-J’ai gagné ! A moi ta bille !
Résigné, j’échange un regard avec Norbert qui acquiesce, l’air sombre. Ce n’est pas la mienne de bille, c’est celle de Norbert, mais il m’a demandé de jouer à sa place parce que je suis meilleur que lui, d’un cheveu. C’est surtout qu’il était stressé. J’ai fait quelques erreurs, mais en face de moi, l’adversaire est d’un autre niveau. Il empoche la bille, la serrant dans son poing avant de la mettre avec les autres en nous lançant un regard méprisant.
-Si vous voulez me défier à nouveau, les minables, ça sera avec plaisir ! Je dis jamais non à gagner une bille !
Faut dire le circuit de bille de l’arrière-cour de la boutique abandonnée de maroquinerie des docks ouest est un circuit difficile, sur le territoire de la bande de notre adversaires, les carreleurs. Il maitrise la moindre irrégularité du circuit, formant un huit au milieu du gravier avec un saut dangereux à maitriser à mi-parcours. On manque clairement d’expérience. J’ai tout donné, mais je n’ai pas pu. Les vainqueurs s’éloignent en rigolant, me laissant seul avec mon camarade.
-Allez, c’est pas grave, Norbert. On demandera à Nick de te la récupérer.
-Mais je veux pas que Nick la récupère ! On va dire que je suis un nul. Surtout Leslie… Je voulais lui récupérer sa bille aux reflets verts…
-Ah. Je vois. On y réfléchira plus tard…Faut qu’on retrouve les autres.
-Ouai.
On met les voiles, courant à perdre haleine dans les rues de la capitale.
Surpris ?
Il y a de quoi.
J’ai quinze ans à cette époque.
Pour me remettre dans le contexte, c’est la période de ma vie où je savais pas trop ce que j’allais faire de ma vie. Alors, je menais une petite vie de bandes avec d’autres enfants du quartier. On avait plus l’école et on n’était pas encore prêt à la vie d’adulte. Alors, on s’occupait de pleins d’activités comme jouer aux billes, par exemple, ou se bagarrer avec d’autres bandes pour gagner du territoire. Parler avec les copains. Chaparder des trucs. Et évidemment, la plus grande des questions, savoir pourquoi on se sentait tout bizarre quand une des filles de la bande nous souriaient. C’était le bon vieux temps. De tout temps, il y a eu des bandes. Pas des trucs criminels, hein, mais plus une sorte de vaste jeu d’enfants avec des règles tacites entre toutes les bandes. Avec des histoires de territoire pour lequel on se battait, mais pas trop méchamment, hein. Si on sortait avec une bosse, c’était qu’on était un grand blessé. Pour certains endroits iconiques de la capitale, à nos yeux, il y avait un objet à récupérer et le groupe qui récupérer cette objet gagner la propriété de la zone. Jusqu’à la prochaine attaque réussit. Puis il y avait les circuits de billes. Avec leurs champions. Certains organisaient des tournois. On dénombrait plus de deux circuits officiels, même si « officiel » n’a rien de ressemblant avec l’officiel des adultes. Ainsi, on vivait la vie des rues pleinement, avec ces codes, ces histoires, ces traditions et un certain code de l’honneur. Sans faire de vague, car l’intervention soudaine des parents dans notre petit monde était souvent source de grandes colères : des camarades à qui l’on refuse de revoir les copains, des séparations, des saccages mêmes. Nos jeux d’enfants ne sont pas aux gouts des parents, même s’ils ont été jeunes un jour. Et puis, on aime bien croire que tout cela est secret, ça donne un petit gout plaisant qui nous fait vibrer encore plus.
Notre quartier général à nous, il se trouvait dans un grand fourré d’un petit parc de notre quartier. On avait taillé l’intérieur pour faire des galeries afin d’être à l’abri des regards. Puis on s’est rendu compte qu’on avait tellement coupé dedans que la plante est morte, perdant ces feuilles. On a bien été emmerdé. Heureusement, on a pu faire la jonction avec une cave voisine l’on s’est installé après constatation qu’elle n’était plus utilisé. Dorénavant, on entre toujours par l’arbuste, donc les pics sont toujours menaçants. C’est ce qu’on fait avec Norbert où l’on arrive parmi les derniers. On est une douzaine dans la bande. Tous des enfants du quartier. On dit enfant, parce qu’on se voit toujours comme il y a cinq ans. On grandit, mais on ne voudrait pas que les choses changent, même si certaines choses sont trop visibles pour être ignoré.
Assis sur sa belle chaise de chef, Nick nous toise, se caressant le menton d’un doigt. Nick a tout du chef. Il est fort. Il sait donner des ordres. Et il sait tenir tête aux adultes, aux autres chefs et aux filles. Il est vraiment impressionnant. A côté de lui, c’est Timmy. Rapide et malin, c’est son second. Dans la hiérarchie, je suis le troisième, même si je n’ai pas vraiment de rôle. Tout le monde m’aime bien. Alors, tout le monde me parle facilement, même si parfois, ce n’est pas vrai en retour. J’écoute les gens et je remonte les problèmes quand il y a besoin. Je participe beaucoup à la cohésion du groupe. On prend place avec les autres gamins et on fait silence. Nick nous fixe chacun notre tour avant de sourire avant de se tourner vers Timmy.
-Dis-nous ce que t’as vu.
-J’ai vu la bande de la Royale se battre pour la colline d’Or ce matin. Ils ont été vaincus par les cavaliers de l’apoplexie.
