Assignation
Les missions de l'Astre sont vastes et nombreuses, aussi Luz ne peut-elle refuser la requête d'un tenancier de casino quant à la surveillance et l'organisation de l'une de ses célèbres soirées... Le Scorpouille Hurleur est un établissement réputé de l'Etoile du Sud, dont la particularité est d'organiser annuellement le CristauMillions, soirée au cours de laquelle il est possible de gagner une magnifique fortune le long des tables de jeux. Cet évènement attire toutefois les malfrats et aiguise les tensions et de trop nombreuses bagarres ont explosé par le passé... Cette année, le patron s'est vu opposer un ultimatum : un évènement impeccable sans débordement ou la Couronne signe l'arrêt complet de cette activité. Appelée à la rescousse par ce vieil ami, Luz cherche plusieurs personnes susceptibles d'accompagner une équipe de soigneurs de l'Astre sur place afin d'encadrer l'évènement et veiller au bon déroulé des opérations.
+ Proposé par : @Luz Weiss
+ Participants : @Lunarya Lys & @Alvar de Brumerive
+ Objectif : Aider les soigneurs de l'Astre à surveiller la santé des invités et s'assurer que le CristauMillions se déroule sans débordement.
Isenan Roccen tordait ses longs doigts fins avec l’anxiété saccadée d’un homme sous le fil d’une épée. Son souffle se heurtait par moment à un mouvement brutal de sa tête, son regard happé par l’apparition d’un nouveau client à l’entrée de son établissement. Le Scorpouille Hurleur contredisait présentement son appellation et s’était drapé de milles atours, véritable joyau dans un écrin de verdure sous les feux sombres du crépuscule. Bien sûr, l’environnement exotique et flamboyant des Archipels jouait pour beaucoup dans cet impressionnant tableau... Nulle neige ou morne pluie à cet endroit du monde ! De fantastiques palmiers ployaient sous des branchages épais, les pieds fondus dans un sable encore chaud à cette heure, à tel point qu’il eut été possible de douter de la présente saison. Seules les températures tropicales avaient sensiblement diminué pour cette première lune de saison fraiche et Luz s’était offert le luxe d’un épais gilet - dédaignant ce faisant le pull moche récemment offert par sa famille - pour contrer la brise marine. Car si l’immense bâtiment trônait fièrement à fleur d’eau, sa structure secondée d’une splendide terrasse de bois vernis dont les piliers bravaient les flots, la façade happait toutes sortes de vents contraires qu’il était ardu d’ignorer. Pour autant Isenan et son équipe avait fait des merveilles en termes de décoration et une multitude innombrable lanternes allumaient ici et là des lacs de lumière chaude, une constellation de bassins d’ambiance reconstituée pour chacune des salles de jeu. A l'entrée, des hôtesses avaient la charge d'accueillir les clients, des corbeilles de sucreries et de champagne au bras. Oui, il allait sans dire que sans esclandre cette soirée serait assurément un succès en mesure de projeter le Scorpouille Hurleur en tête des établissements les plus rentables du trimestre. Ce qui était justement la préoccupation première du propriétaire.
Ce faisant, elle désigna du bout de l’index la salle concernée sur la carte que l’un de ses employés tenait. A l’arrière, une équipe de soigneur tâchait de s’organiser pour installer et stocker le matériel médical de mise lorsque l’on s’apprêtait à accueillir un public aussi nombreux qu’irritable. La population de l’Etoile du sud était d’ores et déjà réputée pour sa versatilité plus dangereuse qu’une chappe d’huile sous le voile d’une lampe – Luz ne s’attendait pas particulièrement à une soirée paisible. Et c’était pour cette raison qu’elle avait usé de ses avantages de Noble pour mander une aide officielle de la Garde. Isenan n’avait pas mis longtemps à se laisser convaincre malgré une ou deux grimaces. Il fallait comprendre le personnage, plusieurs de ses clients n’apprécieraient guère la promiscuité d’agents directs de la Couronne dans les parages lorsque bon nombre d’échanges dans les salles de jeu penchaient plutôt vers l’illicite… Hélas, Isenan avait grand besoin de s’attirer la sympathie de cette même Couronne s’il ne souhait pas mettre la clé sous la porte et cette seule démarche avait l’avantage de prouver son entière bonne foi. Qui plus est, Luz ne doutait pas un instant de l’aptitude desdits Gardes à préserver la sécurité des invités de même qu’à garantir la prise en main de tout débordement.
