- Oui Iris ! S’impatientait l’intéressé en consultant sa montre à gousset. Je le file depuis ce matin, et il est entré là. Il va bien finir par en ressortir. C’est pas comme si on avait tant de choses à faire dans les pôles de la Guilde. Gérer son administratif doit juste lui prendre un peu de temps, je suppose.
- C’est bon, j’ai saisi l’idée, répondit la Méduse. File au point de rendez-vous, et réserve nous des places le temps que je réceptionne la star.
C’est avec une mine renfrognée que Capone rangea sa montre dans la poche intérieure de son grand manteau blanc. Réajustant son haut-de-forme, il se dodelina pour se mettre en route, battant la cadence avec une canne bien trop grande pour lui. Iris l’observait s’éloigner, au loin, disparaissant dans la foule au bout de quelques instants tant il était petit. La belle flambeuse s’en retourna vers le grand bâtiment se dressant fièrement devant elle, arborant l’étendard et les couleurs de la Guilde des aventuriers. Adossée contre le mur d’en face, appartenant à l’officine d’un apothicaire fort réputé, la cadette Delancy tapotait du talon sur le sol, attendant que la personne qu’elle voulait voir daigne bien montrer le bout de son nez. D’une poche, elle sortit une petite sucette dont elle déplia le papier pour la porter à ses lèvres. Passant la confiserie sur sa langue, ses papilles furent chatouillées presque immédiatement par l’acidité d’une saveur cerise qui ne faisait que devenir plus intense.
Un sifflement racoleur se fit entendre non loin d’elle. Un type à long nez, le visage couvert d’acné, passa en la dévisageant éhontément de bas en haut. Se trouvait avec lui un trio d’étudiants en tenue d’escrime, marchant à même allure. Aussi jeunes et l’air aussi benêt, ils imitèrent leur camarade en lançant clins d’œil et coups de langues osés à Iris qui ne leur accorda même pas un regard. La belle avait l’habitude de se faire alpaguer de la sorte, et ces abrutis s’avéraient chanceux de pouvoir continuer leur chemin sans avoir perdu les trois quart de leur dentition pour avoir osé lui manquer de respect de la sorte. Iris n’avait pas de temps à accorder à des balourds de rue, elle avait de plus gros poissons à ferrer. Elle avait les yeux rivés sur la porte du pôle de la Guilde, attendant qu’elle ne s’ouvre. Quand elle le faisait, la jeune femme se retrouvait souvent déçu, voyant une hôtesse ou un examinateur un peu trop guindé sortir prendre une pause. Une fois, ce fut un gaillard à la peau couverte de cloques multicolores qui sortit en braillant à tout rompre avant de se ruer vers la pharmacie. Derrière lui, une femme âgée en tenue d’hôtesse le regardait d’un air désabusé et se mit à réprimander ses équipiers d’avoir ramené un artefact maudit de leur dernière escapade.
Malgré l’ennui grandissant en elle, Iris n’avait pas le choix que de patienter. Une grande entreprise l’attendait ce jour, la première qu’elle menait en compagnie de Capone d’ailleurs. Mais il y avait un certain petit paquet de cristaux à la clé, et Iris ne pouvait pas mieux finir la journée qu’avec une nouvelle fortune dans la poche. Mais pour parfaire son entreprise, elle avait besoin de la collaboration d’une personne bien précise, une personne qui n’avait certainement pas l’habitude de ce genre de demande. Non, l’aventurier qu’Iris voulait voir devait être à ce jour l’un des plus grands aspirants au grade de Saphir au sein de l’institution de mercenaires. Il était sans doute spécialisé dans la destruction de masse grâce à sa magie, la chasse au gros bestiau et l’anéantissement de grosse menace. Mais la flambeuse s’amusait à penser qu’il se retrouverait penaud quand il viendrait l’accompagner plus tard…
Un groupe d'aventuriers sortit du bâtiment, elle avait presque fini sa friandise. Son intérêt remonta enfin lorsque, en tout dernier, un homme émergea dans la rue. Drapé dans un grand manteau de cuir, il était difficile de le confondre avec un autre avec son air revêche, ses yeux topaze et sa longue chevelure charbon à reflets rougeoyants. C’était lui, l’homme sur lequel elle avait prévu de mettre le grappin. Esquissant un petit rictus, elle jeta le bâtonnet de sa sucette au sol avant de se mettre en route, marchant droit vers l’aventurier noir. Pressant le pas, Iris poussa un mercenaire bâti comme une armoire à glace pour se planter devant sa cible, bombant sa poitrine en ajustant ses lunettes. Souriante, elle fit mine de lui sourire en adoptant le visage de quelqu’un retrouvant un ami perdu de longue date.
- Jin Hidoru, la célèbre salamandre, si j’avais su que je vous croiserais ici aujourd’hui ! Fit-elle d’une voix de velours. Je suis Iris Delancy, petite fille d’Edmond Delancy. Oh, cela me fait penser…
Lui adressant une œillade mutine, Iris passa quelques doigts dans son décolleté pour en sortir une petite carte qu’elle montra à son interlocuteur. Sur la carte, Jin pouvait voir son propre portrait dans une pose complexe, déchaînant un torrent de flammes tout autour de lui. Stylisée, la carte luisait d’un filtre brillant. En bas de son portrait, on pouvait lire, inscrit en lettres dorées : « PV : 10 Attaque : 20 - Défense : 10. Capacité spéciale : Solar, détruit une carte attaquant adverse mais ne peut plus attaquer ni se défendre pendant 3 tours, utilisable une fois par duel ». Face à Jin, Iris conservait son fin sourire, battant des cils.
- Vous savez ce que c’est ? L’édition prestige de votre carte de Yu-Guilde-oh, le tout nouveau jeu à la mode chez les jeunes des cités d’Aryon. Plutôt sympa non ? Et vous n’avez pas encore vu l’édition d’été où vous êtes en maillot… à croquer !
Elle éclata d’un rire cristallin, croisant les bras et posant un coin de la carte sur sa joue, près de ses lèvres pulpeuses.
- Il me semble que c’est l’un de chez vous qui a inventé ce jeu, je crois. Un aquamancien, Yu Quelquechose… Peu importe. Un tournoi se déroule non loin d’ici, près de la Place Commerçante. Oh, je sais que ce n’est pas dans vos habitudes, mais vous feriez tellement plaisir aux participants en venant les voir ! Des fonds sont collectés pour l’Astre de l’Aube en plus de ça, imaginez l’impact de votre présence sur les donations…
Adoptant une mine ingénue, la belle s’avança pour lui attraper délicatement le poignet, plongeant ses yeux dans les siens.
- S’il vous plaît, cher Hidoru. Et si vous ne le faites pas pour ces jeunes pousses, faîtes le pour moi…
Une petite accalmie dans ce déluge d'emmerdes.
Une quête venait d'être bouclée. Foutu Pinplume, j'y ai perdu ma plaque d'aventurier. J'aime avoir du temps pour moi avant de repartir à l'aventure. La convalescence, mais aussi l'esprit se poser avant de repartir plus frais. Profiter de ce qui nous entoure et tout le blablabla. Si c'était quelque chose que j'trouvais complètement débile, effectivement j'y trouve du sens aujourd'hui. Probablement pour mes proches. Et pis, est-ce que c'est réellement agréable de voir tout le temps des combats, des difficultés, des obstacles, du feu. Tout le temps. Hm, j'suis comme tout le monde ; à l'excès ça peut m'écœurer. Au même titre qu'un amateur de fraises qui en boufferait toute une bassine avant de choper la chiasse.
Un petit moment, pour souffler, pour mieux repartir. Recréer le manque, finalement.
Mais j'suis un poisson dans l'eau qui quitte rarement son aquarium. Puisque j'ai encore les miches dans la Guilde. Oh, des rapports à deux cristaux, des missions qui valent que dalle et que j'emmène pour me mettre à jour dans toutes les procédures administratives. Une examinatrice m'a même dit que j'me suis amélioré sur mon écriture, ce qui me rassure énormément. Et tout ça grâce à Xylia et ses cours par correspondances. Putain, ça y est, j'commence à me cultiver. Mieux vaut tard que jamais, hein ? J'suis encore à la bourre à ce niveau, mais ça va venir.
