Orage, Ô désespoir─ avec Luz
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Sortant de la clinique les bourrasques me surpris. La brutalité du temps répondait à celle des questions que je taisais pour Luz.
- Je suis désolée ma belle, haussé-je la voix pour qu’Asti m’entende sous ce raffut. Il nous faut secourir un congénère, affronte la tempête pour lui.
La Tsi’ly sentit ma crainte, elle ignorait cependant que celle-ci était liée à la présence de Luz et des myriades de tourments qui en découlaient. Alors que nous galopions je ne pus retenir le flot de questions qui me malmenait.
- Pourquoi ne réponds-tu pas à mes communications par Cristal? Je savais la belle affairée à moult occupations, je refusais de croire qu’elle n’ait pas quelques minutes à m’accorder entre deux rendez-vous.
- M’as-tu si vite oublier? tonné-je sous le vacarme climatique.
Je me rappelle les images délivrées par ma boule de vison lorsque j’étais en mal de ma drogue de feu, cet homme blond à l’allure bien entretenue partageant l’image troublant le cristal de l’objet magique. Un homme dont j’aperçus le profil à plusieurs reprises. Simple patient ? Il ne semblait pas malade. Un futur partenariat ? Après tout il avait des allures d’homme de pouvoir. Ou … Je taisais ce que je redoutais le plus. J’avais volé des moments d’intimité à cette femme qui enchantait auparavant mon existence. Je n’avais pas le droit, plus le droit d’intervenir ainsi dans sa vie, nos chemins s’étant trop éloignés pour se croiser en toute quiétude.
Nous arrivâmes avant que ma langue acerbe ne continue son agression verbale et je dus me mordre la joue au sang pour taire les accusations qui menaçaient de déchirer à jamais notre lien devenu fil dénudé.
J’observais le lieu du désastre où trônait au centre de la scène la boule électrique recroquevillée sur elle même arrosée par le torrent en furie. Oubliant ma véhémence contre l’électron libre à mes côtés je pris les devants de l’opération, comme nous avions l’habitude de fonctionner lors de nos quêtes passées.
- J’ai bien peur de ne pouvoir le toucher, regarde, on aperçoit les étincelles électriques crépiter le long de son corps. Lorsqu’on aura trouver le moyen de le récupérer, penses-tu pouvoir le prendre?
Étant tous les deux du même éléments je ne m’en faisais pas pour la belle. Je réfléchissais à toute vitesse, le teisheba était en plus mauvaise posture qu’au départ de Luz m’apprit-elle. Le rocher sur lequel il avait trouvé refuge était plus englouti encore au fur et à mesure de la montée des eaux diluviennes.
Je ne pouvais manipuler mon « écharpe » Momie Fier pour attraper l’animal avec, l’espace qui nous séparait de lui était trop important. Je pouvais envoyer le crochet-foreur via l’arbalète grappin mais l’espace entre la roche et l’animal n’était pas suffisant pour que je tente l’envoie sans transpercer le teisheba.
Par contre de l’autre côté de la rive un énorme monolithe permettait d’y planter l’outil sans risque, et en accrochant l’autre partie de la corde de ce côté je pourrais jouer les funambules – clairement je ne marcherai sur la corde vu la tempête qui faisait rage – pour me placer au dessus de l’invertébré et le récupérer dans mon vêtement avant de le donner à la fauve qui pourra lui insuffler de l’énergie électrique et l’ausculter sans risque d’électrocution.
J’exposais mon unique plan à Luz pour qu’elle l’approuve ou me proposer une meilleure idée peut-être un chouilla moins dangereuse. Au vu de la situation, aucune action ne sera sans risque.code ─ croquelune
Ah, comme Lucy devait se gausser d’eux. Parmi l’ensemble des possibles, c’était lui qu’elle avait jeté en travers de sa route, lui qu’elle avait extrait du néant d’oubli dans lequel Luz l’avait relégué pour guérir ses plaies, sans doute dans l’objectif de la malmener. Où était partie la chance caractéristique de Mysora qui parfois l’éclaboussait par rebonds, la gratifiant d’une existence ma foi plutôt heureuse jusqu’à présent ? Elle pouvait sentir la pluie dégringoler sur ses épaules, glisser et s’enfuir dans ses longues mèches de cheveux flammes. Sa conscience, elle, s’était retranchée loin derrière un mur impénétrable de chair et de lippe ombrageuse que même l’eau omniprésente ne pouvait ni atteindre ni adoucir. Montée sur Alraqs, c’est à peine si elle entendit sa première question. A peine si elle souhaita y répondre. Décrocher son cristal ? Pour dire quoi ? voulut-elle aboyer en retour. Tu n’étais pas là, tu ne sais rien. Rien de la maladie, rien de la déchéance de sa famille, rien de la solitude, de la perte de Zahria tout d’abord puis de la défection du Lynx. Sans un mot, sans un bruit. Personne n’avait jugé bon de la prévenir, elle n’était après tout que la belle, la gentille et paisible Luz vouée à attendre le retour de chacune de ces âmes capricieuses. Quand ils le voudraient seulement… ?
