Après avoir déposé ses affaires dans son ancienne chambre et laissé un mot à ce cher Rid, ami et ancien colocataire, elle se dirige vers le palais. Pour une fois, elle va passer par la grande porte. Elle salue ses collègues de la Royale en bonne et due forme, et leur rappelle de transmettre à leur capitaine un coucou de sa part. Officiellement désarmée, équipée de sa seule tenue habituelle et de documents importants, Java pénètre le palais et se dirige vers l'aile ministérielle.
Dans son bureau, un représentant du Ministre des Armes l'attend – apparemment, la personne la plus haut placée de la Commission est en déplacement. Java aurait préféré avoir son ami Titus comme interlocuteur, mais bon, ça aurait été trop facile, non ? Elle s'assied sur un fauteuil, droite comme un piquet.
▬ Merci de votre compréhension, Lieutenant. Nous allons maintenant commencer notre session : je tiens à vous prévenir que tout ce qui sera dit dans cette pièce sera retranscrit par ma Scribouilleuse, afin que notre conversation officielle soit enregistrée comme il se doit.
▬ Heu... Ouais. J'commence par quoi ?
▬ Un résumé de la situation actuelle fera l'affaire.
▬ Bin, en fait, le cap'taine Magnus Nottsen il est parti à la retraite. Ca fait un moment qu'il fatigue, alors il a décidé de se reposer au calme, et de s'installer dans une auberge du Village Perché. Mais même si il est toujours dans la zone, il est plus le capitaine. Alors du coup, comme il m'fait confiance, c'est moi qui gère le régiment le temps que... qu'on ait un remplacement, quoi. Enfin, je gère, je gère... J'aide surtout les collègues à continuer sur la même voie que le cap'taine il les avait mis d'ssus.
▬ C'est à dire ? Comme une sorte de capitaine régent ?
▬ Oula non, ça se saurait ! Faut d'la paperasse pour faire un truc comme ça, nan ? J'm'occupe juste de faire en sorte que le Village et la Forêt restent protégés. Le temps de faire la transition.
▬ Qui sera le nouveau capitaine, alors ?
▬ Bin ça dépend. Soit vous nous envoyez un remplacement et euh... voilà. Mais j'crois que si ça prend trop de temps, les gars vont s'habituer à m'avoir comme chef. Si c'est ça qui s'passe, on s'reverra sûrement pour officialiser ça. Pour la paperasse.
La conversation continue plus chaleureusement. L'embarras de Java laisse place à une sincérité touchante – elle ne veut que le meilleur pour les Belluaires, et ça se voit aussi bien dans ses yeux que dans ses mots. De son côté, le représentant semble satisfait de la tournure des choses. Les gardes des régiments civils n'étaient pas réputés pour leur manières, mais ils avaient tous une façon particulière de montrer leur dévotion : et cette lieutenant là réussissait à le convaincre. Il fait signe à sa Scribouilleuse de s'interrompre, et parcourt du regard les quelques feuillets qui consignent leur discussion.
▬ Très bien, Lieutenant Anggun. Je transmettrai cet échange aux partis concernés. Le ministre des Armes reviendra vers vous par correspondance s'il l'estime nécessaire, en revanche... Il me semble pertinent que vous fassiez également part de votre situation à la garde des sceaux.
▬ ... Y a un régiment des sceaux ?
▬ Non. Je parle de la ministre de la justice, qui est tout autant concernée par cette situation que la Commission. Permettez-moi de m'absenter quelques minutes, le temps de faire une copie des documents.
Java le suit du regard alors qu'il rentre dans une petite pièce. Un petit éclair de lumière magique plus tard, et il revient, tenant maintenant un joli petit paquet de feuilles dans ses mains. Pratique, les pouvoirs de copie. Il lui tend une de ses copies, dont l'encre scintille encore un peu, comme si elle était couverte de paillettes de cristaux.
▬ Vous serez bien aimable de lui transmettre ce document et de l'informer de sa nature.
Java hoche la tête, salue une dernière fois cet interlocuteur luxueux, et sort enfin de son bureau. Maintenant, il va falloir affronter une interlocutrice encore plus luxueuse. Ca fait quoi, une ministre de la justice ? Peut-être que c'est elle qui décide ce qui est juste ou non quand tout le monde se dispute. Java frappe à la porte trois fois avant d'ouvrir la porte du bureau et de s'annoncer en même temps.
▬ Lieutenant Java Anggun ! Je viens pour faire mon rapport sur la situation administrative du Village Perché, dame Justice !
