Un courant froid de l’hiver lui offrit un frisson tandis qu’il se hâtait hors de son dortoir pour rejoindre son bureau, écartant les quelques dossiers qui y traînaient. L’expédition qu’il devait mener en forêt l’épuisait déjà. Il jeta un bref regard sur la missive qui trônait entre ses papiers, le sceau de la Guilde y ayant été apposée à la cire écarlate. Si tout allait bien, l’aventurier nommé devait arriver dans les heures qui suivaient, laissant le temps au félin de préparer leur expédition pour récupérer les créatures qui s’étaient enfuies du centre animalier. Si le travail semblait bien ingrat, et qu’il ne demandait pas de déployer l’élite de la garde, il devait bien avouer que ça allait le faire courir.
Tasyaen parcourut du regard la liste des créatures disparues, et ce fut sans surprise que la journée allait se montrer particulièrement longue. Il se passa une main lasse sur le visage, écartant les mèches pourpres qui lui tombaient devant les yeux. Au fond de lui, le garde priait la mère Lucy que la Guilde ne lui avait pas envoyé un aventurier débutant, sinon, ce n’était pas uniquement la journée qu’ils passeraient à quatre pattes dans les fourrées.
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« Et ta mère, elle fume de la peau de lapillon ?! »
Les oreilles du félin se dressèrent sur son crâne, bien droites, tandis que ses orbes rubis semblaient évoquer un agacement non feint. Sans qu’il ne s’en rende compte, la queue s’était mise à battre furieusement dans son dos, alors qu’il écoutait depuis presque dix minutes les soigneurs se disputer dans son bureau. À ce rythme, il attendait presque impatiemment que l’aventurier pointe enfin le bout de son nez.
Il était fasciné par la faculté des hommes pour s’envoyer des piques à la figure et ne pas assumer la responsabilité de leurs actes. La joue enfoncée dans la paume de sa femme, la voix de Tasyaen s’imposa dans le débat, douce mais ferme. Il s’était redressé, les deux mains posées à plat sur le bureau.
« Donc, il faut compter d’autres créatures qui se sont enfuies, c’est bien ça ? Demanda-t-il. »
En concert, les deux compères hochèrent la tête, faisant soupirer le félin qui s’était rassis lourdement dans son fauteuil. Il réclama l’ajout des pertes à la liste déjà longue qu’il possédait, avant que la porte ne s’ouvre sur le tant attendu aventurier qui allait avoir le malheur de travailler avec lui sur cette affaire. Il voulut offrir un sourire de bienvenue au nouvel arrivant mais bien vite celui-ci se fana, alors que le visage du félin blêmit subitement.
Sans s’en rendre compte, le masque s’était brisé, et Tasyaen s’était redressé les mains à nouveau à plat sur son bureau. Il n’avait aucun doute sur l’identité de l’homme qui venait de pénétrer dans son bureau. Tel un ahuri, la bouche du félin resta ouverte sans qu’aucun mot ne traverse la barrière de ses lèvres. Du moins, quelques onomatopées parvinrent aux oreilles des deux hommes qui se trouvaient proches de lui. Il lui fallut bien quelques minutes avant qu’il ne regagne son sang-froid et qu’il ne reprenne sa place au fond de son fauteuil.
C’était une évidence à présent, Lucy voulait qu’il passe la pire journée de l’année. D’un geste de la main, il fit signe aux deux autres de disposer.
« C’est bon, j’ai toutes les informations nécessaires, grommela-t-il entre ses dents. J’ai un autre rendez-vous qui m’attend. »
Il n’avait à aucun moment lâché du regard son nouvel invité. Et ce ne fut que lorsque la porte se referma qu’il sortit enfin de son mutisme, lui offrant la chaise afin qu’il puisse s’installer. Il pensait, malgré les années, avoir pu s’affranchir de ses émotions, mais, maintenant qu’il l’avait face à lui, il ne saurait dire ce qu’il ressentait. De la culpabilité, ça ne risquait pas. Mais peut-être un sentiment nostalgique d’une douleur qui ne s’effaçait jamais complètement. En âme et conscience, il ferait son travail sans laisser la rancœur parler à sa place, même s’il devait avouer que ça le rongeait d’envoyer quelques piques bien cinglantes.
« Merci d’être venu, je pense que les présentations ne sont pas nécessaires, je t’attendais pour qu’on y aille, acheva-t-il avec un soupir. Je t’explique les détails en route. »
La porte ouverte à grande volée, le félin, tendu, prenait son mal en patience, répétant divers mantra afin de s’assurer qu’il souffrait pour le bien commun.
Sur le chemin, il lui expliqua en détail l’aventure peu palpitante qui les attendait et les dizaines de créatures qui s’étaient enfuies tant dans la cité qu’à ses abords, où certaines devaient probablement se cacher des prédateurs dans les terriers environnants. Et sans aucune piste pour démarrer leurs recherches. Il souffla par le nez pour se recentrer, maintenant qu’ils se trouvaient face à la vaste forêt.
« Et on fait quoi maintenant ? Ronchonna-t-il, la queue battante qui extériorisait son agacement. »
Tout juste le temps d’une chaise tirée, invitation muette à prendre place, que déjà le garde se levait pour se jeter sur la porte comme si, rester trop longtemps close, elle allait le garder prisonnier avec l’aventurier pour toujours. Ce dernier ne bougea pas d’ailleurs. Les mains croisés dans le dos dans l’attente de la suite des évènements. Il emboîta cependant le pas de Tasya sans rechigner et garda le silence jusqu’à la toute fin de ses explications. Il n’aurait pas pu dire grand-chose cela dit, son ancien compagnon était visiblement lancé dans l’un de ses laïus utiles mais parfaitement interminable.
- Ce qu’on fait ? C’est pas moi le garde ici… Soupira Primaël en réajustant son sac sur son épaule. - J’imagine qu’on récupère les moins dangereux et qu’on garde le meilleur pour la fin. On devrait commencer à partir du centre. Puis il haussa les épaules. Ce n’était pas à lui, après tout, de diriger les opérations. Le sentier qui les mena jusqu’au bâtiment lui parut atrocement long. Ni l’un ni l’autre ne semblait disposé à discuter et le silence se faisait plus pesant à chaque mètre. Il s’apprêtait à lancer une remarque cinglante lorsque qu’une jeune femme, d’environ leur âge sortie en trombe par la porte principale du centre.
- Il était temps !
- On peut toujours repartir si il n’y a que ça. Répondit l’aventurier du tac au tac.
Elle le fusilla du regard et posa une douce oeillage sur Tasyaen.
- Vous avez la liste que je vous ait transmise ? Ses yeux passèrent sur le papier entre ses mains. - Parfait. Ce sont des animaux domestiqués, ils ne sont pas dangereux !
- Vous en dites autant pour le Koutoulou ? La coupa Primaël. Cela lui valu un coup d’œil assassin.
- Si vous étiez informés, vous sauriez que les Koutoulou son inoffensif.
- Inoffensif pour qui n’a peur de rien.
- Il a été nourrit à la main, élevé par le centre, il est inoffensif.
- Il ne nous connaît pas.
- Il ne vous…
- Ça dépendra de lui. On a pas toute la journée Tas, active. Et sans adresser l’ombre d’une attention en plus à la jeune soigneuse, il la contourna et tâcha d’avancer dans la prairie qui faisait face au centre. Par chance ce secteur était à découvert, du moins pour ses pourtours. Pour ce qui était du reste la Grande Forêt encadrait l’endroit en cercle. Les créatures avaient pu se faufiler n’importe où. Lorsque Tasya le rejoignit, il ne put s’empêcher de continuer à pester. - Je t’en foutrais moi de l’inoffensif. Bientôt ils nous demanderont d’aller chercher des jindas et de les ramener en vie par dessus le marché. Si ils sont si gentils leurs bestiaux, qu’ils aillent donc les chercher eux-même. J’ai autre choses à faire que de jouer la nounou à boucton.
Finalement Primaël s’arrêta au cœur de la prairie et laissa son sac glisser de son épaule, il se mit ensuite à fouiller dedans puis en sortie plusieurs mètres de cordes et un couteau. Il coupa la corde en deux, fit des nœuds et tendit une au soldat.
- Tiens. Dans d’autres circonstances j’aurais probablement proposé de les utiliser autrement mais je sais pas toi, personnellement je suis pas encore capable d’attraper un boucton à mains nues. Ca pourra être utile.
Une fois la main libre il s’en retourna vers son sac, le hissa à nouveau sur son épaule et s’apprêta à repartir.
- Au moins, je vois que tu plais toujours autant à tout ce qui passe. Ne put-il s’empêcher de lui balancer, en songeant à la soigneuse. Puis il s’en alla.
Les discussions avec Primaël étaient vouées à l’échec quoiqu’il advienne, avec un si mauvais caractère, le garde ne s’embêterait pas à essayer de comprendre ce qui l’avait poussé à exprimer ses ressentiment avec une gratuité qui prouvait tant sa mauvaise foi que sa rancune ô combien illégitime. Pendant longtemps, la relation qu’avaient partagée les deux hommes avait semblé sérieuse, mais maintenant qu’il y repensait, ça n’avait été qu’une vague supercherie dont le plus grand défaut avait été d’être superficielle.
Tasyaen enroula la corde autour de son épaule, égarant ses pas à l’opposé de son partenaire. Il y avait bien des choses que l’on ne pouvait pas reprocher au félin, c’était l’ardeur qu’il employait pour mener à bien son travail. Seulement, cette fois-ci il y avait bien plus de choses en jeu, entraînant fatalement un caprice puéril du garde qui préférait fuir plutôt que de confronter leur éternelle querelle.
« Ah et… Reprit soudainement le félin, comme s’il avait oublié de préciser cette information capitale. Ils ont tous un collier. »
Une épine en moins dans le pied, ils n’auraient à crier le nom des créatures dans toute la forêt. Le flair du félin était presque inutile à ce stade, les odeurs s’entremêlant, rendant la traque presque impossible. Ils allaient certainement devoir délimiter une zone de chasse afin de fouiller chaque recoin dans l’espoir de retrouver chacun d’entre eux. Tasyaen déplia la liste qui leur avait été remise, et il ne put s’empêcher de grimacer à nouveau. Sur ce point, il ne pouvait nier que Primaël avait eu raison d’émettre quelques objections concernant les créatures remises en liberté. Ils étaient probablement qualifiés pour mener à bien cette petite escapade, mais si les animaux se mettaient à s’attaquer aux civils qui traversaient la clairière environnante, il était certain que nombreux hurleraient d’effroi.
