Le vent sifflait, hostile, coupant la chaleur et la vie avec un acharnement qui n'avait plus rien de poétique ni d'enchanteur. Filant en rafales infatigables, il ne laissait ni repos ni espace pour souffler, déferlant du nord en lames qui cisaillaient la moindre parcelle de peau non protégée, s'infiltrait dans les poumons et fouettait les yeux de ses petits cristaux de glace mesquins. Partout, ce hurlement lancinant qui bouchait les sens, obstruait la vue et consumait l'espérance avec l'inéluctable d'une complainte de mort. La puissance de la tempête rasait tout ce qu'il y avait à saisir, fauchait les rares branches non protégées, emportait la cime des sapins dans de violentes bourrasques et rageait de toute sa puissance sur le flanc des montagnes, sculptées par des milliers d'années de furie. Le monde était devenu un enfer de blancs et de froid, de solitude et de brûlures liées au gel, réduisant l'existence toute entière à cette seule couleur aveuglante. Emmitouflé dans une cape de laine d'un blanc écru qui ne cessait de claquer sur le côté, Frey tentait tant bien que mal de la garder autour de lui, veillant à ne pas en relâcher les bords pour conserver le plus possible sa chaleur. Transi jusqu'aux os, fatigué par l'usure continue que lui infligeaient les éléments, il était mentalement replié sur lui-même, forgé en une lame qui n'avait aucun autre but ni sens en cet instant que de réussir à effectuer son prochain pas.
L'un après l'autre, dans un effort surhumain.
La situation était mauvaise et il le savait. Impossible de se transformer, plaqué là au sol par une force colossale. Il ne pouvait que progresser maladroitement, coincé entre la terre dure comme la roche et ce ciel tumultueux qui tentait cruellement de le mettre à terre. Il ne réfléchissait plus, agissant comme par un automatisme que son instinct assurait. Il y avait, dans son esprit, un point unique qui focalisait toute l'attention de sa conscience. Le souvenir de ce petit refuge de montagne, chalet minuscule mais salvateur qui était parmi les points de chute et autres relais de chasse dont il était vital de connaître l'emplacement. Il était sur la bonne route, il le savait, et bien qu'il n'y ait presque plus rien autour de lui pour se repérer, il continuait de grimper la pente où se situait à peu près le chemin, recouvert de neige sur tout un côté de son corps. Sur sa gauche, un rocher jaillissait du manteau immaculé et flou qui se confondait avec le ciel, les nuages et la tempête. Sa forme particulière était un repère qui, il le savait, annonçait la dernière ligne droite.
Il était sur le point de poursuivre quand son pas marqua une hésitation. Figé, ses yeux notèrent un quelque chose d'inhabituel. Après quelques secondes d'un froid interminable, il finit par franchir péniblement les quelques mètres qui l'en séparaient. Là, adossé contre la pierre froide, dans une position marquant presque une tentative désespérée de protection contre le vent, la silhouette déjà à demi enneigée d'un corps était affalée sur le flanc.
Il y eut cet instant où, depuis les couches de protection ne laissant que ses yeux à l'air libre, son regard toisa sans émotions l'infortuné, comme distant, dans ce qui semblait être une seconde hors de la réalité face à ce qui aurait pu être la carcasse de n'importe quelle bête sauvage. S'il était rare de croiser un cadavre congelé, ça n'était pourtant pas sa première fois. Puis il remarqua un détail subtil qui le fit froncer les sourcils, pencher la tête de côté. Se pourrait-il que... ? S'avançant jusqu'au poids mort, il tira sur le bras qu'il extirpa de la fine couche de neige déjà formée dessus. Il comprit, alors, que la chair n'avait pas eu le temps de congeler.
Se penchant en avant, il grommela sous l'effort à fournir, soulevant la masse informe et se remettant à marcher.
Au pire, il trouverait peut être de quoi lui servir dans les affaires qu'il pourra récupérer.
Le crépitement du feu couvrait tant bien que mal le rugissement de la tempête. Il berçait, d'un son hypnotique, les oreilles et la conscience, laissant dériver les pensées et l'imagination vers la forme gigantesque d'une créature évoluant dans les nuages et dans la glace, rugissant la tempête. Remuant lentement le bouillon de légumes, de gras, de racines et d'épices qui mijotait dans une petite marmite, Frey s'était défait de ses habits, mis à sécher non loin après avoir démarré et surchargé un feu ronflant. C'était la vie montagnarde dans tout ce qu'elle avait de plus rude, mais aussi de bienveillant. Ces refuges poussiéreux avaient toujours de quoi faire, que ce soit en bois ou en ustensiles de première nécessité, et chacun les entretenait à sa manière pour le prochain qui en aurait besoin.