Elle se mord immédiatement la langue en se rendant compte que non seulement ladite ministre est une très belle femme, mais qu'en plus, elle a cafouillé et dit n'importe quoi. Est-ce que c'est rattrapable ?
▬ Heu... Y a le type qui représente le ministre des Armes qui m'a dit de vous donner ça. C'est une retranscription de la conversation qu'on vient d'avoir. I' dit que la situation elle vous concerne aussi, alors c'est pour ça que j'suis là.
Bon, on a vu mieux comme rattrapage.
▬ J'peux rentrer, ma dame ?
Vraiment mieux.
Entourée d’Yves et Gustave, la ministre de la Justice est en train de réfléchir à de nouvelles recherches de recrutement pour sa garde personnelle. Ils sont installés autour de son bureau, en train de regarder des photographies d’individus hommes et femmes extérieurs au ministère. La plupart ont des mines renfrognées, des visages carrés, des yeux renfoncés, il y a notamment deux profils qui arborent des cicatrices sur le front et les arcades sourcilières.
Depuis le piège temporel fomenté par un instigateur démoniaque, elle s’interroge sur la constitution d’une équipe spécialisée chargée de sa protection. Ses deux assistants ont sélectionné des profils intéressants qui pourraient l’aider dans son enquête, le coupable et son motif restent inconnus. Ils pourraient également veiller à sa sécurité quotidienne lors de ses différents déplacements de ministre. C’est une discussion qu’elles doivent prolonger avec sa supérieure. L’enlèvement de la Reine Renmyrth puis la téléportation dans une zone inconnue du Royaume de deux membres du gouvernement, ne font que renforcer ses inquiétudes. Heureusement dans les deux situations, les trois femmes ont pu s’en sortir sans blessures graves. Le choc psychologique a en revanche été dur pour sa Majesté qui ne s’en remet pas encore. Si Cassandra n’a pas la possibilité de la voir actuellement, elle a entendu la détresse et l’horreur auxquelles elle a fait face quand ce terroriste l’a agressée. Le message est venu jusqu’à elle : une politique plus répressive et plus ferme est nécessaire. Nous devons développer des moyens et arrêter à tout prix tous les criminels qui voudraient s’en prendre à la Royauté et à leurs représentants. Le motif de leur action est négligeable, on peut défendre beaucoup de causes sans en venir à de telles méthodes. L’écologie, nom d’un dragon de cerisier, a bon dos !
Cassandra est persuadée que cette aventure n’est pas arrivée par hasard, que le sorcier qui leur a jeté la malédiction avait des raisons obscures. Ce n’est pas une farce immature de magicien sénile. Elle saisit une photo, observe l’expérience et les compétences de la personne, mais dépose aussitôt le papier en soupirant.
- Je n’arrive pas à prendre de décision ce matin… Je vous remercie pour la recherche en amont... et ces premiers dossiers, mais mon intuition n’arrive pas à se poser sur un choix, comme si parmi tous ces curriculum vitae, il n’y avait pas l’étoile rare que je recherche.
- Dame Heydell, je dois me permettre de vous interrompre, votre visiteur devrait arriver d’ici quelques minutes.
- Ah… je n’ai pas beaucoup de temps, vous avez bien fait de me le rappeler. Non laissez, je vais ranger le dossier, ajoute-t-elle. Parfois il est peut-être bon de faire une pause dans la réflexion, pour que de nouvelles idées émergent !
Les deux assistants de la ministre quittent le bureau pour la laisser seule, se renseigner sur la prochaine entrevue qu’elle va avoir. Lieutenant Java Anggun, directement envoyée par les représentants du ministère des Armées. Le ministre lui a fait un debriefing la semaine précédente de la géopolitique et des affaires locales dans la région du Village Perché. Il y a du mouvement dans la garnison installée au sein de la ville, de ses proches communes et de la forêt. Le capitaine Magnus Nottsen est sur le départ, il laisse son régiment sans tête sur corps et la lieutenante a repris naturellement ses fonctions, dans l’attente d’une nomination officielle d’un remplaçant mandaté par les Armées. Semble-t-il qu’elle aurait pris goût au poste, et qu’elle souhaiterait candidater pour rester de manière permanente au grade de Capitaine au Village Perché.
