je relevais mon regard, effrayé.
" - J-je préfère travailler. Au moins faire fonctionner la chambre.
- Non. J'comprends pas avec ta gueule comment tu fais pour brancher des femmes. Tu vas te reposer avant de craquer et foutre le business en l'air."
J-je... ne veux pas être seul.
Puis j'ai dormi, une larme roulant sur ma joue juste avant que les rêves ne m'emportent.
Et le lendemain, tout se passa comme d'habitude. Évidemment, je me suis encore faite engueulée par la médic qui m'a recousue... Puis je suis aller gérer ma journée de travail, comme si de rien était. Après tout, quelque chose a t-il vraiment changé ? Non, clairement.
Tout est du pareil au même.
Mis à part cette main. Cette main qui a pris la mienne.
Puis le soir vient, achevant mon labeur. Et là, seule dans ma chambre de la caserne, j'attends. J'hésite. Que devrais-je faire ?
"Je suis pas certain qu'on devrait y retourner..."
- Moi non plus... Mais...
"Il te manque. Et il n'a pas été si désagréable que ça."
- Tu crois que... ?
"Je crois que c'est risqué. Mais je suis sûr que tous les risques seraient justifiés si par le plus grand des hasards tu arrivais à le voir sourire... Ou à sourire, toi."
- Alors...
"Oui, allons y."
Débarrassée de mon armure, j'attrape rapidement ma cape et repart en direction de la taverne où j'ai passé la soirée hier. Au fond, je meurs d'impatience d'y être, j'y courrai presque. Et pourtant, une part de moi est morte de peur. Et si... Et si ce qui s'était passé hier n'était finalement rien ? Et si une nouvelle fois il me jetait comme il l'a toujours fait depuis que je... que j'ai... Que je lui ai dit toutes ces choses horribles...
J'arrive alors devant la taverne. Malgré l'heure avancée de la soirée et bien que la porte soit ouverte, il n'y a personne à l'intérieur, et la cuisine à l'air éteinte... Fermé je suppose ? Mince...
Déçue, je porte alors ma main à mon collier, soupirant de ne pas pouvoir le voir. Et alors que je me tourne pour faire demi tour, l'apparition : il est là, portant des marchandises plus lourdes que lui d'un chariot non loin jusqu'à l'établissement. A l'expression de son visage, il a l'air de se surmener. Alors part réflexe, je m'avance vers lui et lui vole une des caisses qu'il avait empiler de manière trop précaire pour que ça ne tienne.
- Laisse moi t'aider !
A t-il seulement remarqué que c'était moi ? Je ne sais pas... J'espère que ce n'est pas juste pour ça que je n'ai pas encore eu de remarque désagréable...
Je la regardais, bouche bée. Il me fallut quelques secondes pour réagir et reprendre mon air refrogné.
" Pose ça, tu n'as pas à m'aider. Tu es blessée."
Je rentrais dans la taverne et pris une serviette pour essuyer la sueur qui perlait à mon front. Faire tous ces allers-retours me forgeaient. J'avais retiré ma veste habituelle pour n'avoir qu'un T-shirt bordeaux. Ma silhouette avait changé... La faim était doucement une ancienne amie, laissant place à mes efforts pour investir en 'moi'. Cela m'était possible que depuis que je faisais des extras. Je posais mes caisses sur le bar et je me retournai :
" - Qu'est-ce que tu f...
- Elion ! Je t'avais dit que... Le boss entra et posa son regard sur la Garde. .. tu n'avais rien à faire ici aujourd'hui. Arrête de bosser sans gagner de cristaux. Rentre chez toi !
- Comment ça "sans gagner de cristaux" ?! Elle se mit à dévisager mon patron.
- Ah heu c'est que.. Merde, dans quoi je me suis fourré !
- Je lui ai dit de rester chez lui et il est revenu.
- Et il vous aide. Il me semble que tout travail mérite salaire, non ?
- Son salaire du jour est du repos qu'il ne sait pas prendre. Il va me claquer entre les doigts un de ces jours. Si je le paye, il n'en prendra jamais.
- Hey ! J'fais ce que je veux encore non ? Je lançais un regard noir à mon patron qui ne se laissait pas démonter.
- Vous lui offrez du repos alors même que vous savez parfaitement que sa fille est absente. Franchement à sa place, je ferai pareil : donner le maximum de moi tant qu'elle est loin pour potentiellement avoir plus de liberté et de repos à son retour. N'avez vous donc pas de famille pour manquer à ce point de bon sens ?!"
