La nuit était fraîche, le ciel dégagé, laissant apercevoir une multitude d'étoiles dans lesquelles se perdre et rêver. L'éclat d'une lune presque pleine radiait sur le bleu profond et inondait la scène d'un halo d'une lumière douce mais blême, éclairant le paysage d'un blanc ténu qui se reflétait sur une poudreuse scintillante. Il n'y avait pas de vent, pas de bruit, ni des cimes ni du reste et le manteau de neige absorbait les sons en conférant à l'atmosphère ce quelque chose d'irréel et d'inquiétant. Briser ce silence sonnait presque comme un blasphème et on ne pouvait s'empêcher de tourner la tête derrière soit de temps à autre pour vérifier qu'il n'y avait rien.
Progressant petit à petit, à la manière d'une abeille butinant, une silhouette encapuchonnée et protégée du froid par une cape de laine blanche se mouvait lentement. Immobile il était difficile de la discerner du paysage et elle aurait pu passer pour une aspérité à l’œil inexpérimenté. Elle allait le long d'un affleurement rocheux, écrasant la neige de pas en pas, laissant derrière elle la trainée de son chemin. Le visage engoncé dans une écharpe épaisse ne laissant apercevoir que les yeux et le front, un fin filet de vapeur s'échappait à peine du tissu à chacune de ses respirations. Penché en avant, concentré sur son office, Frey inspectait avec méthode les plants qui poussaient là, à l'abri des rochers où la neige était plus fine et qui n'étaient donc pas dissimulés à l’œil. Ses doigts écartaient avec l'habitude de l'usage les quelques fleurs fermées pour la nuit et venaient cueillir ici et là les baies qu'il trouvait. Il s'agissait de fleurs de divinams, une espèce pas si rare mais qui poussait dans les pires endroits. Initialement, le rôdeur était sorti de nuit pour tenter de trouver des fleurs très rares, bien plus repérable à la tombée du jour car elles étaient lumineuses, mais sa recherche s'étant avérée infructueuse, il avait fini par se détourner de sa quête lorsqu'il avait eu la chance de trouver ce foisonnement de divinams. Armé d'un petit couteau, il prélevait ici une fleur, ici des feuilles, et principalement les baies qui lui semblaient mûres ou presque. Il pourrait en tirer un excellent prix à la Forteresse et il ne pouvait pas passer à côté d'une manne si précieuse.
Emplissant généreusement divers sacs et contenants, il s'arrêtait régulièrement pour prendre le temps d'observer les alentours, prenant garde à ne pas bouger et à limiter le bruit de sa respiration. Ses yeux parcouraient le paysage d'un regard acéré, à la recherche de mouvement ou d'un indice trahissant une menace. La nuit, certains prédateurs étaient de sortie qu'on ne trouvait pas le jour et même si la civilisation était toute proche, il serait bête de sa part de ne pas surveiller ses arrières en terrain découvert. Le ciel et la paroi rocheuse étant probablement les deux endroits les plus dangereux d'où pouvait venir une menace. Équipé d'un arc, d'une petite épée courte et de son couteau, aucune arme ne valait cependant la préparation et l'anticipation.
À un moment le vent souffla quelques secondes, et il lui paru percevoir quelque chose. Purement par instinct il abaissa son écharpe sous le niveau de son nez pour humer l'air glacé, ne portant aucune autre effluve que le minéral et l'odeur des sapins mêlés du parfum des fleurs qu'il cueillait. Un instant il n'y eut que le silence, puis le bruit se fit de nouveau percevoir. C'était irrégulier, entrecoupé. Il se figea. Fronçant les sourcils, ça ne ressemblait pas à un animal mais plus à des hoquets... Humains ? Restant à l'affût, dégageant le tissu de sa capuche pour laisser ses oreilles effilées mieux entendre et révélant l'éclat de sa tignasse, la chose se précisait et avait de plus en plus la forme de pleurs. La remarque de l'aventurier qu'il avait accompagné précédemment lui revint en mémoire et il pensa instantanément à une lamia. Il rangea son couteau. Lentement, il fit glisser son arc et entreprit, sans gestes brusques, avec le moins de bruit possible, de sortir la corde qu'il avait à portée pour l'y tendre depuis les deux extrémités avec un effort mesuré.