Cassandra écrit minutieusement un ordre de laisser passer avec son élégante plume de paon qu’elle trempe dans l’encrier prévu à cet effet. La calligraphie n’était pas son fort il y a plusieurs années, et elle a dû travailler à gérer sa maladresse et à être plus précise dans le tracé des lettres sur ses écrits validés à son sceau. Soudainement, on frappe trois fois à sa porte. Elle élève sa voix pour intimer à la personne d’entrer. Lorsque la porte s’ouvre, une femme de haute taille, à la démarche assurée se présente à elle. Elle devine aussitôt que ce n’est pas le type de personne à fréquenter le Palais toute la semaine et à se rendre aux bals du samedi. Néanmoins, il y a une forme de prestance et de charisme chez elle qui envoie valser tous les atomes fixés à elle. Une franchise émane de ses yeux bleus perçants qui ne semblent pas étrangers à Cassandra.
Le temps s’est arrêté pendant ce bref instant où elle se rappelle des souvenirs dormant sur l’oreiller. Cette nuit, elle s’est levée une fois pour ouvrir la fenêtre de sa chambre car elle avait besoin d’air. Un papillon de nuit en a profité pour se faufiler à l’intérieur. Elle s’est rendormie facilement mais l’insecte s’est posé sur son front. Il lui a transmis une image, elle ne sait comment l’expliquer, mais elle en est sûre, il est entré dans sa tête et s’est matérialisé dans ses songes. Dans son rêve, elle s’est éveillée et l’a suivi au dehors de son appartement. Elle a continué à descendre les marches et le papillon noir corbeille l’a menée à la cour pavée au bas de son habitation. Il a sautillé dans les airs, avant d’accrocher ses pattes au rebord de la fontaine. Devant elle, une silhouette s’est retournée et l’a interdite du regard. Cassandra a juste eu le temps de se remémorer ses yeux. Les lumières du réveil l’ont tirée du lit. Un bleu azur évanescent.
« Pourrait-il que ce soit une nouvelle prédiction… non je m’égare... », pense Cassandra.
Il y a un flashback en arrière de deux secondes qui se produit, et la porte du bureau se rouvre à toute vitesse.
▬ Lieutenant Java Anggun ! Je viens pour faire mon rapport sur la situation administrative du Village Perché, dame Justice !
Quel cet individu qui s’introduit de façon opportune dans l’espace de la ministre avec tant de foi dans la démarche. C’est la première fois que Cassandra se voit directement désignée comme la Justice personnifiée. Elle range sa plume d’écriture dans son étui tout en répondant :
- Oui, avancez je vous prie Lieutenant Anggun, vous pouvez m’appeler Ministre Heydell.
Dans son autre main, Java Anggun tient un document qui semble important.
▬ Heu... Y a le type qui représente le ministre des Armes qui m'a dit de vous donner ça. C'est une retranscription de la conversation qu'on vient d'avoir. I' dit que la situation elle vous concerne aussi, alors c'est pour ça que j'suis là.
Cassandra s’arrête observant l’arme élancée qu’elle utilise sans doute au combat. Bel objet qui pourrait abîmer son tapis. Elle se lève de son siège avec pour intention de l’inviter à s’asseoir sur l’un des fauteuils en face de son bureau.
▬ J'peux rentrer, ma dame ?
- Avant de vous installer aisément, pourriez-vous laisser votre bâton de combat à l’entrée ? Nous allons discuter Justice.
Ces dernières années, Cassandra pense que le Royaume d’Aryon s’est dotée de personnalités de femmes fortes sur plusieurs secteurs essentiels à la vie commune, et le phénomène continue, prenant de l’ampleur. Nous devons alimenter de bienveillance cette fierté et cette richesse qui est la nôtre.
- Vous êtes ainsi Lieutenante Java Anggun, venue discuter de votre accession au poste de Capitaine du Village Perché ? Je vais prendre connaissance du dossier apporté mais avant, je tiens à vous féliciter pour cette candidature spontanée très intéressante pour notre nation. Votre connaissance experte de votre région d’origine nous sera très utile dans le futur.
Les jambes de son interlocutrice trouvent difficilement leur place entre le fauteuil et le bois du meuble de son office. Cassandra aurait dû glisser un coussin entre ses fesses et son siège pour être plus en hauteur… Elle poursuit sa réflexion, sans avoir eu besoin de préparer un discours, elle a tous les mots en poche pour converser sur le sujet.
- Pour le Village Perché, vous représentez une nouvelle génération ayant transcendé les castes sociales, car vous évoluez dans un milieu d’hommes et de militaires vivant aux rythmes de missions difficiles. Vous avez pris possession de vos capacités, partant d’une connaissance accrue de votre territoire d’origine, pour vous élever aujourd’hui dans la hiérarchie des Armées. Dame Anggun, votre jeune âge atteste de l’exception de votre parcours. Je sais que le ministre des Armées lui-même ne pouvait vous recevoir et je tenais à transmettre toute la pensée positive qu’il énonce quant à votre travail lors de nos réunions.
