Une rafale de vent fit brusquement claquer la lourde cape de laine grise dans le dos de Frey, qui par réflexe resserra sur lui-même le col de fourrure qui protégeait son cou du froid. Frissonnant un instant, son habitude du vent et des montagnes lui indiqua qu'un changement était à l’œuvre. Tel un chien reniflant l'orage dans l'air, l'homme releva légèrement la tête et huma un instant l'atmosphère pure des hauteurs, excité. Depuis plusieurs semaines désormais on pouvait sentir le lent refroidissement de la saison qui menait aux frimas glacés de l'hiver et aujourd'hui particulièrement il semblait que le ciel se fasse capricieux et indécis, prêt à se dégrader à tout moment. Son cœur battit un peu plus rapidement et il se remit en route, sur des traces encore fraîches que la brise n'avait pas eu le temps d'effacer, grisé par la perspective de devoir jouer contre la météo elle-même.
Voilà bien une quarantaine de minutes qu'il avait repris forme humaine maintenant, ayant profité du couvert encaissé des montagnes et de la palette de gris, de blancs et de bleus pâles pour laisser libre cours à cette ivresse insouciante et secrète qu'il contenait ordinairement en lui. Ces moments où il se transformait étaient sans comparaison possible, un extrait d'essence de liberté où il était plus rapide, plus fort, plus agile. Insoumis aux entraves de la gravité, il filait dans ventre à terre entre les arbres, frôlait l'arrête rocheuse des cimes pour faire s'envoler la neige et poursuivait les chats sauvages outragés jusque sur leur territoire de chasse. Il n'y avait pas d'autre but, alors, que de devenir le vent lui-même et de se laisser porter par la courbe de la terre.
Inarrêtable, il avait pourtant dévié sa course folle lorsqu'un détail avait fini par attirer son attention. Plus loin en bas, sur l'immaculé aux nuances de lumière, une cicatrice balafrait la blanche couverture, tracée par une petite silhouette humanoïde. Une seconde, l'esprit insatiable de jeu et de curiosité avait manqué de pousser le Vif jusqu'à la rencontre de cet inconnu, étonné de trouver un signe d'activité de ce côté-ci. Le territoire des hommes n'était pas si éloigné que ça - mais qu'est-ce qui était loin pour un dragon à même de franchir un terrain aussi difficile sans même poser le pied pat terre ? - et la bête, connaissant avec certitude la géographie des environs, cherchait une logique qui lui manquait, pressentant cette présence comme une intrusion.
Il avait observé ainsi pendant une vingtaine de minutes, son corps ondulant le long des cimes en frôlant la neige, s'y dissimulant parfois, se laissant entrapercevoir de temps en temps. Il y avait, toujours, une part de méfiance face au non connu, contrebalancée par l'indécrottable insouciance propre aux mists. S'il avait pensé à un chasseur, il en avait rapidement écarté l'idée. Il avait beau être trop loin pour détailler exactement l'inconnu, il percevait à ses hésitations et sa façon de se déplacer que ce n'était pas le cas. Au bout d'un moment, le Vif s'était lassé de cette observation et il avait décidé de rebrousser chemin. Allant retrouver la petite cache protégée du vent où il avait posé ses affaires le temps de son escapade, il s'était prestement rhabillé, assailli par le froid dès les premières secondes où sa fourrure avait laissé place à la peau vulnérable.
Et voilà que depuis presque trois quart d'heure maintenant il avait coupé à travers un raccourci pour retomber sur les traces de la silhouette qu'il avait aperçue pour essayer de la rattraper. Ayant avec lui une expérience habile du terrain, il finit par l'avoir en vue au bout d'un moment. Légèrement essoufflé, il prit un instant pour aviser les environs. Habillé de vêtements chauds surlignés d'un col en fourrure et d'une cape de laine épaisse, un arc était accroché dans son dos, emmailloté dans une bande de cuir pour le protéger, et on pouvait apercevoir le fourreau d'une épée courte à sa ceinture, en plus d'un barda de voyage relativement léger. Découvrant son capuchon pour paraître moins inquiétant, Frey avait des cheveux courts et blancs, une peau mate et on pouvait deviner avec un peu d'attention, montant jusqu'au menton et sous l'arrête de sa mâchoire, les traits blancs presque scintillants du tatouage en poussière de cristal qui recouvrait le reste de son corps.
Il ne cherchait pas à se dissimuler ni à inquiéter, la courte traque effectuée lui ayant révélée dans les traces de pas de son prédécesseur un quelque chose qu'il devinait comme presque hasardeux. Que cherchait-il ? Quelque chose ? Quelqu'un ?
Un nuage de buée se forma sous le souffle profond que laissa échapper Frey pour finir de maîtriser sa respiration. Il continua d'avancer tranquillement, faisant assez crisser la neige pour finir par se faire entendre. Non loin de lui, c'était un humain. Un homme, qu'il détailla sans insistance pour jauger de ce qu'il avait devant lui.
Légèrement rauque il n'avait pas adressé la parole à quelqu'un depuis trois jours, ce qui paraissait en cet instant une éternité, mais on sentait une pointe d'intérêt, un enthousiasme latent.
Il laissa toutefois une distance respectable entre eux, pour ne pas inquiéter.
Et puis... On ne savait jamais.
Eh bien, à vrai dire, absolument tout justement. Écoutant sa passion plus que sa raison, l'enchanteur a décidé de s'y aventurer pour faire un petit inventaire des plantes et racines locales, voir ce qui pourrait lui être utile. Certes les herbiers existent, mais il avait envie de faire cela de lui même, de s'assurer de ne pas passer à coté de quelque chose d'important. Pensant partir pour la journée, il avait simplement préparé ses vêtements chauds, quelques rations, de l'eau, et des besaces pour prendre ses notes, faire un peu de feu et surtout ranger ses trouvailles. Rien qui ne l'avait préparé à passer plus de quelques heures dans la fraiche matinée et après midi. Hélas pour lui, comme c'était fortement prévisible -mais il avait préféré ignorer les signes-, partant dans la précipitation de l'excitation, l'innocence du touriste... Il avait oublié que si les chasseurs se repèrent facilement car ils connaissent la faune, la flore et les lieux, ce n'était absolument pas le cas pour lui.
Les premières heures de cette petite balade champêtre furent donc tout ce qu'il y'a de plus agréable pour Almassar. Récupérant des plants et des spécimens qu'il range, il vient ainsi noter ses trouvailles et ses découvertes, les comparant à un petit ouvrage botanique régional. Puis, une fois le sac plein et le sentiment du travail accompli, la vérité tout aussi froide que le vent s'est abattu sur lui, quand il s'est rendu compte qu'il ne savait retrouver son chemin, et qu'en essayant de rebrousser sur ses pas, il s'était tout simplement perdu au milieu de la forêt. Et plus il tentait de se localiser et de retracer son chemin, plus il se perdait.
-"Comment j'ai pu être aussi con moi ?"
Est la seule question qui arrive à passer ses lèvres. En cet instant précis il le pense sincèrement tandis que ses actions lui retombent dessus avec toute la force du destin. Il est perdu, dans une forêt inconnue, sans savoir comment retrouver son chemin. Obligé d'espérer arriver à retrouver ses pas ou qu'un chasseur lui tombe dessus par chance, pas réellement la chose la plus probable selon l'enchanteur qui comprends qu'il devra se débrouiller seul, espérant retrouver la civilisation sans trop de heurts.
Enfin, c'est ce qu'il se disait avant que trois, quatre heures passent dans cet enfer blanchâtre et inconnu du touriste. Les arbres se ressemblent tous, et la mousse gelée a exactement la même texture qu'importe où elle se trouve. Autant dire qu'Almassar est totalement perdu, se guidant comme il peut. Il n'a hélas pas eut de cours d'orientation en milieu naturel, et il est obligé de découvrir cela de lui même, de la plus douloureuse des façons. Heureusement pour lui que la forêt est proche de la Forteresse, ce serait quoi sinon ? Exactement la même chose, car oui, on peut être à dix kilomètres comme deux cents de la civilisation, si vous ne savez pas la retrouver... Elle vous est inaccessible.
Mais finalement par un coup de chance -ou de malchance-, l'enchanteur arrive après de longues heures en bordure de la forêt. C'est un premier bon point. Sous ses yeux se rependent des étendues blanchâtres... Et nul signe de la forteresse en visu. Soupirant de bonheur comme de lassitude, l'homme reprends sa marche. Les arbres au moins fournissaient une certaine protection contre le vent et les bouffées glacées, et Almassar sait qu'il lui faudra clairement une bonne boisson chaude une fois rentré, se servant de cela comme d'une source d'inspiration.
Ce qui le sort de ses rêveries de vin fumant au coin de la cheminée est un bruit derrière lui, de la neige qui se fait tasser. Ce n'est pas immédiatement reconnaissable, à cause du vent qui siffle sur la poudreuse, mais peu à peu l'homme s'en rend compte. Frottant ses gants entre eux, il arque un sourcil, espérant que ce ne soit pas un quelconque prédateur... Pivotant sur son axe il se rend compte que fort heureusement non, la personne face à lui semble être un humain tout ce qu'il y'a de plus normal. Enfin, normal si l'on retire sa voix rauque et son air qui n'est certes pas menaçant mais particulièrement prudent. Enfin, Almassar n'a pas grand chose à perdre après tout, étant déjà perdu. Essayant un sourire malgré le temps, il lève la main pour saluer le nouvel arrivant.
-"Bonjour à vous. Désolé de vous importuner mais vous connaissez les environs ? Je dois avouer être arrivé il y'a peu... Et m'être totalement perdu."
Bien sur que l'homme connait surement les environs, mais dans sa fatigue et cette inquiétude latent, les questions les plus idiotes se posent. Finalement, il reprend bien rapidement la parole.
-"Je voulais découvrir un peu plus la flore locale... En oubliant que même dans une forêt non loin de la Forteresse l'on pouvait se perdre."
Un léger rire vient finir sa phrase, lui même se rendant compte d'a quel point il a été idiot sur ce coup. Continuant de se frotter les mains il observe l'être face à lui, se demandant bien ce qu'il fait par la...
Il haussa les épaules. La fin de sa phrase sonna presque comme une interrogation ou une évidence. Difficile de jauger les gens sans les connaître et il est facile de se faire surprendre par les apparences dans un monde fait de magie, mais l'individu n'avait définitivement pas l'air d'un traqueur ou d'un chasseur du coin et de ce qu'il venait d'entendre, oui, on pouvait dire qu'il n'était pas à sa place ici.
Surtout la curiosité. L'autre avait l'air assez jeune et s'exprimait avec un langage qui dénotait visiblement d'une certaine éducation. On n'était jamais à l'abri d'un danger venant des autres quand on voyageait seul et il ne fallait jamais trop rapidement donner le crédit de l'innocence, d'autant plus dans des contrées où quelques heures suffisait à geler sans l'équipement adéquat. Néanmoins, l'instinct du chasseur le laissait confiant et ne remarquait rien qui puisse entraver la suite d'une discussion. Il poursuivit, un peu plus ouvert.