Dame Lunarya Lys, tout d’abord, était une collègue directe d’Arthorias. A ce titre, la praticienne était prête à garantir son efficacité et sa rigueur dans une si délicate mission. Outre ses affiliations nobles, la jeune femme avait prouvé son aptitude au travail maintes fois au cours de ses années de service au sein de la Garde royale. Luz avait d’ailleurs eu l’heur de l’apercevoir à une poignée d’occasions au détour d’un couloir, lorsque le devoir médical l’avait conduite auprès de la famille royale ces mois précédents. Enfin, s’était présenté à ses côtés le dénommé Alvar de Brumerive que Luz découvrait présentement. Une stature impressionnante, vêtu d’un acier sombre qui n’avait nullement à rougir sous la pâleur de la lune, énigmatique individu dont la loyauté et le professionnalisme avaient été garantis par les Belluaires. La rouge était du moins absolument certaine qu’aucun bougre un tantinet trop imbibé ne viendrait lui chercher des noises, tant sa silhouette véhiculait une impression singulière de prédateur. Elle leur confiait ainsi à tous deux la réputation de son nom, de même que l’avenir du Scorpouille Hurleur.
« Isenan Roccen, enchanté, s’empressa-t-il de les saluer, non sans une nervosité difficilement contenue. Je ne saurais que trop vous remercier pour l’aide inestimable que vous m’apportez tous deux ! »
Luz approuva son assertion d’un léger hochement de la tête, consciente qu’ils étaient bigrement chanceux d’avoir obtenu l’approbation de la Garde pour cette mission de surveillance.
Ah, le pauvre homme ! Voilà qu’il s’empêtrait dans ses propos, désireux de faire comprendre aux deux Gardes l’entièreté de sa problématique sans s’attirer leurs foudres. Luz dut se mordre silencieusement la lèvre inférieure pour masquer la pointe d’un sourire rieur. Elle comprenait toutefois sa détresse et vint à sa rescousse dans un gracieux détournement de sujet :
Elle coula un rapide regard à son tempus, malheureusement attendue ailleurs pour le reste de la soirée. L’Astre avait quelques juteux contrats à passer avec l’Etoile du sud, un pied à terre local pouvant s’avérer d’une forte utilité au cœur d’un tel nid de vacanciers et de malfrats mêlés.
Elle s’était fendue d’une parfaite révérence, véritablement reconnaissante de l’aide exceptionnelle apportée par Dame Lys et Monsieur de Brumerive.
« Avez-vous des questions ? s’enquit Isenan d’une voix faible aussitôt que la praticienne eut disparu au détour d’une allée. »
Est ce un mal ? Vais-je m'en plaindre ? Certainement pas. Par contre, comme si le hasard se voulait franchement mesquin, il a fallut que je tombe sur le seul et unique garde -hormis mon capitaine- de tout le royaume à connaitre l'existence de ma fille pour gérer cette assignation. Est-ce un mal ? Un bien ? Franchement, je ne sais pas quoi en penser. Après tout, au fond, j'apprécie plutôt l'hybride mais... Mais au fond, je suis presque sûre qu'il va profité de cet assignation commune pour me poser des questions qui fâches. Et ça ne va pas me plaire.
Car depuis que je l'ai recroisé à la capitale dans la taverne où bosse Elion, il s'est passé bien des choses... Notamment le fait que j'ai de nouveau abandonné ma fille et son père, mais qu'en plus le capitaine de la garde royale va prochainement demander ma main en mariage à ma famille adoptive. Trop génial hein ?