Cassandra félicite la jeune militaire et lui tend la main pour la serrer officiellement. Cette recrue finira par être décorée de multiples médailles, qui sait ?
- Maintenant, revenons à votre dossier, j’ai beaucoup de questions à vous poser sur la situation administrative du Village Perché. J’aimerais savoir comment se porte l’ancien Capitaine et le régiment depuis son départ.
Cassandra est une éternelle bavarde, au verbe éloquent mais elle sait aussi laisser la parole. Elle essaie de ne pas s’attarder sur le poignard encore à porter de main de la lieutenante, lui faisant confiance. Une femme de terrain ne se sépare jamais d’un fétiche de combat. Cassandra a le sien mais elle reste discrète sur son emplacement. Un petit calibre, un revolver doré sorti de son écrin, se cache quelque part à portée de main. Son petit bijou d'enquêtrice.
Elle vient ensuite s'asseoir aussi droitement qu'elle en est capable – c'est à dire très peu – et elle fronce le nez en se rappelant que les nobles ont une définition différente du confort en termes d'assise. Mais bon, une belle dame comme ça qui vous prend au sérieux, ça vaut bien quelques crampes à l'arrière-train, non ? Elle glisse doucement sa main dans la sienne pour la serrer avec délicatesse, comme si on lui présentait une petite chose fragile.
La poigne de la ministre la surprend, mais elle laisse le contact se faire avant de croiser lentement les bras. Finalement, elle était peut-être digne d'un bras de fer, cette « Ministre Heydell ». Java la dévisage encore un peu avant de reprendre la parole.
▬ Le capitaine va très bien. Il a trouvé une nouvelle marinade pour ses brochettes de champignons, et en c'moment il essaie de faire son propre pain. La mie est un peu dense, mais elle a du caractère, ça s'mange bien avec de la soupe.
Elle hoche la tête rien qu'en repensant à son dernier repas dans l'auberge où Magnus s'était installé avec sa nouvelle chérie. C'était quand même bien bon. Puis elle se rend compte que c'est peut-être pas ce qui intéresse la Justice, alors elle rajoute brusquement :
▬ Retraite paisible. J'ai posté une escouade de jour et une escouade de nuit dans son quartier, au cas où quelqu'un lui voudrait du mal maint'nant qu'il est à la r'traite. Rien à signaler jusque là.
Java passe une main dans son cou, légèrement gênée. C'était un choix absolument évident dans sa position, mais elle ne pouvait pas s'empêcher de se dire que ça trahissait toute l'amitié qu'elle ressentait pour l'ancien capitaine. Une préoccupation vide de sens, mais exactement le genre de toutes petite chose qui piquait un peu sa fierté.
Elle décide de changer de sujet.
▬ Le Régiment accuse le coup. Ca fait bizarre qu'il soit plus là, le Magnus. Mais les gars s'habituent petit à petit. Je réunis régulièrement les officiers pour qu'on décide ensemble de la répartition des tâches, et tout l'monde fait d'son mieux pour aider tout le monde. C'est précaire mais on tient bon.
Le lieutenant semble d'un coup bien plus sérieuse. Son expression s'assombrit, et elle dépose ses mains à plat sur ses cuisses.
▬ Ca les rassure que je sois là, et mon pouvoir est pratique pour ça. Je peux pas tout faire, mais je peux aider plus que les gens normaux en me dédoublant, et ça, déjà, c'est bien. Je... Je peux faire des choses pour ces gens. Des vraies choses importantes de la vie d'tous les jours !
Elle semble avoir encore besoin de se convaincre, autant qu'elle éprouve le besoin de convaincre la ministre. Son regard cherche le sien, avec une lueur d'espoir.
La garde des sceaux prend du temps pour analyser cette nouvelle information, doutant d’avoir bien tout compris. Son invité peut reprendre la parole, elle veut en savoir davantage.
▬ Retraite paisible. J'ai posté une escouade de jour et une escouade de nuit dans son quartier, au cas où quelqu'un lui voudrait du mal maint'nant qu'il est à la r'traite. Rien à signaler jusque là.
Cassandra est surprise d’apprendre le changement de carrière de l’ancien Capitaine. Une réorientation professionnelle réussit d’après ce que lui décrit sa lieutenante. Il pourra affûter son savoir-faire avec l’accumulation de l’expérience. La clientèle se fera à ses talents culinaires bien à lui.