Il désigna, ce faisant, le sens opposé à la direction où ils allaient actuellement d'un geste du bras, laissant sa cape s'ouvrir quelques instants. Le vent souffla légèrement, comme pour répondre à cette remarque, faisant s'envoler une légère poudreuse sur le dessus des étendues blanches avant de retomber.
Le regard de Frey revint sur son vis à vis, se faisant un peu plus inquisiteur soudainement. L'homme avait l'air fatigué sans être épuisé, mais ce n'était pas évident de jauger ce genre de chose. Dans le froid du nord, n'importe qui pouvait avoir l'air au bout de sa vie après trente minutes dans la neige.
Sourcils froncés, les yeux verts détaillaient avec un regard presque sévère l'intégralité de ce qui était visible de l'équipement de son interlocuteur. Mentalement, Frey essayait d'estimer son indice de survie. La chose pouvait paraître grossière mais la bienséance venait après les nécessités dans les zones sauvages.
La phrase suivante de l'apparition est loin de le rassurer. Le traquer depuis un moment... Mais dans quel but, pour quelle raison ? Almassar ne sait réellement quoi penser de tout cela. L'être semble amical, et pourtant tout dans ses gestes et ses paroles prouve qu'il semble habitué à chasser, traquer. L'enchanteur aurait pour peu l'impression d'être une souris entre les pattes d'un chat joueur, et il n'aime définitivement pas cette sensation. Pour essayer de jauger le terrain, il vient reprendre.
-"Non je ne suis pas un chasseur... Je suis un enchanteur, arrivé dans la région il y'a a peine deux jours. Je voulais profiter de ma présence pour faire mon propre herbier et voir ce que je pouvais utiliser pour mes enchantements dans les environs."
Écoutant les propos de l'homme face à lui, l'enchanteur tente de s'assembler une carte mentale. Hélas, il ne connait pas assez les environs pour faire réellement sens des propos tenus par ce qui ressemble furieusement à un chasseur, ou du moins un prédateur. Son regard quitte quelques instants son nouveau compagnon pour observer les alentours, cherchant à marquer les crêtes dont il parle, sans succès. Finalement il revient scruter la personne face à lui plus longuement, sa propre tenue, son équipement. Même si il apprécie cette forme de compagnie et d'aide ainsi apportée, il reste prudent. Néanmoins il entame un pas vers lui, voyant que son vis à vis se montre plutôt ouvert à la conversation voir à lui apporter une forme d'aide.
-"Je confirme ce que vous dites. Plus jamais je ne pars dans de tels endroits sans avoir une carte un minimum fiable des alentours à utiliser. C'est loin d'être comme mon environnement natal, ici, rien ne vous aide à vous repérer. La neige recouvre tout, et efface presque tout ce qui pourrait servir de point de repère."
Puis vient la question fatidique. Il lui faut quelques secondes pour se pencher sérieusement dessus, se mordillant la lèvre. Il y réfléchit réellement, tentant de faire le point sur ses muscles endoloris, la fraicheur qui saisit sa peau sans complètement pénétrer dans ses muscles tant qu'il marche. Finalement, c'est surtout la fatigue qui vient l'ennuyer et l'assaillir. Hochant la tête, il répond enfin.
-"Je suis fatigué, mais je devrais encore pouvoir tenir. Disons que pour le moment, une bonne nuit de sommeil devrait être suffisante pour récupérer. Et un bon repas au coin du feu quand je serais rentré... Et je suis parti ce matin, donc... Au vu du soleil, ça doit bien faire quatre, cinq heures que je me suis perdu au moins ?"
Ainsi l'assumer fait un choc tout de même. C'est une sacrée période de temps... Et lui faisant aussi comprendre que la plus grande partie de la journée est derrière lui. Si un détour est à envisager, il n'est pas impossible qu'il ne puisse rentrer qu'une fois la nuit tombée, et encore, si l'homme l'aide. Finissant par prendre son courage à deux mains, il fait un nouveau pas vers lui, absolument pas menaçant... De toute façon, mis à part des besaces et un couteau, on ne peut pas dire qu'il porte grand chose de dangereux réellement.
-"Vous seriez disposé à m'aider à retrouver le chemin de la forteresse ou au moins m'expliquer où je dois aller pour arriver à destination ? Je sais bien qu'au rythme actuel, je serais encore dehors quand la nuit tombera... Et la, ça deviendra bien moins amusant pour moi."
Il aurait préféré éviter de déranger cet étrange inconnu mais... A vrai dire, l'enchanteur n'avait pas réellement le choix en cet instant précis, si il souhaitait s'en sortir rapidement et sans finir congelé sur pied.
Une précaution sous-jacente semblait s'être installée en filigrane entre les deux hommes, comportement quelque peu similaire à celui de deux bêtes rencontrant l'autre pour la première fois et que Frey ressentait presque instinctivement. Mais ça ne le mettait pas mal à l'aise, c'était une façon de faire qui lui était coutumière et qui faisait partie de ces choses qui restaient imprégnées en lui-même sous forme humaine, bien que moins marquées que sous forme de mist. Il n'avait plus jamais pu se défaire complètement de cet instinct qui vivait avec lui depuis trop d'années maintenant pour qu'il se souvienne encore de l'avant. Faisant un effort pour assimiler les informations fournies par son interlocuteur, Frey cessa de l'inspecter visuellement pour se concentrer sur le sens des mots, ressentant à nouveau avec force ce contraste entre ces trois derniers jours sans compagnie et la conversation abondante qui naissait ici. Une seconde, on aurait presque dit que son attention avait décroché, mais ça n'était pas le cas. Un mot plus qu'un autre avait attiré son attention : enchanteur et s'il l'avait laissé continuer, il y avait eu cet instant où son regard avait brillé d'un éclat différent. Rien, toutefois, qui ne paraisse malicieux ni malveillant, juste l'intérêt marqué de quelqu'un qui écoutait ce qu'on lui dit. Il n'avait pas non plus réagit plus que ça aux pas qu'avait fait l'enchanteur dans sa direction.
Dans tous les cas, Frey commençait à y voir plus clair dans les interrogations qu'il s'était posées. Les contours plus précis d'une situation qu'il comprenait se dégageaient dans son esprit. Finalement, il répondit à son vis à vis avec la franchise d'une évidence sincère mais un peu brute.
Une seconde de latence, ambigüe, où les mots ne sortirent pas avec la même fluidité que l'inconnu, où il y avait une hésitation qui ferait presque penser que le chasseur avait besoin de les ordonner avant de les laisser sortir. Il parlait d'un ton calme, doucement et un peu soucieux, l'excitation initiale de la traque déjà presque disparue.
Sans compter les bêtes, le terrain possiblement accidenté, le fait que chaque roche ressemble à la précédente et que Frey avait la fâcheuse manie de parfois fonctionner sous l'angle de vue d'une personne capable de faire fi des obstacles aussi facilement que le vent.
S'avançant de quelques pas sans pour autant envahir l'enchanteur, il observa ses chausses, les pointant d'un geste du doigt.
Chiraki qui étaient en général peu agressifs, mais c'était la saison des amours depuis peu et il n'y avait rien de pire qu'un couple de ces bestioles prêt à vous saccager la face pour s'être un peu trop approchés de leur nid. C'était autre chose que de jouer au chat avec un rapace affolé, c'est sûr, mais c'était aussi une perspective autrement plus grisante dans le petit grain de folie qu'elle présentait.
Sur un ton moins imposant, Frey poursuivit en relevant son regard vers son nouveau compagnon, une expression un peu plus ouverte sur le visage que la presque remontrance qu'il venait de faire.
Ce qui faisait, quoi, facilement cinq heures de marche de plus ? Frey comptait large, mais il ne connaissait pas les capacités d'endurance de l'inconnu. Au final dans les montagnes, tout était question de préparation et de mental. Si on n'avait pas l'un, il fallait avoir l'autre, et si on manquait des deux, alors on était mort.
Mais, bienheureux de son ignorance, l'enchanteur écoute les conseils prodigués par ce nouveau compagnon d'infortune avec soin. Effectivement, il ne connait pas particulièrement bien la région et n'a donc aucune idée des vents qui peuvent soudainement souffler et apporter leurs sinistres présages. Un rire lui échappe néanmoins quand il parle de malhonnêteté. A vrai dire, il ne s'attendait pas forcément à faire d'amicale rencontre en un tel endroit, la présence de Frey est donc clairement quelque chose d'appréciable. Finalement, laissant l'homme s'approcher il hausse des épaules pour enfin reprendre la parole, avant d'être interrompu par une remarque à propos de sa tenue. Et il est tout aussi heureux que lui de cette dernière, car si il n'est pas un expert au moins ses achats lui auront bine été utiles. Hochant de nouveau la tête, il finit par enfin entrouvrir les lèvres pour répondre.
-"A vrai dire je ne pensais pas rencontrer quelqu'un, donc même quelques traits m'aidant à me guider est déjà plus que ce dont je pouvais espérer. Et je disais surtout cela pour ne pas avoir à vous déranger, vous avez peut être autre chose en tête que de devoir guider un inconnu au milieu de la neige et du givre car il a été trop téméraire pour penser à la carte avant de partir."
Nouveau rire qui échappe ses lèvres. Si il n'ignore rien de la gravité de sa situation, il ne peut s'empêcher de blaguer un peu à propos de cette dernière, frottant ses gants pour tenter de réchauffer un peu ses mains. Même si il ne possède encore nulle engelure, c'est clairement pas la chose la plus agréable au monde cette sensation de froid qui s'infiltre peu à peu, surtout désormais qu'il ne marche plus. Se rendant compte de cela, il effectue quelques pas, histoire de faire revenir la circulation dans ses membres presque engourdis. Et finalement il comprends que le traqueur veut réellement le raccompagner et son sourire comme son regard s'illumine un peu plus, heureux d'enfin ne pas finir ce trajet seul... Et au moins s'assurer de le finir, avec, cerise sur le gâteau, surement ses doigts encore entiers.
-"Pour l'instant je sens encore tout. Pas forcément dans les conditions les plus optimales avec le froid, mais je suis a peu près certain de n'avoir aucune engelure. Et pour le temps de retour, l'idée de pouvoir profiter d'un feu chaud est plus que suffisant pour obtenir l'énergie nécéssaire à la marche qui nous attends. En tout cas, je vous remercie de bien vouloir m'aider. Plus jamais je fais une telle bêtise, j'aurais du me douter des dangers de la montagne, même proche de la Forteresse."
Tapant un peu des pieds au sol pour finir de s'agiter et laisser la circulation revenir dans ses jambes, il s'approche lentement du chasseur, ou du moins ce qu'il présume en être un. Rien dans ses gestes sont menaçants, et quand il ne vient pas frotter ses mains elles sont glissées dans les poches de son manteau pour conserver un peu de chaleur. Toujours légèrement sur ses gardes, mais ses craintes fondant peu à peu comme neige au soleil, il reprends la parole d'une voix plus ouverte, amicale.
