Andra était confortablement assise au creux de l’un des fauteuils du petit salon de son appartement. La soirée était déjà bien avancée et, en cette saison, les jours déclinaient vite. Ainsi la lueur de la lune venait se refléter dans les iris ambrés de la blonde. Son regard étonnement sérieux était rivé sur la personne lui faisant face. Taya, la préceptrice de la jeune Milan. Elle n’avait pas revu cette dernière depuis un moment maintenant. Taya ayant jugée qu’il était temps pour Andra de véritablement voler de ses propres ailes lorsqu’elle s’était installée à la Capitale elle s’était éloignée peu à peu de la jeune noble malgré leur amitié sincère. Elle n’avait pas complètement disparue de sa vie bien sûr mais avait prit de la distance, se contentant de rester vaguement au courant de ce que faisait Andra et de se montrer présente pour elle lorsqu’elle en avait besoin. Bien sûr la préceptrice était venue présenter ses condoléances à la cadette des Milan lorsque les géniteurs de ces derniers passèrent l’arme à gauche mais ce fut aussi, jusque-là, le dernier contact qu’Andra eut avec Taya. Entre une Andra gagnant en maturité, le décès de ceux ayant originellement engagé Taya pour s’occuper de leur fille et les retrouvailles plus ou moins tumultueuse des enfants Milan, la femme ayant toujours été de bon conseil avec Andra avait toutes les raisons du monde de s’éloigner pour le bien de cette dernière. Et la blonde avait su l’accepter, preuve de sa maturité grandissante.

Pourtant Taya était bien là ce soir-là, assise dans un des fauteuils du salon elle aussi, juste en face d’Andra, leurs verres de vins respectifs posés sur la table basse en bois sculpté sur laquelle reposait également un bol remplit de marrons glacés. Andra se pencha d’ailleurs en direction du bol pour en saisir l’une des sucreries qu’elle déposa gracieusement sur sa langue. Elle porta ensuite à ses lèvres son verre déjà entamé, les deux femmes ayant déjà prit le temps de se raconter leurs banalités respectives avant d’entrer dans le vif du sujet, pour en boire une gorgée.

- Alors, vas-tu enfin me dire ce qui me vaut l’honneur de la visite ? Au vu de ta lettre tu n’es pas venue que pour prendre un verre de vin en ma compagnie et discuter de l’année écoulée, je me trompe ?

- Toujours aussi impatiente hein ? Y a des choses qui ne changeront jamais.

- Viens en au fait. Tu devrais savoir que tu n’as pas besoin de tourner autour du pot avec moi, je ne suis pas Nienor.

- Trouves toi un travail.

- D’accord, tu aurais peut-être dû tourner autour du pot finalement siffla-t-elle en manquant de peu d’avaler de travers la nouvelle gorgée de vin qu’elle venait de prendre.

- Écoute Andra, je te connais, je sais que tu as horreur de ça mais il va bien falloir que t’y mettes un jour. Tu ne peux clairement pas vivre éternellement sans travailler. Vos parents sont morts, ils ne vont clairement pas t’aider…

- Ils ne m’aidaient déjà pas vraiment avant au cas où tu aurais oubliée l’interrompit-elle d’un ton démontrant son agacement grandissant.

- Certes. En tout cas ce n’est pas maintenant que ça va changer. Quant au reste de la famille… même si tu m’as dit que vos relations s’étaient légèrement améliorées, que vous ne vous êtes pas entretués en vous voyant quoi, ça m’étonnerait beaucoup qu’ils subviennent à tes besoins pour tes beaux yeux. Fauve y compris.

- Non en effet, il préfère me donner une autre bouche à nourrir. Elle désigna du regard le chien sagement allongé sur sa couche dans un coin du salon. - Au moins mon idiot de frère a eu la décence de bien l’éduquer… conclut-elle dans un soupir las.

Taya ne put s’empêcher de rire en imaginant pour la énième fois la tête qu’Andra avait pu tirer lorsque Fauve lui avait offert le chiot mais elle reprit rapidement son sérieux.

- Ne changes pas de sujet, tu sais que j’ai raison et qu’il est largement temps que tu te mettes à bosser. Même si vos relations s’améliorent tu veux toujours dépasser ta sœur n’est-ce pas ? Tu veux prouver que tu vaux aussi bien qu’elle-même si Nienor n’est plus là pour le voir.

