Avec le chagrin va l'incompréhension. Depuis qu'elle est partie, quand j'attends que Pa' termine le travail, je suis majoritairement seule. A observer régulièrement la porte. A espérer voir ses cheveux roux. Juste, à espérer revoir son sourire et pouvoir me blottir dans ses bras. Toute l'attention que Pa' peut me donner n'arrive malheureusement pas à combler ce manque que je ressens… Avant, avant qu'elle ne revienne, je ne le ressentais pas. Mais maintenant… Cela confirme juste que je veux. Ce que je souhaite du plus profond de mon cœur. Je voudrai tellement… Tellement… Qu'ils soient à nouveau réunis. Pouvoir les voir tous les deux, ensemble, tout le temps, quand j'en ai envie. Je ne connais pas la vie de famille alors, c'est… compliqué d'imaginer mon quotidien autant chamboulé. Pour autant, j'aimerai beaucoup goûter à ce bonheur. Il était pourtant si proche… Et maintenant, il semble si… si lointain.
Sauf que je ne pleure plus. Aujourd'hui, après l'école, j'ai réussi à esquiver la nounou qui devait venir me chercher. Elle était visiblement trop occupée à discuter avec un homme, les joues rouges, avec un grand sourire aux lèvres. C'était le moment idéal ! Me remémorant comme je peux ce à quoi ressemble la ville, j'ai vadrouillé pendant un certain temps. Un long moment d'ailleurs. Jusqu'à trouver le lieu que je cherche. La caserne ! Ma' doit bien passer devant de temps en temps, non ? Alors, je n'ai plus qu'à l'attendre et espérer la voir.
L'attendre…
Attendre…
Encore…
Et encore…
Pendant combien de temps vais-je devoir l'attendre ?
Le soir tombant, la brise fraîche me faisant frissonner, je suis repartie en trainant des pieds, reprenant un long moment pour revenir sur le lieu de travail de Pa'. Où j'ai, encore une fois, été rouspétée.
– J'avais envie de marcher un peu, Pa'...
Loin d'être boudeuse, je suis plutôt déçue de mon aventure. Et triste. Triste. Oui. Très triste. Pour autant, pleurer n'est pas prévu. Demain est un autre jour, je tenterai encore...
Jour suivant.
Echec cuisant à nouveau.
Idem pour celui d'après.
Et encore le prochain.
Cela fait trois jours. Trois jours que Ma' n'est pas passée. Six qu'elle a disparu. Est-ce possible que je ne sois pas au bon endroit ? Qu'elle ne soit plus ici ? Qu'elle ne revienne vraiment plus jamais ? Non, non, je ne veux pas que ça arrive. Alors, cette fois, quand le soleil commence à disparaître, plutôt que de me préparer à rentrer chez moi, je me relève et m'avance… vers l'intérieur. Est-ce que j'ai le droit de rentrer ? Je peux passer inaperçue ? Je peux toujours tenter, non… ? C'est le stressant montant que j'avance assez lentement vers cette porte qui me sépare probablement de ma maman.
'' Yep...Ça ferait presque de la peine, quand même. ''
'' Ça me fait plus chier qu'autre chose, perso. ''
'' Et en quoi ? Elle dérange personne... ''
Pas besoin de poser une quelconque question pour comprendre de quoi ses deux collègues sont bien en train de parler ; la petite fille aux cheveux bleu qui campe devant leur caserne toutes les fins d'après-midi, et une partie du soir, et ce, depuis quelques jours. Lui d'habitude si avenant envers les petits, surtout ceux de son quartier, il avait préféré laisser celle là en paix, disons que l'expression de chien battu de son visage couplé avec son obstination à toujours se pointer, donnait plus envie à l'hippogriffe de la laisser tranquille que l'aborder. Après, on a tous des collègues un peu bourrus et un peu débiles, qui la regardait mal quand ils passaient à côté, regards bien souvent fortuitement dissimulés par les heaumes des soldats.