-"Au fait, je m'appelle Almassar, enchanté. Je ne viens pas d'ici mais j'aimerais rester un moment si jamais la région est intéressante, je suis sur d'avoir beaucoup à apprendre de ces cimes, surtout pour mon art."
Après tout, si cette petite expédition était catastrophique de part sa préparation aux fraises, le but reste le même. Trouver des choses qui pourraient lui servir. Et tout en finissant de parler il redresse le regard vers l'homme, attendant ses consignes. Après tout, c'est lui qui semble savoir comment les guider au milieu de tout cela...
Écoutant attentivement, Frey ne s'embarrassa pourtant pas d'une fanfare de mots pour répondre à sa suite. Même s'il n'avait pas forcément rebondit dessus il avait retenu plusieurs choses intéressantes dans le discours de son interlocuteur.
Un assentiment renforcé par un léger hochement de tête, sans qu'il ne soit forcément évident de savoir à quoi faisait exactement référence Frey. Il avait laissé Almassar s'approcher sans réellement se soucier de la distance entre eux désormais. Même s'il n'était pas sous forme de mist, il possédait une certaine confiance en son instinct et les choses du danger. Oh, il n'ignorait pas comme les humains pouvaient être trompeurs, mais il était sur son territoire et la simplicité amicale qui se dégageait de l'enchanteur aidait probablement beaucoup à dissiper ce qu'il pouvait rester de méfiance naturelle. À vrai dire, c'était surtout son rire qui laissait Frey presque confus. Là où le ranger voyait la situation sous la gravité de ce qui aurait pu se passer, son vis à vis semblait faire preuve d'un engouement optimiste au travers de cette rencontre fortuite. Quelque part... Hé, quelque part cet humain avait raison, et le coin des yeux de Frey se plissa légèrement, comme à l'amorce d'un sourire.
Il allait comme pour rajouter quelque chose mais fronça un instant les sourcils et se ravisa. Ayant observé le manège d'Almassar pour se réchauffer, Frey l'intima d'un geste bienveillant de la main à reprendre la marche. Restant à une distance de deux mètres de lui, il n'allait pas trop vite pour le moment, à une allure tranquille, afin de permettre la conversation tout en laissant les corps se réchauffer. Passant totalement à côté de l'évidence qui aurait voulu qu'il se présente également, la curiosité commençait à pointer le bout de son nez dans l'esprit du chasseur.
Cette recommandation était peut-être, au final, la plus important de toutes et il fallait espérer qu'elle ne tombe pas dans l'oreille d'un sourd. Mais il la balaya bien vite, enchainant les mots avec une aise un peu plus marquée maintenant qu'il se dérouillait.
Parfois, il y avait en Frey un mélange entre la curiosité, l'agacement et la bienveillance qui survenait majoritairement quand il était sous forme animale. Dans ces moments-là il avait l'intuition de faire partie de la forêt ou de la montagne qu'il parcourait, et les voyageurs isolés, observés de là-haut, lui faisaient un peu l'impression d'être sous sa protection. Les guider n'était pas tant un devoir mais plus une sorte d'ordre des choses, une manière aussi de s'assurer que des gens n'envoient pas des expéditions déranger la quiétude sauvage pour retrouver un cadavre. C'était une façon de faire capricieuse, qui pouvait donner mais aussi prendre et elle venait avec sa facette plus sombre. Il était déjà arrivé, à contrario, que Frey ne décide d'aiguiller des personnes - en général mal intentionnées - sur un chemin mortel. C'était rare, très rare, mais c'était déjà arrivé. Tant mieux pour elles si elles survivaient, et tant pis autrement.
-"Alors justement, j'ai trouvé des herbiers de la région mais plus que de simplement me baser sur ce que je pouvais trouver, j'ai préféré chercher de moi même. Déjà car j'aurais pu faire d'heureuses découvertes, et surtout car si j'ai un jour besoin de ces produits, je les aurais. Je compte bien les stocker dès notre retour comme il se doit."
Une respiration, une seconde pour souffler. Quand il est lancé, l'enchanteur s'arrête rarement. Son sourire s'agrandit alors qu'il finit par glisser une nouvelle fois ses mains dans ses poches, assez réchauffées pour laisser les protections thermiques fournies par la fourrure et le cuir faire leur travail.
-"En effet je ne ferais plus cette erreur tant que je ne serais pas expérimenté de la région et que je ne saurais me situer correctement. J'ai de la chance de vous avoir croisé, je doute que cela ne se reproduise. Autant éviter de tenter le destin et d'être retrouvé congelé par un chasseur un matin."
Suivant les indications de Frey sans même connaître son nom, il vient s'avancer en suivant le chemin qu'il lui montre. Son regard se pose à gauche et à droite, sur cette grande étendue blanche. Impossible de se repérer la dedans, et il est bien curieux de comment fait l'homme pour se situer au milieu de tout cela. Réprimant l'envie de se mordiller sa lèvre -après tout il n'est même pas sur de le sentir si il se mord au sang-, il hoche en répondant à cette offre des plus généreuse.
-"C'est gentil à vous de me proposer cela et je dois dire que pour le moment je vais bien de ce coté. Je dis pas que je n'en aurais pas besoin avant le retour par contre, surtout avec quelques heures de marche supplémentaire dans les jambes. Mais je me posais une question... Comment faites-vous pour vous y retrouver ? Je n'ai l'impression qu'il n'y a aucun repère utilisable, je suis donc curieux de votre méthode."
De la curiosité, toujours de la curiosité. L'enchanteur n'est composé que de cela. Portant les mains à l'une de ses besaces, il ne peut s'empêcher de l'ouvrir pour pouvoir récupérer quelques plantes qu'il a trouvé au milieu de la forêt. Beaucoup de choses classiques, rien de très surprenant. Un peu d'écorce d'un arbre aux capacités prétendument magique... A défaut de pouvoir se retrouver, au moins sa cueillette se sera révélée efficace. Et le traqueur pourra rapidement deviner aux plantes qu'il reconnait que presque tout est utilisé soit en alchimie soit en enchantement pour divers produits. Eh oui, après tout, on ne se refait pas... Même au milieu des plaines enneigées et des cimes éternelles.
De plus en plus il y avait une part de l'enchanteur qui éveillait l'attention de Frey. Ce côté presque insouciant, prêt à rire même de sa mésaventure, fut-elle possiblement mortelle. Il cherchait dans sa réaction les traces subtiles d'une inquiétude mais ne trouvait, à la place, que cette saisissante bonne humeur optimiste, du moins dans ce que le laissaient entrapercevoir les apparences, et ç'avait un quelque chose d'étrangement... Vivifiant ? Ses escapades sauvages dans la nature l'amenaient à dévaler les pentes pour provoquer des écoulements de neige, à poursuivre les biches effarouchées et à danser avec le vent mais jamais aucune de ces choses, hélas, ne riait spontanément face à l'infortune. Frey avait dans le sang un goût certain pour l'espièglerie - parfois la provocation - bien plus démonstratif quand il n'était pas cloué au sol, et rire avait tendance à amener un peu d'une fraîcheur qui ne manquait pas de l'attirer comme un aimant. Almassar, soudain, commençait à lui apparaître tel une distraction plus que bienvenue, un tue-l'ennui trouvé par hasard au milieu des montagnes. Alors lorsqu'il commença à sortir une poignée de plantes et de questions, imperceptiblement les oreilles effilées du voyageur se redressèrent, marqueur d'une attention plus pointue, tandis que son regard parcourut en silence ce qu'il discernait entre les doigts de l'enchanteur.
Il tapota un instant sa tempe avec toujours cette amorce de sourire. Pourtant, Almassar pointait là quelque chose de plus compliqué qu'il n'y paraîssait. Il y avait une dissonance entre sa vision - et celle des gens en général - et la sienne. Une différence dont avait parfaitement conscience Frey mais qui l'exaspérait, celle d'une dimension supplémentaire lui offrant la perspective éclairée d'un point de vue en altitude. Pourtant, il ne pouvait pas dire ça, alors il cherchait, le visage à demi plissé dans une moue d'intense réflexion. Visiblement, il n'était pas satisfait du résultat et on pourrait croire une seconde qu'il allait s'arrêter là. Il enchaîna néanmoins, quelque part heureux de partager ce qu'il savait.
Désignant d'un geste la crête d'un pic à peine visible dans le lointain, il poursuivit.
Enthousiaste, ses pensées commençaient à s'agiter. Déjà, il ne s'était même pas rendu compte qu'il venait de tutoyer Almassar, ç'avait été formulé d'une manière très naturelle.
Fixant les environs avec conviction, le souffle glacé se faisait paresseux par moments, plus vif à d'autres. Attentif aux formes que prenaient les amoncellements de nuages au loin, il estima que ça ne s'était pas dégradé depuis qu'il s'était lancé sur la piste de l'enchanteur.
Aussi vite que s'il avait oublié ce qu'il disait, il reporta alors son regard sur les trouvailles de son nouveau compagnon, désignant la chose du menton.
Un herbier, il l'avait dit. Mais cette question regroupait un tas d'interrogations silencieuses qui restaient en suspens.
Si l'enchanteur commence par arquer un sourcil, bien rapidement finalement il commence à hocher du chef. Analyser chaque détail, comprendre les... Échanges de la nature ? Il parle de comprendre la météo pour essayer de saisir où la neige tombe et quels détails seront ainsi camouflés à l’œil ? Peut être Almassar n'a-il rien compris, mais sur l'instant cela fait sens. Juste qu'il se sent particulièrement démuni pour réaliser une telle tâche. Car en cet instant, ses pupilles marron ont beau tenter de scanner les alentours, il ne voit rien d'utile. De légères protubérances s'arrachant difficilement du manteau de neige, mais absolument rien de reconnaissable pour son œil néophyte. Mais finalement, de cette explication dont il ne peut en appliquer la trame sort quelques éléments utilisables, faisant briller son regard d'une lueur curieuse.
-"Des bâtons rouges ? Si jamais je viens à me perdre de nouveau j'essayerais de les repérer alors, ils mèneront forcément quelque part... Pour le vent et les cimes, je retiens vos précieux conseils mais je vous avoue n'avoir ni l'oreille ni l’œil assez habitués aux lieux encore pour arriver à m'en servir pour me localiser. Mais je vais tenter de m'entrainer pour éviter de me perdre de nouveau aussi aisément."
Almassar continue d'essayer, d'affuter son regard. Mais le don qu'essaye de lui enseigner le traqueur n'est pas de ceux que l'on obtient en quelques instants, il faut un temps certain pour maîtriser de telles arcanes, et surtout connaître le terrain. Des mois voir des années sont nécessaires, et hélas l'enchanteur ne les a pas. Continuant de marcher tout portant de nouveau son regard à ses trouvailles, avant d'être interrompu de nouveau par son guide. Il sourit et prends une grande inspiration pour lui répondre plus en détail.
-"Donc ! Comme je vous l'ai dis je cherche à faire un herbier. Mais pour être plus exhaustif, une partie servira surement à faire des tests d'alchimie, si ils se montrent efficaces. D'autres encore risquent de finir en produits d'enchantement, que ce soit de base pour faire des teintures ou des produits spéciaux, voir encore servir d'ingrédients directement. Et enfin, je ne désespère pas faire l'acquisition d'un Sépare-Tout pour pouvoir faire de la poudre d'éléments et de minéraux que je pourrais ainsi user et combiner au besoin. Beaucoup d'applications, en somme."
Quelques secondes de silence... Puis il reprend. Lancé comme il l'est, c'est fini. Il ne s'arrêtera pas avant un bon moment.
-"C'est justement pour ça que je suis venu à la Forteresse et que j'espère pouvoir ensuite continuer mon voyage et trouver des contrats en tant qu'itinérant. Je veux explorer le monde, tant pour découvrir ce que je pourrais enchanter ou user pour être utile que récupérer de moi même les ingrédients les plus importants et difficiles. Je n'ai pas envie d'être de ceux qui passent une commande et attendent qu'on leur livre cela au pas de leur porte. Certes, je comprends la sécurité et la tranquillité de la chose... Mais j'ai envie de plus, besoin de plus pour assouvir ma passion."
Enfin il s'arrête, se rendant compte qu'il a parlé un bon moment tout seul, porté par sa passion. Clignant des yeux ses joues rosissent légèrement de gêne pendant un instant, avant de disparaître, assumant clairement ce qu'il est. Puis, avec un large sourire, il vient reprendre tout en continuant la marche, appréciant pouvoir discuter pour ne pas sentir la fatigue et les douleurs qui tissent lentement leur cocon sur ses muscles.
-"Mais désolé, je me suis emporté je crois... Et vous, que faites vous donc par ici? Vous disiez me suivre, mais que faites-vous dans la vie ? Chasseur, explorateur ? Forestier ? Je ne m'attendais vraiment pas à voir quelqu'un par ici..."
Frey tentait de suivre le fil qui reliait toutes ces idées mais fronça légèrement les sourcils à plus d'un endroit, comme s'il se heurtait presque à lui-même au cours des réflexions engendrées. Il y avait une logique sinueuse dans les intentions d'Almassar, une courbe qui s'approchait aussi vite qu'elle s'éloignait de ce que le voyageur pouvait lui-même comprendre au travers de son propre prisme. Par exemple : pourquoi utiliser un sépare tout pour faire de la poudre alors qu'un mortier et un pilon suffisaient ? Et pourtant, il y voyait un fil rouge parfaitement familier, quelques mots qu'il aurait presque pu dire lui-même et qui, selon lui, en disaient long sur son interlocuteur. Dans tous les cas, il avait l'air heureux de parler de ça, et il n'en fallait pas plus à Frey pour apprécier de s'intéresser à la chose. Il le laissa volontiers poursuivre, continuant de les guider dans la neige meuble avec aisance. Son épaisseur n'était pas si impressionnante que ça mais le vrai danger recelait dans ce qu'elle pouvait dissimuler. Roches, inégalités du terrain et autres obstacles divers pouvaient difficilement être détectés alors Frey restait attentif à ce que les subtiles variations du manteau blanc laissaient deviner.
Enfin, de but en blanc, Almassar l'interrogea sur sa propre présence ici. Un instant Frey fut troublé, laissant transparaître une expression pensive, comme si l'idée d'avoir besoin d'une raison était incongrue. Sans compter que les détails qu'avait donné Almassar lui rappelaient inévitablement ce qu'il avait connu autrefois, et si le chasseur n'était lui-même pas un enchanteur il n'était pas non plus étranger à certains mots du jargon de ces derniers.
Un moment passa, durant lequel on put se demander si la question avait été entendue et qui était dans les limites floues d'une attente un peu gênante. Pourtant, il n'y avait rien de tout cela et le silence n'était pas hostile.
C'était la deuxième fois que Frey prenait cet élément en référence. Ça n'était pas anodin, bien sûr, mais après une longue minute de réflexion c'était la meilleure analogie qu'il avait trouvée pour condenser toute une philosophie.
Il y avait un quelque chose de sincère dans la façon dont il le disait, difficile à cerner mais qui laissait deviner les contours d'un instinct plus vaste encore. Frey essayait d'exprimer une sensation, mais poser trop de mots dessus risquait de la rendre crue et dépouillée de profondeur alors il n'osait pas trop y toucher.
Le vent froid souffla un instant sur la courbe en pente qu'ils descendaient, faisant claquer brièvement leur capes. Frey resserra celle-ci et rabattit le lourd capuchon sur sa tête. Le frottement contre la pointe de ses oreilles le gênait un peu mais c'était un point important de déperdition de chaleur. Il n'évoquait pas souvent ces souvenirs mais le côté intimiste de cette situation isolée, ou peut-être l'enthousiasme d'Almassar, et le sujet abordé l'avait laissé en parler.
Voyant que le traqueur fait plus attention au terrain, le touriste préfère ranger ses trouvailles sur la route et se concentrer sur cette dernière, préférant éviter de marcher sur un caillou tranchant traitre et se blesser stupidement. Le retour devient un objectif tangible, il serait dommage de se faire mal si proche de l'arrivée. Bien sur il écoute toujours les propos de l'homme qu'il suit, et avec même plus d'intensité quand il l'entend ainsi parler avec une voix plus profonde, débordant de sincérité et d'émotion. Hochant doucement la tête, Almassar finit par répondre d'une voix plus douce et basse, empreinte d'une certaine solennité.
-"C'est quelqu'un que vous semblez considérer et apprécier énormément. Ce doit être enrichissant une vie ainsi faire de voyages, à écouter la nature et s'en servir pour faire ce que l'on souhaite et ce dont on a besoin. Je n'ai hélas pas la chance de maîtriser aussi bien les plantes, j'expérimente encore à leur sujet."
Le vent souffle avec plus d'intensité, toujours plus froid. L'enchanteur se niche dans ses vêtements de son mieux, mais cela est loin d'être suffisant. Grelottant un peu il prends sur lui, soufflant dans ses mains avant de les frotter. Avant tout voyage plus important, acheter des vêtements de meilleure qualité serait nécessaire. Heureusement que sa cape est plutôt efficace, et finalement il vient tout simplement s'enrouler dedans et se réchauffer en accélérant la cadence. Il profite de ce moment pour vérifier si il sent toujours ses membres et ne commence pas à développer de engelures comme le traqueur le lui avait demandé. Finissant par rejoindre ce dernier il hoche du chef, souriant légèrement malgré le froid.
-"Si jamais nous avons le temps, bien volontiers. Il faudra voir l'heure à laquelle nous arriverons à ces pousses persistantes. Je ne sais pas comment vous faites pour supporter si aisément un tel temps, même avec l'habitude."
Peu à peu le soleil continue de baisser au fur et à mesure que l'escarpement se rapproche. Les plaines blanches se teintent peu à peu du rosé habituel du soleil qui se couche et salue une dernière fois le monde avant sa disparition. Ils ont encore un peu de luminosité devant eux, mais cette dernière disparaîtra bientôt pour les abandonner dans ce qui est aux yeux de l'enchanteur une zone ressemblant à toutes celles qu'il a déjà pu traverser depuis ce matin, à une seule grande différence : la température. En effet, si celle-ci était déjà fraiche, avec le soleil qui peu à peu perds de son éclat, la morsure glaciale ne fait qu'empirer. Observant tout autour de lui à la recherche de quelque chose d'utile, Almassar ne peut s'empêcher de faire à nouveau un peu d'humour.
-"La prochaine fois je pense à prendre des torches ou une couverture thermique pour me tenir au chaud quand je me perds. C'est une bonne idée après tout de préparer son sac en partant du principe que rien ne va se passer comme l'on s'y attendait."
Un instant de silence. Puis finalement, la question qui brule les lèvres de l'enchanteur sort d'elle même, comme si il n'arrivait plus à la retenir, la curiosité faisant légèrement briller ses pupilles venant surplomber son sourire.
-"Mais depuis combien d'années faites vous cela pour vous sentir si à l'aise dans un tel milieu ? J'imagine que vous devez être originaire des alentours mais tout de même, c'est surprenant une telle capacité d'adaptation."
Peut-être Frey s'était-il fait un peu trop perméable mais il devina dans la réponse de son interlocuteur un ton différent, qui témoignait finalement de ce que lui-même avait laissé transparaître. Il fit un peu plus attention, alors, non pas que ce sujet soit tabou mais il restait précieux à ses yeux. Un peu amer, aussi, même s'il avait du mal à admettre les défaillances qui pouvaient exister en lui à ce propos. Mais c'était un autre sujet et, en cet instant, il continua d'afficher le même calme tranquille teinté de curiosité envers Almassar.
Quant à la question du froid, il haussa les épaules d'un air nonchalant, presque comme si c'était une question anodine. Frey avait été très sérieux au moment d'aborder les habits d'expédition d'Almassar et s'il ne s'en tirait pas trop mal avec ce qu'il avait, on ne pouvait pas tergiverser sur ça dès qu'on savait qu'il fallait passer plusieurs jours à l'extérieur. Présentement, le seul point de perte de chaleur du chasseur était sa tête, qu'il avait recouverte de la capuche de sa cape pour couper le vent mais qu'il ne tarda pas à venir renforcer en emmitouflant le bas de son visage d'une écharpe.
Traversant un paysage changeant petit à petit, Frey avait pour objectif de les faire retomber sur un chemin connu et facile à arpenter. Néanmoins, il leur faudrait prendre un léger détour sauvage avant ça. Finalement, d'autres interrogations de l'enchanteur finirent par requérir l'attention du chasseur. Il ne le savait pas, mais il venait de poser une question qui cachait l'ombre de réponses compliquées. Des réponses que lui-même aurait eu du mal à donner avec précision. Ce n'était pas la première fois cependant et, avec le temps, il avait pris l'habitude d'avoir sa petite version des faits. D'un haussement d'épaules, paumes orientées vers le ciel un instant comme pour s'excuser de la simplicité de la chose, il abaissa la partie de son écharpe qui dissimulait le bas de son visage et répondit.
Il avait dit ces derniers mots avec un petit sourire malin. Exagération pour faire peur à Almassar ou vérité ? Probablement un peu des deux. Une partie de lui esquivait en même temps habilement la question. Cela dit, si Frey fanfaronnait, il faisait moins son malin chaque fois qu'il devait se mettre nu dans la neige avant de se transformer. C'en était frustrant, parfois même presque dangereux.
Il s'arrêta un instant, comme découvrant ce qui les entourait. Il désigna le paysage vallonné qui offrait à la vue une perspective sauvage mais grandiose. Le ciel, qui se dégageait lentement mais sûrement, laissait apercevoir des trouées dans les nuages qui se paraient de teintes d'or, de mauves et de rose. Clément, le temps les laissait finalement apprécier la vue. Il n'y avait pas grand chose à dire, c'était explicite.
Oh il appréciait la chaleur et la sécurité même des plus petites et simples des auberges. Il appréciait aussi passer du temps ici ou là, dans les menues communautés qui égayaient ses allers et venues dans la région entre la Forteresse et le Village perché. Mais il y avait toujours un moment où il finissait par reprendre la route. Ce qu'il fit d'ailleurs en intimant à son camarade de le suivre. Tant par curiosité que par intérêt, Frey s'aventura à son tour sur des questions qu'il avait depuis qu'Almassar avait prononcé le mot enchanteur.
Quelques dizaines de mètres en contrebas, un petit ruisseau glacé faisait entendre son clapotis, discernable seulement par le lit profond d'une vingtaine de centimètres qu'il avait creusé dans la neige. Il se dirigeait vers la lisière de la forêt qu'il pénétrait et dont les effluves de résine leur parvenaient très nettement. Là, il faisait plus sombre et on devinait qu'il ne faudrait pas longtemps pour ne plus y voir grand chose.
S'il y avait une logique à ce chemin, elle n'était pas intuitive, voire même inconfortable.
La marche s'étire, et l'homme frotte de plus en plus régulièrement ses bras et ses gants, jurant de son manque de préparations. Comment avait-il pu penser que cela serait une promenade de santé, traiter cela comme une sortie en forêt près de la Capitale ? Tout sépare ces deux mondes, la température et la neige en premier, mais la faune et la flore aussi. Et Almassar avait été plutôt chanceux de ne pas tomber ni se casser quelque chose. Sa témérité venait de lui couter une cuisante leçon, et des orteils glacés qu'il n'est pas prêt d'oublier... En espérant que cela ne reste que quelques douleurs temporaires et nulle engelure permanente. Et finalement l'étrange guide reprends la parole, faisant arquer un sourcil à son compagnon d'infortune. Il ne sait qu'en penser, si cela est vrai ou si c'est une exagération. Oh, il imagine bien qu'au cœur de la saison froide où d'une tempête, le temps actuel peut paraître clément, mais de la à dire qu'il est presque doux et supportable ? C'est difficile à croire pour le petit bleu qu'est l'enchanteur en cet instant.
Une nouvelle fois la conversation dérive, comme les brises de vent qui glissent sur leurs vêtements et le peu de peau laissée à l'air libre. Sauf qu'au lieu d'emporter de petits flocons de neige, les mots du Mist emportent ses pensées. Almassar suit le grand geste du regard, se perds dans la contemplation de ces cimes aux toits blancs éternels, se prends à imaginer ce que cela peut procurer comme sensation de se tenir debout sur le toit du monde. Le sourire sur ses traits ne semble jamais s'évaporer, comme si il s'amusait de la situation malgré sa gravité, comme si il appréciait cette compagnie -ce qui est le cas- malgré le froid.
-"Je peux comprendre. Si j'ai longtemps vécu en ville sans réellement avoir quelque chose à y reprocher, je me sens prendre gout à l'aventure et à avoir une certaine envie de bouger, de ne pas rester trop longtemps quelque part. Je songe à inventer un moyen de pouvoir emporter mon atelier d'enchantement partout avec moi, et potentiellement de devenir itinérant. Ca m'empêcherait pas de garder un pied à terre à la Capitale mais... Ce serait un moyen d'assouvir ma passion et mes souhaits en même temps."
Puis l'homme allait continuer sur la seconde question du traqueur, avant de s'arrêter en suivant les traces de ce dernier dans ce chemin des plus sinueux et surtout impraticable. Usant de sa concentration, il essaye de faire sens, surtout en un lieu où il parvient de moins en moins à discerner les alentours. Finalement, il n'hésite absolument pas à se saisir d'un bâton, assez grand pour pouvoir tapoter le sol devant lui et essayer de dénicher racines cachées et pierres traitresses, permettant de faciliter un peu son avancée. Elle est toujours laborieuse, mais elle lui permet au moins de reprendre où il s'en était arrêté.
-"Alors oui, j'ai aussi appris avec un mentor. J'ai eut beaucoup de mal à trouver quelque chose me passionnant, mais quand mon don s'est révélé j'ai assez rapidement su que l'enchantement serait ma voie. Et j'ai été assez studieux pour finir par me faire récupérer par un enchanteur local qui m'a peu à peu appris jusqu’à finir à la Capitale pour parfaire mon enseignement."
Almassar manque de trébucher, finit par se reprendre en grognant, ralentissant quelques secondes le rythme pour correctement se reprendre. La fatigue prends peu à peu ses droits, et le froid aussi. Si les engelures ne sont pas encore arrivées, à ce rythme elles ne tarderont pas très longtemps, surtout sans une torche pour se réchauffer. Et en cet instant, l'enchanteur se maudit de ne pas y avoir pensé. Plutôt que de pester inutilement, il prends sur lui pour accélérer un peu, et finalement continuer.
-"Et me voici maintenant, pour ce que je pense être la suite de mon cursus. L'épreuve de la théorie et de la pratique que j'ai déjà pu mettre en place contre la réalité et les besoins du monde. Mais comment faites-vous pour vous repérer alors qu'il commence à y faire si noir? Vous connaissez la région à ce point que chaque petit détail est gravé dans votre esprit ?"
La question à le don de l'intriguer, en effet, il se doute bien qu'être expérimenté des lieux aide, mais tout de même, on parle de se guider uniquement à la lumière de la lune pratiquement...
Le ruisseau coulait à côté d'eux, compagnie agréable et champêtre, guidant leurs pas d'un fil d'Ariane à suivre sous les frondaisons. Soudain, l'ambiance changea. Passant d'un crépuscule à ciel ouvert qui s'éteignait lentement, ils entrèrent dans le silence résonnant du couvert des arbres et étouffé par la couche de neige. Ponctuant leur avancée, ici et là on pouvait entendre un craquement, le bruit furtif d'une envolée sauvage ou, au loin, l'appel d'amour d'un chiraki. Malgré cette atmosphère d'écrin secret, il y avait bel et bien de la vie et chaque son était un indice supplémentaire permettant de deviner avec un peu plus de précision les présences qui hantaient cette forêt.
Instinctivement, Frey avançait un peu plus prudemment. Il écoutait toujours l'enchanteur mais son langage corporel trahissait une précaution supplémentaire. Légèrement plus ramassé sur lui-même, ses yeux allaient et venaient, balayant régulièrement l'ensemble du paysage de bruns et de verts pour guetter un mouvement suspect. Ici, la vue n'était plus autant dégagée et cela rendait difficile l'anticipation du danger. Avançant avec précaution le long du cours d'eau pour éviter de tomber, il s'aidait des arbres comme d'un appui, à l'image d'Almassar qui avait eu la très bonne idée de s'emparer d'un bâton de marche. Et contrairement à ce qu'on pouvait penser, le manque de lumière l'affectait également et il voyait de moins en moins.
Frey répondit à son compagnon après un instant de réflexion, l'attention toujours tournée vers l'extérieur. Il parlait à voix basse, maintenant, et parler fort paraissait limite indécent.
Pressant un peu le pas, le chasseur encouragea Almassar à avancer, lui proposant l'appui d'une main sûre s'il en avait besoin. Toutefois, il le mit fermement en garde.
Rapidement le lit du ruisseau sembla s'élargir quelque peu, s'étalant sur une largeur de deux ou trois mètres pour une profondeur de quelques centimètres et parsemé de galets gelés et branches prises dans des éclats de glace. Les cimes des sapins, elles, s'écartaient de fait légèrement, laissant apercevoir un fin chemin de ciel où plusieurs étoiles se devinaient peu à peu.
Il s'arrêta alors, se retournant vers l'enchanteur.
Sa curiosité était en éveil et il percevait bien qu'il avait devant lui quelqu'un qui faisait preuve d'une qualité précieuse : l'ouverture au reste du monde, l'intérêt pour la découverte et les choses nouvelles. Qui prenait le risque de sortir de sa zone de confort et de partir à l'assaut d'un monde inconnu et dangereux pour en percer les secrets ? Si Frey avait une approche certainement moins scolastique que son vis à vis, il partageait cette même soif de voyage et de découverte : parcourir la terre pour tout voir, tout entendre, tout sentir. Voyager pour être libre et s'enrichir. Frey respectait ça.
Oui, définitivement, Frey aimait bien ce qu'il devinait d'Almassar. Il y avait une flamme vivace en lui qui ne demandait qu'à grandir et le chasseur était sensible à cet élan. Il commença à fouiller dans ses sacoches, à la recherche visiblement de quelque chose de précis, en sortant des plumes, des pierres, des graines et autres éléments insolites qui se confondaient presque dans l'obscurité grandissante.
Finalement, il trouva ce qu'il voulait : un petit linge emmaillotant de généreuses racines violettes et tuberculeuses semblables à de gros doigts boudinés et aux extrémités poilues. Prenant la main d'Almassar, il en refourgua deux ou trois dedans avant de lui faire refermer ses doigts dessus, gardant la sienne refermée sur son poing. D'un air à mi-chemin entre le solennel et le mystérieux, Frey se mit cette fois-ci à chuchoter.
Quelque part là-haut dans la nuit, la lune et les étoiles prenaient lentement le relai du jour et il aurait été possible de jurer que, durant un très bref instant, un éclat presque inhumain brilla dans le regard de Frey. Il n'y avait pas d'hostilité mais une détermination féroce, celle d'une personne qui accepte d'accorder une confiance précieuse, mais qui attends la même chose en retour.
La main toujours sur le poing de l'enchanteur, il attendait sa réponse et observait sa réaction.
La voix du traqueur le rappelle à l'ordre, lui intimant de garder le ruisseau à portée d'oreille. Et c'est ce qu'il fait, se laissant porter par le léger son de l'eau suivant son cours, seul élément rassurant de toute cette expédition. L'homme a l'impression d'être un lourdaud à ainsi user de son bâton, remuer branches et petits cailloux au sol, surtout comparé à son guide bien plus silencieux que lui. La main est déclinée d'un léger signe de la tête avec un sourire surement invisible. Non pas qu'il n'aurait pas besoin de l'aide... Mais il préfère que son compagnon garde ses mains libres en cas de besoin et de problème. Tant qu'il peut arriver à suivre la cadence, il compte bien laisser celui qui lui permet ainsi de retrouver la civilisation en pleine possession de ses moyens. Et tandis qu'il grogne légèrement, taisant au mieux sa voix en grimpant une petite montée, il souffle entre ses lèvres, en un quasi murmure s'adaptant à l'ambiance.
-"Je ne comptais pas faire cela initialement. Mais effectivement, c'est totalement mon erreur d'avoir manqué de jugement et de préparation durant mon voyage. J'aurais pensé que ça se passerait comme dans mes forêts natales, sauf que j'en suis désormais bien loin. Et sans vous, cela aurait peut être été la dernière leçon de ma vie..."
Il est bien sur reconnaissant envers cet étrange homme qui s'amuse ainsi à traquer des inconnus pour les ramener chez eux. Et finalement, ce cauchemar d'obscurité prends fin. Si la nature laisse toujours échapper ses sons habituels, ceux de la vie nocturne d'une forêt sauvage, l'humain lui a toujours eut dans ses gênes de les craindre, justement. Loin de la civilisation, loin des villes et des murs de pierre, ils sont loin de dominer la chaine alimentaire, surtout quand ils sont peu équipés. Le fait d'enfin voir la lune percer et illuminer, même légèrement les alentours est un soulagement palpable pour l'enchanteur. Si quelque chose tente de s'approcher, au moins ils pourront plus aisément l'apercevoir. Profitant de l'arrêt du chasseur, il souffle et reprends sa respiration, l'inquiétude et l'envie de rentrer lui ayant pour ainsi dire fait oublier le froid et la fatigue.
-"Je comprends ne pas vouloir totalement se reposer sur l'enchantement, c'est en partie ce pourquoi je souhaite voyager aussi. La magie doit s'allier à des compétences existantes, si possible, pas toujours les supplanter. Même si je ne vais pas nier que parfois je préfère largement me reposer sur quelques outils que sur des compétences longues à obtenir. Un peu comme le Sépare-Tout. Il est presque impossible de développer un moyen d'obtenir des composantes d'une telle pureté par le travail manuel, par exemple."
Puis sa voix finit par s'éteindre en voyant l'étrange voyageur fouiller dans ses propres besaces. Almassar observe cela d'un œil, le second rivé aux alentours, sait-on jamais que quelque chose ne tente de les surprendre. Heureusement, tout est calme sous la lune. Et si l'enchanteur enregistre très clairement son conseil à propos des éléments, des détails à user pour se localiser et l'interêt d'une carte, il est surtout focalisé sur ces étranges racines violacées. Son regard se redresse, une question muette dans le regard quand une poignée de ces dernières termine entre ses doigts, tandis qu'il vient les presser et les frotter dessus pour laisser son sens du toucher, même affecté par les gants faire son office. Découvrant leur texture, leur rigidité. L'air et le ton de Frey lui fait comprendre que le moment est important, et il pèse avec son chaque mot prononcé à son oreille. Le regard marron aux lueurs dorées se redresse sur celui de cet étrange rencontre, et il note toute l'importance de l'instant. Pour y faire honneur, il prends réellement le temps de réfléchir à son offre, avant de lentement hocher du chef pour prouver qu'il a bien compris.
-"Je serais honoré de rencontrer un tel lieu. Et il va de soi que je n'en parlerais à personne, et que j'éviterais d'en faire mention dans les notes que je prends de mon voyage, si tel est votre souhait et de ceux qui vivent la bas. Je m'en voudrais de troubler ainsi une quiétude si farouchement défendue."
Almassar prononce cela sans quitter du regard l'homme, murmurant chaque mot avec intensité et en les pensant sincèrement. Même si sa curiosité bat son plein en cet instant, il sait aussi qu'il se joue plus que cela. Pour autant, il ne peut s'empêcher de se demander ce qui l'attend, se préparant à suivre le traqueur où il décide ainsi de le mener... Mais qui pourrait donc bien vouloir ainsi se camoufler au milieu des montagnes, surtout dans un lieu saint ? Tant de questions qui continuent de s'empiler, et pour lesquelles il espère obtenir réponse.
L'instinct de Frey était tout entier rivé sur la silhouette obscure de son compagnon lorsqu'il lui répondit et si ce n'étaient, dans le fond, que des mots, c'était important pour lui et il espérait faire comprendre la nécessité de préserver la quiétude de ce qui s'en venait. Au final, leur passage ne chamboulera pas le grand ordre des choses mais il y avait des lieux et des moments fragiles où la présence de l'être humain était un privilège en ce qu'elle n'était pas nécessaire. Frey aurait simplement pu décider de tenter de trouver un abri pour la nuit, ou de pousser Almassar plus avant dans ses réserves en comptant sur son endurance pour lui faire traverser le froid et l'obscurité. Il aurait pu, mais il avait décidé de partager le secret de ce lieu avec lui et son intuition le laissait confiant quant à ce qu'il avait déjà aperçu du jeune homme. Le chasseur appréciait les justifications qu'il donnait, l'aperçu du point de vue que cela impliquait et la mentalité qu'il semblait petit à petit deviner de l'enchanteur. Il se méfiait souvent de l'avidité des hommes, qui ne savaient que rarement préserver ce qui était vulnérable et facilement destructible, mais il trouvait un écho dans les choix d'Almassar qui le poussait à lui ouvrir certains sentiers. À l'encourager à poursuivre dans la direction qu'il avait choisie et à partager un peu plus avec lui. Il espérait ne pas se tromper, mais il n'allait pas reculer maintenant.
Il hocha la tête en réponse, murmurant simplement :
Lâchant sa main posée sur le poing de l'enchanteur, le chasseur conservait dans l'autre quelques racines similaires à ce qu'il avait confié à son compagnon. Une lueur de malice passa dans ses yeux, probablement inaperçue au vu du peu de lumière mais cela se percevait dans son ton.
Il y avait une attention toute particulière dans la voix du chasseur, qui observait Almassar avec une considération certaine. Une part de lui était excitée à l'idée de partager ce qui s'en venait, et il espérait que l'enchanteur en serait touché.
Reprenant la route, Frey continua d'emmener Almassar sur la piste du ruisseau, qui s'élargissait lentement mais sûrement. Bientôt, il y eu un lit d'une largeur de quatre à cinq mètres encombrées de galets et du reflet lunaire sur l'eau vive. Petit à petit, des bruits de froissement d'écorces, de branchage et de déplacements dans la neige commencèrent à se faire entendre. C'était furtif, au début, suffisamment espacé pour se demander si l'oreille avait bien entendu. Puis, très clairement, les bruits de quelque chose se frayant un chemin dans la neige se laissaient percevoir. Un premier petit couinement aigu monta sur la droite, auquel répondit un autre sur la gauche. Bientôt, il fut évident que les deux voyageurs n'étaient plus seuls, et que de multiples présences les suivaient, profitant du couvert des végétaux et de l'obscurité pour se dissimuler. À plusieurs reprises on eut dit que ces choses presque invisibles allaient s'aventurer jusqu'à moins d'un mètre des deux explorateurs, sans pourtant oser franchir une certaine distance. On devinait des créatures de petite taille, au sol, entre les rochers, dans les arbres. Elles semblaient presque faites de terre, leur dos constitué d'herbes, d'aiguilles mortes, de baies voire même de neige. C'était comme des petits échantillons de terre vivants qui sautillaient par dizaines ici et là, suivant les deux explorateurs dans un mouvement collectif qui faisait penser à une deuxième rivière. À plusieurs reprise il fut possible d'en apercevoir une se transformer en un feu follet bleuté qui s'éclipsa dans un mouvement erratique et preste entre les arbres pour fuir les inconnus. C'était comme avancer dans un champ et faire fuir des sauterelles de lumière à chaque pas et, rapidement, il fut impossible de deviner le nombre de présences autrement que par dizaines voir centaines.
Au loin, entre les troncs, se devinait petit à petit une lueur chaude, presque dorée, semblant émaner de plusieurs foyers à la fois. Jetant des coups d’œil furtifs vers Almassar, Frey l'encouragea à avancer avec un sourire nettement plus marqué, pointant son doigt dans la direction d'où venait la lumière puis sur ses lèvres en signe de silence. Il allait de plus en plus lentement à mesure qu'ils approchaient, comme pour que leur arrivée ne puisse être manquée, et bientôt se dessina devant eux un spectacle saisissant.
Le ruisseau atteignait son amplitude maximum à cet endroit-là, se séparant en deux et contournant un rocher imposant et fracturé, duquel jaillissait la forme massive d'un arbre gigantesque à ciel ouvert. Avoisinant bien la cinquantaine de mètres de haut, son tronc était extrêmement large et ses branches sinueuses retombaient avec élégance en une forme de coupole végétale. Un peu partout, des fruits ronds d'une taille conséquente pendaient et brillaient d'une étrange lumière aux reflets dorés mais fluctuants, oscillant au même rythme que le balancement induit par le vent paisible. C'était un lhumi noeud, une espèce peu commune et aux particularités remarquables. L'espace autour de celui-ci était dégagé et c'était comme s'ils se trouvaient aux abords d'une clairière de lumière traversée par le ruisseau. Par centaines, il était alors possible de distinguer ce qui était à l'origine des bruits qui les avaient suivis. C'était des soots, de petites créatures noires qui semblaient faites de terreau et de morceaux de nature sauvage. Ici et là, plusieurs d'entre eux s'enfuyaient à l'approche des deux voyageurs en se transformant en feu follet pour réapparaître plus loin, suivre leur progression et s'enfuir à nouveau lorsqu'ils étaient trop prêts.
Il s'y voyait bien mieux désormais, comme si tout l'endroit était éclairé par des bougies dispersées ici et là. Frey ôta sa capuche et laissa le froid venir mordre sa tête nue, dévoilant l'éclat blanc de ses cheveux. Il y eu alors une réaction étrange parmi les soots, une sorte de frémissement collectif ou bien un instant de suspension, avant qu'une excitation un peu plus marquée ne parcourt l'assemblée. Les deux voyageurs étaient désormais le centre de l'attention de plusieurs centaines de paires d'yeux qui émettaient un concert de petit bruits aigus dans une cacophonie d'échanges dont la compréhension leur échappait.
S'adressant à Almassar en chuchotant très bas, Frey fit un geste de la tête en direction du pied de l'arbre, où plusieurs des fruits étaient tombés, encore lumineux pour certains. Tout autour de la base du tronc, un nombre incalculable de choses avaient été entassées et la neige dégagée : des plantes, des fleurs, des cailloux, des racines, des baies, des pommes de pins et probablement quelques petits animaux morts. Nul doute que l'enchanteur aurait de quoi faire beaucoup de choses avec autant d'ingrédients divers. C'était principalement pour un des fruits de l'arbre que le chasseur les avait amenés ici, mais peut être y aurait-il autre chose d'utile dans ce qui avait été amassé.
La présence de Frey devrait normalement offrir un à priori positif en faveur d'Almassar, pour ce qu'il était déjà venu ici, principalement en forme de mist, mais on ne pouvait jamais savoir à l'avance comment les choses allaient se passer.
S'engageant sur les pierres qui menaient au tronc, Frey traversa le ruisseau accroupi, s'aidant de ses mains pour avoir quatre appuis et ne pas glisser. Il y allait tranquillement, attendant qu'Almassar lui emboîte le pas. Excités, les soots sautillèrent de plus belle en s'agitant dans tous les sens, provoquant une déferlante de petit flashs bleutés.
Sans trop s'approcher du tronc ni du tas qui en couvrait la base, une odeur singulière se dégageait de tout ça, mélange d'humus en décomposition et de parfums variés. S'agenouillant pour paraître moins imposant, il déposa lentement ses racines sur le sol devant lui, montrant l'exemple à l'enchanteur et se mit à patienter, immobile.
-"Je ne comptais pas les lâcher, ne vous en faites pas. Je suis bien trop curieux de découvrir quelles sont ces racines et où vous souhaitez m'emmener désormais..."