Dans ma tête, il eut un ralentissement suite à cette tirade. Je dévisageais cette femme grandement étonné qu'elle... puisse lire aussi clairement en moi. Venait-elle.. de se mettre à ma place ? Me défendait-elle ? Ou bien avait-elle eu cette réflexion pour elle-même et...
" - Qu'on ne m'accuse pas qu'il clamse dans les prochains temps car il ne sait pas s'écouter. T'es là depuis quelle heure ?
- Fin de matinée...
- Tiens. Prends ça et casse toi. Sofia et moi on s'occupe du reste. Il eut un petit silence. Et puis, il n'a pas sa fille... Mais il a bien quelqu'un d'autre non ? Il posa un regard plus lourd sur la Garde. Là, il aurait tout son saoul pour penser à autre chose. Un homme ne se définit pas que par sa famille."
Je baissais les yeux... Je sentais une tension qui me faisait souffrir. Est-ce que c'était mon mental ou réellement mon corps qui me hurlait un repos ? Quoi répondre à cette assertion ? J'avais une idée mais... mon regard glissa sur la personne qui m'empêchait de la formuler. Je ne voulais pas qu'elle ait encore plus pitié de moi. Elle aussi semblait énervée : ses poings étaient serrés et son attitude était presque menaçante. Sa fonction n'apeurait pas mon patron qui avait l'habitude. Cependant, on sentait qu'il était bien plus respectueux avec elle que d'autres. Je soupirai. Puis je lâchai :
" - Je rentre. Si c'est ce que tout le monde préfère. Je me retournai face à... Et toi, j'ai une bourse à te rendre. Comme tu as dit, tout travail mérite salaire. Donc c'est à toi.
- Me rendre ? Non, non, hors de question. Si tu ne veux pas l'accepter pour toi, tu n'as qu'à acheter une nouvelle robe à Kahlua avec, ou n'importe quoi d'autre qui lui ferait plaisir.
- Alors je vais faire ça. Elle a besoin de nouveaux collants. Elle est tellement tête en l'air qu'elle les casse le jour même."
La patron avait disparu à partir du moment où il m'avait entendu parler du remboursement. Est-ce lui qui ne comprenait rien ou moi qui étais trop têtu ? La mère de Kahlua soufflait et se détendit. E-est-ce un sourire que je voyais timidement se dessiner sur ses lèvres ? Je me rendis compte que je la regardais depuis quelques secondes... et quand nous nous croisâmes, nous arrêtâmes immédiatement. Je sentais la gêne monter à mes joues et je repris où j'en étais : m'essuyant le cou et le visage de cette serviette crasseuse. Il faisait chaud non ? Je partis en direction de la cuisine pour me débarbouiller un peu...
Elion t'es con ! Pourquoi elle attendrait ?! Qu'est ce que tu fais là ?! Qu'est ce que tu espères ? Sincèrement, tu voudrais qu'elle t'accompagne pour les achats ? Mais tu es maso mon pauvre. Regarde toi, un gigolo avec une garde... Tu ne ferais que ternir son image. Et elle te l'a dit pourtant. Alors pourquoi.. pourquoi espères-tu encore ?!
De toute façon elle se sera plus là quand je reviendrais dans la salle principale.
Jusqu'à croisé le regard de Sofia qui souffle et roule des yeux en me voyant ainsi agitée. Oui, elle a raison... Qu'est ce que je suis entrain de faire au juste ? Je baisse les yeux, honteuse de moi, et décide de sortir de la salle.
Après tout, je ne travaille pas ici, je n'ai rien à y faire.
"Tu comptes repartir ?"
Je ne réagis pas à la remarque de Haku, gardant la tête basse. De toute façon, qu'est ce que ça changerai ? Et qu'est ce qu'il voudrait que je fasse d'autre ?
"Alors quand il te dit de partir tu restes, et quand il te dit rien, tu pars ? Tu crois pas que tu es un petit peu trop contradictoire quand tu t'y mets ?"
Je relève la tête, surprise. C'est vrai ça, il ne m'a pas chassée cette fois. Et mieux que ça, il ne s'est pas entêté pour me rendre les cristaux que je lui ai gagné, acceptant de les utiliser pour Kahlua sans faire d'histoire.