Alors que certains étaient à la fenêtre, Ryf, lui, se contentait d'une place dans un bon fauteuil, non loin de la cheminée. Faut dire que l’entraînement avait été rude, aujourd'hui, et l'avait laissé relativement éreinté. Depuis son retour, Tara ne le lâchait plus d'une semelle, enfin, pas littéralement, puisqu'elle fait partie des prétoriens, lui, des cuirassiers. Par contre, elle s'assurait bien à ce qu'il soit bien présent, et ne reprenne pas certaines habitudes qu'il avait prises avant de décoller. C'était sympa. Normalement, à cette heure, quand le jour était sur le point de céder sa place à la nuit, il serait déjà parti, profiter d'un luxe que tout garde ne possède pas ; rentrer chez lui, dans son propre domicile plutôt que cette chambre en colocation avec un autre garde. D'une certaine manière, en invitant Lyriss à rester chez lui, il était en colocation. Mais au moins, cette personne, il l'avait choisie. Bizarre que sa copine ne soit pas encore venue lui taper sur les doigts, ''Comment ça, une simple amie bénéficie de ton hospitalité, et moi, jsuis coincée dans ma chambre avec Beth ?''. Ça ne saurait tarder...
'' Elle peut pas juste faire des bonhommes de neige moches avec les autres mioches, comme tout le monde ? ''
'' Vraiment, c'est juste une enfant et - ''
'' OH SERIEUX, elle est en train de s'avancer là ! Jvais m'en descendre la cueillir et lui apprendre à ne pas rester planter devant notre caserne ! ''
'' Non. J'y vais. ''
Silence relatif dans la salle, puisque seul le crépitement du feu osait continuer à faire du bruit, même une fois le grand brun debout, hors de son fauteuil. Tout ce qu'il avait à faire, c'était sortir d'ici, prendre les escaliers, débarquer directement dans la grande entrée puis passer les portes d'entrée, et éviter à la pauvre enfant une remontrance aussi déloyale qu'injuste.
'' Oh, allez, Ryf, on sait que tu seras encore trop sympa et - ''
'' Ouais. Vas-y, s'il te plaît. Avant que l'autre fasse n'importe quoi là. ''
'' Ouais, bon, autant qu'il s’entraîne pour quand il fera pondre un gosse à sa prétorienne, hein ! ''
Sans rebondir sur cette pique autrement qu'un simple hochement de tête, il s’exécuta rapidement, et se retrouva dehors en moins de temps qu'il ne faut pour le dire. Pas encore arrivée ; hésitante, prudente, stressée, la petite fille continuait néanmoins d'approcher. Avant même que le planton posté devant la porte, lui encore armure comparé au cuirassier qui était en habits civils, eut le temps de prononcer un quelconque mot ou d'aller faire face à l'enfant, Ryf posa sa lourde main contre l'épaule du garde, dans un ''clong'' métallique et sourd.
'' J'm'en charge. ''
'' T'es sur ? Fait en sorte qu'elle revienne pas. Elle me fait trop de peine. ''
Prenant sur lui de ne pas répondre, il continua tranquillement à marcher vers la fillette aux cheveux bleu qui, soit par aplomb, soit par terrible peur, ne fuit pas devant le grand gaillard de plus de deux mètres qui s'approchait d'elle. Une fois face à face, il la surplombait de toute sa hauteur, alors que le garde royal arborait un visage austère qui laissa vite place à un grand sourire, alors qu'il s'accroupit pour être déjà plus à la hauteur de la petite.
'' Eh, bonjour, toi ! Qu'est ce que tu fais là, par ce froid ? Et tous les jours ? T'es pourtant trop bien habillée, pour être une enfant des rues. Et t'as l'air trop jeune pour tenter l'admission dans la garde. En plus, s'même pas ici ! Oh, je t'aurais bien offert un gâteau, mais...On en a plus, ici. Par contre, on a de la bière ! '' Il se gratta l'arrière de la tête de sa dextre. '' Mais...Ouais, c'est pas de ton âge non plus. ''
Malgré les facilités qu'il a à se faire bien voir des petits et communiquer avec eux – si purs et innocents, pas besoin d'élever une quelconque carapace de froideur et de haine avec ces gens là-, il reste toujours aussi maladroit et pataud quand il s'agit de converser, un vrai dadais.