Elle n’était pas dispensable. N’était pas une mère docile, ni même une épouse bienveillante. Il n’y avait d’elle que ce feu impétueux, cette force innombrable qu’elle confiait à ses proches. Et pourtant… Si inquiète. Lui qui avait disparu sans laisser la moindre trace, revenu, encore une fois, d’entre les morts. Blessé. Abîmé. Echoué aux portes de l’hôpital. Une fois de trop, à elle dont on refusait la colère, car qui pouvait s’en prendre à un alité… ? Voilà qu’il ne lui restait plus ainsi que le tourment de celle qui attend que les autres daignent revenir pour soigner leurs blessures. Une injustice si amère ! Elle se mordit la lèvre inférieure, les cuisses fermement serrées sur Alraqs dont la cavalcade s’apparentait à une course folle et peu agréable. Les griffes puissantes des deux animaux traçaient des sillons de boue dans la terre meuble, arrachant par instant d’importantes mottes entre les arbres. Non, elle refusait d’évoquer l’évidence, d’accepter ce jeu verbal dans lequel il cherchait à les précipiter.
Elle battit des cils pour chasser la pluie qui l’aveuglait et se laissa souplement glisser le long du flanc d’Alraqs. La berge s’était transformée en un terreau vaseux aux multiples grumeaux, collant leurs semelles d’une gangue moite et dangereusement traitre. Le torrent, pour sa part, avait changé de visage. Il était ardu tout à coup de distinguer la colère orageuse du ciel de celle de l’eau déchainée, tant le courant s’était gonflé de pluie diluvienne.
Elle passa une main prompte dans ses cheveux pour les plaquer en arrière, agacée par les mèches qui lui masquaient les yeux. Ses vêtements étaient d’ores et déjà inondés et les crampons sous leurs chaussures ne fournissaient qu’un maigre réconfort inutile dans une telle marmelade : ils pataugeaient bien davantage qu’ils ne marchaient. Cela ne l’empêcha nullement de s’agiter de droite et de gauche, soufflant férocement pour se calmer.
Luz, reprends-toi. Ce n’était nullement le moment de régler ses comptes, son affirmation n’avait pas perdue en véracité avec le trajet. Un être isolé et en fort mauvais état avait besoin d’eux, sans quoi il ne verrait pas même la fin de la tempête. Elle étouffa un juron entre ses dents serrées, et activa son tatouage de rangement. Elle avait eu le temps d’y glisser la bague qui contenait les runes de Métrique et la boucle d’oreille de Vol vie lorsqu’ils s’étaient croisés au refuge de Chrystielle. Il était hors de question de voler à l’aide de Nuit agile par ce temps, elle n’avait rien oublié des enseignements de Lilith en la matière !
Elle avait d’ores et déjà enfilé le bijou à son index, s’écartant d’un pas pour permettre au Lynx d’œuvrer à son tour. Elle l’avait tant vu travailler… D’innombrables fois. Ses gestes adroits, sa stature d’Aventurier en pleine possession de ses moyens, de ses habitudes, sa tignasse corbeau trempé d’eau et ses prunelles dorées qui avaient cristallisé son surnom de grand félin. Une hésitation, brève, et puis…
Il ne l’était que rarement. Et elle n’était pas venue assister à la mort d’une des personnes qui avait constitué sa famille pendant si longtemps, et à laquelle elle s’avérait toujours attachée d’une honnête affection. En dépit de l’usure qui avaient rongé leurs liens, en dépit des non-dits et en dépit de la perte de l’amour…
Les larges plaques d’un beau bleu profond ne produisirent aucun bruit lorsqu’elles se matérialisèrent, soulevant aisément l’Aventurier jusqu’au départ de corde qu’il venait de placer. Les sourcils froncés d’un pli par la concentration, Luz fit virevolter sa senestre sous la pluie, tranchant avec adresse le rideau aquatique afin de dresser une allée pavée de boucliers jusqu’au teisheba blessé.
Orage, ô désespoir─ avec Luz
- C’est ça, c’est toujours ça ! Tu prévoies un plan, et je n’en fais jamais partie. Et tant pis si ce plan te brise les os, que tu pars seul devant, en basant ta survie sur… Sur quoi ? Sur une corde sous l’orage ?!
Jamais partie de mes plans ? Comment pouvait-elle croire en ces mots aussi tranchants qu’une lame. La colère faisait vibrer ses cordes vocales, et ma tension monta affolant mon cœur prêt à exploser par toute cette torture qui n’avait de cesse de me hanter. Malheureusement ce n’était ni le moment ni le lieu, pourtant l’espace de quelques secondes plus rien autour de moi n’avait d’importance que l’être qui me faisait face.
- Désolé de te vouloir en vie. grinçai-je entre mes dents sans que mes mots parviennent aux oreilles de leur destinataire.
L’idée complémentaire de Luz venait à assurer ma propre survie, elle était toujours là pour veiller sur moi. Elle avait été toujours là. Cette pensée arracha une larme sur mon visage tendu par la colère et la douleur de cette perte tandis que je me tournais vers la scène principal de notre venue en ces lieux. J’installais au plus vite la corde avec l’aide de mon matériel comme je l’avais expliqué à Luz avant de poser un pied sur la plaque électrique matérialisé par la fauve. Mes yeux ne fixaient plus que le teisheba, mon unique but, je devais faire un effort énorme - plus important encore que celui physique pour garder l’équilibre sur les champs de force – pour garder mon esprit focalisé sur notre mission sauvage. La pluie, le torrent, le tonnerre peinaient à me garder dans cet instant présent. Je n’avais qu’une envie, me confronter à celle qui tuait mon bonheur. Où es-tu Luz ? Je suis là, par pitié, moi je suis là.
