– Non. Que cela soit ton clone ou toi-même tu ne toucheras pas à cette soupe avant que j’aie terminé de la mélanger.
C’est une cuillère qui donne de l’énergie plus on mélange avec un plat. Autant pour faire un œuf au plat, ça ne sert à rien du tout, pour le reste il y a presque toujours un mélange à faire. Tout cela pour dire que là Faolan était dans la cuisine des Belluaires, avec Java en commis de cuisine, enfin goûteuse plutôt, pour valider les plats qui allaient être mis en place pour changer la cantine.
— Mais on a vraiment besoin de mettre du thym à ce moment-là ?
— Non, mais ça donne un meilleur goût.
— On cuisine pour la garde, le goût ce n’est pas le plus important.
— Oui, il faut des plats pas chers, il y a un budget à respecter.
— C’est plus un budget à ce stade, mais du bénévolat sans contributeur.
Les cuisiniers du lieu n’étaient de mauvaise personne, loin de là. Ils étaient même doués pour la plus grande majorité, seulement le vrai problème des cuisines de la garde du village perché était les économies demandées par la commission suite à une dépense importante dans ce budget-là depuis plusieurs lunes. Certaines rumeurs disent que cela date de l'arrivée de Java sur place, mais c’est plus des mauvaises langues qu’autre chose.
— J’aurais plus mis des pommes de terre là.
— Les lentilles, c'est moins cher et mieux pour la santé.
— C’est fade.
— Juste si c’est mal assaisonné, avec un bouquet garni et revenu dans la graisse de la viande c’est une tuerie.
Ils n’ont pas l’air des plus convaincus parce que Faolan raconte. Il y est pour rien si vingt ans de fabrication de ration militaire cela détruit le palais de cette façon et enlève la passion et l’imagination pour remplir les assiettes.
— Lieutenant, je continue à penser qu’on devrait simplement réduire les portions de tout le monde plutôt que de chercher de nouveau plat pour faire des économies de budget.
— Java, je t’assure que c’est bon et qu’en plus ça ne coûte pas plus cher que les portions réduites !
Cette cuisine actuellement est un peu pathétique, mais cela donne une scène sympathique et amusante à regarder. Il y a des belluaires qui trainent dans un coin pour s’amuser de tout cela. Heureusement qu’il y a aussi eu de bons gars pour s’occuper des enfants pendant ce temps-là parce qu’il y a assez d’enfantillage là tout de suite.
L’avenir des portions et qualité des repas des Belluaires est en jeu, donc on en joue plus les amis.
▬ Tu la fermes ! Une caserne, c'est fait pour loger et nourrir les gardes, et comme il faut. J'suis pas la seule à bouffer comme un cerberus, et si on fait d'notre mieux pour accommoder les régimes particuliers, y a pas d'raison qu'on accommode pas non plus les gros mangeurs !
Petit silence.
Habitués à ce que le lieutenant préserve sa fierté, la majorité des Belluaires préféraient passer ses écarts gastronomiques sous silence. C'est ce que les femmes préfèrent, non ? Mais Java commençait à en avoir marre de les voir faire les précieuses « pour elle ». Déjà, parce qu'elle n'est pas comme ça. Ensuite, parce qu'ils allaient finir par agacer Faolan, à la longue !
▬ R'gardez-moi ça, têtes de, de... hem, têtes de noisettes ! Il neige dehors. Vous m'l'avez déprimé !
Elle pointe la fenêtre du doigt avec colère.
▬ Heu... la neige va plus loin que ça, lieut'nant.
▬ Hein ?
▬ C'est juste parce qu'il fait froid.
▬ Ah. Oups.
Elle se frotte la nuque, et les éclats de rire parcourent la salle. L'avantage, avec ce régiment de têtes brûlées, c'est qu'on revenait facilement à une bonne ambiance, même dans les périodes compliquées. Dans les pires moments, un petit discours honnête, et tout repartait comme d'habitude. Elle rit avec ses hommes, puis passe un bras autour des épaules de Faolan.