'' Donc, oui. Moi, c'est Hryfin. Mais tu peux m’appeler Ryf. Et ton petit nom, c'est quoi ? ''
– Kahlua. Bon…jour. La bière, c’est la boisson qui sent pas bon non ? Y en a partout où Pa’ travaille. Berk. Ça donne pas envie.
De toute façon j'ai pas le droit. Et les gâteaux c’est mieux. Dommage qu’il n’y en ait pas. Mais ce n’est pas pour ça que je suis là… Autant ne pas trop s’éloigner du sujet.
Je lui aurais bien demandé, directement, « t’as pas vu ma maman ? » mais j’ai bien retenu qu’il fallait éviter de lancer ce genre d’informations à tout va au risque qu’il y ait des problèmes. Parce que Ma’ a bien dit qu’il y avait des choses graves qu’elle ne contrôle pas. Même si elle ne m’a rien dit de plus. Pa’ non plus ne m’a rien dit donc je ne sais pas s’il sait. En attendant… Ce n’est pas en restant pensive plantée devant lui que l’on va avancer.
– Il y a une dame qui passait souvent au travail de mon Pa’ et elle a disparu… Je passais beaucoup de temps avec elle mais cela fait… Euh… Une semaine qu’elle a disparu. Est-ce que… m.. il y a une dame qui s’appelle Lunarya qui vit ici ? Est-ce que je peux la voir ? Je veux la voir !
Même si j’aurais bien voulu mentir jusqu’au bout, mon regard aussi triste que brillant le fixe alors que mes mains se sont rapprochées de l’inconnu. S’il y avait un bout de tissu qui dépassait je l’aurais saisi pour ne pas qu’il s’enfuie et qu’il me guide jusqu’à elle. Que ce soit à l’intérieur ou non. Je ne le connais pas mais ce n’est pas grave. Il peut m’aider. Il doit m’aider ! Faites en sorte qu’il la connaisse… Qu’elle soit ici… Qu’elle aille bien… J’espère juste que les réactions que je ne peux pas cacher ne vont pas lui faire comprendre que je suis bien plus proche d’elle que ne voudrai le montrer…
Elle embraya sur une personne, qu'elle recherchait...Lunarya ? Qu'à cela ne tienne, Hryfin la connaissait bien ! Par contre la perplexité pu se lire sur son visage, depuis la dernière soirée exclusive à la garde royale, il eut bien l'occasion de remarquer qu'entre la rousse et l'alcool, ce n'était toujours pas une grande histoire d'amour, même pas d'amitié, plutôt une profonde haine de ce que ce type de breuvages peut avoir comme effets sur elle. Autant essayer de ne pas s'en souvenir, ça a été...Agité, après ça. Mais de l'eau a couler sous les ponts depuis, et la cuirassière était promise à un glorieux avenir aux côtés du capitaine de la garde royale, si l'on en croit les dernières rumeurs. Ryf s'en fou des rumeurs, habituellement, il subit juste celle là depuis quelques temps, non contente de toucher à son domaine de travail, c'est encore plus précis, puisqu'elle cible son corps d'opération même. Plus qu'à attendre de voir les ramifications de ces événements, qui font pas mal jaser au sein des différents gardes, qui prêtent bien attention à ne pas se faire entendre.
'' Oh, oui, Lunarya ! Oui, je la connais bien, c'est une amie ! J'la connais depuis tarpin long ! Tu sais que c'est elle qui m'a aidé au début ici ? Eh, l'est farouche quand même hein. Quant à savoir si elle est là, jsais pas en vrai. Si ça fait vraiment une semaine qu'elle est plus là...Sans doutes est-elle en assignation quelqu'part ? Ou occupée avec le capitaine ? ''
En vrai, aucune idée de pourquoi il faisait cette précision ; probablement un petit côté amer. Elle était si mignonne jusque là, avec ses yeux embués et pétillants, ses petites mains se rapprochant de lui, son ton oscillant entre l'hésitation et la confiance. Il ne se serait pas attendu à ce que...Elle se mette à chouiner ? Ces petits bruits caractéristiques d'un enfant sur le point de pleurer, ces orbites qui commencent à rapidement s'humidifier, cette moue boudeuse...Toujours accroupi, tout en soupirant, le garde se frotta les bras de ses mains, il faut dire qu'il faisait sacrément froid, normal, le Solstice approchait, et Hryfin n'était pas habillé assez chaudement pour affronter ces températures, lui qui était précédemment bien au chaud dans la caserne.