J'vais rester quelques heures sur les tables à faire du gratte papier. Evitant au mieux le brouhaha constant des aventuriers circulant dans différents courants dans le pôle. Ça braille, ça gueule, ça casse les burnes. Vraiment, j'ai pas choisi le meilleur endroit. Mais, avec un peu d'acharnement, j'parviens à terminer ce que je voulais entreprendre. Mon sac allégé d'un paquet de papelards, plus rien ne me retient ici, alors c'est le moment de dégager, peut-être prendre un godet à la première taverne du coin et décaniller à la maison pour un réel repos. Mais, avec un Drarbuste qui a mes pouvoirs et un Catosorus qui en fait qu'à sa tête, tous les deux à la maison, j'doute que j'aurai un moment de répit. J'vais suivre le mouvement vers la sortie, mais un événement va changer mon p'tit programme.
Elle.
Pas froid aux yeux en bousculant Rollo, un aventurier qui a une charge pondérale pachydermique tire une sale gueule avant d'être habité par un pressentiment qu'elle était le genre de donzelle qui ne fallait pas emmerder. Et j'pense qu'il a raison. Mes yeux vont loucher, glisser légèrement pour la détailler. Les traits fins d'une femme qui dégage de l'assurance, des yeux clairs qui transperce ses verres correcteur, une chevelure courte mais structurée, la nana impeccable par excellence. La cambrure d'un dos souple, il remonte une poitrine voluptueuse dont il est diablement facile de s'y perdre. Relève les mirettes, crétin,, elle te parle. Une voix mielleuse, suave, féline mais qui dégage une pointe de malice. J'aime pas ça. Le genre de pomme empoisonnée que j'préfère ne pas goûter, en tout cas, c'est l'impression qu'elle me donne. Si elle rappelle ma réputation, moi j'essaie de me rappeler son nom de famille, et ouais, ça y est, ça me revient. Très très connu depuis Edmond, mais pas que.
- 'Lut. Delancy, j'en connais une, on a travaillé ensem...
Et pas le temps de terminer ma phrase. Deux doigts trop habiles viennent se glisser dans le sillon de son buste pour y extirper une carte. J'ai chaud.
- ...Bleuh ?
Yu-Guilde-Oh ? Faut sérieusement que j'me mette à la page, moi. En tout cas, ouais, ça caresse l'égo dans le sens du poil. J'vais prendre de longues secondes à analyser la carte, le résultat finalement de longues années de boulot. Le Solar a beaucoup parlé de lui ? Tellement que ça finit sur une carte à jouer ? C'est complètement dingue. En tout cas, même si j'ai le quota, les examinateurs sont unanimes : je ne peux pas encore être Saphir. Il manque le je-ne-sais-quoi suffisant pour me distinguer des autres. Mais, j'y crois. J'peux le faire. Bon, par contre, une version ou j'suis en maillot de bain ? Sérieusement ?! Son rire était aussi attirant que dangereux. Si elle a cherché à me faire de l'effet, merde, c'est réussi.
- Je... J'connaissais pas.
J'écoute alors sa proposition. Tournoi. Pognon. Charité. Astre de L'Aube. J'pense directement à Luz avec qui on est plutôt bon copain, et j'pense que ça lui ferait plaisir que j'ai pu contribuer à ce genre d'événements. Pourtant, allez savoir pourquoi, mais j'ai l'impression que cette histoire va quand même poquer du derche. La proximité se resserre, mon poignet se retrouve enserrer sous ses doigts filiformes et doux, avant de me noyer complètement dans ses yeux comme un matelots perdu dans l'océan. Et j'dois réfléchir, là ?! Fais chier.
- Eh bien, écoutez, si ça peut rendre service...
Quand j'étais gamin, j'avais pas un pote. Le crameur de poubelles, de pots de fleurs, de stands en place marchande. J'avais plus de soucis avec la Garde qu'avec ma mère. Mais c'était parce que je hurlais - à ma façon - le besoin de me sentir exister. Un appel à l'aide. Et j'aurai aimé qu'un connard comme moi puisse venir me prêter son attention, son aide.
Alors c'est le moment de faire ce que j'aurai toujours voulu qu'on me fasse. D'un clin d'œil très coquin, mon sourire carnassier donne déjà une réponse positive.
- ... J'vous suis.
Marchant aux côtés du châtieur ardent, la Méduse passa ses bras autour de celui de l’aventurier pour marcher près de lui. Remontant la grande rue commerçante, les deux avaient des allures de couple, sans doute à cause de l’attitude séductrice de la demoiselle ainsi que des joues écarlates d’Hidoru. Il ne faisait nulle doute que les journalistes auraient fait de cette paire leur véritable pain béni pour la semaine, les scellant sous des clichés au cadre magique, pour le plus grand bonheur des amateurs de potins. La cadette Delancy aux bras d’un grand aventurier de la Guilde, il y avait de quoi faire jaser dans les salons mondains. On ne se promenait pas au bras de la petite-fille d’un ancien commandant aussi célèbre et charismatique qu’Edmond Delancy sans que cela ne se sache, surtout s’il connaissait déjà Dahlia. L’idée que la presse à scandale s’imagine que ces deux là soient en couple amusait Iris, peut-être même qu’elle pourrait en profiter, plus tard, et tirer une autre épingle de ce jeu d’intrigues. Après tout, c’était son gagne-pain…
Le duo passa près d’une longue allée de devantures. Les commerces s’alignaient avec, devant chacun d’eux, leur lot de midinettes s’adonnant à leur activité favorite pendant les après-midi ensoleillés : le lèche-vitrine. Des étudiantes en art s’étaient réunies devant un boutiquier qui dressait, sur un éventaire, tout un tas d’échantillons de pinceaux et des palettes de pigments de différentes nuances. Non loin des jeunes filles, une vieille dame admirait les sculptures de verre d’une humble boutique. Derrière la vitre, les figurines translucides brillaient de mille feux, comme si elles étaient faites de diamants. Tantôt des oisillons, tantôt des héros magiciens, les sculptures étaient si bien réalisées qu’elles auraient mérité leur place dans un musée. L’intérieur de « L’Atelier » avait plus des allures de salon de thé qu’autre chose, si bien que la grand-mère y entra de bon cœur. Arrivant à un croisement, Iris fit bifurquer Jin vers un escalier de pierres descendant vers un parc en contrebas.
- C’est dans ce parc que le tournoi a lieu, expliqua la Méduse, passant un doigt dans deux mèches de ses cheveux noirs.
Arrivant au niveau d’un des portails qui permettait d’accéder au parc, ils pouvaient entendre une certaine agitation provenant de l’intérieur, comme le bourdonnement d’une colonie d’abeilles autour de leur ruche. Entrant dans les jardins, Iris et Jin passèrent à côté d’une mare de nénuphars sur laquelle quelques canards glissaient sur l’onde claire, passant parfois au-dessus d’une carpe dorée. Ils arrivèrent bien vite sur une immense esplanade au milieu du parc avec, en plein milieu, un belvédère autour duquel plusieurs étendards portant l’emblème du jeu de cartes avaient été déployés. Ils ondulaient au gré de la petite brise et, sur chacun d’eux, des portraits de certaines cartes célèbres animées grâce à un enchantement basique. Sur l’agora, de nombreuses tables de jeu avaient été dressées autour desquelles des joueurs étaient assis, on ne pouvait plus concentrés sur leur partie.
Soudain, Iris tira Jin vers une allée annexe avant qu’ils ne rentrent vers l’esplanade. Sur un banc, à quelques mètres d’eux, était assis un petit garçon en manteau blanc. Ses pieds bottés balançant dans le vide, il avait un petit sachet ouvert et jetait des miettes de pain dur sur le sentier en face de lui. Au sol, une nuée de lapillons gazouillaient joyeusement en attrapant les miettes pour les grignoter en décrivant de petites arabesques en guise de remerciement. Sur le banc, à côté de lui, un sac en cuir décoré avait été ouvert, et on pouvait discerner un énorme livre y dépasser avec en gros titre : « Droit économique - précis sur les flux et ruissellements financiers ». À côté du livre, l’enfant avait rangé un boulier à billes de jade, un pot d’encre bien vissé avec des rouleaux de parchemin, et une bourse en tissu fermée. Concentré sur ses gestes, le garçon ne vit pas les deux adultes au bout du chemin et ne se rendit compte de leur présence que lorsqu’ils furent arrivés à sa portée. Il releva sa tête vers eux, révélant un monocle coincé sous l’un de ses yeux glacés et, perché sur sa tignasse blonde cendrée, son haut-de-forme ne bougeait pas d’un poil.