À découvert, contre la paroi d'un affleurement rocheux de quelques mètres, il s'accroupit précautionneusement. Devant lui, il y avait un peu de terrain dégagé, un chemin enneigé qui - il le savait - passait ici, et la lisière des arbres qui bouchait toute la vue ensuite. Cette frontière n'était pas très loin et il ne pouvait y percevoir ce qu'il s'y passait que par son ouïe.
C'était des pleurs, indéniablement. Le cœur de Frey battait la chamade, ne pouvant empêcher sa pensée de tourner autour de cette histoire de lamia. Instinctivement, la première chose qu'il imaginait était une sorte de sorcellerie piégeuse. Encochant une flèche, il ne fit qu'amorcer le geste sans pour autant la tendre, gardant la pointe baissée mais prêt à armer son arc de chasse si nécessaire. Immobile, en plein terrain découvert, sa seule option était d'espérer passer inaperçu en restant inerte. Il se figea alors, attendant ce qui allait sortir de la lisière boisée, apparaissant presque comme une statue de marbre impassible sous l'éclat lunaire.
Cela dit, seule, perdue dans la forêt, elle peut bien pleurer à chaudes larmes et bruyamment personne ne l’entendra. Alors elle commence à se lamenter à voix haute et à sangloter chaudement. Il faut que ça sorte de toute façon alors autant le faire quand personne n’est là pour voir le massacre. Même si elle est certainement toujours aussi mignonne quand elle pleure. Enfin elle n’en sait trop rien, elle a pas vraiment d’occasion de se regarder quand elle pleure. Sio a un petit peu froid. Rien ne va plus. Elle est fatiguée, elle a froid, elle n’a pas pu voir sa grande sœur, elle ne sait pas où elle va et, potentiellement, elle va peut-être mourir ici, dans cette forêt, seule.
Après avoir errer un bon bout de son chemin en pleurant à chaude larme, elle voit quelque chose briller à la lueur de la lune. Un très faible reflet. Elle regarde dans cette direction, s’avançant encore. Puis elle s’arrête, écartant les bras. Prête à être dévorée par n’importe quelle créature. C’est bon. Elle n’a plus envie de se battre de toute façon.
« J’ai p-pas bon goût de toute façon ! » Elle renifle piteusement, se penchant pour ramasser de la neige avant de la lancer dans la direction où elle a cru apercevoir quelque chose. « J’espère t-tu seras malade après m’avoir mangé ! »
Il ne faisait plus aucun doute désormais que c'était des pleurs qui se faisaient entendre. Mais, loin d'être une lamia, ce fut une silhouette humanoïde qui sortit du couvert des arbres. Plissant des yeux pour tenter de discerner les détails avec plus d'acuité, Frey pencha imperceptiblement la tête de côté, ses instincts grand ouverts à ce qu'il avait sous les yeux pour déterminer si sa méfiance était de mise ou s'il s'agissait d'une fausse alerte. Devant lui s'avançait une humaine qu'il jugea assez jeune, qui semblait ne pas s'inquiéter plus que ça de ce qui l'entourait et de la façon dont elle attirait facilement l'attention sur elle. Il nota alors les excroissances osseuses qui ornaient ostensiblement sa tête, bien qu'incapable de déterminer ce dont il s'agissait vraiment. C'était des cornes, et durant une seconde il raffermit presque sa prise sur la corde encore non bandée de son arc. Il y avait, dans cette scène, un quelque chose de terriblement décalé qui le mettait presque mal à l'aise. Bien que la Forteresse ne soit pas si loin, ils n'étaient pas non plus tout à fait à côté des premières habitations et ce qu'il avait en face de lui criait à ses instincts les prémices d'un piège. Une jeune humaine en pleurs, déboulant de nul part en pleine nuit et présentant visiblement des attributs inhumains ? Il passa brièvement en revue ce qu'il savait des créatures de la région. Le mot lamia restait imprimé dans ses pensées mais ce qu'il voyait ne correspondait pourtant pas à ce qu'il en savait.
