« Mon beau sapin,
Roi des forêts
Que j'aime ta verdure.
Quand par l'hiver
Bois et guérets … »
Hervé faisait sonner ses cordes réchauffant cette froide soirée. La cloche de la porte d’entrée résonna encore une fois. Cela ne le distrayait pas de sa prestation. Personne n’y arriverait ! Il entonna la suite :
« Sont dépouillés
De leurs attraits
Mon beau sapin,
Roi des forêts
Tu gardes ta parure. »
Une femme aux cheveux blancs passa devant lui sans qu’il ne s’interrompe. Elle était gonflée comme une baleine échouée et allait sûrement pondre un petit humain dans pas très longtemps. Hervé détestait les petits humains, leurs cris l’empêchaient de chanter à sa convenance. Vivianne s’approcha.
« Joyeux Solstice ! Vous cherchez un cadeau ? »
Et en bonne commerçante elle accompagna sa nouvelle cliente dans les rayons des magasins. Hervé continua sa petite chanson.
« Toi que Noël
Planta chez nous
Au saint anniversaire
Joli sapin,
Comme ils sont doux
Et tes bonbons
Et tes joujoux
Toi que Noël
Planta chez … »
Hervé s’était tu soudainement, car il venait de la voir. Elle était tombée d’une poche, de la poche de la baleine. Une trousse pimpante, irradiante, magnifique ! Elle roulait avec grâce et volupté sur le sol, esquivant la moindre trace de terre qui pourrait tacher son indescriptible beauté. Elle explorait les environs telle une abeille printanière butinant le nectar de la nouvelle saison. Hervé s’était arrêté de chanter pour la contempler, fasciné par sa danse. Mais elle finit par s’approcher, très près, de plus en plus près … Le violon gigota, visiblement pris d’une grande agitation. Elle s’approchait ! Qu’allait-il bien pouvoir dire ? Que dire à une si belle créature qui semblait maintenant si proche qu’il pouvait entendre le crissement de son cuir parfait ? Que dire …
Hervé sursauta en voyant que la belle avait roulé jusqu’au comptoir pendant qu’il se demandait ce qu’il allait bien pouvoir lui dire.
« Quand tu marches, tu marches vers moi.
Et je rêve, et je rêve, et je rêve
Qui es-tu ?
Je sens ton regard
Qui m'embrasse
Et je n'en fais rien
Et je rêve, et je rêve, et je rêve
Qui es-tu ? chantonna le Violon embarrassé en sentant son regard posé sur lui. »
- Ouais mais tu vois, sœur, c’est qu’il est pass-io-nné. Et ça, ben c’est quand même hyper beau, déclara le sac-à-dos alors ils contournaient la façade au glaçage hivernal de l’Aventurier Téméraire.
- C’est « beau » comme le cul d’un grognours, oui, déclara le hochet de puériculture logeant dans l’une de ses poches latérales, à proximité imprudente des flèches de foudre lorsque l’on connaissait son caractère quelque peu acariâtre. Clairement il a fait pousser des tulipes à la place d’son cerveau pour cracher autant de conneries à la lune. C’est quoi l’dernier terrain de jardinage qu’il a choisi dans sa grandeur florale couillonne ?
Apolline gloussa joyeusement au verbe acerbe d’Azumi, gigotant fébrilement depuis l’une des ouvertures antérieures d’Abdallah alors que celui-ci balbutiait son outrage alourdi de la lenteur alanguie le caractérisant. La trousse de cuir n’avait, pour sa part, aucun parti pris. Mais l’enthousiasme de ses camarades exacerbait le sien, et elle était curieuse de voir si l’exécrable hochet réussirait à cabrer l’usuellement affable Abdallah.
- Ecoute, ma belle…
- Mon oreille dans ta fente – et par les loches décrépites de Lucy c’est quoi cette merde sur ton rabat, c’est une évacuation naturelle pour le vomi de tes neurones ? – si tu m’rappelles comme ça.
- Ah t’es dure en affaire, sœur. Et tu vois, ben là, quand il était au Village Perché, c’est quand même assez de ouf le truc des pollens qu’il a fait ! Et franchement, ça va. Y a pas eu d’mort, et tout.