- Jin Hidoru, voici Capone. Dit Iris pour faire les présentations.
L’intéressé sauta du banc pour refermer son sac et ramasser une canne plus grande que lui sur laquelle il avait intégré une montre et gravé plusieurs runes étranges. Haut comme trois pommes, il scrutait l’aventurier en fronçant les sourcils, le dévisageant de bas en haut comme s’il s’agissait d’une curiosité de cirque. Capone finit par plonger son regard dans celui de Jin, le fixant comme un aigle prêt à fondre sur sa poids.
- C’est lui ? Fit-il sans cesser de froncer les sourcils.
- C’est lui, répondit simplement Iris, continuant de sourire, ses bras toujours autour de ceux de Jin.
- Bien. Allons-y.
Sans autre forme de procès, Capone se mit à marcher rapidement en enchaînant les petits pas, dodelinant comme un pingouin en remontant le chemin pour se diriger vers le lieu du tournoi. Iris intima Jin à le suivre, ce qu’ils se mirent à faire sans rechigner. Dès qu’ils arrivèrent près des tables, de nombreuses têtes se levèrent en remarquant l’aventurier à longue chevelure. Voire leur héros hors du jeu devait leur faire éprouver tant de choses. Certains suffoquaient d’excitation, d’autres gigotaient nerveusement sur leurs chaises. Certains enfants s’avançaient mais n’osaient pas trop s’approcher, scrutant le Châtieur ardent de loin, trop timide pour oser l’aborder.
- Regardez comme ils sont ravis de vous voir ! Oh, j’ai une idée ! S’écria subitement Iris. Et si vous rejoigniez une table pour une petite partie amicale ?
Haru va me buter.
Je... J'sais pas. C'est jamais évident de gérer ce genre de situation. N'importe quel mâle hétéro dans le secteur serait le plus heureux du monde d'avoir une Delancy aux bras, sous les cadres magiques des plus curieux. Moi ? J'avais juste envie de leur refaire le portrait. Les joues brûlantes, le regard agacé, troublé, mais faut dire ce qu'il est : Iris connaît très bien ses atouts. Alors, cadette, du coup ? J'ai encore le souvenir d'une Dahlia extrêmement courtoise, assez correcte dans son comportement, pas fermée pour autant, et qui remplit ses fonctions avec une discipline militaire qui me rappelle Luciole. Au carré, mais en écoutant son instinct.
Là, on est sérieusement loin de l'aînée pour le coup.
Dans les boyaux de la Capitale, à l'intérieur de la place commerçante, on peut voir effectivement la population s'adonner à toute sortes d'activités qui comprend l'achat ou l'observation d'articles. Me rappelant mes moments où m'man et moi on avait pas un rond, et qu'on passait parfois notre grande majorité du temps à observer les choses qu'on ne pourra jamais acheter. Mais, c'est révolu maintenant. Toujours la peur de manquer du fric, mais, qu'on se le dise, on vit comme des pachas désormais. Et j'me suis promis que plus jamais on revivrais ce genre de période si emmerdante. On était heureux, ouais. Mais on l'est plus avec du fric, c'est certain.
On prend une autre direction, des escaliers nous emmène dans un parc. Un parc que j'connais plutôt bien. C'est connu pour sa tranquillité à la base. Mais y'a comme de l'agitation entre ses murs on dirait. Les espaces verts entourent notre chemin pour nous emmener dans une immense place où figure un belvédère, des curieux drapeaux flottaient dans l'air, on peut voir que l'un d'entre eux correspond au même symbole que sur le dos de ma carte. On est au bon endroit. J'reconnais certains aventuriers, qui ont un curriculum long comme mon gantelet. Mais alors que j'pensais avancer dans la bonne direction, on me traîne encore dans une autre. J'vais commencer à grogner mon ennui.
Elle me ramène un peu plus tard à un... Mioche. Un gosse ? J'grille que dalle. J'hausse un sourcil. Il donnait à becter à des bestioles quand on le rejoint, manifestement ces dernières passent un bon moment. De la paperasse sur l'assise et... Attends. Soit, j'suis complètement à la rue en terme de culture, soit ce gosse cache quelque chose. Et voilà, encore un autre truc suspect. Ajoute ça le morceau de verre qu'il avait à l'œil, comme dans ce jeu de société où le but est de se plumer et foutre ses adversaires au banqueroute... Mouais. On notera l'espèce de costard et la canne qui peut lui servir d'échasse pour se percher. Mes mâchoires se serrent. Il ramasse son merdier tandis que j'l'observe ; c'est littéralement un bonhomme coincé dans un gosse d'une dizaine d'années, j'pige pas.
On se toise pendant qu'Iris nous présente. J'en ai presque oublié la sensation du flan de sa poitrine contre mon bras. J'réponds d'un simple signe de tête pour le saluer. Pas de chichi, il me parle comme si j'étais le poulain qu'il attendait pour son compte personnel. Si j'ai pas prononcé un mot depuis leur petite échange dans ma tête c'est clair et net : je les explose à la moindre incartade. J'ai peut-être pas la comprenette facile, mais on me prend pas pour un jambon.
Mais à l'instant où j'rejoins les tables, toute trace de colère sous-jacente disparaît pour contempler des enfants qui me dévisagent. Des sourires, des exclamations, des agitations, j'me découvre comme une vedette dont j'y doutais tout l'impact qu'il pouvait produire. Le problème lorsqu’on quitte trop souvent la Capitale pour bosser. Une jeune fille saisit l'une de ses cartes pour me viser à côté, jonglant les yeux tantôt sur moi et tantôt sur la carte, comme pour confirmer que c'était bel et bien moi. Iris lancera une proposition qui fera hurler toute l'assemblée.
- Wowow ! On se calme, aha !
- Joue avec moi !
- Non, avec moi !
- Avec moi s'il te plaiiiiiiiiiit !
- Euh, je... J'pourrais pas jouer avec tout le monde, donc...
Trouver un compromis. J'défais la Main Ardente, mon gantelet d'un peu moins de dix kilos, sous des yeux ébahis avant de poser Portecendres dans son fourreau sur l'une des tables, en prenant soin de ne pas bousiller une pile de cartes. Ils connaissent leurs nom, leurs histoires quand on les entend parler entre eux, les étoiles dans les yeux. C'est dingue, complètement dingue. Un jeune homme va même analyser le Rupteur, toujours à mon bras par contre, parce qu'on est pas à l'abri d'une emmerde magique. Je laisse une grande partie s'installer autour de mon équipement et j'essaie de balayer un peu l'auditoire pour me décider... Mais... Aucune foutue idée. Finalement, un garnement va grimper sur la rambarde du belvédère en pointant du doigt. Coupe au bol, cheveux gras, une grosse paire de lunettes, un peu rondouillard, et les joues rouges, aucune idée du pourquoi.
- Zin Hidoru, Fâtieur Ardent et Fafeur de Primes d'Aryon !
Et un putain de cheveu sur la langue.
- Yup ?
- Ze te DEFIES.
- Oh, super.
- Tu fubiras mon courroux, ta flamme éternelle ne fuffira pas à me...
- Bon, on joue ?
Il grogne sa frustration d'être coupé sous mon sourire provocateur et voilà que nous prenons une table. Un œil sur Iris.
- Vous vous sentez capable de m'expliquer un peu le jeu avant de lui mettre une dérouillée ? Et, j'ai pas de cartes ?
Iris s’était penchée vers Jin, posant ses mains sur ses épaules de l’aventurier ardent. La belle aristocrate entraîna le jeune homme vers une table de jeu libre à proximité tandis que la personne qui avait défié Jin arrivait tant bien que mal en se frayant un chemin au travers de la foule. Petit et trapu, il avait le physique bien ingrat, des lunettes en cul-de-bouteille qui lui grossissaient tellement les yeux qu’il ressemblait à un insecte à taille humaine. Des tâches brunes criblaient ses joues pâles et, rabattus tout autour de son gros crâne, des cheveux d’un bleu fluo criard coupés au bol et mal entretenus. Ses mèches luisaient au soleil d’un sale éclat gras, témoignant d’une hygiène peu recommandable et de longues heures passées à peaufiner ses tactiques sur ses jeux de stratégie. Ouvrant ce qui semblait être une pochette sans fond, l’adolescent en embonpoint sortait des tas de cartes nouées grâce à de petits rubans de couleurs. Le premier deck, noué par un ruban bleu, fut vite reposé dans la sacoche. Vint ensuite un ruban rouge, puis jaune, puis brun, avant de s’arrêter sur un deck à ruban mauve.