Il se fit toutefois repérer alors qu'elle lui lança de la neige depuis l'endroit où elle se trouvait. Toujours dans un entre deux entre la tension et l'observation, Frey ne bougea pas d'un pouce, impassible dans son contrôle et la boule de neige vint s'écraser un peu en avant, ratant généreusement sa cible. Les mots qu'elle lui lança ensuite le laissèrent perplexe. Si elle l'avait repéré, pourquoi lui disait-elle ça ? Avait-elle deviné quoi que ce soit sur sa véritable nature ? Un instant, la pensée lui parut stupide mais le déstabilisa.
Une seconde s'écoula, où rien d'autre que le silence ne semblait vouloir se faire entendre, puis il finit par lui répondre, sur un ton égal et très pragmatique.
Un constat qui tenait d'une vérité toute simple. Son arc était toujours baissé, au repos, mais il était toujours immobile, la tête découverte et le bas du visage dans son écharpe, contrôlant son souffle pour ne pas échapper trop de buée.
Si le fond du message servait à la mettre en garde contre les prédateurs locaux, il n'avait en réalité qu'une très mauvaise connaissance des lamias mais il voulait voir si cette jeune femme réagissait à leur mention. Frey voulait bien croire que ce n'était qu'une humaine et tout ceci une situation incongrue, mais ces créatures avaient la réputation de prendre forme humaine et de séduire leurs infortunées victimes, alors...
La question était posée presque anodinement, pourtant il rôdait en Frey une tension sous-jacente qui le laissait prêt à jaillir si c'était nécessaire. Attentif aux mouvements de la jeune femme, il tentait de lire dans ses gestes quelque chose qui trahirait un côté prédateur.
« Tu ne devrais pas faire autant de bruit, tu risquerais d'attirer une lamia. »
Elle cligne plusieurs fois des yeux rapidement, essayant de comprendre. Elle n’a aucune idée de ce qu’est une lamia, mais s’il le dit ça doit être vrai. Maintenant la demoiselle regarde autour d’elle, elle scrute les alentours un poil paniquée. Ne voyant aucun monstre approcher dans son champ de vision, elle revient à l’arc. Elle ouvre la bouche pour parler, puis la referme presque aussi vite. Pas la peine de lui dire qu’elle ne sait pas de quoi il parle, ça n’intéresse sûrement personne.
« Es-tu une lamia ? »
Sio a dû mal à cacher sa surprise, juste pour être sûre qu’il s’adresse bel et bien à elle, la jeune fille regarde autour d’elle avant de se pointer du doigt, avec un petit snif pitoyable.
« Moi ? » Une fois encore, elle passe sa manche sous son nez. « J’sais pas qui c’est ‘la Mia’... J’suis plus ... un monstre à moitié dragon nocturne. » Elle n’ose pas vraiment s’approcher à cause de l’arc et de l’impression que l’homme en question est plutôt tendu. Pas la moindre idée de ce qu’est une lamia ou ce à quoi ce truc ressemble… Probablement un truc moche s’il a pu la prendre pour une de ces créatures. « Elle ressemble à quoi ta Mia ? » Toute cette affaire est bien confuse, mais du moment qu’on ne lui parle pas de forge, elle est d’accord avec presque tous les sujets de conversation, « J’me suis juste perdue, j’ai pas vu de Mia moi. »
Frey eut encore une seconde d'hésitation mais la tension finit par redescendre rapidement dans ses muscles et son esprit. Ce qu'il voyait là ne ressemblait en rien à ce qu'il pouvait imaginer d'un comportement prédateur et il avait l'intuition que continuer de soupçonner cette jeune femme serait attribuer aux lamias un niveau de fourberie bien supérieur à ce dont elles étaient capables. Il n'y avait, là dans sa réponse, rien du comportement séducteur que l'on rapportait sur ces bêtes et un instant il se sentit presque idiot. Son esprit bascula rapidement sur la possibilité d'une rencontre incongrue, et les réponses naïves de la personne qu'il avait en face de lui finirent d'achever ses doutes. Une Mia, vraiment ? Néanmoins, il n'était pas passé à côté du commentaire qu'elle avait fait sur un dragon et cette remarque avait piqué sa curiosité.