« Des dragons fées… Des dragons FEES ! Répéta le félin comme pour s’assurer des lignes qu’ils lisaient. Mon cul, inoffensifs, bientôt on aura la forêt aux trousses, mais tout va bien. Si je retrouve l’empaffé drogué aux herbes qui les a laissés s’échapper, je lui fais bouffer mon poing. »
Néanmoins, il reprit sa route, traversant un mur de buissons feuillus qui lui barrait le passage, alors qu’il pouvait entendre le sol se faire grattouiller. Un simple gloot, à peine plus grand que la paume de sa main, entouré d’un ruban écarlate. Celui-ci prit peur en voyant l’ombre massive du félin, mais fut bien vite attrapé par la peau du cou, se faisant soulever du sol. Check, un sur la terriblement longue liste du centre. Il espérait que son ancien partenaire s’en sortait mieux que lui.
Tasyaen retourna sur ses pas, retrouvant le chemin de leur séparation, pour y déposer la cage de l’animal. Marmonnant quelques insultes impitoyables dans sa barbe, il repensa aux capacités du dragon fée. Aucun doute là-dessus, ils seraient bien emmerdés si l’un d’eux se décidait à les coincer dans une illusion. Non pas que ce serait bien fait pour Primaël, mais ça serait bien fait pour lui. Seulement, porté par sa conscience, le félin se mit en quête de retrouver l’aventurier, bien que cela coûte à son égo. Ce n’était de toute façon que pour le prévenir, et rien d’autre, après ils feraient très certainement route à part, ne pouvant pas se piffer dès que l’un d’eux rentrait dans le champ de vision de l’autre, et ça lui rappelait étrangement la rivalité qu’il maintenait avec son colocataire.
Il suivit le sentier d’un pas lent et désabusé, son odorat le guidait jusqu’à ce qu’il remarque enfin les épis de blé au-dessus d’un bosquet rasé. En quelques pas, il l’avait rejoint, ignorant l’expression ravie qui s’était dessinée sur son visage dès qu’il était apparu dans son champ de vision. Aussi maladroit qu’était l’imbécile qui les avait laissés s’échapper ne méritait même pas de tenir un balai à chiottes.
« Prim, ils ont oublié de préciser qu’il y avait des… »
Le félin ne termina jamais sa phrase, les deux oreilles sur son crâne se dressant. En quelques pas, il rejoignit l’aventurier, plaquant une main sur ses lèvres pour éviter qu’il commence à baragouiner une énième déclaration d’amour. Simplement ainsi, Tasyaen n’était pas en mesure de définir ce qui se rapprochait d’eux, mais il était certain que ce n’était pas une bonne nouvelle. Le regard du félin se plongea dans les orbes céruléens de son partenaire, s’armant d’une lueur inquiète. Il releva la tête, ne s’étant pas rendu compte d’à quel point ils avaient commencé à s’éloigner de la cité, les entraînant dans des lieux moins bien fréquentés par les créatures environnantes.
« Boucle-la deux minutes, ça me plaît pas non plus. »
Les oreilles tiquaient à mesure des bruits sourds qui s’approchaient, et même en tournant la tête, il était incapable de dire d’où ils provenaient.
A mesure qu’il avançait, Primaël se demandait si toutes les créatures n’avaient pas fuit la prairie. Lui c’est ce qu’il aurait fait en tout cas. Une plaine à découvert lorsque l’on est une proie, ça n’a rien d’un habitat sécurisant. Il leur faudrait s’enfoncer dans la forêt. Mais de quel côté ? Peut-être auraient-il dû demander à la soigneuse l’endroit le plus propice… Non. Ils se débrouilleraient bien par eux-mêmes. Quand bien même Tasya était un piètre compagnon de vie, il avait le mérité d’exceller dans son domaine. A deux ils feraient l’affaire. Et pour lui donner raison Lucy plaça sur sa route un véritable nid de glooby.
- Eh bah voilà. Les cinq créatures levèrent la tête dans sa direction, se regardèrent puis se mirent à piailler en se dandinant. L’aventurier leva les yeux au ciel, avisa les colliers à leurs cous puis tendit la main. Immédiatement les petites limaces grimpèrent le long de son bras pour aller se réfugier sur ses épaules. - Alors, la sortie était marrante ? Leur demanda-t-il. Ils piaillèrent tous en cœur. - Eh.. Tu m’étonnes, moi non plus j’aimerais pas être un glooby perdu en pleine nature. En plus je suis sûr que vous êtes même pas foutu de vous nourrir vous même. Qu’on ose nous dire que les centres vous rendent pas plus con que la moyenne. En réponse ils se dandinèrent de plus belle. - Ouais, ouais, bouclez là. Je dois trouver vos autres potes… Alors qu’il s’apprêtait à reprendre son exploration la voix de Tasyaen l’obligea à relever la tête. Son air se renfrogna un peu plus. Dix minutes de paix était-ce trop demandé ? Etait-il nécessaire de faire une équipe de deux ? - Des quoi ? Tu pourrais au moins finir ta phr… Ses yeux s’agrandirent lorsque les doigts de l’hybride s’écrasèrent sur sa bouche et il fut parfaitement incapable de détourner le regard de ses iris lorsqu’elles plongèrent dans les siennes. Soudainement changé en statue de sel, il fut incapable de saisir les mots qui franchirent la barrière des lèvres de son vis-a-vis.
« Mais ça me plaît pauvre abrutit. » Hurla son esprit. Cependant son corps chassa la main intruse d’un geste brusque, comme si il l’avait brûlé. Et dans un certain sens il en avait l’impression, la traînée de ses doigts sur ses lèvres lui semblait irradier. Il resta interdit un long moment, détaillant son visage avec rigueur. Depuis combien de temps ne s’étaient-ils pas trouvé si proche l’un de l’autre ? Primaël avait perdu le compte des lunes et des années. Il avait cessé de compter le jour où ses sentiments pour lui s’était éteint. Pourtant il ne pouvait nier qu’une attirance subsistait. Une flamme fébrile et fragile qui l’obligeait à ne pas lui coller son poing dans la figure. Après ce qu’avait fait Tasya, c’eut était la moindre des choses. Il y songea fortement mais ce ravisa au dernier moment et l’attrapa par l’épaule pour l’obliger à ses baisser dans les fourrés. - Qu’il y a des quoi bordel ? J’ai pas de paraboles sur la tête moi ! Chuchota-t-il en sortant la tête des herbes pour essayer d’apercevoir ce qui pouvait bien perturber le garde. - Oh puis merde. Première chose à noter, une proie immobile est une proie facile. D’un claquement de doigt il supprima le bruit de leur pas puis glissa ses doigts autour de siens et il le tira à sa suite, les obligeant à s’enfoncer dans la forêt plus profondément. Il ne s’arrêta que lorsqu’ils arrivèrent au pied d’un arbre si grand que la cime se perdait au-delà du ciel. Ses racines larges comme ses avant-bras leur conférerait un abris sûr pour quelques temps. Primaël se laissa couler contre l’écorce.
- Qu’est-ce qui nous suit exactement ? Un second claquement de doigts retentit et le son revint. Les glooby sur son épaule s’étaient tues et avait tous la tête tournée en direction de Tasya, attendant eux aussi une réponse -qu’ils ne comprendraient très certainement pas.
La vue légèrement trouble, il voyait son partenaire s’agiter davantage, mais sa voix se mêlant au tambourinement assourdissant, il ne put décrypter le sens de ses paroles. La semi-grimace qu’il tira devait certainement parler pour lui, mais il se demandait surtout comment Primaël ne pouvait pas les entendre. Etait-il seul à percevoir tous ces bruits ? Parfois des bruissements, parfois l’éclat sourd d’un pas titanesque sur le sol. Tasyaen releva la tête à la recherche de la moindre menace, mais rien à l’horizon, seule une plaine déserte lui faisait face. Désorienté, le félin ne put retenir un regard en direction de l’aventurier, comme s’il y cherchait des réponses. Mais lui-même ne semblait pas particulièrement en savoir bien plus que lui. Ce ne fut que lorsqu’il fit appel à son pouvoir que le garde comprit qu’il leur fallait s’éloigner de là.
Docile, Tasyaen le suivit, pris de vertige. Il lui fut reconnaissant de prendre la tête et de le guider à travers les fourrées. À mesure qu’ils s’éloignaient, les sens du félin semblaient peu à peu revenir à la normale. Son visage était pâle, et des frissons semblaient couvrir son corps maintenant que les quelques instants d’adrénaline venaient de retomber. Le félin se passa une main sur le visage, le temps de se remettre les idées en place, puis tira ses cheveux en arrière, suivant Primaël sur le sol.
« Des dragons fée, grommela le félin. Je sais pas ce qui nous suit. Mais y a des putains de dragons fée dans le tas. »
Il entoura ses genoux de ses bras, avant d’y enfouir son visage, laissant le temps à son corps de réassimiler les bruits de la réalité. Il était encore un peu embrouillé par ce qu’il venait de subir.
« Tu n’as rien entendu ? »
Les bruits avait été sourds, manquant de faire perdre l’équilibre au garde, et Primaël n’en avait même pas eu conscience. Peut-être que ses ‘’paraboles’’ en question lui avaient permis de percevoir quelque chose de plus éloigné. Tasyaen secoua brièvement la tête en soupirant, il lui fallut encore un instant avant que sa vue soit moins trouble et que les battements de son cœurs reviennent à la normale. Il pencha son crâne en arrière, les yeux fermés, puis son regard écarlate coula vers son partenaire, tandis qu’il le dévisageait sans s’en dissimuler. Malgré son caractère imbuvable, le félin ne pouvait nier que son visage avait quelque chose d’apaisant lorsqu’il le regardait. Peut-être une mauvaise habitude qu’il avait prise durant les années où ils avaient vécu ensemble, et même aujourd’hui où ils arrivaient à peine à se dire bonjour sans se mordre le museau, il n’arrivait pas à pleinement détester son ancien amant.
