Accrochant les flèches, les tours et les arrêtes de pierre, une brume épaisse et lente s'effiloche tel des suaires en lambeaux, flottant en nappes aveugles dérivant au gré d'un vent inexistant. Le froid, partout, congèle et enserre, impitoyable contrainte qui rappelle à tous combien la nuit peut se faire cruelle et mordante en ce début de saison froide. Obscurcissant la vue, les montagnes sont plongées dans un brouillard dense au travers duquel ne filtrent que des éclats de sons étouffés, lointains et évoquant vaguement une vie nocturne dispersée en cette heure avancée de la nuit. La lune presque pleine jette un masque blafard sur l'ensemble, entourant paysages et lieux familiers d'une aura particulière de mystère et de silence, de cette beauté éphémère et presque sinistre qui s'en dégage. À l'angle d'une rue ou au détour d'une corniche, on peut apercevoir ça et là, par intermittence, les masses sombres et inquiétantes de structures en pierre qui paraissent ainsi émerger du vide à la façon de titans. Il serait aisé de se perdre en des rues pourtant connues, de mésestimer les distances et de se surprendre, le cœur battant d'adrénaline, en essayant de rationaliser les formes dans le brouillard. Mais il y a, ponctuant la nuit d'un désordre lumineux féerique, quelques îlots pourtant, des lanternes accrochées là par les habitués en autant de sentinelles guidant les rares passants bravant les températures.
Sillonnant cette mer spectrale avec l'aisance des habitués, les anneaux d'une silhouette serpentiforme glissent d'une façon impossible au travers des bancs de brumes protecteurs. Évoluant au ras des toits, progressant sous la faveur de la nuit, l'éclat d'une fourrure silencieuse scintille parfois fugacement sous l'astre d'argent, apparition fantôme qui disparaît aussitôt surgie. Mû par la curiosité, une certaine nostalgie et la perspective pleine d'adrénaline d'une aventure qui aurait été rendue impossible sans les bonnes conditions, les fois où le dragon ose s'aventurer sur le territoire humain sont plus que rares. Dangereuse, l'opération pourrait lui être néfaste, il le sait et prend garde, oreilles à l'affût, d'éviter les bruits de pas, les zones de lumière et les éclats de voix. Ses sens sont en alerte et l'étincelle astucieuse qui habite le fond de son regard luit particulièrement ce soir. Dans la cité des hommes, il doit jouer avec les règles des hommes et il porte à ses poignets trois bracelets métalliques finement ouvragés, d'une facture ancienne et qui pourraient être des ornements précieux s'ils n'étaient ses anneaux magiques sur lesquels il peut compter au cas où. Furtif, il ne cherche rien en particulier mais s'éprend à baigner dans cette ambiance mystique, à repousser en arrière les frontières d'une ville envahie par le brouillard et saisie par les lois de la nature le temps de quelques heures. Cela lui rappelle cette époque où il était maître de son corps et où, espiègle, il pouvait joindre la brume dans ses jeux de cache cache.
Il s'ennuie vite, néanmoins, et le froid est prenant malgré sa fourrure. Il oscille, ici et là, tortille tel un spaghetti vivant, ondule en effleurant les toits et saute en arcs de cercle par-dessus les rues pas trop larges. L'ombre de bâtiments bien particuliers lui revient alors dans le champ de vision. Sa mémoire lui amène des images d'humains en armes et armures, de bruits de métal et d'étendards aux mêmes couleurs. Il y a là un danger, il le sait, quelque chose qui protège mais qui peut aussi tuer. Et c'est le museau fouineur qu'il s'insinue en direction des murailles, allant d'ombres en ombres, sa curiosité naturelle le poussant à aller s'intéresser à ce qu'il ne faudrait pas. Il se coule dans un courant d'air, accélère brusquement sans un bruit, franchit une distance de vide en sautant et atterrit sur un créneau.
Ses griffes raclent, accrochant la pierre froide. Plié d'une manière impossible, à mi chemin entre le chat et la loutre, il observe, écoute le silence, perçoit de vagues échos. Pas de mouvement apparent, pas de lumière proche, il se hisse alors sur un petit chemin de ronde, flottille en apesanteur et se met à explorer. Il reste néanmoins sur le pourtour de la caserne, avisant les silhouettes colossales des bâtiments plus au centre et des différentes cours. Il ne connaît pas ce labyrinthe et ne voudrait pas s'y faire piéger par mégarde.
À un moment il perçoit une petite fenêtre avec de la lumière, se laisse sinuer en partie, tête en bas, vers celle-ci pour observer ce qu'il s'y passe. Il n'y décèle rien de prime abord, quelques bougies, une personne endormie. Quelques secondes passent puis il se lasse, serpente le long de la muraille en s'accrochant avec ses griffes pour ne pas tomber pour remonter. Vif, il va ainsi espionner trois ou quatre des fenêtres encore allumées ici et là avant de se figer, un frisson lui remontant le long de l'échine : une odeur de nourriture.
Instinctivement, tout son corps se tourne dans cette direction. Il renifle, hume l'air à plusieurs reprises pour bien fixer les odeurs. Du brûlé, de la viande, du gras cuit. Il ne lui en faut pas plus et il remonte, petit à petit, la piste olfactive, tâtonnant une fois ou deux alors que le vent vient l'embêter légèrement. S'accrochant à la pierre pour ne pas tomber dans le vide, il se glisse sous un pont à la manière des lézards, se faufile pour accéder au toit d'un bâtiment plus à l'intérieur. Il observe, tendu, le moindre mouvement, écoute le moindre bruit. Se faire repérer ici serait probablement très mauvais et si une part de lui en a parfaitement conscience, pourtant, il persiste, attiré par ce jeu incertain, entre risque et audace bientôt récompensée.
Finissant par trouver le lieu de ce qui devrait probablement être une cuisine, il y observe l'intérieur par une fenêtre. Quelques cristaux de lumière éclairent encore chichement l'endroit, mais aucun accès de lui permet de rejoindre l'odeur qu'il a détectée. Enroulé là autour du conduit d'une cheminée active, profitant de sa chaleur, il perçoit alors une petite ouverture, ce qui ressemble à une fenêtre laissée ouverte dans une pièce attenante. Agile, il vient se positionner au-dessus, glisse sa tête jusqu'à l'ouverture et y observe. L'endroit n'est éclairé que par un feu en fin de vie additionné de quelques bougies et ressemble grossièrement à une petite réserve attenante. Les odeurs alléchantes qui l'envahissent le font saliver et balaient un instant toute notion de prudence. Alors, après quelques secondes à s'être assuré qu'aucun bruit suspect ni mouvement n'est détecté par ses oreilles, il se faufile à l'intérieur, jaugeant être à même de pouvoir ressortir si besoin.