Pendant ce temps, de l’autre côté de la table, un joueur accepta de prêter son set de cartes à Jin le temps de la partie. Plusieurs personnes s’étaient déjà rassemblées autour, formant toute une petite foule autour de la table. Certains, admiratifs, étaient même costumés comme leurs aventuriers préférés. La Méduse nota la présence de plusieurs perruques noires et blanches, chevelure signature de la Saphir Ixchel, quelques moustaches gominées, des tentacules de bois, papier et cuir et de longs manteaux noirs voulant imiter celui d’Hidoru. Capone avait disparu, trop petit pour être visible parmi tout ce mode, Iris se demandait s’il s’était déjà mis au travail. Mais sans doute était-ce encore un peu trop tôt pour débuter leur opération. Se penchant au niveau des épaules de Jin, Iris se posta près de son oreille et commença à lui expliquer :
- Chaque participant possède cinq cartes dans sa main. Au début de son tour, il pioche une carte dans sa pile. Il peut décider de disposer ses cartes de combattants ou d’effets spéciaux sur le terrain. Vient ensuite la phase de duel durant laquelle la personne qui a la main peut attaquer son adversaire. Pour porter une attaque directe, il faut qu’il n’y ait plus de carte combattant sur son terrain. Vous avez chacun cinquante points de vie, la partie s’arrête quand l’un de vous arrive à zéro, ou déclare forfait !
Tendant sa main vers le paquet de cartes qu’on avait prêté à Jin, l’arnaqueuse prit quelques cartes et les disposa ensuite face à l’aventurier. La première dépeignait un pôle de la Guilde en flammes devant lequel s’affairaient plusieurs citoyens en panique avec des seaux d’eau : « Catastrophe ardente - piège : durant un tour, tous les combattants ennemis voient leur attaque et défense diminuée de 5 points, ne peut être activée qu’en fin de tour. »
- Comme leur nom l’indique, continuait la jeune Delancy, les cartes pièges sont faites pour handicaper l’adversaire et mettre ses assauts en déroute.
La carte suivante représentait une épée rutilante et un grand pavoi sur lequel un héros venait d’être peint. L’épée crachait des éclairs et le pavois repoussait une boule de feu qui venait de lui être lancée dessus : « Objets de pouvoir du Chevalier Oignon - magie - renforce l’attaque et la défense d’un de vos combattants de 5 points chacune, peut être désactivé via des pièges ennemis ou la mort de votre combattant ». Iris reprit ses explications :
-Les cartes magies peuvent servir à vous donner divers bonus et vont être les cartes qui vont servir d’architecture à votre stratégie.
La dernière carte était une carte combattant. Jin en avait déjà vu une, celle à son effigie, mais lui en montrer une autre à nouveau ne pouvait pas lui faire de mal. La carte était celle d’une loutre géante, ouvrant la gueule et montrant les crocs. Sur son dos se tenait la célèbre aventurière Carciphona, agrippant fermement les rênes de sa monture : « K’awill - PV : 5, Attaque : 5, Défense : 5. Capacité spéciale : Aquajet, lancer une pièce, si la face choisie est la bonne, peut esquiver une attaque ennemie lors d’une phase de duel ».
- Enfin, les combattants servent à attaquer, tout simplement. Certains, comme cette carte, et celle que je vous montré avec votre joli minois dessus, possèdent des capacités spéciales, mais ça n’est pas le cas de toutes. Les points de défense permettent de renvoyer une attaque ennemie si leur attaque est inférieure et on soustrait la différence attaque-défense pour constater les dégâts aux points de vie. Quand les points de vie du combattant tombent à zéro, il est envoyé au Cimetière d’où il peut être ramené via des cartes de magie.
Iris avait fait le tour de ses explications. Face à elle, Jin avait l’air un peu perdu mais la belle avait confiance, il n’était pas plus bête qu’un autre. Et si ces jeunes admirateurs avaient réussi à apprendre les règles de ce jeu, il n’y avait pas de raison que leur héros vedette ne puisse pas non plus aisément prendre en main ces cartes complexes. Satisfaite, elle se redressa, lui adressa une œillade complice et, portant deux doigts à ses lèvres, souffla un petit baiser vers lui.
- Bonne chance. Je vais aller vous chercher quelque chose à boire à la buvette, vous allez en avoir besoin ! Je vous laisse commencer, je reviens dans deux petites minutes !
Quittant Jin quelques instants, Iris fendit la foule et adressa un petit clin d’œil à Capone qu’elle aperçut derrière tout le monde.
Leur plan pouvait enfin débuter…
Ses phalanges viennent attraper mes épaules sans que j'y foute une opposition. Un bras de fer gagné d'avance, et va savoir par quelle sorcellerie. A moins que ça soit un charme qui ne respecte aucune loi magique : la séduction. Le groupe de gosses se sépare pour me laisser un chemin vers l'une des tablées qui va sceller le destin d'un combat qui change de mes habitudes. On est loin, du temps où on jouait aux cartes avec Jack dans l'Aventurier Téméraire, la taverne de Devon. A faire gaffe de ne pas foutre du jus de viandes sinon on prenait une avoine du Conseiller.
J'me sens bien con sans cartes, mais à cette simple mention, un jeune viendra me laisser son paquet. Accepté d'un signe de tête, puis un clin d'œil qui s'embrase une seconde. J'détaille le mioche qui a l'air de choisir ses lots en fonction du type de tatane qui m'attend, il y fout même des codes couleurs avec ses rubans. Ouais bien ce qui me semblait, j'ai affaire à un cintré. Si lui avait une certaine pression à vouloir me dégommer, moi j'essaie de détendre l'atmosphère avec un rictus amical, mais il en a rien à cirer également. En accordant mon attention au reste de l'assemblée, j'avais l'impression d'être au Club de La Bagarre alors que... Ouais, on va jouer aux cartes, quoi.
Mais assez pensé, maintenant il faut écouter les règles.
Une voix chaude caresse mon oreille, alors que les mots léchés avec une certaine sensualité sont sifflés entre ses lèvres pour m'expliquer la marche à suivre. J'essaie de comprendre les cartes, les types, les terrains, défenses, pièges, ça fait un paquet d'infos mais j'crois avoir pigé le truc. J'vais sourire bêtement à plusieurs reprises, en voyant Carciphona d'abord, puis toutes les références proches de la guilde. C'est un peu comme si j'avais "percé" dans une sphère de popularité qui m'était totalement inconnue. En fait, c'était tout le contraire en y réfléchissant cinq secondes. Le Châtieur Ardent avait une réputation de tortionnaire qui fracassait les criminels. Un déclencheur d'incendies sans prendre connaissances des dégâts qu'il causait. Et quelques quêtes plus tard j'suis accueilli en héros ? Pourtant mes méthodes ne changent pas vraiment en quête. Hm, mystère. Mais heureux de savoir que les gens ont maintenant connaissance que j'suis de leur camp, c'est juste que j'suis de ceux qui se salissent les mains pour les autres.
J'acquiesce d'un signe de tête maintenant que le jeu est bien en tête même si j'pense qu'il me faudra quelques tours de chauffe pour comprendre le merdier. Mais, m'est avis que l'adversaire en face me laissera pas respirer. Iris s'en va, mes joues reprennent des couleurs face à ce baiser envolé, puis un soupir pour faire soupape. Même si le cadre n'en a pas l'air, mais j'suis persuadé que cette femme est dangereuse.
Mais j'vais pas savater une Delancy, quand même ? En tout cas elle disparaît et me voilà seul avec ce... Gamin.
- Est-fe que tu es prêt, Zin Hidorou ?
- Ouais, j'suis prêt. Honneur aux plus jeunes.
Il fait un mouvement sec de la main en me pointant du doigt, l'autre main se servant dans ses cartes.
- F'est l'heure du DUEL !
- Eh, mec, on se cal...