- Ben con ! Si ça suffit à rassurer l’peuple. « Y a pas eu de morts cette fois-ci, youpi ! Loué soit le seigneur des pâquerettes pour avoir daigné, dans la miséricorde des champignons hallucinogènes régissant ses actes, épargner ceux qui ont rien demandé. Amen ! ».
- Eeeeh tu fais pas d’effort, Azu. Attends, j’te sors l’interview du Chantelune Voyageur. T’verras, c’est de la balle.
Les sangles du sac-à-dos se contorsionnèrent pour se glisser sous les différents rabats et au-travers des pochettes partiellement fermées, et Apolline évita de justesse une lanière un peu trop zélée passant à proximité de l’arrondi de son cuir. Une première fois. Avant de céder à la curiosité d’observer le refuge où Calixte avait décidé de pénétrer pour se soustraire au déluge floconneux emmaillotant de leur étreinte glacée les badauds errant dans les ruelles de la Capitale. Ainsi, l’attention portée sur les divers trésors recouvrant les étales de la boutique, l’âme artificielle manqua le nouveau passage des bras de tissu d’Abdallah et fut prestement éjectée de son perchoir. La surprise rapidement remplacée par l’amusement, elle termina sa course dans un nouveau rire étouffé par la douce rumeur des clients déambulant dans le magasin à la recherche de leur bonheur.
Une fois libérée de son entrave, quoi que quelque peu déçue de ne pas pouvoir assister à la suite du débat entre Azumi et Abdallah, Apolline laissa libre cours à son intérêt au diapason de celui de Calixte – au moins en ce point s’étaient-ils bien trouvés – et se glissa au gré du mouvement des bottes alentours vers les établis chargés de merveilles. Il y avait là des bijoux de magico-technologie qu’elle imaginait déjà sans peine au service de la diversification de sa propre activité, et frétillait d’impatience à les examiner de plus près. Sifflotant gaiment, elle slaloma entre les pieds affairés, les flaques de neige fondue et de terre humide, et s’approcha des fabuleux objets à la faveur d’un mobilier bien disposé pour ses baguenauderies et d’âmes suffisamment avenantes pour l’aider dans sa quête.
C’est au détour d’une théière à la silhouette de glooby empâté qu’elle l’entendit. Oh, très certainement ses sens enchantés l’avaient-ils perçu dès l’entrée, car il participait à cette ambiance chaleureusement festive tapissant d’un velours confortable l’antre de la boutique, marquant d’un contraste saisissant la froideur extérieure. Mais, jusque-là, ne l’ayant pas pleinement appréhendé derrière le voile de la discussion animée d’Azumi et Abdallah, et les œillères de sa curiosité, Apolline ne s’y était pas intéressée. A présent, elle n’avait plus qu’une idée en tête : aller à sa rencontre. Il était une singularité dans ce paysage pourtant déjà remarquable de miracles, et la trousse de cuir frémissait déjà d’enthousiasme à l’idée de décortiquer de sa verve lubrique cet étonnant personnage. Bibelot. Instrument de musique. Enchantement. Ou, si sa fermeture-éclair n’avait rien perdu de son talent de reconnaissance : cette fabuleuse âme artificielle.
Roulant jusqu’au comptoir d’une trajectoire ne laissant que peu de doute quant à ses ambitions, Apolline s’arrêta à proximité du violon enchanté. Elle avait noté quelques silences impromptus dans la mélodie autrement charmante de l’instrument et, comme il semblait qu’il hésitait à nouveau sur une pause étrange mais audacieuse dans son récital, elle lui accorda l’une de ses rares attentions muettes dans l’anticipation de ce qu’il aurait bien, alors, à lui proposer.
Elle aurait souri, si elle l’avait pu. Au lieu de quoi, elle chantonna joyeusement.
Je m’baladais derrière des culs, braguette ouverte à l’inconnu,
J’avais envie de dire bonjour à n’importe qui.
N’importe qui et ce fut toi, je t’ai chanté n’importe quoi,
Il suffisait de te mater, pour t’embarrasser.
Au commerce enchanté, au commerce enchanté,
A l’abri, sous la neige, à midi ou à minuit,
Il y a tout ce que vous voulez et plus si affinité.