Tombant tel un sac de nœud vivant, il ne touche néanmoins pas le sol et renifle avidement à droite, à gauche, encore à droite. Une multitude d'odeurs enivrantes saturent ses naseaux : c'est le jackpot. Il ne le sait pas mais il se situe alors dans la réserve des gradés, là où ça sent le poulet rôti, le fromage, les fruits et le gras fumé, le faisan et la confiture en plus d'une multitude d'épices. Faisant un tour rapide de la pièce, il va et vient, presque frénétique, papillonnant d'un endroit à l'autre. Là, un morceau de lard qui traîne, disparu. Ici, des restes d'épluchures d'oranges, avalées, puis une rangée d’œufs frais qu'il vient saisir avec une délicatesse insoupçonnée pour les gober un à un. Bien vite, il se met à fouiller, oubliant toute notion de prudence et ouvrant placard et réserves de ses griffes quelques peu maladroites, dévore en rognant un demi jambon fumé entier, saccage plusieurs paniers de fruits en en dévorant une bonne moitié, croque allègrement dans une réserve de shalupins séchés dont les os croustillent avec un plaisir coupable sous les crocs, fait tomber par mégarde quelques ustensiles de cuisine sur le sol avant de finalement tomber sur le sésame des sésames.
Dans une sorte de grande armoire, du poisson. Son met préféré. Pendus par rangs entiers, certains fumés, d'autres pas encore. Il se pose alors à terre - c'est dire ! - et entreprend de dévorer consciencieusement, un par un, tout ce qui peut se trouver à sa portée.
Il ne peut absolument pas résister, en gronde de contentement. Ce qu'il se passe ici est littéralement un accident.
« Haydan! Reste encore avec nous! » Clama haut et fort l’un de ses compères à moitié ivres alors qu’il soulevait son bock de bière dans les airs surprenant plus d’un puisqu’aucune goutte n’avait été renversée. L’alcool avait coulé ce soir et les soldats s’étaient bien rempli la pense lors d’un petit festin pour festoyer entre eux. Après tout, nombreux avaient dû être de garde lors des festivités du solstice. C’était leur façon à eux de fêter la nouvelle année qui venait d’arriver même si cela datait déjà de quelques jours. Et si l’un d’eux avait demandé à Haydan de rester, ce que ce dernier avait déclaré prendre congé de la soirée. Un sourire plutôt simple, bien que désolé, s’était affiché sur son visage normalement distant et il avait déposé ses mains sur la table de bois à laquelle il faisait face. Poussant sa chaise vers l’arrière d’un mouvement de jambes, il vint se lever droitement et se tourna alors vers ses frères et sœurs d’armes. « Désolé, les gars, mais le devoir n’attend pas et je me dois d’être en forme pour demain. » Avait-il répondu en déclenchant une huée de déception. « Merci pour le repas et ne faites pas trop de connerie. Je n’ai pas envie de devoir prendre soin de vos carcasses parce que vous aurez trop bu. » Pourtant il le savait, dès que la lueur du jour pointerait son nez, ceux étant assignés le matin allaient être les premiers à venir faire la file pour qu’il les aide avec leurs maux de tête. « P’tain, t’es plus pareil depuis que t’as changé! » se plaignit alors celui qui avait un coup de trop dans les nez. Le médecin de la garde ne dit rien préférant ignorer les énoncés d’un ivrogne. Il ne pensait pas ce qu’il disait et demain tout aura été oublié.
Replaçant sa chaise à sa place, il attrapa ses couverts afin de les amener jusqu’à la cuisine qui était reliée à la grande salle à manger où les gardes venaient s’y reposer par moment. À cette heure-ci, il n’y avait plus personne de corvée et chacun devait laver sa propre vaisselle ce qui n’était pas plus mal. Haydan détesterait devoir faire toute la vaisselle d’un autre groupe. Enfin, il savait que certains n’étaient sûrement pas en état de le faire, mais il devait bien y avoir encore quelques-uns d’entre eux dont l’esprit n’était pas encore embrumé qui se chargeait de la tâche. Il ouvrit donc le robinet alimenté par un cristal d’eau chaude pour venir y rincer ses affaires avant de les frotter avec un peu de savon pour finalement les rincer et les essuyer.
Maintenant que c’était fait, il n’avait plus qu’à quitter par la porte de la cuisine qui menait vers le couloir. Plus rien ne l’empêcherait de retrouver son lit, pas même les bruits étranges qui se faisaient entendre du garde-manger lorsqu’il passa devant. Il fit encore quelques pas, puis réalisa. * Mais qu’est-ce que? * Pensa-t-il alors que son pied était toujours levé. Il le posa au sol et recula tranquillement sans faire de bruit jusqu’à la porte qui était fermée. Normalement, il ne devrait y avoir personne à cette heure-là, sauf si l’un de ses collègues s’y était glissé parce qu’il avait encore trop faim! Après tout, l’alcool ouvrait souvent l’appétit et ça ne serait pas la première fois qu’il surprendrait quelqu’un en train de se prendre un morceau de quelque chose en dehors des heures allouées.
Haydan aurait pu laisser faire et poursuivre sa route. Lui aussi l’avait fait par le passé et personne n’en était mort, mais une petite voix dans sa tête lui disait tout de même de vérifier. Après tout, si des ustensiles venaient de tomber sur le sol peut-être que la personne était dans le besoin, puis en vrai elle n’était pas réellement discrète. Déposant sa main sur la poignée, il tourna cette dernière qui n’était pas verrouillée et l’ouvrit aussitôt pour y voir non pas un garde, mais une créature filiforme qui semblait s’en donner à cœur joie.
« Mais d’où tu sors toi?! » dit-il assez fort pour se faire entendre de la créature, mais pas du reste du bâtiment. S’il n’avait pas sur lui son épée, au moins il avait sa ceinture épée qu’il retira rapidement de son pantalon pour venir tenir à distance la bête qui se tenait là si jamais elle voulait, d’un geste désespérer, s’en prendre à lui. Un petit vent frais, lui fit comprendre que la fenêtre était restée ouverte pour tempérer la pièce et garder au frais les victuailles, mais tout de même… Personne n’aurait cru qu’un mist s’y glisserait.