Il tourna la tête pour venir observer derrière lui, et rien ne les avait suivis, laissant le duo dans l’ombre des racines. Tasyaen écoutait les alentours attentivement avant qu’une moue de vienne déformer son visage, c’était le calme plat. Le félin approcha une main légère en direction d’un des glooby qui se tenait sur Primaël, caressant doucement sa joue baveuse.
« Je vous ai fait peur, désolé. »
Son regard vint à nouveau croiser à nouveau celui de Primaël, il le soutint un moment avant de s’asseoir à ses côtés.
« Attendons encore un peu, pour être certain que ce n’était qu’une fausse alerte, soupira le félin en regardant un point invisible face à lui. »
Sa langue claqua nerveusement contre son palais, sûrement un tour d’une créature effrayée qui essayait de se protéger tant bien que mal. Parfois, ces avantages étaient aussi des inconvénients. Tous ses sens à l’affût, Tasyaen se permit tout de même une légère réflexion en penchant la tête en direction de l’aventurier, sondant son regard avec attention.
« Sûrement l’œuvre d’un farceur. »
Enfin, il se releva en tendant sa main dans sa direction pour l’aider à se relever, mais avant qu’il ne le réalise, des fils de soie serpentèrent autour du duo avant de les emprisonner tous les deux l’un contre l’autre. La toile gluante et plutôt solide empêcha tout mouvement qui leur permettrait de se débattre. Et dans une position plutôt inconfortable, le premier mauvais mouvement de l’un d’eux, les firent basculer et ils se retrouvèrent tous les deux sur le sol. Tasyaen souffla profondément par le nez, sur le dos.
« Super… »
- Des dragons fée. Il tenta de lancer un regard dans son dos, espérant ainsi échapper à ceux de Tasya. - Ce que tu entendais tout à l’heure c’était probablement des dragons fées. Pas d’autres explications. Subitement, il s’agita dans la toile, obligeant ses épaules à produire un mouvement de haut et de bas, bientôt suivit par ses hanches. - Ca par contre, ça n’a rien d’un dragon fée et si tu veux mon avis, ça a bien envie de faire de nous un casse dalle. Je sais pas toi, mais moi je suis pas franchement disposé à finir en merde de trappeur. Alors désolé pour le désagrément. Ses efforts redoublèrent, il soupira sous l’effort, bomba le dos dans l’espoir d’élargir les fils voire de les déchirer mais rien n’y fit et sa joue retomba contre le torse en dessous de lui. - Fais chier… Sans danger hein. La prochaine fois ils iront les chercher eux-mêmes ! S’agaça-t-il de plus belle.
En haut de l’arbre, un lourd craquement retentit, comme un pas traînant. Sans avoir besoin de tourner la tête Primaël devina ce qui était lentement en train d’approcher. Sans crier gare ses doigts filèrent trouver la ceinture du soldat, caressant sa peau de la pulpe des doigts par inadvertance sans jamais rien trouver.
- Un garde sans couteau ? Grogna-t-il en se tordant pour essayer d’accéder à l’autre côté de sa hanche. Il ignora du mieux qu’il put la chair délicate, attirante qui pulsait d’une douce tiédeur et l'araignée géante qui les observait l’y aidait grandement. La réponse de Tasyaen fut sans équivoque ; “La botte, sous la semelle”. Le tout dans un grognement qu’il lui sembla connaître sur le bout des doigts. Loin d’être un parangon de souplesse, l’aventurier prit sur lui de tordre sa carcasse alors que son comparse essayait de son côté de lui rendre son pied plus accessible. Sa main longea d’abord sa cuisse couverte par la toile de son pantalon, remonta le long de son mollet avant d’atteindre la cheville.
Les sens de Primaël étaient en ébullition, son instinct de survie lui hurlait de s’activer, de trouver cette foutue lame dans les plus brefs délais avant qu’ils ne finissent tous les deux par se faire bouffer comme des petits pains. Mais l’autre partie de lui, celle aventureuse et un peu idiote, lui indiquait de prendre un moment, de continuer à laisser sa dextre courir sur son ancien ami. Il songea même à le faire retomber dans ses filets pour l’unique plaisir de le jeter avec toute la violence dont il était capable. De le faire souffrir au moins autant que lui avait souffert. Une lueur de colère passa dans son regard, sa main inerte sur sa jambe, il l’observa sans mot dire comme s’il cherchait à sonder son âme. Son visage se pencha, légèrement mais suffisamment pour faire basculer leurs poids du corps vers l’avant, comprimer la poitrine de Tasyaen et alors que leurs lèvres allaient se rencontrer ses doigts trouvèrent enfin sa botte et la couture qui les mènerait à leur salut. - On reprendra ça plus tard. Son air redevint dédaigneux et il laissa la lame lui tomber dans la paume de la main avant de se mettre à couper les fils un à un.
Par chance ces derniers étaient solides, trop pour en briser autant à main nues, mais ils ne firent pas long feu face à la lame affutée du soldat. Rapidement libéré de leurs entraves, Primaël ne laissa pas le temps au roux de dire quoi que ce soit et se releva d’un bon. Le fer de sa lame gémit le long de son fourreau lorsqu’il la tira. Il joua avec la garde entre ses doigts, échauffant ses muscles avant un éventuel affrontement. Cette créature n’était pas réputée pour son art du combat, à vrai dire, sans ses fils elle n’était plus vraiment dangereuse. Cependant au cours de sa carrière le jeune noble avait eu l’occasion de croiser des réactions inattendues chez les animaux et ne comptait pas se laisser prendre à nouveau.
- Dans le genre plus moche que méchant ça s’impose cette bestiole. Tu vois un collier ? Ou celle-là personne l’attend à la maison ? Le tranchant de son épée scintilla sous un faible rayon de soleil à travers le feuillage alors qu’il arma sa garde. - Je tiens pas à vérifier.
Ses pieds s’imprimèrent sur le sol pour stabiliser ses appuis mais alors qu’il allait s’élancer pour atteindre sa cible, ses bras furent parcourut de spams, ses jambes devinrent du coton et il rattrapa son épée juste avant qu’elle ne tombe sur le sol. - Le koutoulou… Articula-t-il avec peine alors qu’une illusion d’horreur se peignait sous ses yeux. - Le koutoulou est avec lui. Ils sont du centre tous les deux. S'il savait que tout cela ne tenait que de la magie, une peur indicible creusa un trou béant dans son estomac. Il recula d’un pas. - Je l’ai vu. Juste avant que… L’illusion. Juste avant qu’il lance l’illusion. Mais je ne le vois plus. Je ne vois plus rien. Oh oui, Primaël avait parfaitement conscience que rien n’était réel et qu’il ne s’agissait là que de l'œuvre de la petite créature. Pourtant, plus que jamais, il aurait aimé retrouver la chaleur des bras de sa mère ou de l’âtre d’une cheminée, emmitouflé sous une couverture en bonne compagnie. Peu importe. Tout ce qu’il voulait c’était se sentir en sécurité et voir. Juste voir. Étrangement son vœux fut rapidement exaucé sauf que lorsque son sens revint, il ne se trouvait plus dans la forêt mais dans la grande salle de la maison familiale des Alkh’eir.
- Tu es si décevant fils. Annonça son père d’une voix calme.
- J’avais de grands espoirs pour toi. Surenchérit sa mère.
- Nous avons bien fait de ne pas miser sur toi. Dirent-ils en cœur.
- J’ai fait tout ce que vous vouliez. Je suis devenu excellent dans mon domaine.
- Tu es médiocre. La voix de Tasya résonna à ses tympans comme un glas funeste.
Les dents serrées, Primaël se tourna dans sa direction. Le regard vide, la copie de son ex-compagnon le fixait.
- C’est faux.
- C’est pour ça qu’ils s’en vont tous. Entamèrent les trois copies d’une même voix.
- Ça suffit !
Comme si elle répondait à ses ordres, l’illusion s’interrompit. Primaël posa une main sur ses tempes et les massa.
- Je vais buter ce Koutoulou, en faire des maki et les faire bouffer à sa soigneuse. Cracha-t-il avec véhémence avant de se rendre compte que personne ne lui répondait. - Tasya ? Le silence lui répondit. - Tasyaen ?
- Je suis là. Mais lorsqu’il se retourna, ce ne fut pas le rouquin qui l'attendait. Mais une créature couverte de bouches, elles-mêmes remplit de crocs acérés. - Je suis là. Je suis là. Je suis là. Je suis là. Je suis là. Je suis là. Répétait sans cesse la monstruosité chantante.
- Tasya ! Tue moi ce putain de Koutoulou ! Hurla-t-il en espérant que sa voix pouvait parvenir au-delà de l’illusion de la créature et que son corps ne soit pas tout simplement tombé inerte sur le sol, prisonnier de son propre esprit. - Blesse le. Détourne son attention, je m’en fou mais fait que ça s’arrête ! Et alors qu’il parlait, peut-être vainement, la monstruosité se jeta sur lui.
Il se fit tout de même la réflexion que le centre s’était montré particulièrement désorganisé et irresponsable pour laisser des créatures aussi dangereuses dans la nature, pouvant impliquer des dégâts bien plus graves si l’on constatait le déchaînement de ces créatures. Il allait sans dire que si certaines étaient en effet complètement inoffensives, ce n’était absolument le cas de celles qu’ils venaient de rencontrer. Comme souffrant d’une longue agonie, le félin se laissait guider par le rythme de balancier de l’aventurier tandis qu’ils étaient encore attachés l’un à l’autre.
Lorsque les liens impétueux cédèrent sous le tranchant de la lame, un grognement se fit entendre du côté du garde qui prit le temps d’enfiler des gaines en cuir qu’il attacha autour de ses poings.
La scène se passa alors très vite, bien trop vite, tandis que les créatures se scindaient pour les mener à leur perte. Le tintement de l’épée sur le sol fit aussitôt réagir le félin qui se plaça d’un mouvement devant l’aventurier pour faire barrière de son corps. Comme un automate, la créature se détacha du bois de l’arbre, s’animant dans un orchestre désaccordé de craquements dangereux. Il avait faim, retrouvant les traits sauvages de l’instinct, où la chasse n’était que sa survie dans un milieu aussi inhospitalier que l’était la forêt. Un être primitif qui venait d’oublier toute affection pour l’homme qui l’avait nourri.
