Le plan se voulait simple, ou du moins dans sa description. Il était question de faire évader un quatuor d'idiots qui avaient eu la malchance de tomber sur plus costauds qu'eux alors qu'ils orchestraient l'enlèvement de Nevaeh Farley. Les trois premiers que Khepra avait fait libérer en graissant quelques pattes ne lui avaient été d'aucune utilité, il avait donc choisi de les exécuter au lieu de les garder sous le coude. Ceux qu'il projetait de faire évader cette fois-ci étaient malheureusement plus difficiles d'accès que les précédents du fait de leurs antécédents respectifs, ce qui avait nécessité l'intervention de plusieurs spécialistes. Pour ce qui était des cibles de l'évasion, lorsqu'ils auraient communiqué les informations dont le mort-vivant avaient besoin, ils allaient probablement rejoindre leurs anciens compagnons dans la tombe, leurs salaires ainsi supprimés permettant d'ailleurs de financer le coup de ce soir.
A cette pensée, Khepra ne put réprimer un rire furtif tandis qu'il s'accroupissait pour détailler avec plus d'attention l'objectif qu'il surplombait précautionneusement, ne souhaitant pas être repéré avant le début des hostilités. Il vit une poignée de gardes défiler devant lui, discutant probablement de banalités en attendant patiemment la fin de leurs tours de patrouille. Le tueur profita de ce temps mort pour ajuster son équipement, reboutonna son manteau et vérifia que chacune de ses dagues affutées pour l'occasion était bien en place. Son fidèle Khopesh se trouvait sur son dos, solidement sanglé et prêt à faire couler le sang. Pour finaliser le tout, il enfila un masque argenté, représentant ironiquement un crâne.
Si l'idée de s'attaquer aux forces de l'ordre ne rebutait pas nécessairement l'assassin immortel, il allait cependant devoir faire preuve de davantage de subtilité s'il ne voulait pas y laisser des plumes en attirant trop l'attention sur lui et son organisation. Faire évader des malfrats était une chose, massacrer une escouade toute entière en était une autre. Il le savait justement pour en avoir déjà fait l'expérience par le passé, sans compter que ses agissements du jour étaient effectués sans en avoir informé la Cabale, il n'était donc nullement couvert et savait d'avance qu'il se verrait contraint de se débrouiller seul en cas de pépin.
C'était bien pour cette raison qu'il avait décidé de casser la tirelire pour faire appel à des professionnels, cette fois-ci. La première tentative d'enlèvement avait été réalisée par de simples voyous et s'était soldée par un échec total, l'organisation du rendez-vous suivant avec la jeune hôtesse s'était également terminé en fiasco et risquait fort de lui valoir l'attention de la Guilde, chose qui ne lui plaisait qu'à moitié. Il y avait parmi les aventuriers des menaces qu'il ne faisait pas bon avoir sur le dos, mais à trop vouloir jouer avec le feu, Khepra avait fini par se brûler. Il était d'ailleurs inquiété par l'absence de renseignements concernant Nevaeh qui, après sa fuite extraordinaire, s'était si bien planquée qu'elle n'avait pu être traquée par aucun des espions du Non-Mort. Il espérait avoir du neuf au plus vite, se sachant plutôt bien entouré en matière d'informateurs.
Un bruit de pas régulier et léger vint enfin le tirer à ses rêveries et ce fut dans un craquement osseux que le monstre fit pivoter sa tête décharnée pour jeter un regard en biais au premier arrivant, dont il ne discernait pas encore la silhouette parmi les ombres. Les nouveaux visages de ce soir n'étaient pas encore au fait de la condition de leur employeur, qui n'avait pas jugé bon de leur révéler de quel pouvoir il était affublé avant de les avoir tous rencontrés en personne. Les rumeurs le concernant commençaient à se faire entendre dans le monde criminel, néanmoins les entretenir ou les enrichir n'avait pour l'heure aucun intérêt stratégique.
De sa voix grave et monstrueuse, la créature prit la parole sans pour autant faire l'effort de se redresser ou de faire face à son allié du soir :
"Vous êtes en avance, c'est encourageant."
Le phytomancien s’avança vers une petite porte discrète, à l’écart de la belle façade rutilante de la « Maison Le Doré ». Klarion tapota quatre fois sur le bois à la peinture écaillée, puis attendu quelques instants avant qu’on lui ouvre enfin. Le Doré apparut une fois la porte entrouverte, drapé dans une longue redingote vermeil damassée de fils d’or. Des breloques cristallines pendaient autour de son cou et, au bout de ses doigts osseux, brillait une véritable constellation de diamants. La lumière dévoilait son visage, long et aquilin, ainsi que son fin sourire en croissant de lune qui inspirait tout sauf bonne confiance. Sur sa tête trônait un grand béret rond duquel s’échappait une gerbe de plumes de paon et de mérion azuré. Faisant cliqueter ses colliers et ornements de cristal, l’antiquaire laissa entrer Klarion avant de refermer rapidement la porte. Le jeune homme se retrouvait alors dans un atelier qui avait des allures de salon d’étude. La pièce était surchargée de tentures et Klarion pouvait sentir une forte odeur d’encens de rose provenir de ce qui semblait être un catafalque à taille d’enfant, sans rien sur son support.
- Votre « ami » vous attend sur le toit, messire Brando, fit Le Doré d’un ton doucereux, tendant son bras d’un geste mélodramatique.
- Ce n’est pas mon ami, et ne m'appelez pas « messire », répliqua Klarion, glacial.
- Oh, je vois. La rose a des épines…, ricana l’antiquaire en plissant les yeux.
- Vous rirez moins quand les Ergots de la Cour seront à votre porte.
Son sourire s’évapora en un battement de cil. Se renfrognant, Le Doré partit vers un gramophone, la peau plus pâle que les perles qui ornaient sa redingote, se marmonnant à lui-même. La Cour des Griffons terrifiait bon nombre de personnes et tout le monde évoluant dans le monde souterrain en avait entendu parler de près ou de loin. Leur seul nom suffisait à faire cauchemarder. Et Le Doré était parfaitement conscient que, quand bien même il en venait à posséder toute la fortune du monde, il serait parfaitement impuissant face à la Cour et ses terribles assassins.
Entendant un violon grincer à travers l’immense cornet du gramophone, Klarion monta l’escalier pour arriver sur le toit. Il ne distinguait toujours pas le visage de la personne qui l’avait convié à cette réunion au clair de lune. Mais cette personne lui avait promis une très belle somme d’argent pour s’infiltrer dans la caserne de la Garde de la Capitale, celle là même où il avait lui-même été enfermé, puis libéré, par le Commandant Arban en personne. Klarion était venu par curiosité, pour savoir ce que ce fou manigançait contre la Garde. Et, surtout, ce qu’il pouvait réellement en tirer. Après tout, l’argent n’avait aucune importance à ses yeux, seul son combat pour les plantes comptait. Mais, qui que ce soit ce spectre, le Souverain de la Flore voulait savoir s’il pouvait tirer sa propre épingle de son jeu.
- Un rendez-vous au clair de lune. Vous écrivez un roman pour midinette ?
Klarion referma la porte du toit derrière lui, faisant quelques pas vers l’inconnu. Toujours sur ses gardes, il savait qu’il avait toujours quelques flacons de spores dissimulés sous sa cape, ainsi que ses fidèles parfums entêtants.
- Que de suspense ! Vous allez vous montrer ? Vous ne pouvez pas être plus laid que le Capitaine de la Garde royale de toute façon, ça serait… contre-nature.
- N’oublie pas. Tu t’pointes seulement au signal. Et. Tu. La. Fermes. C’est compris ?
- Oui, oui… Répliqua l’intéressé en se balançant d’une jambe sur l’autre, l’air un peu penaud.
Bien qu’il désirait ardemment servir Inaros, qui avait l’apparence de celle qui le chérissait tendrement, il ressentait toujours un léger pincement au cœur - métaphorique puisqu’il ne possédait pas d’organes - lorsqu’il lui faisait la morale sur ce ton. Quelques jours plus tôt, il avait pourtant réussi à le rendre fier. Il s’en souvenait comme si c’était hier. Ce jour-là, il avait éprouvé un plaisir indescriptible à pénétrer dans les locaux réservés à la garde pour dérober quelques informations cruciales pour Inaros. Ce n’est que le lendemain, lorsqu’il avait retrouvé les yeux de sa mère, qu’il avait eu honte de ses actes.
Un pli rapprocha les sourcils du mercenaire, qui tapota une nouvelle fois son gantelet où était dissimulé sa lame secrète d’assassin. Un moyen de s’assurer qu’elle était bien en place et qu’il pourrait en faire bon usage si les choses s’envenimaient au cours de la nuit. Lorsqu’il avait été contacté pour aider un autre criminel à s’infiltrer dans la prison de la caserne de la Capitale, il avait hésité. Longuement. L’offre était alléchante mais sa position délicate. La sculptrice le haïssait et chacun semblait utiliser sa journée pour saboter celle de l’autre. Il n’avait donc réclamé qu’une seule chose : l’heure à laquelle ils agiraient. Ainsi, il était assuré d’avoir le contrôle total sur la situation et de ne pas risquer de voir une Ivara sauvage débarquer et tout faire capoter. Elle était devenue spécialiste en la matière et il était bien décidé à ne plus la laisser faire.
Un coup de peigne magique avait raccourci ses cheveux blonds pour lui conférer une coupe à la garçonne, mais celle-ci se voyait à peine sous sa capuche. Il était aussi vêtu d’une combinaison sombre pour le rendre invisible parmi les ombres et il avait, là encore, soigneusement dissimulé la poitrine dont il était attifé avec ce corps féminin. Son apparence androgyne laissait libre court à l’imagination de ses interlocuteurs s’ils avaient envie de perdre du temps à deviner son genre. Il ajusta sa manche sur son poignet et s’élança sur les toits de la Ville pour rejoindre celui où il avait rendez-vous.
Il arriva presqu’en même temps que celui qu’il reconnut tout de suite être Klarion Brando. Son identité n’était pas inconnue, même pour quelqu’un qui vivait au fin fond d’une grotte. Il avait kidnappé la Reine et, récemment, le Chantelune Voyageur avait publié un article sur ses motivations d’éco-terroriste. Il ne l’avait pas lu, mais Ivara oui et il en conservait quelques bribes de souvenirs. Même s’il n’était pas totalement en adéquation avec la vision de Brando - tuer pour la justice et sauver des fleurs, pfeuh - il reconnaissait qu’il savait y faire et qu’il avait réussi à instaurer un climat de doute au sein de la Capitale les jours qui avaient suivis la capture de la Reine. Il avançait avec prudence, restant sur ses gardes. Ils étaient de son espèce, imprévisibles et capables du pire.
- Tant qu’t’as mes cristaux, t’peux bien décider d’rester dans l’ombre tant qu’ça t’plaira. Il se tourna vers celui qui venait d’arriver par la porte du toit. Et toi, c’Brando, j’suppose ?
Inaros croisa les bras sur son torse, restant à une distance raisonnable des deux hommes. Peu lui importait l’identité et les motivations de leur commanditaire du soir, il ne voyait que la récompense à la clé. L’appât du gain était ce qui l’avait toujours motivé.
- Inaros, ‘chanté, ajouta-t-il de sa voix étrangement féminine si on la comparait à son attitude générale. On a un plan ?
Il voulait voir ce qu’allait révéler ces deux comparses, bien qu’il attendait surtout une réponse de la part de celui qui les avait réunis ici. Lui-même était en possession de plusieurs informations sur le lieu qu’ils allaient infiltrer. Depuis quelques lunes, il s’était fait un allié dans la Garde. Le soldat Walsh, alias Kit. Il ignorait tout de sa véritable identité, Calixte Alk’heir mais la réciproque était aussi vérifiée. C’était grâce aux informations de ce, soi-disant, Kit qu’Inaros avait réussi à s’infiltrer une petite semaine au sein de la Caserne, laissant le soin à Faël de récupérer tous les renseignements dont il pourrait avoir besoin par la suite.