Surstimulé par toutes sortes d'odeurs qu'il n'avait pas eu le plaisir de sentir depuis longtemps, le mist n'entend même pas l'intrus arriver tant il est occupé à dévorer les poissons délicats qui s'offrent à lui. Hélas, il n'aura pas eu le temps d'en manger tant que ça avant qu'il ne soit interrompu. Sursautant face à la phrase qui lui est lancé, il s'agite brutalement, pris par surprise, et il y a une seconde de confusion où il est à demi piégé dans l'armoire de réserve, cherchant frénétiquement la sortie du meuble en le heurtant une ou deux fois. Il émerge alors, un poisson fumé fermement coincé entre ses mâchoires, crocs à demi découverts face à ce qu'il conçoit par réflexe comme une menace, et décolle prestement pour s'éloigner de plusieurs mètres, venant flotter au-dessus de l'étal des paniers de fruits et des pots à confiture, légèrement en hauteur. Tout, dans sa posture, ne laisse présager pour l'instant qu'un comportement purement animal, si ce n'est ces trois sortes de bracelets ornementés que ses deux pattes avant affichent, signe d'un quelque chose de plus. Entortillé sur lui-même, le cou légèrement replié vers l'arrière comme sur la défensive, il avise alors l'humain qui se tient devant lui une fois le chaos initial passé.
Il voit la porte ouverte, il voit l'épée, il voit la posture du garde qui se dresse là et il pourtant y a cet instant suspendu où il s'apprête à s'enfuir - ou à attaquer ?, tous ses muscles tendus comme si son corps contenait un orage grondant. Et seule une table de cuisine les sépare. Pourtant, quelque chose l'arrête, perturbe le mouvement ondulatoire élégant de ses anneaux. Ses yeux se posent dans ceux de l'humain et il y a une seconde où se mêlent incertitude et curiosité. Ça et ce moment incertain où l'épée n'a pas encore frappé. Il y a un danger. Il le sait, ses instincts le lui hurlent et pas seulement l'arme qui se tient devant lui mais également le fait d'être découvert. Pourtant, quelque chose dans l'aspect de ce garde déstabilise intérieurement le mist, tire sur ses pensées et remonte une partie de sa conscience avec une lucidité aigüe. Son cœur bat un peu plus vite, un peu plus fort. Il sent qu'il y a là quelque chose qu'il touche presque du doigt, mais qui lui échappe néanmoins complètement, une familiarité dans les traits du garde qui le renvoient aux siens, qui lui ressemble étrangement et qui le conduit fatalement au besoin de savoir. Un besoin sans appel et presque angoissant.
La partie supérieure de son corps se redresse alors, tandis qu'il se déplie. Fier, il se juge en mesure de pouvoir s'échapper si les choses tournent mal, et c'est ce qui lui donne cette assurance presque culottée tandis que ses pensées viennent effleurer celle du garde, son poisson fumé toujours dans la gueule.
La voix est comme un écho. Un souffle qui traduit ce quelque chose de farouche et un peu insolent d'une bête sauvage mais néanmoins curieuse. Et son esprit trouve des voies tortueuses pour parvenir à ses fins.
La comparaison est hasardeuse mais il fait bel et bien référence aux lutins des fêtes avec des oreilles pointues et des bonnets rouges qu'on peut voir des fois en images ou en figurines de paille.
Dans sa mentalité à demi animale, le fil logique est parfaitement clair. Entamer un dialogue avec ce deux pattes pour répondre à cet impérieux élan qui lui intime de savoir. Il reste prêt, néanmoins, à réagir à toute agression, n'ayant aucune confiance dans les humains quant à ce qui concerne la paix.
Les pensées entre <>
L’animal qu’Haydan avait pris sur les faits ne semblait pas aussi dangereux qu’il ne l’avait pensé. Plus effrayé qu’autre chose, ce dernier avait été pris par surprise et la garde savait ce qu’un animal pris par la peur pouvait faire. C’est pour cela qu’il ne fit aucun geste brusque et ne chercha pas à s’approcher pas tant qu’il ne se serait pas calmé. Il espérait simplement que le vacarme occasionné par les déplacements de ce dernier n’ait pas alerté ses compagnons qui se trouvait non loin d’ici. Il porta rapidement un léger regard vers l’arrière pour s’assurer que personne n’était sortie de la grande salle à manger. Heureusement que ce n’était pas le cas. Son regard se rapporta alors sur l’animal qui l’observait. Il le sentait nerveux, pris au piège au-dessus de l’étagère. Le garde devait rester calme pour éviter d’y avoir d’autres pertes.
Il l’observa un peu plus, apperçevant vite fait les bracelets qui se trouvait à ses pattes. S’agissait-il d’un familier perdu ? Pourtant il n’avait pas entendu parler d’un signalement de la sorte. En tout cas, ça ne devait pas être un mist ordinaire à moins que ce dernier ne se soit pas seulement infiltré dans les réserves de la garde.
Les deux s’observaient et lorsque Haydan entendit une voix dans sa tête, la surprise pu se lire dans son visage. Même ses épaules tressaillirent un moment et alla même jusqu’à chercher rapidement du regard celui qui avait bien pu lui parler, mais rapidement la voix revint à la charge, mais cette fois-ci le comparant à l’un de ces fameux petits lutins du solstice. Décontenancé, il en baissa même son épée fixant de ses iris bleues le mist. Venait-il vraiment de le comparé à une créature qui n’existait même pas? Comment pouvait-il les connaître d’ailleurs? Ça ne pouvait être qu’un familier perdu, mais comment ce dernier avait-il la capacité de partager ses pensées avec lui? C’était plutôt anormale. Il n’était pas son maître.
« Je suis un simple humain... Et toi? Où se trouve ton maître? » dit-il alors qu’il rangea son épée lui faisant reprendre son apparence de ceinture. La créature était bien plus intelligente qu’il ne le pensait et c’était certainement laisser guider par l’appel de la faim, mais ça ne voulait pas dire qu’Haydan allait le laisser s’empiffrer comme il le voulait. S’avançant dans le garde mangé, il ferma la porte derrière lui, ne voulant pas prendre le risque d’être vu ici et fit signe à l’animal de descendre de son perchoir. « Je ne te veux pas de mal alors descend de là. » commanda-t-il à ce dernier d’une voix neutre. Le calme était essentiel dans cet échange.
Il allait devoir trouver un moyen de le sortir d’ici sans qu’il se fasse voir ou du moins le plus discrètement possible, mais avant il allait devoir soutirer quelques informations afin de pouvoir retrouver son maître et discuter avec ce dernier. Laisser son familier libre et sans surveillance n’était pas conseillé surtout si ce dernier avait tendance à faire de mauvais coup.