- Si le ministère demande ma venue au Village Perché, je lui rendrai visite dans sa boutique. Un si long parcours dans la gouvernance de votre cité ne peut le protéger d’ennemis du passé. Vous avez bien fait de préparer votre absence. Le Royaume reste fidèle à chacun de ceux qui veillent à sûreté et sa plénitude.
Les gestes de Java Anggun sont déstabilisés quand elle mentionne cette anecdote touchante, révélant le lien affectif sain qui s’est bâti avec les années au sein de la caserne. Le Capitaine Magnus a dû représenter un modèle pour la jeune garde qui a gravi les échelons avec brio. Il faut un caractère difficile pour passer les épreuves et endurer les attributions, les commandements de la chefferie. Malgré la dureté de certains commandants, la pénibilité des tâches données aux débutants, la politicienne comprend que les jeunes soldats conservent une image respectueuse des anciens sages qui les ont formés au métier. Cassandra n’a pas obtenu de certificat militaire ni même valider le service, mais elle partage un respect de l’institution. Il y a des valeurs référentes qui ont beaucoup de points communs avec ses idéaux et sa façon de gouverner. Le système de défense fonctionne parce que toutes les hiérarchies appliquent un code d’honneur, de la base au sommet.
▬ Le Régiment accuse le coup. Ca fait bizarre qu'il soit plus là, le Magnus. Mais les gars s'habituent petit à petit. Je réunis régulièrement les officiers pour qu'on décide ensemble de la répartition des tâches, et tout l'monde fait d'son mieux pour aider tout le monde. C'est précaire mais on tient bon.
- Vos unités semblent avoir toute confiance en vos décisions.
▬ Ca les rassure que je sois là, et mon pouvoir est pratique pour ça. Je peux pas tout faire, mais je peux aider plus que les gens normaux en me dédoublant, et ça, déjà, c'est bien. Je... Je peux faire des choses pour ces gens. Des vraies choses importantes de la vie d'tous les jours !
- Vous nous avez déjà convaincus, le ministre des Armées ne s’opposent pas à votre nomination et ne voit pas meilleure candidature pour reprendre le commandement de la défense du Village Perché. Étant donné que vous venez d’accéder au poste, nous aurons besoin de nouveaux compte-rendus réguliers des avancées intérieures. Nous serons amenés à nous revoir si certaines informations nécessitent d’être transmises en vis-à-vis. Vous avez plus d’expertise en la matière, il est essentiel de garder une discrétion intelligente dans notre domaine. Il ne faudrait pas que certaines stratégies militaires arrivent dans de mauvaises oreilles...
Tout en écoutant la militaire expliquer les détails de son travail actuel, Cassandra prend quelques notes pour elle-même. Elle n’a pas besoin de de toutes ces données ni de faire un rapport mais elle s’interroge personnellement sur le management des équipes du Village Perché. Son attention est perturbée, son regard restant droit, en percevant l’étincelle de volonté dans ses yeux. Elle a entendu des rumeurs impressionnantes sur les facultés de Java Anggun. D’après les témoins, il existe rarement tel phénomène de décuplement des pouvoirs dans le Royaume.
- J’ai entendu parler de votre capacité spéciale… J’aimerais en savoir plus, pourriez-vous m’expliquer comment cela… fonctionne ?
Il y a des attributs à la naissance, inscrits dans notre patrimoine génétique qui n’attendent que de se montrer au grand jour et d’avoir l’opportunité de démontrer l’ampleur de leurs particularités exceptionnelles. Elle a remarqué que dans le Royaume partout se réveillent des êtres extraordinaires, dont les capacités sont toutes différentes et inexplicables. Certains dons peuvent paraître inutiles ou faibles en apparence, mais le travail et la maîtrise du pouvoir peuvent dans un domaine exprimer tout leur potentiel. Pour une femme si sûre d’elle et d’un âge fleurissant, Cassandra fait face à la contradiction de ne pas avoir découvert son caractère unique. Elle doute d’être en contact avec un monde secret, minuscule qui n’intéresse pas les humains. Serait-ce une forme de communication nouvelle ? Ou des messages envoyés au cœur de la nuit pour la prévenir d’un danger à venir, par une entité immense et surnaturelle se nichant dans des petits animaux fantastiques à travers des signes subtils ? Comment avouer parfois, penser traverser le réel dans des rêves bizarres qu’elle aime interpréter au réveil ? Elle ne s’applique pas ses conseils à elle-même et continue de cacher ses dilemmes philosophiques à son entourage. Elle se rappelle du nom d’un médecin transmis par la Reine Rentmyrth il y a plusieurs mois. Peut-être devrait-elle songer à retrouver le papier sur lequel il est noté, pour approfondir par la discussion le contenu de ses rêveries et les contrôler par l’intermédiaire d’un remède approprié.
