Aussi évident que cela soit.
Mon corps gardait des stigmates évidentes de mes journées de jeun. Je ne serai jamais un grand baraqué. J'ai eu longtemps des cheveux cassants, des ongles inexistants et un moment, j'ai cru que mes dents se déchaussaient. Comment avais-je pu attirer quelqu'un ? Ce n'est que depuis que je fais le plus vieux métier du monde que je pouvais reprendre une alimentation quasi complète et saine. Je faisais toujours passer Kahlua avant moi mais... c'était à mon tour. Cependant, c'était une toute autre question qui me taraudait et qui m'avait poussé à entrer dans la boutique.
Bon, enfin deux questions en réalité. Mais une que je savais que j'allais poser et une seconde que... Je ne suis pas sûr d'assumer.
"B-bonjour !"
Est-ce que... comme un magasin, il pourrait y avoir des promotions ? Des arrivées de produits ? Est-ce qu'il pourrait y avoir des cours sur les plantes vendues ? Je m'approchais des différentes infusions. Je savais que 'Lua aimait ça et les différents goûts ne me disaient rien... Peut-être quelque chose pour calmer ses angoisses et la faire moins paniquer ? Moins se transformer ?
Elle avait passé plusieurs heures à fabriquer divers remèdes avant de revenir dans la boutique et de commencer à ranger les produits à leurs places. Elle se trouvait derrière le comptoir accroupie quand elle entendit la clochette à l’entrée de la boutique sonner ainsi qu’une voix d’homme. Doucement, elle se releva et salua le potentiel client qui était venu ici. Depuis le début du mois où elle s’était installée, il n’y avait pas grand monde qui venait, certains arrivaient par hasard et découvraient sa boutique, d’autres la cherchaient pendant des heures, persuadés de la trouver sur la place commerçante.
— Bonjour Monsieur, que puis-je faire pour vous ?
La question était un peu idiote, elle devait bien le reconnaître. Il était forcément venu pour un remède, il n’était pas là pour acheter des légumes et encore moins pour parler botanique avec elle… Quoique… Au vu des diverses plantes disséminées par-ci par-là dans la devanture, on se serait crû dans un lieu floral comme un fleuriste ou encore un petit musée.
Elwing reconnaissait aisément que sa boutique n’était pas très bien indiquée, mais pour cela il lui aurait fallu plus d’argent et pour l’instant elle n’en avait pas les moyens. Un peu plus tard, il lui serait peut-être possible d’avoir une enseigne, en faisant du troc auprès d’un menuisier qui sait. Mais pour l’heure, elle avait un client devant elle et elle se devait de l’aider, de le conseiller au mieux et de lui vendre quelque chose si cela était possible ou au moins de troquer sa marchandise contre autre chose.
D'une voix un peu décontenancée, je vins expliquer ma visite.
" Est-ce que vous auriez... une infusion ou quelque chose pour calmer les angoisses ? Ma fille de dix ans me fait régulièrement des crises de panique et... c'est très 'gênant'. Surtout pour elle... J'aimerai l'apaiser. Et je ne sais pas trop comment m'y prendre."
J'imaginais que c'était dû à notre situation... Autant financière que sentimentale. Si sur le premier point je pouvais faire des efforts, il m'était très difficile de réaliser le second. Il était utopiste que de penser que l'autre et moi pouvions ressortir ensemble. D'un côté, ça me rendait triste pour elle... Mais sa mère nous avait abandonné. Il fallait qu'elle se fasse une raison...!
D'autant plus que quand elle angoisse, elle se transforme en oiseau et disparait dans la capitale ! Et après, c'est moi qui suis le plus inquiet des pères. Je songeais de plus en plus à économiser pour une bague de cette pierre qui annule les pouvoirs. Mais si c'était son moyen pour exorciser sa peur, est-ce que je ne renforcerai pas son malaise ?
" Et je cherche du raticide. Quelque chose de puissant. J'en ai plein mon habitation."
Lorsqu’il finit par lui indiquer la nature de sa venue, Elwing attrapa son menton entre son pouce et son index replié en pleine réflexion… Apaiser l’angoisse d’une enfant… Et un raticide… Pour ce qui est du dernier point, rien de plus simple grâce à la nature. De nombreuses plantes étaient des poisons et si la teneur est élevée, le produit peut-être très rapide. Il est vrai que l’apothicairesse avait bien pensé que le raticide pouvait être utilisé pour tuer quelqu’un et non pour éliminer la petite vermine à quatre pattes, mais ce n’était pas à elle de critiquer les commandes, surtout si elles étaient bien payées.
