Lapis continuait d'avancer vers l'impressionnante étendue d'eau qui occupait à présent la plus grosse partie du paysage. S'approchant du rebord à une distance néanmoins respectable, la gemme s'assit en tailleur dans l'herbe fraîche et plongea une main dans son sac pour piocher un livre. Ses doigts fins caressaient les différentes couvertures ; effleurant tantôt un cuir soigneusement relié, tantôt en toile fine, jusqu'à trouver l'ouvrage recherché : La Chirurgie, ou l'Art de réparer le corps Humain. Si cela ne la concernait plus vraiment, Lapis trouvait tout de même le sujet de la guérison et de la chirurgie passionnant. Alors que ses yeux passaient d'une ligne à l'autre, le soleil, qui jusqu'à maintenant éclairait Lapis de tout son être, se fit faible. Relevant les yeux, elle remarqua un grand homme, dont la première chose qu'elle aperçut fut le bonnet et qui attendait visiblement une réponse de la jeune femme. Légèrement gênée par la situation, n'ayant pas écouté ce que ce dernier avait pu lui dire, elle demanda alors timidement :
-Bonjour, est ce que je peux vous aider..?
Chose à quoi l'homme, visiblement agacé, répondit d'un ton froid qu'il lui avait demandé si ça la dérangerait de bouger légèrement, puisqu'elle serait apparemment assise là où l'homme avait pour habitude de s'installer pour pêcher.
-Je peux savoir d'où vous vient ce culot à déranger les gens pour si peu ?
C'est ce qu'elle aurait répliqué sans hésiter, si son interlocuteur ne faisait pas une tête et demie de plus qu'elle, et si son corps n'était pas anormalement constitué. Marmonnant des jurons élaborés de telle sorte que le malpoli ne pourrait les comprendre s'il les entendait, Lapis se leva et se décala d'une dizaine de mètres, assez pour ne plus avoir ce malotru dans sa vision périphérique. Retournant donc là où elle s'était arrêtée, sa lecture fut à nouveau interrompue, cette fois par un bruit inconnu à Lapis et provenant de son sac. N'ayant normalement rien emporté capable de faire un tel remue-ménage, elle se hâta d'ouvrir en grand ce dernier, révélant au grand jour un Gloutovor. Celui-ci, ayant des bouts de pages mâchées débordant de sa gueule, regarda la jeune femme d'un air ahuri, interrogateur. Prenant quelques secondes pour réaliser ce qui était en train de se passer et comprenant que ce dernier avait du se faufiler quand elle parlait au pêcheur, Lapis sentit la colère lui monter à la tête, provoquant çà et là de légère craquelures de rage sur son visage.
-Tu as intérêt à partir dans les 3 prochaines secondes si tu n'as pas envie que je t'accroche au premier hameçon qui croisera mon regard.
La bête, bien que n'ayant probablement rien compris à sa menace, détala sur le champ, avec un nouveau livre dans la gueule. N'attendant ni une ni deux, Lapis s'empara rapidement de son sac et se lança à sa poursuite. Cette course poursuite l'amena dans un bosquet où le Gloutovor n'avait aucun mal à se faufiler. Tentant tant bien que mal de ne pas perdre sa trace, Lapis se heurtait de temps à autre aux arbres ; faisant jaillir de très légères particules de son corps. Se prenant les pieds dans une racine, la gemme se retrouva face contre terre et ressentait une légère douleur au genou et au visage. Avait elle perdu un membre ? Non elle n'avait pas ressenti cette sensation désagréable d'un détachement si prononcé. Cependant il n'y avait aucun doute qu'elle s'était bien amoché la joue et la jambe. Elle commençait à se relever à la force de ses bras, quand elle entendit des bruits de pas écrasant les feuilles derrière elle.
Dévalant le vallon en pente douce qui menait jusqu’au bord de la rivière, le jeune homme salua d’un simple signe de tête le bonhomme qui se trouvait là. Ce dernier grogna dans sa barbe. Primaël ne chercha pas à en savoir plus et poursuivit son chemin. Dans ces souvenirs l’un des sentiers au travers des arbres lui permettrait de couper la route pour la rattraper un peu plus loin, lui faisant gagner quelques lieues. Il était peut-être noble mais les chemins peu praticables n’avaient jamais eut raison de lui. Peu à peu il s’enfonça dans la pénombre des arbres et bientôt les reflets bleu vert du lac disparurent.
Le blond était d’une nature chanceuse où plutôt talentueuse. Dans l’un comme dans l’autre il savait toujours tirer profits de évènements, aussi saugrenus puissent-ils être. Aussi il ne fut presque pas étonné de trouver dans l’écorce d’un arbre un éclat bleu. Curieux, il tendit sa main gantée pour le saisir.
- Qui l’eut cru… Dit-il, amusé, en rapprochant la minuscule pépite devant son nez. - De la sodalite ? Trop foncé… Howlite… ? Poursuivit-il pour lui même tout en continuant sa route.
Ses pas le menèrent a un second gisement, un peu plus gros celui ci. Il se pencha et ramassa d’un geste habile les quelques paillettes disséminée sur le sol.
- Mh… Son sac glissa de son épaule et la dague à sa ceinture sortie de son fourreau. Armé de rien d’autre que l’éclat bleu, il le fit glisser sur la lame dans un crissement désagréable. La surprise le laissa muet de longues secondes. - Ce n’est plus de la chance à ce niveau là. Levant l’arme afin de capter l’un des rayons de soleil qui traversait l’épaisse couche de feuille au dessus de sa tête, il distingua parfaitement la marque laissé par la pierre, une fine rayure de quelques millimètres. - Du lapis… Le couteau regagna sa place et une pochette de cuire fut extraite du sac, enfin il y rangea les morceaux de pierre.