Ma semelle glissa, ma jambe s’échappa. Mes bras me maintinrent plus ou moins à la vertical grâce à la corde tendue. Concentre-toi Naë ! Je progressais doucement, je faisais pourtant aussi vite que possible pour éviter à ma coéquipière de se vider de son énergie. Je ne pus m’empêcher de jeter un regard vers Elle. Ses lèvres pincées par l’inquiétude, le regard perçant par la colère. Le teisheba, regarde le teisheba.
Comme dans un souffle court les électrons de l’animal se dilataient et se rétractaient à une vitesse qui n’était pas bon signe sur sa santé. Arrête de tergiverser, sauve-le bon sang !
Alors que je n’étais plus qu’à quelques pas, l’orage vivant céda. J’actionnais à la volée mon papyrus vitae et mon écharpe prit vie avant de foncer sur l’animal en détresse déjà emporté par le courant. J’eus à peine le temps de former une cuillère pour le cueillir stoppant son écoulement vers une mort certaine. Tout mon corps était crispé, une main tenant la corde, l’autre se mouvait dans les airs pour m’aider à contrôler la magie, ramenant par ses gestes le tissus de papier vers moi. Tel un boa, l’écharpe s’enroula doucement autour du corps immatériel de l’animal, je ne voyais plus signe de vie dans l’étincelle morne de sa chaire.
Un éclair m’aveugla, la déflagration qui suivit me fit siffler les oreilles. J’entendis à peine le sourd craquement qui n’annonça rien de positif. La corde se détendit d’un seul coup sous ma main me faisant perdre l’équilibre, je la lâchais prestement alors que le tronc sur lequel je l’avais fixé venait de se briser sous l’orage. Des plaques métriques m’entourèrent aussi rapidement, je me réceptionnais sur l’une d’elle. Luz avait réagi au quart de tour pour nous empêcher, le teisheba et moi, de finir engloutis.
Je me campais sur mes jambes et déposais le tas de tissus entre mes mains avant d’arrêter papyrus vitae. J’aurais besoin de toute mon énergie pour revenir, et je ne devais tarder de peur que celle de Luz ne décroît trop rapidement. D’un signe je lui demandais de baisser la plaque qui me faisait face pour que je puisse marcher à nouveau dessus dans la plus grande des prudences. Je progressais accroupis, une main tenant le paquet de tissus sous mon aisselle, l’autre cramponnait au « sol » pour ne pas être déstabilisé plus encore par les rafales. Ce fut long, fastidieux, et nerveux. Mon pied se posa sur la terre ferme.
Les plaques disparurent aussitôt que je m’éloignais de la rive. Je m’approchais de Luz aussi vite que possible, le tas de tissu ne bougeant pas d’une once. La flamme s’empressa de libérer l’animal, le posant délicatement prête à lui insuffler l’énergie nécessaire pour qu’il tienne jusque la clinique. Les traits de la belle était crispé tant par l’effort qu’elle venait de fournir que par l’inquiétude sur l’état de santé de la bête. La tempête ne se dissipait pas, nos montures étaient agités et pour cause. La foudre menaçait à tout instant de nous assommer. Il était difficile de maintenir Asti et Alraqs en place.
- Luz, prends mon énergie pour lui!
Je la voyais rechigner à le faire, j’insistais, lui attrapant la main, entrelaçant mes doigts aux siens pour qu’elle puisse puiser la vitalité nécessaire à sauver le petit être.
- Prends ! Je vais bien, je me reposerai. Tu es fatiguée je t’en prie fais le!code ─ croquelune
Pourrait-elle à nouveau librement respirer un jour ? Rien n’était moins sûr, tant elle dut lutter contre l’air bloqué dans sa gorge, boule d’angoisse saisissante qui raidissait son corps tout entier. A des mètres de là Naëry s’adonnait à une gymnastique aérienne mortelle en plein cœur d’un orage tempétueux. L’électricité faisait vibrer la terre d’une puissance coléreuse, des gerbes de tonnerres dessinant dans l’espace la silhouette du Lynx en contreplaqué de blanc aveuglant. Partout alentour l’eau dévalait la mélasse, la creusait de son invincible poing et cela arrachait par instant d’importantes parcelles de rives : elles étaient là et puis, un souffle suivant plus du tout, littéralement avalées par le fleuve insatiable. Ils faisaient face à l’une de ces célèbres tempêtes magiques inexpliquées, ces concentrations de chaos qui éclataient à intervalles irréguliers sur les toits innocents d’Aryon. Les chevilles matelassées d’une gangue de terre moite, Luz devait lutter contre l’attraction de ces éléments qui gondolaient l’espace à bride abattue.