Cette suite, c’était maintenant qu’elle se jouait.
C’est alors que la brise du soir vint caresser les narines du mercenaire, emportant avec lui une odeur nauséabonde qu’il tenta d’éliminer en fronçant les ailes de son nez. Il ignorait d’où elle venait et n’en avait finalement cure. Il était bien plus impatient d’entendre ce que les autres avaient à exposer.
Si le nouveau venu n'avait pas la même notoriété, il détenait pourtant une certaine réputation dans le monde sous-terrain et était surtout reconnu pour son professionnalisme ainsi que son ingéniosité. Sur le plan humain en revanche, Khepra ne possédait pas la moindre information sur cet individu là. Le fameux Inaros, après une brève présentation, s'accorda l'attention du commanditaire en entrant dans le vif du sujet, il était visiblement impatient de s'y mettre et ne semblait pas vouloir perdre du temps en courbettes et autres banalités. Un vrai pro', comme on le lui avait vendu. Une vraie pro' d'ailleurs ? La question effleura l'esprit du zombie, mais il la chassa rapidement de ses pensées. Cela n'avait aucune forme d'importance pour ce qui allait venir. L'immortel ne s'était pas encore tout à fait décidé sur l'approche et espérait justement en découvrir davantage sur les outils ainsi que les possibilités de ses alliés avant d'acter un plan final.
En guise d'introduction, Khepra porta une main à son masque qu'il vint décrocher avant de l'abaisser légèrement, dévoilant ainsi son faciès décharné à ses compagnons. Pressé par le temps, il portait ce soir le même déguisement de chair putride que celui qu'il avait utilisé lors de l'entretien avec Nevaeh Farley quelques jours plus tôt. Du fait d'un manque total d'entretien, la carcasse qui lui servait de vaisseau s'était grandement décomposée, révélant déjà tendons meurtris et os jaunis par endroits. Privé de lèvre supérieure, son visage monstrueux était d'ailleurs figé dans un rictus dérangeant et ses deux prunelles luisant d'un éclat spectral n'ajoutaient pas une once d'humanité à ce macabre tableau. Cette sinistre révélation effectuée, le monstre enfila à nouveau son masque tout en s'adressant à Klarion, non sans une pointe d'ironie :
"Je crois que même ce fameux Capitaine ne risque pas de jalouser une telle trombine."
S'assurant que son masque était à nouveau bien sanglé, le mort-vivant pivota en direction des Gardes qu'il surplombait puis extirpa une dague ornée de l'un des fourreaux qu'il portait à sa ceinture, désignant les représentants de l'ordre de la pointe de son arme tout en reprenant :
"Comme vous le savez déjà, il est question de libérer quatre crapules des cellules de cette caserne. Je n'ai pas besoin de les récupérer entiers, juste assez vivants pour pouvoir leur soutirer quelques infos. Pour ce qui est de la méthode, nous pouvons tout à fait en prendre des otages mais je veux par dessus tout limiter la casse. Chaque Garde qu'on élimine représente pour moi un souci supplémentaire, alors si nous sommes contraints de nous débarrasser de certains gêneurs, veillez à ce que cela ne soit pas léthal, de préférence."
Avec une pointe d'amusement, Khepra réfléchit un court instant à ce qu'il venait de dire. Était-il parvenu à dénicher de la maturité quelque part, récemment ? C'était bien la première fois qu'il s'inquiétait de ce genre de détails mais à bien y songer, c'était également la première fois qu'il se retrouvait véritablement responsable d'un coup d'une telle envergure. Malgré son expérience du terrain, diriger une escouade qui n'avait pas pour vocation de tout anéantir sur son passage n'était pas dans ses habitudes et, d'une certaine manière, il trouvait ceci plutôt grisant. Après une pause marquée, il tâcha de reprendre son discours sans laisser transparaître sa joie et son excitation :
"Je vais être franc avec vous, j'ai fait appel aux meilleurs car le temps m'est compté et surtout parce que la situation est plus qu'épineuse. Ces hommes seront transférés ailleurs dans peu de temps et en vue de leur implication dans mes petites affaires, la sécurité qui les entoure est probablement renforcée. Nous pouvons soit prendre des gardes en otage, soit tenter une approche plus discrète, qu'en pensez-vous ?"
L'équipage n'avait eu que très peu de temps pour se préparer à l'opération, par conséquent l'immortel ne s'attendait pas à des miracles en terme de préparatifs de la part de ceux qu'il avait engagé, mais peut-être étaient-ils capables de le surprendre ? Après tout, c'était bien parce qu'ils surclassaient de loin leurs concurrents que Khepra les avaient sélectionnés.
Klarion avait jeté un œil à Inaros, le mercenaire, quand il était arrivé. Bien qu’il avait déjà entendu son nom sortir de plusieurs bouches parmi le monde souterrain, il ne l’avait jamais rencontré avant cette nuit. L’intéressé n’avait pas non plus grandi parmi les enfants des rues, et voilà qu’il était arrivé du jour au lendemain sur la scène criminelle pour offrir ses services à qui voulait bien de lui. Le phytomancien n’avait que faire de ses affaires, il ne s’était jamais mis en travers de sa route et ne l’avait jamais dérangé. Mais il apparaissait évident qu’Inaros était un chasseur de primes compétent qu’il ne valait mieux pas froisser. Il cachait bien plus qu’il ne laissait transparaître, si bien que Klarion ne serait pas spécialement surpris de découvrir si le bougre marchait dans les traces des grands mafieux de leur temps. Il ne restait plus qu’à espérer qu’il ne finisse pas comme cette pourriture de Don Marcel, que Klarion avait fini par occire…
- Il y a un passage secret sur le toit, il mène à l’intérieur. Si vous arrivez à nous mener jusque là-haut en parfaite discrétion, je pourrais aisément le retrouver. Je suppose que c’est votre domaine, Inaros…
Klarion s’était tourné vers le mercenaire, dans l’expectative. S’il acceptait de suivre ces deux criminels et de participer à leur plan, ça n’était pas pour l’appât du gain. Il n’avait que faire de l’argent. On pouvait lui offrir des montagnes de cristaux, suffisamment pour humilier la famille royale, il n’en aurait que faire. Le jeune homme n’avait aucun intérêt pour les biens matériels. Néanmoins, il ne le faisait pas non par pur souci d’altruisme pour deux inconnus à l’âme déjà damnée. Il voulait surtout frapper la Garde avec panache, les prendre avec surprise de l’intérieur et montrer au monde qu’ils étaient bien trop décadents pour proprement assurer la sécurité des citoyens du royaume. Son action, comme toutes les précédentes, était émue par une volonté de chambouler la société d’Aryon, forcer les citoyens à repenser leur manière de vivre. Son entrevue avec la journaliste du Chantelune Voyageur avait déjà porté ses fruits. Plusieurs personnes commençaient déjà à se demander s’il n’avait pas des motivations légitimes. Il avait déjà vu des réactions similaires dans le visage des citoyens auxquels il s’était adressé lors de l’embrasement de la Rivière Luisante. Le garde royal Hryfin Danvil avait même été forcé de scinder la foule pour ne pas qu’un affrontement de rue éclate entre ceux qui s’étaient mis à questionner la Couronne et ceux qui fustigeaient le terroriste.
- Il y a cependant une chose sur laquelle je veux que l’on soit clairs. Le Commandant Höls est peut-être dans la caserne. Si c’est le cas, moi et moi seul m’occuperait de le gérer. Vu l’heure, et les récentes agitations dues au grand Marché Noir, il est fort improbable qu’il soit toujours sur place. Mais, si c’est le cas, n'interférez pas.
Cela faisait longtemps que Klarion n’avait pas revu Arban, commandant de la Garde. Il s’était lié d’amitié avec lui alors que le dignitaire avait décidé de prendre son cas en main et pris d’assaut les jardins botaniques pour le forcer à se montrer. Depuis, Klarion et Arban ont contracté une étrange relation, tant amicale que spirituelle. Le phytomancien voyait en ce vieux loup le père qu’il n’avait jamais eu. Il ignorait ce qu’Arban voyait en lui, intérieurement il aurait voulu le savoir. Mais Klarion refusait de voir les deux criminels abattre le père qu’il s’était choisi.
- Ceci est ma seule exigence. Inaros, comment on grimpe sur le toit du coup ?
- J’suis d’accord. Prendre en otage, non, et tuer… En dernier r’cours. Ne put-il s’empêcher de commenter, juste avant. d’ajouter Tâchons d’rester discrets. Ce s’rait dommage d’rejoindre vos hommes d’rrière les barreaux.
Il avait, quelques secondes plus tôt, esquissé un mouvement de sourcils en apercevant le faciès presque squelettique de son commanditaire. Ce n’était pas tous les jours qu’on avait l’occasion d’admirer pareil minois et, au vu de son passif et de l’animosité qu’il ressentait envers la Garde, nul doute qu’il aurait trouvé les Capitaines ou le Commandant encore plus laids. Il avait déjà plusieurs idées pour essayer de rentrer en toute discrétion à l’intérieur de la caserne, mais une seule lui plaisait réellement et leur garantissait un pourcentage presque maximal de réussite. Il ne faisait pas spécialement dans la dentelle lorsqu’il s’agissait d’avoir des états d’âmes mais il n’aimait pas devoir laisser un chemin jonché de cadavres derrière lui. Il évitait donc, autant que possible, d’utiliser des moyens létaux lorsqu’il en avait l’occasion. Il nota cependant la requête portant sur l’homme le plus haut gradé en poste dans la Capitale. De toute façon, ce soir, ce n’était pas sur cet Höls qu’il avait un contrat. Mais qui sait, un jour peut-être ? Un rictus étira ses lèvres et il reporta son attention sur les deux autres criminels.
En réponse à Klarion, l’index de sa senestre toucha nonchalamment le lobe de son oreille, auquel était accrochée une discrète boucle d’oreille qui contenait - lorsqu’il était au repos - son fidèle compagnon de verre. C’était à lui qu’il avait pensé lorsqu’il avait réfléchi à la meilleure façon de grimper sur les toits. Il avait cru comprendre que ces compagnons du jour n'étaient pas des plus à l’aise lorsqu’il s’agissait d’escalader des parois, contrairement à lui qui, depuis son enfance, grimpait sur presque toutes les surfaces.
- Messieurs, j’vais vous dévoiler mon meilleur moyen d’locomotion. Un peu encombrant mais diablement costaud.
Il disparut et, moins d’une minute plus tard, il revenait avec son golem de verre qu’il avait soigneusement ré-activé et qui se déplaçait donc à côté de lui. Faël le golem aurait presque pu être confondu avec un être humain à première vue. Il était vêtu entièrement de tissu sombre et sa capuche dissimulait son visage de verre. Ivara avait fait des merveilles sur cette création : yeux, nez, fossettes, lèvres articulées. Elle serait folle de rage s’il était détruit au cours de l’opération. Chose qui ne serait pas dérangeante pour Faël, puisque cette conscience ré-intégrerait automatiquement la boucle d’oreille que portait Inaros. Faël salua Khepra et Klarion et se plaça derrière Inaros. Il restait stoïque, espérant ne pas décevoir celui qu’il considérait comme son paternel mais qui avait l’apparence de sa chère mère.
- J’ai qu’une limite avec lui, j’peux pas trop m’éloigner sinon i s’désactive. Ah, qu’voulez-vous, on peut pas tout avoir même avec les meilleurs enchantements d’ce Royaume.
Et pourtant, les fenrir savaient comme il avait envie que cette création soit plus autonome et n’ait pas besoin de rester dans un périmètre d’une dizaine de mètres autour de lui. Il avait appris à s’adapter et à l’utiliser comme une arme lorsque le moment était opportun. Comme lui avait toujours répété Stentor, son propre père : « Tu es un mercenaire. Tu es un outil, comme cette dague. » et il en était de même pour Faël. Une arme pour l’aider à réaliser ses plus sombres desseins.