▬ Tu veux que j'retourne chercher des épices ou c'est bon ?
Ou comment répéter « laisse-moi goûter » mais en plus poli.
— Oh ? Tu veux ajouter des épices en plus sans avoir goûté ? C’est pas très sérieux tout cela pour un lieutenant. Je t’ai connu plus professionnel que cela.
Tout en disant cela, il prend une grande cuillère de son dhal de lentille corail au petit champignon et patate douce. Il avait bien pimenté le tout avec pas mal de coriandres aussi pour accompagner le tout. Lui trouvait cela pas mal, mais, effectivement, peut-être que cela manquait un peu d’épice. Donc, avec la cuillère pleine il la met directement dans la bouche de Java qui s’ouvre automatiquement à son arrivée. Il aurait presque pu faire la plaisanterie du petit bateau qui rentre au port comme il le faisait avec Melta quand il apprenait tout juste à manger des plats plus solides que le lait maternel.
— Au fait… J’ai eu un colis de ta mère, avec des pulls… heu… Des pulls moches, mais il semblait être fait main. Enfin ils ont fait main parce que c’était écrit dans la lettre. Je n’ai pas osé lui dire qu’ils étaient moches et j’ai dit qu’il était confortable et chaud, ce qui est vrai et je lui ai envoyé de la laine de Dohlio. Elle va m’en vouloir longtemps ?
Parce qu’il se doute que cette femme devait savoir que ses pulls étaient immondes, mais en même temps, ironiquement, ils étaient de très bonne qualité et vraiment, autant pour lui que pour les enfants, c’était parfait pour la saison froide, juste, il ne pouvait pas mettre ça au travail sinon c’était mort. Juste mort.
— Est-ce qu’elle voit correctement les couleurs ?
Parce qu’il ne voudrait pas être insultant sur un problème de santé. Il ne voulait pas être insultant tout court, mais il devait avouer que cela laissait à désirer comme cadeau. Est-ce que c’était un message de paix ou de guerre ? Est-ce qu’il y avait seulement un message caché dans le colis ? Autre que le fait qu’elle semblait penser qu’il était possiblement un bon gendre, ce qu’il se passerait bien pour le coup, mais c’est un détail. Il laisse la cuillère à Java pour qu’elle termine de la lécher et sort des baies de divinam pour une sucrerie parfaite, en plus, avec le fait que c’était une plante très commune, l’avoir en remontant n’en serait que meilleur, il sortit aussi des pommes pour aller avec. Il met un peu d’eau et du sucre avec du miel à cuire après avoir montré les quantités à respecter aux cuisiniers de la caserne.
— On ne va pas jouer à faire des plats de noble non plus pour la garde.
— On va faire une compote, à quel moment une compote c’est un plat de noble.
— Mais ce n’est pas comme ça qu’on commence une compote.
— C’est pour donner un petit gout caramel sans faire d’effort.
— Ah ! Je ne savais pas…
Ils avaient l’air assez contre le changement en tout cas.
Elle rouvre immédiatement les yeux lorsqu'il mentionne sa mère, et analyse la situation au fur et à mesure qu'il la présente. Sarnai Senior allait évidemment comprendre de suite l'absence de compliments directs sur l'apparence de ses pulls, mais avec elle, il y avait une bonne chance pour que ce soit en réalité un test d'honnêteté, et qu'elle ait volontairement fait des tricots moches pour tester le nouvel ami de la famille.
▬ Elle voit bien, c'est probablement juste pour qu'tu te prennes la tête. Des fois ça lui prend d'faire des cadeaux à double, triple sens. Surtout avec les part'naires commerciaux.
Au moins il avait largement de quoi emmitoufler sa petite tête et ses p'tiots pour la saison froide, se dit-elle en mâchouillant la cuillère. Elle l'arrache de sa bouche et la secoue en l'air, projetant un petit fil de bave sur l'insolent qui a osé critiquer la compote de son ami.