Pourtant… Pourtant Naëry paraissait évoluer avec la souplesse précise et gracieuse de ce grand félin dont il tirait si superbement le nom. Elle voyait l’eau chercher à faire plier ses doigts et les contours de ses semelles, chercher à lui dérober le corps en piteux état de l’animal qu’il désirait si ardemment sauver. Mais il luttait avec la pugnacité d’une âme résolue à son objectif, un homme habitué à flirter avec le danger. Ô comme cette vision lui était familière ! Ces souvenirs hors du temps, épaule contre épaule, tous deux tournés vers l’urgence d’aider les autres – de s’aider eux-mêmes. En fin de compte, ils n’avaient pu arracher personne aux mains cruelles de la mort. Ils n’étaient, somme toute, condamnés qu’à pouvoir se sauver eux-mêmes, égoïste damnation. Les éléments déchainés n’eurent toutefois pas gain de cause ce jour-là, mis en échec par les prompts réflexes de ce lynx dont les yeux étaient tout bonnement incapables de manquer le moindre détail. Et bientôt, le pas caractéristique de Naëry retombant sur la berge retentit, accueilli par un profond soupir de soulagement du côté de sa fauve amie.
Comment sauver cette pauvre créature transie de froid ? Vol vie suffirait-il, dans la mesure où elle ne connaissait que peu de choses des teisheba, plus à l’aise avec le genre humain qu’elle ne l’était en zoologie ? Leur rescapé n’avait plus guère qu’un maigre souffle de vie. Il ne tiendrait pas la moindre course folle au travers des bois jusqu’au refuge de Chrystielle… Elle s’ébroua mentalement, chassant les appréhensions qui enroulaient leurs anneaux autour de ses mains d’ordinaire habiles. Naëry avait mis sa vie en jeu pour sortir l’animal du fleuve, et il avait élégamment remporté sa part du contrat. Elle ne pouvait aucunement lui faire défaut à présent, ni injurier sa volonté en rechignant à l’ouvrage. Son Naëry si doux, perclus des ombres de son passé, ce brun rêveur, aimant, dont le regard d’or s’était amarré aux flancs du teisheba blessé et… Elle se raidit soudainement lorsqu’il enroula ses doigts autour des siens malgré son refus de piocher dans son énergie, peinant à garder contenance face à ce contact aussi adoré qu’hanté. Leurs doigts étaient glacés, la peau froide de deux oubliés du monde dans la tempête, une semblable étreinte humide si ce n’étaient les cals qu’elle sentait sous sa paume. Oui, il n’avait eu de cesse que de se battre et d’enquêter en dépit de sa propre sécurité. Et cet effort lui avait coûté d’éternelles blessures indélébiles.
Pour ce que signifiait s’installer confortablement dans un enfer de boue et d’eau glissantes… Elle raffermit sa prise sur cette main qu’il tendait entre eux, plongeant dans la magie rassurante de Vol vie. A son grand soulagement, le halo d’ambre tremblota dans la lumière déclinante du jour, bel et bien existant, cherchant à percer les ténèbres d’inconscience de son patient. Cela signifiait que la magie fonctionnait et que ce dernier n’était guère encore à l’article de la mort, qu’elle avait une emprise sur sa survie… ! Les sourcils froncés par la concentration, effilochant, travaillant l’énergie reçue par Naëry pour mieux la transvaser en un flot ininterrompu, Luz ne perçut pas immédiatement la tension grandissante du côté d’Asti et d’Alraqs. Un grondement bas, modulé, presque un avertissement, conduisit enfin la praticienne à lever la tête. Les deux familiers s’étaient subtilement déplacés de côté, Asti piétinant le sol d’une nervosité contenue, les babines d’Alraqs retroussées sur ses crocs effilés. A la lisière de la forêt, perdues dans les broussailles, tremblotaient des lumières jumelles… La rumeur de deux prunelles d’un bleu cru et profond, attentives flammes carnassières, contournées d’un pelage si sombre qu’il se mélangeait à l’obscurité de la tempête.
Un loup d’ombre. Une bête taillée pour le terrain accidenté des forêts, maitre en sa demeure. Et là où venait un seul de ses spécimens, venait également une meute… Hors de vue pour l’heure. Ne pouvant détacher son regard de la présence hypnotisante et dangereuse, Luz ne vit pas immédiatement que le teisheba reprenait conscience sous ses doigts, plus vigoureux qu’auparavant.
Car il ne bougeait pas, son regard froid surveillant le spectacle attenant, prédateur qui était en réalité la cause même des blessures du teisheba. A présent que récupérer son dû s’avérait moins difficile que de franchir un fleuve déchainé, la bête était revenue sur ses pas pour calculer ses chances. Naëry, bien sûr, avait repéré le carnivore bien avant elle. Y avait-il ne serait-ce qu’un détail concret qu’il ne pouvait pas identifier… ?