'' Oh, non, je- Pleure pas, qu'est ce qu'il y a ? T'as froid ? T'es fatiguée ? Ça fait longtemps qu'tu campes devant la caserne ! Tu...Tu veux renter ? ''
En vrai, il avait aucune idée, de s'il avait le droit de faire venir une gamine, au pire, il était pas au premier pas de travers près, c'est ce qu'il estime en tout cas, pour continuer à faire ces tâches ingrates pour rien, depuis son retour. Elle n'était pas habillée si chaudement, si bien que pour se protéger du froid et se réchauffer, il n'y avait que la caserne. Il n'allait pas la traîner dans un bouiboui, après tout. Se redressant lentement, il laisse pendre une main pour qu'elle puisse la saisir, et l'accompagner jusqu'à l'intérieur. Sans doutes se prendrait-il des remarques de ses pairs ; qu'il ignorera royalement.
Tout ce que j'ai pu lui donner comme réponse, c'est simplement hocher de la tête avant d'attraper sa main qu'il a laissée à mon niveau. De mon autre main, mes doigts passent à plusieurs reprises sur mes yeux où quelques larmes ont déjà coulé et continuent encore, tandis que je me mets à renifler. Sûrement un beau combo entre le froid ambiant et ce flux que j'ai du mal à endiguer. Les yeux dirigés vers le sol alors que je me laisse guider à l'intérieur, la chaleur me faisant beaucoup de bien J'évite quand même de croiser le regard d'autres personnes même s'ils n'auront probablement aucun doute quant à ma condition de... pleureuse actuelle.
– E-est-ce qu'il y a moyen de vérifier où elle se trouve ?
Snif.
– A-au moins vérifier... qu'elle va bien ?
Maigre consolation quant à la situation actuelle et mon ressenti. Mais... Est-ce que je peux vraiment espérer autre chose sans lui dire qui je suis vraiment pour elle ? Dans tous les cas, heureusement que mes cheveux ne sont plus de la même couleur que les siens, ça n'aurait pas du tout facilité les choses au niveau de la ressemblance... Même si ce n'est probablement pas une question que je me serais posée.
'' Moi jsais pas où elle est, la connaissant, jsuis sûr qu'elle va très bien ! J'm'inquiéterais plus pour la personne qui est avec elle. Qui que ce soit. ''
L'hippogriffe avait posé sur la table le nom du capitaine tantôt, rien ne dit que ce soit avéré. Pour en être sur, il allait falloir parler à des gens, se confronter à d'autres cuirassiers, et si le sort lui est défavorable, croiser la route du plus haut supérieur le concernant, juste avant le capitaine, celle d'Emeor, et on peut pas dire qu'il en ait envie, encore plus dans la posture dans laquelle il se trouvait ; plus qu'à moitié recroquevillé afin de garder la petite mimine de l'enfant dans son énorme paluche. Il aurait pu aussi bien la lâcher, vous direz, mais toute sanglotante qu'elle est, une certaine crainte qu'elle se mette à juste bouder indéfiniment se créait. Une fois passé le couloir, voici que le duo improbable se retrouva dans la salle qu'il avait quittée il n'y a de cela que quelques minutes.
'' Euh, les gars, vous sauriez pas où est- ''
'' Oh bordel Ryf, tu l'as ramenée, t'es sérieux ? Dans la caserne des gardes ROYAUX ? T'as un sacré putain de grain espèce de gros- ''
'' Tu va vite surveiller ton putain de langage. Y'a une enfant, merde ! ''
'' Tu fais pas mieux Ryf. ''
Heureusement que le deuxième venait d'intervenir, car sans non plus en venir aux mains, les noms d'oiseau allaient voler, à base de pivert, pigeon et autres mésanges.