Et bien sur qu'il est touché. Curieux, excité, touché de cette confiance muette, ce lien ainsi né du néant. Son regard brille sous la lune d'une émotion certaine, et ses yeux ne cessent de passer de Frey à ses alentours, gravant chaque instant en sa mémoire. Il compte bien tenir la promesse qu'il a fait peu auparavant, et cela veut donc dire que nulle note, nulle inscription ne viendra surement jamais ternir le moindre carnet. Seul son esprit pourra chérir en son sein cette découverte unique qui lui semble promise.
La marche reprends et la fatigue comme le froid semblent oubliés, transformés par une excitation latente qui ne fait que monter à chaque pas qui guide le duo vers leur but. Si il n'ose parler de peur de briser l'instant, clairement son esprit tourne à plein régime pour tenter de deviner ce que pourrait être un lieu saint pratiquement interdit à l'homme en pleine forêt. Sa nuque le picote, et peu à peu l'enchanteur se rend compte qu'ils sont suivis par un nombre indiscernable de créatures. Son premier reflexe est d'accélérer le pas, pris d'une terreur primale à l'idée d'être suivi dans la nuit par une chose qu'il ne peut observer. Puis le conseil de Frey lui revient en tête. La confiance plutôt que la peur. L'ouverture plutôt que la défense. Une série d'inspirations lui sont nécessaires pour atteindre cet objectif, laissant ses épaules et ses muscles légèrement se détendre. C'est peu aisé, demandant une concentration de tous les instants, mais l'homme y parvient peu à peu, son regard montrant de la curiosité plutôt que de la crainte en essayant de capter de fugaces apparitions de ces créatures les suivant à travers les bois. Et la rivière naturelle grandit en même temps que celle vivante des soots les suivant. Almassar comprends de quoi il s'agit réellement quand il en voit certains cligner, se transformer en feu-follets aux flammes bleutées, signe caractéristique de leurs pouvoir unique.
L'enchanteur n'aura à se questionner longtemps sur la raison d'une telle agitation, sur le pourquoi du sourire de son guide. La lueur dorée réchauffe l'esprit et le console de sa fatigue comme de sa lassitude, les baignant dans ce contraste d'or et d'argent, de la lune et de cette source lumineuse. Puis la rivière s'ouvre, révèle ses secrets. L'arbre majestueux laisse quelques instants le touriste sans souffle, ébahi de cette vision. Si il en avait déjà entendu parler dans les livres, c'est autre chose d'y assister de ses yeux, sous les rayons de la lune, entre deux brise givrées. Mais plus surprenant encore que cette vision bienvenue dans la neige est la réaction des petites créatures quand le guide retire sa capuche. Almassar prête pendant un moment bien plus attention à cela qu'a l'arbre face à lui, se demandant bien ce qui peut ainsi lui valoir une telle déférence de ces petites créatures des forêts. Serait-ce l'un des seuls humains autorisés en ces lieux, découvert par hasard ? Ou un autre secret se cache-il sous cette chevelure d'argent ?
Beaucoup de questions à venir pour plus tard, car ce n'est pas le moment idéal pour les poser. Et cela ne le sera peut être jamais. Hochant la tête pour l'étrange personnalité lui indiquant le chemin, Almassar vient lentement lui emboiter le pas, suivant ses traces au milieu de cette cacophonie inhumaine et étrangement reposante. Usant de son bâton pour s'avancer, il progresse lentement, observant toutes les offrandes et les dons laissés ainsi face à ce tronc majestueux. Et même l'enchanteur peut comprendre la déférence dont jouit le lieu pour la faune locale, dont ils ont un bon aperçu en train de les entourer. Les flashs se succèdent, presque en un effet stroboscopique tant les petits soots sont excités. De qui, de quoi, impossible à savoir pour l'enchanteur qui aura surement bientôt sa réponse.
Pendant un instant, le citadin hésite à poser les genoux à terre en plein milieu de la neige, du froid. Mais il finit par accepter que son confort et sa chaleur sont le prix à payer pour assister à ce spectacle unique. Posant les genoux à terre, il laisse ses offrandes rejoindre celles de Frey, noyant ses mains ensembles sans savoir à quoi s'attendre. La cacophonie ne fait que s'accentuer, et une nouvelle fois il doit aller contre ses instincts de tourner la tête pour observer de quoi il en retourne. Un nouveau vent semblant plus frais qu'avant commence à souffler, et le son de l'eau semble se ralentir, comme si il était immobilisé. Une créature s'approche très clairement d'eux, laisse sentir sa présence. Almassar cède et finit par légèrement pivoter la tête pour voir un petit reptile bleuté, exsudant de froid, chaque pas faisant geler l'eau autour de ses pattes s'avancer vers eux. Sa tête en triangle, ses grands yeux exprimant une curiosité sans failles. Ne se sentant absolument pas menacé il avance d'un pas tranquille, observant Frey puis le nouvel arrivant. Sans cesser de s'approcher il vient le renifler en faisant lentement le tour de l'inconnu. Claquant des dents, l'enchanteur supporte cette inspection sans rien dire.
Le Griffroid reste ainsi un moment, avant de renifler leurs offrandes. Lentement il vient prendre l'une des racines entre ses dents et l'apporter lui même sur le tas présent aux pieds de l'arbre pour l'y déposer de lui même, signe qu'il les accepte en ce lieu. Un lhumi noeud protégé par un animal de givre et de glace. Cet endroit était absolument unique. Mais impossible de s'attarder sur cette étrangeté tant les petits soots se mettent à faire la fête, se rapprochant de l'arbre en une masse bleutée se mélangeant avec l'eau. Certains passent de leurs pattes, profitent de cette tranchée de givre laissée par la créature aux écailles froides, d'autres se transforment en éclats stellaires temporaires, se rapprochant bien plus, leur laissant tout juste un petit mètre de distance. Sentant que c'est le moment, Almassar se redresse, attrape les autres racines de son offrande pour les poser à coté de la première, sous le regard presque bienveillant de cet animal si gracile et pourtant si grandiose.
Un peu rassuré, le regard marron de l'homme se pose sur tous ces objets. Il y'a des racines, des animaux, des dizaines d'offrandes, des centaines même. L'animal effectue un petit signe de tête, comme si il comprenait la demande tacite, et l'enchanteur se retrouve à devoir choisir. Tant de choses qu'il aimerait analyser, observer, utiliser. De quoi faire de puissants enchantements et potions. Mais il ne peut prendre qu'une seule chose au milieu de cette clairière de Midas. Et si Frey avait correctement senti que nombre de choses pourraient l'intéresser, il avait presque vu juste sur ce qui attirerait l’œil, mais surtout l'âme d'Almassar. Car si il hésite à prendre l'un des fruits présents au pied de l'arbre, c'est finalement l'une des écailles même du Gardien qui attire finalement sa main. Le geste est lent, attendant l'aval de ce dernier. Et quand ce dernier le lui donne, l'homme se saisit de cette fine écaille. Oh, en soi elle est déjà précieuse et peut avoir son interêt pour les enchantements... Mais c'est surtout la valeur émotionnelle qui intéresse en cet instant le brun, dont la chevelure ondule de teintes bleutés sous les différentes lumières. Un fruit peut être mangé, mais cette écaille, il la gardera et la préservera longtemps, pour se souvenir de ce qu'il a vu et ressenti en cet instant dans cette clairière.
Le froid lui picotant les doigts, il vient pourtant garder cela entre ses doigts, pivotant vers Frey en levant le regard vers lui, le regard pétillant de déférence, de curiosité, d'admiration et de plaisir. Sa voix n'est qu'un souffle alors qu'il vient laisser ses émotions prendre le pas sur le silence qu'il avait maintenu jusque la.
-"Je comprends pourquoi vous ne souhaitez voir ce lieu apparaître... Il est si beau, si inspirant... Ce serait un drame si il lui arrivait quelque chose car la mauvaise personne en aurait eut vent..."
Lentement il se recule pour revenir à son niveau d'auparavant, à l'endroit pile où il avait plié le genou, posant les bottes sur ses propres traces laissées. Les petites créatures de terreau et de pierre ne cessant d'aller et venir vers eux, vers l'arbre en une lame de fond vivante et crépitante. Et l'enchanteur lève le regard vers son guide, attendant sa consigne, et surtout ses réponses...
Il y avait une magie dans le déroulement de l'instant qu'il n'était pas capable de décrire. Un élan à mi-chemin entre le frissonnement et l'appréhension, l'excitation et la beauté. Même si Frey était déjà venu ici, jamais il ne se lasserait de ce spectacle, tout comme jamais il ne prendrait pour acquis cette relation de confiance qu'il avait réussi à tisser avec les gardiens de ce lieu au fil des ans. Chaque fois pouvait être la dernière, pour une raison ou pour une autre, et rien ne lui garantissait qu'il retrouverait l'endroit intact lorsqu'il revenait d'un long voyage vers le sud ou l'ouest. Il respectait trop l'ordre qui s'était établit ici pour le défier, si jamais un jour il venait à ne plus y être accepté, et il vivait chacun de ces instants avec le même émerveillement que la première fois, la même admiration fascinée que ce qu'il percevait en son compagnon, et cela lui plaisait de retrouver ces petites créatures naïves et généreuses qu'étaient les soots. Jouer avec elles était toujours une source de joie et même s'il se présentait cette nuit sous cette forme bipède qu'il appréciait de loin le moins et qui les perturbait, il partageait avec eux cette fébrilité joyeuse qui les parcourait.
Ça ne l'empêcha pas pour autant de retenir son souffle lorsque le griffroid vint à eux, son cœur battant la chamade à cent à l'heure tandis qu'il observait avec une acuité perçante la posture et le langage corporel du gardien des lieux. Il y eu un long moment terrible où il fit son inspection, puis l'instant où un frisson d'excitation parcourut l'échine du traqueur lorsque l'offrande fut acceptée. Almassar avait très bien saisi la situation et Frey faisait un grand effort pour imposer à son corps le calme et la tranquillité qui étaient de mise. S'il avait été sous forme de mist, très probablement sa queue aurait-elle battu l'air à intervalles réguliers à la manière de ces chats qui sont à l'affût. Tendant légèrement le cou, il n'eut un instant plus d'yeux que pour ce qui allait se passer ensuite et le choix que ferait l'enchanteur. Quand il comprit ce qu'il avait ramassé, une nouvelle vibration traversa le corps du traqueur. Il y avait là une symbolique que Frey aurait été incapable d'exprimer en mot mais dont il comprenait instinctivement l'importance. Faisant jouer la tension dans les muscles de ses jambes pour les empêcher de s'engourdir dans cette position, il y avait une pointe de lui qui était extrêmement fière, ou qui du moins se sentait en connivence proche avec l'enchanteur actuellement. Il était content de l'avoir amené ici, content de voir cette expression sur son visage et la réaction du griffroid. C'était comme si la nature avait pu toucher au cœur, avec tout ce qu'elle avait de sauvage, d'ambivalent et de pourtant magnifique. Il ne connaissait pas Almassar depuis longtemps mais, quelque part, il avait l'impression de s'être fait un nouvel ami, ne fut-ce que pour quelques heures.