Avec professionnalisme, il sortit également un plan détaillé de l’intérieur de la caserne et laissa libre ses comparses de l’observer et, surtout, de remarquer et noter les précieuses annotations qu’il avait lui-même réalisées lors de son repérage. Ce dernier avait été rendu possible grâce au fameux Kit, qui lui avait trouvé une place de choix pour qu’il récure quelques latrines, le temps que Faël récupère ces documents dans les pièces adjacentes.
- Voyez c’qu’on peut obtenir lorsqu’on accepte de réaliser quelques travaux pour ces flemmards. Subtilisés dans c’te caserne, y’a un peu moins d’une lune. Ricana-t-il en pointant du doigt une partie du toit. Ton passage secret doit être que’que part par là. Les geôles sont là. Faudra emprunter plusieurs couloirs pour l’atteindre. J’cru comprendr’ qu’t’étais proche des plantes. Y’a peut-être moyen qu’tu les utilises pour endormir quelques gardes ? Il leva les yeux vers celui qui n’avait plus rien d’un homme. Ou bien p’t’être que t’as aussi d’quoi les immobiliser. Moi j’suis là pour vous m’ner là-haut surtout et assurer vos arrières.
Cette petite réunion lui rappelait les contrats qu’il effectuait, plus jeune, avec Stentor, Sandro et Warren. Il était encore jeune à cette époque et ce n’était pas lui qui planifiait les missions. Il avait appris en observant le trio.
- Pour grimper, j’vous propose Faël. Il vous suffire d’vous asseoir sur les épaules d’ce solide gaillard. Il saura vous porter sans encombre et grimper sur l’toit. J’m’occupe d’passer d’vant vous et d’éliminer l’garde qui s’ra en r’connaissance à ce moment-là. Vous fiez pas à son apparence et son poids, j’l’ai formé, c’est l’meilleur.
Il replia le plan après avoir laissé le loisir à tout le monde de contempler, se redressant en passant machinalement les doigts sur sa lame secrète.
- Si vous êtes ok, j’passe donc devant.
Selon leur réponse, il agirait donc comme il l’avait indiqué et ils pourraient aviser de la suite du plan sur le toit de la caserne.
Khepra n'avait aucune réelle raison de s'y opposer et se contenter d'acquiescer sans mot dire d'un mouvement désinvolte, toutefois cela méritait de nourrir un peu de curiosité à ce sujet. Qui était ce fameux commandant et que lui valait cette attention de la part de Klarion ? Conservant cette information dans un coin de sa vieille caboche décrépie, Khepra accorda de nouveau son attention à son autre partenaire qui semblait détenir tous les outils requis pour satisfaire leurs besoins.
Inaros, décidément plein de ressources, leur fit la surprise d'introduire un protagoniste de dernière minute. Si Khepra était déjà bien intrigué par la simple présence d'un nouveau-venu, il l'était d'autant plus par la véritable nature de ce dernier. Ce n'était pas un homme qui venait de faire son entrée, ou du moins pas tout à fait. Il en avait tout l'air, du moins par sa silhouette et ses attitudes, néanmoins Inaros se chargea vite de préciser que l'entité se "désactivait" en son absence, chose qui intrigua grandement le mort-vivant. L'immortel offrit une brève référence en guise de salutations pour accueillir le golem puis se mit à l'observer de la tête au pied. Si cette créature humanoïde était un simple outil de travail, il s'agissait à coup sûr d'une trouvaille extraordinaire.
Mais loin d'en avoir fini avec ses cadeaux, Inaros semblait définitivement vouloir mériter son salaire. En effet, le mercenaire avait apparemment fait du zèle et dévoila qu'il était en réalité muni d'une carte des locaux, ce dont Khepra rêvait sans pouvoir mettre la main dessus. Un sourire satisfait se dessina sur le faciès monstrueux de l'éternel et ce dernier se pencha en avant pour détailler avec plus d'attention les annotations et remarques qu'Inaros avait préalablement indiqué sur la carte. Le Non-Mort se contenta d'examiner les grandes lignes tout en écoutant d'une oreille attentive la suite des directives proposées par le mercenaire. Malgré son habituelle malveillance, Khepra ne put s'empêcher cette fois-ci de saluer ouvertement les efforts de son compagnon et ce fut d'un ton enjoué qu'il s'adressa au concerné :
"Eh bien, quelle efficacité ! Je dois dire que je suis épaté. J'accroche pas mal Inaros, ton plan me semble convenable. On sera derrière en cas de pépin."
Son aval apporté, l'immortel se tourna ensuite vers Klarion et lui glissa :
"Je compte principalement sur tes talents si quelque chose tourne au vinaigre. Je préfère te laisser gérer les accrochages plutôt que d'avoir à faire usage de mes propres talents."
Pour illustrer son propos, Il se contenta d'effleurer l'un des fourreaux contenant l'une de ses nombreuses dagues. En matière de carnage, il s'imposait certes pas mal, mais redoutait aujourd'hui d'avoir à se servir de ses compétences dans ce domaine car le résultat final risquait fort de poser plus de problèmes qu'il allait en résoudre. Les préparatifs achevés, Inaros leur intima qu'il était temps de lancer les hostilités et ce fut donc en ces termes qu'ils se mirent en route.
Après avoir quitté leur perchoir, les trois bandits profitèrent de la noirceur de la nuit pour s'aventurer au plus près des murs de la caserne. Depuis les ombres, les criminels observaient dans le détail les trajets de patrouille qu'empruntaient les gardes mais leurs yeux avisés n'eurent besoin que d'une poignée de minutes d'analyse pour définir une trajectoire leur permettant d'évoluer en évitant toute détection de la part des forces de l'ordre.
Comme convenu, Faël et Inaros furent les premiers à escalader le mur et ce fut avec une réelle surprise que Khepra découvrit à quelle vitesse le golem était capable de se déplacer sur une surface verticale, bien qu'il soit chargé du poids de son propriétaire. L'ascension se fit donc sous les regards attentifs de Klarion et du Non-Mort puis, une fois au sommet, Inaros bondit du dos de son acolyte et disparut sur le toit. Faël entama sa descente, donnant par la même occasion aux deux criminels restants le signal qu'ils attendaient : c'était désormais à leur tour de s'y coller.
Khepra ne se fit pas prier et bondit depuis sa cachette, atteignant en un éclair le mur et s'accrochant avec une adresse féline à l'épaule droite de Faël. Lorsqu'il saisit sa prie, le Non-Mort fut d'ailleurs très étonné de découvrir que le golem n'avait pas esquissé le moindre mouvement lorsqu'il s'y était cramponné, ce qui démontrait d'office la force herculéenne dont était dotée le géant. Très impressionné, Khepra se retourna et tendit sa main libre à Klarion afin de l'aider à grimper sur l'autre épaule du colosse. Une fois chargés, ils démarrèrent leur ascension à bord de cet ascenseur bien atypique et se retrouvèrent sans encombre au sommet de la caserne.
Une fois arrivés, ils observèrent les lieux un instant pour trouver Inaros qui, fort heureusement, se trouvait non d'eux et ne semblait avoir éprouvé aucune difficulté pour se débarrasser de l'homme qui montait la garde. Après avoir réajusté sa cape, Khepra s'approcha du mercenaire qui nettoyait sobrement ce qui semblait être une lame attachée à son poignet. Evidemment, il avait été contraint de s'occuper du type par la méthode la plus radicale. Le mort-vivant fit deux pas en avant pour contourner son camarade et découvrit alors le cadavre égorgé de celui qui n'était autre que leur première victime. C'était véritablement problématique, mais procéder autrement aurait sans doute été trop dangereux pour la suite des opérations.
"Hm, c'est ennuyeux. J'espère que nous n'aurons pas à empiler davantage de cadavres par la suite. Tâchons de rester discrets et évitons la casse, à l'avenir."
Pendant que Khepra établissait l'état des lieux, Klarion ne perdit pas de temps et leur indiqua la position de la trappe menant au fameux passage secret auquel il avait fait allusion plus tôt. Ce premier point d'entrée ne paraissait ni verrouillé ni piégé et ce fut donc sans inquiétude mais avec une once de précaution toutefois que les trois intrus pénétrèrent dans l'enceinte de la caserne. Ils empruntèrent donc la trappe et s'aventurèrent dans les couloirs. Tandis qu'ils avançaient, l'immortel qui prit discrètement la parole, ne sachant pas avec précision à quel moment ils allaient commencer à croiser d'autres gardes :
"Si j'en crois tes indications Inaros, nous allons nous retrouver à l'étage qui surplombe celui de la cellule. On va croiser de la résistance très vite. Klarion, tu es capable de t'en charger sans faire couler plus de sang ? Ca m'arrangerait, je te cache pas."
Et ce premier obstacle n'allait visiblement pas tarder à se manifester car, au bout de ce premier couloir, les voix de plusieurs individus s'élevaient. Sur ses gardes, Khepra leva sa main brusquement pour faire signe à ses compagnons qu'il valait mieux interrompre la marche afin d'établir un plan d'attaque. Il porta sa seconde dextre à la Relique du Sépulcre qu'il avait préalablement fixée sur son torse, se préparant machinalement à faire usage de sa magie en cas d'altercation, avant de murmurer :
"Au moins trois hommes, peut être plus. Ils sont encore en train de discuter, je pense qu'ils ne nous ont pas entendus. On va devoir se charger d'eux vite fait bien fait si on veut pas alerter tout le quartier. On est parés ?"
Marchant le long du couloir ténébreux en passant sa main sur un mur humide, l’éco-terroriste suivait de près ses deux acolytes, empruntant pour la seconde fois ce corridor plein de courants d’air. La dernière fois qu’il l’avait emprunté, c’était en compagnie d’Arban, commandant de la Garde, pour sortir de la Caserne dans laquelle le vieux loup l’avait enfermé. Il espérait d’ailleurs que son ami ne serait pas présent ce jour, et que les deux malfrats avec lesquels il agissait de concert respecteraient leur promesse et se tiendraient à carreau si le Commandant venait à être présent. Arrivés près de la sortie du passage les faisant débouler à l’intérieur de la Caserne, les trois criminels eurent effectivement, comme le Non-Mort leur avait signifié, entendre les voix étouffées d’un groupe de gardes qui devaient se trouver non loin d’eux.
Inaros et Khepra s’écartèrent pour laisser passer Klarion, comme il le réclamait d’un ton agacé. Ouvrant discrètement la poterne du passage, le jeune homme jeta un coup d’œil dans le couloir pour analyser la situation. Le mafieux cadavérique avait raison, il y avait bien trois militaires en train de bavarder à quelques mètres d’eux, riant silencieusement de bon cœur alors qu’ils se faisaient des plaisanteries personnelles. Ils avaient l’air relativement jeunes, suffisamment pour être des recrues nouvellement promues, satisfaits de ne plus faire partie de la bleusaille tout juste bonne à récurer couloirs et écuries. Néanmoins, ils n’étaient pas à sous-estimer. Ils étaient certes jeunes et peut-être moins bien bâtis que leurs aînés, ils demeuraient des militaires entraînés avec de potentiels pouvoirs offensifs. Il allait falloir s’en débarrasser d’un seul coup, ce que Klarion était bien capable de faire…
- Restez là, ça sera bref.
Gardant l’entrée légèrement ouverte, Klarion s’accroupit pour passer ses doigts dans le coin de l’entrebaillement. Entrant en contact avec la pierre froide, un petit rameau à feuilles vertes se mit à pousser. Partout entre les feuilles, on pouvait discerner de petites fleurs brunes ressemblant étrangement à des baies. La forme de leurs pétales avait quelque chose d’inquiétant, comme des visages en train de hurler de désespoir. Le phytomancien ne prit cependant pas le temps d’expliquer à sa troupe ce qu’était cette magnifique petite plante qu’il venait de faire apparaître et se contenta de se concentrer sur les trois soldats. Contrôlant le lurgubus hurlant grâce à sa magie, Klarion fit passer la plante dans l’entrebâillement du passage et, en une fraction de seconde, les fit projeter un nuage de spores au loin dans le couloir. Au bout de quelques secondes, surpris, les trois gardes furent pris de convulsions intenses. Attrapant leurs têtes dans leurs paumes, n’arrivant pas à émettre le moindre son tant les psychotrophes des spores étaient puissants. Au bout de quelques minutes, ils s’effondraient au sol, inconscients.