Elle ne connaît pas du tout la nouvelle capitaine du Village Perché mais, malgré de manière assez grossière, l’espace immense séparant leur deux personnalités, Cassandra ne peut s’empêcher de sourire pendant leur conversation. Elle lui transmet un filet de joie nouveau, qu’elle semble avoir perdu en partie depuis qu’elle travaille au Palais, car elle est trop préoccupée par ses dossiers s’accumulant sur son bureau, et elle oublie de faire attention aux personnes derrière la fonction. Qu’une personne extérieure, complètement éloignée de son réseau et de son champ professionnel, accède à un entretien fermé avec elle, lui fait sentir toute la distance mise en place dans ses relations de bureau. Actuellement, elle s’est laissée avoir par la folie de la pro-activité, action-réaction, toujours être en action, le crédo des gens ambitieux et perfectionnistes, et cette femme d’un autre milieu, lève d’un seul coup les barrages coupant le flux dense au courant agité de l’innovation.
Jetant un œil à un dossier tout pile entre elles deux, placé au-dessus de la pile des affaires récentes à traiter, et un autre dossier crucial, celui des recrutements en attente de validation, elle en vient à lui demander ce qu’elle pense des entreprises terroristes qui ont blessé la famille Royale.
- Si travailler avec d’autres services de protection vous intéresse, je réfléchis à déployer des moyens plus conséquents dans la protection des personnages publics du Palais et dans l’espionnage pour savoir d’où viennent les fuites qui ont permis à des individus isolés d’atteindre la Reine. Il en va de la sécurité de la Couronne, qui est menacée.
- Je vous garde plus longtemps que prévu, je m’en excuse, peut-être avez-vous d’autres rencontres dans votre agenda, venant de votre contrée lointaine dans la Capitale ? Pardonnez mon impolitesse, je vais appeler le service approprié pour nous apporter la boisson que vous souhaitez.
Cassandra a déjà décroché son bipeur privé pour alerter le premier hôte disponible dans l’instant pour étancher leur soif dû à un débit trop abondant de paroles fructueuses. Le passage intéressant créé dans les entrailles de l’argent facile et distrayant lui a donné l’idée d’employer du personnel aussi qualifié que dans les établissements de luxe de la Capitale.
Elle est bien obligée d'accepter ses propos pour ce qu'ils sont, et la réalité qui va avec : la grande dame qui l'a accueillie dans son bureau approuve son existence et son travail. Et même, elle l'encourage. Java passe la main dans sa nuque et détourne le regard, submergée par des émotions qu'elle ne montre que rarement. Elle bredouille quelques « Hm » et autres « Ouais » … Jusqu'à ce que la conversation change drastiquement.
Expliquer comment fonctionne son pouvoir. C'est pas dur, ça. Elle a l'habitude de revenir sur le sujet dès qu'elle doit travailler avec une nouvelle personne. Son visage change du tout au tout, et elle s'éclaircit la gorge avant de se lancer dans ses explications.
▬ Hem, pour commencer par les bases, j'suis capable d'invoquer des copies de moi quand j'canalise mon énergie magique. Pour finaliser l'invocation, j'dois poser une main à plat sur une surface un p'tit moment, et pouf ! Ca fait une Java, ou deux, ou six. Six maximum, parce qu'elles puisent dans mon énergie directement pour exister. Elles ont une durée de vie limitée, et elles disparaissent si elles meurent ou quand elles ont accompli leur objectif. Et faut que je décide de l'objectif avant de les invoquer, sinon ça marche pas. J'récupère leurs souvenirs quand elles s'en vont.
Ca, c'est les bases. Mais Java sait bien qu'il faut donner quelques exemples à ceux qui ne l'ont jamais vue en action, ou qui ont du mal à visualiser l'éventail des possibilités qui s'ouvre à quelqu'un qui peut devenir plusieurs.
▬ C'est pratique pour être à plusieurs endroits à la fois, ou pour les travaux qui demandent un p'tit peu plus de main d’œuvre que c'qu'on arrive à trouver. Et tant que je suis en forme, les clones sont en forme, donc motivées et efficaces ! J'ai eu quelques petits... soucis, par le passé, avec ça, mais c'est fini maint'nant. Je crois ? Enfin, j'vais mieux.
Elle se mord la langue pour s'arrêter de parler. Qu'est-ce qui lui prend, de ramener le sujet qui fâche sur le tapis ? La dame doit bien être au courant de son passé un peu compliqué dans la garde, et ça ne sert à rien de raviver un sujet qu'elle a enfin réussi à faire oublier.