Ses yeux parcoururent le sentier qui s’étendait devant son regard et il ne fallut pas très longtemps pour se rendre compte qu’un petit chemin de gemme lui était offert. Ridiculement petits, parfois un peu plus gros, les pierreries s’étendaient ci et là sur plusieurs mètres. Bien sot celui qui ne suivrait pas un tel chemin ! Primaël le prit sans hésiter un seul instant. Quelques soit l’endroit ou la chose à laquelle il allait le mener, il était certain de ne pas en haïr la finalité. Cependant, pas un seul instant il ne put imaginer sur quoi il allait tomber.
Cet endroit ou plutôt cette chose se manifesta en tout premier lieu par un postérieur dans sa direction, terriblement humain – il en avait vu suffisamment, même recouvert de vêtements pour pouvoir l’affirmer -.
- Ce n’est pas vraiment la première chose que doit présenter une dame. Ne put-il s’empêcher de railler. - Besoin d’aide peut-être ? Il la contourna pour se retrouver face à elle et lui tendit une main amicale. Son visage ne trahissait en rien ses émotions, mais ses yeux, eux, transpiraient d’une curiosité et d’une avidité dévorante.
-Ça vous dérangerait de me la rendre s'il vous plait ?
La gemme avait réussi à se relever seule pendant que son interlocuteur restait bouche bée, contemplant ce qui était resté dans sa main. Pendant ce temps là, Lapis observait plus en détail l'homme en face d'elle, ses habits, ses équipements. Reconnaissant au premier coup d'œil les éclats bleutés dépassant de sa petite pochette elle ne put s'empêcher de dire :
-Ah oui, désolée de vous décevoir, mais d'ici moins d'une heure ça ne vous servira plus à rien, vous feriez mieux de les laisser par terre, ces fragments ressembleront à des cailloux lambdas avant même que vous m'ayez rendu ma main.
Nombreux furent les essais et expériences de Lapis sur son corps, tentant de conserver aussi longtemps que possible la nature minéralogique des morceaux perdus. Mais rien n'y fait, une fois séparés de son corps, les cristaux de Lapis se dévitalisent et perdent petit à petit leur couleur bleutée. Ce procédé peut prendre 15 minutes pour les plus petits éclats jusqu'à quelques heures pour les plus grosses parties telles des membres. D'un côté cela l'empêchait de capitaliser sur son pouvoir, de l'autre elle ne pouvait être retenue contre son gré pour être une source infinie de Cristaux. Cependant, recréer un contact prolongé avec ces morceaux détachés permet de fusionner à nouveau avec eux, leur rendant leur nature et leur aspect d'origine.
-Enfin bon, j'imagine que vous pouvez les garder si vous y tenez, ça va repousser ne vous inquiétez pas pour moi, par contre j'aimerai vraiment que vous me rendiez ma main, ça sera plus pratique pour... tout ?
En prononçant ces paroles, elle reprenait son sac sur son épaule gauche, à défaut de ne plus avoir de main droite, et elle s'assura qu'elle n'avait pas perdu plus de livres que ce n'était déjà le cas avant sa brève course poursuite. Une fois ces vérifications faites, elle releva le regard vers son interlocuteur.
- Vous égarez souvent vos… Membres comme ça ? Finit-il par demander sans pouvoir détourner le regard. - Enfin passons, vous allez vers la Cap… Visiblement oui. Malgré leurs différences de positions, leurs pas se dirigèrent naturellement vers le cœur de la forêt, le long du chemin que l’aventurier avait voulu emprunter un peu plus tôt. Machinalement, il se mit à sa hauteur pour poursuivre la marche sans même lui demander si oui ou non, sa compagnie lui était désagréable. Primaël s’en fichait éperdument, il pouvait bien se sentir de trop quelques heures si cela le menait à avoir des réponses aux questions qui tourbillonnaient maintenant dans son esprit. Tout en continuant de marcher il reprit donc la parole. - Du coup vous êtes en Lapis ? Il en était convaincu, son couteau portait encore fièrement la rayure que lui avait infligé l’éclat quelques instant auparavant. - Dites moi, comment faites vous pour manger ? Pour vivre ? Pour être honnête, je suis gemmologue. Il ne précisa aucunement qu’il avait étudié de son propre chef et qu’il n’avait de ce titre que l’auto-certification. - Et je dois avouer que votre cas me semble fort intéressant. Vous rejoignez de la famille en ville ? Peut-être auriez vous un instant pour vous arrêter à mon atelier ? N’y voyez là rien de cavalier, je suis juste… Curieux de votre nature. Et il lui offrir ce sourire enjôleur qu’il maniait à la perfection. - Pour ce que ça vaut, je m'appelle Primaël. Primaël Alkh'eir.
-Si par "souvent" vous entendez en moyenne deux ou trois fois par mois, alors oui, c'est assez fréquent.
Lapis se tourna ensuite vers la capitale et avança sans demander son reste et sans se préoccuper d'avantage de l'homme. Ce dernier la rattrapa rapidement, elle en déduit donc qu'ils allaient tous deux au même endroit. Il passait de gauche à droite, se déplaçait autour d'elle d'une démarche qui trahissait facilement ses états d'âme ; il était curieux et en soif de réponses. Elle ne l'avait pas regardé directement depuis, mais elle était presque certaine que ses yeux étaient remplis d'étoiles, en entendant le ton enfantin et presque surexcité avec lequel il posait ses questions.
-Oui. Je ne mange pas. Je ne sais même pas si je vis encore.
N'entendant plus de questions émaner de derrière elle, la femme s'arrêta puis se retourna. Elle n'arrivait pas à savoir si son interlocuteur était déçu de ses réponses ou juste pensif. Il l'avait quand même aidée, il méritait d'avoir de vraies réponses.