Soudainement, je porte ma main à mon cou. Mais pour une fois avec une toute autre signification que d'habitude. Cette fois, un espoir nait en moi. Et si... Et si... Et s'il ne me haïssait plus ? S'il m'avait finalement pardonné ? Je regarde Haku, faisant un sourire fragile, prêt à se briser. Est-ce que j'ai le droit d'espérer ?
"Restons encore un peu."
J'hôche la tête, me disant que si Haku est d'accord alors c'est bon non ? Et puis de toute façon, ce n'est pas comme si j'avais autre chose à faire...
Alors je m'installe contre le mur à côté de la porte, sentant mon cœur battre un peu plus vite tout en restant là. Je me sens si... bizarre. Je stresse ? Complètement. Et plus j'attends, plus je me dis que c'est stupide et que je ferai mieux de repartir... Et en même temps, plus j'attends et plus j'ai hâte de le voir arrivé.
Pourtant, je n'ai aucune idée de que je lui dirai quand il arrivera, ni même de comment je devrais réagir. Est-ce qu'il va me rejeter ? Est-ce qu'il va m'ignorer ?
Et quand est-ce qu'il arrive ? Qu'est ce qu'il fait à l'intérieur ? Je me mords la lèvre, triturant nerveusement le collier sous mes vêtements. Je... Je devrai sans doute partir. C'est si stupide...
En plus, au fond, je suis sûre qu'il va me jeter. C'est ce qu'il fait toujours. Ce qu'il a toujours fait...
De puis ce jour.
Bordel, qu'est ce que je fous au juste ?
" T-tu m'attendais ? Tu v.."
Les mots moururent dans ma gorge. C'était difficile à dire à voix haute. Et encore plus à assumer. P-pourquoi m'attendait-elle, surtout après ce qu'elle pensait de moi ? Pourquoi m'avoir protégé plus tôt..? Et si c'était pour me frapper encore plus violemment..? Doucement mon regard se durcissait et la crainte me crispa.
" - Q-qu'est-ce que tu veux ..? Fis-je sur un ton neutre voire triste. Kahlua n'est pas là, tu le sais. Alors pourquoi être revenue..? Qu'attends-tu de moi ?
- Rien ! Je n'attends rien... Je voulais juste... Je... ne... Je... euh..."
Je voyais son regard fuyant, fixant le sol plutôt que le mien glacé. Ses doigts trituraient un pan de son haut. Elle gigotait doucement... Aussitôt, je fus refroidi et remis mon armure émotionnelle. Je sentais un danger imminent. Il n'était pas question que j'entre dans son jeu, pas une seconde fois. Là où, plus jeune, je l'aurais pris dans mes bras pour la rassurer et lui susurrer des blagues pour la faire rire, j'observais froidement son malaise sans chercher à le dissoudre. Cruel ? Non. J'ai compris que ce monde n'avait rien de collaboratif. Nous avons à faire seul nos propres combats. Alors j'attendais... m'adossant contre sur table, les bras croisées. Et ce silence gênant s'étira jusqu'à un long soupire.
" Je ne savais juste pas quoi faire. Alors je suis venue. Par habitude. C'est tout. Désolé de t'avoir embêter. Ce.. Ce n'ait jamais été ce que je voulais."
Demi-tour et la voilà en train de fuir. Tu te fous de moi ?! C'est quoi cette réponse ? Après tout ce temps, tu oses me dire ça alors qu'on sait pertinemment tous les deux que c'est un mensonge ?! Enfin, j'osais espérer que c'était un éhonté mensonge. La colère me prit les tripes me faisant faire quelque chose que je n'avais pas fait depuis des années.
" - Lunarya ! " Ce mot était banni de mon vocabulaire. La dernière fois qu'il avait passé mes lèvres, Kahlua venait sans doute de naître. Je la rattrapais en courant. Je lui pris l'épaule, comme à une certaine époque, la forçant à me faire face. " Tu n'es pas logique ! Qu'est ce que tu veux ? Qu'est-ce que tu veux vraiment ?! Pourquoi m'as-tu protégé face à mon patron ? C'était encore un moyen pour me rabaisser ?! Qui es-tu bon sang ?! Qu'est ce que tu veux de moi ?!
- Te rabaisser ?! Non ! Jamais je n'ai..."
Je la sentais déstabilisée... il lui fallut quelques secondes pour accuser le coup. Elle ferma les yeux, serra les poings et sous ma main ferme, je sentais qu'elle tremblait. J'étais perdu... Ne craque pas Elion..!
" Sois heureux. Toi et Kahlua. Je veux juste que vous soyez heureux et en santé, c'est tout. C'est tout ce que j'ai toujours voulu. Si ça peut te consoler, moi je ne le suis pas, heureuse. Et je doute de pouvoir l'être à nouveau un jour. Mais toi, Elion : toi tu es libre et tu vaux tellement mieux que ça ! Alors oui, ça m'inquiète. Ça m'inquiète de voir que ce salaud te traite comme il le fait, ça m'inquiète de savoir que tu ne manges pas toujours à ta faim ! Et ça me tue de voir..."
Sa main remonta au niveau de sa poitrine, serrant métaphoriquement la rage que lui provoquait la fin de sa phrase. Que voulait-elle me dire ? Qu'est ce qui la rendait si furieuse ? Puis je vis tout se défaire : ses yeux se voilèrent et sa main retomba. Sa voix changea pour quelque chose d'inanimé...
" Désolée... je... J'ai sans doute encore de la fièvre... Je. Je ne sais plus ce que je fais. Ou dis."
..
" 'Heu...reux ?' "
Un fou rire nerveux me prit. D'abord un petit rictus qui se transforma très rapidement en quelque chose qui me mit des larmes dans les yeux. Depuis combien de temps cela n'était pas arrivé ?
" - Heureux ? Sérieusement ? Moi ? Heureux ? Puis ma voix se fit dure, sombre. Avec quoi ? Comment ? Par quel moyen ? Et ce "salaud" est l'unique personne qui m'aide dans ce bas monde. Je n'aie pas à être heureux. J'ai à faire que l'avenir de Kahlua soit sans nuage. Lui promettre un avenir. Un vrai. Ou elle sera heureuse !
- Qui t'aide ?! Ce type t'exploite ! Il t'exploite depuis que tu as quinze ans Elion, ouvre les yeux ! Et Kahlua ? Tu crois qu'elle dirait quoi en t'entendant dire ça ?! Tu crois qu'elle le vivrait comment s'il t'arrivait malheur ? Si tu tombais malade ? Tu penses qu'elle pourrait être heureuse après ça ? Réfléchis un peu Elion, tu es tout son monde ! Le seul qui puisse la rendre vraiment heureuse ! Alors essaye de penser un peu a toi, et si tu n'y arrives pas, dis toi que c'est pour son bonheur à elle. Et si ce n'est qu'un problème de cristaux, alors accepte les miens. A la caserne, je suis nourrie et logée alors j'en ai pas besoin, autant qu'ils servent à quelqu'un."
Je fis un bruit sec avec ma bouche, montrant mon désaccord.
" Kahlua ne m'aime que parce qu'elle ne sait pas tout. Ni ce que je suis. Et un jour, comme tous, elle préférera s'envoler. Et elle aura bien raison. Ce jour là, ce monde sera libéré d'un poids. Comme... tu me l'as si bien fait comprendre il y a 10 ans. "
Assez... Juste, ça suffit. Pourquoi avais-je osé espérer ? Personne ne veut me comprendre. Personne ne voit ce que je vois. Alors je vais continuer à n'être qu'un fantôme. C'est le rôle qu'est le mien. Je passais à sa hauteur pour partir, le visage fermé. Cependant, elle agrippa mon bras au passage, forçant le contact physique et visuel, le serrant presque à me faire mal. Je la voyais tendue, crispée... tremblante.
" Peu importe ce que mes parents ont fait, je les aime et je les aimerai toujours. Et chaque jour de ma vie, je regrette le jour où ils ont disparu de ce monde. Tu n'imagines même pas à quel point. Alors je t'interdis Elion... Je t'interdis de faire subir ça à notre fille, tu m'entends ?! Si je te l'ai confié, c'est parce qu'il m'était impossible de la protéger du monde dans lequel je dois vivre. Et s'il y en a une qui ne mérite ni son amour, ni le tien, c'est moi ! Alors cesse de t'apitoyer sur ton sort et agis pour te sortir de là et devenir celui qui la rendra fière !"
D'un mouvement commun, nous nous détachâmes sans douceur. Et elle partit d'un pas décidé.
Moi, mes parents, je les déteste. Ils sont encore en vie, je pourrais aller les voir. Je pourrais renouer des liens avec eux. Leur montrer leur petite fille. Mais ils m'ont trop déçu pour que je veuille leur faire confiance. S'ils étaient morts, ça ne me ferait pas grand chose. Et Kahlua fera la même chose avec moi. Car je la décevrais. Car je ne suis pas ce qu'elle attend réellement de moi. Car je ne suis pas un père suffisant. Et à la lumière de comment on me traite, ça ne fera qu'un objet de moins en ce monde.
" T'as rien à m'imposer connasse. S'il y a une chose que j'ai encore pour moi, c'est le choix de vivre ou de mourir. Pour toi aussi, je ne suis qu'un objet. "
Je soupirai. Je mis ma veste, la mort dans l'âme.
" - Elion..?
- Lâche moi."
Garde ta pitié Sofia. Je n'en vaux pas la peine.
Trop tard. Il ne me reste qu'une centaine de mètres l'atteindre mais je flanche, ralentissant drastiquement le pas.
Elion... Pourquoi ? Pourquoi a-t-il fallu que tu finisses comme ça ? Tu ne t'en rends pas compte mais j'ai tout sacrifié pour vous. Si tu savais... Si tu savais comme ça m'a fait mal de te dire toute ces choses, si tu savais comme j'ai pleuré à devoir vivre loin de vous deux, comme j'ai du lutté pour simplement pouvoir faire naitre notre fille ! Si tu savais tout ça, est ce que tu penserais toujours être un moins que rien ? Est ce que tu aurais toujours envie de quitter ce monde à la première occasion ?
Mes larmes coulent, inarrêtable alors même que je suis toujours dans la rue, non loin de la où mes frères d'armes logent. Tentant vainement de les essuyer, je finis par tourner dans une autre ruelle, m'éloignant de chez moi pour aller me cacher quelque part, là où personne ne verra toutes mes larmes.
Je me sens tellement coupable Elion, et je suis tellement désolée de ce que j'ai pu te dire il y a plus de dix ans. Tout ça, c'était juste pour que tu me détestes, pas pour que tu te détestes toi ! Je ne savais pas... Je ne pensais pas un instant que tu manquais tant de confiance en toi, sinon j'aurai peut être choisi d'autres mots ? D'autres excuses ?
Ce devait être moi la méchante, pas toi. Toi, tu as toujours fait de ton mieux. Et tu as brillamment élevé notre fille ! Alors comment peux-tu croire un seul instant qu'elle ne t'aimera plus un jour ? Comment peux-tu douter à ce point de son amour, du fait que tu mérites d'être aimé ?
Elion... Si tu savais comme je t'aime, comme je t'ai toujours aimé... Peu importe ce que tu fais, ou as fait, est ce que tu serais prompt à me croire quand je t'affirme que Kahlua t'aimera toujours ? Et que ferais-tu alors ? Si je te disais que ce jour où j'ai été si infâme, ces mots sorties de ma bouche n'étaient que mensonge pour t'éloigner de moi, parce qu'ils m'avaient dit qu'ils te tueraient elle et toi, est ce qu'alors tu reprendrais confiance en toi ?
Si tu as besoin de ça... Si il te faut ça pour retrouver le goût de vivre alors je le ferai. Je te jure que je te dirais tout. Mais alors, je me confronterai face à la dure réalité de ta réponse quand à mes sentiments... Je saurais si finalement si ton amour pour moi a lui aussi survécu malgré ta haine... ou s'il s'est envolé.
Et si tu m'aimes encore, nous serons deux condamnés à nous regarder de loin sans jamais pouvoir s'atteindre. Serait-ce alors une situation plus enviable qu'aujourd'hui ?
Je suppose que tout serait mieux que de te voir dépérir...
Cela dit, j'ai encore un peu de temps pour décider quoi faire non ? Kahlua est encore bien trop jeune pour que tu l'abandonnes, hein ? Alors j'ai encore un peu de temps...
Peut être... Peut être que si j'arrive à donner à ma famille ce qu'ils veulent alors ils m'autoriseront à vous revoir ? Je... Je ne peux qu'espérer sans réellement y croire.
Adossée à un mur d'une maison, je me laisse glissée au sol, me recroquevillant là et pleurant tout mon sous.
Pitié Elion... Pitié... Ne m'abandonne pas dans cette triste vie. Si tu quittes ce monde, où trouverais-je la force de continuer à le fouler ?
Je n'y arriverai pas sans toi. Alors ne meurs pas. Ne fais pas ça.
Par pitié, ne nous abandonne pas comme je l'ai fais.