- A MON TOUR !
Misère. Les cartes qu'Iris avait posées sont réinjecté dans le deck, tandis que j'mélange mes cartes. Lui, il pioche les cinq premières. Ensuite, vient mon tour de le faire. Nous voilà face à face, j'sais pas du coup s'il peut directement attaquer mes points de vie ou pas. Il pose une première carte. Mais, inconnu au bataillon.
- William Lindholm, le petit père des z'aventuriers, en mode défenfe.
5 d'attaque, 5 de défense, "matérialiser un être humanoïde (appelé «Joe») visible de tous, manifestation physique de son esprit combatif, pendant deux tours et double donc ses points d'attaques." D'accord, pas mal. J'cherche dans les miennes, Deux aventuriers, une carte piège et deux magies. Une main assez riche finalement.
- J'pose Liory Alkh'eir, maître du métal. "Utilisation du palier offensif ; peut retourner une arme en métal contre son adversaire si posé en défense. La riposte est immédiate et donc détruit la carte mais ne peut plus attaquer pendant deux tours.
Il continue de rire. Moi ? Oh, j'm'en cogne, c'est plutôt que j'essaie de retrouver Iris, qui devait nous chercher à boire. Hm, étrange...
- Wah ! K’awill ! Je l’ai vu une fois quand la Saphir Ixchel sortait de la Capitale par le rempart sud !
- Z’est qui William Lindholm ze l’ai zamais vu… ? Enchaînait un autre, un sérieux cheveux sur la langue.
- Liory c’est un homme ? Mais à quel moment ? On dirait ma sœur en train de broder un point de croix !
- J’aimerais bien faire un costume d’un familier j’en ai jamais fait…
Écoutant les dires des uns ou des autres, Iris continuait sa petite marche derrière la grande foule. Passant derrière une jeunette en déguisement de Lilith Crabantill, Iris vit une petite besace ouverte sous une aile noire aux plumes qui menaçaient dangereusement de s’envoler à la première brise. Tendant prudemment le bras, Iris passa sa main dans la besace pour y ressortir une poignée de cartes. La Méduse se mit à les faire défiler entre ses doigts avant d’en retirer une et reposer le reste du paquet dans le sac. Sur la carte qu’elle avait prise, on voyait une grande cérémonie où, debout sur une estrade, devant une foule en délire, un guerrier en armure rutilante recevait les honneurs du Conseil des Aventuriers. « Sacre du Saphir - magie : un de vos combattants gagne 5 points d’attaque et de défense jusqu’à la fin de la partie. Lancez une pièce, si vous tombez sur la bonne face, piochez une carte équipement dans votre deck et équipez-la. ». Satisfaite, Iris glissa discrètement la carte dans son corsage, là où personne ne viendrait la chercher.
- Wah, le Châtieur doit jouer secrètement et fait genre de découvrir, fit un chétif habillé d’un long blouson de cuir. Il est trop doué !
Avançant encore un peu, la Méduse flambeuse remarqua Capone, tout petit, passant entre des gens qui ne lui accordaient aucune attention. Dès qu’il voyait une poche ou une sacoche un peu trop ouverte, le garçon y plongeait sa petite main gantée pour ressortir des cartes. Tout comme sa partenaire, l’enfant n’en conservait qu’une seule, parfois deux quand la pêche avait été bonne. Puis, une fois les cartes sécurisées, il ouvrait le pommeau de sa canne pour les glisser à l’intérieur avant de revisser fermement son accessoire, et continuer son petit bonhomme de chemin pour répéter le processus. À sa gauche, une autre adolescente habillée comme Arya Tolevira allait presque tourner sa tête vers Capone. Prompte, Iris se hâta et, détachant la broche ouvragée qu’elle portait à sa boutonnière, sortit l’aiguille d’attache du bijou pour lacérer un des tentacules de carton que la midinette brinquebalait dans son dos. Le morceau de costume se détacha pour tomber à ses pieds, forçant la fillette à tourner la tête et éviter de tomber sur Capone en train de voler dans les poches. Iris rangea l’aiguille et rattacha convenablement sa broche et s’éloigna, laissant la prépubère s’accroupir pour rattraper son tentacule peint, gisant lamentablement au sol. Passant près de Capone, Iris lui administra une petite tape sur l’épaule et un regard, quand il releva le nez vers elle, lui incitant à être plus discret, et elle s’éloigna entre les tables en direction de la buvette. Après tout, elle avait promis un rafraîchissement à Jin et une trop longue absence de sa part pouvait s’avérer suspecte.
Marchant à grands pas entre les tables, elle arriva près des tables sur lesquelles avaient été étalées tout un assortiment de boissons non alcoolisées et d’eaux aromatisées au sirop. Cerise, goyave, pomme, anis, pastèque, menthe, grenadine, citron, amande, il y en avait pour tous les goûts. On pouvait également y commander de quoi grignoter, avec des caisses de sandwichs en triangle et des viennoiseries desquelles exhalaient une douce odeur de beurre et de chocolat. Derrière le petit stand se tenaient un homme et une femme, employés de la firme Yu-Guilde-oh, arborant ses couleurs, ainsi qu’un petit badge d’étain sur lequel leurs prénoms avaient été gravés. S’adressant au dénommé Claude , Iris lui commanda un croissant aux amandes et un soda au persil, boisson in du moment désignée par la couturière royale il y a quelques jours. Versant quelques cristaux en guise de paiement pour ce petit goûter, Iris s’en retourna vers l’attroupement et se fraya un chemin entre les personnes pour revenir vers la table et posa la boisson et le gâteau près de l’aventurier flamboyant, toujours bien concentré.
- Et voilà, de quoi vous rafraîchir ! Quand je vois où vous en êtes, j’ai bien l’impression que vous n’aviez pas besoin de moi pou…
Iris s’arrêta nette. Juste à leur droite, Capone s’était posté derrière un homme grand et filiforme comme une tringle à rideaux. Il s’apprêtait à passer sa canne sous sa cape alors que Jin pouvait, d’un simple mouvement de tête, tomber sur le bonhomme. Il fallait qu’elle trouve un moyen de détourner l’attention… Quelque chose, n’importe quoi… Face à eux, derrière l’adversaire de Jin, se tenait un petit homme en train de griffonner des notes sur une calepin. À sa ceinture, il avait accroché un cadre magique pour tirer des clichés sur demande. Iris sut immédiatement ce qu’elle comptait faire.
- Monsieur ! Appela-t-elle. Êtes-vous journaliste ?
De nombreuses têtes se tournèrent vers lui, et l’intéressé releva une tête surprise, cessant de scribouiller sur son carnet. Il avait la mine penaude mais se ressaisit bien vite :
- Euh, oui, je le suis. Apprenti journaliste, mais tout de même… ma rédaction m’a envoyé couvrir l’événement et…
- Un cliché du grand Jin Hidoru en pleine partie, ça ferait une belle illustration pour votre article, n’est-ce pas ?
Iris passa ses mains sur les épaules de l’aventurier, adressant un sourire au petit homme qui, rougissant, passa une main sur son cadre magique, acquiesçant après quelques secondes de réflexion. Plusieurs personnes se pressèrent pour figurer sur la photo derrière leur idole, et le journaliste leva son cadre au-dessus de sa tête pour le positionner de telle façon à ce que Jin, Iris, la table et un morceau de foule soit pris dans l’objectif. Iris jeta un coup d’œil vers Capone, il avait disparu, elle était incapable de le trouver. Une bonne chose de faite…
- Dites « cheese» !
Et la foule répondit, en chœur :
- GORGONZOLA !
Puis vint le flash…
J'suis presque surpris.
De voir, même en moi, un espèce de sérieux et une rigueur dans ma manière de me tenir durant la partie. La tension était quasi palpable. Bizarre pourtant, j'me tiens devant un gosse et on joue aux cartes. Mais c'était comme s'il y avait des enjeux plus importants. Difficile du coup de me concentrer ailleurs, que ça soit sur les commentaires du "public" ainsi que les mouvements de la Féline Delancy. Tant pis, va falloir se concentrer sur la partie. Au pire, qu'est-ce qui pourrait m'arriver ? Perdre ?
- A ton tour.
- J'utilize ma carte pièze. Ife Age, la caze de glafe d'Aflander, le Cryomanfien.