Les dernières notes, aussi justes que claironnantes, s’effacèrent derrière un rire amusé par l’exercice. Profitant de l’élasticité sommaire de son cuir, la petite trousse sautilla fébrilement sur place, l’entièreté de son attention portée sur l’élégant violon. Elle oublia ainsi le radeau humain avec lequel elle était venue jusque-là, occulta complètement la petite foule se pressant entre les murs de la boutique, et rata tout à fait l’attention sans doute mal avisée que certains portaient présentement sur l’étrange duo d’âmes artificielles.
Je suis A. Poal,
C’est ça, je suis A. Poal,
Tu as mis à nu tous mes chants,
Tu m’as saisie de tous tes mots,
Et j’ai le cuir complètement à poil,
Cerné de ton récital,
T’entends je suis A. Poal.
- Les musiques de base:
« Je rêve, pince moi pour voir
J’avoue j’ai du mal, j’ai du mal à le croire
C’est toi qui chantais ce soir
Est-ce que c’est toi qui, vraiment toi qui chantais
Et tu viens nue vers moi »
Le petit violon sembla se ressaisir, comme si chanter lui donnait le courage dont il avait besoin pour en dire davantage. Les mots revenaient, les chants résonnaient en lui. Oui, il ne fallait pas qu’il se laisse gagner par le traque. Il avait réussi à l’impressionner, sa voix l’avait guidé jusqu’à lui, elle l’avait captivé au milieu des … culs et des braguettes. C’était sûrement un signe !
« Au-dessus des puissances, au-dessus des rois
Au-dessus de la nature et de la création,
Au-dessus de tous les plans des hommes sages,
Bien avant le monde, tu existais.
Au-dessus des royaumes, au-dessus des trônes
Au-dessus des … braguettes et des … petits culs,
Par-dessus tous les trésors de la terre,
Rien ne peut mesurer ta valeur. »
Si Hervé avait pu, il aurait sûrement rougi en chantant ce vers un peu osé qui ne manqua pas de faire lever quelques sourcils aux clients qui étaient assez proches pour l’entendre. Une mère se pencha même vers son enfant pour lui couvrir les oreilles.
« Je m'appelle Hervé
J'ai le coeur en Aryon
Où je laisse mes souvenirs
Ton nom me reste caché
Mais mon cœur bat déjà
Au son de ta voix. »
Visiblement l’innocent violon n’avait pas compris le double sens du mot A.Poal. Le pauvre se disait qu’elle était peut-être trop timide pour se présenter, après tout il la regardait d’un bon mètre de hauteur. Ce n’est pas son perchoir qui lui donnait une meilleure vue. En effet, il n’avait d’yeux que pour sa trousse. Avec un peu plus d’attention, il aurait pu remarquer qu’il y avait un visage derrière eux qui ne les regardait pas avec le même regard amusé que les autres clients. Il s’agissait de Patrick. Patrick était un voleur à la petite semaine. Patrick n’avait pas beaucoup de succès auprès des filles, car Patrick était très bête. Heureusement pour Patrick, son super ami Pedro lui avait expliqué que les filles aiment l’argent. Alors Patrick était devenu un voleur. Sauf que Patrick ne sait pas compter alors il ne savait pas quoi voler dans cette boutique.
Pourquoi je vous parle de Patrick ? Eh bien, parce que Patrick est justement en train de se baisser pour ramasser la petite trousse et la fourrer dans sa poche. D’ailleurs Patrick a également attrapé Hervé et le voilà qui court dans les rues de la capitale ! Mais pourquoi a-t-il fait ça ? Pourquoi kidnappé une trousse qui a fait de l’indécence une marque de fabrique et un violon innocent ? Eh bien parce que Patrick pense que plus quelque chose est magique et incroyable et plus ça se vend cher ! Eh oui, Patrick a beau avoir 20 ans, il a le QI d’un enfant de 4 ans, c’est comme ça.
« Mais qu'est-ce qui m'a pris
Dans ma tête c'est la nuit
Comme si ça sonnait faux
Dis-moi qu'est-ce qui m'arrive
Je m'éloigne, je dérive
J'en ai demandé trop
Oh si seulement ma route n'avait pas croisé la tienne
La nuit je sens le vide qui m'entraîne
À trop les mots d'amour en remède,
À l'aide !