- Et c’est bon, la voie est libre, dit Klarion à ses deux équipiers alors qu’ils émergeaient de leur cachette. Mais on va devoir emprunter un autre couloir, les spores de lurgubus hurlant vont rester dans l’air un moment.
Regardant autour de lui, Klarion referma l’entrée du passage, dissimulant le rameau de fleurs à l’intérieur pour ne pas qu’il soit remarqué. Il fallait qu’ils soient détectés le moins possible afin de conserver l’effet de surprise. Considérant cela, il fallait que ces trois militaires soient, si jamais découverts, le moins suspect possible. Si la plante était immédiatement vue, alors la Garde saurait que Klarion était dans les parages et sonnerait l’alerte sans délai. Là, une fois le nuage de spores dissipé, ces trois balourds s’éveilleraient sans comprendre ce qui venait de leur arriver. Et ils auraient bien peine à expliquer à un officier supérieur pourquoi ils étaient en plein sommeil, la tête aussi douloureuse qu’un lendemain de beuverie. Avec un peu de malchance, ils se feraient même enguirlander !
- Il va falloir progresser à tâtons. Je savais où était ce passage, mais j’ignore comment on s’oriente là dedans.
Klarion avait été transporté dans la caserne le visage couvert et il avait pu retrouver sa vision uniquement dans sa cellule temporaire et le bureau du Commandant Arban. Il ne savait pas vraiment où se trouvait quoi que ce soit dans ces couloirs… Ils allaient devoir évoluer à l’aveuglette, mais le jeune homme prévoyait quand même de dessiner des croquis de carte sur un petit calepin, avec un crayon de charbon, histoire de retrouver leur chemin s’ils devaient repartir vite ou pour de futurs coups d’éclat. Il espérait vraiment pouvoir revoir Arban, ou au moins passer par son bureau. En plus d’éprouver le désir de revoir le Commandant, Klarion avait besoin d’informations confidentielles sur un groupuscule infâme et ancestral pour qui le jeune homme était débiteur. La Cour des Griffons planait comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête de Klarion, pouvant l’appeler à chaque instant pour qu’il paye sa dette. Le jeune homme n’était pas bien pressé et savait que ces maudits oiseaux de mauvais augure ne lui demanderaient rien de moral ou d’aisé… Il fallait qu’il puisse se prévenir de leur contrôle, d’une manière ou d’une autre, et si possible les mettre hors d’état de nuire. Mais, avant cela, il allait devoir s’armer de solides défenses.
- Mes plantes peuvent causer suffisamment de chaos dans la caserne en cas d’urgence. Fit Klarion avant de se tourner vers Inaros. Il serait plus judicieux que tu ouvres la marche, tes… talents… de monte-en-l’air seront utiles pour la reconnaissance. Allons-y.
Il était évident que la carte fournie par Inaros à ses deux comparses pouvait comporter son lot d’erreurs et d'approximations. Il leur manquait aussi plusieurs informations capitales : le nombre de soldats en faction ce soir-là, les tours de garde ou encore l’heure à laquelle ils prenaient le repas ; parce que l’heure du repas était un moment sacré et que, dans un Royaume qui ne connaissait que la paix depuis des centaines d’années, les fiers défenseurs de la Capitale était peut-être plus enclin à lâcher du lest lors du dîner. Toujours est-il que les trois lascars avançaient à grande vitesse, surtout après l’ingénieuse utilisation des spores de lurgubus hurlant sur trois gardes. Inaros ne retiendrait probablement pas le nom de cette plante, mais il commençait à appréhender l’utilité qu’elle et toutes ses copines pouvaient avoir pour l’aider dans ses missions. Peut-être que s’il se mettait à son tour à les utiliser, il se prendrait un sacré savon par celui qui était surnommé l’eco-terrorriste. Peut-être bien qu’il fallait lui laisser ce domaine et ne pas empiéter sur ses plates-bandes. Le mercenaire avait entendu quelques bruits de tavernes, celles fréquentées par les gens de son espèce, sur ce que Klarion faisait subir à ceux qui ne prenaient pas soin, dirons-nous, des végétaux. L’autre était une véritable énigme. Il n’était même pas certain de connaître son nom et son allure repoussante aurait sûrement suffit à effrayer un ou deux soldats en poste. Il n’avait pas été très satisfait de la mort du garde sur le toit, mais Inaros n’avait pas pu faire autrement. Il avait été le sacrifice nécessaire pour tous les autres. Sa lame avait été soigneusement nettoyée et Faël était maintenant bien au chaud dans sa boucle d’oreille, puisque le garder sous sa forme de grand gaillard aurait été bien trop ennuyeux pour poursuivre sereinement l’évasion. Mais le mercenaire coincé dans le corps d’une femme savait qu’ils pourraient désormais faire sans plus de casse.
- Tes gars, c’sont les seules dans c’te cellule ? Pas envie qu’un’autre trouffion sonne l’alerte par jalousie.
Et ils auraient été bien malins, à réussir à faire évader trois hommes de main de leur commanditaire et à se faire dénoncer par les leurs. Puis, à la demande de Klarion, il prit les devants et ouvrit la marche à son tour. Il était bien content d’avoir revêtu ses chaussures en cuir silencieux. Au moins, ses pas seraient… Silencieux. Ou du moins étouffés. Ils traversèrent encore quelques couloirs, avant d’entendre de plus en plus de bruits aux alentours. Khepra avait vu juste, ils allaient rencontrer de la résistance et Inaros, de par ses expériences passées et ses contrats de mercenariat, avait une toute autre idée en tête. Il sortit la carte de sa poche, l’examina en détails pour la vingtième fois, se gratta le menton puis la rangea et chuchota à l’intention des deux criminels.
- On va faire un p’tit détour. Pour éviter d’verser du sang et d’rendre tout l’monde malade.
Il tapota un anneau doré magique, porté sur son annuaire, sembla attendre quelques secondes une quelconque confirmation puis hocha la tête. Il les emmena vers un autre couloir et ils avancèrent avec la plus grande des précautions jusqu’à ce qu’Inaros fasse signe à la joyeuse troupe de s’arrêter. Ils étaient devant une grande porte en bois. Inaros leur demanda de veiller à ce que personne n’arrive, puis colla son oreille contre la surface lisse et froide, guettant le moindre bruit. Il ne pouvait plus se servir de son anneau pour être certain que l’objet qu’il souhaitait le plus au monde était bien là, mais s’il se fiait à toutes les informations qu’il avait recueilli…
- Allez, un p’tit tour ici… marmonna-t-il en prenant un peu de sable dans son sac sans fond.
Il s’arrangea pour créer un petit quelque chose qui lui permit, sans grande difficulté, de déverrouiller la porte et de l’ouvrir. Ils étaient dans l’armurerie.
- Vous avez l’choix. Soit on s’déguise tous les trois, soit l’un d’nous fait l’criminel qu’les deux autres emmènent en cellule. Moi, j’choisis l’armure.
Et, sans attendre, il chercha ce qu’il pourrait mettre, avant de trouver, quelques minutes plus tard, la panoplie parfaite à sa taille. Heureusement que c’était rangé, par ici. Il enfila donc l’armure et le casque qui recouvrait une grande partie de son visage avant de se tourner vers ses compagnons pour voir ce qu’ils avaient décidé de faire.
Au loin, des éclats de voix d’enfants se firent entendre.
- Oh, papa a laissé l’armurerie ouverte ! Et si on allait y faire un tour ? Je veux voir les armuuuuuuuures !
Les bruits de pas se rapprochèrent vite, bien trop vite de là où ils étaient et, dans quelques secondes, deux têtes angéliques feraient leur apparition devant eux…
Sans un mot, l'immortel brava le nuage et s'abaissa pour venir fouiller les tenues respectives des trois gaillards, ce à la recherche d'éléments pouvant leur permettre de faciliter leur circulation au sein de la caserne. Il ne fallut pas longtemps au Non-Mort pour mettre la main sur l'objet de ses recherches, à savoir un trousseau comportant cinq clés de formes et de tailles distinctes. Khepra inspecta sa prise un instant puis, une fois satisfait, il la fourra dans l'une de ses poches et vint rejoindre ses deux alliés sans s'encombrer de commentaire superflu quant à cette époustouflante démonstration "d'apnée". Il ne savait pas à quelles serrures ces clés correspondaient, néanmoins il pouvait s'avérer utile de les essayer en cas de verrou récalcitrant.
Lorsqu'ils eurent repris leur progression, ce fut Inaros qui prit les devants selon les directives de Klarion, chose que Khepra ne vint pas contredire. Il était déjà très satisfait de la performance de ceux qu'il avait engagé, tant pour le travail logistique et stratégique du mercenaire que pour la puissance brut du phytomancien qui semblait à lui seul pouvoir écarter n'importe quel obstacle. Le fameux Inaros eut d'ailleurs un éclair de génie soudain et posa à Khepra une question qui le laissa un instant sans voix. Après mûre réflexion, il lui répondit :
"Hm, je n'ai malheureusement pas eu l'occasion de faire de repérage au préalable. Il est donc possible qu'ils ne soient pas seuls, tu fais bien de le souligner."
Une fois ce point épineux soulevé, les trois bandits se remirent en route. Par chance, la carte d'Inaros ne manquait pas de précision et ce fut donc sur les ordres du mercenaire que le trio se retrouvèrent jusqu'à l'armurerie de la caserne. Khepra se prépara à récupérer son trousseau mais fut devancé car le mercenaire semblait également versé dans l'art du crochetage. Il effectua d'ailleurs sa prestation à une vitesse qui ne manqua pas de surprendre le mort-vivant. Ce n'était pas pour subtiliser de l'armement qu'ils s'y infiltraient, mais bel et bien pour se faire passer pour des gardes. En revanche, lorsqu'Inaros proposa que l'un d'entre eux se fasse passer pour un prison, l'Immortel ne put réprimer un gloussement gras en s'imaginant dans ce rôle.
"Avec une gueule comme la mienne, je vais juste attirer l'attention de tout le monde. Si on veut faire profil bas, mieux vaut que j'enfile l'armure aussi."
Joignant le geste à la parole, il s'empara d'un casque épais doté d'une visière et vint le visser sur son crâne. Cela fait, il jeta un œil vers Klarion, qu'il dévisagea vaguement avant de compléter son raisonnement :
"Et remarque, ça vaut aussi pour toi. Une célébrité pareille ne passera pas inaperçue. Laissez tomber l'idée du prisonnier, ça vaut pas le coup."
Après s'être muni d'une panoplie lourde visant à masquer sa silhouette, Khepra entendit un son qu'il n'aurait jamais cru entendre dans un environnement tel que celui-ci, à savoir des rires d'enfant. Croyant de prime abord à une des hallucinations dont il était occasionnellement victime, l'éternel se figea et jeta successivement un regard paniqué à Klarion, puis à Inaros. Lorsqu'il comprit que la marmaille fonçait droit sur eux, il finit d'ajuster son plastron à la hâte et se prépara à accueillir les petits intrus.
Ils poussèrent la porte entrouverte en vitesse et se retrouvèrent bien vite nez-à-nez avec les faux gardes qui les toisaient en silence. Les perturbateurs n'étaient autre qu'un garçon et une fille ne dépassant pas les dix hivers. Stoppés net dans leur élan, ils restaient immobiles dans l'entrée, surpris et apeurés à l'idée de se faire gronder par des collègues de leur père. Les deux jeunes gens envisagèrent aussitôt de faire marche arrière, mais ce fut Khepra qui prit l'initiative en accueillant les petiots avec une apparente bienveillance qui était pour le moins déroutante, en vue de ce qu'il cachait sous son masque d'acier.