'' Après t'as pas la meilleure des dégaines actuellement. Donc, tu voulais demander quelque chose ? ''
'' Ah ouais, euh, s'auriez pas où qu'elle peut être, Lunarya ? ''
'' L'aut' rousse patibulaire là ? Pourquoi t'en aurais quelque chose à carrer ? C'est ta pote, mais du coup, c'est pas toi qui serait sensé être le plus au courant, espèce de maca- ''
'' Ce qu'il veut dire. C'est qu'on en sait rien, et que tu serais normalement le plus avisé pour le savoir en vrai. Emeor doit en savoir quelque chose. Et pourquoi au juste ? ''
'' Eh bien, c'est... ''
C'est vrai ça. Pourquoi ? Il se rappelle pas lui avoir demandé. La seule info qu'il a, c'est que c'est une dame -ça semble évident, donc il accuse facilement le poids de cette information-, avec qui elle passait du temps -ELLE PASSER DU TEMPS AVEC UNE ENFANT AHAHAH- et qui était visiblement une habituée de l'endroit où travail son père...Hm. Son père travaille dans un endroit où il y a de la bière...Lunarya y passe souvent...
…
Il est bûcheron son père du coup ?
…
Ouais, intellectuellement parlant et niveau logique, c'était pas encore ça, possible même que Kahlua le dépasse dans ce domaine. Il s'accroupit, à la fois pour être au niveau de la petite et pour le bien être de son dos, et posa une question toute bête.
'' Mais du coup, pourquoi tu veux voir Luna ? Il faut une bonne raison, pour embêter ces honnêtes et travailleurs gardes royaux ? Pareil pour notre chef ! ''
Qu'il n'avait pas envie d'aller voir Emeor pour ce qui s'apparente à des broutilles...Le voir débarquer avec une gosse le foutrait en rogne, d'autant plus si la raison est idiote ou capillotractée. Encore, une gamine perdue qui chercherait sa maman, on dit pas, ça reste du devoir de la garde, de la royale non, mais ils restent gardes avant tout. Et puis, impossible que Kahlua soit la fille de Lunarya, voyons.
Elles n'ont pas la même couleur de cheveux.
Plutôt que parcourir la pièce et les personnes présentes dans la salle, mon regard finit par se retourner vers le garde le plus proche de moi alors qu’il me redemande pourquoi. Ma raison avant n’était pas suffisante ? Mes yeux s’écarquillent à cette idée alors que je commence à prendre peur. Si j’ai pas le droit de leur dire que c’est ma maman, comment est-ce que je pourrai bien les convaincre ? Je ne suis qu’une enfant parmi tant d’autres, et si ça se trouve ils veulent juste que je parte. Je recule d’un petit pas puis deux, un peu perdue, alors que je reste silencieuse pendant de longues secondes, avant de réussir à bredouiller quelque chose.
– E-elle est partie en m… me disant qu’elle était en… en danger. I-il y a des gens qui lui veulent du mal…
Je détourne à cet instant le regard, cherchant à lâcher sa main sans réellement réussir à me convaincre totalement de le faire. Je voudrai aller me cacher dans un coin. Même si c’est quelque chose que ma maman m’a dit, il n’y a pas de raisons pour qu’il me croie sur parole, non ? Du coup, est-ce que ça sert réellement de le convaincre ?
– J-j’ai pas le droit de donner les vraies raisons…
Ces mots sont presque murmurés, de sorte à ce que les autres ne l’entendent pas. C’est comme un aveu. Non, à mes yeux ça en est un. Est-ce qu’il va falloir me forcer à donner les raisons ? Pourquoi quand les adultes disent quelque chose on les croit plus facilement ? Ils ont l’air sûr d’eux peut-être… Je voudrai aussi avoir cette assurance mais j’ai trop peur que notre secret soit découvert.
Alors je finis par lâcher ses doigts et commence à courir de l’endroit d’où nous sommes arrivés. Et, comme je ne regardais que le sol, très vite je ne me souviens plus du chemin que nous avons pris et prends une direction aléatoire, manquant de rentrer dans quelqu’un à millimètres près. J’ai fini par m’arrêter devant cette personne, cherchant à m’excuser mais à part voir mes lèvres gigoter il n’a rien entendu.
