Le garde royal avait été le premier surpris de l'annonce que lui avait faite Calyx, son instructeur/mentor/chef/rayez mention inutile. Il est vrai que depuis les événements du désert volant, il n'avait eut l'occasion de revoir personne de l'escouade, à part son capitaine qu'il fréquente et voit passer de temps en temps. Oh, il aimerait bien revoir Solveig, cette amie d'enfance dont l'existence avait été recluse quelque part dans les tréfonds de sa mémoire. Mais ça voudrait dire retourner au Grand Port, et intrinsèquement, revoir sa famille, n'ayant pas progressé depuis maintenant bientôt deux ans, il ne se revoyait pas revenir comme une fleur dans le cocon familial. Tant qu'il n'est pas blessé ; inutile de revoir Luz. Les autres sont maintenant juste des fantômes de son expérience passée.

Java, par contre, d'une certaine manière, l'avait marqué. Avec ses stratégies parfois alambiquées et son audace certaine.

Il n'aurait pas pensé en parler avec Xylia, lors de leur escapade en dehors des murs de la capitale pour résoudre l'existence de cette étrange maladie qui frappait à de ça quelques pas du palais royal. Ni qu'elle parle de lui, d'ailleurs, ce qui devait être le cas ; il ne voyait pas d'autres raisons à ce qu'on vienne lui apprendre que la lieutenante du Village Perché, Java Anggun, avait organisé une petite réunion, plus un tête à tête, entre elle et l'hippogriffe. Bon, la lettre évoquait de la bouffe, une escapade au lac, et des activités...Dignes de Java, disons. Genre, c'est quoi ''la pêche au bras'' ? Et cet ''atelier de cuisson approximative ?''.

Néanmoins, cela semblait être une bonne occasion de retrouver cette personne qui avait tant fait, là haut, parmi les autres, pour sortir tout le monde de la panade. Et c'est pas comme si il pouvait répondre lui même par une lettre, soit il y allait, soit il restait à glander chez lui, deuxième option qui n'était pas du goût de son supérieur, car après tout, ''même hors de notre corps, ne te fâche avec aucun lieutenant. Ca va te pourrir.''. Super. Car il ne croupit pas déjà ici, dans un endroit où sa famille pensait qu'il serait mieux, en vrai ? Il est encore maître de ses décisions, bordel, et c'est pas car Emeor lui a vivement conseillé de s'y rendre qu'il le fait, c'est car ça lui fait plaisir, retenez ces mots !

Une permission avait été demandée pour ce jour fatidique, on lui refuse peu de choses, en ce moment, un des avantages a être un des seuls gardes royaux à être revenu en vie, il imagine. On tient pas à ce qu'il reparte, mais on veut pas non plus le laisser au bercail trop longtemps, une lame qu'on laisse dans son fourreau ne s’abîme pas, mais perd de sa superbe. Il prit rapidement ses clics, ses clacs -de la bouffe, de quoi boire, dormir, bref, un grand sac à dos et son petit sac sans fond feront le travail-, et partit en direction de ce fameux lac, à renfort de grands coups d'ailes d'hippogriffe, c'était pas non plus super loin, et il était toujours aussi rapide, même après ses blessures.

C'est en début d'après-midi qu'il atterrit aux abords de la forêt qui bordait le petit lac où le rendez-vous aurait lieu. Le reste, il le ferait à pattes, enfin, avec ses jambes, genre en forme humain, faites pas semblant de pas avoir compris. Ce devrait être assez évident. En vrai, c'était déjà une forme de rafraîchissement. Leur demande de noble avec Xylia l'avait déjà poussé hors de la civilisation infecte de la grande ville, mais là, c'était...Vivifiant. Aucune pression, des oiseaux babillant dans les arbres, et- merde il est perdu. Il a jamais eut un grand sens de l'orientation, ni de l'attention. Des bêtes volantes, rampantes, courantes avaient vite eu raison de son objectif initial. Essayons d'oublier les odeurs des étals du grand marché, les bruits des voisins qui hurlent, la foule de gens se marchant dessus, focalisons nous sur les piaillements, le bruit des feuilles, l'odeur de brûlé, la fumée qui-

Eh mais y a de la fumée par là bas en fait !