"Eh bien eh bien, qu'avons-nous là ? Deux petits gardes qui viennent s'armer pour partir au front ?"
Le ton se voulait enjoué, faussement autoritaire. Klarion et Inaros découvrirent également les talents surnaturels de Khepra en matière d'imitation car son timbre rocailleux avait laissé place à une voix bien plus avenante, celle du propriétaire originale du corps qu'il possédait. Son astucieuse interpellation eut l'effet escompté car au lieu de s'enfuir, les deux têtes blondes accordèrent au Non-Mort leur pleine attention. Tout en s'accroupissant pour arriver à leur niveau, il enchaîna sur la même lancée :
"Noms et grades, soldats ?"
Leur curiosité les poussa à rester, mais ils se montraient également timides. L'homme qui leur faisait face ne leur disait rien du tout et la visière qui dissimulait son visage avait de quoi effrayer. Un fébrile sourire sur les lèvres, les enfants restèrent silencieux, ne sachant pas quoi répondre à l'étranger. Khepra quant à lui, ne se laissa pas démonter et ne perdit rien de son air théatral. Il savait y faire.
"Ah ! Vous êtes les deux officiers dont on m'a tant parlé, je me souviens maintenant ! On me nomme ainsi : Sire Pantoufle. Mais rappelez-moi toujours vos noms, des fois que je me trompe ?"
L'amusement prit enfin le dessus sur l'inquiétude et la petite fille prit son courage à deux mains pour passer devant son frère afin de se présenter. Son sourire s'agrandit et elle répondit avec enthousiasme à son mystérieux interlocuteur :
"Moi c'est Sofia."
Un rictus invisible se dessina sous le casque de Khepra. C'était déjà dans la poche. Sans se redresser, Khepra vint empoigner un casque posé sur une table non loin de lui et le déposa délicatement sur la tête de la jeune fille. Le casque était bien trop grand pour elle et s'enfonça jusque sous ses yeux, chose qui la fit rire aux éclats. Elle saisit alors la visière pour la soulever et pénétra dans la caserne, ce qui encouragea son frère à se montrer moins timide.
"Moi mon nom c'est Eliott !"
Khepra s'écarta du chemin pour laisser entrer les deux marmots, avant de jeter des regards appuyés à ses camarades. Il allait falloir jouer le jeu un petit peu, s'ils espéraient se débarrasser de ces minuscules gêneurs sans encombre. Tout en fixant Klarion avec intensité, "Sire Pantoufle" conclut :
"Eh bien venez, officiers Eliott et Sofia. Je suis sûr que mes collègues sont ravis de vous rencontrer."
Des enfants, il avait fallu qu’ils tombent sur des enfants. Klarion n’avait absolument rien contre les enfants, surtout s’ils venaient de la rue comme il l’avait pu l’être par le passé. Mais des enfants de militaires, c’était une toute autre paire de manches. Faire du mal à la marmaille n’entrait pas en compte dans ses prérogatives. Il n’avait rien contre les terrifier, mais l’éco-terroriste ne faisait pas partie de ces malades psychopathes qui s’en prenaient au tout venant, peu importe leur âge. Klarion épargnait les enfants, sous gage de l’innocence, d’une insouciance relative qui finirait par s’estomper au fil du temps. Après tout, les enfants ne restaient jamais des enfants. Le Non-Mort revenait au milieu de l’armurerie avec le petit groupe de mômes. Hauts comme trois pommes, ils semblaient fascinés par tout ce qui leur tombait devant le nez. Les dénommés Eliott et Sofia en tête, les autres les suivaient de près sous la houlette de Khepra qui, le plus étrangement du monde, paraissait amusé par ce régiment miniature. Marchant comme des pingouins, ils dodelinaient en s’intéressant à tout ce qui arrivait à leur portée.
Klarion s’était paré à la va-vite d’un long manteau à épaulettes qu’il avait noué autour de sa taille à l’aide d’une cordelette argentée. Autour de sa tête, il avait passé un cache-œil doré trouvé dans un casier qui n’était pas verrouillé. Sofia, manifestement leader de la bande avec Eliott, scrutait le cache-œil avec intérêt. En sa compagnie se tenait un garçonnet frêle et pâle comme un linge, de grosses binocles posées sur son nez élargissant tellement ses yeux qu’il ressemblait à un petit insecte sur pattes. À demi caché derrière Sofia, le gamin à lunettes scrutait Klarion d’un air on ne pouvait plus timide, derrière ses verres en cul de bouteille. Le phytomancien ne savait quoi faire avec ces petits. Pourquoi Khepra les avait-il fait entrer dans l’armurerie ?
- C’est quoi ton machin sur ton œil lààààà ? Demanda Sofia, le nez en l’air.
- Un cache-œil, répondit simplement Klarion.
- C’est quooooi ?
- Pour cacher son œil.
- Et pourquoi tu veux le cacheeeer ?
Les piaillements de la gamine commençaient à irriter le criminel. Le jeune homme aurait adoré pouvoir déchaîner de nouveau un torrent de spores pour endormir ces chenapans avant de pouvoir continuer leur route. Toutefois, trois tire-au-flanc pouvaient passer selon les circonstances. Mais tout un groupe d’enfants de gardes assoupis ensemble sur le sol d’un vestiaire de stockage, il n’y aurait aucune équivoque et on se montrerait tout de suite suspicieux. Khepra avait forcé l’entrée des enfants dans l’équation, il devait sans doute savoir quoi en faire. Sans doute pouvaient-ils être utilisés comme boucliers spirituels ? On n’oserait pas lever la main sur eux tant que les petits étaient en leur compagnie. Et, peut-être, les laisserait-on tranquille si, de loin, on les voyait prendre en charge les mômes.
- Combien d’entre vous sont enfants d’officiers ? Demanda Klarion au groupe sans répondre à la question de Sofia.
Plusieurs mains se levèrent presque immédiatement, au moins cinq ou six. Néanmoins, les petits concernés ne se comportaient pas différemment avec les fils ou filles de simples soldats. Au contraire, ils se montraient étonnamment altruistes. Une fillette expliqua ce qu’était une tassette d’armure à une camarade qui venait d’en trouver une, un brun joufflu empêcha un rouquin au visage tacheté de se piquer la main avec la boule d’un fléau. Une certaine cohésion régnait entre eux, Klarion l’avait bien remarqué. Il en venait presque à se dire qu’il y restait un espoir pour la Garde en voyant ces petites pousses si gentils entre eux. Cependant, le terroriste n’allait pas risquer de mettre une plante sous leur nez, il ne voulait pas risquer une maladresse de l’un d’eux qui heurterait le pauvre végétal… Aussi, l’éco-terroriste préféra prendre un foulard dans un autre casier et s’enturbanner la figure, prétextant une blessure récente pour fixer le tissu. Il ne voulait pas que l’un des enfants réalise qui il était. Des petiots baignant dans un univers aussi militaire depuis leur naissance, avec des connaissances sur le matériel de garde, pouvaient dissimuler bien des surprises.
- Que diriez-vous d’un petit tour dans la caserne ? Je suis sûr qu’il y a des coins secrets que l’on peut découvrir avec vous.
- Oh oui ! S’exclama le rouquin. Plein de passages secrets !
- Ma maman elle m’a dit que y avait zéro dragon dans les caves de la Caserne mais j’suis sûr qu’elle dit que des bêtises ! Piailla une fille à couettes.
- Mais oui c’est des bêtiseries ! Ponctua Eliott.
- Que d’enthousiasme, reprit Klarion. Mettez-vous en rang, que nous puissions nous mettre en route !
Ouvrant de nouveau la porte, Klarion fit sortir les enfants deux par deux dans le couloir. Se déplacer lui semblait être la manœuvre la plus logique. Rester enfermés dans l’armurerie paraîtrait suspect et les enfants se seraient montrés impatients. Il ne fallait surtout pas que toute cette marmaille se montre dissidente, du moins pas pour l’instant. Il jeta un regard à Khepra et Inaros, leur intimant également de cadrer le groupe. Lorsque le dernier enfant fut sortit, il leur glissa en chuchotant :
- On garde ces gamins en guise de joker le temps de retrouver ceux pour qui on est venus. Mais ils vont finir par être des poids quand on aura atteint un certain point dans notre petite entreprise.
Il jeta un regard à Khepra lourd de sous-entendus. Klarion n’avait pas envie de faire de mal à ces enfants, irresponsables des stupidités de leurs aînés. Mais le Non-Mort venait de leur faire emprunter une pente de laquelle ils pouvaient aisément trébucher… Le phytomancien attendit que ses deux équipiers sortent de le couloir pour refermer la porte, conscient que ces enfants pourraient signer la réussite de leur entreprise… ou leur propre perte.
Les deux petites voix angéliques avaient dissimulé plusieurs des leurs. Ils étaient une dizaine de gosses à être entrés dans l’armurerie et, un peu pris au dépourvu, Inaros, qui s’était précipité vers un autre coin de la pièce pour dénicher quelque chose, accepta volontiers que ses deux comparses prennent les devants avec eux. Là où il était, il trouva sans difficulté un pantalon et une veste d’uniforme qu’il enfila rapidement par-dessus sa combinaison noire. En fouillant un peu plus, il dénicha une casquette militaire qu’il vissa sur son crâne, après avoir donné un petit coup de peigne magique dans ses cheveux pour les rendre bruns et plus longs. Cela ne dissimulait pas les traits de son visage, qui restaient reconnaissables, mais il ressemblait un peu moins à ce qu’il avait été une minute auparavant. De plus, l’équipement qu’il avait trouvé appartenait à une femme, puisque la veste tombait parfaitement sur ses épaules ; quelle chance !
Inaros jeta un regard entendu à Khepra et à Klarion, avant d’emboîter le pas à toute la petite troupe pour se mettre en marche. Il ignorait si ses enfants signeraient la réussite ou l’échec de leur mission. Une chose était sûre, ils étaient devenus un fardeau. Ils avaient aussi été vus. Si la discrétion n’était pas assurée dans les suites de l’opération, alors il y aurait une dizaine de témoins pas plus haut que trois pommes pour indiquer que « deux hommes et une femme les avaient entraînés dans la caserne, dans une sorte de visite guidée, après qu’ils soient passés par l’armurerie ». Le seul atout sur lequel ils pouvaient compter - mais Inaros n’y croyait pas - c’était d’imaginer qu’ils n’avaient pas le droit d’être ici et que la perspective de se faire enguirlander pour avoir été dans les parages était bien plus menaçante que prévue et qu’ils se tairaient donc. Des enfants, se taire ? Inaros voyait bien comment Chloé, sa jeune apprentie, était l’une des enfants les plus bavardes qu’il connaisse. En général, ces deux termes n’allaient pas de pair.
Ils empruntaient les passages un peu dissimulés qu’ils avaient repéré sur la carte et tous semblaient émerveillés sitôt qu’ils franchissaient le pas d’une porte dérobée.
C’est alors que des bruits de pas et de voix, adulte cette fois, se firent entendre dans un couloir adjacent. Les enfants, qui ne pouvaient s’empêcher de faire des commentaires sur tout ce qu’il voyait, et comme prévu, ne se turent pas. Au contraire, ils continuèrent de parler et Inaros dût leur faire signe de baisser le son. Certains ne comprirent d’abord pas mais, heureusement, d’autres oui et la cohésion de groupe déjà soulignée par Klarion fit effet pour que le silence revienne dans cette partie de la caserne.
- J’m’en occupe. On peut plus s’les traîner. Vous, vous continuez par là. Les cellules sont justes là. J’me débarasse de tout c’beau monde et j’vous rejoins. Si j’suis pas là et qu’vous avez d’jà sortis tes gars, vous disparaissez et on s’retrouvera à la sortie. L’angle d’la rue des mist et des rubia.
Et, presque sans attendre confirmation, il fit signe aux enfants de le suivre.