La conversation suit son chemin, et elles passent à des sujets plus mondains. Java est surprise de ne pas être couverte de questions, mais elle se dit que la Ministre n'a peut-être pas le temps de s'intéresser à des choses comme ça – ou peut-être que c'est plus poli de pas poser toutes ses questions d'un coup ? Le lieutenant, en tout cas, ne se prive pas : encore plus maintenant que ça commence à parler protection royale et boissons au choix.
▬ Nan, j'ai rien d'autre de prévu, donc j'ai l'temps. On peut discuter de tout ce que vous voulez. Mais je veux bien boire la même chose que vous, si vous avez soif, bien entendu.
Elle aurait bien demandé un hydromel ou un jus de pomme, mais elle préférait jouer la carte de l'audace : d'abord par curiosité envers son interlocutrice, ensuite parce qu'elle n'avait aucune idée de ce qui était poli de demander au palais. Ce serait quand même dommage de passer pour un jambon à cause d'un verre.
▬ J'suis pas - encore ? - habilitée à siéger à l'Etat-Major, et encore moins à parler des espions, mais j'peux déjà vous donner mon avis sur quelques mesures de sécurités. Avec mon pouvoir, j'ai forcément un peu d'expérience en escortes et en sécurité civile... Et c'est des mesures que j'vais probablement devoir aider à mettre en place au Village Perché l'an prochain, donc autant qu'on en parle maintenant, pas vrai ?
Java croise une jambe sur son genou et s'accoude dessus en fixant Cassandra, alors qu'une réflexion fait son chemin dans sa tête. C'était bien la première personne du palais à lui accorder autant d'attention – mais contrairement à ce qu'elle imaginait, ce n'était pas si déplaisant de se laisser entraîner par la conversation. Elle croise discrètement deux doigts en faisant le souhait qu'elle ne soit pas la seule à avoir du temps libre, et en profite pour prolonger la discussion.
▬ Les différentes divisions des Belluaires travaillent en symbiose pour assurer une protection optimale de la forêt. Ma division, celle que Magnus m'a confiée, s'occupe de patrouiller le périmètre et d'intervenir là où y a besoin. Et on a toute une autre division de spécialistes de la communication pour fluidifier tout ça, et transmettre les infos qu'il faut, là où il faut, à qui il faut. En symbiose. Comme toutes les garnisons de la garde civile.
Elle trace des formes sur le bord du bureau de Cassandra en parlant, comme pour illustrer ses propos, mais c'est surtout pour ne pas oublier la suite de ses paroles.
▬ Le plus rentable pour tous serait d'investir dans une forme « d'échanges de gardes » entre les régiments et la Royale, si j'ai bien compris ? Quelque chose qui permettrait à des éléments compétents de partager leur savoir et de gagner de l'expérience... Enfin, moi j'imagine ça comme ça, mais j'pense que les capichefs auront d'meilleures idées, nan ? Ou les gens comme vous, qui parlent bien. Vous aviez quelque chose en tête de précis, d'ailleurs ?
- Il est rare de rencontrer des soldats magiciens ayant autant excellé dans leur domaine. Vous pouvez vous rassurer, si vous avez dû traverser des épreuves, vous méritez à présent les récoltes de vos efforts. Je ne suis pas étonnée, qu’en plus de votre formation auprès de l’ancien capitaine, votre pouvoir intéresse le ministre des armées. Il représente un atout supplémentaire pour notre armée au Village perché.
Cassandra essaie d’imiter le mouvement de la main de Java Anggun mais il ne se passe rien. Elle sourit, elle a fait une tentative pour l’amusement mais aussi parce qu’elle est épatée par la connaissance que cette femme a d’elle-même sans qu’elle s’en rende compte.
- Si vous avez rencontré un souci dont vous n’arrivez pas à vous défaire en lien avec votre technique de clonage, je peux peut-être vous apporter mon aide ? Si cela peut correspondre à mes compétences.