Avec une solide demie heure de retard, à vue de pif, ça pourrait être bien plus, Hryfin tomba sur le petit campement de fortune de la lieutenante, et accessoirement, sur elle. Que elle, hein, bien qu'elle sache se dédoubler, il avait pu l'observer de ses propres yeux, elle semblait relativement seule, arborant également quelques stigmates de leurs trop nombreux combats dans l'endroit le plus abandonné par Lucy au monde. Comment aborder la situation ? Un bonjour formel ? Des salutations distinguées ? Cordialement ? Une petite blague, pour re-briser la glace ? Parler du Désert ? Ouais, non, ça, non. Encore hésitant, il s'approcha en laissant tomber tout son bardas de ses épaules directement à côté de ce qui semblait être le futur feu de camp.

'' S'cuze du retard, jsuis bien parti à l'heure pourtant. Tu sais, de base, les forêts et moi, ça fait, genre, douze. ''

Après tout, rester naturel est la meilleure des options, le tutoiement facile, le dialecte...authentique, elle n'avait pas l'air d'être de ceux qui se prennent les pincettes ou discutent avec la tête. Ou inversement. Il sait plus. Les expressions se mélangent parfois aussi mal que l'eau et l'huile dans son esprit. Sentant que ses piètres excuses ne suffiraient nullement à l'excuser, ni à lancer quoi que soit, il devait lâcher la question qui lui avait torturé l'esprit depuis son départ.

'' Eh, Java. C'est quoi, ''la pêche aux bras'' ? ''

Aucunement ''pourquoi tu m'as demandé de venir ?'', ''de quoi tu veux parler ?'' ou ''tu trouves pas qu'il fait beau temps pour la saison, même si on se les caille pas mal en vrai, il fait frisquet au final un peu, j'aurais du me taire''. Juste...Du Ryf typique. Inattendu dans ces phases civiles, qui sont diamétralement opposées aux actes martiaux dont il avait maladroitement fait preuve précédemment.

Sans discuter ni pinailler, il prit place sur la souche, une assise bien sommaire, pas très confortable, mais eh, les chaises de la cantine à la garde royale sont pas bien meilleures, et il est prêt à parier son solde des cinq derniers mois que, si ça n'a pas coûté un rein à la royauté non plus, le montant dû tout de même créer une moue boudeuse sur le visage de son capitaine. Il observe la femme faire ce qu'elle avait à faire, visiblement, préparer du thé. Cette boisson n'a jamais vraiment été sa...Tasse...De...Thé. Hm. D'où peut bien provenir cette expression ? Déjà, tout le monde sait que le café, c'est meilleur que le thé. Ce dernier a au moins l'avantage de se présenter sous différentes formes et goûts, chose que la boisson brune ne fait pas nécessairement. Tout ça pour dire qu'il tendit timidement le bras afin d'attraper le gobelet plein, le temps ayant eu largement le temps de s'écouler pendant son monologue intérieur aussi nul qu'inutile.

'' Merci. ''

Il trempa ses lèvres dans le breuvage, pas mauvais, on se l'accorde, mais toujours inférieur au café dans son cœur. Pour dire vrai, son côté impertinent tête brûlée entrait en direct conflit avec la manière dont il devait se comporter auprès de Java ; elle est lieutenante, oui, mais du Village Perché, et du coup, en tant que telle, quelle autorité avait-elle sur lui ? Après tout, passer de la régulière, en poste à la capitale, à la garde royale, était bel et bien une transition entre deux mondes différents. Après, si on met ça en parallèle avec les événements du désert volant...Elle s'embêtait pas de conventions, et venait de lui dire de manière directe. De quoi le détendre, le mettre en confiance alors qu'il continua de boire.

'' Eh, pour dire vrai, la classe du palais, la grandeur des murs là, s'tes bandes d'aristos qui s'prennent pas pour de la merde qui circulent d'partout, même ma famille d'nobles là, s'pas vraiment un truc auquel j'tiens beaucoup tu vois ? J'dirais presque l'contraire. M'enfin. ''

L'avantage d'avoir déjà croisé la lieutenante dans le désert est qu'elle n'est plus une illustre inconnue, juste une personne avec qui, orf, on sait pas, ils ont frôlé la mort ? Lui complètement, en tout cas. Une expérience qu'il oserait tout à fait noter une étoile sur cinq si on lui en donnait l'occasion. Oh, il les attendait, les remarques comme ''Mais pourquoi t'es à la capitale, si l'appel de la tranquillité se fait ressentir ?'' où autres ''Mais tu fou quoi, dans la garde royale, si t'aimes pas les nobles ?'', voire même, un fou rire précédant un ''TOI ?! NOBLE ? On en apprend tous les jours !''. Donc autant ne pas tout dire, de toutes façons, il y aurait d'autres occasions où d'autres moments plus propices. Il grogna puis sourit, il ne s'attendait pas à un quelconque exercice physique aujourd'hui, quoique vu comme la belluaire est entretenue, y'a rien de moins étonnant, et de ce qu'il connaît de sa personnalité, pas étonnant qu'elle ne se contente pas de rester assise des plombes sur le bord de l'eau en attendant que ça morde.