Oh si seulement, ta vie n'avait pas changé la mienne
Mais qui pourrait bien porter ma peine ?
Qui peut soulager mon coeur qui saigne ?
À l'aide ! hurlait notre petit violon terrifié. »
J’ai ton chant ancré sur le mien,
J’ai ton désir ancré à mon cuir,
Viens, rien ne nous retient à rien,
Tout ne tient qu’à nous.
Je fais de toi mon essentiel,
Tu m’élèves haut parmi les trousses,
Je fais de toi mon essentiel,
Celui pour qui la voix je pousse,
Si tu veux qu’on s’aprenn… hééééé !
Une main l’avait saisie, et rien qu’à l’évasement corné de la peau, Apolline savait qu’il ne s’agissait pas de celle de Calixte. Surprise, curieuse, et pas opposée à l’idée de partir à l’aventure – même si cette aventure devait être la rencontre désagréable d’un client, ou d’un gérant, courroucé par ses mélodies relativement peu tout public – elle arrêta soudainement de brailler pour apprécier la suite des évènements. Apparemment, ceux-ci comportaient effectivement une échappée dans les rues toujours glacées de la Capitale, entre les bras d’un jeune homme semblant particulièrement satisfait de son larcin. Peut-être s’agissait-il en réalité d’un de ses nombreux fans ? La nature de ses romans attirait parfois d’étranges énergumènes, mais l’âme artificielle n’était pas discriminante dans l’approche de son audience. Elle avait même demandé à Calixte des lingettes pour pouvoir accueillir ceux aux doigts encore émoustillés de ses derniers écrits.
Au contraire d’Hervé – si elle avait bien saisi les propos du violon, à défaut de, pour l’heure, le saisir tout à fait – qui paraissait complètement dépassé par les évènements.
L’hiver toujours présent dans la nuit,
La neige est reine alentours,
Un royaume d’incertitudes,
Ma place avec toi, pour toujours.
Le chant qui hurle en moi
Te protègera de tout,
Donne-moi ta peur,
Ensemble, jusqu’au bout.
Cache ta frayeur, ouvre tes chakras,
Et peut-être, l’aventure te séduira,
Pas d’état d’âme, pas de tourments,
De sentiments.
Libéréééééés…
Pour l’heure, dissimulé par l’épais manteau de flocons et la rumeur de la ville enneigée, Patrick poursuivait sa route en ricanant bêtement de sa réussite. Nul doute son ami Pierrot lui rachèterait-il à prix fort ces deux objets formidablement enchantés, ce qui amènerait un peu de cristaux bienvenus dans sa bourse, et quelques femmes accortes dans son lit. Ou à sa table. Patrick n’avait pas encore tout à fait saisi comment passer le cap du restaurant à sa chambre, il semblait à chaque fois que tout son argent disparaissait dans la note des repas, ce qui l’enquiquinait grandement. Certainement les gentes dames s’essayant à sa compagnie trouvaient-elles rapidement comment profiter d’un fabuleux dîner tout en s’épargnant ensuite les obligations cristalment chiffrées de la chair, mais cela Patrick ne l’avait évidemment pas compris.
Comme le jeune homme n’avait pas de tête – voire peu de matière grise – il avait des jambes, et il arriva donc bien assez rapidement au passage dissimulé menant sur l’arrière-cour de la demeure de Pierrot. Pierrot trempait dans tout, mais surtout dans la Luisante. Sa maison, qui tenait plus de la bicoque que du manoir, par un procédé propre à ces constructions misérables, avait les pieds directement dans le fleuve traversant la cité. Ce qui avait fait proliférer un tapi de lierre et de champignons le long des murs de la bâtisse que Pierrot s’escrimait à appeler « la caverne de Pierr’ibaba », mais surtout donnait à celle-ci un accès indéniablement avantageux sur le cours d’eau. Fait connu par beaucoup, car rien n’était plus évident, permettant à Pierrot de se retrouver au carrefour de bien des affaires. Souvent bancales, rarement vraiment sombres. La pègre évitait son enseigne à l’intelligence ténue, connue de la Garde comme s’il s’agissait d’une taverne jouxtant la Caserne.