Pour en revenir à l’angoisse, la jeune femme pensa qu’un parfum ou une crème parfumée serait certainement la meilleure façon de calmer les crises tout en buvant une infusion le soir pour aider à détendre la petite demoiselle.
— Pour le raticide, j’aimerais savoir quelle dose vous désirez. J’ai certaines plantes qui pourraient faire le travail, mais je ne sais pas si j’en ai assez. En ce qui concerne les crises d’angoisse de votre fille, vous m’avez bien dit qu’elle avait dix ans, n’est-ce pas ? Du coup, je vous propose plutôt d’opter pour une petite fiole montée en collier avec un parfum apaisant à l’intérieur ou alors une crème avec cette même odeur qu’elle pourrait appliquer le matin. Je peux bien évidemment vous proposer des infusions en plus qu’elle pourrait boire le soir avant d’aller se coucher, pour l’aider à s’endormir. Qu’en pensez-vous ? Si c’est le prix qui vous inquiète, je vous rassure, je suis ouverte à tout type de rémunération, même le troc si cela vous arrange. Je vous laisse y réfléchir, prenez le temps qu’il faut.
Elwing releva la tête, faisant retomber sa main devant son corps derrière le comptoir et lui sourit amicalement. C’était ce qu’elle pensait être le mieux pour la petite, il était après tout déconseillé de donner de forts remèdes à des enfants, surtout s’il s’agissait de cachets. Tout du moins c’était ce qu’on lui avait inculqué, rabâcher serait plus juste vu le nombre de fois que son père le lui avait dit. Elwing se doutait que les médecins ne seraient pas d’accord avec elle, ils prescriraient probablement des remèdes plus forts et bien plus rapides, certains voyaient la médecine pas les plantes comme une idiotie et ne prêchaient que par les saignées…L’apothicairesse n’était pas de cet avis, pour elle, les remèdes doux étaient plus sûrs et pouvaient être pris sans risque d’accoutumance et sans effet secondaire si la prescription était respectée.
Elle ne pouvait rien faire de plus pour le moment, elle devait patienter et attendre la réponse de ce père qui avait l’air inquiet pour sa fillette. La clochette de la boutique retentit une nouvelle fois dans le dos du client et Elwing se pencha sur le côté pour regarder qui était entré.
— Je reviens tout de suite, réfléchissez à ma proposition pendant ce temps.
Elwing passa de l’autre côté du comptoir avec une boule en tissu dans les mains et s’approcha du garçon qui tenait un cageot dans les bras.
— Tu peux le poser, Georges, je m’en occupe tout de suite. Tiens, voilà l’onguent et les bandages pour ta grand-mère. N’oubliez pas de nettoyer la plaie à l’eau claire avant d’appliquer la crème et de refaire les bandages toutes les trois heures pendant la journée. J’ai rajouté un sachet de comprimé pour qu’elle puisse dormir sans avoir mal. On est d’accord que c’est deux comprimés dans la soirée pendant une semaine, n’est-ce pas ?
— Oui, madame. Maman et mamie, elles répètent les instructions tous les jours. On les connaît par cœur à force.
— C’est très bien. Je ne te retiens pas plus longtemps, allez file.
Elwing le laissa partir et se baissa légèrement pour prendre le cageot avant d’aller le déposer dans le laboratoire à l’arrière de la boutique et de revenir pour reprendre la discussion et la vente potentielle avec l’homme qui se trouvait dans la boutique.
Alors que je réfléchissais à ce qui était le mieux pour Kahlua, cherchant à savoir si c'était plutôt de nuit ou de jour qu'elle avait le plus de crises, je suivais d'une oreille distraite ce qui se passait proche de moi.
Quand l'apothicaire fut de nouveau libre, je m'approchai en cherchant son regard.
" Madame ? Je pense que la solution de la fiole et du baume seront adaptés. Elle ne fait pas de crise la nuit et je ne crois pas que ça l'empêche de dormir. Je le saurais. C'est plutôt moi qui ne dors pas. Fis-je avec un sourire malicieux en tentant un peu d'humour pour cacher ma gêne. Je sais que ce n'est pas la solution à ses troubles mais.. Si je peux au moins tenter ça..."