« Cette histoire commence sérieusement à me gonfler, ronchonna-t-il entre ses dents. Certains vont m’entendre. »
Ses orbes fendus jetèrent un bref regard dans la direction de l’aventurier qui s’était tétanisé. Le cuir alors grinça lorsque ses poings se fermèrent. Les oreilles pointaient vers l’avant, tandis que chaque bruit faisaient tressauter le félin. Faisant rempart de son corps, le trappeur avançait lentement, faisant craquer ses membres en bois à chaque pas. Mais le koutoulou restait complètement invisible. Il pouvait néanmoins sentir la faible odeur marine qui se dégageait dans l’air, marquant bien sa présence dans les environs.
« Prim ? Prim ! »
Sans succès tandis que l’aventurier était enfermé dans les limbes d’une illusion tortueuse, sourd à la moindre manifestation extérieure. La petite créature ne devait pas être bien loin pour avoir réussi à atteindre son partenaire, s’il se souvenait bien, le koutoulou ne pouvait faire fonctionner son pouvoir qu’à condition de toucher sa cible. Il ne fallut que cet écart, ce simple regard jeté en arrière tandis qu’il contournait Primaël pour chercher cette satané créature. Oui, il n’avait fallu que ce simple clignement de paupières pour que le trappeur charge en direction de son ancien amant.
Tasyaen se maudit intérieurement et jura également de maudire toute la descendance des soigneurs du centre.
Les larges mandibules claquaient furieusement à quelques centimètres du visage de l’aventurier, s’acharnant pour atteindre sa proie, mais incapable d’avancer davantage. Le garde l’avait saisi par la taille pour l’empêcher d’aller plus loin. Lorsqu’il fut sûr de sa prise, son poing brisa la faible défense en écorce qui le protégeait. Le trappeur recula tandis que son armure venait d’exploser, le laissant à nu. La bouche de la créature commença à sécréter des liens visqueux blancs qui serpentaient rapidement sur le sol.
« Je ne crois pas non, siffla le félin. »
La botte renforcée d’une plaque en métal s’enfonça dans l’horrible visage du trappeur qui s’écroula assommé. Lorsqu’il fut assuré qu’il ne se relèverait pas de sitôt, Tasyaen l’abandonna pour revenir aux côtés de Primaël, prenant ses épaules à deux mains il le secoua légèrement. Sa voix s’était soudainement faite plus douce. L’aventurier semblait être rentré en état de stase où il était impossible d’atteindre les portes de son esprit.
Délicatement, il saisit son visage dans la coupe de ses mains pour essayer de capter son regard qui s’était éteint dès lors qu’il s’était fait piéger dans l’illusion.
« Prim… »
Le militaire regarda par-dessus son épaule avant de constater un tentacule qui s’était enroulé autour de la cheville de Primaël. L’ombre dominante des racines avait rendu sa présence presque invisible pour que dans le feu de l’action ils ne soient pas en mesure de le repérer. Tasyaen s’accroupit face à la petite créature qui apparut timidement à la lumière. Le félin tendit sa main vers lui, et une petite patte griffue vint la saisir.
« Tu as eu peur, c’est pour ça que tu t'es attaqué à nous ? Murmura-t-il doucement pour ne pas l’effrayer. Nous sommes là pour te ramener, tu n’as rien à craindre. Tu peux relâcher mon ami ?»
Le petit koutoulou, un très jeune aux vues de sa taille, se glissa contre les jambes du garde qui l’attrapa pour le déposer sur son épaule. L’emprise relâchée, Tasyaen enroula ses bras autour de la taille de l’aventurier si celui-ci venait à tomber lors du choc où il regagnerait ses esprits. Le félin l'aida à s’asseoir contre l’arbre le temps qu’il se remette pleinement de ses émotions. Il réfrénait ses envies de tendresse, manquant de venir caresser sa joue. Ces marques d’affection lui étaient interdites désormais, et il n’en connaissait toujours pas les raisons qui les avaient poussés à la situation dans laquelle ils étaient aujourd’hui.
Un profond soupir traversa ses lèvres, et à défaut de ne pouvoir conserver ce contact, il s’assit à ses côtés. Se rappelant douloureusement ce moment où il l'avait repoussé, le marquant dans sa poitrine au fer rouge. Peut-être que tout ne s'était pas totalement estompé avec le temps.
Soigneusement, il fit taire ses doutes, les scellant au plus profond de lui pour venir pencher la tête en direction de l'aventurier.
« Ça va ? »
Son corps refusait de se mouvoir alors que la monstruosité chantante continuait de répéter une litanie ininterrompue de “je suis là, je suis là…” avec la voix de Tasyaen. Pourtant elle ne cessait de se rapprocher, réelle et bien vivante. Bientôt, elle ne tarderait pas à prendre son dernier appuis pour se jeter dans sa direction et il finirait inévitablement dévoré par une ou plusieurs des bouches qui jalonnaient l’anatomie de la créature. Tendu comme un arc, ses muscles refusaient pourtant de lui obéir, se contractant sans amorcer l’ombre d’un mouvement. “Putain d’illusion !” Hurla sa conscience alors que peu à peu, la peur se faisait plus grande. Se répéter sans cesse qu’il ne s’agissait que de magie ne suffirait pas à repousser toutes les émotions qui se frayaient un chemin tortueux jusqu’à son esprit. Alors il ferma les yeux. Que pourrait-il bien se passer une fois que la créature, chimérique, aurait attaqué ? Rien. Voilà la seule réponse.
Sans surprise, l’impact ne vint pas et les sons qu’ils entendaient revinrent un a un. Les sensations également, comme la poigne ferme de Tasya sur ses épaules. Toutefois le pouvoir du koutoulou était encore actif. Parler ne changeait rien, personne ne l’entendait. C’était comme frapper à grands coups aux portes de son esprit sans que personne ne le voit. Puis soudain la pesanteur reprit ses droits et ses jambes, de coton, vacillèrent tandis qu’il s’affaissait contre le torse du garde. Il se laissa docilement installer contre l’arbre, regrettant presque le contact des mains sur ses hanches. Le visage aussi blanc qu’une lune, les yeux encore vitreux d’un songe trop agité, Primaël garda longuement le silence.
- J’ai connu mieux. Murmura-t-il les dents serrées. Il prit une grande inspiration avant de poser les yeux sur le koutoulou. Un jeune individu sans aucun doute. - Je t’aurais passé au fil de l’épée si nos places avaient été inversées. Retiens bien ça. L’animal s’agita et enlaça le visage de Tasyaen de ses petites mains griffues. - Crois moi, il n’aurait pas été là pour sauver tes tentacules. T’as été élevé par des humains non ? Tu t’es pas dit qu’on était là pour venir te chercher et pas pour te bouffer ? Imbécile de créatures. Gronda-t-il de plus belle avant de se lever d’un bon.
Primaël fulminait. Il ne supportait pas le fait d’avoir été mis en défaut, de s’être retrouvé vulnérable et cela encore plus en présence du soldat. Pis encore, si Tasya n’avait pas été présent, il aurait fini dévoré par un trappeur. Qui aurait pu songer que ces deux créatures feraient amis amis ? Pas lui c’était certain. Et puis il y avait ses souvenirs. Bien qu’illusions, ils lui avaient semblé atrocement réels. La voix des personnes qui y avaient été créées étaient identique, leurs traits étaient de parfaites copies et leurs discours… Le jeune noble chassa ses pensées d’un revers de main, ça ne faisait qu’augmenter l’ampleur de sa colère. Il aurait voulu s’en aller, sur le champ. Ne plus jamais remettre les pieds dans cette ville, près du centre ou dans le périmètres où évoluait Tasyaen.
- Alors c’est ça ? Le centre du Village Perché, j’espère qu’vous gérez pas toutes vos institutions de la même façon.
Ce que Primaël savait faire de mieux pour cacher ses propres faiblesses, c’était d’en créer aux autres et en ce domaine il était excellent. Détourner l’attention d’un problème pour en soulever un autre. La majorité des gens se laissaient berner, s’agaçaient en tentant de défendre leurs propres erreurs, d’autres s’excusaient carrément. Dans un cas comme dans l’autre, tout ce que voulait Priam, c’était qu’on ignore les siennes.
- On va déjà ramener ceux-là, on avisera les autres ensuite. Fouillant dans son sac, il en retira une corde qu’il noua autour de l’abdomen du trappeur. Il la posa ensuite sur son épaule libre -celle ou les glooby encore tout chamboulés par l’affrontement ne se trouvaient pas et commença à tracter. - Merci. Grommela-t-il tout de même à l’attention de son ex compagnon. En vérité il aurait aimé être plus véhément à son encontre, lui dire qu’il était un incapable doublé d’un imbécile et qu’il ne méritait aucunement sa place à un quelconque grade au sein du Village Perché. Mais c'eût été un mensonge et malgré toute la colère qu’il pouvait ressentir à son encontre, il ne fût pas capable de lui voler dans les plumes. Ainsi il se tut et rebroussa chemin.
Le trajet retour se passa en silence. Primaël n’était pas disposé à faire la conversation. Il ressassait encore et encore les images de l’illusion du Koutoulou, sans démordre de la colère qui le rongeait au simple souvenir de la médiocrité dont il avait fait preuve. Aussi lorsqu’ils arrivèrent au devant du centre et que l’un des soigneurs s’approcha, il abandonna la carcasse toujours évanouie du trappeur pour saisir l’homme à la volée, le soulevant par le col malgré les quelques centimètres qui les séparaient.
- Inoffensifs hein ? L’homme ouvrit de grands yeux en apercevant le corps de sa créature.
- Vous avez tué Bolo ?
La colère enflamma les iris du blond qui saisit à deux mains le morceau de tissu.
- Je vous dis que votre merde à faillit nous buter et tout ce que vous me dites c’est ça ? Gronda-t-il en réponse.
- C’est votre travail !