« Je m’appelle, Haydan. Quel est ton nom? » demanda-t-il en exagérant un peu sur la prononciation tout en mettant sa main contre son torse à la prononciation de son prénom puisqu’il voulait se faire comprendre.
L'humain range son épée et si le mist n'esquisse pas de mouvement supplémentaire pour le moment il surveille très clairement la manœuvre de ses yeux, une de ses deux paires d'oreilles se tournant dans sa direction afin de ne rien lui laisser échapper. Témoin de l'arme qui se transforme en ceinture, sa tête penche légèrement sur le côté, de l'allure de ces bêtes qui réfléchissent et s'interrogent. Il a, en cet instant, la certitude d'avoir volé un des secrets de ce lieu et s'il admet intérieurement l'astuce d'un tel outil, il en reconnaît également la malice dangereuse. Les rouages de sa cervelle se mettent en branle : ces murs fourmillent de deux-pattes, ont-ils tous un tel atout dissimulé ? Ceci ne fit que légitimer un peu plus la méfiance instinctive qu'il leur associait habituellement.
Passé la surprise mutuelle initiale, l'humain lui répond, refermant la porte derrière lui. La bête observe chacun de ses faits et gestes désormais, attentive à l'écoute de ses paroles mais également à la lecture de son langage corporel, une chose souvent sous-estimée par ces primates glabres. Il n'y a pas de tension dans ses déplacements, rien de fébrile. Il ne perçoit qu'une attitude calme et posée, dans le contrôle, et le mist aurait presque préféré qu'il s'agite un peu trop, l'invective et le commande avec l'arrogance propre aux humains, en ce que la réponse à adopter aurait été toute trouvée : insolente et fière. Mais rien de tout ça et si la bête pivote légèrement pour toujours rester face à ce nouvel interlocuteur, elle ne recule pourtant pas cette fois-ci, ondulant lentement au-dessus du meuble lui servant de perchoir.
Il avait rangé son épée, cela voulait-il dire qu'il abandonnait toute velléité ?
Pourtant, il lui demande où se trouve son maître et des sentiments mêlés s'accrochent les uns les autres. Il retient la vérité, celle qui revendique une liberté farouche, car il a conscience que cette réponse donnera raison à l'elfe du Solstice. N'est-ce pas pourtant plus sage qu'il quitte les lieux ? Probablement. Mais il ne dit rien, le laisse venir afin de tenter de déterminer son intention. Est-il sincère quand il parle de ne pas lui faire de mal ? La bête a de la difficulté à déterminer la vérité, un calme tranquille lui étant opposé. Pourtant, il n'obéit pas tout de suite, garde le silence, réfléchit. S'il est curieux ? Bien entendu, mais la conscience du danger que peut représenter ce lieu et son flagrant délit freinent quelque peu ses ardeurs.
L'humain lui donne alors son prénom, comme cédant un peu de terrain pour offrir l'espace à un pas dans sa direction en échange. L'instant en est presque grave et le mist hésite, oscille entre le refus et l'acceptation. Il pourrait lui mentir, il est vrai, mais il y aurait un quelque chose d'insatisfaisant dans leur rapport s'il faisait ça. Les crocs toujours plantés dans la chair alléchante du poisson, babines légèrement retroussée, ses longues moustaches flottent gracilement comme entre deux eaux. Un instant les narines de son museau palpitent un peu plus fortement, inhalant plus profondément l'air ambiant tandis qu'il renifle à la recherche de la signature olfactive de celui qu'il a en face, mais c'est en vain, l'air étant saturé par toutes ces odeurs de nourriture.
Finalement, il prend la décision de lui répondre au bout de longues secondes, soufflant à son esprit la vérité qu'il demande.
La réponse, cryptique et un peu fantasmée, n'est dans le fond plus qu'une façade en ce qu'il n'est plus capable de faire ça depuis bien longtemps maintenant. Pourtant, il ne l'admettra pas, tente d'impressionner Haydan avec ces secrets car il aime, est-ce utile de le préciser, être admiré.
Rejetant la tête en arrière, il ouvre alors la gueule en deux et imprime un léger mouvement à son repas avant de l'engloutir d'une seule bouchée facile, se léchant les babines avec satisfaction par la suite. Il n'a pas répondu à la question principale de l'humain, et il le sait pertinemment. Néanmoins, il doit avouer qu'il ne sait pas quoi dire.
Il se déplie alors, fait couler lentement sa silhouette du haut du rangement sur lequel il flottait pour descendre à un niveau plus approprié à une discussion à hauteur d’œil avec un deux-pattes. Il ferme très légèrement la distance entre eux deux mais reste néanmoins prudent dans l'espace de fuite qu'il se ménage. Le feu qui crépite encore en partie baigne tout son corps d'une aura rouge-orangée, faisant osciller l'ombre gigantesque qu'il projette maintenant en hauteur sur le mur opposé. Le voilà qui donne la mesure de ses six mètres d'envergure et tient tout juste dans la largeur de la - conséquente - réserve. Et il n'y a que le doigté précis de l'habitude qui l'empêche de bousculer au sol plusieurs pots et ustensiles à cause de sa taille.
Redressant la tête à l'image d'un serpent, observant l'humain dans les yeux, il semble presque le jauger en cet instant, sans hostilité apparente néanmoins. Juste une intense curiosité et un brin de méfiance farouche.
Il le dit avec philosophie, sans mal, joue néanmoins sur les mots dans une manière de répondre qui passe à côté de l'intention réelle derrière la question de Haydan. Une part de lui s'interroge toujours, tente de sonder ce calme apparent. L'eau qui dort est tentante mais noie souvent les imprudents. Le mist aime à se prétendre rusé, mais il est aussi souvent inconscient, et s'attirer les foudres de ce garde n'est peut-être pas une bonne idée.
Finalement, il le lui demande, avec une simplicité sincère.
Son arme rangée, il se sentait bien nu face à cette créature qui lui faisait face, mais son rôle était avant tout d’éviter la catastrophe et il ne désirait pas être le responsable de la perte de tout leur bien. Il faudra déjà qu’il s’explique avec les plus hauts-gradés le moment venu, mais chaque chose en son temps. S’il voulait que la créature parte d’ici sans causer de grabuges supplémentaires, il devait faire preuve de calme et puis il gardait toujours une carte dans sa manche qu’il pourrait habilement sortir s’il en ressentait le besoin. Après tout, il n’allait pas mettre sa vie en danger tout de même.