-Je suis en effet composée de Lapis lazuli, et c'est ainsi depuis presque 5 ans. En ce qui concerne mon alimentation, j'emmagasine l'énergie du Soleil pour me mouvoir et réfléchir, c'est un peu comme une flamme qui alimenterait une torche. Si je suis fatigué, je peux juste faire une sorte d'hibernation, le temps que le Soleil revienne. J'essaye en général de ne jamais tomber totalement à court d'énergie lorsque je sommeille, au cas où un imprévu arrive. De même, je dors toujours dans des endroits avec une fenêtre, orientée vers là où le soleil se lève pour faire le plein d'énergie dès que possible. Comment fais je pour vivre ? Ça j'aimerai le savoir... Je passe le plus clair de mon temps à lire des livres, de toutes sortes, à toute heure, par tous les temps. J'ai cependant quelques problèmes de Cristaux en ce moment, faute d'avoir voulu suivre une éducation particulière dans la littérature. Gemmologue, vous, vraiment ?
Lapis n'arrivait pas à savoir si c'était un coup de chance ou si la nature de son corps finirait forcément par attirer quelqu'un de ce genre, mais c'était la première fois qu'elle rencontrait une personne qualifiée dans ce domaine. Évidemment, elle avait elle même longuement étudié les gemmes, les minerais et les différents alliages existants ; dans un premier temps pour tenter d'élucider l'origine de son pouvoir, puis simplement par passion.
-Hum, non, je viens justement de partir de chez mes parents, j'espère les revoir avant que les jours de neige n'arrivent. Ma priorité était de rejoindre la guilde des aventuriers pour me faire quelques Cristaux mais ça ne presse pas si vous avez de quoi me loger le temps de satisfaire votre curiosité. Ah oui, vous pouvez simplement m'appeler Lapis d'ailleurs.
Reprenant la route, elle fit un signe de tête à Primaël, pour l'inviter à mener la marche, la Capitale commençant à se faire proche.
- Cinq ans ? Sacré bout de temps. Ah ça a tout de même ses bons côtés, manger est une véritable perte de temps et passer aux toilettes aussi. Bon je ne doute pas que vivre dans ces conditions n’est pas toujours évident mais il faut savoir se concentrer sur les bons côtés. Ce n’est pas comme si vous aviez le choix de toute façon.
Le reste du trajet se passa sans encombre. Primaël les guida avec aisance au milieu des bois, tint les branches basses avec diligence et l’aida même à franchir les obstacles qui se présentaient de temps à autres. En quelques heures ils purent rejoindre la route principale qui, maintenant, ne les séparait plus de la capitale que de quelques mètres. Les grandes portes, ouvertes, se dressaient fièrement au loin. Le monde grouillait déjà tout autour d’eux lorsqu’ils les franchirent enfin. Primaël s’arrêta au centre de la grande place où ils se trouvaient et se tourna vers Lapis.
- Je ne peux pas vous promettre de vous offrir un logement, mon atelier n’est pas fait pour ça. Cependant je peux vous proposer un repas chaud et de vous conduire ensuite à la guilde. Fouillant parmi ses couches de vêtements, il laissa pendre une petite plaque de fer où étaient gravées ses noms et prénoms. - Voyez-vous je suis moi-même aventurier. Je pense que vous emmener à bon port ne sera pas des plus fastidieux. Éclatant d’un petit rire, il lui tendit la main. - Entendu ?
Je dois dire que vous nous avez plutôt bien amenés ici, je n'ai pas de raisons de refuser à ce que vous me meniez à la guilde des aventuriers. Quant à votre offre de repas, elle a beau être sympathique, je doute que vous ayez plus nutritif et plus chaleureux que les rayons du Soleil. Ceci-dit, je ne sais pas ce qui se mijote dans votre atelier, je pourrai être en tort.
Lapis se sentait un peu décontractée, si cet homme était aventurier c'est qu'il avait un minimum de morale, enfin c'est ainsi qu'elle tenta de se rassurer. Elle aurait apprécié être logée, mais se faire guider jusqu'à la guilde était déjà une offre appréciable, qu'elle acceptait avec plaisir. Ceci-dit, que se passera-t-il une fois arrivés là-bas. Est-ce qu'ils se serreront juste la main, en se disant "à une prochaine fois peut être !", ou le scientifique avait-il une idée derrière la tête ?
Il n'y avait qu'une manière d'en être sûre. La gemme bleue attrapa délicatement la main de son interlocuteur en rythmant son geste d'une phrase.
Après vous.
Ici les pavés grisonnant du centre ville n’avaient pas leur place. Pas plus que les murs blancs des villas et manoirs. Le bois de mauvaise facture était le principal matériau utilisé. La boue formait des cloches sur ses chaussures tout en émettant un “splotch” désagréable à chaque pas. Priam ne se formalisait plus de ce genre de choses depuis longtemps. Il croisa une vieille femme emmitouflée dans un capuchon et la salua vaguement. Elle, le fusilla du regard avant de bougonner en poursuivant sa route. Loin d’être un endroit agréable, les tréfonds de la ville recelaient un peuple bien moins riche et joyeux que celui qu’ils avaient pu rencontrer jusqu’ici. Peut-être que Lapis prendrait ses jambes à son cou et Primaël le déplorerait certainement mais il était certain qu’il ne changerait son atelier pour rien au monde, pas même son emplacement.
Il s’arrêta devant une porte en fer forgée, décorée de plusieurs arabesques de pied en cape - probablement la chose la plus luxueuse que l’on put trouver dans ce coin de la ville -. De sa poche il sortie une petite clé qu’il glissa dans la serrure. Deux cliquetis retentirent et la porte céda. Il s’engouffra à l’intérieur, s’attachant dans la foulée à allumer les cristaux de lumière de la pièce. A l’odeur de renfermé se mêlait celle des livres, du café et de la terre. C’était un cabinet sobre mais obscur où s'entassaient de vertigineuses quantité de grimoires et d’abécédaires, saupoudré d’une couche de parchemins sur lesquels ont pouvait distinguer l’écriture alambiquée du gemmologue. Juste à côté se tenait fièrement un bureau, enseveli sous les plumes et les pierres en tout genre. Il y avait également des accessoires en fer aux formes parfois douteuses, tranchantes ou contondantes ainsi que quelques bécher et tubes à essais. Primaël traversa la pièce pour s’arrêter devant l’âtre d’une cheminée noircie par la suie.