- On se calme, les enfants chuchota-t-il en utilisant sa voix féminine. On va passer par ici pour voir c’qu’y a. Vous v’nez ?
Ils paraissaient tous unanimes à l’idée de le suivre et de découvrir d’autres cachettes dans la caserne - si toutefois on pouvait dire que c’était des cachettes ; des « lieux de passages moins fréquentés » serait une dénomination un peu plus adéquate. Inaros entraîna donc les enfants avec lui, espérant qu’ils le suivraient tous et que Khepra et Klarion ne se retrouveraient pas avec un ou deux rejetons dans les pattes.
En s’éloignant des cellules, Inaros visait la confrontation avec les voix qu’ils avaient pu entendre. Il avait deviné qu’elles se rapprochaient de cette direction, probablement un peu alertées par le brouhaha enfantin. En tête du groupe, il prit les devants pour interpeller les deux soldats qui semblèrent surpris de voir une jeune femme en uniforme débarquer avec un troupeau d’humains miniatures derrière elle.
- Hé bien, vous en avez mis du temps ! Les enfants étaient perdus dans l’armurerie. Elle n’était pas verrouillée et plusieurs ont failli s’blesser. Vous savez c’que ça coûte, d’devoir soigner des blessures aussi profondément stupides ? Quoi, c’est pas vous qui d’viez garder ces gamins ? Alors qui d’vez l’faire ?
- Des enfants se baladent dans la caserne ? Les enfants de qui ?
- Mais si, y’avait l’instructrice Junda qui devait leur montrer deux/trois trucs sur le métier de soldats.
- Et bien nous avons notre coupable. J’peux vous laisser les ramener ? Vous ne s’rez pas trop d’deux à d’voir les gérer. J’dois aller faire mon rapport.
Et, là encore sans vraiment attendre de savoir si les deux hommes l’avaient écouté. Il profita plutôt qu’ils soient un peu interloqués pour prendre une autre direction, se fondant presque contre les murs de la caserne pour rejoindre les cellules où devaient se trouver Klarion et Khepra. Son histoire ne tenait pas suffisamment la route pour que les soldats avec les dix enfants sur les bras ne se posent pas plus de questions que ça. Avec un peu de chance, ils auraient un peu plus de cinq minutes devant eux pour libérer les prisonniers et s’évadaient avec panache.
Il retrouva ses compagnons un peu plus loin que là où il les avait laissés, en réalité pratiquement dans les cellules déjà.
- Je… On a pas beaucoup d’temps. I sont bavards ces mômes j’pense, expliqua-t-il en quelques secondes, le souffle un peu court car il avait couru sur les derniers mètres. Z’en êtes où ?
Sans plus de cérémonie, Inaros s'éloigna d'eux en amenant avec lui la petite troupe de lutins surexcités. Loin d'être angoissé par l'absence temporaire de l'un de ses collaborateurs du jour, le mort-vivant se savait pourtant dans l'estomac du Léviathan. Aussi profondément enfoncé dans les couloirs de la caserne, ils risquaient gros et chaque minute comptait s'ils espéraient pouvoir finir leurs jours autre part qu'à l'ombre.
"Au r'voir Sire Pantoufle ! Au r'voir m'sieur Cache-Œil !"
La petite voix de Sofia tira le monstre à ses réflexions et, lorsqu'il leva la tête, il fut surpris de constater que tous les autres garnements avaient copié l'initiative de cette dernière et saluaient le duo par des grands gestes enthousiastes. Khepra leur rendit la politesse avec le même excès, tâchant de se montrer aussi expressif que possible. Une telle fibre paternelle venant d'un monstre comme lui avait de quoi faire sourire ou, bien au contraire, de quoi faire frissonner. Une fois la troupe hors de vue, Khepra se tourna calmement vers Klarion et entama la suite des opérations.
"On perd trop de temps, il faut qu'on en finisse rapidement."
L'immortel se remit en marche, toujours affublé de son déguisement de fortune. Longeant les murs avec précaution et tâchant d'explorer les recoins avant de s'engager dans un couloir trop étendu, il se félicitait de n'avoir croisé aucune résistance trop solide jusqu'à présent. Le duo de criminels progressa ainsi un certain temps sans avoir à craindre d'être détecté, mais un premier obstacle se dressa enfin devant eux, sous la forme très banale d'une porte verrouillée. Fort heureusement, il avait toujours un petit atout dans sa manche en bon chapardeur qu'il était.
Il extirpa de ses poches le fameux trousseau dont il s'était emparé sur les corps des hommes endormis par la magie du maître de la flore et y inséra, sans succès, une clé puis une autre. Non sans une certaine frustration, il essayait chacune d'entre elles dans une symphonie de cliquetis qui se faisaient progressivement de plus en plus rageurs, ce jusqu'à finir par trouver la bonne au bout d'une dizaine d'essais. Un sourire se dessina sous son casque et il s'apprêta à pousser la porte, mais la poignée fut tirée depuis l'intérieur.
Surpris, le monstre se trouva nez-à-nez avec un garde qui, alerté par la nuisance sonore, venait d'ouvrir la porte lui-même. L'inconnu dévisagea le duo puis beugla :
"Vous êtes pas foutus de savoir q... Vous êtes qui ?"
Incrédule, le gaillard ne tombait pas dans le panneau qui avait berné les enfants quelques minutes plus tôt, au grand regret de Khepra qui échangeait déjà des regards résolus avec son compagnon. Le zombie rangea le trousseau dans l'une de ses poches, s'éclaircit la gorge puis s'exprima enfin d'une voix aussi humaine que possible :
"Eh bien pour tout vous dire, c'est une histoire tout à fait amusante."
Loin d'offrir à son vis-à-vis le plaisir d'une belle anecdote, Khepra activa sans crier gare les effets de son artefact. La brume bleue s'échappa à vive allure de la visière de son casque et son bras vint s'étirer jusqu'à la gorge du soldat, qu'il empoigna avec force pour ensuite le projeter à terre avec brutalité. Un second garde tout droit sorti de l'ombre se jeta sur l'assassin mais ce dernier, dont les réflexes étaient décuplés par magie, parvint sans mal à échapper à l'épée qui le visait tout en assénant un violent coup de talon en plein dans le nez de son premier adversaire qui cessa immédiatement de se mouvoir.
Le second garde, ivre de rage lorsqu'il vit son ami se faire ainsi malmener, asséna plusieurs attaques à la suite et parvint enfin à enfoncer sa lame en plein dans le cœur de la créature. Khepra s'immobilisa un instant, feignant la mort juste assez longtemps pour pousser l'ennemi à abaisser sa garde. Puis, tel un serpent il se redressa pour envoyer un violent uppercut dans le menton de sa proie, qui vint choir aux côtés du premier militaire sous la puissance de l'impact.
L'épée toujours plantée entre les côtes, Khepra se retourna vers Klarion et découvrit Inaros qui, bien essoufflé, venait à peine de les rejoindre. Tout était en train de tourner au vinaigre, aussi il était déjà grand temps de forcer la conclusion de cette petite excursion. Lorsque le rôdeur demanda au duo où ils en était, l'éternel se contenta d'extirper l'arme de sa carcasse dans un abject bruissement de chair écrasée avant de souffler :
"Comme tu peux voir, tout ne s'est pas déroulé comme prévu. Fort heureusement, on a retrouvé nos gars."
Il se tourna, puis enjamba les corps inanimés des deux hommes qu'il venait d'assommer. Non loin d'eux se trouvaient les fameuses cellules faisant l'objet de leurs recherches et, à l'intérieur, une poignée d'hommes terrifiés par la performance macabre dont ils venaient d'être témoins. Khepra marcha jusqu'aux portes de la cellule puis, après avoir vaguement observé les brigands qu'elles abritaient, il prit la parole sur un ton mêlant humour et colère, ce en pointant du doigt les quatre énergumènes qu'il était venu chercher :
"Messieurs, on a tranché : vous êtes libres !"
Surpris et évidemment inquiétés par le déplacement plus qu'inhabituel de leur monstrueux patron, les quatre voyous se levèrent de leurs bancs et s'approchèrent de la porte. Khepra découvrit alors un cinquième garçon qui avait visiblement été enfermé avec eux mais qui n'avait strictement rien à voir avec leurs affaires. Lorsqu'il l'aperçut, un éclat de rire sardonique lui échappa mais il attrapa tout de même le trousseau et entreprit de les libérer. Une fois la porte ouverte, il laissa sortir au compte-goutte ses hommes, jusqu'à arriver à l'inconnu qui s'était glissé parmi eux. Le gaillard, probablement un bouseux qu'on avait arrêté pour un vol de poule, s'empressa de saluer l'étranger qu'il voyait déjà comme son sauveur :
"Merci monsieur, je vous revaudra ç..."
Un coup de poing sans appel en plein dans les chicots le ramena jusqu'au centre de sa cellule. La tête du jeune homme heurta le sol, ce qui lui fit aussitôt perdre connaissance. Après l'avoir cogné, Khepra referma la porte avec dédain avant de s'épousseter les mains, tout en glissant d'un air goguenard :
"Désolé, j'ai payé pour quatre, pas pour cinq."
Alors que des rires gras s'élevaient derrière lui, il fit marche arrière et vint rejoindre le duo qui l'avait accompagné jusqu'ici, suivi de près par les quatre imbéciles qu'il venait de libérer.
"Les gars, je vous présente pas mes deux copains, ils le feront s'ils veulent. Vous nous collez aux basques et vous fermez tous vos gueules de rats, sinon je vous descends, c'est clair ?"
Le silence retomba donc bien vite.
Les quatre balourds que Khepra avait sorti de cellule, malgré leurs carrures d’armoire à glace et leurs sales trognes de malfrat, tressaillirent avant de détourner les yeux loin pour s’éloigner de l’éco-terroriste. Cela n’était pas pour lui déplaire. En plus de sentir aussi mauvais qu’un caniveau, ils représentaient tout ce que Klarion détestait chez l’humain. Ils étaient bêtes, leur air benêt plus intense encore que celui d’un Balthazar, ils prenaient des airs revêches pour avoir l’air de gros durs, et suivaient le Non-Mort par pur sadisme et envie de nuire. Ils étaient la lie humaine que se devait de traquer la Garde au lieu de rester à ses basques. Ces abrutis finis n’étaient que de la chair à canon, tout juste bons à ne rester que des sbires, des criminels de bas étage. Le phytomancien s’en voyait presque courroucé d’avoir été dérangé pour des relents d'égouts pareils. Il ignorait ce que Khepra avait en tête pour ses quatre sous-fifres, mais il espérait intensément que cela soit long et douloureux. Et ils avaient bien trop de chance de ne pas avoir vu leur destin dépendant du Souverain de la flore. Quoi qu’il en était, Khepra ne semblait pas vouloir que Klarion ne les réduise au silence.
- Dommage. On en reparlera dehors, quand ils seront devenus des poids. Inaros, à gauche.
Le blondin bifurqua vers la direction indiquée, le reste de la troupe suivant sans broncher. Klarion savait ce qu’il faisait. Depuis les cellules, il avait retenu le chemin qu’il avait pris lors de son dernier séjour, quand il était lui-même derrière les barreaux. Bien qu’ayant eu les yeux bandés, refaire réellement le chemin avec cette fois l’usage de sa vue lui permettait de comprendre par où on l’avait fait passer. Il savait ce qu’il faisait, et n’avait qu’une idée en tête en les faisant faire ce détour impromptu. Le chemin les guiderait vers la sortie, mais Klarion désirait ardemment faire une petite escale en route avant de s’éclipser hors de la caserne. Ils en avaient trop fait pour être pris à cet instant, il ne trahirait pas non plus ses camarades du jour. Mais il leur réclamerait quelques minutes de patience. Khepra le lui devait bien, après le service que le phytomancien était en train de lui fournir. Quant à Inaros, Klarion n’en avait cure. Le mercenaire n’avait que peu interagit avec l’éco-terroriste, et l’un comme l’autre n’avaient jamais été mêlés de près ou de loin à leurs affaires. Le criminel estimait que tout était bien ainsi, on avait pas à arpenter sur ses plate-bandes. Et Inaros, comme les autres, risquait de finir exsangue au milieu de ronces en tentant le contraire.