'' Et donc, tu t'es bien dis qu'un oiseau d'proie, pour choper la poiscaille, s'pas trop mal, c'est ça ? T'as ptet pas si tort tu m'diras, j'ai jamais vraiment tenté en vrai. Pour moi ce serait plus d'la pêche au bec. ''

Bon, c'est bien beau, son regard se portant en direction du lac, il se dit qu'au final, choper un poisson géant comme ça, du moins, de cette supposée manière, ça doit être un événement intéressant à vivre. S'ils font tous comme ça au village perché, ils doivent être de sacrées bêtes ! Mais aller dépêcher un pauvre petit garde royal, juste pour ça ? Nan, il devait y avoir autre chose. En dépit d'avoir terminé d'un coup son thé, sa curiosité n'était pas étanchée (car tout le monde sait qu'on calme sa curiosité avec une boisson), si bien que quelque peu nerveux, sa jambe droite se mit à bouger toute seule.

'' J'crois t'as un peu galéré pour m'choper, non ? Genre, passer par la royale directement, prier pour qu'certains de ces abrutis fassent leur boulot ? Merde, jme plains alors que la régulière, c'était pas fou non plus. Du coup, c'est vraiment pour boire l'thé et bouffer du poisson que jsuis là ? S'pas un mauvais programme, je juge pas et bordel, ça fait pas d'mal de pas se sentir à l'étroit. Mais t'as pas genre, jsais pas...Une autre raison ? Si c'est pour parler du désert, jte préviens qu't'es tombée sur l'mauvais client. Le capitaine ou même Solveig auraient été bien plus à même de t'causer de ça. ''

Fin du tremblement nerveux, il aurait balancé ça tout de go, à l'époque, mais plus le temps passe, moins il est à l'aise auprès de ses supérieurs, dont certains sont plus jeunes ou moins expérimentés que lui. Parler avec l'aisance et l’innocence dont il avait fait preuve toutes ces années était de plus en plus complexe, au moins avait-il mit les points sur les i, le désert, ça a pas été une expérience tiptop, sortir de son propre corps et se voir allongé là par terre, c'est marrant dans les écrits, dans un monde où on se fait des '' Et si ? '', pas le vivre. De toutes façons, Java aussi a prit quelques sales coups là bas, à moins d'être masochiste au point de '' Et tu te rappelles quand on s'est mangé les rayons spé one shot ? Ahah incroyable '', peu de chances qu'elle même ait envie des réminiscences de ce combat.

Ouais, voilà, il se doutait bien un peu que personne n'a plus jamais envie d'évoquer tout ce qu'il s'est passé sur cette île flottante pleine de sable. Et voilà qu'il s'était même mit à douter, à raison, que la raison de sa présence ici était toute autre, et qu'il avait encore une fois taper dans le mille ! Il ne faut pas que ça devienne une habitude, aussi minime qu'un score de deux sur deux soit, si le garde royal commence à avoir raison et être capable de deviner des trucs, c'est que les deux pôles d'Aryon vont finir par s'inverser. Normalement, il est mauvais avec cet exercice, le grand s'améliore de jour en jour dans cet exercice néanmoins. L'espoir reste qu'un jour, il devienne presque un être humain décent, capable de raison et d'intelligence.

Réellement, il n'était qu'à deux sur trois. Sa dernière déduction était impossible, il n'y avait que trop peu d'indices à part une Java agitée. Eh quoi, elle a envie d'aller pisser un coup ? La nature est tout autour d'eux, elle se fou derrière un arbre et promis il regardera pas. Plus elle parle, plus elle s'enlise. Le brun avait réussit à comprendre, de par le rire qu'elle émit tantôt, qu'elle n'était pas imperméable à la rancœur, sans aller jusqu'à la haine, qu'il ressent envers les nobles. Une entente sonore somme toute, qui sonnait comme une validation à ses oreilles. Une option détente ? Un truc qui se dit en se regardant dans le blanc des yeux ? Flashs. C'est pas le genre de trucs que Tara lui aurait sorti ? Où aurait pu lui sortir ?

…

Non ?!