- Comme je l’avais dis, ce n’est pas un endroit pour loger. Il avisa quelques bûches qu’il installa dans le foyer avant de s’occuper de lancer un feu. Quand les flammes lui parurent satisfaisantes il se releva et désigna les murs dépourvus de fenêtre. - Très pratique quand on a pas envie d’être épié. Moins pour y vivre. Il haussa les épaules comme s’il s’agissait là d’une fatalité et s’installa dans le sofa en velours rouge qui trônait dans le renfoncement d’un mur. Il s’agissait sans doute là de l’objet le plus luxueux. Une petite couverture parfaitement pliée sur l’un des bras prouvait que malgré ce qu’il pouvait bien en dire, Primaël avait passé plus d’une nuit ici.
- Bien. Maintenant que les présentations sont faites, j’aimerais vous demander un petit service. Se redressant, il déposa ses coudes sur ses genoux, entre croisa ses doigts et son regard, percutant, vint rencontrer Lapis. - J’imagine que ce n’est pas une demande anodine mais me laisseriez vous… Vous observez ? Un léger rire franchit la barrière de ses lèvres et il poursuivit. - Ce n’est pas tous les jours que l’on a la chance de croiser une personne tout en pierre précieuse, je suis curieux d’en apprendre un peu plus sur votre… État. Peut-être que l’on pourra découvrir quelque chose d’intéressant. De nouveau il laissa son dos aller à la rencontre du dossier et croisa les jambes. - Qu’en dites-vous ? Ah et rassurez vous. Je n’ai pas prévu de vous amputer d’un membre. Pas tant que ça ne serait pas nécessaire, mais ça c’était une autre paire de manches.
De temps à autres son regard croisait la route d'instruments quelque peu inquiétant et qui n'avaient pas l'air d'être lié de près ou de loin à la gemmologie. A côté se trouvaient moults instruments de chimie, montrant que le gemmologue ne se contentait pas de simplement admirer lesdites pierres. Enfin, Primaël s'assit sur un divan rouge, dans lequel il avait visiblement l'habitude de se reposer. Alors qu'il montrait les murs pleins et opaques, Lapis ressentit comme une sensation inquiétante, elle n'avait plus l'habitude de se retrouver dans des lieux dépourvus de Soleil, et cela la mettait légèrement mal à l'aise.
Lapis était debout, face à lui, alors qu'il la regardait de haut en bas et de bas en haut. Quand soudain il exprima sa requête.
-Qu'est ce que- C'est à dire "observer" ? Que souhaitez vous voir exactement ? Je vous ai déjà parlé des différentes expériences que j'ai pu tenter de mon côté, je ne suis pas certaine qu'il y ait d'autres choses à expérimenter vous savez.. Quant à l'amputation de mes membres, je préfère être claire avec vous, j'ai beau être intégralement composée de Lapis Lazuli, je ressens tout de même la douleur. Alors ne vous avisez pas de tenter quelconque tentative de torture sur mon corps.
Elle était prise par la panique, elle qui n'avait pas l'habitude que sa nature singulière intéresse particulièrement les autres. D'un autre côté elle trouvait ça légèrement flatteur.
-Garantissez moi que vous n'abuserez en aucun cas de la situation et que vous éviterez autant que possible de me faire mal, et nous avons un accord...
- Ma dame, on peut me reprocher bien des choses mais la torture n’en fait pas partie. Tout dépendait pour qui. - Comme je vous l’ai dit, je n’ai pas besoin de vous amputer d’un membre pour étudier la matière dont vous êtes faites, un raclage et quelques prélèvements devraient suffire. Vous pouvez même rester afin de vous assurer que je ne fais pas n’importe quoi de vos échantillons. Il roula à nouveau le papier puis le coinça en haut d’une étagère avec un autre et fit volte face en direction de son invitée. - Cela dit dans la forêt, tout à l’heure, perdre une main n’a pas semblé vous perturber. Un sourire moqueur étira l’un des coins de ses lèvres et il passa aux côtés de la jeune femme, laissant son regard la sonder avant de la dépasser.
Contre le mur au fond de la pièce, se tenait une masse sous un linceul d’un blanc poussiéreux. Primaël tira sur le drap pour révéler ce qui s'apparenterait plus ou moins à une table d’autopsie. En bois brut et poncée, elle possédait quatre anneaux en fer rouillé à chacun de ses coins. Primaël tapota doucement la table.
- Ne commencez pas à paniquer, il s’agit d’une table de récupération, je n’ai jamais eu à me servir des anneaux. En tout cas pas pour le travail. - Installez vous, dénudez un bras, je reviens avec du matériel. Se faisant l’aventurier rebroussa chemin et se pencha sur son bureau pour récolter ce qu’il souhaitait, au passage il attrapa deux épais grimoires. Enfin ses pas le menèrent jusqu’à l’endroit où trônait tous ses instruments. Il en emporta quelques uns après les avoir minutieusement choisi puis revint auprès de Lapis. Tirant l'assistant muet jusqu’à lui, il disposa son matériel proprement puis attrapa une chaise sur laquelle il s’installa.
- Peut-on commencer ? Si son air était véritablement interrogateur, il ne chercherait pas à prendre Lapis par surprise même si son regard brillait d’un mélange intense d’avidité et de curiosité. Primaël savait se tenir, comme tout bon Alkh’eir mais il brûlait d’impatience à l’idée de découvrir les secrets que renfermait la jeune femme.
-Hum, et bien ça ne m'a pas dérangé de perdre une main étant donné que je savais que je serai en mesure de la récupérer dans les plus brefs délais. Si la cassure est certes douloureuse, l'handicap d'un membre absent ou d'une main manquante est plus contraignant et gênant sur la longueur. Sans parler de la repousse de celle-ci qui est fatigante et désagréable. N'allez pas croire que j'y prends un quelconque plaisir personnel..