Se détendant quelque peu, il finit par abaisser complètement son arc, le gardant néanmoins à la main pour le moment, et remit sa flèche dans le petit carquois qui était accroché à sa taille, en refermant le capuchon de cuir pour en protéger les pennes. Il fit trois pas dans la direction de la jeune femme, pas plus, ne voulant pas non plus lui faire peur en l'envahissant dans ce qui restait toujours une situation étrange. Hésitant sur la façon de lui répondre, il devint alors plus sensible à son visage ravagé par les pleurs maintenant qu'il ne l'imaginait pas en monstre voulant le dévorer. Il lui répondit alors d'une façon presque pédagogue, où ne se sentait plus cette acuité concentrée de chasseur qu'il avait eu l'instant d'avant.
Pragmatique, Frey n'avait pas tout à fait conscience que ce genre de commentaire ne risquait pas de rassurer la jeune femme.
Il hésita un instant avant de finalement enchaîner.
Il inspecta alors intensément du regard la personne qu'il avait devant lui, observant les vêtements qu'elle portait, critique quant à leur efficacité en pleine nuit froide dans les montagnes, et fronçant quelque peu les sourcils. Était-elle vraiment perdue ? Pas depuis si longtemps que ça, selon lui, car il doutait qu'elle ait pu tenir en aussi bonne santé plusieurs heures durant sans une bonne protection thermique. Une grande curiosité se cachait en lui, qui attendait beaucoup la réponse à ces questions.
C'était, au final, la première chose qu'il aurait dû demander. Visiblement, la réponse était non au vu de son état émotionnel, mais il faisait surtout allusion à son état physique. Les engelures étaient le pire des dangers et il en avait vues qui avait conduit à la perte de plusieurs orteils, puis d'infections ayant mené à l'amputation de la jambe. Ce n'était pas une menace à prendre à la légère.
«Ça te r’garde pas d’où je viens… »
Elle renifle encore. Fronçant davantage lorsqu’elle constate qu’il l’examine plus sérieusement. De la tête aux pieds. Il a pas froid aux yeux le mec bizarre qui se balade tout seul dans la nuit au milieu de la forêt et qui pointe son arme à tout va en criant à la lamia. Sio cale son poing sur sa hanche, pas tout à fait sûre de comprendre son soudain intérêt pour sa personne. Ce n’est pas comme s’il a fait preuve d’un quelconque tact jusqu’à maintenant et d’un coup il se demande si elle va bien ? Eh, si vous voulez son avis, ce type est bien plus louche qu’elle.
« Non,» commence-t-elle boudeuse avant de reprendre en agitant son mouchoir dans sa direction. « Pis toi là, t’es une lamia ? J’vais te l’dire tout de suite : mes écailles sont pas mangeable alors trouve quelqu’un d’autre à dévorer ! »
Puis elle regarde autour d’elle et ses yeux se perdent un instant sur la neige. Sur les reflets de la lune sur cette dernière et le silence qui règne. Elle prend doucement conscience que si elle retrouve pas son chemin elle va sans l’ombre d’un doute finir en petit dragon glaçon. C’est déjà assez miraculeux qu’elle soit encore en une pièce avec tout le boucan qu’elle a fait jusque-là. Tout ce qu’elle voulait c’était voir sa sœur. Même ça le ciel ne semble pas le lui accorder.
« C’est par où la forteresse ? Si tu m’aides je– »
La jeune demoiselle s’arrête réfléchissant à ce qu’elle pourrait bien offrir à cette personne pour son aide, et en fouillant ses poches, y a pas à dire, elles sont plutôt vides. Elle fait une petite moue.
« Bon j’ai rien à te donner, mais c’est bientôt le solstice et j’veux pas mourir avant d’avoir reçu mes cadeaux… Alors… euh… Joyeux solstice ? »
Tente-t-elle avec un maigre sourire désolé. Elle fait ce qu’elle peut avec ce qu’elle a. Autant dire vraiment, mais alors vraiment, pas grand-chose. L’important c’est de participer et qui ne tente rien n’a rien comme disent les vieux.