Ok, Hryfin est plutôt beau gosse, mais de là à plaire à plus de deux femmes dans la même décennie, il y a tout de même un monde bien plus grand que toutes les étendues insoupçonnées qui partent au delà des montagnes du Nord. Nerveuse, hésitante, ça y ressemblait putain de fortement. Et vu comment ça se passait déjà à la maison -tantôt bien, tantôt mal, les deux ont leur petit caractère, ne nous mentons pas-, il avait pas besoin de plus de drama. Le garde royal aurait dû intervenir bien plus tôt, par Lucy, il ne l'avait pas fait, car sa bouche à moitié entrouverte se ferma rapidement à l'évocation du régiment. Oh, c'était purement professionnel, niquel, les deux peuvent se détendre alors. Car dans la garde, on mélange pas trop le pro et le perso.

Si, ils mélangent totalement pro et perso.

Y'a qu'à voir Tara et lui, le capitaine et Lunarya. Rien que dans leur branche, il y a des couples de partout. Jeter la première pierre n'est ni de son ressort, ni de ses capacités. Bref, tout ça pour dire que tout le long du discours de Java, Ryf avait les sourcils froncés, avec un visage demeurant tout à fait neutre, donc pas agressif, juste pensif, non, exclusivement perdu. Ne pas la lâcher en cours de route ; ça, c'est déjà fait. Eh, on va juste attendre un mot clé, un truc qui ferait qu'il arriverait à y capter quelque chose. Et ça y est, c'était juste là.

Viens chez les belluaires.

Sérieusement, de type proposition sérieuse ? Il n'avait jamais été débauché, la seule raison qui l'avait vu passer de la garde régulière à la royale était les manigances de sa sœur en coulisses, oh rien n'était certain à ses yeux, mais le doute n'avait que croître d'année en année. La pauvre le vendait si mal que c'en était presque comique, pourquoi partir à l'autre bout du pays, si c'est pour complètement perdre au change ? Il s'était retenu par respect, mais à la fin, quand elle eut finit son auto-promo, il éclata de rire.

'' Oh merde, je- désolé, juste je- oh putain, jpensais vraiment pas qu'ça arriverait là, à ça quoi, oh jsuis tellement rassuré si s'tait que pour ça ! Tsais que mine de rien, jme suis jamais vraiment attaché à rien, encore moins à genre mon avenir ? Tout ça, j'm'y intéresse que de loin, jme laisse souvent porter. ''

Et si justement, pour une fois, il se mettait à décider un peu ? Après tout, que gagne-t-il à rester à la capitale, à part broyer du noir dans sa maison vide ? Lyriss est souvent en vadrouille, le domicile est surtout une excuse pour stocker ses affaires et y passer quelques jours ponctuels quand elle est trop éclatée pour faire quoi que ce soit d'autre. Tara passe, de temps en temps. Parfois ça se passe bien, parfois ils s'engueulent. Si les murs pouvaient parler, il en raconteraient des choses, vous me direz, les voisins peuvent déjà le faire. La garde royale alors peut-être ? Régiment prestigieux, armures claquantes, poste tranquille. Pas d'évolution, un capitaine que trop occupé, des bruits de couloir trop assourdissants, des gueguerres d'enfants de cinq ans entre les branches différentes. La capitale, si belle, le cœur du pays, la luisante, ses marchés. Ses nobles, ses pauvres, ses rues étroites, son bruit.

Merde, il aurait envie de partir ?

Mais ça, Java n'en est pas au courant. Si bien qu'il pourrait, allez, se permettre de négocier cette offre ? Si elle le veut tellement, s'il est un si bon élément, y a de quoi gratter. Toujours de quoi gratter. Tristement, il ne sait pas tenir sa langue.

'' Tu sais que jpenses que j'commence à en avoir ras le cul, dla capitale ? Jsuis un gosse du grand port à la base, même si j'pas forcément envie d'y retourner, mais le bruit, les gens, jpenses que jcommence à lâcher tout ça tu vois ? Même si y'a mes potes et ma copine là bas... ''

Bien vrai, que signifierait son départ, pour ses proches ; amis, collègues, capitaine, copine ? La même chose que quand il a quitté le grand port, sans doutes.

'' Après, tu vends l'truc très mal aussi. J'ai un bon poste ici, et comme tu le dis, j'ai un meilleur solde et plus de prestige '' Il mima des guillemets avec ses doigts. '' à rester qu'à bouger malgré tout. Jpeux pas refuser bêtement l'offre, en l'état par contre...Ça ressemble plus à une mise au placard qu'à une vraie promotion ! ''

Grand sourire, il ne voulait nullement vexer la lieutenante, si bien qu'il récupéra d'au sol sa tasse vide, pour la tendre, dans un signe de ''tu me remet aussi un petit coup de thé s'teuplé ? ''.