Tout le monde hurle leur surprise. Mes yeux deviennent effectivement ronds. Ouais, j'connais ce type. Aslander. On a encore jamais eu l'occasion de se croiser, pourtant quand on parle de deux élémentaires dans la guilde, nos noms sont toujours en haut de la liste. Une carte d'un bleu clair luisant, on voit des hommes à moitié congelés, une main spectrale au-dessus comme si elle avait l'emprise sur eux. "Entravé pendant un tour, ne peut ni attaquer, ni défendre." Il renifle sa morve au nez puis prend une inspiration.
- Z'attaque avec William et fes attaques doublées. Ton Liory est mort. A ton tour.
J'grogne, retire la carte du terrain. Je n'ai plus rien. Il me faut un aventurier sinon il va s'en prendre à mes points de vie. Pas le choix, j'connais pas le loustic, mais j'peux p'tete l'aider avec une carte magie. J'pose l'une puis l'autre.
- Le Renard Polaire de la guilde, Adam De Obelia. J'pose une carte magie ; L'enclume de Sia Zmeï et augmente sa défense et son attaque de dix points.
De l'une on peut voir Adam dans le froid glacial du Nord, un genou au sol tandis qu'un renard passe par-dessus sa tête. De l'autre, la Forgeronne tapant contre une épée crachant des étincelles face au marteau dans une fournaise impitoyable. 15 points partout, j'devrais m'en sortir.
- J'attaque le William original pour emporter avec lui son clone, mais comme il n'a pas assez de PV lors de mon attaque, je prends également tes points de vie.
Applaudissement général. C'est grisant. Ça y est, j'adore ce jeu, c'est chiant, j'crois que j'vais me casquer un deck. Il plisse les yeux, un peu frustré mais bizarrement d'un calme assez glacial. J'pioche trois cartes pour compléter ma main. Deux aventuriers et un piège. Pas mal. Le gosse perd cinq points, ce qu'il note une feuille que nous avons de chaque côté pour garder en mémoire ce qu'il nous reste. D'une voix presque sinistre, et presque classe s'il n'avait pas cette putain de touffe sur la langue. Bref, il pose une autre carte.
- Et voilà, de quoi vous rafraîchir ! Quand je vois où vous en êtes, j’ai bien l’impression que vous n’aviez pas besoin de moi pou…
- Oh, j'vous avais pas vu. Iris...?
J'me sers du breuvage servi, puis mange un morceau du croissant aux amandes qui m'arrache un grognement de plaisir en bouche. Ne terminant pas sa phrase, elle attire mon attention, et j'ai pas le temps de suivre son regard perdu qu'elle interpelle un journaliste. L'inclinaison de son visage s'est orienté légèrement, sa pupille s'est dilatée puis rétrécie, et ses épaules se relèvent pendant une seconde. Communication non verbale qui laisse traduire une forme de stress. Une accélération dans la voix qui vient le confirmer.
Hm, j'aime pas ça.
Une moue gênée quand le journaliste nous met en place pour la capture, les gosses ne se sont pas gênés pour presque se marcher dessus afin d'être dans le cadre magique. Le Gorgonzola est hurlé, une lumière vive magique notifie la capture et la partie pouvait reprendre. Un œil sur la carte tandis, que mon adversaire jubile.
- Varia Indrani, La Faphir Oubliée. Qu'il siffle.
- Qu...?!
30 d'attaque. 20 de défense. Va falloir que j'me réveille. La carte présente une dame dans la salle des Examinateurs. Assise sur une table et présente sur un mur des dizaines d'objets récupérés durant ses quêtes. Je... J'l'a connais pas. J'ai jamais eu l'occasion de tailler la bavette avec elle en tout cas.
- T'es sans pitié, hein.
- Pourquoi je ne le zerais pas ? Hihihihihi...
Je cherche dans les yeux d'Iris une alternative, mais j'ai tout comme l'impression que j'vais devoir me débrouiller seul. Ou alors elle a une manière discrète de me passer les infos... En tout cas, si on m'avait dit que j'me castagnerais avec des Saphirs, je l'imaginais pas comme ça...
- La partie ne se déroule pas uniquement sur la table mais aussi en dehors. Utilisez ça pour le vaincre.
- Hé ! S’écria l’adversaire d’Hidoru d’une voix stridente. Pas de messe basse ! Ze n’accepterai pas de trizerie ! Sinon…
- Sinon quoi ? Lui répondit Iris en se redressant, le toisant de toute sa hauteur.
Iris dardait le nabot de ses yeux perçants. Il déglutit, ne pipant pas le moindre mot, comme s’il n’osait plus répondre. Après tout, qu’allait-il faire ? Le gringalet n’était qu’un joueur de carte rabougri et ingrat qui ne devait trouver son compte que lorsqu’il arrivait à gagner contre ses adversaires. Que cherchait-il à prouver face à Jin ? Il n’était pas plus fort que lui, l’aventurier récoltait toujours plus d’honneur et de gloire au travers de ses prouesses pour la Guilde, et un jeu de cartes n’était en aucun cas probatoire en ce qui concernait une quelconque mesure intellectuelle. Le journaliste, malgré l’image qu’il avait réussi à capturer grâce à son cadre magique, faisait le tour de la table avec un carnet entre ses doigts, désireux de conserver l’accroche qu’il avait eu de la situation afin de réaliser une interview de l’aventurier. C’était une piste à envisager, mais Jin serait bien rapidement distrait de sa partie. Iris reprit, se penchant à nouveau vers l’aventurier, faisant fi du désaccord de son adversaire :
- Il est persuadé qu’il peut vous écraser. Vous n’allez tout de même pas vous laisser avoir par un imbécile pareil hm ? Utilisez ce que je vous ai dit à votre avantage, la partie se joue surtout hors de plateau de jeu ! Peut-être qu'il triche, ou qu'il cherche à vous intimidez, montrer lui qui vous êtes... et battez le à son propre jeu.
J'suis le premier à voir un menteur quand j'en vois un. Pourtant j'avais du mal à positionner Iris dans l'équation. C'est compliqué, délicat. Et j'suis pourtant sûr qu'il y a anguille sous roche. Après, à force de me foutre dans des situations dangereuses, on a l'impression d'avoir ses instincts poussés au maximum, comme monter le volume à fond. P'tete que j'deviens juste trop méfiant. C'est qu'une partie de carte, j'devrais pas me faire de bile.
Et la donzelle a raison.
Plus important que les cartes sont aussi les intentions du joueurs, sa capacité d'intimidation et son bluff. Est-ce que mon adversaire rentre dans ce genre là ? Dangereux ? J'ai lâché des pets plus dangereux. Mais ses intentions et sa stratégie ne doivent pas être pris à la légère. Alors qu'elle rejoint mes côtés, le gosse s'indigne, tentant de la couper dans son élan. Mais tu sais pas à qui tu parles bonhomme. La surplombant comme un orage qui menace de faire frapper ses foudres, elle radine dans sa direction dans la menace tacite de garder ses miches confortablement à sa place avant qu'il ne lui arrive une connerie que même moi j'veux pas connaître.
Elle se penche dangereusement, j'louche pour... La énième fois sur elle. Chaque courbe sublimée par ses vêtements, un vrai sablier. Et putain, ses yeux. On veut plonger dedans, mais j'suis sûr que n'importe qui peut se perdre à tout jamais en buvant la tasse. C'est vraiment déstabilisant.
- Il est persuadé qu’il peut vous écraser. Vous n’allez tout de même pas vous laisser avoir par un imbécile pareil hm ? Utilisez ce que je vous ai dit à votre avantage, la partie se joue surtout hors de plateau de jeu ! Peut-être qu'il triche, ou qu'il cherche à vous intimidez, montrez-lui qui vous êtes... et battez le à son propre jeu.
- Hm.
Ça veut tout et rien dire, mais j'saisis le truc. De l'œil, j'peux voir que le journaliste écrit sa nouvelle sensationnelle qu'il va pouvoir donner en exclusivité à son agence de presse. Tournant autour de nous comme un charognard qui se délecte de sa carcasse. Ça aussi, c'est pas agréable. J'crois que l'univers de la notoriété publique est encore un monde bien trop inconnu pour moi. Va falloir que j'm'y fasse, j'partage une histoire avec l'une des femmes les plus connues du monde.
Mais j'ai maintenant ma petite idée.
