Bon, en réalité, la quête qu'il avait prise relevait plus de l'anecdote rigolote racontée au détour d'une pinte, à la taverne, que du récit mythologique grandiloquent dans lequel il apparaîtrait comme un être envoyé de Lucy elle-même pour voler au secours de la veuve et l'orphelin. Le descriptif expliquait qu'un monstre type crustacé géant avait repéré sur les côtes, non loin du Grand Port, aux abords d'un coin dont les touristes raffolaient pour venir passer leurs après-midi à se dorer la pilule et à jouer tels des adolescents dans l'eau salée de la mer. La particularité de cette bestiole était qu'elle n'attaquait personne véritablement : apparemment, elle se contentait de faire peur aux gens qui osaient trop s'approcher de là où elle avait élu domicile. De plus, il était précisé qu'aucun aventurier non-musicien ne serait accepté pour réaliser cette quête. Il n'était fourni aucune explication quant à ce détail dans la politique de recrutement, mais cela avait tout de même suffit à faire tiquer Zeny. Il était exactement la personne qu'il fallait pour cette mission. Certes, la récompense n'était pas mirobolante, mais il fallait bien reconnaître que tout salaire était le bienvenu pour notre cher artiste aux cheveux bleus.
Le soir-même après qu'il se soit enregistré comme volontaire pour la mission, donc, il se tenait prêt. Il avait pris un bon repas, fait quelques exercices au sabre pour s'échauffer, et avait ensuite passé près de deux heures à jouer de son banjo, maintenant que sa chère mandoline était en miettes – foutue gamine illusionniste.
Lorsque les toutes premières teintes orangées de la soirée vinrent se mêler au bleu pâle de la voûte céleste, Zeny partit de l'auberge dans laquelle il avait élu domicile, avec son habituelle tenue, son sabre, et son sac sans fond, dans lequel il avait emporté son banjo, une trompette et un luth, ainsi qu'une batte de bois renforcée de morceaux de métal attachés à même la tête de cette arme surprenante. Il lui faudrait environ une heure de marche pour arriver à l'endroit indiqué, et il avait jugé qu'une attaque en fin de journée, au tout début de la soirée, pourrait potentiellement lui donner l'avantage. Un crustacé hors de l'eau devait déjà ne pas être au mieux de ses capacités, alors il y avait fort à parier que la pénombre grandissante s'avérerait être une alliée de poids.
Tandis qu'il marchait, il passa en revue ses options : l'attaque à mains nues serait probablement la plus mauvaise option. Bien qu'il était particulièrement doué dans la lutte physique directe, un crustacé géant avait de fortes chances d'être équipé de pinces capables de lui sectionner le torse en deux en un éclair. Ses coups et techniques avaient beau être précis, ils étaient clairement pensés pour être utilisés contre des humanoïdes. L'attaque à distance ne donnerait rien : il n'avait aucune arme de ce genre, et n'était clairement pas doué pour, de toutes manières. Eddie non plus ne lui serait d'aucune aide – à moins qu'il n'ait le souhait d'améliorer les capacités d'un ennemi qui allait déjà lui donner du fil à retordre. La seule solution qui lui restait, c'était le combat au corps à corps, armé. C'était d'ailleurs pour cela qu'il avait emporté cet espèce de gourdin barbare et son sabre. Son idée était de frapper à répétition des parties de la coquille du crustacé jusqu'à briser celle-ci, et d'en finir à l'aide d'une attaque précise au sabre. Il n'était clairement pas le plus doué une fois des armes en main, mais là ne résidait pas le succès du combat à venir : il fallait esquiver. S'il ratait quelques coups, mais esquivait tous ceux de son ennemi, alors la victoire serait aisément sienne. Oui, ça allait aller !
Il avait tant réfléchi à son plan qu'il ne se rendit même pas compte qu'il venait d'arriver sur les lieux où il était censé combattre le monstre. Ce fut une voix assez grave dont les manières laissaient penser qu'elle appartenait à un noble qui le tira de ses pensées :
« Eh bien eh bien, très cher, voici donc un nouvel énergumène que l'on envoie nous divertir. Pourvu que celui-ci soit doué d'un tantinet plus de sensibilité artistique que les rustres dont nous avons été gratifiés jusqu'ici, hohohoho ! »
Le musicien leva les yeux et n'eut pas bien longtemps à chercher la source de ces mots : devant lui, à une dizaine de mètres tout au plus, se trouvait une table de fer blanc très joliment travaillée, avec deux tasses posées délicatement dans leurs coupelles, ainsi que deux chaises, plantées à même le sable de la plage. Il cligna des yeux, comme pour se convaincre qu'il ne rêvait pas, et observa à nouveau les êtres qui se tenaient sur les chaises : sur celle de gauche, une crevette d'un rose splendide de la taille d'un humain, pourvue d'un monocle à la monture dorée, ainsi qu'un superbe chapeau gibus, qui n'aurait normalement pas pu tenir sur la tête d'une crevette étant donné la différence de formes entre la caboche et le couvre-chef ; sur celle de droite, un crabe gris acier splendide, lui aussi équipé d'un splendide chapeau haut de forme, mais qui avait troqué le monocle de sa comparse pour une moustache des plus fournies et raffinées qu'il ait jamais été vu en Aryon.