-Les cavaliers ? Mais on les a battu y a… cinq, six, sept… longtemps !
-Ouai Norbert. Ça veut donc dire qu’on peut les battre. Et la colline d’Or sera à nous !
Nick donne une claque viril sur l’épaule de son second.
-Avec les informations de Timmy, on peut frapper un gros coup. Et va frapper tout de suite avant qu’ils se soient reposés ! Tous avec moi !
-Ouai !
Avant que vous posiez la question, la colline d’Or est à peine une butte sur lequel on aurait bien du mal à tous s’assoir. On la dit d’Or parce qu’il y a des fleurs aux reflets dorés autour qui arrivent à survivre à nos bagarres. C’est un point stratégique important par chez nous, car il y a une boulangerie à côté et l’artisan offre quelques invendus de temps en temps aux garnements qui squattent justement l’endroit. L’endroit a été sous la protection de la Royale un long moment. C’est une bande composé principalement de jeunes de l’académie qui se prenne pour des futurs gardes royaux. Du fait de leur entrainement, ils sont forts, mais chez nous, on compense la force par la sournoiserie. Ça paie bien. Un peu comme les cavaliers de l’apoplexie qui doivent leur nom à une erreur de lecture. C’est beaucoup de gamins de dockers, capable de fabriquer des plans aussi sommaires qu’efficace. A ne pas sous-estimer.
Et nous, dans tout ça ? On se fait appeler les Fenrirs. Classe, non ?
▬ Allez, t'y es presque !
▬ Vas-y Jaja ! Donne tout ce que t'as !
C'est une Java de treize ans qui est en train de suer toutes les gouttes de son corps, épuisée par un exercice qu'une Java adulte serait capable de boucler avant le petit-déjeuner. Mais elle s'accroche ! Cent pompes pour que Firmin ne les balance pas à l'instructeur, c'est pas grand chose. Et puis, c'est important de savoir se donner à fond pour ses camarades. C'est comme ça qu'elle deviendra une bonne garde !
Alors qu'elle arrive à cent, elle s'écroule sur les pavés, froids contre son petit corps déjà musclé et brûlant suite à l'effort. Ses cheveux récemment rasés recommencent à peine à pousser, et elle passerait presque pour un vrai petit garçon si elle n'avait pas la voix aussi fluette. Elle entend Firmin ricaner et cracher par terre alors qu'il se retourne. Sa remarque la fait aussitôt se relever.
▬ D'toute façon, vous rentrerez jamais dans la Royale, bande de ploucs !
▬ C'pas toi qui nous dit c'qu'on fera ou c'qu'on f'ra pas, tête de gloot !
Il ne répond pas et continue de rigoler. Java est furieuse. Dire qu'en arrivant, elle pensait vraiment qu'elle serait amie avec tous ses camarades ! Elle grogne en suivant ses amis pour rejoindre le jardin des parents de Marjorie. Marjorie, c'est une fille plus vieille qu'eux, qui veut devenir soigneuse et qui leur remet les bras et les jambes dans le bon sens quand ils font n'importe quoi. Ses parents font de la bonne soupe et ils ont un grand jardin.
Le petit groupe rejoint la bande principale, alors que leur « capitaine », Mwangi, donne les ordres. Java l'interrompt pour faire un compte-rendu sur la situation avec la Royale. Même si elle est nouvelle dans le coin, elle s'est déjà fait une place en distribuant des gnons à gauche et à droite, et toute la bande connaît déjà son nom.
▬ L'opération tarte aux myrtilles a tourné au vinaigre. Firmin nous a vu jeter l'assiette et il a menacé d'nous poucave à l'instructeur sauf si on faisait cent pompes à nous tous. On a géré et il a dégagé.
▬ C'est Jaja qui les a faites !
▬ Tu m'connais, j'ferais tout pour les Mâchicoulis. Rapport terminé, cap'taine.
Mwangi lui adresse un hochement de tête, et elle hoche la tête en retour. C'était un peu rassurant, d'avoir trouvé un groupe d'amis dans la capitale. Et elle les aimait vraiment bien, alors elle ne voulait pas les décevoir. Les Mâchicoulis étaient composés à moitié de déserteurs de la Royale, rebutés par leur élitisme, et à moitié de gamins plein de rêves et d'espoirs comme notre jeune Java.
Le reste de la réunion est mouvementé. Mwangi veut envoyer des éclaireurs sur la colline d'Or, mais Eadwulf trouve qu'il faudrait s'imposer maintenant avant de se faire évincer par une autre bande. Sibylla veut saboter le lit du chef de la Royale dans son sommeil, et Toufik veut manger du poisson grillé.
Après un débat animé et avoir trouvé un en-cas satisfaisant pour Toufik et Java (qui s'est jointe aux réclamations entre temps), Mwangi décide de la marche à suivre. Ils se diviseront en plusieurs équipes de choc pour couvrir le plus de territoires possibles avant de rentrer pour le dîner, dont deux sur la colline d'Or. La première, composée de leurs meilleurs stratèges, s'occupera de faire diversion sur place. Leurs adversaires sauront-ils résister à la Technique des Triangles Isocèles de Nathan ?
Java fait craquer sa nuque dans l'ombre, cachée derrière un pot de fleurs. Elle, Toufik et Eadwulf, en plus d'avoir tous les trois des noms à coucher dehors, ont pour mission d'observer le périmètre, et d'intervenir si un de leurs camarades stratèges fait le signal secret. Pour l'instant, rien à signaler...
▬ Toufik, cache-toi, y a la Royale qui arrive à 8 heures !