- Notre travail ? Il est garde ! Il pointa du doigt Tasyaen. - Garde ! Pas nounou pour votre putain de bétail ! Bétail que vous êtes incapable de protéger ! Et moi j’ai pas aspiré à être un encas pour vos bestioles ! Le ton de Primaël était largement monté lorsqu’il relâcha enfin le col du soigneur. - Il est juste assommé. Remerciez le lui, si ça n’avait tenu qu’à moi je vous l’aurait ramené en petits morceaux. Et il tourna les talons après avoir délicatement déposé les glooby sur le sol. Les sourcils froncés, il se dirigea vers Tasya qu’il esquiva de justesse, s’arrêtant à sa hauteur. - On trouve les derniers et on rentre. J’ai besoin de boire. Pas de l’eau. Sinon je sais pas ce que je vais faire à leur centre de malheur. Et il s’en retourna à la prairie après avoir récupéré sa corde.
« Prim, calme-toi, l’ordre claqua sèchement. »
Il fusilla ensuite le soigneur du centre par-dessus son épaule, son regard se faisant menaçant, lui aussi tout particulièrement remonté qu’on puisse le prendre pour un imbécile. Sa lèvre supérieure se retroussa légèrement, tandis que ses crocs luisants reflétaient la lumière ambiante. La pupille sombre s’était résorbée jusqu’à ne faire plus qu’un mince filet dans la prunelle écarlate, rendant la menace encore plus réelle. L’homme recula face au danger que pouvait représenter le félin.
« N’allez pas croire que nous allons en rester là. Il est évident que votre centre peut représenter un danger pour la population. Mais je me permettrai d’en discuter de vive voix avec le responsable. »
La voix s’était faite basse, glaçante, une menace sous-jacente. Tasyaen contenait difficilement sa colère, la main tremblante contre le torse de son partenaire. Mais par égard pour son rôle, il se contenait pour ne pas exploser. Primaël avait été mis en danger, n’importe qui d’autre n’aurait peut-être pas eu leur chance. Il lança un regard de dédain vers le cadavre comateux du trappeur, tandis que son ancien amant se déroba de la main du garde pour l’esquiver. Il lui emboîta le pas, ne se retenant pas d’ajouter.
« Le prochain qui nous fait le coup, je peux vous assurer qu’il ne finira pas dans cet état. Ce sera pire. »
Dissimulés des regards, Tasyaen saisit le col de l’aventurier en le repoussant contre le mur, les oreilles plaquées contre son crâne, et les sourcils froncés au-dessus de son regard. Il le maintint fermement pour ne pas qu’il lui échappe, à force il commençait à le connaître, et ça allait être à celui qui gueulerait sûrement le plus fort.
« C’était quoi ça ? Fit le félin réprobateur. J’sais que c’est de la merde le boulot qu’ils nous ont refourgué. Mais c’est NOTRE taff, comme il le disait. Tu t’es peut-être retrouvé en danger mais c’est les risques du métier ! Tu le savais sûrement en t’engageant en tant qu’aventurier, Prim. Notre but maintenant c’est qu’aucun civil ne se retrouve dans notre situation. Alors maintenant tu vas arrêter de faire ta putain diva. Et on va finir ce boulot de merde. »
Il le relâcha en se pinçant l’arête du nez pour inspirer longuement afin de se calmer, relâcher la pression. En réalité, le félin n’était pas vraiment en colère contre l’aventurier, c’était la situation où il avait manqué de le perdre. S’il avait su garder son sang-froid lors de l’attaque, le contrecoup se présentait face à la colère de Primaël. Finalement, le garde se détourna pour ne pas laisser la parole dépasser sa pensée, et le regretter.
« Je suis rassuré que t’aies rien, conclut-il dans un murmure presque inaudible. »
La tête basse il reprit son chemin vers la clairière où le gloot attendait encore patiemment dans sa petite cage. Le félin se baissa pour la ramasser avant de jeter un regard vers l’intérieur pour vérifier l’état de l’animal puis le reposa en remarquant que la créature s’était tassée sur elle-même en voyant l’ombre du garde. Il posa une main sur sa hanche regardant autour de lui, décomptant le nombre de créature qu’ils avaient ramenés. Il n’en restait plus tant que ça, mais il craignait que le dragon fée recommence à l’enfermer dans l’étau de son pouvoir, altérant ses sens.
Le félin avança prudemment vers l’orée de la forêt, pénétrant dans les feuillages mais la puissante odeur de bois humide satura son odorat, et il recula rapidement tandis qu’il entendait les battements du sang dans ses tempes. Et comme amplifié, il crut que sa tête allait exploser, un râle douloureux s’échappa de ses lèvres. Mais à peine fut-il sorti que tout redevint comme avant. Visiblement, pénétrer sur son territoire allait devenir compliqué pour le garde. L’aura menaçante du garde n’aidait pas la créature à se sentir en sécurité maintenant que la colère faisait tendre ses muscles.
Baissant les bras, il se retourna vers l’aventurier.
« J’te le laisse lui, il veut pas de moi, grommela-t-il d’un ton las. »
~
Lorsque le duo se représenta à l’agent du centre pour déposer les dernières créatures durement attrapées, bien que sans encombres cette fois-ci, ils déposèrent les cages ainsi que la liste remplie. Le visage du garde était fermé. Sans s’en rendre compte, il se cramponnait à l’épaule de Primaël pour ne pas vaciller.
« Je vous ferai parvenir une copie de mon rapport, il va falloir que vous trouviez une solution mais le centre représente un véritable danger pour les civils. Renforcez la sécurité pour ne pas qu’ils s’enfuient à nouveau. »
Avec un léger coup d’épaule, Tasyaen fit signe à l’aventurier de l’aider à avancer pour quitter cet endroit maudit. Le dragon fée continuait à user de son pouvoir, rendant le félin complètement inapte alors que sa réalité était maintenant distordue. Il crevait d’envie de planter son poing dans la cage pour l’assommer, mais c’était un coup à ce qu’il explose littéralement la pauvre créature. Lorsqu’ils furent hors de vue, le garde tomba sur ses genoux, se remettant lentement de l’emprise de la créature. Il ferma les yeux un moment en prenant une longue inspiration.
« Je suis pas contre un détour par une taverne, acheva-t-il. »
Lorsqu’il rouvrit les yeux, il releva son regard vers Primaël non sans étirer un léger sourire. Le travail maintenant terminé, ils étaient bien en droit de s'octroyer leur pause bien mérité. Même s'il doutait franchement que l'aventurier accepte de passer sa fin de journée à ses côtés.
« C’est ça ou j’écrase leur centre avec mes poings. »
Son regard planté dans les prunelles rouges du garde il fronça le nez avant de détourner le regard. Qu’aurait-il pu dire de plus ? Dans les faits, il était en tort et il le savait. Trop fier pour l’admettre, le silence lui sembla l’option du moindre mal et visiblement il n’était pas le seul à le penser. La main qui enserrait ses vêtements se relâcha peu à peu jusqu’à le libérer complètement. Il profita des yeux clos de son vis-à-vis pour s’appuyer contre le mur et reprendre contenance. Comme Tasya il inspira longuement avant de s’assurer que personne ne les avaient vu, auquel cas il était presque totalement convaincu que sa fureur ferait un nouveau boum. Par chance les environs étaient déserts. Il s’arracha au mur, passa à nouveau à ses côtés et fit mine de ne pas avoir entendu la phrase qui s'échappa de ses lèvres. “Laisse moi rire…” cracha sa conscience en dardant un regard furieux sur lui. Une partie de lui avait toutefois envie de le croire.
Aussi morose qu’un matin pluvieux, les deux combattants se dirigèrent à nouveau vers l’orée de la forêt. Malgré son envie pressante de regagner la cime des grands arbres de la cité perchée, Priam savait que leur corvée n’était pas terminée. Au delà du fait qu’il ne comptait pas laisser tout le travail à Tasyaen, il était également déterminé à toucher la somme rondelette qui lui avait été promise au début du contrat. Aussi lorsque son compagnon émit un couinement douloureux, il lui lança un vague regard en coin. Pas besoin d’être un génie pour comprendre de quoi il retournait. Ils s’étaient fréquentés suffisamment longtemps pour reconnaître ses faiblesses. Visiblement le dragon fée avait découvert la plus évidente.
- Je m’en occupe. Il se pencha pour ramasser une cage et claqua plusieurs fois des doigts de sa main libre avant de se fondre comme une ombre silencieuse dans le sous-bois.
Attraper le dragon fée ne fut pas la chose la plus compliquée. Le trouver cependant fût une autre paire de manches. Bien qu’élevé en captivité, le petit animal se montra terriblement doué pour se cacher et Primaël dû subir son pouvoir pendant de longues minutes, luttant contre son instinct avant d’enfin lui tomber dessus par le plus grand des hasards.
Après avoir ramené le petit animal, il accompagna bon gré mal gré Tasyaen jusqu’au soigneur. Ce dernier se cramponnait à son épaule avec tellement de ferveur qu’il n’eut pas le cœur de l’envoyer paître. Pour autant il ne décrocha pas un seul mot à leur correspondant et se contenta de le fusiller du regard comme si ses iris étaient des couteaux de lancé. Puis dès que le signal fut donné, il tourna les talons, lentement afin que le garde puisse le suivre sans révéler son affaiblissement. Il n’esquissa pas de mouvement lorsque qu’il tomba à genoux et se contenta de lui tendre la main pour l’aider à se relever.
- J’loge à l’auberge du centre ville. Ils auront probablement de quoi boire et manger. Je meurs de faim. Tirant sur son bras il aida Tasya à se relever avant de hisser de nouveau son sac sur son dos et de reprendre la marche.
Comme l’aller, le retour ne fut pas bien bavard. Primaël triait ses pensées une par une, s’obligeant à décanter sa colère. Il ne lui était plus utile de s’emporter à présent, tout était fini, bientôt il serait de nouveau sur la route loin du village perché. A travers le feuillage, le ciel avait pris une teinte violette parsemée de quelques zébrures roses et rouges. L’air s’était fait plus humide et malgré les larges troncs, un vent froid réussissait à faire grelotter l’aventurier. Il glissa ses bras sous sa cape et la garda fermement fermé tout le reste du trajet. Au bout de plusieurs heures, leurs pas les menèrent jusqu’à la place principale de la ville. Primaël aimait bien cet endroit, vivant mais pas trop bruyant, il regorgeait d’étales et boutiques en tout genre devant lesquels il aimait s’arrêter. Juste en face, à l’angle de la rue principale se tenait l'auberge dans laquelle il aimait séjourner lorsque le devoir l’appelait en ces lieux. Sans hésitation il se dirigea vers elle. La devanture était propre, pas particulièrement luxueuse. Les carreaux des fenêtres, fait de verres aussi boursouflés que colorés, permettaient de cacher les clients à la vue des badauds. Déjà un doux fumet s’élevait dans l’air. Primaël saliva instantanément.