Elle sentait que c'était ce que le scientifique tentait d'insinuer dans ses propos. Cela dit, ces derniers se voulaient, en quelques sortes, rassurants. Et ses gestes et regards n'étaient pas déplacés ; enfin jusqu'à ce qu'il fasse apparaître de nulle part une table, à l'aspect inquiétant, le tout accompagné d'une plaisanterie d'un goût que Lapis jugea de.. questionnable. Peu importe, à la demande de Primaël, la gemme releva légèrement la manche gauche de sa chemise blanche, qui n'était plus si immaculée que ça, suite à sa chute en forêt, dévoilant son bras, dont le haut de ce dernier n'était pas couvert de poudre.
Alors qu'elle s'exécutait, un peu gênée par la situation, l'homme revint avec une paire d'outils, qui, entre de mauvaises mains, pourraient faire taire la gemme à tout jamais. Cependant, elle lui faisait confiance, quel intérêt aurait-il à se débarrasser d'elle.
-Vous devriez peut-être apportez une éponge ou un tissu imbibé d'eau pour enlever la poudre, ça sera plus facile de s'y retrouver.
Sa voix était légèrement tremblante, comme si elle passait un contrôle pour lequel elle n'avait pas révisé. Si elle le pouvait, elle rougirait sûrement.
-Enfin, faites comme vous voulez, mais tenez votre parole.
- Je tiens toujours parole. Répondit-il enfin. - Je vous ai promis de ne pas vous amputer, cela dit tout ne sera pas agréable. Il approcha la lame de la pierre et releva ses yeux rendus globuleux par le verre vers elle. - Je vais gratter la surface pour obtenir un peu de poudre, je vais essayer d’être rapide. Immédiatement il se replongea dans le labeur. Le noble n’avait pas menti, l’examen fut loin d’être agréable mais il fut rapide. Il récupéra les échantillons de poudre sur une petite plaque en métal et la disposa sur le coin de l’assistant. - Bien, nous verrons ça plus tard. Combien de temps faut-il en moyenne pour qu’ils ne deviennent que de simples gravats ?
Primaël se redressa sur sa chaise et s’étira un moment avant de reposer sa lame, il releva également ses lunettes qu'il coinça sur le haut de sa tête. - Bon, le deuxième échantillon sera plus conséquent, plus douloureux aussi. La taille d’un ongle environ. Je préfère prévenir avant que vous m’accusiez de vous avoir prise en traître. Il rit un peu avant d’attraper une mèche effilée et pointu ainsi qu’un petit burin. - Je vous laisse choisir l’endroit, vous savez mieux que moi lequel vous dérangera le moins. Et, attendant que Lapis se décide ou refuse -car jusque là, elle était encore libre de prendre ses jambes à son cou- il poursuivit, - D’ailleurs je ne vous ai pas demandé, qu’est-ce qu’une passionnée de littérature peut bien vouloir à la guilde ? On ne décide pas de risquer sa vie du jour au lendemain pour “quelques cristaux”. Dit-il en reprenant les mots que la jeune femme avait prononcés plus tôt.
Le scientifique était précautionneux et doux, bien que Lapis pouvait entendre l'excitation dans sa voix. Lorsque vint la question portant sur sa régénération, Lapis mit du temps à répondre. Devait-elle être à 100% transparente avec son corps et ses spécificités, quitte à révéler son point faible à un quasi-inconnu ? Enfin, elle en avait déjà trop fait, à quoi bon s'arrêter maintenant.
-Hmm en quelques sortes oui. Mon corps cherche toujours à régénérer les parties manquantes, sauf quand je suis à court d'énergie. De plus si je perds ma tête je.. perds la vie. Du moins c'est la conclusion à laquelle je suis arrivée. Mon corps a besoin de ma tête pour se régénérer donc si on pouvait éviter de toucher à cette zone là j'en serai reconnaissante. Pour la durée que cela prend, cela dépend du volume à réparer ; si je parviens à maintenir les deux morceaux l'un contre l'autre, il n'y que très peu de lapis à recréer, tandis que si ma main volait en milliers d'éclats, je n'aurai d'autres choix que d'attendre la repousse durant plusieurs jours.
Pendant qu'elle racontait les informations qu'elle avait récoltées suite à ses expériences personnelles, dont elle était le sujet, le gemmologue gardait le regard rivé vers son poignet, où sa main avait était recollée. Lapis commença à s'inquiéter légèrement lorsqu'il attrapa un scalpel, mais ses gestes restaient précis et lents, lui indiquant qu'il n'y avait pas de raison de prendre peur. Il grattait alors précautionneusement la surface de son avant-bras, créant un léger dépôt de poudre de Lapis, qu'il disposa sur une plaque.
-Plus le volume du morceau perdu est important, plus son éclat persiste, donc dans cet état de poudre, attendez vous à ce qu'il soit similaire à du sable gris d'ici une dizaine de minutes. Quant à cet échantillon plus conséquent voyons voir... Je pense qu'il sera plus facile de simplement me briser une phalange, de l'auriculaire gauche de préférence, il ne m'est d'aucune utilité lors de la lecture ou de l'écriture.
En proposant une telle offre, elle regardait ladite phalange, la portant au niveau de son visage, faisant réfléchir les lumières sur l'ongle du doigt.
-Faites attention à mon vernis à ongle cependant ! dit elle en laissant s'échapper un léger rire taquin.
En reposant sa main sur la table pour la laisser à la merci du gemmologue, celui-ci aborda alors la raison de sa venue à la Capitale, et plus particulièrement son intérêt envers la guilde des aventuriers.
-Eh bien voyez vous, si je n'en ai pas l'air ainsi, je me suis longuement formée sur la stratégie militaire et d'autres sujets en vrac, tel que le maniement de l'épée, et j'aimerai un moyen de pouvoir les appliquer. Et puis je suis à court de cristaux, donc il est nécessaire que je sois rémunérée. Bon revenons sur cet échantillon, essayez de viser l'articulation de la phalange, les plans de coupes y seront plus arrangeants pour vos instruments.