Le soldat avait parlé sans réellement savoir s’il allait être compris et le silence qui avait plané entre eux l’avait fait douter. Sur le coup, il s’était sentit quelque peu idiot d’avoir tenter la conversation avec cette créature, mais d’un autre, il n’était pas fou au point d’imaginer des voix dans sa tête et jamais il ne se serait comparé à l’un de ces petits lutins du solstice. Il n’était pas comme ces gens qui aimaient bien discuter avec leurs animaux de compagnie en leur créant même une voix. Il n’en était pas à ce stade. Loin de là!
Du coup, il fut presque soulagé d’entendre de nouveau la voix de la créature dans sa tête changeant son air quelque peu hésitant en des traits plus soulagés. Ses épaules s’étaient légèrement détendues suite à cela, parce que s’ils pouvaient engager une discussion un peu plus civilisée avec le mist, cela allait être déjà plus facile pour lui.
Haydan l'avait écouté sans broncher et s’il avait bien compris tout ce qu’il lui avait dit, ce dernier se faisait appeler Le Vif par ses compères. Il était donc connu ou s’agissait-il simplement d’un surnom donné par certains humains qui l’auraient déjà rencontré? Enfin, il fit tout de même un pas vers l’arrière quand ce dernier avait décidé de se rapprocher. Après tout, il était toujours impressionnant de faire face à l’une de ses créatures surtout lorsqu’elle avait la capacité de l’embrocher avec ses cornes ou bien le lacérer de ses griffes. * Il ne répond pas du tout à mes questions * réalisa-t-il au bout d’un moment. Mais bon, il ne s’attendait pas réellement à grand-chose. En même temps, ce n’était qu’un “animal” bien que quelque chose vint faire douter le garde. Il savait qu’il n’avait pas répondu à toutes ses questions…
« Je ne te chasserai pas, du moins, je ne le ferai pas avec violence. Mais je ne peux pas te laisser ici. Ce que tu fais est mal et fermer les yeux sur tes agissements pourrait m’attirer des problèmes. » dit-il en agitant doucement ses mains pour accompagner ce qu’il disait. « Tu te trouves dans le bastion de la garde de Forteresse, alors tu pourrais avoir bien des problèmes… Le Vif.» finit-il avec une certaine hésitation sur sa façon de l’interpeller. Ça ne ressemblait pas du tout à un prénom. Croisant ses bras sur sa poitrine, Haydan fit mine de réfléchir. S’il le laissait partir, peut-être qu’il retrouverait tout simplement son chemin jusqu’où il venait, mais cela ne l’empêcherait peut-être pas de réitérer son méfait.
« Alors si tu veux bien me suivre et laisser tranquille nos provisions, je pourrais essayer de t’offrir quelque chose pour compenser, mais tu devras me promettre de ne jamais revenir ici sans permission! »
La bête observe l'humain avec attention, inspecte ses gestes et sa posture, la direction de ses pas et les mouvements de son regard. Il tente de mieux circonscrire l'impression qu'il lui donne, de décider si oui ou non se cache dans ce calme apparent la ruse d'une violence dissimulée. Difficile à dire, face à ce garde qui n'utilise que les mots et la raison, une arme autrement plus dangereuse que n'importe quel bout de métal taillé en pointe. Il y a en lui une part tranquille qui désarme quelque peu le mist, va à contre-courant de cet élan indomptable et toujours en révolte qui anime le dragon. Pour le moment, les choses sont suspendues, dans un équilibre précaire, mais il ne faut parfois pas grand-chose pour les basculer d'un côté ou de l'autre. Haydan lui dit qu'il ne peut pas rester là, probablement selon les règles humaines qui sont appliquées sur le territoire humain. Il dit que c'est mal, il penche la tête de quelques degrés sur le côté, comme s'il s'interrogeait sur la notion de mal, en introspection sur la situation. La comprend-il seulement ? Probablement mieux que ce que les apparences ne laissent croire, mais ce n'est pas le moment d'entrer en débat sur des notions et des détails.
Néanmoins, l'humain semble réfléchir et les mots qu'il utilise par la suite font pivoter la deuxième paire d'oreille du mist, dont l'attention est maintenant entièrement captée par son interlocuteur. Un petit quelque chose de malicieux s'agite en lui, terriblement tenté par le caractère précieux de ce qui lui est proposé.
Inconsciemment il s'approche encore très légèrement, flottant sans peine accroché dans les airs. Il n'y a pas d'hostilité dans son mouvement, peut-être juste un peu plus de curiosité.
C'était une façon comme une autre de désigner le bastion façonné dans la pierre, après tout. Du moins, c'était cohérent d'un point de vue un peu plus sauvage. Pointant son museau dans la direction de Haydan, le mist renifle une fois de plus les effluves qu'il tentait de percevoir, avançant sa tête d'un mètre supplémentaire. Il n'a plus de poisson sous le nez pour le gêner, mais trier tout ce qu'il perçoit et parasite son inspection est une tâche complexe et difficile. On eut dit qu'il se faisait une idée sur l'humain en face de lui, comme pour ajouter des informations à ce qu'il voyait. Mais il aurait fallu qu'il se rapproche plus encore pour vraiment pouvoir identifier son odeur, ce qu'il ne fit pas.
Finalement, après quelques secondes, il redresse un peu la gueule.
Il s'interrompt, cherchant un instant le mot approprié pouvant véhiculer la subtilité capable de retranscrire sa pensée, mais il se heurte à sa propre façon de voir les choses : portée sur les sensations au détriment des termes. Finalement, il secoue la tête dans un renâclement soudain.
Une étrange pensée parasite perturbe la fin, alors que son esprit tente de véhiculer un sentiment contradictoire, résultant en la superposition de deux idées différentes. C'est probablement un peu le fouillis, mais sa logique lui parait naturelle, bien qu'il n'ait pas nécessairement conscience de la manière dont il la véhicule en cet instant.
Il ne peut pas lui faire confiance. Pas dans ces boyaux étroits et sans échappatoire, pas sur un territoire qui lui est étranger et qui grouille d'humains avec des ceintures de métal. Sa curiosité est mise à rude épreuve et il l'aurait certainement suivi, s'il avait seulement encore eu la capacité de devenir la brume.
Pour le reste, il se déplace un peu dans la pièce, préférant le mouvement à l'immobilisme, illustrant ainsi ses propos en tournant légèrement autour de l'humain qui lui fait face dans un rythme évoquant le ressac des vagues. Il est très intéressé par quelconque promesse de cadeau qu'on pourrait lui faire - il adore qu'on lui fasse une offrande quelle qu'elle soit - mais la requête d'Haydan va à l'encontre totale de ses instincts. Se redressant légèrement, il essaye de prendre une posture noble, ralentissant le rythme de ses ondulations.