Devant la cheminée, laissant tout juste un espace pour pouvoir venir s'occuper du ragoût sans être gêné, une couche avait été placée là sur laquelle reposait l'étranger. Le rôdeur lui avait retiré la plupart de ses affaires et habits, après s'être rendu compte qu'il était encore - faiblement - en vie, pour vérifier d'éventuelles engelures et le mettre au sec. Il ne savait pas réellement s'il allait s'en sortir - si ça se trouve, il était déjà mort et l'arrêt de ses fonctions vitales n'était plus qu'une formalité - mais il l'avait néanmoins frictionné vigoureusement un bon quart d'heure pour tenter de remettre un peu de chaleur dans ses membres et faire circuler son sang. Recouvert par les quelques couvertures et le peu de vêtements secs disponibles, il avait tenté de lui faire un cocon de chaleur protecteur.
S'interrompant un instant dans son affaire, ses yeux observèrent la tignasse argentée de l'homme. Une interrogation silencieuse flottait là, à la lisière de la formulation des mots, sous-jacente mais jamais prononcée. Des cheveux blancs. En cet instant précis, l'humain semblait ne plus tout à fait exister, en Frey, et la bête qu'il était contemplait les choses avec le silence propre au sauvage. Pieds nus, il se réchauffait, lui aussi, son esprit prit dans ces heures interminables de solitude et de silence tel une sentinelle de la montagne.
Pour le reste, il n'était pas vraiment paniqué, ni triste, ni joyeux. C'était la vie, ça arrivait, et un jour ça serait peut-être son tour. Il avait conscience de ne pas être éternel et viendra le moment où lui aussi disparaîtra. Comme ce royaume. Comme ces montagnes.
Rien n'était éternel.
Jamais.
Ses traces se faisaient de plus en plus hésitantes, même les lunettes de glaciers ne permettaient plus de voir au travers de cette tempête blanche qui voulait sa mort.
Une fois, il avait dit à un enchanteur de passage que de tels temps étaient l'apanage de créatures légendaires, maitrisant la neige et le vent comme un dragon maitrisait le feu. Et si le chasseur avait à l'époque d'avantage dit cela pour aiguiller la curiosité de son compagnon, aujourd'hui la chose lui semblait bien plus réelle.
Et il continua ainsi longtemps, s'enfonçant toujours plus profondément dans la montagne, cherchant en son sein une amie depuis longtemps disparue, dont les traces avaient été balayées par le temps. Toujours plus en avant jusqu'à...
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Liory se réveilla en sursaut ses yeux s'ouvrant en grand pour découvrir la charpente d'un chalet de montagne : des poutres en pin solidement accrochées les unes aux autres par de gros clous enfoncés sans cérémonies dans le bois, supportant un toit de tuiles encore plus solidement fixées par du ciment, laissant le vent hurlant siffler librement entre elles.
L'image fut vite accompagnée d'une douleur fulgurante dans tout le corps, l'étreinte glacée de son amante de la veille lui rappelant à son bon souvenir.
Ecartant doucement la pile de couverture qui s'entassait sur lui, le noble se releva lentement, grimaçant à mesure que ses membres lui rappelaient leur existences glacés
L'endroit n'était pas grand, a peine plus qu'une masure plus commune, mais aussi plus solidement bâtie, ses ouvertures plus petites laissant filtrer une lumière déclinante qui était souvent coupée par des amas de neige tourbillonnant.
Ses affaires étaient encore à côté de lui, pliée, partiellement trempée par la neige fondue, mais encore là, tout comme son grand arc, posé soigneusement à côté de lui.
Liory laissa ses yeux parcourir la petite pièce, découvrant par la même occasion son sauveur, tourné dos à lui, contemplatif devant une marmite posé sur le feu, remuant parfois son contenu avec la patience d'un habitué de la montagne, ses gestes ne trahissant aucune crainte de la tempête.
Délicatement, le noble entreprit d'enfiler le peu de vêtement encore secs, sa voix s'élevant avec difficulté, et peinant encore plus à couvrir le bruit des vents hurlants.