Lapis préférait éviter de penser au fait que sa vie pourrait être menacée par les missions qu'elle pourrait prendre à la guilde. Son esprit était de toute manière concentré sur les gestes de Primaël.
Il n’avait pas prévu de retirer un morceau aussi conséquent mais si, d’après ce que lui disait Lapis, il était nécessaire d’avoir un échantillon plus gros et qu’en prime elle l’invitait à le faire, il n’allait pas s’en priver.
- Si vous voulez mon avis, votre vernis ne vous sera pas particulièrement utile une fois votre doigt perdu. Mais si vous y tenez… Ah les femmes et leurs lubies que le pauvre Alkh’eir avait toujours eu du mal à comprendre. Il positionna le doigt sur le billot et déposa doucement le burin sur la phalange. - Vous pouvez crier tout votre saoul, Lapis, personne ne vous entendra. Une phrase qui n’avait rien d’engageant mais qui n’était pas moins vrai car lorsque Primaël claqua des doigts, la voix de la gemme fut immédiatement absorbée et il en profita pour sectionner le doigt dans la seconde suivante. Rapide et efficace mais pas plus agréable. Il le récupéra et le posa sur la table avant de se redresser et de quitter sa chaise. Quand il fut certain que Lapis ne hurlerai pas -ou plus- il claqua à nouveau des doigts et lui rendit sa voix.
- Si vous avez besoin de boire quelque chose, il y a un robinet dans le renfoncement du mur. Il pointa l’autre bout de l’atelier, non loin du canapé. - Si vous préférez une bonne dose de soleil vous savez où est la porte mais je vous conseille de rester dans les environs. Toutes les fréquentations ne sont pas bonnes dans les environs et j’suis sûr qu’y’en a une paire qui seraient content de ramener une pierre vivante dans leur salon ou de la vendre en pièce détachée. Ou de la garder pour la vendre plein de fois en plein de pièces détachées. Bref, partez pas trop loin.
Pour son cas, Primaël attrapa la poudre et le doigt qu’il ramena sur son bureau faiblement éclairé par un cristal de lumière. Il s’occupa en premier lieu de la poudre avant qu’elle ne change d'apparence, le doigt viendrait plus tard.
- Vous savez Lapis, commença-t-il sans même savoir si la jeune femme avait décidé de quitter les lieux ou non. Il aimait juste parler en travaillant. - Il ne suffit pas simplement d’étudier la stratégie militaire et d’autres sujets en vrac pour survivre à tout ce que vous allez rencontrer. Puis il se tut et se concentra sur sa tâche avant que la poudre ne devienne que de la poussière.
Utiliser son corps pour aider les autres ? Il faut dire que la jeune femme n'y avait jamais songé, elle qui pensait en priorité à garder un corps aussi complet que possible, chose qui n'était déjà pas aisée. Et il y avait bien une chose que Lapis avait oublié de mentionner, à savoir le fait que les parties détachées de son corps deviennent immédiatement inertes et rigides, impliquant qu'une greffe, si peu qu'elle soit possible, ne permettrait probablement pas d'en récupérer un usage convenable.
-Il faut dire que malgré ma chevelure tape-à-l'œil je fais des efforts pour ne pas attirer l'attention. Bon en ce qui concerne notre rencontre... Appelons ça un concours de circonstance, voulez-vous ?
Une pointe de gêne pouvait se faire entendre dans sa voix. Elle avait l'habitude que des inconnus percent son "secret" à jour, si on considérait ça comme tel, mais la situation dans laquelle ils s'étaient rencontrés était quelque peu particulière. Quoi qu'il en soit cette rencontre n'était pas si mal tombée, lui ayant permis de se guider dans la Capitale, en plus de rencontrer le gemmologue. D'après ses mots, et sur son honneur, celui-ci ne tenterait pas d'expériences allant contre son gré ; restait-il encore à voir si l'honneur était une valeur qu'il chérissait.
Elle disposa sa main sur la table, et détourna le regard, n'ayant pas particulièrement envie d'assister à la manipulation bien qu'elle n'avait plus aucun problème avec le fait de se casser. Primaël claqua des doigts et d'un coup sec sépara son auriculaire du reste de sa main. Au choc, elle eu un sursaut, voulant laisser s'échapper un couinement de surprise ; mais qu'elle n'entendit qu'en son fort intérieur. Elle tenta d'émettre à nouveau un son avec sa bouche, mais cela ne fut possible qu'après que le scientifique ait à nouveau claqué des doigts.
-C'est donc ceci le secret qui vous incombe. Un pouvoir digne d'une personne avec de mauvaises intentions, n'est ce pas ? Enfin bon, je ne vais pas partir dans un discours établissant qu'un pouvoir détermine l'avenir et l'identité d'une personne, cela serait assez maladroit comme prise de position, n'est-ce pas ?
La gemme se releva et contemplait à nouveau les murs couverts de parchemins, de notes et de livres en tout genre.
-Je me doute que ça ne doit pas être facile à intégrer, mais je n'ai pas vraiment besoin de boire. La seule soif qui m'habite actuellement est celle de connaissance. Depuis combien de temps entretenez vous et alimentez vous cet endroit ? Il y en a pour plusieurs mois voire plusieurs années de lecture, je me trompe ? Non que chacun de ces documents soit digne de lecture, je suis persuadée qu'il y a quelques pépites parmi tout cet océan de papier.
Elle baladait son index le long des livres, tandis que de l'autre côté de sa main se trouvait maintenant un vide, là où son doigt prenait naissance quelques minutes auparavant.
-N'ayez crainte pour le Soleil, je peux rester plusieurs heures sans l'apercevoir, et comme vous l'avez évoqué, le quartier ne m'inspire pas vraiment confiance ; ne le prenez pas personnellement.
En se retournant elle voyait que Primaël avait toujours son regard rivé vers le doigt qu'il venait d'acquérir, c'était à se demander s'il avait même cligné des yeux depuis son obtention. La dernière remarque du gemmologue intrigua Lapis, et la fit réfléchir.