Heureusement, nous avons finalement voyagé chacun de notre côté et ne nous retrouvons que maintenant avec notre commanditaire qui n'est autre que la gérante de l'Astre de l'Aube, Luz Weiss... C'est étrange comme le monde est petit, c'est aussi grâce à elle que la garde est intervenue dans le dispensaire il y a quelques semaines de cela.
Alors quand celle ci s'excuse et s'éclipse, je la salue respectueusement avant de revenir au gérant du Scorpouille Hurleur.
- J'en ai bien une oui, combien de temps avons nous avant que votre événement ne commence ?
L'homme regarde alors son propre tempus avant de répondre.
- Officiellement dans deux heures. Mais pour un tel événement, je ne vous cache pas que les premiers invités arrivent souvent bien à l'avance.
- Hm...
Ce qui ne nous laisse que peut de temps pour faire un tour du propriétaire et prendre nos marques... Mais aussi nous présenter à ses propres agents de sécurités et aux agents de l'astre de l'aube.
- Bon et bien dans ce cas, nous n'avons pas de temps à perdre. Allons immédiatement faire le tour de votre établissement pour voir ce qu'il en est.
- Très bien, alors veuillez me suivre, s'il vous plaît.
Et tandis que Monsieur Roccen ouvre la voie, je me permets seulement maintenant d'adresser deux mots à mon collègue venu gérer cette affaire avec moi.
- C'est plutôt inattendu, mais je suis contente de faire cette mission avec toi. Même si je doute qu'on ai guère le temps de discuter au vu de l'ampleur de la tâche qui nous attends.
Voilà, on aura pas le temps hein. Donc ça sert à rien d'essayer Alvar, on est là pour bosser.
Juste bosser.
Se sentant de nouveau lui-même après des mois d'errance, il savourait à nouveau le plaisir du travail bien fait, ce qui n'était pas pour lui déplaire après avoir passé une éternité à crapahuter loin de toute civilisation. Cette nouvelle tâche qu'on lui avait confié quelques jours plus tôt était d'ailleurs bien inhabituelle car sa hiérarchie l'avait fait déplacer bien loin des paysages verdoyants de la Grande Forêt. Malgré un léger trac, il ressentait surtout une fierté absolue à l'idée de pouvoir faire ainsi honneur à son régiment tout entier en prouvant son efficacité et son sérieux, ce jusqu'à l'autre bout du continent de surcroit.
La surprise ne se limitait d'ailleurs pas à la nature de sa mission, car la personne avec laquelle il avait la joie de travailler en cette occasion si particulière n'était autre que Lunarya, son amie de longue date avec laquelle il avait récemment repris contact suite à un hasard pas spécialement heureux. Les retrouvailles s'étaient effectuées sans cérémonie car, à peine arrivés sur place, les deux militaires avaient aussitôt été réquisitionnés par leurs commanditaires qui s'étaient empressé de leur offrir les indications nécessaires au bon déroulement de leur future mission.
Accueillis par Dame Weiss en personne dés leur arrivée, les deux militaires avaient à peine eu l'occasion de se saluer qu'ils étaient déjà présentés au responsable de l'organisation de l'évènement dont ils assuraient ce soir la sécurité. Cette soirée constituait une excellente occasion de prouver la valeur et l'efficacité des Belluaires et Alvar avait bien l'intention de mener cette opération avec brio, malgré l'aspect atypique et potentiellement explosif de la tâche qui leur était confiée.
C'était d'ailleurs bel et bien au pire qu'Alvar se préparait car, si les hommes et les femmes présents étaient issus de bonne famille, ils n'étaient pas immunisés aux ravages de l'alcool pour autant et les esprits risquaient fort de s'échauffer après quelques cocktails trop chargés, sans compter que les jeux d'argent avaient toujours tendance à attiser les tensions et à déclencher des conflits. Plus la soirée serait avancée et plus le danger serait grand, de toute évidence, baliser la zone et établir rapidement les profils à risque semblait donc vital pour s'assurer d'un déroulement sans encombre pour l'évènement.