– Qu’est-ce que tu fais s… Oh, je vois que tu n’es pas seule.
Il ne me manquait plus que d’être rattrapée par le garde qui m’a emmenée ici et me voilà prise en tenaille. Peut-être que j’ai réagi trop vite sans lui avoir laissé le temps de parler et que je me suis juste fait des films… ? Je me tourne alors vers Hryfin, les yeux brillants d’une lueur d’espoir.
'' J'ai pas bien entendu ? Tu as dit '' Pas le choix de données de livraison'' ? Mais enfin, ça ne veut rien d- ''
Et il n'aura pas le fin mot de cette question non terminée, puisque aussi soudainement qu'il aurait dû s'y attendre, le bleue le lâcha pour...Juste courir de manière aléatoire. Non, elle voulait ostensiblement partir mais, non, par pas là, c'est à droite et- on a dit à droite, pas à gauche. Elle pouvait courir autant qu'elle voulait, avec ses petites jambes, il ne fallait que quelques enjambées à Ryf pour parcourir la distance de plusieurs pas de Kahlua, il la suivait donc assidûment, et il aurait bien aimé ne pas le faire, car de toutes les personnes qu'ils pouvaient croiser dans toute la capitale, Emeor était le dernier sur lequel il voulait tomber dans cette situation. Loin d'être idiot, un habitué de certaines maladresses de son soldat, il ne lui fallut pas longtemps pour faire un plus un dans sa tête et comprendre que l'hippogriffe qui trottinait derrière était à l'origine de cette course poursuite.
'' Hryfin Danvil. J'aurais du m'en douter, tiens. ''
'' Adjudant, ce n'est pas ce que vous croyez, en fait elle - ''
'' Excuse moi, mais tu as l'impression que j'ai l'air de quelqu'un qui en quelque chose à fou- faire ? '' Mine de rien, il se contrôlait de par la présence de l'enfant. Ce serait bien pratique de l'avoir tout le temps avec lui, au final, si ça lui évite des soufflantes inutiles. '' Tu sais très bien qu'on fait pas rentrer n'importe qui, c'est pas la caserne de la régulière ici. Même si c'est une enfant... '' Il s'accroupit, de sorte à se baisser presque au niveau de Kahlua. '' Tu sais que tu n'as rien à faire ici, n'est ce pas, petite ? ''
'' Adjudant, elle est venue m'parler de Lunarya. Visiblement, elle s'rait en danger ? ''
Les yeux sévères de son supérieur se portèrent d'abord sur lui, Ryf avait déjà l'habitude de le surplomber en taille à défaut que ce soit en grade, mais il était rare de le voir ne serais-ce que fléchir, les sourcils du garde royal s'arquant de ce fait d'une expression de surprise mêlée à de l'interrogation, cette dernière demeurant partagée dans le regard d'Emeor.
'' Lunarya ? Elle est grande et se débrouille très bien. Je l'ai envoyée sur une assignation tranquille, en périphérie de la capitale. Je vois pas ce qu'il pourrait bien pouvoir lui arriver. Et puis, quel est le lien de - ''
'' Ça a l'air privé, mon adjudant. ''
La seule chose qui brisa le silence gênant qui venait de se poser, outre les jérémiades et piétinement timides de la bleue, fut le soupir rauque du supérieur. Il n'avait jamais apprécié la désinvolture involontaire de son subordonné, qui lui avait déjà coupé la parole plus d'une fois, souvent sans rien apporter de tangible ou prolifique. De nouveau, son attention se porta sur la réfugiée dans la caserne.