-Merci
Parvint-il à dire avant que le froid qui avait saisit ses membres ne vienne lui rappeler douloureusement que sa gorge avait aussi été affectée, le forçant à venir plus proche de l'étranger, se rapprochant par le même du feu, près duquel se s'assit difficilement, gardant une certaine distance avec son sauveur, plus par respect que par crainte.
-Je ne sais ni comment vous m'avez trouvés, ni comment vous m'avez transporté jusque là, mais vous avez toute ma gratitude
Ses quelques mots furent accompagnés du claquement sec des buches dans le feu, ces dernières craquant à mesure que Liory débitait ses mots, sa voix, même enrouée trahissant ses origines lointaines.
Les pensées de Frey traversaient son esprit comme d'éphémères lueurs qui passaient sans s'arrêter. Il était dans cet état mental d'équanimité qu'il atteignait souvent après une traversée difficile et harassante du froid ou dans ces instants de silences contemplatifs sur lesquels il voguait en forme de dragon. Il aurait pu ne rien exister d'autre dans le monde que ce petit relai étroit de montagne que c'eut été pareil. Nulle inquiétude, nulle affection, simplement l'instant présent dont le calme était bercé par le craquement des flammes dans l'âtre, le vent lancinant du dehors et le frémissement subtil du ragoût. Un moment parfait pour faire le vide dans son esprit, pour méditer et oublier les considérations complexes d'un monde agité. Il y avait une sérénité tranquille en lui, dans ces gestes simples et posés, profitant d'une chaleur bienveillante qui réconfortait ses muscles endoloris.
Il se posait des questions, bien entendu, mais il conservait cette attitude lointaine qui transformait tout en constatation plus qu'en inquiétude. Il n'avait pas manqué de remarquer la qualité de l'équipement du voyageur qu'il avait trouvé, notamment son arc, certainement pas ordinaire et tout à fait singulier, ainsi que cette tenue de cuir adaptée au camouflage et à la traversée de zones sauvages. Il avait compris qu'il s'agissait là d'un chasseur ou d'un forestier comme lui. Peut-être même un membre du Blizzard. Il n'avait pas trouvé d'insigne ou de marque distinctive désignant une appartenance militaire quelconque, mais il n'avait pas cherché plus que ça, laissant les affaires de leur propriétaire tranquille. Les réponses viendraient en temps et en heure, si elles venaient un jour et Frey n'avait pas de mal, en cet instant, à accepter ce qu'il ne pouvait expliquer.
Il fut tiré de ses pensées par le bruit caractéristique d'une couverture qui glisse, percevant dans la densité du bois le mouvement lourd d'une masse dont la répartition change. Il jeta vaguement un regard de côté, apercevant quelque chose du coin de l’œil. En silence il mélangea encore un peu le repas avant de faire légèrement pivoter la barre de métal qui tenait la marmite suspendue au-dessus du foyer pour éviter que la préparation ne brûle. L'inconnu vint toutefois s'asseoir prêt de lui avant qu'il n'ait eu le temps de finir de s'essuyer les mains sur son pantalon, exprimant ses remerciement par la même occasion, d'une voix cassée.
Il y eut cet instant un peu étrange où Frey l'observa sans rien dire dans les yeux, à la manière d'un silence sauvage qui contemplerait quelque chose. Ses sourcils se froncèrent alors légèrement. Pas d'une façon hostile mais plus d'une expression contrariée, qui inspecta sans détour l'humain qu'il avait devant lui. Accroupi pieds nus devant la marmite, ils étaient à peu près à la même hauteur.
Il avait parlé à voix basse, sans jugement, juste une simple constatation. Presque comme si rompre le silence déchirait un peu plus cet état tranquille qui s'était installé ici. Attrapant son sac de voyage posé à côté de la cheminée, il y chercha dedans sa gourde qu'il tira pour la tendre à l'inconnu, la posant à mi-chemin entre eux deux pour ne pas le forcer. Sur le dos de sa main et sur ses doigts, on pouvait apercevoir les mêmes tracés argentés d'un tatouage qui se dessinait également sur le dessus des pieds et sous la gorge.
Il savait combien l'esprit pouvait être réticent dans la faiblesse, bien que ce ne soit pas l'impression qu'il ait en ce moment. Un autre instant incertain passa où Frey posa ses yeux sur le corps de l'homme pour tenter de discerner ce qu'il n'avait pas réellement perçu quand il l'avait frictionné. L'humain était d'une constitution physique robuste, mais ça ne faisait pas tout.