Après quelques explications, Dame Weiss abandonna les militaires aux mains de Roccen et ce dernier compléta les indications. Les mains croisées derrière son dos, l'officier masqué écoutait silencieusement les directives du responsable de la soirée mais Lunarya, quant à elle, tenait apparemment à prendre les devants en posant quelque question. Sans être un fin psychologue, Alvar décela néanmoins sans mal une sorte de nervosité dans le ton de sa camarade. Il y avait dans son attitude une forme d'empressement caractéristique qui laissait supposer un certain inconfort, chose que le Belluaire ne manqua pas de noter mais il se garda bien évidemment de commenter cet état de fait.
Ses soupçons se confirmèrent rapidement lorsque Lunarya s'adressa à lui. Un sourire amusé se dessina sous son masque lorsqu'il comprit enfin la source de l'anxiété de son amie. Ce n'était probablement pas la nature de la mission ni même son "ampleur" qui l'angoissait à ce point, mais bel et bien son camarade et les sujets qu'il pouvait risquer d'aborder au court de la soirée. Pas dupe, mais bienveillant, Alvar se contenta de répondre à sa jeune amie sur un ton presque moqueur :
"Bien entendu, Lunarya. Je n'ai aucune intention de te détourner de notre mission par des questions invasives."
Le ton était donné, il savait pertinemment ce à quoi elle refusait de faire allusion et ne comptait pas lui tirer les vers du nez par la force. Sans connaître l'évolution de la situation familiale de sa camarade, Alvar savait à quel point le sujet pouvait être sensible et n'avait nullement la volonté d'enfoncer le couteau dans la plaie. Ce fut la voix de Roccen qui vint couper toute potentielle réponse :
"Et nous voici au dessus de la salle principale. C'est ici que se déroulera la majeure partie de la soirée."
Alvar se recentra aussitôt et s'approcha de la balustrade. Prenant appui d'une main, il observa un instant la pièce qu'ils surplombaient et découvrit sa superficie. Malheureusement pour eux, garder l'œil sur une pièce de cette taille n'allait pas s'avérer une mince affaire. Ce fut donc avec une certaine appréhension qu'il prit la parole en se remémorant les mises en garde de Dame Weiss :
"Nous n'avons que peu d'informations sur l'évènement mais je me dois de vous demander : Y a-t-il des antécédents notables dans ce genre de soirées ?"
Le commanditaire sembla vaguement confus et bafouilla légèrement avant de rétorquer :
"Des... Des antécédents ? De quel genre ?"
Alvar pivota, faisant face à l'homme dont la nervosité maladroitement dissimulée devenait de plus en plus évidente.
"Des violences, par exemple ? Tout ce qui vaut la peine de nous être raconté, à vrai dire. Nous devons savoir à quoi nous attendre pour travailler dans les meilleures conditions et endiguer toute situation potentiellement gênante pour vous, vous comprenez ?"
Après s'être mordu la lèvre inférieure en signe d'agacement, Isenan fit par accepter de répondre. Alvar parlait un langage qu'il comprenait : la réputation faisait tout dans ce genre de milieu.
"Bien que cela me peine de vous l'avouer, je dois vous confesser que oui. Les soirées comme celles-ci sont très hautes en couleurs et fortes en émotion, ce qui a tendance à déclencher quelques accrochages. Nous n'avons jamais fait appel à la Garde jusqu'à présent mais cette fois, tout doit être parfait, c'est pourquoi nous avons décidé de renforcer la sécurité. Nous comptons donc lourdement sur votre vigilance et votre savoir-faire. Si vous devez agir pour apaiser des tensions, faites-le discrètement et aussi courtoisement que possible."
Plus qu'un ordre, cela semblait être une prière. En guise de réponse, Alvar s'inclina légèrement et hocha la tête pour confirmer qu'il avait bien saisi toutes les implications des dires de son interlocuteur. Il se tourna ensuite vers Lunarya, puis lui glissa :
"Nous allons avoir du pain sur la planche mais j'imagine que tu dois savoir gérer des nobliaux en furie, n'est-ce pas ?"
En vue de sa propre profession, c'était supposable.
Étant garde royale, on peut presque dire que c’est mon métier, de gérer des nobliaux en furie… Et pour cela, il y a deux méthodes possibles : la première, être discret pour les prendre sur le fait. Mais ça, c’est plus quand on veut des preuves incriminantes… Aussi, la seconde me semble bien plus adaptée.
- Je vais aller enfiler mon armure de Cuirassier. Cela devait suffire à impressionner les plus impressionnables, ce qui pourra déjà réduire les risques de débordement. Pour le reste, si tu es d’accord, nous ferons tous deux des rondes directement au cœur des invités, ça leur mettra la pression et…
- Non ! S’il vous plaît ! Je… rappelez vous que c’est avant tout une fête… Les invités doivent être libre de s’amuser. Si vous leur tournez constamment autour alors ils risquent de se sentir bien trop surveiller.
Je fronce les sourcils sous les propos d’Isenan. Franchement, il ne nous facilite pas la tâche…
- Vous souhaitez vraiment prendre le risque de perdre votre casino pour une soirée de débauche ?
- Pas une soirée de débauche Dame Lys ! C’est un événement que beaucoup attendent et si elle ne correspond pas à ce qu’ils veulent, alors je peux tout aussi bien mettre des à présent la clé sous la porte ! Si je vous ai engagé tous les deux, c’est justement pour permettre à cette soirée de devenir mémorable en toute sérénité !
Je souffle. Je sens que ça va être chiant.
- Bon, dans ce cas, nous ferons des rondes en longeant les murs.
- Vous voulez pas plutôt rester dans un coin et n’intervenir que quand c’est nécessaire ?
- Vous êtes stratège en plus de directeur de casino ?
- Non… mais je jouais beaucoup aux jeu de figurines dans ma jeunesse.
- Super, vous aurez tout le temps de vous y remettre quand vous aurez fermé.
- Très bien très bien… mais si jamais les invités râlent trop de votre présence invasive…
- S’ils ne font que râler alors nous aurons accompli notre objectif.
- Tsss.
- Bref, je vais commencer par aller me changer . Alvar je te laisse voir avec lui pour voir avec qui on va travailler et organiser des rondes. Il nous faudra au moins quelques personnes en civil aussi pour se mêler aux invités et nous remonter tout début de problème… histoire qu’on puisse être les plus efficaces possible…
Puis, j’attends que le directeur m’indique un endroit où me changer avant de disparaître quelques minutes pour réapparaître affublé de mon armure étincelante et de mon épée sertie du symbole de la garde royale.
S'il était hésitant quant à la marche à suivre, le colosse tout d'acier vêtu tâchait néanmoins de se montrer pragmatique et aussi sûr de lui que possible. Ce fut donc avec assurance qu'il choisit de rassurer le propriétaire des lieux en minimisant les choses. D'un ton qui se voulait aussi bienveillant que possible, Alvar laissa d'abord Lunarya s'éclipser avant de rassurer l'hôte de la soirée.
"Ecoutez, nous allons tâcher au maximum de permettre à vos invités de passer un bon moment. Nous allons nous assurer de ne pas nous montrer trop envahissants mais, si vous souhaitez réellement que cette soirée soit qualifiable de parfaite, nous allons devoir agir par prévention et non pas réaction."
Inquiet, le concerné se retourna vers le Traquesang et rétorqua :
"Qu'entendez-vous par là ?"
Alvar réfléchit un court instant, puis précisa son propos :
"Pour reprendre les termes de ma consœur, nous interviendrons à chaque début de problème. Nous inviterons courtoisement les perturbateurs à nous suivre pour les mettre à l'écart, ainsi nous pourrons les apaiser ou, dans le pire des cas, leur indiquer respectueusement la sortie."
Cette version ne plaisait pas davantage à Isenan Roccen que celle de Lunarya et ce fut compulsivement qu'il porta une main à sa bouche, quittant des yeux son vis-à-vis pour se plonger dans ses réflexions. De toute évidence, il n'avait pas envisagé que la sécurité soit assurée de la sorte.
"Non, ces gens sont trop importants pour être écartés de la sorte. Les éjecter de la soirée risquerait d'avoir des conséquences dramatiques pour la réputation de mon établissement..."
Alvar soupira puis, après avoir joint ses deux mains, conclut ses explications avec le plus de diplomatie possible :
"D'où la prévention. Pour éviter d'en arriver à ces extrémités, nous sommes forcés d'agir avant de constater l'hostilité de l'invité et non après. Plus nous agissons rapidement, plus nous sommes efficace. Vous comprenez pourquoi ma collègue tient tant à se montrer si ferme ?"
Alvar savait pertinemment ce que risquait Roccen. Cet endroit constituait son gagne-pain et si les violences pouvaient lui nuire, les critiques de son dispositif de sécurité avaient ce même potentiel ravageur. Malgré ses doutes, le pauvre homme hocha donc fébrilement la tête avant de s'éloigner :
"Vous avez carte blanche. Ne me décevez pas, s'il-vous plait."
Alvar confirma par une révérence puis fit volte-face. Il retrouva bien vite Lunarya qui était désormais équipée d'une armure reluisante qui aurait sans doute fait pâlir l'hybride de jalousie, quelques années plus tôt. Après s'être empressé de la rejoindre, il lui adressa quelques mots au sujet de sa précédente conversation :
"J'ai essayé de calmer Roccen, mais sans succès. Il est persuadé que nous allons ruiner la soirée. A nous de lui prouver le contraire."
Il jaugea un instant Lunarya du regard puis, après une longue pause pleine d'hésitation, lui glissa une dernière mise en garde qu'il savait déjà qu'il allait regretter, en vue du tempérament explosif de son amie :
"Lunarya ? Concernant Roccen, justement... Pourrais-tu essayer de te montrer pluuus... aimable avec lui ? Je sais bien que tu es tendue, tant par cette mission que par l'idée d'une collaboration avec moi mais nous sommes là pour lui, pas contre lui."
Probablement pas assez diplomate, pour le coup.
Cela dit, je dévisage longuement le casque de mon coéquipier au travers du miens sous sa dernière réflexion... Est-ce que mon stress de la situation est vraiment entrain de prendre le dessus ?
- Je te l'ai dit quand nous nous sommes revu à la capitale, collaborer avec toi ne me dérange en rien. Mais gérer des nobles n'est clairement pas quelque chose que j'apprécie. Et dans ce cas ci, nous avons clairement une lourde responsabilité sur les épaules : l'avenir de cet établissement et de tous les gens qui y travaillent dépend de notre réussite à gérer ces aristocrates assoiffés et surexcités. Roccen ne s'en rend peut être pas compte parce qu'il fait lui même parti de ce milieu mais je fais aussi ça pour son propre bien.
Cela dit, je veux bien faire l'effort d'enlever mon casque pour paraitre moins impressionnante. Et tu devrais en faire autant.
Le devrait-il vraiment au vu de la crainte qu'il a souvent inspiré de part son allure atypique ? Peut être pas en fait, quoi que j'en sais rien et je le laisse pendre ses propres décisions là dessus tandis que je remets mon casque dans mon sac sans fond et que je prie intérieurement pour ne croiser aucun noble lors de cette soirée qui me connaitrait en temps que fille des Lys...
- Bref, allons voir l'équipe de sécurité avec qui on va devoir composer.
On traverse alors une nouvelle fois la grande salle pour arriver dans un dédale de couloirs et d'escalier jusqu'à enfin atteindre la salle de sécurité que nous a indiqué Roccen plus tôt. Là, une équipe d'une quinzaine de personnes habillés toutes de tenus officielles à la fois sobre et mettant en valeurs leurs muscles se tournent vers nous. Et parmi eux, je remarque vite l'absence de femme...
- Bonsoir à tous, je suis la garde royale Lys et voici le garde De Brumerive. Nous avons été appelé ici pour superviser la sécurité de la soirée. J'espère que vous êtes tous conscient de l'importance que celle ci se passe sans aucun débordement et que vous êtes tous prêt à travailler de concert à nos côtés.
Et surtout sous nos ordres. Mais pour des types qui doivent avoir l'habitude d'avoir leur propre chef, je suppose qu'il ne vaut mieux pas trop les brusquer...
- Et vous comptez rester en armure toute la soirée ?
- C'est une manœuvre simple d'intimidation pour prévenir les invités de notre présence dans ces lieux, donc oui. Cela dit, nous aurions besoin que certains d'entres vous se glissent parmi les civils. Un ou deux par salles, histoire que nous puissions prévenir le moindre débordement avant qu'il ne commence.
- Pardon, je crois que je ne me suis pas encore présenter... Je suis Arol Freemen, chef de la sécurité du Scorpouille Hurleur...
- Enchanté. Et de part votre grade, vous devez être plutôt connu des habitués, donc vous ne pourrez pas faire parti des faux civils.
Je vois alors les traits de son visage se tirer d'une manière qui n'augure rien de bon. Sa fierté est bafouée ? Il sent l'autorité qui lui échappe et n'avait pas prévu cela ? Cela me fait une belle jambe... Quoi que, je suppose que les mots que m'a dit Alvar plus tôt sont aussi valable ici ?
Je souffle longuement.
- Écoutez, on est clairement pas venu pour vous tirer dans les pattes. Mais force est de constaté que si on nous a appelé en renfort ce soir, c'est que plusieurs de vos soirées événementielles ne se sont pas déroulée comme elles auraient dues. Aujourd'hui, vous avez un ultimatum sur la tête, et au moindre pas de travers durant votre soirée, vous risquez tous de finir sur la paille. Alors si vous avez des choses à dire ou à suggérer pour nous aider, dites le. Mais dans le cas contraire, s'il vous plait, tâchons de travailler pour le mieux tous ensembles. Pour l'avenir de votre casino.
"Je pense que je suis moins effrayant avec, Lunarya."
C'était toujours désagréable de ramener cet état de fait larmoyant sur le tapis, mais c'était par souci de quiétude qu'il prenait cette disposition. La jeune garde royale n'avait pour sa part pas à vivre le problème d'un physique monstrueux, cependant sa notoriété au sein de la noblesse en faisait également une cible dans un cadre tel que celui-ci. S'ils étaient tous deux parfaitement à même de mener cette opération à bien, il était cependant évident que leurs ennuis respectifs constituaient un frein certain dans l'équilibre de leur duo.
Lunarya semblait contrariée, mais visiblement décidée à reprendre les rennes de l'opération pour s'assurer de sa réussite. Elle se dirigea vers le responsable de la sécurité qu'elle aborda cette fois-ci avec un peu plus de finesse, mais le personnage grincheux auquel ils avaient affaire ne semblait quant à lui pas très disposé à favoriser la collaboration entre leurs services. Alvar commençait à grincer des dents, composer avec tant d'individus réfractaires dans une situation déjà bien complexe à l'origine n'allait pas s'avérer chose aisée. Sans couper Lunarya, l'hybride se contenta donc de saluer modestement leur vis-à-vis.
"Bonsoir, Mr. Freemen."
Alvar balaya ensuite du regard l'ensemble de l'assistance et constata sans peine que ses soupçons étaient parfaitement fondés : ils n'étaient pas les bienvenus et dérangeaient cette équipe qui, sans aucun doute, se sentaient heurtés dans leur fierté. Si l'officier comprenait parfaitement leurs états d'âme, il se savait également incapable de composer avec. En toute vraisemblance, traiter avec eux allait nécessiter une attention particulière.
Lunarya reprit la parole et Alvar tendit l'oreille, surpris. Contre ses attentes, elle encourageait la coopération avec les représentants de la sécurité. Un sourire se dessina aussitôt sous le masque d'acier et la tension ambiante qui régnait dans l'assemblée parut s'apaiser petit à petit. Allaient-ils enfin pouvoir travailler convenablement ? Freemen dévisagea encore Lunarya quelques instants après son discours puis, apparemment résolu, il prit la parole calmement :
"Très bien, je vous fais le topo. Généralement, nous restons en retrait et nous n'agissons qu'en cas d'extrême nécessité. Le plus clair du temps, nous sommes là pour évacuer les clients trop alcoolisés ou pour donner des indications aux curieux. Ce sont nos seules directives."
Alvar échangea un regard en coin avec sa consœur puis, après une grande inspiration, décida de prendre la parole à son tour :
"Excellent, notre mode opératoire possède des bases similaires. Nous n'allons pas vous apprendre votre travail, cependant nous allons tous devoir nous montrer plus proactifs qu'à l'accoutumée. Cette soirée est décisive pour votre employeur alors exceptionnellement, nous allons agir avant la naissance des problèmes."
Une autre voix s'éleva dans le groupe :
"Du coup, vous avez pas peur que les invités fassent la gueule ? 'Faut qu'ils puissent s'amuser quand même."
Alvar hocha la tête, reconnaissant évidemment la part de vérité dans les propos de l'agent. Suite à quoi, il enchaîna :
"Tout à fait, l'équilibre est mince et nous allons devoir faire preuve d'une excellente capacité de jugement lors des interventions. Tâchons de constituer des groupes et concertons-nous avant chaque action menée. La part la plus difficile du travail est de définir ce qui nécessite réellement un acte de notre part."
Il s'humecta les lèvres puis compléta son discours non sans une certaine hésitation :
"C'est là que nous agissons. Nous ne voulons certes pas empiéter sur votre travail, néanmoins c'est à nous que revient la charge de ces décisions là. Vous devez nous remonter chaque situation que vous estimez risquée. Tout ce qui peut s'envenimer mérite notre attention, alors je compte sur votre expertise."
S'il était difficile de ne pas vexer les troupes en s'accaparant leur travail, Alvar estimait avoir fait une performance convenable en la matière. Aucun sourire n'apparut dans l'assemblée, néanmoins certains haussèrent les épaules en signe d'abdication. Cela ne les enchantait guère, mais ils collaboreraient. La soirée allait bientôt démarrer, aussi il était temps de prendre leurs marques. Une fois la majeure partie des détails administratifs écartés, Alvar se tourna vers Lunarya pour se concerter sur la seconde tâche pour laquelle ils étaient mandatés :
"Pour ce qui est de la gestion sur le plan médical, j'ose espérer que nous allons pouvoir éviter de transporter des ivrognes jusqu'à l'arrière-salle, mais je ne suis pas confiant. Toute l'équipe semble très tendue, ce soir..."
L'établissement a une réputation qu'il veut maintenir, une réputation prônant le luxe et l'abondance démesurée. Et c'est exactement à cause de cette réputation que nous sommes là aujourd'hui, à devoir empêcher le casino de couler à cause des beuveries et tous les problèmes que ça génère. Mais ce que les employés ne comprennent pas, c'est que c'est véritablement un problème et non une coutume à préserver.
- Enfin... Au moins, nous, peu importe ce qui se passera ce soir, on aura toujours du travail demain. Alors que ce ne sera peut être pas leur cas...
Mais malgré ça, je n'aime pas échoué mes missions. J'ai une certaine réputation à tenir et être affectée ici, loin de la capitale, aurait du être une chance, pas une punition. Mais là, franchement, vu comment se présente les choses, j'ai des doutes.
- Peut être que si on faisait un duel en plein pendant la soirée pour distraire toute cette noblesse et leur montrer qu'au moindre faux pas de leur part il risque de se retrouver face à nous nous refait grapiller un peu plus de chance de réussite ?
Où alors ça provoquerait les paris des nobles, qui gueuleraient dans tous les sens, finiraient par se battre sous les abus d'alcools...
- Non, oublie. Après réflexion, c'est une mauvaise idée. Bref, allons nous mettre en place. Comme il y a deux salles, je propose qu'on surveille chacun la notre tout en restant à proximité du passage entre les deux, pour pouvoir intervenir plus facilement en cas de dérapage.
Quant au reste, il va falloir compter sur les membres officiels de la sécurité du Scorpouille Hurleur... Non mais franchement, je suis même pas certaines que les mecs soient capables d'identifié un début d'échauffement pouvant mener à une altercation...
On est clairement dans la merde avec cette mission.