La présence de leurs montures était un don du ciel. Deux humains menus comme des brindilles étaient une chose, les confronter en parallèle d’un tsi’ly et d’un rarwük déchainés en était une autre. Le pelage d’Alraqs s’était d’ailleurs tout ébouriffé et ses queues fouettaient l’air d’une excitation combattive rentrée. Luz sursauta lorsqu’une nuée d’étincelles crépita contre ses doigts – indolores, mais inattendues tant elle en avait oublié le teisheba. Ce dernier s’était redressé avec toute la fragile fougue dont il était capable dans son état, dépassé par les évènements. La magie de Luz lui avait restitué une part de ses forces guéries, mais rien ne vaudrait de véritables soins accordés dans un lieu approprié…
Orage, ô désespoir─ avec Luz
Les yeux mi-clos, plus rien n’avait d’importance en cet instant que le contact avec l’électromancienne et l’énergie qui s’écoulait de mon corps pour pulser dans celui, chétif, du teisheba via la fauve. La tempête bourdonnait à mes oreilles sans qu’elle ne m’atteigne. Le vent soufflait, les trombes d’eau nous clouaient au sol, seul le fluide quittant mon corps impactait ma conscience. Pourtant, quelque part au fond de moi quelque chose s’agitait. D’abord faiblement avant de s’épaissir et prendre la forme d’une sourde angoisse. Revenant à la réalité je captais enfin les émotions d’Asti et son inquiétude grandissante. Elle et Alraqs venaient de s’interposer entre nous et un danger que j’aperçus dès que j’ouvris entièrement mes paupières. Là, à une vingtaines de mètres de nous tapis dans l’ombre, des yeux aussi électrique que la tempête nous observaient. Non, nous dévorés déjà. Deux autres pairs se dévoilèrent, une derrière le mâle alpha, l’autre se déplaçant avec lenteur dans les broussailles à notre gauche pour nous acculer vers la rivière.
Je me crispais sans rien dire, Luz était trop absorbée dans son soin, l’animal que nous venions de secourir trop faible encore pour que nous arrêtions l’opération de transfert d’énergie. Je comptais totalement sur nos montures pour jouer encore quelques minutes le rôle de bouclier avant de tenter une retraite qui ne serait pas des moins dangereuses. Pourquoi fallait-il que tout cela arrive maintenant ? Lucie, quelle était la leçon de cette épreuve ?
Je n’eus pas besoin d’avertir ma coéquipière qui vit à son tour la menace qui nous faisait face. Je répondis à sa supposition lui détaillant la position des deux autres loups.
- Ils essaient de nous entourer pour nous piéger, seul l’un d’eux est pour le moment à notre diagonale. soufflé-je assez fort pour que ma partenaire m’entende malgré l’intempérie. Ils en ont après le teisheba.
Le mâle dominant fixait la boule enfin ranimait avec haine.
- Es-tu prête à jouer les illusionnistes?
La fauve me décrocha un regard interrogateur avant que je ne lui explique mon plan.
- Je vais utiliser Momie Fier pour enrouler discrètement le teisheba et le glisser sur Asti pendant que tu vas créer un bouclier énergique, le faisant passer pour l’animal blessé. Je couvrirai ton bouclier d’un tissus que nous laisserons à disposition des loups. En espérant qu’ils croient que la boule d’énergie est bien dedans, ça nous laissera le temps de fuir.
Le loup retroussa ses babines sur une dentition bien trop affûtée à mon goût, avançant d’un pas, aussitôt arrêté par l’agacement de nos familiers qui menaçaient de leurs puissantes griffes et mâchoirs.
- Une meilleure idée ?
J’enclenchais mon sablier gousset pour manipuler mon écharpe de papier et envelopper aussi discrètement que possible notre victime.
- Prête?code ─ croquelune
Luz hocha silencieusement la tête. Etait-elle prête ? Assurément. Toujours, quand il s’agissait de fuir à toutes jambes une meute de loups d’ombre affamés. Elle se rasséréna avec la pensée impromptue qu’au moins aucun loup des tempêtes ne s’était jeté sur leur chemin. Cousin éloigné des premiers, apparition furtive au cœur des orages tels que celui qui déchainait actuellement les cieux au-dessus d’eux, cet invité surprise aurait été considérablement plus complexe à gérer que les autres canidés. Elle se sentait dénudée sans ses enchantements, et se sentit stupide de les avoir laissés au Village perché. Néanmoins, cette promenade initiale n’aurait jamais dû dévier en une débâcle si incroyable… Le souvenir de la quiétude ressentie le matin même lui parut presque risible, tant son corps semblait désormais tendu et couturé de tension. Elle passa le revers de sa main sur son visage, cherchant à chasser les gouttes qui perlaient de ses cils et l’empêchaient de conserver une vision idéale de leur environnement. C’était peine perdue : ils se prenaient des trombes d’eau sur les épaules et elle ne sentait plus depuis quelques temps déjà les mèches flammes collées à son visage ni la boue qui maculait chaque parcelle de son corps.
Son esprit effleura celui d’Alraqs d’une brève incitation télépathique, et elle sut que le rarwük avait compris sa consigne lorsque sa posture se modifia sensiblement, tourné à l’affut vers leur porte de sortie. Bien sûr, le bouclier qu’elle matérialisa était considérablement plus grand que la frêle stature d’un Teisheba. Il avait pour autant l’incommensurable mérite d’être intrigant, d’autant plus si elle parvenait à l’électrifier et s’ils le laissaient derrière eux. Aucun loup d’ombre ne résisterait à l’envie de flairer l’offrande, voire de s’assurer de la pointe de la griffe qu’aucune nourriture ne s’y trouvait... Elle s’aperçut avec un rire jaune qu’elle se foutait de toute façon formidablement de la cohérence de cette illusion. C’était un plan, une marche à suivre, et c’était déjà amplement suffisant pour satisfaire son envie de survie ! Elle posa la paume de sa main sur la surface chatoyante du champ de force, son souffle ramassé dans sa gorge, un instant statufiée.