Frey comprenait maintenant qu'il avait en effet plus affaire à une enfant à l'instinct de survie très peu développé plutôt qu'à un monstre en déguisement. Bon, fondamentalement on ne pouvait jamais être sûr à cent pourcent et il avait entendu bien des contes et des légendes sur Aryon et les bêtes qui la parcouraient, mais il ferait, ce soir, le parti de faire confiance à ses instincts. Comme toujours. Il ne dit rien quand elle lui rétorqua que ça ne le regardait pas. C'était vrai, même s'il était curieux, et il n'irait pas pousser plus loin que ça puisqu'elle lui opposait un refus. Néanmoins, la façon un peu enfantine et stupide qu'elle avait eu de lui répondre fit appel à la partie plus sage de Frey, cette partie opposée au chaos intrépide et sans arrêt en mouvement qu'il était sous forme de mist. La suite se construisit petit à petit sans difficulté, lorsqu'elle lui demanda de l'aide en agitant ses poches trouées.
Finalement, le rôdeur laissa échapper un soupir venant former petit un nuage de vapeur. Il n'allait pas la laisser là si elle lui demandait de l'aide, quelle sorte d'humain cruel ferait ça ?
Ce n'était pas dit avec hostilité, plus une sorte de constatation tranquille. Après tout, c'était vrai, quelle que soit sa forme, et il n'était pas sûr de pouvoir le faire même si un jour sa vie en dépendait. Ignorant ses remarques sur son potentiel état de lamia, il renfila son arc sur son épaule. Elle n'était pas un danger, peut-être, mais il ne faisait pas de mal de l'avoir à portée de main.
La question était rhétorique, il n'attendait pas de réponse et la laissait réfléchir à ça toute seule. Cela contrariait ses plans immédiat mais rien de bien grave. Il doutait également qu'elle n'apprécie le terme d'enfant, mais le mot était sorti sans même qu'il n'y pense, à cause de ce qu'elle dégageait dans sa façon d'être et parce que Frey était plus vieux que ce qu'il en avait l'air.
Néanmoins, observant l'état général de l'adolescente, il se demandait intérieurement comment elle avait pu se mettre dans ce pétrin. Elle n'avait pas l'air d'être morte de froid malgré l'allure de ses vêtements. De la magie ? Probablement, beaucoup de riches citadins l'utilisaient pour pouvoir se balader en une tenue légère même en plein hiver. Idiots.
Il pointa le parterre de fleurs de divinams qu'il avait laissé en plan.
Il tombait sous le sens que si elle n'était pas capable de résister au froid, il ne fallait pas qu'elle l'aide, mais elle était quand même assez sage pour deviner ça, non ?
Puis il range partiellement son arc, ce qui veut dire qu’il a finalement compris que tu ne représentais pas un danger mortel. Pas volontairement du moins, mais ça Sio, tu ferais mieux de ne pas le lui dire tout de suite. Oui, voilà, des fois il vaut mieux que tu te taises. Comme quoi, tu es capable d’apprendre plutôt vite dans certaine situation. Et là, un flot de méchanceté s’abat sur toi à coups de ‘gens de la ville’ et ‘d’enfant’. Bon, d’accord, peut-être que tu es encore une enfant, mais tu n’es pas sûre de faire partie des gens de la ville pour autant. Encore, s’il t’avait traitée de gueuse à la limite, tu serais d’accord. Mais citadine ? Probablement que beaucoup de gens se sentiraient insulter de l’entendre t’appeler ainsi. Une vague haussement d’épaules, c’est tout ce que tu lui répondras dans un premier temps avant de te moucher encore une fois.
– Quels gens de la ville ? Moi je pensais juste que tu m’aideras pas si je te donnais rien en échange... Les gens sont bizarres.