- Ecartez-vous. Tous.
Il faudra quelques secondes et un regard insistant pour que la foule agrandit le cercle, un signe de tête à Iris pour en faire de même. Le journaliste sera le dernier à reculer, c'est un grognement rauque de ma part qui viendra faire la différence. Puis, l'air ambiant se fait aspirer dans un vrombissement sonore lorsque ma tête et ma chevelure prennent entièrement feu. Carbonisant le dossier de ma chaise au passage. Cri de surprise, des jeunes reculent davantage, l'atmosphère prend quelques degrés à l'intérieur de la structure de jeu. Un orbe de feu apparaît dans ma main, surchauffe l'air ambiant pour dessiner cette sphère dans un crachat de flammes instable et bruyante. D'un geste fouetté de la main, il s'en va courir au sol pour délimiter le cercle, créant ainsi une arène de feu. Ma voix devient double, crachant des étincelles sur la table, le regard profond d'une lueur flamboyante. Le jeune est interdit, crispé, et une sueur commence à le gagner. Pourtant, ses mains tremblent.
- Et bah ? Ça va pas ? On dirait que, j'sais pas, que tu regardes le soleil droit dans les yeux. T'as fini de jouer ?
- Euh... Ze...Oui...?
- Très bien. J'pose une carte face cachée.
Dernière tentative, Adam, Sia, va falloir faire la différence maintenant. Le gamin essaie de reprendre contenance en se secouant brièvement la tête, en vain.
- J'attaque lazer, il pulvérize ton aventurier. Ta Fia et fon enclume ne feront pas fuffizant.
- Hop hop. J'ai pas dit mon dernier mot. Que j'souffle dans un nouveau crachat de flamme, la voix rauque et double.
J'retourne ma carte.
- Badge de contre-sort. Peut retourner n'importe quelle attaque magique à son incantateur. Plus de combattant de ton côté. Et comme mon Adam n'a pas encore attaqué, je vais l'utiliser avec le buff de Sia pour détruire le reste de tes points de vie. C'est fini, le mioche.
"Morsure du Renard", augmenté de dix points supplémentaires, le calcul est bon. Il tombe à zéro. Mon spectacle ardent s'achève, la grande lumière que je laissait autour de toi disparaît pour ne laisser rien d'autre que de la fumée s'échapper de ma chaise noir comme le charbon. C'est en me redressant qu'une partie tombe en cendres. Les vestiges du cercle qui nous entoure devient qu'un tracé carbonisé.
Un applaudissement général, des étoiles dans les yeux pour la plupart de l'auditoire. Mon cœur se serre d'une profonde gêne et bizarrement d'une émotion singulière. Au-delà d'être flatté, je suis fier de pouvoir apporter une image aussi belle à la future génération. En espérant qu'ils ne vivent pas ce que j'ai vécu. Sans rancune, j'finis par tendre la main au gamin qui hurle un "noooon" de super-vilain avant de quitter la table.
- Hey. C'est bien joué, petit. C'est grâce aux gens comme toi que notre boulot a du sens. Change rien.
Un sourire carnassier de mon côté, timide du sien, il finit par tendre une de ses cartes. Putain j'étais pas prêt. Okubo Hidoru, l'Explorateur d'Aryon, Maître de la Terre. Edition "Panthéon des Aventuriers." 15 d'attaques, 40 de défense, 25 PV. "Peut invoquer un dôme de pierre qui protège tout le terrain pendant trois tours." D'une masse musculaire notable, il l'envoie un bloc de roche dans un crochet du droit dangereux. Sa chevelure flamboyante, sa tenue rouge. Tout est là. Un éclat dans mes yeux trahit une certaine émotion. Alors, toi aussi, papa. Même mort, t’as encore de l’avance.
- Ze peux avoir un autographe ?
- ... Bien sûr.
Mon doigt devient incandescent et je laisse une tâche carbonisée sur le dos de la carte.
- La marque du Châtieur Ardent. P'tete que la carte prendra de la valeur, qui sait.
- Z'en fuis fûr.
J'me tourne du côté d'Iris, en essayant de passer la foule qui court vers le garnement qui tend la carte comme la relique du siècle. Un sourire amusé, un regard ému, le visage embarrassé.
- J'connais pas bien les Delancy. Mais vous êtes la deuxième que j'croise et c'était aussi agréable. Merci pour ces mômes. Vous m'aidez à sortir de cet endroit sans qu'on se fasse ensevelir par une montagne d'enfants ?
Iris émit un petit rire alors qu’elle passait son bras autour de celui de l’aventurier flamboyant. Ils passèrent sous un imposant portique autour duquel poussait une magnifique glycine en fleurs, des gerbes violettes chatouillant presque le haut de leurs crânes. S’extirper de la foule ne fut pas tâche aisée, chaque personne présente désireuse de mettre ses griffes sur un autographe du grand Châtieur Ardent. Outre la flopée d'adolescents en délire qui pouvaient presque toucher un futur Saphir de leurs propres mains, il y avait ce reporter qui planait comme un vautour autour de la table pour parvenir à décrocher son interview choc de l’aventurier. Si quelques personnes avaient pu obtenir leur précieuse signature, Iris s’était empressée de tirer Jin par la main hors de la foule sans un regard pour qui que ce soit, alors que le journaliste prenait un nouveau cliché du jeune homme. Il ne faisait nulle doute que la presse à scandale allait faire son pain béni de leur duo, couple imaginaire qui défrayerait la chronique alors qu’ils ne se connaissaient même pas. Iris s’en fichait, cela mettrait peut-être Jin dans l’embarras, mais elle n’éprouverait aucune gêne ni honte. Au contraire, elle s’en pavanerait, quitte à le crier sur les toits.
Derrière eux, Capone marchait à petite distance. Le petit garçon au haut-de-forme avait ressorti son petit sachet de miettes et jetait quelques morceaux de pain dur aux moineaux qui se posaient près de lui. Il trottinait nonchalamment, les deux adultes avançant bien trop vite pour qu’il garde l’allure en faisant de simples pas. Il conservait sa canne bien en main afin de ne pas la faire tomber mais, à force d’évoluer cahin-caha, avait plus l’air d’un petit pingouin que d’un garçonnet. Il jetait parfois de petits coups d’œil mauvais à Jin qui marchait à grandes enjambées, le dardant à travers son monocle. Les mouvements de foule provoquées par Iris et les distractions de feu de Jin l’avaient bien aidé, si bien qu’il avait réussi à mettre la main sur un certain nombre de bonnes cartes. Une fois à l’abri, il pourrait en faire de bonnes copies et remettre ces dernières sur le marché tandis qu’ils revendaient les originales à prix d’or. Arnaque élémentaire, mais néanmoins rondement menée.
- Ma sœur ne m’a pas dit que vous étiez si impétueux, continua Iris. Je comprends mieux d’où vous tenez votre surnom. Votre bonne action sera contée et répétée, vos collègues devraient en prendre de la graine. Ce n’est pas les Saphirs Tolevira ni Ixchel que l’on verrait sur ce genre d’événements malheureusement… Si seulement le reste de la Guilde pouvait être aussi altruiste que vous. J’ai l’impression que beaucoup prennent la grosse tête et se croient au-dessus du reste d’entre nous.
Elle soupira lascivement pour ponctuer son discours avant de reprendre :
- J’entends parfaitement que vous autres aventuriers risquez votre vie, mais beaucoup de vos confrères se conduisent de manière si égoïste. Après avoir vu votre prestation du jour, je suis persuadée que vous seriez brillant, à siéger au Conseil de votre Guilde. Vous devriez y réfléchir…
Iris ne disait pas spécialement cela pour le brosser dans le sens du poil. La belle élégante trouvait que Jin avait du potentiel en plus d’avoir bon cœur. Il était certes un peu trop jeune pour devenir conseiller, mais une fois un peu d’âge pris il pourrait faire une excellente addition autour de la table des dignitaires de la Guilde. Et, qui sait, si l’idée le séduisait, voir l’intronisation d’un jeune conseiller pouvait donner une bouffée d’oxygène à une Guilde qui, parfois, pouvait se montrer moribonde. Beaucoup prenaient leurs airs de grande famille, mais combien d’aventuriers se coltinaient des casseroles d’anciens brigands et s’étaient engagés pour fuir leur passé de malfrat. Entre ces faux frères, ceux dont les chevilles ne cessaient d’enfler, et les têtes de la Guilde qui ne se mouillaient pas trop. Un vent de fraîcheur ferait peut-être du bien à tout ce petit monde, une nouvelle flamme pour porter le nouveau flambeau de la Guilde et l’embraser encore plus. Si bien qu’Iris, inspirée, aurait été curieuse de voir l'athlétique Hidoru à l’œuvre, en mission sur le terrain à batailler contre un mage renégat ou face à un terrible gévaudan.
