- Quoiiiii ?! Maiiiis ! Mais Monsieur Rivera !
- Y'a pas de "mais" qui tienne. Tu nous as bien dit vouloir devenir une femme indépendante non ?
- Oui mais ...!
- Pas de "mais", j'ai dis. Felicia et moi devons nous rendre à la forteresse et nous ne pouvons pas te laisser vivre chez nous sans nous. On a été très gentil avec toi, maintenant, tu dois te débrouiller. Parce que bon, ça fait déjà une semaine qu'on aurait du partir ! On a attendu que tu es un travail, et d'être sûr que ça se passe bien. Maintenant, tu dois te débrouiller seule, et être indépendante. C'est tout.
- Mais... Madame Rivera...
- Je suis vraiment désolée Lena... Mais nous ne pouvons plus rien pour toi.
Felicia quitte la pièce, ne pouvant plus supporter de regarder mon air effrayée par la situation et préférant me tourner le dos pour ne pas craquer. Alors c'est ça ?! C'est vraiment ça ?! Ils me foutent dehors ?! Mais qu'est ce que je vais devenir moi ? Si je peux pas dormir chez eux, où vais-je bien pouvoir aller ?! Je... Peut être que si je me planque dans une des chambres de l'étage de l'insomnie... Non. Non non non, mauvaise idée, c'est un coup à me retrouver dans une pièce avec deux personnes en plein... En... NON JE PEUX PAS !
Mais d'un autre côté, ai-je le choix ? Ça ne fait qu'une semaine que je travaille là bas... Et j'ai pas encore touché le moindre sous... Pourtant j'ai demandé, j'ai dis que j'en avais besoin, j'ai essayé de jouer en faisant pitiés à mes collègues pour qu'ils m'offrent un peu d'argent, et ça a d'ailleurs un peu marché pour certains... mais clairement pas assez pour me louer une chambre décente ! Alors comment je vais faire ???
Déjà que niveau confort, chez les Rivera, c'était limite, mais si j'ai même plus ça ? La cata !
Bon, de toute façon, j'ai pas vraiment le choix. Je récupère toutes mes affaires... Soit un pauvre petit sac contenant juste une tenue de rechange et... Rien d'autres... Et quitte les lieux en pleurant. Peut être changeront-ils d'avis ?
Mais une fois la porte définitivement refermée sur moi, j'attends encore deux minutes en pleurant avant de me rendre à l'évidence : me voilà à la rue. Alors ma fausse tristesse se mue en colère. Franchement, pas cool quoi ! Non mais ces deux pecnos, je les retiens ! Laisser une pauvre fille à la rue pour aller voyager à l'autre bout du royaume, c'est scandaleux !
Mécontente donc, je me dirige vers l'insomnie, chipant une pomme en chemin sur un étale avant de fuir dans une rue adjacente et me réfugier très vite par l'entrée des artistes en croquant vivement dedans. Au moins, en hiver, tous les fruits des étals sont déjà froid...
- Bonjour Lena, tu es bien matinale aujourd'hui. Prête pour une nouvelle journée avec nous ?
- Bonjour les filles... Et oui mais... Monsieur Soven est là ce matin ?
- Je crois qu'il est arrivé oui, mais ce n'est peut être pas une bonne idée de...
Trop tard, je suis déjà partie en direction de son bureau. De toute façon, c'est pas comme si j'avais franchement le choix si je veux pas avoir à dormir dehors ce soir... J'espère juste qu'il sera au moins aussi compatissant que durant mon embauche, si ce n'est plus ! Après tout, ça fait une semaine maintenant que je travaille, alors j'ai le droit à un bon salaire non ?
Juste de quoi m'acheter une maison avec quelques serviteurs pour faire mes repas, ça serait bien.
Il était donc assis dans son bureau. Ce n’était pas le plus grand des quatre disponibles mais il était confortablement meublé : un large bureau en bois massif, une bibliothèque -admettons-le, principalement pour décorer- le long du mur, de grand rideaux rouges occultant la vue depuis la rue, trois confortables fauteuils, l’un pour le propriétaire et deux autres au cas où il devait recevoir du monde, ainsi qu’une petite commode sur laquelle était posée deux verres et où était rangé quelques une de ses bouteilles, au cas où l’envie lui prendrait de se détendre à sa manière. Son bureau était le plus proche de l’entrée, fort heureusement il était bien isolé, même lorsque le cabaret ouvrait aux clients, on entendait que très peu le brouhaha du grand hall. Il l’avait choisi expressément pour être plus proche des évènements du cabaret et, si nécessaire, pouvoir intervenir plus rapidement : le personnel n’avait ainsi pas besoin de courir à l’autre bout du bâtiment s’ils avaient besoin de venir le chercher.