Une seconde de silence, où il examine d'un œil inquisiteur le visage du géant humain qui se tient devant lui.
Mais sa curiosité est plus grande encore et rares sont les humains à vouloir discuter et marchander. Son intérêt grandit de plus en plus à l'égard du petit elfe et il veut en savoir plus, tentant d'arpenter cette fine ligne de statu quo qui les relie pour le moment.
Et surtout, qu'est-ce qui peut bien intéresser un dragon ?
Forteresse était bien plus qu’une simple montagne, mais Haydan n’allait pas tenter de l’expliquer au dragon. Il réussissait à communiquer avec ce dernier et bien que ses pensées semblaient être plus développées qu’un simple animal, il ne se risquerait pas à faire trop compliqué. Ils se comprenaient, c’est tout ce qui comptait. Ne bronchant pas à son approche, Haydan devait lui montrer que sa présence ne lui faisait pas peur, même si un simple coup de patte ou de croc suffirait à le mettre hors d’état et hormis sa ceinture épée, il n’avait rien pour se protéger. Il n’aurait pas plus le temps de se transformer. Il allait continuer à se montrer calme et faire montre de sans froid, s’il faiblissait le dragon pourrait en profiter et prendre le contrôle de la situation.
D’ailleurs il comprenait en quelque sorte ce que ce dernier essayait de lui partager. Il est vrai que la nature humaine est imprévisible, mais il en va de même avec les créatures de ce monde.
« Tous les humains ne sont pas identiques. » commença-t-il dans un premier temps en cherchant ses mots. Ses bras qui avaient été croisés quelque instant plus tôt s’étaient déliés posant ainsi sa main droite contre son cœur alors que la paume de la seconde était tournée vers le haut et légèrement avancée en direction de la créature. « Je n’ai pas de mauvaises intentions et je ne te les ai pas caché. Je ne te souhaite aucun mal et je ne souhaite pas que quelqu’un d’autre puisse t’en faire. Mon devoir est de protéger et de venir en aide à ceux qui en ont besoin. »
Il avait pris des mauvaises décisions par le passé, mais il s’était repris en main et refusait de fermer les yeux sur ce genre de chose. Le mist n’avait pas besoin d’aide, après tout il n’était pas coincé ici et il se disait libre comme le vent. Sauf qu’ici, ce n’était pas la nature et bien qu’il ait été attiré par la nourriture, quelqu’un d’autre pourrait mal interpréter sa présence ici.
« Je comprends qu’on ne peut pas demander au vent d’arrêter de souffler. Il ne peut pas savoir que s’il souffle trop fort, il peut emporter tout sur son passage et causer des ravages sur son sillage, mais toi tu es différent et tu as une conscience. Lui non. »
Haydan avait posé son regard dans celui de la créature qui flottait devant lui. Il ne voulait pas se lancer dans le sujet du bien et du mal, car les animaux ne pouvaient pas le comprendre. Ils agissent selon leur instinct la plupart du temps et réagissent aux émotions et au non-verbal des autres créatures, mais il était certain qu’il n’était pas le premier humain avec qui le mist engageait une discussion.
« Je n’en veux pas à ta liberté, mais si on venait à nous découvrir ici, celle-ci pourrait bien disparaître. Alors, je t’en prie, sortons d’ici calmement. Tu sais toi-même comment peuvent être imprévisible les humains, alors ne jouons pas avec le feu. » Il savait qu’il allait devoir prévenir ses supérieurs qu’un mist avait réussi à s’infiltrer dans la caserne, mais ça, il allait le faire que le lendemain et une fois que la créature serait hors de portée.
« Je n’ai rien à t’offrir sur moi et il se fait tard. Les marchands ne sont plus sur la place, je ne peux donc pas acheter des mets qui rivalisent avec le garde-manger d’ici.Et ma parole ne te suffira pas, je le sais, mais nous pourrions décider d’un endroit où je pourrais t’apporter à manger demain ou si tu préfères, nous pouvons en discuter alors que nous marchons? »
Il agita doucement la main dans sa direction alors que le ton de sa voix devint un peu plus léger accompagnant ainsi sa future tentative d’alléger la discussion.
« Enfin, tu peux toujours flotter à mes côtés. »
Ses deux paires d'oreilles sont toujours pointées dans la direction de l'humain, tandis qu'il lui explique les choses telles qu'elles fonctionnent ici, avec le renfort de métaphores qui ont le mérite d'être claires. Le mist n'était pas si éloigné que ça de la pensée raisonnée en cet instant et il aurait pu comprendre un discours plus complexe, mais il s'agissait là avant tout d'une question de perception des choses et d'une logique propre aux instincts. De fait, celle-ci rendait floues les limites de certains concepts abstraits du comportement humain. Ses yeux inquisiteurs ne quittent pas le regard d'Haydan lorsqu'il jura presque solennellement que ses intentions n'étaient pas mauvaises. Fallait-il le croire ? Peut-être, peut-être pas, mais la survie imposait que non. Le dragon n'est pas sur un territoire qu'il contrôle, ni en position de réelle force pour faire face à d'autres gardes si ceux-ci se décident à lui donner l'assaut. L'humain est calme. Dans ses mots, dans ses gestes, dans sa posture. Il semble sincère et la créature n'est pas insensible à un tel effort d'assurance tranquille. Mais, toujours, cette méfiance en filigrane. Il était parfois fier et insolent, inconscient au point de se mettre en danger, persuadé d'être plus rapide, plus agile, plus réactif. Mais ici ? Son unique porte de sortie est actuellement le vasistas ouvert par lequel il avait pénétré dans ces lieux. Que quelqu'un le ferme et il serait piégé. Qu'il passe cette porte vers l'inconnu où l'invitait à le suivre Haydan et il n'aurait plus aucune certitude sur laquelle se reposer. Uniquement le témoignage des bonnes intentions de l'homme, et rien d'autre, dans un endroit rempli de ses semblables. Non, il y a certaines limites que même lui a la sagesse de ne pas franchir. Il ne remettrait pas son destin entre les mains du hasard ce soir.
Il y a un moment de silence, qui s'éternise, fait de la lumière rougeoyante et du crépitement du feu mourant. Un long instant où il n'y a rien d'autre que le regard vert du dragon qui épingle celui du garde. Comme s'il pouvait voir à travers, comme s'il le jaugeait - jugeait ?. D'un glissement silencieux et qui semble toujours n'approcher que la périphérie de Haydan, le dragon tourne autour de lui à une distance qui flirte toujours avec la limite entre le proche et le trop proche. Depuis le début de leur conversation, il a grignoté cet écart qui les séparait, sans que ça ne soit forcément complètement conscient. Sans un bruit, lentement, sa tête finit par revenir à l'endroit où elle se trouvait peu de temps avant, son corps entier décrivant un périmètre autour de Haydan tel un ouroboros refermé sur lui-même.