'' Tu comprends bien que tu peux pas rester là, d'accord ? Le soldat Danvil a prit une initiative qu'il n'aurait pas dû, et je compte bien à ce qu'il fasse amende honorable pour ça. Du coup, il va te raccompagner chez toi, et ensuite, il fera un petit tour dans mon bureau. '' Quelle impression étrange, que celle de penser que son supérieur s'adresse à la fois à une petite fille et son grand gaillard de soldat, avec le même ton. '' Tu n'as pas à t'inquiéter, tout se passe bien ici. D'accord ? Sur ce, j'ai du travail, bonne journée ! ''
Non sans taper sur l'épaule de Ryf avec son énorme paluche, il les dépassa et s'enfonça dans les méandres de la caserne. Sans rien dire, l'hippogriffe se saisit avec gentillesse mais fermeté la main de Kahlua, faudrait pas que la bougresse se remette à s'enfuir, même si elle semblait bien décidée à sortir de base. Repasser devant ces collègues, qui ricanaient en parlant dans leur barbe. De nouveau dehors, il aurait presque oublié, depuis l'abri de la caserne, à quel point il faisait froid alors que la neige était encore omniprésente.
'' Ça s'est...Pas trop passé comme prévu. J'espère t'auras eu deux trois réponses, hein ! Allez, jvais t'ramener, donne moi la direction. On pourra ptet même parler de Lunarya en chemin ! ''
– A peu près… Je crois.
Une manière de dire que pas vraiment, mais que visiblement il ne pourra pas m’aider plus. A moins qu’il ne le puisse ? Je ne sais pas, et la dureté des mots de maman me retiennent de revenir sur le sujet. Du moins sur la dangerosité actuelle. Enfin, c’est ce que je pense mais visiblement ce ne sera pas pour tout de suite s’il se passe quelque chose de grave. Tant que ces gens-là ne sont pas au courant. Je serre un peu plus les doigts de l’homme qui m’accompagne alors que je le guide dans la bonne direction : vers le bar où travaille Pa’.
– Parler de m… Lunarya en chemin ? T-tu as des anecdotes à raconter ?
Entre temps les larmes avaient arrêté de couler sur mes joues et ma petite main vient essuyer les quelques gouttes qui gardent mes joues humides. Si je peux apprendre à connaître un peu plus Ma’ sur comment elle se comporte sur son lieu de travail, pourquoi pas… Surtout si ce monsieur est ami avec elle. J’aurais rencontré un ami de Ma’ !
– Ils ont dit que vous êtes amis… Ça fait longtemps que tu la connais ? J-je n’ai pas trop compris ce que tu as dit sur elle tout à l’heure, fa-r ? Louche ? Qu’est-ce que ça veut dire ?
Je tente de ne pas me rappeler ce qui a été dit d’autre, parce que c’était la raison pour laquelle je pleurais. Du coup je renifle quelques fois, me retenant. De toute façon il peut croire que c’est le froid… Et pendant ce temps-là nous continuons de marcher dans la fraîcheur de la soirée, à la recherche de mon papa qui doit continuer à travailler en s’inquiétant encore une fois pour moi… J’espère juste qu’il n’est pas déjà parti à ma recherche.
A se demander comment le grand hippogriffe faisait, pour se tenir ainsi, plié à un angle indécent sur le côté, pour continuer à tenir la main de la petite fille tout en marchant à côté d'elle. Il ne pense pas qu'elle lui fausserait compagnie, aucune utilité et rien pour venir lui mettre la pression, cette fois. C'est vrai que ses classes, à l'académie de la capitale, ça commence à remonter à quelques années déjà...Des années qu'il vit ici. Et maintenant, il est garde royal. Avec une ancienne amie. Il en a recroisé, des gens, depuis. Lyriss, Lunarya, Jaina. A croire que tout le monde finit, un jour ou l'autre, par passer à la capitale.
'' Enfin, toujours moins ptit que toi, en tout cas ! '' Il ricana, ses expirations formant une fine buée à chaque fois. Faut dire, il fait toujours pas très chaud. '' 'faut pas toujours prêter attention à s'que j'dis, déjà car bah...J'en oublie souvent la moitié en fait. Pis jsais clairement pas tout. Genre, jme rappelle pas avoir qualifié Lunarya comme quelqu'un de farlouche. ''
Peu importe ce que ça veut dire.