-Je sais bien que la théorie seulement ne m'amènera nulle part, et si vous pensez que j'ai peur de me briser, vous vous méprenez ; autrement je n'aurai jamais mis les pieds ici dans un premier temps. Quant aux variables inconnues qu'implique une mission, c'est principalement pour les maîtriser au mieux que je me documente autant que possible, afin d'anticiper plusieurs possibilités en cas d'accrochages.
Après avoir réalisé le tour de la pièce, elle s'empara d'un grimoire qui semblait bien complet, sans même prendre la peine d'en lire le titre, s'assit sur le canapé et déposa l'ouvrage sur ses cuisses. Elle croisa les jambes, en appuyant son coude sur l'accoudoir tout en demandant :
-Je peux savoir où est ce que vous comptez aller avec ces échantillons, ou les procédés sont-ils trop fastidieux à expliquer ?
- Je ne pense pas que vous ayez peur de vous briser. Dit-il simplement en approchant une pipette qu’il pressa doucement pour faire tomber une goutte sur le petit tas de poudre qui siffla bruyamment en dégageant une petite volute de fumée bleue. Peu de temps après, il devenait un simple monticule de poussière grisâtre. Loin d’être découragé par l’état de l'échantillon, il le repoussa pour attraper le doigt qu’il posa sous une loupe.
- Pour en revenir à mon pouvoir, il est fort utile lorsque je dois approcher sans bruit ou capturer des créatures. De plus oui, cela serait assez maladroit étant donné que l’une de mes proches amies, une femme tout à fait charmante soit dit en passant, a étouffé son dernier adversaire grâce aux paillettes qu’elle produit au bout de ses doigts. Aux dernières nouvelles, je n’ai jamais étouffé qui que ce soit ni avec mon pouvoir ni de mon propre chef. Son ton était claquant et sans détour. Il coula un vague regard dans sa direction, par-dessus son épaule puis s’en détourna lorsqu’il l’a vit avec l’un des grimoires en main.
- Je ne fais rien de bien sorcier. Admit le jeune homme en retournant le doigt qui était subitement devenu tout à fait rigide. - Je verse quelques mélanges de ma fabrication afin d’observer la réaction. Pour l'heure, elle est en tout point identique à la pierre naturelle. Cependant, n'avez vous jamais songé à utiliser quelque chose pour stocker la lumière du soleil que vous accumulez ? Il se redressa sur son tabouret et le fit pivoter pour observer la jeune femme. - Vous dites que vous n’avez pas besoin de voir le soleil pendant des jours, donc vous voyez le soleil bien plus souvent que nécessaire. Cela veut dire qu’une partie de l’énergie solaire que vous absorbez est perdue par manque de place dans votre organisme. Pourquoi ne pas tenter de la stocker ? Vous pourriez en suite la garder pour les moments de faiblesse ou pour la transformer en autre chose, une arme par exemple. Qu’en dites-vous ? Il croisa les bras sur sa poitrine avant de prendre un air songeur. - Mon atelier existe depuis une petite dizaine d’années. Quant au quartier, je l’ai choisi exactement pour cette raison. Quand on ne sait pas lire, on n’a pas envie de voler un ouvrage, ni de se donner autant de mal pour quelques bouts de papier. Il n’y a rien de valeur pour qui ne possède pas l’éducation adéquate.
Haussant les épaules avant tout pour lui-même, il attendit patiemment la réponse de Lapis.
L'anecdote sur l'amie du scientifique était quelque peu glauque, et c'est dans ses moments que Lapis était heureuse d'avoir un pouvoir inoffensif, n'étant pas en mesure de mettre en danger une autre personne qu'elle même.
-Comme je vous l'ai dit je ne tiendrai pas ce discours, ce ne sont pas mes opinions et cela ne nous mènerait nulle part que d'élaborer autour de ce sujet.
Elle sentait que Primaël s'était quelque peu renfermé depuis qu'elle avait pu faire cette remarque. Le propos était maladroit, mais il n'y avait pas de quoi en faire toute une histoire. Les manipulations du gemmologue semblaient assez basiques, et on sentait l'habitude dans les gestes qu'il semblait réaliser presque machinalement. Stocker l'énergie solaire, ça serait bien le pied, elle pourrait veiller tard sans être à bout de force, cela lui permettrait également de travailler de nuit pour la guilde si cela était nécessaire.
-De la même manière que ce qui vient de se passer sous vos yeux, lorsque je perds contact avec un morceau de moi, celui-ci se meurt. Il semblerait qu'il contienne une partie de mon énergie solaire lors de la séparation ; cela explique en partie pourquoi je suis de plus en plus épuisée à force de me briser. Le problème étant que lorsque ce dernier est totalement dépourvu de Lapis, transformé en pierre lambda, l'énergie est perdue dans la transformation. J'ai tenté maintes expériences pour tenter de stocker de l'énergie dans un morceau brisé de mon corps, mais l'énergie finissait toujours pas disparaître si j'attendais trop longtemps, sans parler du second problème, à savoir réintégrer ledit morceau à mon corps. Je ne peux pas, et je ne voudrai pas, avoir un second annuaire gauche par exemple, même si celui ci me fournissait une heure d'autonomie en plus, mon corps est assez atypique ainsi sans que j'ai à en rajouter.
Lapis considérait vraiment cette situation comme un cul de sac depuis qu'elle avait fait ces expériences, et elle avait assez vite abandonné cette piste. Mais en compagnie d'un scientifique passionné par les gemmes et possédant des connaissances dans ce rayon, la situation pourrait alors changer en sa faveur
-Dites moi Primaël, auriez vous en tête un matériau qui me permettrait de stocker cette énergie pour ensuite me servir de batterie de secours ? Avez vous déjà rencontré une pierre ou autre ayant de telles propriétés ? La clé à tout cela réside en réalité dans le fait d'utiliser autre chose qu'une partie de moi n'est ce pas ?
Les paroles de Lapis s'accéléraient mais l'excitation prenait le dessus sur son côté discipliné, elle qui avait abandonné tout espoir de parvenir à cet objectif.