L’accord entre Patrick et Pierrot fut vite scellé, ce dernier pas tellement mieux fini que le premier, et, lorsque le jeune homme s’en fut allé avec sa bourse de cristaux – incomplète au demeurant, mais il ne savait compter – le revendeur se dirigea vers l’une des rares pièces de sa bicoque qui lui servait de salle de stockage. Il connaissait une troupe de saltimbanques – pas terriblement fameuse mais assez audacieuse pour décider sur un coup de tête de claquer tout ses cristaux en matériel douteux et partir sur les routes en quête de gloire éternelle – et pensait faire fortune dès le lendemain en leur vendant ces deux objets chantants avant que les braves ne partissent à l’assaut des sentiers Aryonais.
Aujourd’hui commence notre aventure,
Le danger est là, toujours présent,
Je suis prête à faire face,
Ou même à rouler loin,
Rien au monde, ni personne ne prendra notre liberté.
Si on est unis, on n’a rien à craindre,
Et notre route sera facile à atteindre.
Jour après jour, on s’amusera,
Alors, viens avec moi !
Déclama joyeusement Apolline, tout heureuse de cette occasion de partir à l’aventure avec un nouveau compagnon.
- Les musiques de base:
« Va-t’en
Dehors y a des orgies
Jusqu’au fond des tuyauteries
Va-t’en
Dehors j’ai vu un ciel si dur
Qu’il en tombait du fromage
Va-t’en
Dehors il y a de la nourriture
Qui ne sera pas en bois ! »
Hervé hurlait ces mêmes paroles pour essayer de faire fuir l’immonde rat aux yeux rouges qui essayait de lui grignoter les cordes depuis 5 minutes. Lorsque le propriétaire n’était pas là, sa boutique grouillait d’une vie … particulière. Quand ce n’était pas les termites qui trouvaient qu’Hervé ferait un bon quatre-heure, c’était les rats qui venaient se faire les dents sur ses cordes. La vermine finit par être chassée d’une tape sur le derrière par la fringante Apolline. Que serait Hervé sans elle ? Depuis qu’il était arrivé, elle était la seul à réussir à le consoler. Sa fraîcheur, son entrain, son envie d’aventure … Tout cela apaisait le violon et l’aidait à accepter son sort. Pierrot avait vite compris, avec ses deux neurones, que laisser les deux objets ensemble empêchait le violon de chanter des œuvres qui donnaient une furieuse envie de se jeter dans le fleuve. Alors, il avait bien pris soin de laisser la trousse dans son champ de vision.
Hervé regarda sa sauveuse, cette souple trousse qui roulait toujours à sa rescousse lui qui ne pouvait pas bouger. Il éprouvait d’étranges choses quand il la voyait et ses sentiments se décuplaient quand elle lui répondait en chantant.
Je m'approche du vide qui me guette
Je plonge, je mets en premier la tête
Mon cœur se recouvre peu à peu de bleu
J'ai peur d'oublier ta présence
De perdre le jeu de la confiance
Les questions qui me rongent se perdent un peu
Mais c'est pas si facile
Et face à toi je pile
Mais je reste immobile,
C'est comme ça de partir en voyage ?
Ne pas pouvoir tourner la page
Et me perdre encore une fois dans ton cuir
C'est comme prendre enfin la route
Oublier ce que l'on redoute
C'est quand je me retrouve seule qu’ils viennent me nuire
Et c’est sur ces belles paroles de reconnaissance que la nuit passa pour notre petit violon, qui allait bientôt commencer son aventure. Le lendemain, une troupe se présenta à la caverne de Pierr’ibaba. Tout d’un coup, la froide et miteuse boutique fut emplie de lumière et de soleil, chassant les rats et les termites. La nuit avait été longue, mais Hervé gardait espoir. Apolline lui avait dit, les aventures étaient merveilleuses et il était en train d’en vivre une ! Pierrot s’empressa de présenter ses deux nouvelles trouvailles à ses clients qui semblèrent très excités quand Hervé leur fit une démonstration ses talents.