▬ Y en a d'autres là-bas ! Mais c'est... les Fenrirs ?!?
Ils se tassent les uns contre les autres, et Java fait des jumelles avec ses mains pour mieux observer la suite des événements. Ce jour entrera dans la légende, c'est une évidence.
Les cavaliers de l’apoplexie sont une bande plutôt originale. A l’origine, c’était plutôt des intellos qui préfèrent lire des livres plutôt qu’à sauter dans les flaques d’eau. Des gens clairement bizarres pour le commun des enfants. A force de se faire mal considéré par les autres bandes, ils se sont plongés davantage dans les bouquins, de plus en plus compliqué, comme pour y trouver un refuse. Puis, un dénommé Léopold a découvert que certains livres décrivaient des stratégies et des tactiques de combats bien trop avancé pour l’intellect des gamins standards. Des trucs d’adultes. Après avoir étudiés lesdits bouquins, ils ont commencé à mettre en pratique leur nouvelle connaissance, ce taillant bien vite une part de territoire respectable face à des bandes rivales incapable d’appréhender clairement l’intelligence derrière leur stratégie. C’est que c’est des trucs d’adultes, c’est pas le même monde. Toujours sous-estimer pour leur amour des livres, mais craint pour les secrets qu’ils possèdent, les chevaliers de l’apoplexie forment une confrérie auréolé de mystère que personne ne quitte, comme si la connaissance avait le gout des bonbons. Pour gagner face aux cavaliers, il faut souvent faire une stratégie particulièrement stupide qu’ils ne pourront prévoir. Ou alors, quelque chose de rapide et soudain. On perd souvent contre eux, mais on a tendance à se souvenir que des victoires. Elles font plus chaud au cœur et c’est meilleur pour le moral des troupes.
Justement, les cavaliers de l’apoplexie à la colline d’Or sont dirigés par Léopold. Un gamin de quinze ans qui en fait douze, connu pour être plus faible qu’une fille, mais qui a lu suffisamment de livre dans sa vie pour avoir attrapé la grosse tête, contemplant, d’en bas, ces adversaires du regard méprisant de celui qui sait. Ces troupes sont inférieures aux nôtres.
-C’est bon signe.
-Fait gaffe Nick, faut être prudent.
-T’inquiètes, Jack. On va en faire qu’une bouchée.
Nick a peut-être oublié que la dernière fois, on était deux fois plus nombreux qu’eux, mais dans son esprit de chef, seul la victoire compte, peu importe la méthode. Quand je vous dis qu’on est sournois. En face, Léopold pointe un doigt crochu dans notre direction.
-La colline d’Or est à nous ! Approchez et vous en paierez les conséquences !
Qu’il cause de sa petite voix fluette. Il a même pas mué. Nick s’esclaffe avant de répondre, l’air méchant.
-Z’êtes affaibli, on le sait. On va faire qu’une bouchée d’vous !
-Approche, si t’es cap’.
-CAP !
Les conventions sont respectées. Et c’est sur les paroles rituelles qu’on s’élance à l’assaut de la colline d’Or. On a même pas fait trois pas, beuglant pour nous donner du courage, que les rangs des chevaliers s’ouvrent pour dévoiler trois types équipés de boule de terre durcis qu’ils lancent dans notre direction. Deux copains se les prennent dans la tête, s’effondrant au sol, mais il en faut plus pour détruire notre courage et puis ils vont se relever. Sauf qu’on s’arrête soudain, parce qu’on reconnait des grands de la Royale qui arrivent par une autre entrée. A leur tête, une fille aux longs cheveux d’or pointe un doigt autoritaire dans la direction des chevaliers.
-Vous pensiez nous avoir vaincus ? Ce n’était qu’une escouade de nouveau ! Vous allez affronter l’élite maintenant !
Les nouveaux venus sont encore moins nombreux, mais ils sont plus âgés que nous. Des gamins qui n’ont plus grand-chose d’enfants. Avoisinant les seize ans, ils roulent des mécaniques, certains de leur capacité à nous rouster sans même se fatiguer.
-Vous trichez ! C’est à nous d’attaquer !
Nick est furieux, mais la blonde s’en moque. Au final, c’est la loi de celui qui gagne qui prime et la Royale a toujours eu l’habitude de gagner pour se placer en tant que meilleur bande de la Capitale. Je vois Nick échanger un regard avec Léopold qui hoche du menton alors que ces partisans s’élancent en direction de la Royale. Je crois que la bataille qui s’annonce réclame une alliance de circonstances. Et ça, même Nick l’a lu dans un livre que l’ennemi de mon ennemi est mon ami. Le temps de lui casser la figure, par contre.
Sauf que bien sûr, la Royale, c'est que des tricheurs. Y a des grands qui viennent embêter les honnêtes gens, et juste pour faire les malins. Java tourne la tête pour faire signe à l'autre équipe de trois, avant de se rendre compte qu'il ne reste que Nathan tout seul, astucieusement caché derrière un tonneau. Elle lui fait signe de venir vers eux pour lui expliquer ce qui se passe.
▬ Pourquoi t'es tout seul ?! On avait un plan à suivre !
▬ Les jumelles devaient répondre à une alerte de niveau apocalypse.
▬ Leur tonton s'est encore coincé le dos ?
▬ Oui. On fait quoi ? Ils sont plein, y a rien qui se passe comme on avait prévu.
Le petit quatuor marque un silence pour réfléchir.
▬ Les cavaliers de l'apoplexie sont malins, mais ils vont se faire laminer par les grands.