Allez. Allez ! L’orage tempêta comme pour la narguer, et ce craquellement à fendre le ciel emplit ses poumons et son ouïe d'une découverte morbide. Elle serra les dents à s’en entailler la lèvre inférieure. Sous ses doigts, l’énergie crépita, vacilla… S’éteignit. Non ! Reconcentre-toi, force la pression atmosphérique, contraint le ciel… Cette fois, une étincelle seule mourut sur sa peau. A sa droite, Asti racla le sol d’une patte imposante, pressée. Luz avait ramassé sa dextre en un poing frustré, abattu sur la plateforme, les sourcils froncés sur une impuissance dévorante.
Alors, son regard osa enfin dévier dans celui de Naë, accrochant les nuances dorées de ses prunelles et le voile de confiance qui s’y tenait. Elle n’y vit pas le jugement escompté, ni vit pas ce reproche non formulé qu’un être pouvait rassembler sans mot dire. Il était calme, tous deux perclus et trempés jusqu’aux os, abandonnés à eux-mêmes dans cette effroyable galère. Lentement, l’air bloqué dans sa poitrine se délita, et elle ferma les yeux pour regagner la quiétude éternelle qui patientait dans les contreforts de sa conscience. L’orage n’importait pas. Le tonnerre rendait certes son électromancie hasardeuse, chaotique, indomptable, il ne suffisait que d’une infime pulsation pour mettre le feu aux cendres. Ce qui se produisit finalement. Soudainement. Le bouclier vrombit d’une nouvelle énergie, appâtée par l’étonnante quantité d’eau qui ne cessait de chuter du ciel. Naë recouvrit aussitôt cette surface de son tissu mouvant, et tous deux se levèrent dans un ensemble parfaitement synchronisé. Luz put entendre une mâchoire claquer à un mètre à peine de sa cheville, tandis qu’elle sprintait vers sa monture. Un avertissement, une tentative d’intimidation de la part du canidé. Elle bondit souplement sur Alraqs, s’appuyant sur sa croupe, atterrissant avec l’adresse née de l’habitude sur son dos.
Il y eut un temps d’étonnant immobilisme. Les loups, leur monture et eux-mêmes, suspendus dans une marre de boue, un démarrage tout en puissance dérapant dans la surface molle et glissante. Trop longtemps ramassés sur eux, gonflés d’énergie rentrée et de l’adrénaline du combat à venir, les prédateurs et les chassés furent égaux dans ce moment de patinoire désagréable. Et puis, enfin, Alraqs s’arracha à l’attraction terrestre, bondissant d’une magistrale détente par-dessus les buissons avoisinants, frôlant d’une griffe à peine l’un des loups d’ombre fort surpris. Coulée à son corps, Luz serra ses crins à s’en blanchir les jointures, le regard fixé sur le chemin à venir : un kilomètre traitre de racines, de troncs et de forêt dense que les familiers devraient affronter avec toute leur adresse.
Leur stratagème fonctionnerait-il... ?
Orage, ô désespoir─ avec Luz
L’orage perturbait les dons de la fauve. Je l’observais, aussi serein que la situation le permettait. J’avais toute confiance en Luz et en ses capacités à défier les obstacles qui se dressaient devant l’utilisation de son pouvoir. Je me plongeais dans son regard lorsqu’elle osa me fixer, énervée, meurtrie par son incapacité à réalisée notre bouée de sauvetage. A cet instant plus rien ne comptait non, nous étions là, ensemble, et rien ne pouvait nous arriver. Pas vrai Lucy ? Les battements de mon cœur retrouvèrent un rythme calme dans la tempête magique, je fis la seule chose que j’étais capable de donner à ce moment précis : toute ma confiance dans l’iris mordorée de mon regard, une force inépuisable pour Luz.
Et le miracle se réalisa, elle avait réussit. Je savais que le doute n’avait pas sa place auprès des dons de la flamme. Alors que mon tissus vivant recouvrait le véritable teisheba avant de s’enrouler autour de ma taille, je déposais ma veste sur le bouclier électrique, abandonnant le paquet non loin pour atteindre nos montures au plus vite. Des grognements, un claquement de mâchoire, une course effrénée, un hurlement dans la tempête.
Asti et Alraqs galopaient plus vite que jamais, à en perdre haleine. Les loups s’étaient fait avoir, oseraient-ils nous pourchasser ? Je ne doutais pas que la colère les mènerait à notre poursuite, à nous d’être plus rapide. L’angoisse ne me quitta pas sur les premiers centaines de mètres, les barrages naturels ne cessaient de se dresser sous les foulées agiles de nos familiers. Pas un seul ne trébucha, ne nous condamnant guère à un nouvel affrontement. Nous atteignîmes le sentier où la tsi’ly et le rarwük nous fîmes une démonstration de pointe de vitesse des plus remarquable.