- La porte en bois rougeâtre, attendez-moi. Je ne serai pas long.
Klarion s’avança vers la porte et passa ses doigts dessus. C’était là qu’il avait été emmené, ce soir-là, quand il avait été enfermé dans une geôle poisseuse par un ami. C’était dans ce bureau que cet ami était censé siéger. Mais malgré toute l’affection que lui portait le jeune homme, il espérait ardemment que ce dernier ne se trouve pas dans son bureau lorsqu’il allait entrer. Klarion sentait son cœur battre dans sa poitrine, et une boule se noua dans son estomac. Le trac le prenait aux tripes alors qu’il passait sa paume sur le bouton de porte, son corps lui paraissant de plus en plus lourd. Il savait que son ami n’approuverait jamais ce qu’il était en train de faire, et avait par conséquent bien peur de tomber nez à nez avec lui. Pourtant, il devait le faire, il devait entrer. Il ne savait pas trop pourquoi. Klarion aurait très bien pu ne jamais s’arrêter, continuer comme si de rien était. Cela aurait été la solution de facilité, le choix du fuyard. Il était trop tard pour y penser, Klarion commençait déjà à pousser la porte. Le courant d’air lui glissa sur les joues alors qu’il entrait dans le bureau du commandant de la Garde.
Fort heureusement pour lui, Arban n’était pas assis derrière son bureau…
Le bureau d’Arban était exactement comme il l’avait vu la dernière fois. Un calme olympien, presque pesant, régnait dans la pièce. Un veston couvert de poils de chats angora avait été laissé sur une méridienne sur laquelle on n'avait pas dû s’asseoir depuis bien longtemps. De la poussière commençait à couvrir les épaules de la redingote, signe d’une certaine négligence. Le vêtement devait reposer sur le petit sofa depuis plusieurs semaines. Il faisait froid entre ces quatre murs, peut-être était-ce dû à l’absence du Commandant ? Du moins c’était de cette façon que l’éprouvait Klarion. Le bureau d’Arban croulait tellement sous les lettres et les dossiers qu’on peinait à distinguer le bois de la table. Une plume d’oie grise avait été laissée à côté d’une lettre inachevée, quelques gouttes d’encre tâchant le buvard en dessous.
- Ce fut… une bien étrange journée. Je suis entré par effraction dans la même caserne où tu m’as enfermé. Je pense que tu n’approuves pas, ni mes fréquentations d’ailleurs. Cela explique tous les couplets pour que je cesse de frapper la Garde, rester discret. Me faire entrer dans le moule, je suppose que c’était le plan. Et j’ai essayé, j’ai vraiment, réellement essayé, parce que tu comptes pour moi. Le problème c’est que je ne peux pas être ce bon petit soldat, jamais je n’ai pu l’être, je ne pourrai pas l’être malgré ô combien j’essaye. Je suis Klarion, né brillant, implacable, et peut-être perdu. Plus exactement humain d’ailleurs, mais bien mieux…
Il inspira fébrilement.
- Peu importe, je dois m’éclipser. Beaucoup à faire germer, graines comme esprits. Mais, je pense à toi, toujours.
Klarion posa sa main sur le bureau du Commandant pour y faire fleurir une magnifique fleur d’un jaune lumineux. La véridium, fleur de la vérité, demeurait lourd de sens et sans doute qu’Arban comprendrait. Après tout, il ne pouvait lui laisser un véritable mot sans le compromettre…
Le phytomancien ressortit de la pièce, les autres l’attendaient encore en guettant les alentours.
- C’est bon. On peut repartir, j’ai fait ce que j'avais à faire.
Le sort du cinquième compagnon de cellule ne l’affecta pas plus que ça et, au contraire, il concentra son attention sur les quatre gaillards qui avaient entouré Khepra. C’était donc pour eux que les trois criminels avaient risqué leur vie. Ils avaient l’air un peu pataud et pas très fût fût mais ils devaient être sûrement utiles et fidèles à celui qui les avait conduit ici. Ils reprirent leur route, en sens inverse, un peu plus nombreux cette fois et Inaros dût contenir son impatience lorsque Klarion déclara qu’il avait quelque chose à faire au beau milieu du trajet. Il savait qu’ils n’avaient pas beaucoup de temps devant eux. Ils avaient dû faire face à de nombreux contretemps, même si l’ensemble de l’opération s’était globalement bien déroulée. Nul doute que, sans l’aide de chacun, ils auraient probablement déjà pu être arrêtés - ou perdus dans ce dédale de labyrinthe. Et puis, quid des enfants et des gardes rencontrés un peu plus tôt ? Des soldats laissés endormis dans les corridors ? Du corps de celui laissé sur le toit ? Enfin, il revint, avec l’air un peu plus grave que lorsqu’il était rentré. Qu’y avait-il fait ? Pourquoi ? Qu’était cette pièce ? Tellement de questions et si peu de temps pour trouver des réponses.
- C’est bon ? Allez, on repart. On a assez perdu de temps, dit-il simplement, avant qu’ils ne reprennent le chemin tous ensemble.
Fort heureusement, le paquetage de quatre humains qu’ils trimballaient avec eux avait compris qu’il serait plus avisé de se taire. Les causeries pouvaient attendre, tout comme les présentations. Il y avait plus important en cet instant. Car, Inaros savait aussi qu’il allait devoir retourner sur les toits, à l’endroit exact où il avait laissé le corps en verre du golem pour le récupérer et couvrir ses propres traces. Dans tout le Royaume, ceux qui manipulaient le verre ne devaient pas non plus être très nombreux et, avec une artisane de verre dans la Capitale qui se revendiquait comme telle… Les soucis étaient à prévoir s’il n’agissait pas rapidement, comme il l’avait prévu. Il posa son index sur sa boucle d’oreille, marmonnant : « Tu peux la rejoindre ? » mais seul le silence lui répondit. Il n’était pas encore à la portée de son pouvoir. Quand arriveraient-ils ?
Mais le dédale de couloirs laissa bientôt place au vent frais lorsque les hors-la-loi regagnèrent la sortie, par là même où ils étaient entrés. Pourtant, ils le savaient tous pour avoir entendu des bruits de pas pressés dans les allées, la caserne commençait à se réveiller et, bientôt, toute la garde serait au courant qu’il manquait quatre prisonniers dans les cellules. Inaros regarda plusieurs fois à l’horizon, maintenant équipé de ses lunettes de jour pour y voir plus clair dans l’obscurité. Il guettait les environs, essayant de débusquer les éventuels obstacles qu’ils pourraient rencontrer sur leur chemin. L’imposante structure du golem de verre était toujours en place et Inaros força Faël à la réintégrer.
- Pa’ ! S’exclama-t-il, maintenant qu’il avait la possibilité de parler. J’suis super content que t’aies réussi ta mission ! Bon, man’ s’ra sûrement pas contente mais…
- La ferme.
Faël se rembrunit mais, obéissant, s'exécuta et le géant de verre devint muet.
- On va redescendre de la même façon. Faël pourra pas en porter plus d’deux à la fois. Tes gars sont doués pour l’escalade ?
Il estimait que le trajet mettrait moins de deux minutes au golem pour transporter deux hommes sur le premier toit où ils s’étaient retrouvés, il y a une éternité maintenant lui semblait-il. Il faudrait prendre le risque d’attendre pour les trois autres si aucun d’eux n'était capable d’escalader, alors que chaque seconde était précieuse. La main d’Inaros le démangeait, comme si elle n’attendait qu’une chose : pouvoir manier sa lame d’assassin, son plan B. Il ignorait si l’un des deux autres criminels avait une meilleure échappatoire, ou bien l’un des sbires de Khepra - peut-être qu’ils avaient le droit de parler à présent. Dans tous les cas, il leur fallait agir car, comme dit, la caserne commençait à être en émoi.
"En escalade ? Ils oublieraient de respirer si on le leur rappelait pas."
Malgré cette injure, les quatre concernés éclatèrent tous d'un rire gras. Etre moqués de la sorte ne devait pas leur plaire, mais ils fonctionnaient à la peur, comme tous les sous-fifres du Non-Mort. Se taire, hocher la tête et sourire quand il le fallait faisait partie de leurs habitudes lorsqu'ils étaient en présence de leur chef aliéné et, malgré leurs facultés limitées, ils étaient vite parvenus à le comprendre. Le mort-vivant balaya ses hommes du regard puis en pointa deux du doigt au hasard.
"Que Faël s'occupe de ces deux-là. On descendra comme on pourr..."
Un craquement assourdissant retentit soudainement et une vive bourrasque s'éleva de nulle part, accompagné d'une lumière si vive qu'elle ne manqua pas d'en aveugler plus d'un. Khepra bondit instinctivement en arrière et empoigna d'une main son épée tandis que l'autre se refermait sur le manche d'une dague. Ses quatre sbires, complètement aveuglés par l'intensité effarante de la manifestation soudaine, tombèrent quant à eux à la renverse en se cachant les yeux. Un immense nuage de poussière et de gravats s'était levé, masquant la position et l'état des autres membres de l'équipe.
Du fait de sa condition, Khepra était insensible à ce genre de techniques, aussi il ne lui fallut qu'un instant pour comprendre qu'ils avaient été débusqués par l'un des patrouilleurs situés à l'extérieur de la caserne, et visiblement pas n'importe lequel. Au beau milieu du cercle de criminels, une jeune femme en armure se tenait fière et droite face au commanditaire de l'opération, lui offrant un regard intense ainsi qu'un sourire plein d'arrogance. Ses cheveux blonds voletaient curieusement au dessus de sa tête, comme chargés d'énergie statique. Autour d'elle, des filaments lumineux voletaient encore en émettant de fébriles vrombissements. Elle était dotée d'une magie liée à l'électricité, à n'en pas douter, d'où cette terrifiante entrée en scène.
Son champ de vision toujours embrumé par la poussière, Khepra n'était pas à même de savoir si ses associés étaient parvenus à se protéger de cette attaque-surprise, il osait espérer toutefois qu'ils étaient assez aguerris pour ne pas être foudroyés sur place, car lui n'avait rien vu venir et ne devait son intégrité actuelle qu'à ses aptitudes de mort-vivant. Sans mot dire, il dévisagea la jeune combattante et actionna silencieusement sa relique, laissant son corps s'envelopper de brume bleutée tandis qu'il faisait claquer les jointures de son enveloppe d'emprunt dans une série de cliquetis effroyables.
"On s'en tient à c'que j'ai dit, moi je m'occupe de la pépette."
Il fit tournoyer son épée puis fondit sur sa cible qui, étrangement, ne perdit pas son rictus espiègle lorsqu'elle vint subir l'assaut du Non-Mort. Bien au contraire, elle l'accueillit littéralement à bras ouverts. Troublé par cette absence de réaction, le zombie ralentit le mouvement et fut témoin d'un bref changement de lumière. Un quart de seconde plus tard, il se retrouva propulsé en arrière avec une rare violence et roula jusqu'à l'entrée du passage secret. Ce ne fut qu'une poignée de secondes plus tard qu'un craquement retentit alors, à la manière du coup de tonnerre qui suit l'éclair.
Reprenant sans mal ses moyens du fait de son incapacité à ressentir la douleur, Khepra entreprit de se redresser mais constata aussitôt un détail problématique : il venait de perdre son bras gauche juste au dessus du coude. Aspect encore plus terrible, le moignon déchiré brûlait et son extrémité semblait avoir été littéralement carbonisée. L'Immortel se releva difficilement en observant un moment la jeune guerrière dont le corps était de nouveau entouré d'un halo de lumière crépitante, puis reprit la parole :
"Changement de plan les gars. Elle rigole pas."