Il n'était pas menaçant, ses gestes n'étaient pas hostiles, mais il y avait cette incertitude propre à tout animal sauvage de ne jamais devoir considérer quoi que ce soit comme acquis. Un instinct latent qui pouvait passer d'une confiance précaire à une violence sauvage. Une part de la bête tentait sûrement de le déstabiliser, de percer à jour une vérité qu'il cherchait avec curiosité. Le grand panache de sa queue flottait là dans l'air, la fourrure de tout son corps ondulant lentement comme sous l'effet d'une brise invisible. On eut dit qu'il était sous l'eau.
Il l'avait dit très calmement, presque comme une évidence sereine. Ses oreilles frémirent.
Ses paroles étaient un raccourci cryptique, mais l'implication de la dernière phrase était sans équivoque. Il parlait lentement, comme s'il prenait le temps d'analyser la moindre des réaction de l'humain. On aurait également pu souligner l'incohérence de sa présence ici, pris la main dans le sac et à la merci du bon vouloir de cet humain, mais c'était un animal et les animaux n'entendaient pas les choses de la même manière. Difficile, en tout cas, de faire traverser l'intérieur de la Forteresse à une bête de six mètres sans que personne ne la voit.
Il redressa sa tête, son corps ayant légèrement dérivé jusqu'à finalement ne plus former un cercle, mais à revenir à l'allure d'un spaghetti entortillé. Finalement, il finit par pencher légèrement la tête de droite à gauche ses moustaches interminables dessinant des arabesques dans l'air.
Il y avait une certaine forme de logique, à son sens, dans ces propos. Loin de lui l'idée de refuser de la nourriture si on lui en offrait, après tout, mais ce n'était pour le moment qu'une promesse et il lui interdisait les denrées qu'il avait là sous son nez.
Laissant sa phrase en suspens, le mist comprenait néanmoins les paroles de l'humain. Il savait qu'il avait raison. Que les siens étaient trop nombreux, trop véhéments et trop bien armés contre lui tout seul s'ils voulaient à tout prix une chose. Il était un clandestin, ici, et il devrait quitter les lieux tôt ou tard pour son propre bien. Et mieux valait tôt que tard.
Ses moustache frémirent, sa gueule se rapprocha à moins d'un demi mètre du visage de Haydan. Museau pointé vers lui, il le renifla à plusieurs reprises, soufflant par le nez un vent chaud, comme s'il avait pu déterminer l'avenir dans son empreinte olfactive. Finalement, il continua :
Poussé par la curiosité, la perspective d'entraîner cet humain hors de la Forteresse était intéressante. Il n'avait pas de mauvaises intentions ni de pensées cachées, et lui-même n'était pas certain de ce qu'il voulait de lui. Il savait juste que ce garde lui avait offert de conclure un échange et l'étincelle espiègle qui ne quittait jamais vraiment le fond de son regard avait été attisée.
Il soupira un peu plus fortement du museau, reculant pour se redéplier plus en hauteur, tenter de subtilement dominer l'humain des airs où il vivait pour paraître plus impressionnant. Plus mystique peut-être, dans ce contraste majestueux de rouges et d'ombres projetées par l'âtre.
S'il essayait un peu de l'arnaquer ?
Probablement.
Rester aussi impassible dans une situation telle que celle-ci relevait certainement de l'exploit, mais Haydan avait appris à garder son calme en toute circonstance et il le fallait bien. Il n'avait pas envie de se faire croquer par le mist qui s'était rapproché de lui à un tel point qu'il pouvait sentir son souffle chaud contre sa peau. Enfin, même s'il ne le montrait pas, le cœur du garde s'était tout de même un peu emballé. Il ne se trouvait pas en bonne position et le danger n'était pas à écarter. L'adrénaline avait donc pris le dessus, augmentant son rythme cardiaque tout en le rendant plus alerte. Le médecin était prêt à agir s'il le fallait, bien que l'utilisation de son pouvoir ne lui serait d'aucune utilité. Cela prendrait trop de temps et Vif ne ferait de lui qu'une bouchée.
Enfin, heureusement, le mist, doté d'une certaine conscience, ne se laissait pas totalement guidé par son instinct sinon il ne perdrait pas son temps à écouter les arguments du garde. Il aurait pu tout simplement retrousser ses babines et tenter de faire fuir ce dernier par la menace maintenant que le garde était désarmé.
Dans tous les cas, Haydan savait que cela n'allait pas être une mince affaire, car ce dernier était aussi têtu qu'une mule et refusait de suivre l'humain. Il comprenait et n'avait pas tout à fait tort. Se déplacer avec une créature telle que lui n'allait pas passer inaperçu et il se trouvait un peu stupide d'y avoir penser… Il avait espéré pouvoir profiter de l'heure pour se déplacer, mais l'ouïe du dragon était bien meilleure que la sienne.
Il écouta dans le plus grand des silences l'animal qui, bien que le garde n'avait rien à lui offrir, avait fini par accepter l'offre de ce dernier. Il ne savait pas à quoi s'attendre et ce qu'il pourrait lui demander en retour, mais Haydan n'allait pas revenir sur sa parole.
« Je comprends très bien ce que tu me dis, Le Vif et je ne reviendrai pas sur ma parole. Je ne trahirai pas la confiance que tu places en moi et cela ne serait pas digne. Je te l'ai dit, je ne suis pas ton ennemi et je ne te souhaite pas de mal. »
Ses paroles ne seraient peut-être pas suffisantes pour que le dragon croit en lui, mais il voulait lui prouver d'une certaine façon. Maintenant que la bête s'était reculée, il pouvait enfin respirer et ce n'était pas la hauteur que ce dernier prenait qui allait l'intimider. Être grand et long n'apportait pas toujours ces avantages, surtout dans une pièce aussi restreinte que celle-ci.
Il leva les mains dans les airs pour qu'elle soit toujours visible pour ce dernier et il se mit doucement à bouger sur le côté sans lui tourner le dos. Ses déplacements étaient lents et sans gestes brusques et lui expliqua ses intentions dans une voix des plus calmes. « Je souhaite simplement me rendre à la fenêtre sans aucune intention mesquine. » Il savait qu'il jouait dangereusement et que ce dernier pouvait l'arrêter à tout moment, mais il lui faisait confiance, enfin, d'une certaine façon puisqu'ils avaient établi un pourparler sans agression jusqu'à présent.