Instinctivement, Frey savait les distances de fuite à observer chez les bêtes, ce qu'il respectait subtilement ici aussi. Il doutait que l'inconnu ne connaisse pas les réflexes élémentaires de la survie en montagne, mais il ne pouvait pas juste supposer. Les engelures ne pardonnaient pas et il lui paraissait naturel d'offrir ça, laisser ce choix simple entre ses mains. Il l'avait déjà examiné rapidement, en réalité, mais s'il n'avait pas trouvé de blessures externes graves, il n'y a que l'homme en face de lui qui pouvait lui dire si quelque chose n'allait pas à l'intérieur.
- Spoiler:
- Je me suis basé sur la description de ton arc et ta tenue de chasseur que j'ai trouvées dans ton JDB mais si je me suis trompé hésite pas à me le dire !
-Ne vous en faites pas, je ne peux pas dire que j'ai connu pire, mais je ne me sens pas si mal que cela
Mentit-il en rendant la gourde de l'inconnu, laissant un instant le silence s'installer entre les deux hommes. Le noble ne put s'empêcher d'examiner celui qui l'avait tiré du froid, remarquant sans peine les fines lignes blanches sur ses mains. Une sorte de pouvoir de guérison ? Difficile à dire depuis sa position.
Après un bon moment d'incertitude, le noble finit par soupirer, retirant son haut avant d'accepter l'offre si gentiment faite.
Au début, il avait eu peur d'être tombé sur quelqu'un ne lui voulant pas que du bien. Mais avec la réflexion, le chasseur c'était dit que si mal devait être fait, sans doute aurait-il déjà été mort
-A vrai dire, j'ai une impression étrange dans le dos, comme si j'étais brûlé... J'avoue ne jamais avoir connu ça avant.
Se tournant face à l'inconnu, il baissa la tête, espérant qu'il saurait lui dire ce qui pouvait ne pas aller. Sans doute connaissait il les blessures liées au froid mieux que personne, au vu de sa relative placidité face aux vents violents, ce devait être un montagnard aguerri.
-Je me nomme Liory au fait, Liory Alkh'eir pour être exact
Dit il pour enfin se présenter. Même si son nom était célèbre dans le sud, il était fort à parier que ce dernier ne serait pas plus connu que les autres dans le sommet des montagnes du nord.
Et c'était une bonne chose, car l'argenté avait besoin de tout sauf d'être connu en ce moment. Mieux encore, il désirait un oublie relatif, le temps d'oublier Calcilia, et si possible de retrouver un tant soit peu de santé mentale avant de sombrer définitivement dans ses démons.
-J'avoue être surpris de trouver âme qui vive si haut dans les montagnes. Mis à part des Lamias, je n'y ai jamais rien croisé d'un tant soit peu conscient.
Remarquez, si j'étais tombé sur ces créatures, je serais sans doute déjà mort
Les démons vipère de la région étaient plutôt inconnu du grand publique, même si Liory avait développé une certaine curiosité face à ces derniers.
D'ailleurs il avait toujours une écaille de ces monstres dans ses affaires, l'ayant souvent observé, sans jamais lui trouver rien de particulier si ce n'était sa taille.
-Au risque de me répéter, je vous remercie du plus profond du cœur
Même si à vrai dire... Il avait précisément essayé de mourir durant cette traversée
-Est ce grave ?
De son point de vue, il était totalement impossible de voir quoi que ce soit, mieux valait espérer que rien de grave ne serait découvert cela dit
Frey écouta en silence la réponse de l'inconnu, attentif à ses réactions, le laissant venir sans l'interrompre. Il doutait de l'affirmation sur son état physique, en ce que la montagne était impitoyable et que certaines séquelles pouvaient mettre un petit temps avant de se découvrir. Bouger était une chose, mais il fallait laisser au corps l'opportunité de se remettre du choc qu'il avait dû encaisser. Un léger froissement de sourcils se laissa percevoir, quoi que discret. Malgré tout l'inconnu semblait vif au vu de la situation et parlait avec une certaine aisance, en plus de laisser poindre dans sa manière de prononcer les mots un quelque chose qui trahissait des sonorités indéterminées. Reprenant la gourde, il vérifia qu'elle était bien fermée avant de la reposer sur le sol, à côté de lui. Inutile de la ranger pour le moment.