▬ On va tous s'faire défoncer par les grands !
▬ Pas si on allie tous nos forces.
▬ Tu veux dire nous quatre ?
▬ Nan. Nous tous, pour défendre l'honneur de la Capitale face à la corruption de la Royale. On va aider les Fenrirs et les Cavaliers.
▬ C'est beau c'que tu dis Toufik, p'tain.
Ils hochent la tête, et commencent à tracer des symboles dans la terre pour planifier leur entrée en scène. Les projectiles de terre et de petits cailloux fendent l'air, et les plus audacieux semblent s'être armés de branches feuillues. Dans la Royale, deux grands ont activé leurs pouvoirs encore un peu bancals, probablement pour intimider.
Ils finissent par se faufiler en dehors de leur cachette pour se dresser tour à tour face à l'affrontement. Comme c'est le meilleur avec les mots, c'est Nathan qui s'occupe de les annoncer.
▬ Nous, Mâchicoulis, dénonçons cette attaque déloyale de la part de la Royale ! Au nom de la loi, votre comportement inadmissible sera punis et vous serez jetés au cachot !
Bon, Nathan s'est emballé. Java lui tapote l'épaule avant de s'élancer vers un des gars de la Royale pour lui mettre un coup de pied dans le tibia, et un autre dans le genou.
▬ DOUBLE MORSURE DE LA VIPERE ENRAGÉE !
Pendant ce temps, Nathan lance des gravillons en décrivant un arc de cercle.
▬ ARC DES MILLE CAILLOUX !
Toufik et Eadwulf font des galipettes pour se rapprocher plus rapidement de l'épicentre de la bataille, mais ils ont un peu de mal à crier le nom de leur technique en même temps. Ce n'est pas grave : le « tourbillon de la tourbe mortifère » n'en est pas moins efficace. De son côté, Java se prend une sacrée droite dans les molaires, et elle recule de quelques pas avant de cracher sur le côté.
▬ On va vous apprendre le respect, vu qu'ils ont oublié de le faire chez l'élite de l'élite !
Vu comme c'était parti, ils allaient surtout être au premier rang de la raclée qui était en train de s'abattre sur la Colline. Mais au moins, ils donnaient plein d'ouvertures aux copains d'un jour. Et peut-être qu'ils passaient pour des cervelles de moineau, ou pour de nouveaux trouble-fêtes, mais honnêtement ? C'était quand même vraiment marrant.
-Traitre !
-Nan ! Nan ! On est copain les copains !
C’est l’incompréhension dans les rangs des cavaliers et des Fenrirs. Les mots sont importants, faut toujours les dires sinon ça fait du grabuge. On n’a clairement pas besoin de ce chaos et la Royale en profite, certains de leur victoire. C’est à ce moment que choisisses les Mâchicoulis pour apparaitre dans leur dos. On pas trop de relations avec eux. Nick est convaincu qu’ils sont en affaire avec la Royale, mais qu’ils essaient de faire croire qu’ils ne sont pas copains pour acheter la confiance d’autres bandes afin de les saborder. Timmy les a surveillés plusieurs fois et il pense que c’est sincère. Mais c’est Nick qui décide, c’est le chef. Moi, mon avis, c’est que je connais quelques têtes de loin. Des gamins qui n’ont rien à voir avec la garde des grands. Des gars gentils. Je les vois pas essayer de nous piéger pour le compte des plus grands qui se prennent vraiment pour des rois. Même s’ils n’en sont pas loin.
C’est qu’il y a une vieille règle dans les bandes. Il y a plein d’endroits stratégiques dans la ville, mais parmi eux, il y’en a sept qui sont très importants. Il est convenu que la bande qui contrôle ces sept points est déclarée Rois de la Capitale. Evidemment, ça n’arrive pas souvent. Je crois bien que la dernière fois, c’était le règne du gros Gontran. Il a duré une trentaine de minutes, le temps de perdre l’un des sept points. Qui ont tous été repris par des bandes en l’espace d’une heure. On ne sait pas trop ce que ça donne comme pouvoir d’être Roi, on a jamais eu trop le temps de se poser la question. Surtout quand toutes les autres bandes se liguent systématiquement pour abattre les nouveaux despotes. On est un peu rebelles, faut dire, à nos âges. Pas du genre à obéir plus haut que le chef.
Mais on n’en est pas là. J’ai bien compris l’alliance qui vient de naitre et je fais en fonction. Je charge à l’unisson avec un cavalier et on se fait bouler avec facilité. Mais il en faut bien plus pour m’avoir. La force ne pourra pas les vaincre. Alors, on utilise la psycholologie. J’avise le plus excentré des grands.
-T’es un gros nul ! T’es même pas capable de m’attraper !
Et je lui lance de la boue au visage. Ça ne fait pas mal, mais ça salie. Et ça a le don de l’énerver. Il part pour me choper et je m’éloigne de la mêlée, juste ce qu’il faut pour l’isoler du reste de son groupe et de l’avoir en surnombre pendant que d’autres prennent les coups bas des autres grands de façon plutôt héroïque. Leur mémoire sera honoré à leur des comptes. On se jette tous sur lui, Cavaliers, Fenrirs et Mâchicoulis. On se jette sur ses jambes pendant que d’autres le poussent. Il finit par s’effondrer en grognant et on le finit au sol, le roulant dans la boule. Ce faisant, j’suis juste à côté d’une fille plutôt forte qui a l’air de ne pas avoir froid aux yeux. Alors, me je tourne vers elle.