- J’ai vraiment faim ! S’exclama-t-il alors que son ventre grondait d’approbation. - Vient. En quelques enjambées il se retrouva devant la porte de fer et de bois qu’il tira. Elle s’ouvrit dans un grincement joyeux et laissa filtré la mélodie d’un luth et d’un bendir. La chaleur, attirante, s’empara également de ses joues et de la pointe de ses oreilles, l’incitant à franchir le pas. Il le fit sans hésité, accueilli par l’ambiance animé de la petite taverne.
- Hey Prim ! Lança le tavernier, un homme bedonnant dans la cinquantaine.
- Eeeeh Emile ! Répondit le jeune homme sur le même ton, offrant un sourire parfaitement détendu. - Je m’installe avec mon ami. Compte moi une nuit de plus !
- C’bon mon garçon, allez vous installer à la table du fond. Il désigna une table juste à côté du feu. - Chef. Salua-t-il au passage de Tasyaen, reconnaissant sans difficulté l’uniforme -et très probablement les oreilles du garde.
D’un signe de tête, Primaël invita son ancien amant à le suivre et ils s’installèrent tous les deux. A peine eurent-ils posés leurs séants qu’une petite rouquine déboula comme une furie dans la pièce, s’arrêtant dans un freinage rocambolesque à leur table.
- Tu restes une nuit de plus ? C’est vrai ?
Bouche bée, le noble la dévisagea un moment avant de reprendre la parole.
- Je… Euuh. Oui. J’ai un boulot de dernière minute aujourd’hui et je n’aime pas voyager de nuit.
- C’est génial ! Ses yeux bleus pâles se tournèrent ensuite vers Tasya et son visage souriant se mua en une perplexité non feinte.
- Tasyaen, Anabella. Anabella, Tasyaen.
Ana était une jolie jeune femme. La vingtaine tout juste atteinte, elle possédait les cheveux cuivrés de son père qui lui tombaient en large boucle sur les reins et les orbes azurite de sa mère. Primaël et elle avait fait connaissance plus de trois ans auparavant, lors du premier séjour de l’aventurier dans leur auberge. Si il l’avait de prime abord trouvé envahissante et exubérante il avait finit par se prendre d’affection pour la jeune femme. Aujourd’hui de simples amis, Ana lui servait aussi bien de coursière dans la ville en hauteur que d’amie au coin du feu avec un bon verre d'hydromel. Ainsi, peut-être, une fois, avait-il laissé échapper ses déboires amoureux.
- Le Tasyaen ? L’interrogea la jeune femme avec un air qui semblait devenir un peu plus maussade à chaque seconde qui passait. Sans le perdre des yeux, elle tendit à Primaël une liasse de lettres. - Il y en a une d’elle, j’ai vérifié.
- Parfait. Je vais la garder. Il tria rapidement les lettres, repérant facilement l'écriture manuscrite et soignée de Xylia, vérifia qu'aucune ne provenait de la guilde et jeta les autres au feu. Personne en dehors de lui n’avait besoin de savoir ce qu’elles contenaient. Il le savait mieux que n'importe qui.
Remarquant qu’Anabella ne lâchait aucunement Tasya des yeux, il posa doucement sa main sur la sienne.
- Tu peux nous laisser s’il te plait ?
Elle émit un grognement et s’en retourna aux cuisines, non sans leur indiquer qu’elle leur ramenait vin et victuailles. Primaël la suivit des yeux avec un regard amusé qu’il dirigea bientôt sur le garde en haussant les épaules.
- J’ai toujours aimé les rouquins.
Le félin était certes impulsif, mais il ne restait jamais bien longtemps en colère, son caractère explosif n’étant au final que passager sur le moment, contrairement à l’aventurier qui était très certainement encore en train de se contenir. Marchant derrière lui, le garde se perdit un moment dans ses pensées, observant le dos de son partenaire, se demandant comment ils en étaient arrivés à ce point alors que leur relation allait pour le mieux lorsqu’ils se fréquentaient encore. Les pas silencieux du félin rendaient sa présence presque imperceptible, tandis que ses orbes rubis se baissèrent sur le sol, observant les rainures de bois usées. Maintenant que la lumière du jour se tamisait peu à peu, ses prunelles laissaient place à des pupilles rondes et sombres, tel de profonds abysses.
Lorsque ses billes écarlates remontèrent le long de la silhouette de Primaël, un vague sentiment douloureux traversa sa poitrine, sentiment qu’il prit soin de faire taire, sachant pertinemment qu’une fois que Primaël disparaîtrait dans peu de temps, et qu’ils ne se reverraient pas avant bien des lunes, juste le temps qu’il l’oublie avant qu’il ne refasse à nouveau surface dans sa vie comme une vague torrentielle et dévastatrice, écrasant l’harmonie qu’il aurait mis tant de temps à reconstruire. Tel un automate dont les lèvres restaient désespérément closes, au milieu d’un décor où les lumières se faisaient encore vacillantes, Tasyaen le suivait, non pas guidé par la faim – du moins pas seulement – se satisfaisant simplement de passer encore quelques heures en sa compagnie. Il s’étranglerait très certainement plutôt que d’en faire part à l’impitoyable aventurier, finissant très probablement muet par son pouvoir avant même que leur conversation ne s’étende, s’il s’y essayait.
Perdu dans ses pensées, il ne se rendit compte qu’il avait atteint leur destination que lorsque Primaël s’exprima sur les plaintes de son estomac. Le félin releva la tête curieusement, ses oreilles se dressant sur son crâne. C’était bien ce qui l’empêchait d’ignorer son entourage. Il salua poliment le patron de la taverne, mais ne fut pas le plus grand des bavards, se contentant de suivre les conversations d’une oreille distraite. Le félin s’installa à la table, accoudé, il déposa son menton dans le creux de sa main, observant les alentours, pensif. Tasyaen s’était mis à dévorer Primaël du regard, sa queue ondulant langoureusement dans son dos.
Il releva son visage lorsque la rouquine déboula en trombe à leur table. La saluant d’un léger signe de la main lorsque Primaël prit le temps de les présenter. Seulement, son regard se fronça légèrement lorsqu’elle semblait soudainement lui porter toute son attention. Un peu déstabilisé, le félin plissa les yeux, choisissant de soutenir puérilement son regard.
« C’est bien moi, fit-il consterné. »
Ses orbes carmin se dirigèrent vers Primaël, avant de marquer son visage d’un sourire aussi poli que charmant, déformant ses lèvres d’une grimace hypocrite. Mauvais comédien, il n’arrivait pas à dissimuler sa curiosité, tant que sa contrariété. Tasyaen appréciait très peu ces regards inquisiteurs qui lui étaient lancés sans qu’il n’en comprenne la signification.
« C’est toujours un plaisir de rencontrer quelqu’un qui semble déjà me connaître. »
Remarquant la proximité qu’ils entretenaient, le félin poussa un profond soupir en détachant son regard d’eux avant de lever les yeux au ciel à la dernière remarque de son ancien conjoint.
« Il me semble pourtant que celui que j’ai croisé dans ton lit était brun, rétorqua Tasyaen d’un ton sec. »
Il fit taire autant qu’il le put la jalousie dévorante qui le saisissait, prisonnier d’un enchevêtrement complexe de sentiments, il préféra ravaler sa langue, plutôt que de continuer à accabler l’aventurier de reproches. Leur histoire était vieille désormais, et il devait également réussir à en faire son deuil. Surtout qu’il n’était même pas certain que ce n’était pas juste sa possessivité qui parlait à sa place.
Quant à sa queue, celle-ci s’exprimait bien plus honnête que lui, se balançant nerveusement derrière lui, typique de l’agacement d’un chat. Le félin détourna son visage pour ne plus regarder l’aventurier, préférant jeter son dévolu sur la fenêtre, tandis que le ciel venait enfin de se couvrir de son voile sombre. Et presque certain que Primaël n’avait en rien envie de voir sa tête, l’envie de s’échapper de la bâtisse se faisait de plus en plus pressante.
Posant une main sur la table, le garde se leva.
« J’vais rentrer. T’auras qu’à passer demain pour récupérer la prime. »
Trop honnête pour faire semblant, Tasyaen préférait choisir la fuite plutôt que de se coltiner les faux semblants. Sans attendre de réponse, le félin se leva pour quitter la taverne, non sans un vague mouvement de la main pour faire ses adieux. Il joua sur le masque de l’indifférence, mais en réalité, au fond de lui, un véritable brasier venait de l’enflammer. Et si ses pas étaient toujours aussi silencieux, il donnait l’impression de briser le bois dès qu’il posait le pied sur le sol.
Il ne lui fallut pas longtemps pour faire un détour par le parc d’entraînement où plusieurs mannequins se tenaient encore droits. Le garde délaissa alors son sac, venant resserrer les gaines en cuir autour de ses poings à l’aide de ses dents, tirant dessus jusqu’à ce que la peau ne devienne blanche. Il avait ce besoin viscéral de se défouler. Il retira la veste de ses épaules, la laissant tomber sur le sol, dévoilant les muscles qui se dessinaient sous son teeshirt. Ses raisons étaient bien stupides, mais il ne pouvait s’en empêcher, le fait d’avoir revu Primaël l’avait forcé à prendre sur lui toute la journée. Il avait dû faire taire ses déceptions, et ses espoirs le temps d’une journée.
Le pied ancré dans le sol, son poing vint exploser la plaque en bois qui s’envola avant de s’écraser dans le sable un peu plus loin, il secoua légèrement sa main. La peau lui brûlait, la douleur pulsait le long des nerfs qui recouvraient ses muscles. Pourtant, à nouveau, un nouveau mannequin s’effondra sous ses coups qui se faisaient de plus en plus violents à mesure que le félin extériorisait sa colère qu’il ne comprenait qu’à moitié.