Il ne s'arrêta qu'à côté de la fenêtre et l'ouvrit un peu plus. Le vent froid de la nuit s'engouffra dans la pièce faisant vaciller la flamme qui peinait à rester en vie. Observant à l'extérieur, il hésita pour s'y engouffrer afin d'accompagner le mist jusqu'à ce qu'il soit assez loin de la caserne et à portée de vue, mais il se résigna. Si le mist avait passé inaperçu, il se pouvait que ce ne soit pas le cas pour lui. D'ailleurs, un bref coup lui permit de voir la cour extérieure et non loin, le bâtiment adjacent où résidaient les gardes. D'ici il pouvait voir la fenêtre de sa chambre et la pointa du doigt.
« Tu vois les fenêtres du second étage, là-bas? demanda-t-il au mist en lui permettant de regarder aussi s'il le souhaitait. La seconde fenêtre mène à ma chambre, mais si tu trouves le moyen d'entrer autrement en communication avec moi, mon numéro de chambre est la F201. »
Pourquoi lui donner son numéro? Et bien s'il était assez intelligent, il pouvait très bien demander à un autre humain en qui il avait peut-être confiance de lui écrire une lettre. Dans tous les cas, il devait trouver le moyen que celui-ci puisse le joindre facilement parce qu'Haydan ne serait pas toujours enfermé dans la caserne.
« Maintenant que cela est dit, je t'invite à repasser par où tu es arrivé. Je pourrais te suivre, mais je vais plutôt rester ici pour ranger et tenter de cacher les preuves de ton intrusion.» Par cela il faisait référence aux objets tombés au sol et aux aliments qui avaient été déplacé.
- Lancé de dés:
- Que fait Haydan?
pair : Il passe par la fenêtre pour prouver sa bonne volonté afin d'accompagner le mist.
impair : Il ouvre simplement la fenêtre pour inviter le dragon à quitter les lieux.
L'humain lui donna une forme de consentement qui, tout en paraissant sincère, semblait presque trop facile à son goût. Celui-ci était très conciliant depuis le départ, calme et mesuré, et avait grandement participé à exercer sur la bête une diplomatie qui pouvait contenir des instincts parfois farouches et sauvages. D'aucuns diraient qu'il avait bien négocié, d'autres que c'était la première étape d'un apprivoisement mutuel. Quoi qu'il en soit, le mist devinait vaguement, en périphérie de sa pensée, qu'il devait être le genre de personne à accepter de donner sa confiance et sa parole à la condition qu'on respecte également la sienne en retour. Il suspectait fortement que, s'il essayait d'arnaquer trop Haydan, cela déferait quelque chose qui ne pourrait pas être facilement reconstruit. Soit, le dragon avait pu profiter un peu des plaisirs gustatifs de la vie, s'était distrait avec cet humain et ils avaient un deal. Que pouvait-il demander de plus ? L'issue était une sorte de statu quo en faveur des deux parties, et qui laissait la perspective d'une nouvelle interaction un jour ou l'autre. Vif n'avait aucune idée de ce qu'il pouvait lui demander qui pourrait réellement l'intéresser - hormis de vagues banalités comme de la nourriture, mais ce serait gâcher, à son avis. Peut-être pourrait-il exiger un jour de lui un peu de compagnie, ou simplement garder cet accord sous la patte s'il venait à avoir besoin d'aide. Le garde avait invoqué le devoir de protéger ceux qui en avaient besoin, après tout, et cette phrase trottait dans l'esprit de la créature.
Il laissa Haydan se déplacer sans lui-même bouger, hormis les légers mouvements de flottement dont était emprunt son corps filiforme. Il y avait, dans ces va-et-vient de proximité, une sorte de jeu qui faisait appel à la confiance, la méfiance, la parole et l'instinct, qui plaisait d'une certaine manière au mist. C'était un peu comme flirter avec les limites et ç'avait le don d'exercer une emprise sur l'esprit de la bête tant que ça ne partait pas trop loin. Il écouta attentivement ce qu'il lui expliqua, sa tête venant prendre place devant la fenêtre pour observer ce qu'il lui désignait. La mémoire perçante du dragon nota méthodiquement les moindres détails, l'emplacement et la disposition relative aux endroits qu'il avait parcourus pour venir jusqu'ici. Oui, il saurait retrouver cette fenêtre, mais l'atteindre sans se faire voir demandait un concours de circonstances particulièrement en sa faveur. L'ensemble baignait dans la brume et les quelques rares lumières encore allumées ici et là formaient un halo jaune qui conférait au tout une image mystérieuse et feutrée.
Finalement, il semblerait que l'heure du départ fut arrivée pour lui. Observant de longues secondes, immobile, le garde de Forteresse, on eut crû qu'il n'obéirait jamais à l'injonction qui lui était donnée et qu'il était sur le point de revenir sur tout ce qui avait été accompli jusque-là. Ses moustaches frémirent un instant, se déployant comme deux longs serpents dérivant au gré du courant.
Son corps se déplaça lentement vers la fenêtre, pour y rejoindre son cou et sa tête, avant qu'il n'agrippe la pierre et se déploie soudainement autour de l'ouverture, s'aidant cette fois-ci de ses griffes pour serpenter sur le mur.
On aurait pu jurer qu'il y avait, dans la façon dont ses babines dévoilaient ses dents, un léger sourire amusé. Les pensées transmises, en tout cas, avait la pointe d'un ton espiègle. Il n'avait aucun pouvoir réel sur le vent, bien sûr, mais c'était une vieille formule locale rarement usitée de nos jours, une sorte d'expression pour souhaiter la bonne fortune.
Il s'engouffra par la fenêtre, avec une rapidité soudaine, restant en appui sur les aspérités du mur extérieur pour ne pas tomber dans le vide, dans un équilibre pas complètement certain. Il regarda une dernière fois l'humain par la fenêtre, comme pour être sûr de ne pas oublier ce visage, troublant de ressemblances qui le perturbaient.
Et fila dans la nuit, bravant la morsure du froid pour plonger dans la brume, à l'assaut de ce mur afin d'en retrouver le haut. Il serait bien resté plus longtemps, aurait bien suivi cet humain ailleurs, mais l'endroit était dangereux - bien que ce fût en partie ce qui l'avait attiré ici - et il avait déjà bien de la chance de repartir aussi silencieusement ainsi.