-Moi c’est Jack.
Je fais copain copain avec une autre bande. C’est pas un mal. Surtout qu’on est allié. Et qu’il faut faire cause commune car il en reste plein d’autres qui nous attaquent dans le dos.
C'est ce que se répète Java alors qu'elle essuie son visage plein de terre et essaie de retirer un gravillon coincé dans sa molaire. Ca vaut le coup, il faut se battre pour les choses qui comptent, et il faut affirmer sa place dans ce monde de brutes. De préférence, en étant une plus grosse brute. Un petit mec avec une bonne tête se présente, et elle le reconnaît rapidement comme un ami – temporaire ou non.
▬ Java... Ton- !
Elle tire le Jack sur le côté à temps pour lui faire éviter un grand qui se jetait en avant.
▬ Ton dos. Jamais tourné vers l'ennemi.
La jeune Java lui tapote gentiment l'épaule, avant de se lancer à son tour sur le type qui a failli tacler son nouvel ami. Il a les cheveux bleus – donc un avantage net en charisme, puisque c'est la meilleure couleur au monde selon Java – et il est beaucoup plus musclé qu'elle. Mais c'est pas ça qui lui fera peur. Bien qu'elle se soit initialement assise sur sa cage thoracique pour bloquer ses mouvements, il la renverse sans souci et elle se retrouve projetée au sol. Une voix déformée d'adolescent en pleine mue ricane, et Java se rend compte en amortissant sa chute, que le type aux cheveux verts est aussi extrêmement grand. Merde, il a eu son pic de croissance plus vite que les autres.
Pendant que Toufik porte Nathan sur ses épaules pour l'aider à viser (la « Tour Infernale »), Eadwulf se retourne vers sa camarade à temps pour constater sa situation délicate. Il ne peut pas la rejoindre : il est déjà occupé à tourner sur lui-même en tendant les poings (le « Typhon des pains dans la gueule »). Mais il peut au moins l'encourager, et sans le vouloir, lui donner un conseil qui la suivra toute sa vie.
▬ Bouge comme eux, même si t'es pas faite comme eux !
Java n'est pas contente, parce qu'elle sait bien qu'il dit ça parce que c'est une fille. Mais les mots résonnent dans sa tête, et elle se redresse pour ajuster sa posture de combat. Bouger comme eux, ça peut se faire.
Le type aux cheveux verts s'éloigne... Le dos tourné. Elle sourit, et s'élance vers lui pour le tacler, avec les mêmes mouvements qu'il faisait plus tôt. Son poids ne suffit pas à le faire basculer, mais la surprise le déstabilise, et il se retrouve complètement à découvert. C'est le moment !
▬ Jack, quelqu'un ! Ici ! J'en tiens un qui veut manger d'la terre !
Son cri se perd parmi les autres bruits de leur petite guerre. Ses nouveaux alliés sauront-ils profiter de cette ouverture ? Le voudront-ils seulement ? Quelle nouvelle technique inventera Java ensuite ? Vous saurez tout en temps voulu.
-C’est pas le moment d’abandonner Jack. La victoire est à portée de main, je le sais. Si on fait front commun, on peut le faire. Tu crois en moi ?
-Euh ouai ! Bien sûr !
Il rassemble plusieurs Fenrirs et des cavaliers pour mener une charge contre le cœur de la Royale qui sont en train de prendre position sur la colline d’Or. Je vois le piège. A n’importe quel moment, il pourrait déclarer la fin des hostilités et s’ils sont sur la colline, elle leur revient. Nous autres, fourbus et réclamant une pause, nous serions alors enclin à accepter la défaite pour panser nos plaies. Nick ne veut pas ça. Il faut que le terrain soit toujours contesté pour que ce scénario n’arrive pas. Alors, il sonne la charge, en faisant le bruit du clairon avec sa bouche ; il est plutôt doué ; et on charge à sa suite les six grands qui sont entrain de repousser Léopold et sa garde rapprochée. Le choc est violent. La Royale s’était mise en triangle pour briser notre formation, ce qui traduit leur expérience acquise à l’académie de la garde, assurément. Je suis projeté en arrière, une deuxième fois dans la boue en moins d’une minute. Mais ça fait partie des règles du jeu. Il parait qu’à une époque, les différentes bandes ont instauré la règle qu’à partir de trois mises à terre, on était hors-jeu. Mais ça a pas mal rouspéter car qu’est-ce que vraiment une mise à terre ? Si on se jette à terre pour mieux faire tomber un adversaire, on perd une vie ? Devant les nombreux cas de contestations, où les bandes étaient prêtes à en venir aux mains pour défendre leur version de l’incident, encore plus que la raison première de leur bagarre, la règle a été supprimée. De toute façon, il y a une limite physique dans les mises à terre propre à chacun et mon nombre de vie n’est pas infini. Bientôt, je me relèverais plus.
-Jack ! Faut y retourner !
Je vois Nick sauter sur les épaules de la chef qui cherche à l’envoyer valser. Au même moment, j’entends Javaton m’appeler et je capte sa voix à travers le tumulte de la bataille aussi clairement qu’elle était à côté de moi. Je ne comprends pas, mais je la repère rapidement, aux prises avec un grand isolé. Eliminer les Royaux petits à petit ou tenir la colline ? Faire confiance à ces nouveaux amis et à cette impressionnante fille ou bien tenir mon rang aux côtés de Nick ? Le choix est étonnement cornélien, même si je ne sais pas ce que ça veut dire. Mais je n’écoute que mon instinct et je me remets sur les pieds rapidement pour foncer en direction du grand isolé. Je mets mes mains jointes devant moi pour couper l’air et améliorer mon aérodynamisme afin de gagner en vitesse. C’est impressionnant. Je frappe de plein fouet le grand qui bascule en arrière. Moi aussi, je bascule en arrière, sous le choc. J’ai mal aux mains. Ma technique pour découper l’air s’est heurtée au torse musclé du grand. Clairement plus musclé que moi. Je suis plutôt du genre gringalet. Je fais particulièrement d’efforts pour paraitre plus fort. Pas comme Nick. Sympathique, mais pas remarquable. Chacun son truc. J’ai avec moi ma hargne du combat et je peux vous dire que j’en ai pas mal dans l’instant présent. Je me relève en beuglant, évitant de piétiner Javaton et je me jette sur le grand avant qu’il puisse se relever, usant d’une technique rare mais terriblement dangereuse. Les chatouilles. C’est quitte ou double. Les grands sont moins sujets, mais la surprise en vaut la chandelle. Bonne pioche, il y est sensible et il se met à se contorsionner dans tous les sens, dissimulant difficilement un rire de plus en plus sonore. Il est fort. On dirait un animal sauvage. Je m’installe sur ses épaules et je poursuis son œuvre, autant dans le cou qu’au niveau des aisselles. Il s’agite en tous sens pour me faire tomber, mais je tiens bon. Je vois Javaton tenter de l’éliminer une fois pour toute, mais j’ai une soudaine envie. Un peu folle. Mais j’ai envie d’épater la galerie, je sais pas pourquoi.
-Laisse ! On va l’utiliser contre la Royale !
Tel un dompteur de grande créature, j’use de mes chatouilles pour guider tant bien que mal le grand à se relever puis à foncer contre un autre grand qui venait de se relever. Ivre de chatouille et à moitié aveugle, il ne voit les dégâts qu’il cause. A nouveau, il tente de me balancer en bas, mais je tiens bon. Je regarde autour de moi. Il y a beaucoup de monde au sol. On est dans la dernière ligne droite, je dirais. Alors, je dirige mon grand vers le bastion de la Royale qui a pris le contrôle de la colline malgré les efforts de Nick et Léopold. On est à deux doigts des propositions de cesser le combat. Ce ne doit pas arriver.
-A l’assaut !
Si je pouvais faire hennir ma monture, je l’aurais fait. Ça aurait été classe. Mais on peut tout avoir. Déjà, il charge dans la bonne direction. On va pas s’en plaindre.
Elle reste complètement bouche-bée devant la vision du grand type de la Royale, complètement dominé par les chatouilles maîtrisés de Jack, devenu un véritable cavalier et maître du rodéo. Elle hoche la tête par respect envers cette impressionnante démonstration de tous les talents qu'elle lui découvre. Même si elle est un peu jalouse, au fond. Elle aussi, elle veut avoir son moment de gloire !
Heureusement, Java est encore bien trop jeune pour écouter ces vilaines pensées. Par-dessus tout prime la solidarité qu'on lui a inculquée : alors, elle s'accroupit pour ramasser de la terre, et plutôt que de viser le popotin du destrier improvisé, elle prend soin de couvrir ses arrières, au moins jusqu'à ce que Jack puisse porter sa première attaque.
Mais ça, c'était avant de se retrouver la tête à l'envers. Elle panique, parce qu'elle ne sent personne la tenir par les jambes, et elle ne comprend pas comment elle fait pour flotter à l'envers comme ça. Quelque part au niveau de ses pieds (c'est à dire, là où devrait être sa tête), elle entend une voix moqueuse qui s'éloigne. Elle a du mal à reconnaître la personne de loin, mais le lecteur avisé aura évidemment reconnu Tina, la dernière recrue de la Royale qui avait beaucoup à prouver à ses camarades pour se faire accepter. Elle n'hésitait d'ailleurs pas à hésiter son pouvoir redoutable, Le Poirier Imposé, pour y arriver.
Voyant bien qu'elle ne peut pas bouger normalement dans cet état, Java tend son petit bras musclé vers le sol pour y poser ses mains. Il ne lui reste plus qu'à miser sur sa propre capacité spéciale.
▬ NUAGE EMPOISONNÉ !
Non, ça, c'était juste un prout, histoire de gagner du temps. La stratégie est efficace : Java gagne un bouclier d'une minute, le temps que l'odeur soit emportée par le vent vers d'autres narines. Juste assez de temps pour sortir son atout caché... Une autre Java ! Eh oui, les grands n'étaient pas les seuls à avoir commencé à travailler leurs pouvoirs...
L'autre Java est un peu perturbée. Ca fait bizarre, de voir sa créatrice à l'envers. Elle essaie de la remettre dans le bon sens, mais rien à faire, la magie continue son effet. Alors elle passe au plan B pour remplir son objectif « d'aider à gagner » : taper ! Taper, c'est efficace pour mettre fin à un conflit, non ? Elle charge pour mettre un coup de tête dans le premier ventre qui s'offre à elle, tend le poing vers l'arrière d'un genou, et dépense grosso modo toute son énergie pour donner des coups, même dans le vide. Faut aussi gagner contre le vide, après tout, non ?