Ils sortirent du couloir de glycine pour aboutir à un vaste espace occupé par une petite mare sur laquelle plusieurs canards glissaient entre des nénuphars et de longs roseaux. Capone sautilla vers le point d’eau et lança une poignée de pain que les volatiles s’empressèrent d’aller gober en cancanant nonchalamment. Iris lui lança un petit regard, lui intimant de les devancer vers l’une des sorties du parc. Elle ne voulait pas s’attarder très longtemps, éveiller les soupçons de Jin. Elle avait eu ce qu’elle voulait et, au-delà de tout ceci, rester trop longtemps en la compagnie de l’aventurier, bien qu’agréable, pourrait les compromettre l’un comme l’autre. Un groupe de passant s’avança à leur côté, une femme dissimulée sous une ombrelle alors que, près d’elle, deux hommes en redingote s’amusaient à commenter les bêtises des canards au milieu des lotus.
Capone se dirigeait vers un portail en fer rouillé pour sortir du parc, attendant Iris devant et se retournant vers elle dans l’expectative. La Méduse jeta une œillade à Jin avant d’étirer un large sourire face à l’aventurier. Les rayons du soleil faisait miroiter ses lunettes et le reflet d’Hidoru se dessinait sur ses verres. Elle s’avança vers Jin pour lui déposer un petit baiser sur la joue, juste dans le creux de sa fossette.
- Hé bien, je vous remercie, mon cher Hidoru. Je ne voudrais pas abuser de votre temps, j’en ai déjà bien profité. Si jamais je vous manque plus tard, n’hésitez pas à m’appeler sur via cristal.
Elle lui jeta un petit clin d’œil malicieux.
- Après tout, comment pourrais-je ne pas vous manquer… ?
Monter la température ? J'ai déjà entendu cette réplique, et c'était Haru. Au plumard. Tous les deux. C'est dire à quel point j'suis à la limite de la limite. Mon palpitant s'emballe, imaginant des idées lubriques qui n'ont pas lieu d'être. Alors, j'reste silencieux, les joues écarlates, le sourire béat et niais. Ressaisis-toi, Jin.
- Vous risquerez de vous brûler.
Merde, c'est pire.
Bon, bref. D'un signe de la main j'essaie de dire au revoir aux ados après avoir récupéré mes affaires, qui ont l'air d'avoir passé un bon moment. La plupart se racontant que c'est la première fois qu'ils voient un pyro à l'œuvre. D'autres en disant qu'ils sont parvenus à toucher mon manteau, autant de conneries absurdes qui leur donnent un peu de bonheur et c'est tant mieux pour eux. Le journaliste quant à lui va juste prendre un regard incandescent qui le menace de le carboniser sur place s'il continue de prendre mes miches dans son cadre magique. J'trouve que j'me suis sérieusement assagi depuis ses deux dernières années. Il y a eu un temps où j'pouvais dégommer ce genre de charognard à coups de marteau avant de le foutre dans une cage à Pinplume. Mais, Jin, c'est bien, tu fais le nerveux, mais pourquoi tes phalanges sont liées dans celles d'Iris alors que vous fuyez comme deux amoureux loin de la foule ? Petit chien-chien.
J'crois entendre des petits pas derrière nous et c'est en tournant la tête que j'vois le gosse-bonhomme. Ou le bonhomme-gosse. Bref, le bébé habillé en homme d'affaires. Il a l'air de me faire du boudin. M'en cogne mon pote, revient dans 50 centimètres. L'impression que nous sommes assez loin, maintenant, Iris va faire mention de sa sœur. Vrai que j'sais pas si elle avait parlé de moi, ou de nous durant notre investigation sur le trafic de gloobies qui a coûté la vie de pas mal d'entre eux. Pire, deux de ces enfoirés ont essayé de voler le mien. Mais entre ma réputation et le cercle le plus proche, j'ai parfois du mal à faire la nuance. Bon, durant une conversation, j'sais à peu près quand quelqu'un s'adresse aux Châtieur Ardent, à Jin Hidoru, Amant du premier Ministre et... Jin, ce que mes proches que j'aime connaissent. Ils sont combien ? Oh, vraiment pas beaucoup. Deux Saphirs sont mentionnées, deux légendes, et j'suis pas encore à l'aise au fait que c'est ce qui m'attends.
- Ne vendons pas la peau du grognours avant de l'avoir buté. Pour l'instant, j'suis pas Saphir. Carciphona est une femme extraordinaire, gentille, d'une grande bonté, je suis sûr qu'elle amuse la galerie avec sa loutre. Son surnom de "Saphir Trop Géniale" n'est pas arrivé tout seul. Arya, en revanche, ouais. Probablement trop timbrée pour juste acheter du pain ou dire bonjour à des gens sans faire flipper toute l'assemblée.
Si j'ai un grand respect pour son travail, le personnage derrière tout ça me scie les nerfs. Egoïste, prête à foutre une armée entière dans la bouse simplement pour assouvir ses curiosités folles. Un comportement suicidaire qui ne montre pas une certaine exemplarité dans la Guilde. Nope, tout le contraire. Elle pue le danger et dans le mauvais sens du terme. Celui qui prétend le contraire est un menteur. Mon visage amer se déforme doucement par la colère. J'suis quelqu'un qui adore la castagne, foutre des marrons dans la tronche et carbonisé mon environnement dans un combat. Mais risquer la vie des collègues ? JAMAIS. J'lâche un grand soupir et lève une main humble afin d'essayer de rectifier le tir sur les on-dit.
- Il y a pas mal de frimeurs, je l'accorde. Vendre sa gloire fait partie du métier, reste à bien le faire et dans un bon cadre. J'suis pas un extraordinaire orateur, mais les rapports de quête suffisent normalement à fabriquer notre légende. D'autres veulent plus que ça, c'est comme ça, on y peut rien. Ce genre de personne se trouve partout dans notre pays. Garde, Noble, Citoyen, Aventurier.
J'suis en partie d'accord avec elle. Il y a des égoïstes. J'finis par sourire nerveusement, en m'imaginant avec un costard autour d'une table avec des vioques, Jack à mes côtés et...
- ... Mouais, j'vais quand même y réfléchir, mais le terrain risque de beaucoup me manquer.
Qui sait ? Quand j'serai assez vieux et cassé en morceaux, p'tete qu'une réorientation professionnelle dans une carrière de conseiller pourrait être envisageable. Mais, on y est pas. Pas du tout. Y'a du boulot et des criminels à défoncer. On retrouve la tranquillité en s'approchant d'une mare d'eau, endroit où le gosse qui nous talonnait donne la becquée avec ses miettes qui ont l'air de sortir à l'infini de ses poches. Il prit la tangente et nous voilà... Tous les deux, encore. Va falloir que ça se termine tout ça. Ses lèvres s'approchent, butine ma joue avec une délicatesse bien singulière. Le temps des au revoir. Au revoir, puisque effectivement, nous synchronisons nos cristaux respectifs de communication. Un frisson, un peu troublé, un rictus léger. Une p'tite réponse.
- Ouais, on se rappelle. Vous êtes dangereuse, Iris, un jour comme dans cette partie de Yu-Guilde-Oh je verrais clair dans votre jeu.
J'prends quelques pas de recul, laissant également un clin d'œil taquin.
- Me manquer ? Soyez pas aussi prétentieuse, même si vous êtes pas loin de la vérité. Merci pour votre initiative, et pour ces gamins.
Sur ses mots j'décolle dans les airs dans une onde de choc, en laissant une traînée de flammes dans les cieux, une tâche carbonisée vient d'apparaître sur le sentier, agitant ma main dans sa direction pour la saluer une dernière fois avant de disparaître dans l'horizon.
Depuis toute cette petite escapade, nous avons tous les deux joué. Et, j'en suis sûr, maintenant...