Je me sentais maladroit. Je me sentais perdu. Combien de personnes venaient ici pour demander de l'aide ? J'osai espérer ne pas être le seul. Peut-être le seul père dépassé qui cherchait désespérément l'apaisement de sa fille. Sans chercher le sien. Je laissais le silence s'installer avant de reprendre :
" Pour le raticide, j'aimerai quelque chose d'efficace et non périssable. Dans le bar pour lequel je travaille, il y en a plein aussi. C'est un grand espace et l'endroit est assez mal isolé. Ils peuvent assez aisément aller et venir. J'ai entendu dire que ces bestioles avaient une intelligence rare et qu'il fallait éviter les poisons instantanés. Est-ce que vous auriez ce qu'il faudrait ?"
Puis je baissais les yeux :
" Je désire vous payer pour votre travail. J-je n'ai pas grand chose de valeur et je ne pense pas que le troc soit une solution qui vous soit rentable. Mais pour ma fille, je rassemblerai les fonds pour lui proposer le meilleur. "
Même si je devais me remettre à jeuner, je le ferai. Je n'en étais pas à mon coup d'essai.
— Je vous remercie, Monsieur, mais je ne fais pas ce métier pour l’argent. Je fais ce qui est en mon pouvoir pour aider les gens à se soigner, à ne pas mourir alors qu’il existe divers remèdes qui leur permettraient de vivre encore de nombreuses années. J’aime aider les autres, même si certaines demandent ne sont pas très « légales » dirons-nous, si cela peut servir à soigner d’autres personnes comme votre enfant ou une grand-mère qui n’a pas beaucoup de moyens, je suis prête à faire beaucoup de choses pour que cette boutique reste ouverte.
Elwing soupira en repensant à la dispute qu’elle avait eu avec ses parents juste avant de devoir quitter la maison. Le problème était bien là : elle avait abandonné son éthique pour de l’argent, mais c’était bien grâce à cela qu’elle avait pu aider d’autres personnes sans que les finances n’en soient trop impactées. Après tout, autant prendre aux riches en faisant de grosses factures et laisser l’argent aux pauvres. Elwing était convaincu que chaque personne était en mesure de faire quelque chose, de proposer un savoir ou une compétence. Mais là, elle se perdait dans ses pensées et l’homme en face d’elle devait se dire qu’elle était folle. Pour en revenir à son sujet d’origine, la damoiselle reprit la parole :
— Laissons la question du règlement pour plus tard si vous le voulez bien. Pour l’heure, j’aurais besoin que vous m’indiquiez les parfums que votre fille apprécie et qui l’apaise.
Prenant note et entourant l’information plusieurs fois, l’apothicaire repoussa son bloc-note et indiqua à l’homme de repasser dans quelques jours, le temps pour elle de fabriquer sa commande.
Les jours qui suivirent, elle les passa le plus souvent dans son laboratoire, surveillant l’absorption des effluves d’un parfum dans un liquide ainsi que l’avancée du séchage de diverses baies qui allaient servir à la création du raticide.
Le temps se rafraichissait dangereusement... Je devrais sans doute racheter une veste à 'Lua. Et faire attention : à cette température, en tant qu'oiseau, elle risquait de mourir en peu de temps. Il était plus qu'urgent de lui acheter la bague lui permettant de transformer ses habits en même temps qu'elle -Oui, depuis que je sais que c'est un petit zozio, je m'étais énormément renseigné sur le sujet-.
La cloche retentissait alors que je m'engouffrais dans l'échoppe. Je sortis mes mains des poches et soufflais dessus pour tenter de les réchauffer. Fatigué, je m'étais vêtu de manière un peu plus chaude. J'avais sorti ma tenue complète : pantalon gris, veste associée, écharpe rouge... Mais le bout de mon nez ne mentait pas : j'étais frigorifié de venir jusqu'ici. En plus de cela, j'avais des cernes et j'étais un peu plus pâle.
Il ne fallut pas quelques secondes avant que je ne recroise le regard ambré de la vendeuse. Elle me reconnut sans doute immédiatement. Je lui offris un 'Bonjour' poli et un sourire de circonstance. Je m'approchais de la caisse alors qu'un autre client finissait ses achats.
Je regardais autour de moi et en une petite semaine, un renouvellement s'était fait. Pas énorme mais suffisamment pour le remarquer. D'autres plantes, d'autres propositions de vente, d'autres prix. Alors que mon nez se décongestionnait, je fus surpris par une douce odeur épicée et chaleureuse. Mon regard tomba sur les pot pourris qui ornaient les fenêtres.
J'aurais aimé savoir faire ça. J'aurais aimé avoir ces connaissances pour aider les autres. J'aurais aimé rendre mon existence plus importante et altruiste. Cette demoiselle devait s'endormir avec la sensation d'avoir aidé la société et des familles par centaine. Un bon et beau sentiment. Je me remémorais son discours solidaire... et même si je ne voulais pas emprunter ce chemin, je trouvais la démarche remarquable. Rien que pour cela, j'avais envie d'y être fidèle.
Une fois à mon tour, je m'approchai :
"Bonjour, je suis là pour le baume apaisant et le raticide."
Ses journées se déroulaient sans encombre, alternant entre vente, conseils et préparation. Ce matin-là, une tasse reposait encore sur le comptoir quand un premier client arriva dans la boutique pour lui prendre un paquet de tisane à la camomille. Tandis qu’elle encaissait le client, la sonnette retentit de nouveau et elle salua le nouvel arrivant qui semblait frigorifié. L’apothicaire termina sa besogne avant de poser ses mains devant elle en regardant les deux hommes, l’un sortant, l’autre venant chercher sa commande.
Elwing acquiesça quand il lui déclara venir pour le baume et le raticide et se baissa sous le comptoir pour en ressortir un cageot, elle souleva le sac en chiffon qui cachait le tout et montra au client un grand sac de raticide ainsi qu’un petit pot de crème et une fiole montée sur chaîne.
— Voilà ce que vous m’avez demandé : du raticide, je vous conseille d’en verser un peu dans des écuelles de petites taille en portant des gants et de les poser dans sur les lieux de passage des nuisibles. Il vous faudra attendre tout de même quelques jours (pas plus d’une semaine) pour que les effets se fassent ressentir. En ce qui concerne votre fille, je vous ai fait un baume comme demandé, je vous rajoute aussi une petite fiole d’eau parfumée à la fraise qu’elle peut porter en collier.
Elwing regarda l’homme en face d’elle et remarqua ses cernes, elle s’avança vers lui, par dessus le comptoir et le fixa dans les yeux quelques secondes avant de revenir à sa place et de lui demander.
— Comment vous sentez-vous ? Vous m’avez l’air exténué. Dormez-vous la nuit correctement ?
L’apothicaire attrapa les produits tout en parlant et les rangea dans le sac en chiffon en faisant attention à ne rien casser. En attendant la réponse de l’homme face à elle, elle but une gorgée de son thé (tiède) avant de faire une grimace et de reposer la tasse rapidement. Elle devrait s’en refaire un, l’eau avait trop refroidi, le goût était horrible.
" Ne vous inquiétez pas pour moi. J'ai l'habitude."
Je n'aimais pas ce regard qu'on pouvait glisser sur moi. Un mélange d'attention, de pitié et d'intrigue. Je ne le méritais pas et je ne voulais attirer l'attention. Je n'étais que de passage, laissez moi repartir. Puis je revins à notre transaction : loin de moi, de mes attentions et de mes besoins.
" Il y a un chien qui a été recueilli par le gérant du bar. S'il mangeait par inadvertance de ce raticide, est-ce qu'il risquerait quelque chose ? "
Pour mon plan, je devais faire attention à ce que cela marche de manière inter espèce. Mais aussi que ce ne soit pas un principe magique. Puis je pris ma bourse de cristaux :
" Combien vous dois-je ?"
Et j'insisterai pour payer de manière complète.
Peu après il reprit la parole pour lui demander plusieurs choses et elle posa ses mains sur le comptoir, bien à plat, réfléchissant à ce qui lui était demandé.
— Pour tout vous dire, je ne suis pas sûre. Je pense que si le chien avalait une souris vivante ou morte ayant ingéré mon produit, il souffrirait de maux de ventre et vomirait pendant plusieurs heures. Si l’animal mangeait le raticide directement, je ne suis pas certaine des conséquences, mais à bien y réfléchir je crois pouvoir dire sans trop me tromper que s’il en ingère une petite dose, il risquerait les mêmes maux que ce que je viens de dire, s’il en mange une grande plâtrée, par contre, il risque la mort dans d’atroces souffrances…
Je laissais le silence s’installer tandis que je comptais mentalement ce qu’il me devait : je faisais la base des crèmes à cinq cristaux noirs, le raticide ayant pris du temps et des composants il en coûterait trois cristaux sombres, le parfum était cadeau, mais je devais compter le prix des fraises que j’avais achetées : j’en avais eu pour un nouveau cristal sombre. Mais il était hors de question que je lui fasse payer tout cela, et en même temps, je devais rentrer dans mes frais.
Je soupirais en me grattant la tête avec ma main droite.