Ça doit encore être un de ces grands mots, utilisés par ceux qui sont loin d'être de la plèbe, du quidam moyen, pour se donner des airs qu'ils n'ont pas, ou un truc du genre, il en a aucune idée, et venez pas lui rappeler que sa famille a également reçu des lettres de noblesse, merci bien. Ce qui était sur, c'est que c'est bon, la gamine est calmée, et l'avoir comme ça avec lui attirait les regards de certaines personnes qu'il connaissait, que ce soit des adultes ; qui savaient pas que Ryf était déjà père, ou des enfants, qui se demandent qui est cette jeune fille, puisque l'hippogriffe royal avait l'habitude de jouer avec eux, faut pas faire les jaloux voyons.
'' Des anecdotes, jdois bien en avoir deux trois. '' Il se gratta l'arrière du crâne avec sa main libre. '' Y'a la fois ou jvenais de la retrouver, quand jsuis passé à la garde royale. Ptite patrouille de routine, un peu chiante. Ça allait en dire long sur s'qu'on aurait à faire ici. ''
Enfin, le moment n'était pas à la digression, loin l'idée de vouloir dépeindre un mauvais tableau de la situation de garde royal, l'enfant voue une grande affection visible, et donc sans doutes un grand respect, envers sa mère. C'est pas son rôle de la diminuer, nan, c'est à Lunarya elle même d'aller la voir et lui dire ''Ma fille, mon travail est...Chiant.''.
'' Et y'a aussi la fois ou elle s'était faite engueuler, 'fin ça date de l'académie, ça. L'était beaucoup plus heureuse avant, avant qu'elle s'barre juste avant la fin quoi en fait, dans la dernière année. Ça devait être y a quoi, genre, 11 ans truc du genre ? Jsuis pas super bon pour les dates. Oh, la fois aussi - ''
Quelques temps déjà qu'il partageait des anecdotes, lui qui n'a pas l'habitude d'être un énorme moulin à paroles se voyait parler, parler et parler, car c'est toujours plus simple avec les gosses. ''Car t'es aussi intelligent qu'eux'', qu'on lui avait dit une fois. ''Car t'est...Pur ?'', avait dit Béryl pour le rassurer. ''…'', ça, ça devait être l'opinion de son petit frère, lui pour le coup, il parlait encore moins. Nan, il trouvait pas de point commun entre eux tous. Au moins, Kahlua était bien éduquée, puisqu'elle écoutait poliment tout ce qu'il avait à dire. Enfin, pas qu'il s'ennuie, pas qu'il aime pas marcher, mais ça fait déjà un certain temps, et il avouerait qu'il avait prévu d'autres choses de la part de sa journée...
'' Euh, sinon, on est bientôt arrivés ? Z'habitent où, tes parents ? Dans la foret ou quoi ? ''
– Ah, non, euh, on est toujours en ville. J'habite avec Pa' ici.
Du doigt je pointe une auberge, visiblement ouverte et avec une certaine activité. Hryfin pourra sûrement remarquer que ce n’est probablement pas l’endroit le plus rassurant pour une enfant, après tout, les activités de mon Pa’ sont diverses et variées. Mais au moins nous avons un logement ensemble.
Nous faisons quelques pas supplémentaires alors que j’insiste pour lâcher sa main qu’il tenait bien fermement, pour finalement faire les derniers mètres en courant, poussant la porte avec hâte et courir dans les bras de mon papa. A partir de cet instant, je n’ai pas fait très attention au fait que le garde m’ait suivie ou non, mais après avoir soulagé Pa’ et m’être fait rouspéter, je me suis retournée et ne l’ai pas vu au niveau de la porte. J’ai donc repris mes habitudes et suis montée dans notre appartement – pièce à vivre, afin de récupérer le repas qu’il m’avait mis de côté pour picorer dedans ainsi que récupérer quelques feuilles où je vais pouvoir reprendre quelques dessins.
Aujourd’hui, c’est à la fois un échec et une réussite. Je n’ai pas vu Ma’. Mais j’en ai appris beaucoup sur elle et j’espère, un jour, être capable de lui raconter les anecdotes que son collègue a retenu d’elle. D’ailleurs, il a dû beaucoup la voir pour avoir autant de choses à raconter. Ces choses dont je vais tenter de me rappeler en les dessinant un peu partout. Faudra juste les cacher de Pa’, sinon il va encore savoir que j’ai fait une bêtise…