▬ Tu dis ça mais c'toi qui fait la fine bouche ! Il est là pour alléger le budget bouffe. AL-LÉ-GER. Il sait c'qu'i' fait, bon sang !!
Convaincu soit par la salive, soit par le ton véhément de sa tirade, le garde recule de quelques pas... pour finalement revenir quelques minutes plus tard. Java est déjà prête à le sortir avec un coup de pied au derrière, mais il la surprend avec sa curiosité.
▬ On pourra goûter la compote ? Ca sent vachement bon.
▬ Ouais, on dirait le pain d'épice de ma maman !
▬ Celui qu'elle brûle à tous les coups ?
▬ Le milieu il est pas trop brûlé vous savez. Et il goûte bon comme ça !
Elle glousse devant la curiosité maladroite qui possède petit à petit les cuisiniers comme les fantassins. Quand Faolan cuisine, tout le monde redevient un enfant.
— Les enfants les aiment bien, la couleur n’est pas trop le souci. Il faudra que je te présente Rune d’ailleurs et…
Cannelle donne un coup de museau au blond qui met un nouveau tour de cuillère dans sa préparation pour que cela n’accroche pas au fond de la casserole. La rarwük avait vraiment un bon instinct et odorat pour faire attention au plat avec Faolan. Si on lui avait expliqué qu’il utiliserait un familier de cette manière, il en aurait certainement ri très fort. Il ne pensait même pas en avoir à la base ou alors simplement pour les utiliser comme ingrédient de cuisine. Ce qu’il fait aussi maintenant, mais ce n’était pas la question.
— Oh ! Le pain d’épice ! On pourrait en faire ! Avec les producteurs du Village Perché en plus. Attendez, j’ai une recette pas loin.
Il sort de son sac une liasse de feuilles et cherche dedans la bonne, il faudra qu’il fasse un vrai carnet un jour. Il a même prévu d’en demander un à un enchanteur, pour faire un mix de livre mémoire et carnet à secret histoire de pouvoir garder ses surprises pour lui. Il y a des expérimentations qu’il ne souhaite pas partager tout simplement.
— Là !
En disant cela, il met la recette sur la table. Tout une histoire de faire chauffer le miel avec le sucre avant d’ajouter les œufs, puis la farine préalablement mélangée avec diverses épices et un peu de bicarbonate de soude avec de faire cuire le tout pendant une bonne heure au four.
— C’est certes assez riche, mais avec des produits locaux on fait des économies et cela donne pas mal d’énergie en prime. Petit effet sympathique, si jamais vous utilisez du miel d’Ambrosia cela garde les vertus de base du miel de soigner les engelures et donc en aliment en cas de mission dans la neige la nourriture idéale !
— On n’est pas à la Forteresse, petit.
— Vous ne faites jamais d’échange avec eux ?
— Si, mais on n’échange pas des recettes.
— C’est con, ils ont peut-être de bonnes astuces eux aussi. En plus eux aussi ils ont le budget qui est donné par la couronne et font à manger pour des gardes.
— Ah… Ah, oui, pas con.
Dans tous les cas, un se met à copier la recette pendant qu’un autre note celle pour la compote.
— Mais ce n’est pas les seuls à avoir de bonne recette pas cher, les habitants aussi. Vous pourriez faire un concours de cuisine pour nourrir le régiment et ainsi permettre d’avoir des recettes du coin et créer une animation.
— Notre travail ce n’est pas de faire du social dans ce genre-là ici.
— Dommage, ça aurait été amusant et permis de souffler un coup en prime. Tu en penses quoi Java ?
Toujours demander à un estomac qui souhaite être rempli son avis pour un concours de nourriture. Toujours. Ça aide à gagner l’argumentaire face aux autres la plupart du temps.