Sio, tu as froid, mais tu n’es pas encore morte de froid pour autant. C’est un entre deux encore vivable pour toi. Plus ou moins du moins. Cela dit tu ne souhaites pas non plus passer ta nuit dehors à récolter des baies ? Et puis, d’abord, tu ne sais pas à quoi elles servent ces baies. Cependant ça te semble honnête comme échange. S’il veut bien t’aider à rejoindre la forteresse, tu peux bien l’aider à récupérer quelques trucs. Peut-être. Si tu ne casses pas tout sur ton chemin parce que l’on commence à te connaître, toi et ta façon gauche de faire les choses. Et tu n’as jamais récupéré de baies avant alors tu n’es pas sûre de savoir le faire. Il pourra certainement t’expliquer comment bien le faire, mais tu n’oses pas vraiment dire que tu ne sais pas comment t’y prendre alors tu le regardes en fourrant ton mouchoir dans ta poche.
Tu t’accroupis devant le parterre qu’il a désigné et tu essaies de récupérer un petit fruit. Délicatement, tu le prends entre deux doigts avant de lever la main vers l’homme, agitant ton trésor pour lui montrer que, eh, t’as réussi. Pas peu fière, tu la lui tends avant d’en prendre une autre.
– Comme ça ? C’est bien ?
Elle avait encore un peu l'air dans tous ses états. Néanmoins, la tension semblait petit à petit retomber à mesure que Frey comprenait qu'elle était vraiment une enfant perdue et non une Lamia sortie des ténèbres pour le piéger dans la mort d'un piège construit pour l'amadouer avec la pitié. Et qu'elle se mouchait bruyamment. Qu'est-ce qu'elle faisait ici ? C'était un mystère, probablement autant pour lui que pour elle sa présence à lui ici en pleine nuit à cueillir des fleurs. Elle lui demanda de quels gens de la ville il parlait et durant un instant il s'interrogea. Non, à ses yeux il n'y avait vraiment que les gens de la ville pour se retrouver perdu dans la montagne dans des habits... Et bien dans des habits qui ne permettaient pas de survivre, tout simplement. Peut-être se trompait-il et que la magie était à l’œuvre ici, mais pourquoi vouloir revenir à la Forteresse alors ? Il haussa les épaules, balayant ces pensées.
Finalement elle fait son choix et il la laisse venir, sans la brusquer. Elle a l'air encore hésitante et un peu perdue et il la regarde faire. Quand elle lui tend une des baies, elle a l'air un peu plus revigorée et quelque chose s'agite en lui alors qu'il sourit légèrement. Elle avait l'air de ne rien y connaître du tout et il avait toujours éprouvé un certain plaisir à partager ses connaissances avec les autres lorsqu'ils s'y intéressaient. Alors si ce simple geste pouvait permettre d'aider à construire un dialogue avec elle pour la faire tendre vers un quelque chose de plus positif, il était naturellement content.
Il lui tendit le pot en verre dans lequel il mettait ce qu'il récoltait au fur et à mesure. Celui-ci était assez gros et déjà à moitié plein. Puis, s'accroupissant à côté d'elle, il lui montra en même temps qu'il lui expliquait.
Il faisait des gestes simples et tranquilles, parlant d'une voix calme qui ne portait pas très loin, ayant conscience que peut-être le peu de distance entre eux pouvait l'inquiéter. Mais maintenant qu'il n'était pas en train de pointer un arc sur elle, il y avait ce quelque chose de paisible en Frey et qui s'incrustait avec harmonie dans ce décor froid mais plein de beauté.
Ses doigts venaient et cueillaient des baies à une allure qui notait une longue expérience de cette pratique, remplissant petit à petit le pot en verre. Du coin de l’œil, il observa les cornes de l'humaine. Leur forme ne lui était pas familière et il n'avait aucune idée de si elle avait dit vrai pour cette histoire de dragon, mais il contint sa curiosité.
Alors tes petites mains finissent par imiter celles de l’homme à tes côtés. Pas spécialement effrayée, tu continues de faire de ton mieux pour remplir le petit pot. Accroupie dans la neige, tu en oublies presque ton gros chagrin. Peut-être que c’est la jeunesse qui fait que tu n’as pas conscience du danger potentiel, ou alors tu sais que même s’il t’arrivait quelque chose ça serait de ta faute. Puis avec tout ça tu n’as pas le temps de penser au froid.
Une erreur de débutant : Il t’a dit que tu pouvais en manger. Non seulement tu es bien plus lente que lui pour la cueillette mais en plus maintenant tu manges une baie sur deux. Les grimaces dues à l’acidité des petits fruits sont nombreuses, cependant rien n’arrêtera le ventre sur pattes Sio.