Le village se dessina devant nous à travers les abats d’eau qui plongeaient toute la région dans une dépression aveuglante. Je fis ralentir Asti à l’abord des habitations.
- Je te laisse amener le teisheba à la clinique, je vais prévenir la garde d’ouvrir l’œil. Je t’y rejoins. dis-je en tendant le petit paquet de tissus à Luz avant de disparaître.
Nous étions saufs et pourtant la boule au ventre ne me quittait pas.
Je crois que nous nous sommes tus tout au long de notre chemin. Je crois que nous sommes morts un peu plus chaque jour, que nos voix nous sont devenues étrangères par-delà la distance, que les lendemains se sont éteints. Je crois que je ne goûterai plus jamais ta chaleur. Que tu ne trouveras plus mes mains tard dans la nuit sous la couette lorsque nous dormions côte à côte et que nos rêves ne connaissaient aucun répit. Je crois qu’il faut parfois s’en aller pour mieux aimer, que nos silhouettes sombrent dans l'oubli, que nous ne pensons plus par deux mais par un…
Je crois que je t’aimais. Et que si cet amour refuse de s’en aller, il ne peut plus vivre de cette manière.
Je sais qui je suis. Et je sais qui nous sommes.
Voilà qu'une part de nous s'est brisée sans mot dire, sans prévenir ni avertir...
Et peut-être était-ce bien cela, mourir un peu. Chaque jour.
Oui, mourir un peu plus, à chaque pas qui me menait vers toi. Ma main resta suspendu au dessus de la poignet de la porte d’entrée de la clinique. La pluie s’abattait toujours sur la grande forêt, avec moins de hargne, mais ne laissant aucun répit à ceux qui se trouvaient en dessous. Je ruisselais, statique. La porte s’ouvrit à la volée sur toi qui ressortais.
- Qu’est-que tu fais là ? Entre!
Immobile mon regard était lourd et sombre. Ma senestre toujours en l’air tandis que ma dextre resserrait son poing. Ma peine ne t’échappa guère et tu te renfermas aussitôt sur toi-même.
- Pourquoi m’as-tu abandonné ? déclarai-je avec douleur.
Alors mon bras s’avança vers toi et ma paume s’ouvrit sur la pierre de lien qui ne m’avait jamais quitté. Si seulement tu avais gardé ton collier et ta pierre, tu aurais su …code ─ croquelune
Elle ricana. Un crissement distordu, sarcasme anormal sur ses lèvres si rouges, d’ordinaire promptes au ravissement. Et puis, la compréhension se devina sur son visage, un fracas soudain d’ahurissement : il était sérieux. Terriblement sérieux. Figée dans l’embrasure de la porte, cette frontière désormais tangible entre eux, elle contempla un interminable instant la délimitation nette du rideau de pluie. Il ruisselait sous la tempête, statue de marbre fissurée de rigoles, ses semelles gondolées de boue. Dans le peu de luminosité du jour, ses longues mèches brunes – quand les avait-il fait couper pour la dernière fois… ? - collaient à ses tempes et à ses pommettes, mais ne parvenaient pas tout à fait à masquer l’ampleur de son regard mordoré. Et toute cette eau dégoulinait à amples remous, fuyait jusqu’au sol pour s’y perdre en ruisseaux éperdus. Cependant aussitôt arrêtée net par la première marche de pierre sur laquelle Luz se tenait. Presque une falaise, un mur infranchissable sec et inconquis par les intempéries. Ce mur contre lequel la pluie ne cessait de venir se fracasser sans parvenir à le malmener. A un souffle de traverser ce voile, la main de Naëry s’était pourtant immobilisée. Peut-être aurait-elle pu l’atteindre en tendant sa propre main, en effleurant cette démarcation aquatique pour appréhender son monde… Mais elle venait à peine d’y réchapper. Détrempée, sauvée, repliée sur son cœur meurtris dans l’attente qu’un jour sa chair ne sèche.
Un sourire mauvais déchira son visage. Une plaie ouverte aux bordures ivoires tandis qu’elle dévoilait ses crocs, un éclat dur de métal glacé dans les prunelles.
Sa voix crissait comme de la craie effritée sur un tableau, des bris de glace qui lui découpaient la gorge en tout autant de foyers de ressentiments. Un incendie grondant faisait rage dans sa poitrine, et elle se sentit à court d’air brusquement, les mots empressés contre son palais en une nuée furieuse d’âcres frelons.
Elle pencha sensiblement la tête de côté, les prunelles à demi voilées derrière l’écrin de ses longs cils sombres, pourtant un regard sans détour braqué sur son vis-à-vis. Le vert de ses yeux s’était fait chatoiement d’océan, l’obscurité des abysses traversées d’un reflet d’animosité animale.
Elle eut un bref mouvement de dénégation du chef, presque rieuse de ce détail Ô combien risible, d’une ironie fabuleuse.
Et dans sa bouche, le diminutif autrefois affectueux sonna comme une cruelle saillie.