Puis qui était-il pour juger ? N’était-il pas le premier à se réconforter dans les bras de la première personne qui acceptait de l’enlacer ? À s’oublier dans des étreintes. Tasyaen ferma les yeux en soupirant, commençant peu à peu à sentir la tension de ses épaules se relâcher, tous les mannequins au sol, il se pencha pour les ramasser afin de les remettre en état pour les prochains qui viendraient s’y essayer.
Lorsque la colère semblait enfin l’avoir déserté, il se traîna jusqu’au premier banc pour s’y asseoir, étirant langoureusement ses muscles. Le félin laissa son visage se glisser dans sa main.
« Qu’est-ce que je fous… ? Grogna-t-il d'une voix étouffée.»
- A demain. Dit-il tout en suivant la courbe de sa silhouette qui disparaissait déjà, fuyant ses orbes azure comme si elles étaient le Fenrir en personne.
Peu de temps après Ana réapparu, une assiette fumante dans chaque main. Elle avisa de la table maintenant vide de son ami et lui déposa son repas avec douceur.
- Sauté de boucton, sauce divinam champignons et petites pommes de terre. L’autre imbécile est parti ?
Tout en se frottant les mains, le jeune noble plongea sa cuillère dans le plat et enfourna une bouchée, puis une seconde avant de soupirer longuement. Les yeux océan de la jeune femme ne le quittait pas, l’enjoignant à répondre et vite.
- Oui.
- Quel goujat !
- Je l’ai peut-être un peu trop titillé. Songea-t-il tout en prenant une troisième cuillerée.
- Il le méritait !
- Sans doute. Mais ça remonte à loin. Il est p’t’être temps d’arrêter de le chercher.
- Tu parles comme un grand-père.
- Je n’ai pas l’ombre d’une ride.
- Ton cerveau si.
Il leva les yeux au ciel et termina son repas en moins de temps qu’il ne fallait pour le dire. Sa conversation avec Ana perdura tout du long et rapidement elle ramena une bouteille de vieux rhum que son père gardait pour « de rares occasions ». Passé le cinquième verre les deux riaient à gorge déployée, refaisant le monde à grand coup d’imagination enivrées. Finalement, quand sa tête lui tourna suffisamment, Primaël décréta qu’il était temps pour lui d’aller se coucher. Anabella bien qu’aussi ivre que lui, tint à ramener chacune des assiettes et s’en alla clopin-clopant – surtout clopant - jusqu'aux cuisines où elle disparu. Lui aurait sans doute dû gravir les quelques marches qui le mènerait à sa chambre et c’est ce qu’il comptait faire. Mais lorsqu’il fut debout, ses pas se dirigèrent immédiatement vers la sortie et lorsqu’il le remarqua il avait déjà emprunté le chemin qui l’emmenait au bastion du Village Perché. Entrer ne fut pas difficile, marcher droit, aligner trois mots correctement et présenter sa plaque d’aventurier furent ses seules missions et il les effectua avec brio. La seconde étape était de trouver le soldat et pour ça, il lui fallut se replonger dans les méandres de leurs souvenirs. Loin d’être une mince affaire, il se souvint toutefois sans grandes difficultés qu’il adorait se défouler lorsqu’il était en colère. Les années avaient pu le changer mais il décida qu’au moins cela lui permettrait de s’aérer un peu l’esprit. Il marcha un moment, les mains dans les poches, observant les alentours comme s' il se promenait dans sa propre salle à manger. Puis il tomba enfin sur ce qu’il cherchait : un petit chaton coléreux en train de jeter son dévolu sur des mannequins innocents. D’un claquement de doigt il supprima sa présence et avança dans l’ombre, là où les cristaux de lumière dissimulaient sa présence.
Tasyaen avait toujours sut gagner son respect en matière de combat, sa force et sa combativité étaient de celles qu’il appréciait. L’avoir dans la même escouade était rassurant, il n’abandonnait pas ni sa mission ni ses camarades. Sa dextérité était toujours parfaite, sa force avait grandi et quoique pu en dire Priam le voir combattre était un spectacle dont il ne se lassait pas. A vrai dire il ne se laissait jamais de voir ses muscles saillir sous ses vêtements, de voir la sueur perler sur ses tempes et son dos. Une chemise ne l’avait jamais empêché d’imaginer ce corps qu’il avait vu sous toutes les coutures. Alors il resta dans l’ombre, à apprécier. Malheureusement toutes les bonnes choses avaient une fin et le spectacle s’arrêta avant même qu’il n’ait eu le temps d’en apprécier toute la splendeur. Interdit, il l’observa se traîner jusqu’à un banc sur lequel il s’étira.
« Qu’est-ce que je fous là, exactement ? » se demanda-t-il sans que rien ni personne ne puisse lui apporter la réponse. De nouveau son corps décida pour lui et il avança dans sa direction, toujours dans un silence inégalable. Ce ne fut que lorsqu’il se trouva dans son dos qu’un nouveau claquement retentit, révélant sa présence.
- Tu essaies de fuir. Je crois. Murmura-t-il à son oreille avant de contourner le banc pour lui faire face. - Tu m’as faussé compagnie tout à l’heure et ce n’était pas franchement poli. Le surplombant aisément, il abattit chacune de ses mains de part et d'autre des épaules du garde, sur le bois. - Tu es toujours un incorrigible idiot. Tempêta-t-il sans lui laisser le temps d’en placer une. Il se retira enfin pour poser un genou à terre en face de lui. Aussi vif que le lui permettait son taux d’alcoolémie, il attrapa la dextre du rouquin et la porta à hauteur de ses yeux. - Au moins la peau n’est pas entamée. Il défit la bande pour exposer la peau rougie par l’effort. Dépliant sa paume, il apprécia ses callosités bien connues et la rugosité de sa peau. Pendant quelques instants il l’imagina, effleurer sa joue, défaire le lien de ses cheveux et empoigner sa nuque. Son regard brilla faiblement et il ouvrit la bouche avant de la refermer. Il abandonna également la main qu’il avait retenue et se releva, replongeant ses mains dans ses poches. - Bref, j’venais juste m’assurer que t’étais bien rentré. C’est visiblement chose faite. Bonne soirée.
Primaël avait envie de se taper la tête contre un mur. Qu’est-ce qui lui avait pris de venir ici ? De servir un tel discours ? Il se serait coupé la langue s' il avait pu. Peut-être qu’il aurait dû utiliser son pouvoir sur sa propre personne. Toujours est-il que lorsqu’il tourna les talons il ajouta, non sans bougonner. - Je n’ai jamais couché avec Ana. C’est une amie. Juste une amie. Et il se détourna.
Surplombé par le corps de l’aventurier, Tasyaen se laissa presque manipuler sans broncher. Pourtant bien sur la défensive, en attente du moindre faux pas qui ferait exploser le félin. Le pouvoir de son amant serait sûrement bien utile lorsqu’il se mettrait à l’abrutir de reproches qui outrepassaient de très loin sa pensée. Et aussi étrange que cela pouvait laisser paraître, il était toujours aussi docile en présence de Primaël, tel un animal si bien dompté. Des réflexes qui lui étaient maintenant bien ancrés.
Les prunelles s’entachèrent de la pupille qui s’étrécissait alors qu’il posait son regard, puis bientôt, un sourire mauvais, presque de dédain vint marquer les lèvres du garde, alors que des frissons serpentaient sur sa peau à chaque endroit qu’il avait frôlé.
« Et toi, tu as toujours eu un don certain pour provoquer les gens, cracha-t-il. Tu devais certainement préférer que je te retourne la table à la figure. »
Il referma frénétiquement sa main à plusieurs reprises pour assurer sa motricité, avant qu’il ne vienne lui lancer un regard interloqué, incapable de savoir sur quel pied danser alors qu’il devait très certainement s’amuser de ses réactions. Confus, le félin détourna son regard pour ne pas le laisser voir à travers lui. Il retira enfin sa main d’un mouvement sec. Son contact avec la peau de Primaël l’avait brûlé, et il pouvait encore sentir la rémanence de son toucher. Il mourrait à l’idée de revenir épouser la forme de sa joue, retrouver le derme doux contre sa main. Interdit, il finit cependant par reporter son attention sur le visage de l’aventurier, son regard étant redevenu impénétrable et sévère.
« Je ne comprends pas, jusqu’à preuve du contraire, tu ne me dois aucun compte. Et tu ne t’es jamais gêné pour me le faire savoir. »
Les orbes noirs n’étaient maintenant qu’un mince filet au milieu des rubis luisants, et la porte de prison venait de se refermer lorsque le visage du félin venait de revêtir son masque de froideur. Son ton s’était fait bien plus bas, et il finit enfin par se lever pour attraper le poignet de son ancien amant afin de le repousser contre le mur le plus proche. À présent, Tasyaen le dominait de toute sa hauteur, afin de l’empêcher de lui échapper. Depuis le début de la journée, Primaël jouait avec les mots, déconcertant le félin qui cherchait à démêler les pièges qui lui étaient tendus. Et lui aussi devait trouver ça très certainement stupide de se demander si le garde était bel et bien rentré sauf alors que la caserne n’était qu’à quelques minutes de l’auberge dans laquelle il séjournait, Tasyaen n’était pas de ceux qui devaient être surveillés. Il y avait donc quelque chose d’autre qui se jouait et c’est ce qui échappait totalement au félin.
Seulement, la parole ne vint pas, car il savait qu’une fois que le garde aurait posé ses questions, l’aventurier aurait tôt fait de devenir aussi muet qu’une carpe, il savait très bien se montrer aussi agaçant que l’était son pouvoir. Un souffle chaud s’échappa de ses lèvres, alors que son odorat était légèrement saturé par l’alcool qui émanait de son ancien partenaire. Tandis que sa colère froide semblait électrifier l’air autour de lui, Tasyaen pencha la tête sur le côté afin de capter son regard. C’était l’état le plus inquiétant du garde où rien ne pouvait l’atteindre, devenant un rempart de glace impénétrable.