Alors qu'il restait bouche bée face au spectacle qui s'offrait à ses yeux, le crabe prit délicatement du bout de sa pince la tasse, la porta à sa bouche et en versa une gorgée dans son gosier, avant de répondre à la crevette :
« Il semblerait, très chère Marthe, que nous ayons provoqué chez cet étrange personnage aux couleurs flamboyantes une sorte de choc qui l'a comme... hm... » Sa moustache se trémoussa de gauche à droite une seconde. « … Pétrifié ! Oui, c'est cela même, pétrifié, huhuhu ! »
« Vous avez fort raison, mon bon Thierry, ce pauvre hère a l'air totalement perdu... » La crevette dénommée Marthe agita une de ses pattes en direction de Zeny. « Hou-hou... ! Cher ami, êtes-vous envoyé par vos semblables afin de nous divertir, comme nous en avions fait la prompte demande auprès de ces chers badauds qui se baignaient joyeusement dans la mer, il y a de cela quelques jours ? »
Encore et toujours, l'aventurier était bouche bée face à la scène totalement lunaire qui se déroulait sous ses yeux. Il s'était attendu à un monstre, prêt à en découdre, féroce et virulent... Pas à deux crustacés aristocratiques qui prenaient le thé tranquillement sur la plage et dont l'élégance pourrait rivaliser avec celle de certains nobles d'Aryon !
« Ma foi, ce comportement me semble certes plutôt impoli, mais au moins fait-il preuve de plus de considération et de délicatesse que ces vils gredins qui avaient tiré leurs armes, furibonds, et nous avaient agressés à brûle-pourpoint ! » s'offusqua la crevette.
« Oh, tout à fait, ma chère amie, tout à fait... Quel souvenir insupportable que celui de leurs visages distordus par une animosité si irrationnelle et inconvenue... Laissons donc notre invité reprendre ses esprits, peut-être sera-t-il plus enclin à nous faire la discussion lorsqu'il sera revenu des lointaines contrées dans lesquelles son esprit s'est enfoncé. »
La veille, tu avais voulu retourner dans ton petit endroit secret de la plage, mais avec grande surprise tu étais tombé nez à nez devant une bien drôle de situation; des aventuriers armés jusqu’aux dents, essayant de battre une crevette de taille humaine et un crabe géant. Tu te frottas plusieurs fois les yeux et te pinças le bras pour vérifier que la scène devant toi était bien réelle. Tu ne sais par quelle magie, les aventuriers furent projetés à tes pieds et ils repartirent en courant, insultant de tous les noms ces étranges bestioles. Tu ne connaissais pas la faune d’Aryon de fond en comble, mais ceux-là, tu t’en serais rappelé. Des humains maudits ? Plausible...
Tu avanças tranquillement en essayant d’esquiver ce cirque au milieu de la plage, mais visiblement, les deux loustics fortunés n’étaient pas du même avis. Le crabe se leva et barra la route devant toi de sa puissante pince.
- "[crevette] Hop hop hop, tu vas où comme ça ? Personne ne passe derrière nous avant d’avoir réussi notre requête. "
- "Votre ? Requête ? C’est quoi ce délire, la plage appartient à personne !"
- "[crabe] Mais quelle impolie ! "
- "Mais de quoi je me mêle !"
Tu étais extrêmement agacée mais te rappelant de la scène précédente et face à l’énorme pince devant ton nez, tu reculas et fis demi-tour pour rentrer chez toi. Tu étais décidée à aller voir la guilde à l’aube, savoir s’il avaient des informations sur ce délire. Tu avais besoin de te retrouver seule sur cette plage et ce n’était pas deux crustacés géants qui allaient t’en empêcher.