Elle avait haussé la voix, les doigts repliés en de minces poings fermés, ce flot de questions inarrêtables déjetées à leurs pieds entre ses dents serrées. Le regard féroce qu’elle jeta à la pierre de lien qu’il tenait fut d’un absolument dédain empli de colère.
Était-ce pertinent ou judicieux de trainer Calixte dans ce conflit ? Assurément non. Mais Luz n’était plus pertinente ni judicieuse en cet instant. Rien d’autre au contraire qu’un bloc de granite aux arrêtes effilées, louve grondante terriblement aux abois.
Orage, ô désespoir─ avec Luz
Que fait un animal blessé pour se défendre ? Il attaque. Et c'est exactement ainsi que la Louve se protégea. Mon visage se durcit à chaque parole aiguisée qu'elle m'estomaquait. Tu veux des réponses Luz ? En voilà.
– Je ne t'ai jamais caché être à la recherche de ma sœur. Et tu connaissais le possible lien avec la Cabale.
Et je devais laisser Zahria s’occuper de cette partie de l’histoire. Ça n’allait pas assez vite, l'on m'a écarté bien trop vite pour me cacher des choses. J'en étais tellement persuadé à ce moment-là...
– Je ne pense pas t’avoir fait un scandale lorsque tu poursuivais Croc de Chance et que je m’inquiétais à chacune de tes enquêtes. Tu parles de confiance ? Luz, je te faisais confiance dans cette course-poursuite dangereuse. N’aurais-je pas pu t’aider moi aussi ? Te soutenir ? Ne m’es-tu pas revenue blessée ? Ma confiance s’est-elle effritée ? Je me rongeais les os mais voilà, j’avais foi en toi. Tu avais besoin de le faire seule, sans moi et j’ai respecté ta décision.
Ma voix était monotonement tranchante. Sans relief, sans reproche, sans haine ni amour. Je dictais les faits avec un éloignement soudain, comme si mon élocution ne m'appartenait plus. Un double parlait pour moi pour ne pas me briser.
– Contrairement à moi qui avais juste peur qu'on s'en prenne à toi. Ils ne sont pas des petits bandits de quartier, tu aurais pu certainement m'aider mais ta vie est bien plus précieuse à mes yeux que quiconque. Que ma propre vie tus-je. Je ne pouvais décemment pas te perdre pour la folie qui me tenaillait.
Je secouais la pierre de lien et sortis le collier jumeau détrempé.
– Ça, c’était notre lien. Ça, insistai-je sur le mot, c’était ma manière de t'impliquer sans risquer ta vie. Et encore. Au moindre problème je savais que tu le sentirais et que tu me trouverais. J'avais tort.
Une ombre passa dans mon regard acerbe et ma langue se délia cette fois avec amertume.
– Oh et ne t'inquiète plus chère Luz, Calia est morte, ma folie de la sortir de la Cabale avec elle.
Ton visage devient marbre à son tour, tes iris plus tranchants que jamais annoncent un nouveau déferlement de fureur que je stoppe net d'un mouvement de main.
– Quant à notre enfance, oui, j'ai fait une grave erreur. J'ai été égoïste en croyant que je ne comptais pas pour toi et que tu m'oublierais. Tu le sais, je regrette de vous avoir abandonné mais je ne peux revenir en arrière.
Il y aurait bien des choses que j'aurais changées si Lucy me laissait cette chance. Hélas le passé était derrière, il fallait avancer et à cet instant je marchais sur des œufs que j'écrasais de toute mon ire si longtemps réfrénée.
– Tu m’accuses de quoi exactement avec Calixte ? Crois-tu que c’était voulu ? Ne te rappelles-tu pas avoir été l’initiatrice de nos ébats Luz ? Je suis désolé que tu aies affronté cette nouvelle seule. Aussi seul que j'ai pu l'être sans toi. Rassure-toi Luz, je ne serais pas père. Je ne peux encore une fois défaire le passé et saches que j’assumerais notre valse et ses conséquences. Moi.
Lucy nous éprouvait d’une manière bien sournoise. Je ne demandais ni pitié, ni compassion. Nous étions tous deux murs, bombardant nos paroles pour abîmer l'impénétrabilité de l'autre. Cette fois je pris la poignée de cette femme qui fut jadis ma Lumière, l'obligeant à ouvrir sa paume pour y déposer la pierre de lien.
– Je ne plaisante pas, elle ne m'est plus d'aucune utilité. Énonçai-je implacable, mes yeux bien ancrés dans les tiens.
Nous étions deux bêtes qui s’observaient férocement, prêts à bondir au moindre mouvement, au moindre frémissement de l’autre. Mon cerveau ne m’appartenait plus, mes gestes devinrent automatiques, las de ce dénouement si apocalyptique. Une part de moi ne cessait de crier, déchirant l’abîme de mon cœur se noyant dans sa lente agonie. Je me vis à mon plus grand désespoir tourner les talons, et abandonner le parvis de la clinique pour te quitter sans plus aucun espoir de te retrouver. Tu craignais de me voir mourir Luz. Regarde l’arme que tu tiens férocement entre tes mains. Tu me saignes, tu me bousilles coup après coup. Tu m'assassines.
Ce que j'oublie alors à cet instant, c'est que je suis autant coupable que je t'accuse.code ─ croquelune
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