L'expression moqueuse de la jeune femme s'effaça pour laisser place à un regard bien plus sérieux et intense. D'une voix étrangement dure en vue de son jeune âge apparent, elle prit la parole à son tour :
"C'est toi le chef de ces loustics ? On a quelques questions à te poser. Suis-moi gentiment si tu veux pas que je t'arrache le deuxième."
Cette fois-ci, ce fut au tour du monstre de sourire. De sa voix caverneuse, il répondit narquoisement.
"Oh, je crois que t'as oublié un détail jeune fille. Je suis pas venu seul. A vouloir jouer les héroïnes en agissant sans réfléchir, tu t'es piégée comme une grande."
Autour d'eux, le nuage de poussière se dissipait enfin, révélant peu à peu les silhouettes de ses équipiers. Il n'avait pas dit son dernier mot.
Les hommes de main de Khepra avaient déjà été mis hors jeu, si vite que Klarion se demanda pourquoi ils s’étaient donnés tout ce mal pour des poids de leur acabit. Posant sa main au sol, le phytomancien fit pousser une myriade d’étranges cocons bleutés autour de lui ainsi que des brins de lurgubus hurlant. Leur assaillante constatait qui lui faisait face alors que la poussière qu’elle avait soulevée grâce à son consommable unique retombait peu à peu. Klarion la toisait comme si elle n’était qu’un tas de purin prêt à être jeté dans le caniveau. Inaros, de son côté, semblait se tenir dispo à n’importe quelle éventualité. Le mercenaire avait l’air prêt à fondre sur son adversaire, à moins qu’il ne soit plus prompt à esquiver le moindre de ses coups ? La garde les dévisagea tour à tour, faisant crépiter derechef ses rubans d’électricité. Klarion ne se laissait pas impressionner, la militaire avait l’air bien sûre d’elle face à des dangers comme eux, comme si elle était déjà certaine de sa victoire. Se redressant pour lui rendre son regard, l’éco-terroriste la tança alors :
- Vous êtes douée pour les entrées en fanfare, mais pour ce qui est de la stratégie, malheureusement vous êtes plus stupide qu’un poulet sans tête.
- Qu’est-ce qui vous fait dire cela, criminel ?
- Vous faites danser vos filaments d’éclairs depuis tout à l’heure, vous ne possédez pas la puissance de la foudre. Vous nous auriez déjà vaincu autrement, profitant de votre nuage pour nous mettre hors d’état de nuire d’un seul coup. Et il y a aussi autre chose…
- Laquelle ?
- Les plantes ne craignent pas les éclairs.
D’un mouvement de poignet, les cocons autour de Klarion s’ouvrirent à l’unisson pour révéler une embouchure constellée de picots du fond de la bouche émergèrent de longs filaments azurés qui claquèrent sur les tuiles devant l’électromancienne. Forcée de s’écarter, elle reprit vite pied et s’apprêtait à foncer vers Klarion. Ce dernier fut plus prompt et, au lieu d’ordonner aux dhoops de reprendre leur assaut, décida de commander aux lurgubus hurlants à la place. Le souverain floral les fit éjecter des nuées de spores droit devant lui, le séparant de la demoiselle.
- Essayez de m’approcher et les spores vous feront entendre d’horribles cris, si stridents que vous glisserez le long du toit jusque sur le pavé à cause des hallucinations. Mais… à condition que les tentacules de mes dhoops ne vous aient pas mis en charpie pour se repaître de votre chair.
Klarion envoya à nouveau les appendices des cocons bleus vers la garde blonde qui esquiva à nouveau. Les filaments fouettèrent le toit et plusieurs tuiles se brisèrent, leurs débris disparaissant au bas des remparts de la caserne. Le phytomancien redoublait les attaques de ses plantes pour ne lui laisser aucun répit mais elle semblait bien plus agile qu’elle n’en avait l’air malgré son armure luisante. Cette dernière devait être enchantée pour qu’elle puisse se mouvoir avec autant d’aisance. Autrement, elle aurait déjà été déstabilisée depuis longtemps et aurait fini sur le pavé tout en bas des tours. Elle lança un éclair qui passa entre les tentacules, mais sa visée était quelque peu ralentie par les coups que tentaient de lui porter les dhoops. Klarion put, ainsi, l’esquiver sans trop de difficulté, se décalant de quelques pas alors que le trait électrique partit au loin, pliant en deux une girouette sur un bâtiment en contrebas. Khepra paraissait hors jeu avec son bras en moins. Inaros n’avait pas encore bougé, sans doute attendait-il la bonne ouverture ? Le phytomancien avait une idée et allait lui permettre d’entrer en scène.
- Pauvre idiote, c’est vous qui devriez vous rendre tant que vous en avez encore l’occasion.
- Taisez-vous. Je ne répondrai plus à vos provocations.
- À votre aise…
Klarion envoya encore une fois les tentacules vers la militaire, tous d’un seul coup, droit vers son buste. En guise de réplique, la garde royale envoya un autre éclair depuis ses paumes. L’électricité traversa les tentacules, pourtant si proches. Leurs pointes éclatèrent pour déverser un flot de sève sur son visage, ses cheveux et son plastron. Les membres bleus des cocons s’agitant furieusement sur les tuiles, maintenant trop courts pour l’atteindre. Elle releva les yeux vers Klarion, triomphante, éclat de joie rapidement balayé par le rictus éhonté du phytomancien. Et pour cause : la sève des dhoops était extrêmement inflammable. Sans le savoir, elle venait de signer sa perte…
- Inaros, mets donc le feu à cette pauvre folle.
Il se souvenait également bien des paroles du commanditaire de cette mission, lorsqu’il avait éliminé un garde - par pure nécessité - « J'espère que nous n'aurons pas à empiler davantage de cadavres par la suite ». Si c’est ce qu’ils espéraient faire, c’était mal parti avec l’arrivée en fanfare de la blonde manipulatrice d’électricité. Aveuglé dans un premier temps par le nuage de poussières, il avait ensuite suivi les différents échanges en réfléchissant à toute vitesse aux solutions qui leur étaient accessibles. Jamais Faël ne pourrait porter sept personnes sur son dos, même si c’était seulement pour parcourir les précieux mètres qui leur manquaient pour s’échapper. Le spectacle serait marrant, tiens. De solides grands gaillards essayant de s’agripper partout où ils peuvent sur le pauvre Faël devenant incapable de soulever ses bras et ses jambes pour se déplacer. Il pouvait sûrement espérer la blesser, pour au moins respecter l’une des exigences du contrat. Il ne s’était pas trop exposé, son visage était dissimulé et il lui semblait improbable que la femme ait retenu les sept visages qui l’encerclaient. Tout au plus pourrait-elle donner des gabarits, des indices vagues et trop imprécis pour mettre la main sur eux. Sur lui.
Il restait un criminel.
La demande de Klarion le fit tout de même hésiter pendant quelques secondes. Les bons sentiments d’Ivara reprenaient le dessus, tandis qu’il venait de croiser le regard de la piégeuse piégée ; instant fugace où il aperçut la terreur dans son regard. La peur d’être brûlée vive, de la mort. Il connaissait ce sentiment. Il l’avait déjà aperçu tant de fois dans les yeux de ses cibles.
Le sable était déjà dans sa paume. En un éclair, il le transforma dans cet étrange état où le sable devenait une espèce de masse fluide en fusion qu’il pouvait manipuler librement. Il détourna le regard lorsqu’il l’envoya sur la garde et que celle-ci prit feu.
- Faël, tu prends les deux gaillards et vous quatre, vous m’suivez !
Son ton était sans appel. Faël, selon son ordre, attrapa Klarion et Khepra et les quatre hommes de main, qui étaient habitués à suivre les ordres mais devaient aussi être dotés d’un instinct de survie certain pour s’éloigner d’une personne en feu. Inaros comptait là-dessus. De toute façon, ils n’avaient pas le choix. Le temps était compté et il ne devait pas s’éloigner de plus d’une dizaine de mètres de Faël, par crainte que la magie qui le maintenait « en vie » ne s’estompe.
Tout ce beau monde s’éloigna donc comme il le pouvait de la caserne. Ils ne s’arrêtèrent qu’une fois loin, très loin, de cet endroit de malheur. Ils étaient arrivés dans les bas-quartiers de la Capitale. Des lieux que chacun des sept individus présents connaissait très bien. Pendant la course, Faël avait relâché Khepra et Klarion pour qu’ils puissent chacun faire usage de leurs jambes. Inaros s’arrêta, le souffle court, posant ses paumes sur ses genoux en reprenant sa respiration.
- Tout le monde est là ?
Question rhétorique, il n’avait pas perdu sa vision sur le trajet. Il se redressa et s’approcha de Khepra.
- Et bien, j’espère que vos quatre gaillards en valent la peine. La surveillance d’la caserne va sûrement être triplée suite à cette balade.
Simple remarque. Pas l’habitude d’être bavard, pas l’habitude de tisser des liens autres que professionnels. Il en avait fini avec ce contrat. Il ne lui restait plus qu’à attendre sa paie et à se tirer d’ici.
Avoir la Garde à dos n'était généralement jamais bon mais, du fait de ces regrettables circonstances, c'était bien plus qu'une simple surveillance dont le maître de l'Ossuaire allait devoir se méfier.
Enfin à l'abri des regards, les criminels se rassemblèrent une dernière fois afin de conclure leur collaboration en bonne et dûe forme. Les quatre gaillards libérés semblaient hébétés par l'expérience surnaturelle qu'ils venaient de vivre et observaient les alentours avec curiosité. Leur chef, toujours affublé de sa carcasse estropié, arborait quant à lui un air parfaitement impassible. Plongé dans ses réflexions stratégiques, il jetait des regards fugaces aux deux hommes auxquels il devait sa liberté. Sans leur aide, nulle doute qu'il aurait été capturé par la jeune femme aux pouvoirs foudroyants. De sa voix graveleuse, il s'adressa en premier lieu au mercenaire :
"Cher ami, je tiens à vous remercier pour vos services. Tâchez de rester joignable, si vous le voulez bien. Maintenant que j'ai eu un aperçu concret de votre éventail de compétences, je compte bien vous recontacter lors de mes futures opérations. Comme négocié au préalable, votre paiement sera entreposé par l'un de mes hommes au point convenu. Vous pourrez récupérer votre dû dés demain, à l'aube."
L'Immortel accorda un maigre sourire au concerné avant d'offrir son attention au maitre de la Flore. Le jaugeant du regard, il laissait malgré lui transparaître une certaine animosité à l'égard de cet homme dont les réelles motivations restaient à déceler. Peu emballé par la perspective de la richesse et pas plus décidé à rejoindre une organisation telle que celle du Non-Mort, ce Klarion restait aujourd'hui une énigme que Khepra n'aurait probablement pas l'occasion de déchiffrer. Il était néanmoins admis que rien n'aurait été possible sans la présence de ce curieux personnage.
"Cela vaut bien évidemment aussi pour vous. Votre petit tour avec les spores nous a été bien utile, il va sans dire qu'ajouter une telle carte à mon jeu serait plus que profitable. Votre paie sera livrée à la même heure que celle de notre compère encapuchonné. Pour ce qui est des services futurs, je me tiendrai à votre disposition. N'hésitez pas à faire appel à moi via l'un de mes hommes, si vous avez besoin d'un coup de main."
D'un air farceur, il agita un instant son moignon carbonisé avant de laisser un furtif éclat de rire lui échapper. Il fut aussitôt suivi dans cette initiative par ses compagnons, ces derniers redoutaient déjà leur sentence mais s'accrochaient encore à l'espoir d'un pardon de la part de leur supérieur. Il leur accorderait peut être, dépendamment des événements à venir. De son unique main, l'Immortel effectua un geste pour indiquer qu'il était grand temps de mettre les voiles. Il pivota et ses hommes de main en firent de même, après de brefs salutations en guise de remerciements pour leurs bienfaiteurs.
"Faites attention à vous, d'ici là. Je ne peux pas me permettre de perdre des collaborateurs de votre trempe."
Leurs affaires conclues, il disparut au détour d'une ruelle.