À L’aube, après une mauvaise nuit, n’ayant pu de te reposer dans ton endroit préféré, tu te préparas à partir. Tu avais passé une dernière lune assez fatigante et tu venais seulement de revenir d’une quête difficile, tu avais le besoin de te reposer et prendre du temps pour toi. Avec grande frustration tu t’habillas pour partir vers le centre de la guilde. Tu mis un pantalon noir troué, un t-shirt rayé noir et blanc, par-dessus tu mis une veste déchirée sur les bords, tu ajoutas ton ras de cou orné de pics, le bracelet assortit et de nombreuses bagues de toutes formes. Tu te maquillas rapidement les yeux de poudre noire et violette discrète et coiffas tes cheveux avec tes doigts. Tu pris un petit thé en saluant ta mère déjà levée, lavant la cuisine de l’auberge, ton père ronflait encore et faisait trembler les murs de la maison.
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Arrivée à la guilde tu regardas les annonces du moment, rien de particulier jusqu’à cette feuille semblant abandonné dans un coin, comme si personne n’en voulait. Tu y jetas un œil avant de voir le mot crustacé géant. Bingo. Tu lus avec attention la note, tu n’avais plus aucun doute sur la quête, elle parlait bien des deux aristos-crustacés de la plage. Tu t’enregistras à la mission et repartie chez toi te préparer pour la mission et t’organiser.
Dans ta chambre d’auberge tu relus avec attention la mission et notas les points te semblant importants, le plus troublant était la mention “'aucun aventurier non-musicien ne serait accepté pour réaliser cette quête”; tu étais sans aucun doute faite pour la mission, mais tu ne voyais vraiment pas le rapport entre tes compétences de musicienne et les deux abrutis.
Tu passas le reste de la journée dans la bibliothèque de la ville à relire les livres sur la faune d’Aryon, sans aucun succès. Tu pris un dernier livre, sur les contes d’Aryon et avec grand étonnement tu tombas sur l’histoire de crustacés anciens, grands fans de musique, demandant des concerts privés dans le grand port d’Aryon en échange de bénédictions de bonnes pêches pour la future lune. Tu n’avais vraiment jamais entendu parler de cet étrange récit, pourtant tu avais passé la plus grande partie de ton temps entouré de pêcheurs. Un conte surement oublié du grand public. Seraient-ils donc ces fameux crustacés anciens ?
Il commençait à être la fin de journée et il était temps pour toi de te rendre sur place pour cette mission. Tu avais sur toi ton couteau, au cas où, mais si le récit était vrai, il ne te servirait à rien. Ton sac sans fond dans lequel se trouvait ta gourde fontaine et une trousse du parfait maladroit.
Tu arrivas sur place et remarquas que tu n’étais pas seule ce soir à vouloir divertir la crevette et le crabe. Visiblement, l’aventurier aux cheveux bleus avait été pris de court par la situation, il semblait éteint. Tu arrivas à son niveau et lui tapotas l’épaule.
- "Cher collègue, nous avons du travail. Vous êtes musicien ? Je pense qu’on va devoir leur donner le meilleur concert de leur vie... "
Tu te plaças face aux deux crustacés assis sur leur chaise de riche, tu n’avais pas l’habitude de chanter devant des personnes nobles ou aisées, mais il y avait une première fois pour tout; ce n’est pas leur statut qui allait te faire changer de manière de chanter. Ainsi tu étais prête à sortir ta plus belle voix de chanteuse d’auberge.
- "J’espère que vous aimez le rock."
- "[crevette] Ah, mon cher, ce minois me rappelle une énergumène. N’est-ce pas la malpolie d’hier ? Vous commencez mal mademoiselle."
- "[crabe] Rock... comme les cailloux ? Est-ce de la moquerie ?"
Pas le temps de discuter, il était temps de faire ton concert du soir.
- "J'ai vu trois crevettes dans l'eau, deux étaient vieux et gris
J'ai nagé un peu plus près et. J'ai entendu le troisième dire
Adieu maman crevettes, papa serre ma main
Voici venir la crevette pour m'emmener à *Ildorée*
Voici venir la crevette pour m'emmener à *Ildorée*
Il a montré à sa maman et à son papa, le journal de crevettes qu'il a lu
Une invitation à toutes les crevettes et c'est ce qu'il a dit
Free ride, la *Pierranta*,
Si je devais vivre jusqu'à quatre-vingt-dix ans, je n'oublierai jamais
La petite crevette et la chanson qu'il chantait alors qu'il sautait dans le filet
Adieu maman crevettes, papa serre ma main
Voici venir la crevette pour m'emmener à *Ildorée*
Voici venir la crevette pour m'emmener à *Ildorée*"
Tu chantas avec une voix claire et rauque. Rien ne pouvait plus t’arrêter, tu étais comme un poisson dans l’eau et tu étais partie pour sortir tes meilleurs sons improvisés crustacés pour tenir en haleine tes clients.
[Song Of The Shrimp - Elvis Presley, arrangement]