Sa créatrice ne s'en rend pas encore compte, mais elle ne maîtrise pas encore l'aspect le plus important de ses clones : la solidité d'esprit qu'elle doit leur transmettre. Du coup, pendant que Javaton flottait à l'envers en repoussant – et encaissant – les projectiles ennemis comme elle pouvait, Java-la-tornade se laissait complètement aller à la bagarre, la pure, la dure. Ce n'était pas vraiment à l'image des Mâchicoulis, mais de toute façon, c'était la Royale qui avait triché en premier. Et puis, peut-être que Jack verrait quand même qu'elle fait de son mieux ?
Peut-être pas, mais au moins, leurs ennemis commençaient à perdre l'avantage, ainsi que quelques boutons de chemise et un peu de leur dignité. Il fallait bien faire de la place pour y caler une bonne leçon d'humilité, de toute façon. Peu importe les moyens employés.
-Attaque au gaz !
-Sortez les masques !
Presque instinctivement, les Fenrirs restants obéissent à Nick en se pinçant le nez très fort pour ne pas être empoisonnés. L’odeur commence à se dissiper, mais c’est vrai qu’elle est particulièrement pestilentielle. Comme je me bouche le nez d’une main, ma technique de chatouilles perd sacrément en efficacité et Tête de Boeuf parvient alors à se libérer en me saisissant par le col avant de me propulser sur Nick en face de moi et on tombe tous les deux à la renverse. Je suis au bout du rouleau et Nick n’est pas mieux. Il se relève malgré tout et me lance un regard que je n’arrive pas trop à comprendre avant de me proposer sa main pour me relever à mon tour. Je ne comprends pas non plus ces paroles énigmatiques.
-On discutera de ça plus tard.
Vrai qu’on a une bataille à mener. Je fais un tour sur moi-même pour jauger de la situation, quitte à avoir le tournis et je repère Javaton qui fait le poirier. Décidément, cette fille est pleine de ressources insoupçonnées. Surtout qu’elle a visiblement une sœur jumelle qui s’est jointe à la mêlée. Ça a le don de surprendre les gars de la royal qui voit arriver une furie comme on a pas beaucoup vu. Un renfort tout frais qui fait des ravages sur le premier royal qu’elle croise, enchainant les coups avec une grande précision. C’est le moment où Lucy se décide à rendre cette fin d’affrontement un peu plus dramatique. Il faisait gris. Il y a maintenant de la pluie. Et pas qu'un peu. Une bonne drache comme on dit par chez moi qui finit de transformer la zone en piscine à gadoue, forçant les différents gamins à s’affronter, les yeux mi-clos pour se protéger des gouttes et voir un minimum. A la vue de toute cette flotte, la chef de l’escouade de la Royale, une blonde s’appelant Samantha, se tourne vers son voisin de droite.
-Ton pouvoir ! Vite !
Le gars s’exécute et presque instantanément, les gouttes dans les quelques mètres autour de lui se transforment en grêlons, s'abattent avec force et multitudes sur tout le monde, Royale, Mâchicoulis, Fenrirs et Chevaliers. Les gars de la Royale se ressemblent pour se protéger mutuellement et partager les dégâts de l’attaque grêlon. Enfin, les trois gars de la Royale. Nous aussi, on se réunit. Et là, il n’y a plus de factions. Plus de bandes. Il n’y a plus que des gamins, unis dans une cause commune, se protégeant les uns les autres contre la météo doublée d’une magie terrible. L’un des derniers membres des Chevaliers trouve la force de riposter.
-J’ai une idée ! Mettez vous au sec !
On sait pas trop comment le prendre alors on met les pieds comme on peut sur les bouts de terres pas encore inondés par l’eau. A son tour, il utilise son pouvoir et toutes les flaques d’eaux se transforment en verglas ce qui n’est pas forcément une bonne idée, puisque l’on glisse un peu près n’importe où, mais ça surprend grandement le bastion de la Royale qui perd en stabilité. Je vois Nick à mes côtés. Je vois Javaton et sa sœur. Je vois moins de deux poignées de gars à bout de souffle. Mais je pense que tout le monde peut voir la détermination qui nous reste, synthétisée dans les propos galvaniseurs de Nick.
-Il est temps d’en finir.
Eadwulf s'est cogné le menton contre le tibia d'une fille et les deux peinent à se remettre de la douleur qui envahit leurs os en pleine croissance. Toufik a fait un plongeon dans une flaque de boue et il est maintenant camouflé parmi les Fenrirs qu'il aide sans réfléchir plus que ça. De son côté, Java profite d'un instant de répit pour chercher son clone du regard, et la rejoindre en faisant des roulades. L'avantage de rester près du sol, c'est que ça lui permet de déstabiliser quelques ennemis sur son passage en visant directement les jambes. L'inconvénient, c'est qu'elle n'est pas sûre de ne faire tomber que des ennemis, parce qu'elle ne voit pas bien les visages dans cette position.
Elle rejoint enfin la deuxième Java, juste à temps pour la tirer en arrière alors qu'une voix parle de se mettre au sec. Elles se tassent l'une contre l'autre sur une petite motte de terre, et chacune tourne la tête dans un sens différent alors que l'eau gèle sur le champ de bataille. Lorsqu'elles se séparent à nouveau, c'est avec des avis bien différents sur la situation.
Le clone bagarreur profite des zones de glisse pour percuter les premiers camarades qui lui passent sous le nez. Ca aura servi à quelque chose, de jouer près de la mare aux canards pendant la saison froide quand elle était petite.
Java, quand à elle, décide que la situation a trop dégénéré. Elle met ses mains en tuyau devant sa bouche pour faire résonner son discours engagé dans le cœur (ou les oreilles) de la Royale.