— Si je compte correctement, vous me devez un total de trois cristaux sombres et de vingt-trois cristaux noirs. Si vous insistez pour me payer l’intégralité, mais que vous ne les avez pas sur vous, vous pouvez m’en payer une partie de suite et payer le reste par petits montants par la suite. Ce n’est en rien un souci.
Je ne sais pourquoi, mais j’évitais son regard et préférais me concentrer sur la tache sur le comptoir en attendant sa réponse. J’avais bien saisi qu’il refuserait de ne pas me payer la somme entière et de faire du troc, il n’avait pas besoin de savoir que j’avais baissé un peu le prix pour les ingrédients de la crème vu que je faisais déjà le raticide assez cher.
" Ah."
J'eus un petite sourire courroucé suivi d'un rictus. Mon âme d'avare eut un poignard fiché en plein cœur. Cependant, il était important pour ma fierté d'assurer l'achat. D'autant plus que c'était pour Kahlua. Est-ce que je ne pourrais pas laisser le raticide ici et... revenir au besoin pour le récupérer ? A vrai dire, c'était dangereux pour Kahlua d'en avoir. Après, elle était grande et ne serait pas du genre à prendre ça pour des bonbons. Alors que ma réflexion avançait, je passais une main angoissée dans mes cheveux roux.
Je pris ma bourse et me mis à compter pour lui donner la somme exacte. Quand les cristaux furent mis sur sa paillasse, je sentis à quel point mes économies furent balayées en quelques secondes. Cependant, j'étais intimement convaincu, à son regard et à ses mimiques, qu'elle m'avait fait une fleur. Or, vu le prix de base, je n'étais pas assez riche pour me permettre d'insister. Ralalala, je n'ai vraiment aucune parole. Je m'épuise. Je ne suis vraiment pas fier de moi.
" ... Et voici l'équivalence de trois cristaux sombres et vingt trois noirs. Je vous remercie pour votre aide et votre patience Madame. "
Je pris le temps de me rhabiller avant de repartir dans le froid. Gants, veste, écharpe... tout était assez fin et j'allais sans doute devoir marcher vite si je ne voulais pas mourir de froid sur le trajet. Mais c'en était ainsi. Je pris mes affaires tout en souriant poliment à ma demoiselle une dernière fois.
" Bonne journée à vous !"
Je m'engouffrais dans le froid de ce début de saison. Sur le chemin, je me faisais violence pour ne pas trembler de froid. J'augmentais la cadence de mes pas mais aussi sa longueur pour dissoudre au plus vite cette distance qui me séparait de la chaleur. Peu épais que je suis, j'étais totalement asservi à la morsure des températures. Alors que je m'engouffrais dans notre appartement, je posais tout au dessus d'une armoire avant de courir dans la cuisine pour me faire chauffer de l'eau... car mes doigts étaient gelés et un bon thé ou de l'eau sucrée me suffirait à me réchauffer un peu le corps. Mes mains étaient tellement engourdies que je ne sentis pas à quel point l'eau était bouillante... brulant ma langue et ma gorge.
" 'Tain !"
Je suis réellement un boulet.
Elwing voulut tendre le bras pour le rattraper et lui parler, mais elle arrêta son geste en plein vol, il était poli, mais elle avait eu la sensation qu’il était froid et encore plus après avoir réglé sa commande. Alors d’une petite voix en regardant le sol elle lui répondit :
— Bonne journée à vous aussi.
Elle aurait souhaité lui dire qu’elle préférait qu’on la nomme « Mademoiselle » ou par son prénom, qu’elle n’était pas assez âgée pour être appelée « Madame », mais rien ne franchit ses lèvres. Quand elle releva les yeux, il avait déjà passé la porte et la clochette retentissait doucement dans la boutique. Elle encaissa les cristaux en soupirant, elle n’aurait pas dû être si intrusive, il gérait sa vie comme bon lui semblait, ce n’était pas à elle de lui quoi faire. Mais voilà, elle ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter…
Peut-être irait-elle faire un tour dans l’établissement où il travaillait ? Ce serait peut-être un bon moyen de combler son malaise et de vérifier que tout allait bien. Ce serait bien sûr le hasard, elle ne pouvait pas avouer la véritable raison de son déplacement. Ou alors, elle ne faisait rien et restait dans son monde de remèdes et continuait de faire ce qu’elle faisait au quotidien, sans chercher à s’immiscer plus dans la vie de cet inconnu qu’elle avait vu deux fois en l’espace de quelques jours.