Et à vrai dire, Frey ne sut que répondre à son compagnon hormis en hochant la tête d'approbation, mais l'expression de son visage parlait pour lui, son sourire aussi, le regard pétillant et rieur. À son tour il vint déposer les racines précieuses avec le reste des offrandes ramassées par les soot, dans un ensemble de gestes fluides et sans brusquerie. Plus à l'aise avec la manœuvre, il n'en prit pas moins le temps d'établir un contact visuel avec le griffroid et d'adopter une posture corporelle subtile dont le langage trahissait nettement ce quelque chose des codes animaux qu'il maîtrisait, s'il était encore possible d'en douter. La bête vint également inspecter Frey, qui ôta le gantelet de cuir de sa main droite pour la lui présenter ouverte, paume vers le haut. Une particularité notable étaient ces traits blancs presque argentés qui la parcouraient, dans le même style que ceux sur son menton et qui descendaient dans le cou. Le froid saisit ses doigts lorsque la bête s'approcha assez prêt pour la renifler mais il y avait un quelque chose de subtilement différent, comme si elle s'interrogeait plus sur la forme qu'il avait que sur sa présence ici. Clignant des yeux de cette façon précise qui témoignait de sa confiance, le gardien des lieux montra ainsi son approbation et le chasseur se dirigea en quelques pas mesurés jusque vers l'un des fruits qui était tombé au sol. Diffusant une lumière bien plus que suffisante sous la lueur de la lune, large comme un melon, Frey s'en saisit puis observa un instant le fatras qui régnait, ses yeux inquisiteurs reconnaissant une bonne partie des plantes amassées ici. Il s'en détourna néanmoins très vite pour revenir vers Almassar.
À partir de ce moment, les soots semblaient ne plus avoir peur de s'approcher et couraient dans tous les sens, entre leurs jambes, un ou deux allant même jusqu'à oser venir se poser sur une épaule ou une tête. Satisfaits d'un rien, une bonne paire d'entre eux tenaient des feuilles, des cailloux ou des pommes de pins et tentaient d'attirer l'attention des voyageurs avec des petits cris pour qu'ils acceptent leurs cadeaux. D'expérience Frey savait que c'était un jeu chaotique, tant ces créatures étaient vivaces et espiègles. Le griffroid, lui, se positionna sur un rocher en surplomb pour surveiller silencieusement la scène.
Il avait prononcé ces mots sur un ton légèrement moins bas pour couvrir le bruit ambiant, et Frey lui-même semblait voir Almassar sous un jour nouveau, ses yeux allant et venant sur lui comme s'il le redécouvrait.
Il s'interrompit, coupé dans son élan par quelque chose qui venait d'en appeler à ses réflexes de survie. Pas de brusquerie ni d'inquiétude dans sa réaction, simplement une réalisation soudaine. Sa main droite encore exposée à l'air libre venait de sentir la caresse d'une chaleur qui n'était pas normale. Le regard tourné sur la marée de soots qui leur tournaient autour, il inspecta avec suspense toutes les petits offrandes brandies à leur encontre. Une chaleur bienveillante se faisait doucement ressentir et il en cherchait l'origine.
Ce ne fut pas très difficile à trouver, en ce qu'un soot en particulier se démarquait des autres car il fendait la petite foule en attirant l'attention de tous les autres. Il portait fièrement les restes déjà fanés d'une fleur aussi large que lui, lui bouchant à moitié la vue. On aurait dit un Lys des bois, d'un orange vif éclatant malgré la perte de superbe des pétales. Il devint évident que la chaleur venait de là et le soot semblait faire un effort pour la supporter. Frey s'accroupit en prenant garde à n'écraser personne, incitant Almassar à se baisser aussi.
Rapidement, les doigts de Frey allèrent chercher une des plumes qu'il avait dans sa sacoche, qu'il tendit au soot. L'assemblée retint son souffle une seconde avant que l'échange n'ait lieu. La plume faisait au moins deux fois la taille du petit être et était parée de jolis bleus et de gris. Une vive agitation s'empara alors des créatures qui changèrent la cible de leur attention pour se masser autour de l'élu.
Profitant quelques instants de la fleur d'acastignis pour se réchauffer les mains, il la donna ensuite à Almassar. Elle ne brûlait pas aussi fortement que si elle avait été encore vivante, et probablement serait-elle froide d'ici quelques heures, mais elle procurait un halo réconfortant.
Ce n'était pas tant une question, plutôt une demande de confirmation. Si le traqueur ne connaissait pas les arcanes exactes de l'enchantement, il avait suffisamment observé à l'ouvrage la vieille sorcière qui l'avait élevé pour devenir bon à deviner ce qui pourrait servir à transformer la magie. Frey était curieux : il voulait savoir, il voulait voir, et écouter ce que l'enchanteur ne manquerait pas de raconter.
A moitié perdu dans ses pensées, approchant les doigts d'un des Soot sur son épaule pour lui permettre de toucher sa peau si il le souhaite, il pivote lentement la tête vers le traqueur qui lui adresse la parole. Un léger hochement du chef viendra lui répondre. Oui, il comprends l'importance du moment, du lieu. Si l'arbre en soi n'est pas le plus rare sur terre et qu'en fouillant au cœur des forêts il est possible d'en trouver, certains étant même cultivés pour leurs fruits, tomber sur ce qui ressemble très clairement à un autel naturel est une toute autre histoire. Et c'est justement cette dernière qui intrigue l'homme. L'évènement fondateur qui a fait de cet endroit un lieu de rassemblement pour ces créatures, qu'elles s'y retrouvent par centaines. L'air exsude clairement d'une sensation de solennité et de calme, alors qu'initialement rien ne devrait s'y prêter. Peut être est-ce la la réelle beauté de la nature, d'arriver à créer des choses sans réel sens ni compréhension, simplement car cela devait se produire ou s'est réalisé.
Et finalement, c'est cette fleur orangée au milieu de cette montagne bleutée qui l'arrache de ses pensées. Almassar observe le manège de la petite créature qui s'approche pour ainsi offrir son cadeau à Frey... Ou plutôt devrait-il dire un échange. C'est exactement ce qui a lieu, tandis que le lys est offert contre une magnifique plume. Almassar note de devoir demander de quel animal s'agit-il, car il aurait clairement usage pour quelques-unes de ces dernières. Mais ce qui l'attire plus que tout le reste semble être la chaleur dégagée par la fleur, et bienvenue en cet instant précis. Chaque pas est effectué avec soin et lenteur pour laisser aux Soots le temps de se décaler sans les brusquer, rejoignant Frey. Il hoche la tête à ses paroles, reprenant d'une voix toujours basse, respectueuse.
-"Définitivement ces petits êtres sont plein de talents. A croire qu'ils ont senti notre besoin et l'ont anticipé... Ou alors ils aiment simplement ce qui est beau dans la nature."
Finalement la fleur change de main et même à travers les gants, il peut en sentir la douce chaleur qui se dégage, les réchauffe. C'est un élément bienvenu au milieu de leur voyage, et il laisse ses pupilles se perdre sur la lueur dégagée par ce cœur végétal, le brasier léchant ainsi ses doigts pour en faire partir l'impression de froid. Un soupir d'aise et de soulagement échappe des lèvres de l'enchanteur qui pivote lentement la tête vers son vis à vis à sa demande, avec un léger sourire amusé sur les traits.
-"Ce que je peux faire déjà, c'est lui redonner un peu d'énergie pour la nuit et nous permettre de rentrer sous sa chaleur. Et avec mon atelier oui, je pourrais en faire bien plus de choses."
Fermant les yeux Almassar veut juste s'assurer de ne pas s'être trompé. Retirant pour de bon ses gants, il pose ses deux mains en coupe sur la fleur, avant d'y concentrer son don en fermant les yeux, fredonnant à voix basse. La magie opérée ici est assez faible et aisée, et il ne faut guère de temps à l'enchanteur pour avoir une bonne idée de quoi il en retourne tandis que sa peau laisse échapper ses caresses magiques à la recherche de l'origine de la magie de cette fleur enflammé. Quand enfin il connait tout ce qu'il souhaite, le sourire s'élargit et un vient hocher, frémissant légèrement. Même si le cout en énergie n'est guère élevé pour quelque chose d'aussi simple, il reste tout de même présent et existant. Tout en glissant une main dans sa sacoche, il vient reprendre.
-"Je vois comment sa magie fonctionne. Je vais user de quelque chose que j'ai pour lui permettre de fonctionner sans continuer de consumer son cœur. Et plus en détail, nombre d'enchantements peuvent user une telle fleur comme origine. Voir même la transformer en une sorte de pierre de feu qui laisse toujours de la chaleur émaner, comme un petit âtre végétal. Enfin, si cela vous convient bien sur."
Finalement il sort une petite fiole de son sac et vient l'ouvrir, la penchant en avant. Une légère poudre capturant parfois un reflet de l'éclat lunaire vient se déverser sur les pétales, le bulbe, avant de crépiter en recouvrant la fleur de légers scintillements. La chaleur de cette dernière augmente légèrement, et sa lueur s'éveille avec plus d'ardeur. Quelques Soots regardent cela avec curiosité et s'en approchent avant de reculer sous la chaleur, mais fort heureusement pour les deux humains, la majorité sont toujours concentrés sur cette magnifique plume ainsi offerte peu auparavant. Finalement, l'enchanteur replace tranquillement ses gants tout en se redressant lentement, grognant légèrement en savourant la sensation de sentir ses muscles se délier et se gorger de cette soudaine nouvelle température ainsi offerte.
-"Cette poudre est quelque chose que j'utilise souvent pour mes enchantements. C'est presque comme un moyen de stocker de la magie, à petite dose. Plutôt que se consumer elle même, elle viendra dans un temps temps consommer la poudre, avant de reprendre son fonctionnement normal. Avec assez de temps je suis sur que je pourrais la traiter pour que cet état soit permanent."
Finalement il vient rendre la fleur à Frey sans cesser de sourire, se frottant les mains désormais chaudes,agitant un peu les jambes pour laisser la circulation revenir dedans. Tout autour d'eux, l'agitation est presque aussi active, et très clairement les petits Soots pourraient passer la nuit dans un tel état d'excitation, comme si ils ne connaissaient pas la fatigue. Mais s'agissant de cette fleur, c'est au traqueur de décider de son destin. C'est un cadeau qui lui a été fait après tout, et Almassar comprends qu'il pourrait vouloir ainsi la laisser poursuivre sa vie naturelle jusqu’à la voir s'éteindre, et non la transformer en un quelconque brasier magique, même si les idées ne manquent pas. Après tout, souvent, le problème n'est pas de réaliser quelque chose, c'est d'y penser. Donc qui sait ce que le guide pourrait imaginer comme utilisation pour cette étrange fleur gorgée de magie naturelle...