Andra faillit bien balancer son verre au visage de Taya. Ou, à défaut, changer une partie de son corps en verre pour lui envoyer au visage. Quelques années voir peut-être même quelques mois seulement auparavant elle l’aurait fait sans hésiter malgré l’affection sincère qu’elle portait pour sa préceptrice devenue grande sœur de substitution. Mais Andra avait appris à se contrôler maintenant et se retint in extremis. La remarque avait clairement touchée Andra. Elle savait au fond d’elle que Taya avait raison. L’ex-préceptrice était l’une des rares personnes à vraiment comprendre ce qu’Andra pensait de sa sœur, mélange étrange entre ressentiment et admiration.

- Certes… admit-elle finalement, à demi-mots, après quelques instants de silence. - Mais comment veux-tu que je la dépasse ? Madame est trésorière royale, connue de la moitié du royaume et se payant même le luxe de flirter avec un capitaine de la garde à ce qu’on dit. Je perds sur tous les plans pour le moment. Elle marqua une courte pause pour réfléchir avant de reprendre. - Je suis trop jeune pour les postes prestigieux auprès de la famille royale et hors de question de devenir l’assistante de Queen. Tu proposes quoi ?

- Tu pourrais t’inscrire à la Guilde comme ton frère.

- Aventurière ? J’y ait déjà pensée. Avec mon pouvoir je m’en sortirai probablement bien, j’ai déjà survécu à la cité enfouie après tout. Mais non, je crois que je préfère encore la paperasse en espérant obtenir quelque chose de prestigieux. Même si je devenais Saphir de la guilde ça ne compterait pas vraiment comme battre Queen.

- Trouves autre chose au palais dans ce cas. C’est pas moi qui m’occupe des recrutement alors je peux pas plus t’aider que ça mais il doit bien avoir quelque chose en attendant de pouvoir prétendre aux postes plus hauts placés.

- D’accord, j’y réfléchirai.

Andra et Taya finirent leurs verres de vins, grignotant quelques-uns des marrons glacés puis l’ex-préceptrice quitta l’appartement, laissant au passage un cadeau sur la table basse, pour laisser la blonde à ses réflexions. Cette dernière décida de se faire couler un bain pour se détendre un peu après la discussion pour le moins inattendue qu’elle avait eu avec Taya.

Lassée des marrons glacés, elle prit une bouchée de pain d’épice avant d’aller s’immerger dans l’eau chaude de son bain enfin remplit. Une seule pensée occupait son esprit tandis qu’elle tâchait de se relaxer au mieux : quel travail pouvait-elle bien se trouver au palais ? Finalement ce n’est qu’après avoir bien réfléchie, maintenant emmitouflée dans son peignoir, qu’elle se décida pour le poste d’archiviste royale. Elle n’allait probablement être qu’assistante dans un premier temps et elle sentait déjà qu’il allait lui falloir un bon moment pour s’habituer à ce nouveau départ mais elle n’avait pas le choix. Elle décida finalement d’aller se coucher, épuisée.

- Je postulerai demain… se dit-elle à voix haute sans même sans rendre compte tandis qu’elle se laissait tomber sur le matelas moelleux qui l’attendait pour la nuit.


Andra arriva au palais assez simplement vêtue pour sa journée d’essai en tant qu’assistante archiviste royale. On ne lui avait donné aucune indication particulière concernant le déroulé de la journée à venir si ce n’est de s’habiller correctement mais sobrement, ce qui n’était pas un problème pour la noble correctement éduquée, et de se montrer attentive aux directives qu’on lui donnerait. Elle poussa un soupir d’exaspération préventif avant d’enfin pousser les portes des archives.

- Bonjour. Andra Milan, je viens pour la journée d’essai.

Accueillie par un homme âgé, Andra n’eut pas le temps de chômer. L’archiviste royale en poste commença par lui expliquer les rudiments du métier tout au long de la matinée puis, après une pause déjeuner, la blonde dût faire ses premières preuves pendant l’après-midi. Pour la noble habituée à ne strictement rien faire cette première journée de travail fut proche du calvaire. Mais elle parvint à démontrer derrière sa sainte horreur du travail une certaine détermination à réussir, motivée par son objectif à long terme, suffisante pour se faire accepter. La journée se terminant, l’archiviste royal indiqua à la jeune Milan de revenir le lendemain, même endroit, même heure.