« On prend le violon ! s’exclamèrent-ils comme des enfants un soir de solstice. »
Immédiatement Hervé protesta.
« J'ai trouvé ma moitié
Mon cœur est déjà validé
Pour nous deux c'est géré
Mon cœur est déjà validé
Mama oh eh
Ils vont me tué
Leur façon de poser les yeux sur moi me donne envie de crier
Mama oh eh
Son parlé va vous tué
La façon dont elle roule, elle fait le show
Moi je veux m'envoler avec elle »
« On prendra aussi la trousse. »
Hervé était heureux, libéré. Il ne dormait plus dans une cave miteuse à ma merci des rats, non, maintenant il avait l’occasion de chanter pour des publics tellement différents ! La petite troupe de troubadours les mit directement à l’épreuve. En effet, ils n’avaient plus un rond après avoir acheté ces deux objets incroyables. La petite troupe se trouvait dans le fond d’une charrette quand Emily finit par leur poser la question.
« Alors mes petits amis comment vous vous appelez ? »
« Je suis libre ce matin
Je m'appelle Hervé
Au milieu des rongeurs
Entre deux termites, Hervééééé
Elle est libre ce matin, elle s’appelle A. Poal
Elle m'a tendu le cuir et je suis en vie
Elle est tout ces écrivains qui ont pris la route
Elle vivra cent mille ans, elle s'appelle A. Poal ! »
Mama Brigitte lâcha son livre en entendant le nom de la petite trousse. L’ouvrage tomba sur le fond de la charrette en révélant son titre écrit en lettres d’or : « L’Étalon des guerrières ».
« A. Poal ? La légendaire A. Poal. Je suis votre plus grande fan ! »
Eh le reste du voyage fut ponctué par les discussions émoustillées de la trousse et de sa plus grande fan au point d’en faire rougir Hervé et les autres membres de la troupe. En arrivant dans le prochain village, notre petit violon eut la chance de faire une représentation devant un public d’enfant , pendant que leurs mères allèrent à l’écart avec mama Brigitte et A. Poal pour une séance de lecture des plus spéciales.
- … et c’est pour ça qu’il faut qu’on gagne ce concours contre les Balthajazz, conclut Emily en se tordant nerveusement les mains.
- N’aies crainte, Emily jolie, répondit joyeusement Apolline alors que mama Brigitte l’aidait fébrilement à dédicacer la collection complète et illustrée de ses ouvrages – autrement dit, se les auto dédicacer comme l’âme artificielle avait momentanément perdu les faveurs de sa scribouilleuse restée dans les entrailles d’Abdallah.
Tu rêves de voler la nuit
Partir rejoindre le soleil, et même la lune, sous ma plume,
Faire un p’tit tour au paradis.
- A. Poal, voyons, rougit superbement la jeune femme.
- C’est le bel Hervé, il m’inspire des envolées lyriques à partager ; plus on est de fous, plus on bai…
- ON ARRIVE ! rugit Pascal à l’avant de la colonne des misérables carrioles.
Après avoir dépensé une petite fortune dans l’achat des âmes artificielles et autres accessoires nuls doutes aussi remarquables qu’inutiles, le groupe de musiciens n’avait pu s’offrir le luxe de troquer les misérables charrettes qui leur servaient de transport, de caisses à stockage, et de maison. L’une d’elles, roulant péniblement sur des tonneaux ayant remplacé les roues cassées, attestait de manière évidente de la pauvreté de ses propriétaires. Comme de leur généreuse descente. Hervé et Apolline, de part leur éminence manifeste, s’étaient vu alloués la plus somptueuse des voitures, bâchée même d’un voile hydrophobe qui leur avait déjà permis quelques journées confortables à l’abri des caprices du ciel. La paille sur laquelle ils voyageaient était bien moins pourrie que celle des autres, et on leur avait déposé un cristal de lumière, brisé mais fonctionnel, leur permettant de passer de longues heures à se regarder amoureusement dans le blanc des yeux qu’ils n’avaient guère, ainsi qu’un lit de pétales de juiceytea, triste ersatz d’une nappe de roses mais avec l’avantage de pouvoir se boire en infusion, si l’on était doté d’un système digestif. Ce que, évidemment, ni Hervé ni Apolline ne possédaient donc.