Après un moment d'incertitude où le rôdeur s'attendit presque à un refus, l'inconnu obtempéra finalement et défit le haut qui masquait son torse. L'expression de Frey se fit alors plus soucieuse quand il lui expliqua la sensation qu'il avait, laissant échapper un Hm mh machinal pour marquer son écoute.
Fermant la distance entre eux deux, Frey incita son patient improvisé à pivoter légèrement dos au feu pour mieux voir, inspectant avec attention ce qui se présentait à ses yeux. Il y avait, sur la peau, des marbrures liées au froid, à une mauvaise circulation du sang - typique d'un corps qui tombe dans l'hypothermie - ou qui a subi des différences de températures importantes et dangereuses. Absorbé dans son examen, Frey ne répondit pas tout de suite à ce que lui racontait Liory. Il avait entendu son nom, certes, mais sans n'avoir aucune connaissance de celui-ci. Il y avait cela dit, dans la manière de s'exprimer du jeune homme, la teinte d'une éducation des mots plus rigoureuse que celle qu'avait reçue Frey, fait que ses pensées laissèrent filer aussi vite. Le forestier laissa toutefois échapper sa concentration quand furent mentionnées les lamias. Relevant les yeux vers la tête de son interlocuteur, cillant un instant des yeux, il s'interrogea. Ce n'était pas le premier aventurier qui lui parlait de ces créatures que Frey n'avait pourtant jamais rencontrées. Fallait-il y voir là un signe ?
Grognant presque face aux remerciements, Frey balaya l'ensemble comme si ça n'avait pas d'importance. C'était faux, bien sûr, mais il ne voulait pas de tout ça.
Posant sa main à plusieurs endroit différents dans le dos, il prenait la mesure de la température du corps de Liory et y pressait suffisamment les doigts pour vérifier si le sang affluait bien dans la chair une fois qu'il les enlevait. Les connaissances de médecine de Frey étaient limitées, mais il savait les signes et les indices pouvant trahir certains symptômes. Il palpa légèrement, ici et là, les muscles pour essayer de déceler des cloques sous cutanées mais ne trouva rien.
Lui intimant la patience face à sa question, il y avait aussi cette part de Frey qui s’extirpait presque d'elle-même maintenant que le silence était rompu et qu'il devait faire l'effort d'une interaction sociale plus élaborée que quelques mots. Non que ça le dérangeait, mais il devait mettre de côté sa part la plus instinctive et se préparer lui-même un peu pour sortir de cet état contemplatif, remettre ses pensées en route. Posant sa main gauche sur l'épaule de Liory, il maintint son dos en place pour qu'il reste stable pendant qu'il le manipulait.
Il délimita une région qui devait englober une omoplate et une partie du flanc en y appuyant son pouce en pointillés. Maintenant que Liory avait soulevé la chose, il arrivait à la voir.
Un instant de réflexion avant qu'une intuition ne l'aiguille sur la bonne voie. Son ton était calme, un peu soucieux mais serein, expliquant tranquillement ce qui était..
Ne bouge pas
Faisant quelques pas en direction de son sac de voyageur - en réalité un sac sans fond - il en sorti une toute petite boîte dans laquelle il y avait une pâte très odorante, aux senteurs fortes de menthe, de poivre et de romarin. C'était juste un baume contre la morsure du froid, dont il en étala un petit peu sur l'endroit du dos de Liory qui était touché. Le produit chauffait agréablement, apaisant doucement la brûlure.
Il n'avait pas exactement précisé que c'était dans les poumons qu'il risquait d'avoir mal, le droit en particulier, et pas juste dans le dos. C'était l'endroit le plus exposé si le froid avait pénétré plus en profondeur et entre ça et respirer un air gelé, il y avait une petite chance qu'il ait perdu un peu de sa capacité pulmonaire. Temporairement ? Difficile à dire si c'était le cas, mais il n'y avait que Liory qui pouvait savoir en cet instant.
Le laissant faire ce qu'il lui avait demandé, la remarque de Liory lui revenait maintenant en tête et le faisait un peu tiquer.
Il n'avait pas cessé de tutoyer Liory et n'avait pas eu la présence d'esprit de lui donner son nom à lui, absorbé par ce qu'il faisait à ce moment-là. Ça faisait partie du côté un peu sauvage de Frey, cette façon instinctive qu'il dégageait et qui semblait presque issue de la montagne elle-même. Pour l'heure, la priorité était la santé de Liory, le reste était secondaire dans son esprit.