« Tu t’amuses sûrement Primaël, grinça-t-il en appuyant bien sur son nom. Mais ne joue pas à la girouette avec moi, tu vas finir par y laisser des plumes à tester les limites de ma patience. »
Comme pour illustrer sa parole, il glissa lentement son visage le long de la ligne de la mâchoire jusqu’à ce que ses lèvres soient proches de son oreille. Une main se posa sur la poitrine de l’aventurier pour le maintenir et l’empêcher de lui échapper, devenant alors une véritable cage. Leurs corps étaient si proches, mais Tasyaen prenait soin de garder la distance pour ne pas le toucher. Une nouvelle tension indescriptible s’installa entre les deux hommes, le félin ne relâchant rien. Lorsqu’il fut certain de sa prise, il reprit tout bas.
« Je sais pas que ce que tu cherches à me prouver, ni même à toi-même en fait. Mais de nous deux, le premier à avoir fui, c'est toi. »
Langoureusement, il vint déposer sa tête contre son épaule, frôlant délicatement le creux de son cou, où son souffle chaud y déposa une caresse chaste. Le félin était partagé entre son sens commun et la passion qui déchirait ses entrailles à l’idée de posséder ce visage sous sa coupe. Inexorablement attiré tel un insecte vers la lumière, son côté rationnel était peu à peu dévoré par sa colère. Rongé par ses sentiments complexes, il revint faire face à l’aventurier, appuyant son front contre le sien.
« Ne viens pas me reprocher l’huile que tu as jeté sur le feu. »
À ces mots, il se redressa et ses lèvres s’écrasèrent sur les siennes, impérieuses. Elles venaient dominer l’échange. Son corps se pressa contre le sien, lorsque sa deuxième main exigeante se glissa dans sa nuque pour relever son visage, la première s’échappant de son poitrail pour venir épouser la courbe de sa joue. Peu à peu, Tasyaen, se montra plus doux, mais toujours aussi implacable lorsque leurs souffles s’échangeaient entre deux baisers langoureux. Un échange où il partageait tant ses ressentiments que ses incertitudes.
Autant qu’il put, il résista à la poigne de son amant, gigotant sous sa main, faisant barrière aux soupirs qui menaçaient de franchir ses lèvres. Ses vêtements couvraient heureusement les milliers de frissons qui parcoururent son corps par vague mais rien ne dissimula son visage qui piquait déjà quelques fards. Son corps tout entier lutta contre un abandon contre lequel, il le sait, il ne se battrait pas avec toute sa férocité. Car il était bien trop bon d’y céder. La colère de Tasya brûlait d’un feu vif qui fit s'enflammer celui de l’aventurier, sa chaleur le lécha comme une langue, remontant dans son cou par son souffle avant de venir incendier son front. Puis le brasier explosa alors qu’il vint écraser ses lèvres contre les siennes. Primaël le haïssait pour ça et il l’adorait aussi. D’abord interdit, il ne résista pas longtemps et bientôt sa dextre vint rejoindre sa jumelle sur sa joue pour entrelacer ses doigts aux siens, l’autre quant à elle vint se glisser sur la taille du soldat qu’il pressa contre lui, encore, encore, comme si il pouvait l’incruster dans sa peau. Ses lèvres s’entrouvrirent légèrement pour inviter son autre à entamer une danse des plus ardentes.
Bientôt ses mains abandonnèrent leurs emplacements pour aller se perdre dans les cheveux roux, tirant dessus pour accrocher un peu plus ses lèvres, les tirant vers l’arrière dans un désir de possession qu’il s’empêchait d’exprimer complètement. Il voulait le posséder, le déposséder, le connaître, ne jamais l’avoir connu.
- Je n’ai pas fui. J’ai fait ce qui devait être fait. Murmura-t-il dans un souffle presque inaudible. Ses yeux, voilés par l’éros avisèrent une porte légèrement sur leur droite. Probablement une remise ou autre endroit où devait s’entasser des reliquats d’armes et de mannequins. Il ne chercha pas à savoir et, saisissant la main de Tasya l'entraîna à sa suite. Par chance le loquet couina mais s’ouvrit sans opposer plus de résistance. Ils entrèrent à la suite l’un de l’autre et dès que la porte fut de nouveau close, Primaël laissa jouer ses doigts sur le tissu recouvrant la poitrine de son ancien compagnon. Il découvrit avec un étrange plaisir mêlé de rancœur la marque de ses pectoraux, dévala avec adoration la ligne parfaite de son ventre. Une hésitation brève et il glissa ses doigts sur la peau douce et délicate mais striée de souvenirs parfois douloureux.
- Ne vient pas me rapprocher l’huile que je jette sur le feu alors que t’es l’premier à t’y vautrer avec moi. Et sans crier gare il retira ses mains et revint prendre ses lèvres avec une fougue nouvelle, poussant son torse du sien pour le plaquer à une étagère. Légèrement plus petit, il en profita pour mordre son cou avec ferveur tandis que sa main se perdit sur le vallon de ses fesses, effleurant la queue qui s’y trouvait puis continuant sa course jusqu’à sa cuisse qu’il saisit à pleine main pour la remonter contre hanche, augmentant encore la pression de son corps contre le sien. Un dialogue qui se passait de mot.
A bout de souffle, il profita d'un instant de répits pour reculer légèrement son visage et observer ces traits qu'il avait autant aimé qu'haïs. De sa senestre, libre, il vint effleurer sa joue du bout de ses gants. Se satisfaisant de la seule vue de l'hybride.
« C’est toujours plus simple pour te dédouaner, aboya-t-il férocement maintenant que ses lèvres étaient libérées. »
Et si cela pouvait paraître surprenant étant donné la fureur du félin, il le suivit dans le petit habitacle, reprenant leur échange effréné dans un ballet tant sensuel que bestial. Les courbes du corps du félin dansaient dès que la paume chaude – bien que gantée – de son amant venait redécouvrir la peau à portée. Les mots n’étant plus suffisants pour exprimer chacune de ses pensées, Tasyaen profita que l’aventurier s’écarte de lui pour le saisir par les hanches, s’abreuvant de ses lèvres, l’emprisonnant de la poigne de son bras pour l’attacher davantage à lui.
Il y avait bien des choses qu’il pouvait reprocher à Primaël, mais pas la simple beauté de son regard, qui avait tous les moyens de le faire flancher. Il avait aimé plus jeune y découvrir l’affection qu’il lui portait, tout n’était alors plus qu’une passion dévorante où chacun venait exprimer sa rancœur à travers les désirs ardents. Il avait apprécié s’y perdre, ingénu, de son premier amour. Tasyaen arracha un nouveau baiser à son partenaire, puis retira les gaines de cuir autour de ses poignets afin de laisser ses paumes redécouvrir chaque parcelle de peau. Il écarta brièvement son visage du sien, le souffle déjà court.
Ses doigts se glissèrent délicatement sous la chemise, afin de dévoiler lentement la peau de son cou, où ses lèvres vinrent y apposer une nouvelle marque d’affection, avant qu’il ne l’entrouvre, y plantant ses dents, possessif. Le tempo se joua plus vif, plus rapide, et bientôt l’aventurier fut accompagné par le déchaînement du félin qui le repoussa à nouveau afin de l’acculer jusqu’au mur qui leur faisait face, une main curieuse venant défaire un à un les boutons de sa chemise jusqu’à dévoiler le galbe blanc.
Lentement, son visage se retrouva dans le cou de l’aventurier, respirant longuement pour ne pas se laisser aller pleinement à sa colère, s’enivrant de la douce odeur qui émanait de sa peau. L’étreinte devint plus tendre, s’accordant aux diverses émotions qui traversaient le félin. Tel l’animal qu’il représentait, un faible ronronnement éleva sa poitrine, apaisant quelque peu sa fureur.
Comme hors du temps, le couple s’anima dans un amour éteint, mais une passion dévorante, où les lèvres s’abandonnaient pour mieux se retrouver. Surveillés alors par les lueurs d’une lune qui éclairaient faiblement l’abri où ils échangeaient leur ivresse loin des regards.
Le brasier désormais éteint, Tasyaen ne relâcha pas pour autant son étreinte, en se glissant sur le sol, l’attirant avec lui. Son torse épousa le dos de l’aventurier, déposant son menton sur son épaule où un court baiser vint s’y apposer. Le regard perdu sur le sol où quelques armes n’avaient pu supporter leur échange avant de tomber lamentablement. Le félin ne savait pas vraiment comment ils avaient fini par se retrouver dans cette situation, mais une chose était sûre, c’est que l’aventurier ne tarderait pas à lui fausser compagnie comme il aimait si bien le faire, alors sa prise autour de ses hanches se referma davantage. La fine ligne de ses pupilles s’était dilatée avant de se diriger sur la mâchoire de son amant. Cependant, il garda le silence pour ne pas briser la douceur du moment qui n’était qu’interrompu par quelques marques d’affection venant du félin.
Il ferma les yeux un court instant, puis les rouvrit, redessinant délicatement la courbe de son bras du bout des doigts. Tasyaen se permettrait de profiter de cet instant avant que Primaël ne décide de lui claquer la porte au nez comme il l’avait si souvent fait, sans lui permettre d’en placer une.
Il ne sut pas combien de temps ils étaient resté ainsi, leurs membres entremêlés sur le sol poussiéreux. Il ne voulait pas le savoir. Tout ce qu’il ressentait maintenant était un besoin impérieux de s’en aller. Chaque parcelle de son corps lui criait qu’il devait rentrer, s’en aller loin de Tasya. Revêtant son masque hypocrite de dédain, il se leva et attrapa les quelques affaires qui jonchaient encore le sol. Claquant des doigts, il obligea le garde à se taire et avant qu’il n’ait le temps de le retenir, s’échappa à grandes enjambées par la porte par laquelle ils étaient venus. Dès qu’il fut sur que personne ne pouvait le voir, il s’enfuit à toutes jambes pour aller se cacher dans sa chambre à l’auberge.
A l’horizon, le soleil pointait déjà. Mais Primaël ne dormirait pas et ça pendant plusieurs jours. Pas tant que les marques du chat serait encore incrustées dans sa peau et que son odeur continuerait de maltraiter ses narines. Il s’enferma à double tour dans sa chambre et n’en sortie qu’aux alentours de midi. Sans un regard vers le bastion qu’il avait quitté en catimini, il disparu à l’orée d’un portail de téléportation.