▬ Arrêtez, ça va trop loin ! Le verglas c'est notre ennemi à tous, c'est comme ça qu'les tantines se cassent le coccyx, et après c'est nous qu'on doit leur apporter les courses, alors qu'on a pas envie ! En plus on pourrait tomber malade, et après personne gagne, parce qu'on s'refilera la crève pendant deux mois, et ça f'ra le tour de toutes les bandes !
Hélas, ses mots ne touchent pas grand monde, et à part deux « ouais ! » et un type plein de boue qui hoche la tête (Toufik ?), personne ne réagit plus que ça. Java secoue la tête en baissant les yeux, et serre les poings.
▬ Si plus personne veut écouter la raison, alors j'ai pas le choix.Vous m'forcez à utiliser ma pire technique...
Elle trempe l'index dans la boue puis trace deux lignes sur chacune de ses joues. Elle mettra les copains qui se battent encore autour d'elle à terre, pour leur bien ! Même si elle doit utiliser le terrible :
▬ VOL DU DRAGON BAVEUX !
La technique consiste à prendre de l'élan pour sauter sur le visage de quelqu'un, le projeter à terre, et cracher un mollard sur son front. Ca marche à tous les coups, mais Java a conscience qu'un tel pouvoir implique de grandes responsabilités. Sa première victime déclare forfait immédiatement après la manœuvre, parce que « c'est dégoûtant de faire ça », et Java commence lentement mais sûrement à faire du ménage autour d'elle, malgré les quelques dérapages contrôlés liés aux difficultés du terrain.
Elle arrive enfin devant l'attachant Jack, et malgré tout, elle s'avance vers lui et se met en position pour lui bondir dessus.
▬ Est-ce qu'il faut que je t'allonge toi aussi ?! J'veux pas te faire ça, Jack, j'sais que tu vaux mieux qu'ça. Toi aussi, tu vois bien que c'est allé trop loin, nan ?
S'il décide de répondre non, alors il rencontrera lui aussi le dragon baveux. Et elle serait très déçue ! Mais elle n'aura pas le choix. Elle garde la tête haute, déterminée à la regarder droit dans les yeux en attendant sa réponse.
Elle a raison. C’en est trop. Je baisse la tête et mon poing dressé devant moi vient tomber mollement le long de mon corps. Je jette un regard autour de moi et je capte celui de Nick. Ça me fait l’effet d’un courant qui pique, comme quand on a trop frotté son pull, mais tout le long du corps. Je vois son regard. Il n’est pas content. Pas contre la Royale. Pas contre Javaton et les Machicoulis. Non. Contre moi. Même si on gagne, c’est comme si dans son regard, il avait perdu. A travers lui, c’est tous les autres qui me jugent. Et ça donne un sursaut d’énergie en moi. Une once de rage et de fierté d’être un Fenrir. Malgré tout ce qu’on a traversé, je ne peux pas baisser les bras. Et si Javaton compte bien nous mettre à terre tous, ennemi comme ami, ne joue-t-elle pas le jeu de la bataille ? ça ne veut rien dire de se battre pour qu’on arrête de se battre. C’est la première à pas faire ce qu’elle dit. Même si je n’ai pas envie de l’affronter, je sais que je ne peux pas faire autrement. Alors, je me redresse fièrement et je charge en beuglant. Je sens qu’elle est déçue, mais elle n’hésite pas et fait honneur à ses principes. Je ne fais pas illusion. Je me prends l’attaque en pleine poire et je finis au sol. Les yeux mi-clos, je vois l’ombre de mon bourreau de s’approcher pour l’ultime étape.
Pour un peu, je l’attendrais presque. Si je suis marqué de la glaire de mon ennemi, je serais tombé en valeureux et ça passera l’éponge sur le fait que j’ai failli abandonner. Contre mon chef. Contre ma bande. Même avec ça, je doute que Nick oublie. Alors, j’attends, mais elle ne vient pas. Parce que quelque part, un garnement crie plaintivement le signal que tout le monde attendait impatiemment.
-Ils fuient ! La Royale fuit ! On a gagné !
Je tourne la tête dans la direction du bruit et j’aperçois effectivement que les grands de la Royale s’enfuis, non sans que Samantha brandisse un poing rageur, promettant qu’ils reviendront plus fort que jamais, avant de mettre un camarade complètement épuisé sur son épaule et d’accourir derrière les autres. Il y a alors un grand « ouf » de soulagement, puis un grand bruit. Celui de tous les survivants qui, l’unanimité, s’effondrent au sol, ne tenant jusqu’à maintenant que par la force de leur esprit, les corps ayant été poussé au-delà de leur limite. Tout se fait drôlement silencieux, soudainement, sous la pluie tombante. Je vois Nick qui essaie de s’approcher de la Colline, comme pour tenter d’obtenir la victoire finale, mais un Chevalier se relève dans un dernier effort, pour l’en empêcher. C’est alors que Léopold apparait comme s’il avait quitté le combat un temps d’avant. Il a l’air d’avoir chèrement protégé sa bande. Son regard croise celui de Javaton, puis celui de Nick avant de faire un geste vers un gros buisson, non loin.
-On avait installé un camp ici. J’vous propose de vous protéger d’la pluie. Faut qu’on parle aussi.
Nick n’a pas le cœur de refuser. C’est que la pluie n’est pas très agréable. Et tout le monde a bien donné, dans l’ensemble. Leopold a raison sur tous les points. Le temps de la bataille est fini. Le temps des papotages peut commencer. Mais faut pas croire que ce ne sera pas une formalité non plus !