Sa question te fait tourner tes iris carmines vers lui. Pour être honnête, tu n’es pas sûr de savoir comment répondre à cette question. Tu t’es enfuie. Oui, voilà, tu n’as pas sur trouver le courage d’affronter ta sœur qui a l’air de si bien vivre sans toi. Ça te fait du mal de le penser. Tu t’es demandé si tu lui manquais et tu as commencé à imaginer que non alors tu es partie sans regarder où tu allais. Les chemins se ressemblent tous de nuit. Et les non-chemins aussi maintenant que tu y penses. Tes petites épaules se haussent alors. Tu n’es pas sûre de vouloir lui raconter la vérité. Te tortillant sur tes petites jambes, tu avales quelques baies avant de le regarder.
– Non, j’ai rien. J’étais à la forge pour voir ma sœur. Mais j’crois qu’elle était pas là. Et après j’ai voulu retourner à la Forteresse, j’ai pas regardé et pis voilà. Et toi ? T’es pas perdu toi, mais tu fais quoi tout seul ici au milieu de la nuit ? J’ai froid un peu...
La situation avait un quelque chose de farfelu, une pointe de mystère qui s'étiolait dans la nuit tandis que cette rencontre improbable les faisait petit à petit avancer dans la même direction. Il gardait une attention certaine sur la jeune femme mais il n'y avait plus, désormais, cette première impression un peu farouche qui avait menacé d'éclater entre eux. Non, il voyait dans ses gestes, dans l'hésitation de sa voix et l'incertitude qu'elle n'avait pas la plus grande assurance du monde. Alors, une fois passé les pleurs et les émotions du début, elle finissait par se concentrer sur une tâche qui, il l'espérait du moins, l'aiderait à se recentrer et à répondre aux interrogations qu'il avait.
Somme toutes, son histoire semblait tenir debout, bien qu'elle fut tristement banale, dans la mesure où c'était ainsi que se perdaient les infortunés la plupart du temps. Probablement faisait-elle référence à cette forge isolée qu'il était déjà allé visiter sous forme de dragon, essayant principalement d'éviter les humains qui vivaient là pour se glisser dans le bain relaxant d'une source chaude qui coulait là-bas comme un trésor sous la terre.
Il avisa les informations qu'elle lui donnait, ne semblant alors même pas avoir réellement écouté sa question. Pourtant, elle ne lui avait pas échappé et, surtout, sa dernière remarque sur les températures. Encore une fois, il jeta un coup d’œil dans sa direction. Elle ne semblait pas spécialement bien habillée pour confronter une nuit de neige et de vent, c'était à se demander si elle était déjà venue dans les montagnes.
Pourtant, il n'y avait pas de jugement dans le ton de sa voix. Juste une constatation.
Se relevant, il épousseta le bas de sa cape aussi blanche que la neige et referma fermement le pot qui contenait le précieuses baies avant que l'inconnue ne tente de venir les manger elles aussi. Prenant quelques instants pour ranger le bocal dans ses affaires, il ôta son arc qu'il posa avec précaution contre un rocher avant de commencer à retirer sa cape en laine. La nuit était froide, mais il y avait peu de vent et il était protégé par plusieurs couches destinées à isoler du froid.
Il la tendit à la jeune fille, mû uniquement par une préoccupation pragmatique. En-dessous, il était vêtu d'une armure de cuir d'un gris-bleu et rembourrée avec de la fourrure à quelques endroits, d'un couteau de chasse à la ceinture, de diverses poches et autres outils pratiques qui se laissaient apercevoir ici et là.
Il ne servait à rien d'attendre que les choses n'empirent et il ne préférait pas devoir faire confiance à une inconnue perdue pour jauger de ses chances de survie si elle restait seule ici.
Était-ce une métaphore ? Rien n'était moins sûr, au vu de son ton extrêmement sérieux. Il ramena donc la dénommée Sio jusque sur le chemin de la Forteresse, ne la laissant partir que lorsqu'il fut certain qu'elle était dans un endroit au chaud et en sécurité.
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