Ce qu’ils possédaient en revanche, c’était le répertoire musical du violon enchanté que ce dernier récitait à fleur d’archer, conquérant ainsi la majorité des publics auxquels on l’avait présenté. Mais, peut-être, la tolérance de leur auditoire était-elle due à sa nature même : un rassemblement de fragiles brindilles sourdes comme des pots, aveugles comme des taupes, et vaillantes comme des gloobys, regroupées au sein de larges bâtiments issus d’un autre âge et portant l’étrange nom de maisons de retraite. Pour tenter d’arrondir leurs gains, les saltimbanques proposaient généralement une cession nocturne aux travailleurs sur place, et la retraite devenait alors autrement plus fiévreuse. Apolline, ravie de prêter sa voix pour entretenir ce revirement d’ambiance, s’amusait à observer son camarade de voyage s’essayer à de nouveaux registres. Néanmoins, ce soir-là, le défi serait bien plus grand, et la récompense possiblement au-delà de son imagination de petite trousse.
Non. En réalité, rien ne pouvait dépasser l’imaginaire de celle-ci, mais la narration aime fabuler.
Il est venu le temps des récitals
Le groupe est entré
Dans une nouvelle aire d’arène
On va monter vers les étoiles
Ecrire notre victoire
Sur une scène ou en taverne
Chantonna joyeusement Apolline à l’adresse d’Hervé comme ils pénétraient le campement dressé pour l’occasion, dans un large champ jouxtant une bourgade sans prétention. Apparemment non seulement leur faudrait-il gagner des points auprès d’un public venu des plaines alentours – visiblement, le temps mort de la saison ajouté à un agenda socio-culturel de base quelque peu lacunaire, attirait foule d’âmes paysannes – particulièrement sélectif passé midi et trois bouteilles de rouge, mais en plus devraient-ils s’acharner verbalement à prendre l’avantage sur leurs adversaires lors de joutes musicales. Ce qui enchantait d’avance la trousse de cuir, mais qui inquiétait quelque peu leurs amis troubadours, redoutant d’affronter les terribles Balthajazz, solides vainqueurs des précédents concours lyriques.
Sur un air staccato
Je ressens le tempo
De tes rythmes ancestraux
Ensemble il va faire très très chaud
Du cyprès au poteau
Sur un air staccato
Comme de coutume, ils étaient arrivés quelque peu à l’arrache, et alors qu’ils traversaient le campement jusqu’à leur emplacement attitré, l’âme artificielle observait avec enthousiasme toutes ces tentes qui poussaient comme des champignons, et les comptoirs à boisson encore plus nombreux. Après tout, chanter, ça donnait soif. Elle nota les visages joviaux, et ceux emplis d’ambition. Les groupes sans prétention, et ceux déjà riches du fruit de leur labeur – ou de leur chance. Les êtres humains, les animaux, les familiers, les autres âmes artificielles et instruments plus ou moins sophistiqués qui, à n’en point douter, serviraient à un moment où un autre du concours. Elle repéra, aussi, la délégation d’organisateurs venue à la rencontre des participants, et exposant fièrement le premier prix du concours. A savoir, les formes aguicheuses d’une petite lamia taillée dans les courbes d’une flûte à bec.
- Il nous la faut ! s’interrompit-elle brièvement dans sa chanson pour exclamer son désir avec l’avidité d’un enfant passant devant la vitrine d’un magasin de jouets.
Ô comme elle comprenait l’envie de ces artistes de poser leurs mains sur cet instrument récompense ; n’y avait-il pas plus plaisant que de jouer sur les corps bien proportionnés ?
Mais si là, tu vois
Finalement ça n’suffit pas
Notre talent pour les enchanter
Tour de magie, hop là
Pinte réhaussée, et voila
Moi j’y roule et hasta la vista
Ils ne pourront plus que ronfler
Nous on pourra encore chantonner, sans s’arrêter
Non, vraiment, Apolline n’était pas contre partir explorer le reste du coin, ni empoisonner les autres concurrents. Mais, en réalité, certainement oublierait-elle aussi vite son désir pour le premier prix ; son attention étant approximativement celle d’un jeune grognedent.
- Les musiques de base: