Dans cette robe, tu avais cet air de gentille petite fille bien éduquée, de fait lorsque tu expliquas la raison de ta venue dans l’établissement, tu manquas d’étouffer un rire en voyant leurs expressions choquées. Tu imitas à la perfection la candeur de ta jolie sœur, offrant à l’hôte de service un sourire des plus innocents.
« J’aimerais que vous appeliez cette personne pour moi. »
Tu indiquas d’un doigt la silhouette de cet homme qui se dissimulait dans l’ombre des projecteurs, et simplement imaginer sa réaction lorsqu’il te verrait te donnait presque un frisson d’impatience. Ton obsession s’était d’autant plus développée avec le temps comme si tu ne pouvais plus t’en soustraire, te distrayant parfois même de tes devoirs.
Tu voulais le saisir par la gorge, et t’approprier chaque expression qui se dessinerait sur son visage. Au début, tu n’avais voulu que l’aider, mais le voir se fermer à chacune de tes provocations avait développé quelque chose de bien plus profond que tu ne pouvais expliquer. Peut-être n’était qu’un simple caprice.
« Il est évident que j’y mettrai le prix adéquat à notre petite entrevue, fis-tu d’une voix presque douce. Et si je dois doubler le prix pour le posséder, sachez que j’ai emmené ce qu’il fallait. »
Comme un tapis rouge que l’on déroulait sous tes pieds, tu suivis la destination qui t’avait été indiquée, là où cet homme avait disparu. Chaque pas entraînait en toi un battement de cœur inconnu, une appréhension qui se développait en excitation. Votre jeu allait reprendre exactement là où il s’était arrêté la dernière fois, t’offrant une bataille d’une prose exigeante.
Tu t’arrêtas quelques instants devant la chambre, réajustant ta robe d’un geste de la main, t’apprêtant comme si tu venais à la rencontre de ton premier rendez-vous. Tout n’en serait que plus parfait. Lorsque tu estimas que tu étais bel et bien parfait – le corps de ta sœur était éternellement parfait – tu poussas la porte d’un léger mouvement de la main, pénétrant dans un lieu aux allures impersonnelles.
Lorsque la porte se referma silencieusement dans ton dos, ton visage s’était déformé d’un sourire indéfinissable. Tes doigts se croisèrent sur ta poitrine et tu ne pus t’empêcher de pousser un soupir de plaisir.
« Comme je suis heureuse de te revoir, annonças-tu d’une voix passionnelle. Comme tu ne venais plus, il a fallu que je trouve le moyen de te retrouver. »
Plus tu y pensais, plus tu avais l’impression d’être aussi dérangé que ton vieux père. Mais tu ne pouvais t’empêcher alors que tu te soustrayais de ta vie ennuyante en t’amusant à ce jeu du chat et de la souris. Tu t’imposais d’autant plus alors que tu savais parfaitement qu’il tenterait de te fuir à nouveau.
Tu réduisis la distance entre vous, vos corps s’effleurant, mais avant qu’il n’amorce le moindre mouvement, tu saisis sa main, l’écrasant contre son torse. Tu secouas brièvement tes mèches de jais, le repoussant en arrière afin qu’il tombe sur le lit, et maintenant, tu étais en mesure de le surplomber. Ton visage se rapprocha du sien, alors que ton regard croisa le sien, un large sourire étirant tes lèvres.
« Je ne suis pas là pour ça. »
Sans doute de dégoût.
Mais l’avarice entraine l’avarice.
Malgré les belles améliorations, je ne me résolvais pas à faire moins. A refuser ce qui me révulsait. C’en était ainsi et puis… si je relâchais, j’avais une peur bleue de dégringoler et m’abimer dans la pauvreté d’où je venais. Je ne voulais pas. Je ne voulais plus. Alors je continuais, apportant ma clientèle et harponnant d’autres oiseaux rares à ma liste de trophées. Bien évidemment, j’avais pris un malin plaisir à épurer mes fidèles… quitte à encore gagner de l’argent contre quelques rumeurs croustillantes. Car oui, je n’étais qu’un gigolo… mais pas un idiot. Ces mots, ces violences, ces histoires de coucherie… j’étais au fait d’énormément de choses et je n’avais aucun scrupule à vendre des informations qui ne me mettaient pas en difficulté.
J'embrassais Kahlua avant de partir pour ma nuit de travail. C'était un rituel convenu depuis des années.. et cela me rappelait le pourquoi je faisais tout cela. Pour elle. Simplement pour elle. Arrivé à l'Insomnie, je me changeais et pris mes fonctions. Je ne dansais pas, je ne chantais pas cependant je servais ou bien j'allais à l'étage. Parfois l'un se transformait en l'autre... ou inversement. Le début de soirée se passait bien et je réussissais à étayer mes cessions. Alors que j'allais "attaquer" un groupe de jeune demoiselle pour un enterrement de jeune fille, on vint me chercher pour une rencontre non prévue.
Or, je ne m'en formalisais pas plus que ça. Même ça m'amusait : je n'avais pas imaginé ce petit bout de femme ainsi. Avais-je tapé dans son œil ? Se sentait-elle seule ? Ou bien, une habituée de l'Insomnie sans que je ne le sache ? Je n'aurais pas parié... Mais c'en était ainsi. D'un côté, cela ne me dérangeait pas... dans le sens où c'était une belle demoiselle. Cela pouvait rendre le moment moins désagréable. Et puis... si mon docteur venait pour une cession telle, c'est qu'elle avait sans doute jugé ma santé parfaite. Sinon, elle ne viendrait pas dans ce traquenard.
Loin de la vérité.
Si loin.
Quand elle passa le pas de la porte, j'étais là, prêt à commencer la cession comme beaucoup d'autres.
Suite à ces gestes, me voilà allongé sur le lit, elle assise à côté de moi, son visage proche du mien. Heuuuu, ce n'était pas mon rôle là ? Une dominatrice au visage d'ange ? Ce n'est qu'alors que sa voix cristalline retentit comme... comme le glas de toute ma bonne humeur.
Que faisait-elle ici ? Pourquoi ? Que me voulait-elle ? Si elle avait quelque chose à m'annoncer au final ? Elle put lire mon incompréhension pendant quelques microsecondes avant que mon regard se durcisse et que ma moue devienne bien plus neutre. Immédiatement, je me renfermais, quittant mon rôle de gigolo pour prendre celui du menteur... On est d'accord, c'est un jeu d'acteur assez similaire. Cependant... cependant !
" Alors... pourquoi êtes-vous là ?" Fis-je d'une voix plus chaude, mon regard bleuté fondu dans le sien.
Il arrivait que des femmes prenaient des cessions juste pour discuter ou avoir un contact social avec quelqu'un de privilégié. Un moment intime de candeur et de tendresse sans forcément tomber dans la débauche. Peut-être désirait-elle un moment ainsi. Déjà que la dernière fois elle fut bien nébuleuse, je ne pouvais discerner ses désirs immédiats.
« Je te l’avais pourtant dit, j’avais espoir que nous puissions nous revoir rapidement. »
Quel serait son visage lorsqu’il serait brisé ? Quel était-il lorsqu’il était heureux ? Tu voulais découvrir chaque facette, captivé par le moindre changement. Enfin, tu te relevas pour venir lui faire face, tes mains croisées dans ton dos. Tu n’étais certainement pas venu pour tenter des expériences qui ne te correspondaient pas. Bien des choses t’étaient étrangères dans ce domaine, surtout depuis que vos corps s’étaient échangés, t’étant égaré sans savoir qui tu étais réellement. Ton désir était bien plus profond, viscéral. Ton regard se plissa légèrement, alors que tu croisas tes doigts sur ta poitrine en poussant un profond soupir lascif.
« Je m’assure que tu écoutes bien les conseils de ton médecin. »
Tu te retournas afin de faire quelques pas, longeant les quelques mètres de la chambre pour t’éloigner. Ta voix s’était faite presque chantante, et tu avais l’impression de te perdre réellement dans cette folie invasive qui ne te ressemblait en rien. Enfin, tu revins en arrière pour t’arrêter à quelques centimètres de cet homme. Tu attrapas ses joues dans la coupe de ta main, et soudainement, ton regard se fit bien plus froid, les sourcils légèrement froncés.
« Que tu ne t’enfuis plus, sifflas-tu. Nous avons tant à nous dire, n'est-ce pas ? »
Tes traits se détendirent légèrement et tu le relâchas, frôlant son visage d’un semblant de caresse. Il se trompait très certainement sur la raison de ta venue, et tu t’en fichais bien. Ton objectif était atteint, et le prix avait été mis pour qu’il ne puisse tout simplement pas t’échapper à nouveau, cette fois-ci, tu étais sur son territoire, bien décidé à t’y imposer.
Tu lorgnas quelques instants sur les draps du lit, t’en détournant bien vite. Intéressé uniquement par les billes bleutées qui reflétaient l’incompréhension. Et à raison, tu te devais bien de l’admettre, tu avais toujours été quelqu’un de particulièrement logique, n’agissant que par raison. Cet étrange sentiment, qui t’habitait, t’aurait certainement fait grincer des dents quelques jours plus tôt. Désormais, tu te fichais bien de tes principes, poussé par des pulsions incontrôlables.
« Ne fais pas cette tête, ça ne rendrait notre entrevue que plus désagréable. »
Il pouvait endurer, mais toi, tu prenais un malin plaisir à torturer ses méninges. D’un côté il t’était apparu comme éteint derrière des cernes qui révélaient déjà une vie peu confortable, et d’un autre, il avait brisé cette coquille pour te témoigner l’irrespect que tu méritais. Alors tu le pousserais à bout à nouveau juste par désir qu’il vienne s’ouvrir à toi sous différents visages jusqu’à ce que tu puisses déceler le vrai. Et tu pouvais bien prendre ton temps, il n’aurait pas tant de fuites possibles, sachant pertinemment que tu le rattraperais autant de fois qu’il le faudrait.
Tu te rassis sur le lit, avant de se laisser tomber entre les draps, les froissant sans doute.
« J’adore les histoires, continuas-tu sans le regarder, fixant pensivement le plafond. M’en raconteras-tu une ? »
Tu te tournas pour lui faire face, ton sourire s’agrandissant sur tes lèvres, la joue posée dans la paume de ta main. Si le masque était bien en place, cela ne te donnait que plus envie de l’effriter grain par grain jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien.
« Après tout, nous avons du temps devant nous. »
Que me voulait-elle ?!
Mon incompréhension se lut sur mon visage, d'où sa réflexion. Mes traits se durcirent d'autant plus... Il n'était plus temps de jouer... A travers toutes les fibres de mon corps, je sentais une tension naitre en moi, me mettant en garde. Je croisais mes longues jambes sur le lit, et pris appui en arrière sur mes mains. Je la gardais dans mon champ de vision... au cas où. C'était difficile d'éteindre mon inquiétude : ce visage était tendre et en même temps, ses actions ne collaient pas à l'image qu'on se faisait d'elle, la rendant indéchiffrable. Me mettant mal à l'aise.
Je pourrais mettre de la distance entre nous. Je pourrais claquer cette porte sur sa présence. Je pourrais fuir sans me poser de question. Cependant, c'était mon premier mois et je ne voulais pas immédiatement faire des vagues. Elle n'avait encore rien commis d'irréparable. Et elle n'était pas la première à me faire du charme de manière incongrue. Chacun sa vision de la chose et... qui suis-je pour juger ?
Mais.
Particulièrement chez cette doctoresse, quelque chose me gênait sans que je ne sache le pointer avec précision. Préférant m'exécuter plutôt que résister, je pris une grande inspiration et commençais :
" Connaissez-vous l'histoire de la Princesse Kahlua et le chevalier ?
La Princesse était une fille unique d'un couple royal aimant et tendre. Il était pour coutume de n'avoir qu'un enfant dans les dynasties et ils firent tout en leur pouvoir pour l'éduquer et la rendre heureuse. Cependant, à force de lui apprendre à être une bonne reine, ils en avaient oublié l'essentiel : elle n'était qu'une enfant et désirait ne plus être seule.
Lors d'une balade, elle rencontra un garçon à peine plus âgée qu'elle qui n'était qu'un enfant des fermes. Il s'entrainait à se battre, à devenir fort et devenir un jour, un chevalier droit et fiable. Son destin était devenir fermier, relever son père dans cette entreprise familiale. Or il n'en était pas question, quitte à décevoir ses parents et leur faire du mal. Il n'était pas très grand ni très habile... Cependant, son sourire mit un peu de baume au cœur à la princesse esseulée. En douce, à cause du garçonnet débrouillard, ils purent se rejoindre et apprendre à se connaître. Ils ne venaient pas du même monde, n'avaient pas les mêmes espérances et pourtant, quelque chose entre eux grandissait de manière synchronisée. Il ne fallut pas plus qu'une après-midi pour que les deux enfants se lient d'amitié.
En grandissant, l'un tractait l'autre dans un monde rude, fait de combats et de prouesse, de débrouillardise et de survie. L'autre attendrissait l'un, à coup d'explications, de subtilité linguistique, de recherche personnelle, de réussite et d'un cocon chaud fait de confiance et d'amour. Elle devenait forte. Il devenait doux. Chacun enviait l'autre sans réellement oser le dire. Chacun aimait l'autre sans le révéler.
Alors que le temps passait, la Princesse devint reine et le garçon, Chevalier. Ils ne pouvaient s'aimer car ne venaient du même monde et en même temps, ils ne pouvaient se délier de ces années de tendresse et d'améliorations communes."
Je m'arrêtais dans le récit, un petit sourire flottant aux coins des lèvres. Je fermais les yeux... puis la brisure se sentit même au niveau de ma voix :
"Cependant ce qu'il devait arriver arriva. Le destin reprend ce qu'il sème et rattrape les rêveurs. On a beau lutter contre lui, il rattrape et impose les faits. La reine se trouva un mari à son image : tendre et complice. Le Chevalier lui, se perdit dans ses combats et se retrouva à jamais seul, meurtri par ce combat qu'il ne pouvait pas gagner."
Petit silence. Je revenais à la réalité et plongeai mon regard dans celui de la doctoresse :
" Sinon, je peux encore raconter celle des trois petits cochons." Fis-je espiègle.