La ministre devine que pour entretenir cette force, se revigorer et ne pas terminer épuisée pendant des heures, la jeune femme a sans doute besoin de sources d’énergie équilibrées et protéiformes. Cassandra se lève pour ouvrir un placard à côté de son bureau qui est une réserve merveilleuse de petits goûters et petits-déjeuner et en-cas du soir. Au départ, elle s’apprêtait à ne sortir qu’un flacon d’une boisson sucrée doucement alcoolisée, qu’elle n’a pas eu l’occasion d’ouvrir depuis qu’elle lui a été offerte par un admirateur de sa figure politique. Elle a pensé que leur conversation prêtait à un accompagnement mature mais légèrement féminin par sa couleur rose foncée et son odeur de groseilles. Tout en préparant deux calices transparents, nouvelle modernité trouvée sur les marchés d’antiquité de la Capitale, elle écoute Java attentivement. Quand l’ancien redevient tendance par des manipulations revisitées, cet objet est un verre formé dans de l’eau de mer. Elle espère que la nouvelle capitaine appréciera le style des coupes, et la boisson qu’il y a l’intérieur, certainement. Elle les installe sur un plateau mais revient vers sa réserve pour aller chercher des fruits séchés et des biscuits salés.
- Je sais que cela ressemble normalement à un entretien professionnel mais j’aimerais vous faire goûter ce délice sucré et ces gâteaux. J’espère que cela vous plaira !, explique Cassandra aimable, en désignant les deux bols remplis de choses à grignoter. C’est parfait quand on est en train de parler entre personnes convenables.
Cassandra ne sait pas pourquoi depuis qu’elle a fait ce rêve cette nuit, dont le souvenir lui est revenu en croisant le regard de Java à l’entrée dans son bureau, elle est persuadée qu’il faut lui faire goûter cette carafe de vin épicé. Ainsi, tout en discutant de la sécurité du village perché et des membres de la royauté qui peuvent y vivre ou y séjourner, les deux femmes entament leur boisson. La saveur sage et sucrée détend le visage de Cassandra, qui s’est beaucoup concentrée depuis le début de la journée. Elle déguste en plusieurs petites gorgées son verre et se permet d’associer son goût avec un gâteau pour que Java ne se sente surtout pas gênée de la situation. C’est une coutume qui peut revenir aux origines nobles de Cassandra. Sans qu’elle réalise, elle donne le rythme à leur échange. Mais Java Anggun avec son caractère et ses connaissances de la garde du Village Perché apporte beaucoup de connaissances et d’historiques à Cassandra. Elle est celle qui peut renouveler les idées à développer sur la mise en place de bataillons de sécurité autour des personnes très importantes protégées par la Couronne dans cette région.
- En fait, vous nous proposez de nous confier votre savoir par l’intermédiaire de soldats expérimentés qui pourraient former les nouveaux éléments recrutés à leur arrivée ? Je vais soumettre cette idée au ministère des armées. Je pourrais revenir vers vous si ce projet peut concrètement se mettre en place. Bien sûr, les formateurs qui se déplaceront jusqu’à la capitale, ou ailleurs, pour nous aider, seront rémunérés. Nous pourrons prévoir une somme de cristaux et des objets en récompense. C’est à réfléchir en fonction du budget disponible au sein du ministère.
Le verre de Cassandra reste à présent posé sur la table. Elle est occupée, ses pensées fonctionnant à toute vitesse, elle calcule les pour et les contre à toutes les propositions qu’elles partagent pendant cet entretien. En mangeant un autre fruit, des images de sa téléportation lui reviennent en mémoire et la travaillent. Elle souffle et en vient à évoquer succinctement cette histoire à la capitaine.
- Dame du Lys et moi-même avons décidé de ne pas raconter à qui veut l’entendre l’attaque que nous avons subie, dont l’auteur est un sorcier inconnu,... mais nous avons été marquées par cet accident. Nous faisons attention quand nos sortons ou nous déplaçons à ne jamais rester seules. Je sais qu’en tant que ministres, nous sommes prioritairement des cibles de par nos fonctions et notre renom. Aujourd’hui, j’ai néanmoins encore plus peur qu’avant, car je pense que cet homme n’en est qu’à son premier coup d’essai et qu’il n’hésitera pas, lui ou un de ses sbires, à recommencer et à échafauder un nouveau plan pour nous atteindre. Vous êtes maintenant au courant et j’espère compter sur votre discrétion et vos conseils pour constituer la meilleure garde possible pour le personnel officiel de l’aile ministérielle, car outre la royauté, nous sommes aussi visés...
Les mains de Cassandra bougent sur ses cuisses. Elle les cache sous le bureau et Java Anggun ne peut les voir. L’angoisse ne se noue pas dans son ventre en faisant le chemin quotidien de ses appartements au Palais, comme c’était le cas les premiers jours après le transfert de son corps dans un lieu découvert et étranger. Heureusement, Haru Du Lys et Cassandra Heydell, ont pu ce jour-là se révéler résistantes et s’encourager dans cette aventure imprévisible. En se rappelant les faits, ses doigts ne peuvent toutefois pas rester impassibles et ils gigotent sur le tissu de sa robe.
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