- Je vois. Dit-il finalement lorsque Lapis se tut. Il s’étira comme un chat puis quitta sa chaise pour aller fouiner sur ses étagères. - Utiliser autre chose qu’une partie de vous peut effectivement être une bonne idée. Reste à trouver quoi. Ses doigts passèrent sur les reliures poussiéreuses de nombreux grimoires sans s’arrêter. - A vrai dire le quoi importe assez peu. C’est plutôt le qui, qui vous intéressera. Si vous trouvez le bon enchanteur, vous n’aurez besoin que d’un objet. Peu importe lequel. Il y’en a de très bons à la Capitale, mais ce n’est pas un service gratuit. Je vous conseille d’économiser autant que faire se peut et de songer à manger beaucoup de pain pour vous l’offrir. Dans un claquement de langue il s’arrêta sur un ouvrage qu’il tira doucement, comme si il pouvait se briser à chaque instant. - Voilà donc. Il l’ouvrit dans un craquement de papier sonore et parcourut les pages avec précaution.
- Prenez le temps de choisir correctement votre amélioration. Le prix varie selon la puissance que vous recherchez, de même que sa complexité. Parfois il vaut mieux commencer avec quelque chose de simple. Mais ça c’est vous qui voyez. Il haussa les épaules, comme si il s’adressait à lui même. - A voilà ! S’exclama-t-il lorsqu’il mit enfin le doigt sur ce qu’il cherchait. - Outre les cristaux dotés de magie qui seront peut-être plus complexe à trouver, vous pouvez peut-être tenter d’obtenir des pierres phosphorescentes. J'imagine que briller dans la nuit ne vous intéresse pas particulièrement mais si la pierre à travailler absorbe naturellement la lumière du soleil ce sera toujours plus simple à manipuler pour l’enchanteur. Il tourna le livre dans sa direction pour lui montrer l’illustration d’une pierre vert émeraude. - De l’Autunite. Il tourna la page. - Et la Torbernite. Elles seraient toutes deux de bonnes candidates pour ce que vous cherchez. Pas évidentes à trouver non plus. Il referma le livre dans un grand claquement et s’en retourna au doigt qui, si il ne s’abusait, n’allait pas tarder à redevenir poussière. Reposant ses bésicles sur son nez il lança : - Quand vous aurez fini de lire et que vous voudrez regagner la guilde, faites moi signe. Puis il se replongea dans le labeur.
Lapis avait entendu parler des multiples enchanteurs de renom peuplant la Capitale, mais elle n'en avait jamais croisé en vrai et ne s'était pas renseignée sur les services qu'ils pouvaient proposer. Elle connaissait de visuel les différentes pierres que Primaël lui avait énoncées, et elle devait admettre avoir une préférence, purement cosmétique, pour la Torbernite et son vert profond. Elle pensa alors à un pendentif, avec une Torbernite travaillée, qu'elle pourrait mettre autour de son cou, faisant à la fois office de bijou et d'objet magique.
-Il doit bien y avoir d'autres passionnés de gemmologie dans la Capitale qui seraient prêts à échanger un morceau de torbernite contre une observation d'un morceau géant de Lapis Lazuli articulé, vous ne pensez pas ?
Lapis fit un clin d'œil en direction du gemmologue, tentant de lui faire comprendre qu'elle apprécierait que ce dernier lui fournisse un contact. L'enchantement lui coûterait déjà une grande partie de ses revenus, si elle pouvait s'épargner l'achat de la pierre, elle le ferait sans hésiter. Certes les repas lui étaient gratuits tant que le Soleil ne devenait pas une marque déposée, mais les fournitures d'aventurière et de passionnée de lecture impliquaient également un certain investissement.
-Dans tous les cas, j'aimerai bien retourner à la Guilde dès que vous en aurez fini avec cet échantillon, je n'ai pas tellement envie de me retrouver seule dans ces rues. Prenez votre temps cependant, rien ne presse, j'ai encore quelques heures devant moi avant d'avoir besoin de faire le plein de Soleil.
En attendant que Primaël l'accompagne, elle allait et venait entre les livres, feuilletant les pages qui piquaient sa curiosité.
- Les gemmologues ne courent pas les rues et rares sont ceux qui se promènent avec leur butin. Moi le premier. Ce serait comme se planter une cible sur le front et même si je suis aventurier, je n’ai pas envie de flétrir six pieds sous terre a tout juste la trentaine. Il eut un rire amer en songeant à tous ses compagnons qui eux, ne l'avaient pas atteint. D’un mouvement de tête, il chassa ses pensées. - Essayez de voir avec Shayanne El Dalmar. Ce n’est pas une gemmologue à proprement parler mais c’est une joaillière. Elle est réputée pour son âme de collectionneuse mais aussi pour être du genre retors à la négociation. En tout cas, si je cherchais une pierre en particulier, c’est chez elle que je me rendrais en premier. Primaël hocha la tête comme pour se confirmer à lui-même que c’était le bon choix. Shayanne était une vieille connaissance, ils s’étaient rencontré par le plus grands des hasards lors d’études de minerai et étaient resté en contact depuis.
Il passa ensuite de longues minutes, peut-être même heures, plongé dans la découverte du doigt de Lapis. Il avait durci depuis longtemps, changé en un temps de gravât qui n’aurait pu avoir aucune utilité. Pourtant il réussit à lui trouver un intérêt sans encombre. Il griffonna ci et là des formules et des schémas qui n’avaient de sens que pour lui. Ce ne fut que lorsque sa nuque le tirailla, que sa colonne grinça et que ses reins furent trop éprouvés pour rester voûtés sur une chaise qu’il décida de s’arracher à l'établi. Il s’étira longuement avant de planter ses poings sur ses hanches.
- Bien. Je pense pouvoir dire que c’est terminé. Allons-y. Et sans plus de cérémonie, il invita la jeune femme à le suivre dans le dédales de rues de la capitale, direction : La guilde.