On toqua à la porte.
- Oui ?
A cette heure-ci, cela ne pouvait être que ses employés. Si le bureau était systématiquement fermé à clés lorsqu’il n’était pas là, en revanche il laissait ouvert lorsqu’il travaillait, de sorte à ne pas devoir se lever pour ouvrir à chaque fois…
Une petite tête bleu cornue passa la porte.
Lena.
L’hybride était facilement identifiable avec ses attributs physiques et en réalité, il n’y avait que peu d’hybrides qui se présentait sur les planches du cabaret… Cela avait été un argument de poids lors de son recrutement la semaine passée.
- Lena
Ash posa les documents qu’il était en train de vérifier sur son bureau et d’une main, désigna l’un des fauteuils, invitant la jeune femme à rentrer :
- Entre, dis-moi que puis-je faire pour toi ?
Bref, une pièce de théâtre finement réfléchit et travaillée par mes soins. Enfin, je l'ai travaillé en l'imaginant, ça suffit non ?
Bah la réponse est non, ça ne suffit pas. Rapport qu'à peine j'ouvre la porte et je croise son regard intimidant que... je le suis, intimidée.
- Euh... Je... C'est que...
Comme il me l'a demandé, j'entre. J'entre et j'entends mon cœur qui bat dans ma poitrine tellement j'ai peur. Mais pourquoi ? Il va me manger ? Non, c'est un gentil patron, il m'a recruté sans me demander quoi que ce soit, du coup, j'ai pas à m'inquiéter, si ?
Pourtant, je me sens... Pas du tout à l'aise... Je... Je ne sais pas trop où regarder. Mais j'arrive tout de même à aller jusqu'au fauteuil devant lui et sans qu'on m'y invite je m'y assois avant de fixer mes mains qui s'agitent nerveusement l'une dans l'autre sur mes genoux.
Et maintenant assise et ne le regardant pas... je puise enfin le courage de parler dans ce silence pesant qui s'installe et que je veux fuir.
- Je... J'ai pas de maison.
Je me mords soudainement la lèvre inférieur alors que les mots m'ont échappé. Je l'imagine déjà me rétorquer qu'il en a rien à faire... Faut que je trouve une parade, que je prenne confiance, que je me défende !
Je veux être indépendante ! Je veux enfin vivre moi même ! Acheter une grande maison avec mes propres serviteurs qui n'obéiront qu'à moi ! Parce que c'est ça la vie, c'est en tout cas tout ce que je connais comme vie...
- Les personnes qui m'hébergeaient m'ont demandée de partir. Et si je peux pas me loger... Je... Je ne... Je ne pourrais pas rester... travailler...
Voilà, le chantage, on y est. Aller Lena, courage, ça va le faire. Il va te donner de l'argent et tu vas vivre une vie de rêve. C'est certain ! Courage !
- Je... J'ai pas de maison.
Le propriétaire leva un sourcil. Tant d'hésitations pour si peu ? Ne lui avait-on pas dit que l’Insomnie proposait d’héberger ses employés ? Ou justement est-elle au courant et n’osait-elle pas demander de chambre ? La jeune femme semblait vouloir ajouter quelque chose, bien que gênée, aussi Ash attendit qu’elle termine.
- Les personnes qui m'hébergeaient m'ont demandé de partir. Et si je peux pas me loger... Je... Je ne... Je ne pourrais pas rester... travailler...
Ainsi, elle n’était vraiment pas au courant. Il comprenait alors son hésitation, si elle ne connaissait pas cet avantage là, elle devait être gênée de demander de l’argent à son patron après une seule semaine de travail. Même s’il lui arrivait d’accepter les avances sur salaire, Ash n’aimait pas spécialement le procédé : pour lui il n’y avait aucune différence à vrai dire, mais plus pour ses employés qui, s’ils commençaient à demander des avances, auront moins plus tard… De plus, si les heures supplémentaires étaient parfois ouvertes pour les employés de l'établissement, en revanche très peu étaient ouvertes aux artistes : le planning étant déjà préparé en avance, il n’y avait que peu de place pour rajouter des spectacles, hormis les situations urgentes de remplacement.
Pour en revenir à nos moutons, Ash sourit doucement à la nouvelle recrue et repris d’une voix calme, dans l’espoir de la rassurer :
- Tu as besoin d’un logement ? Je ne savais pas que tu étais hébergé chez des gens, mais ne t’a-t-on pas dit lorsque tu as signé le contrat que nous avions un bâtiment annexe si tu souhaitais y résider. Le loyer sera prélevé sur une partie du salaire mais elle est minime par rapport à un logement que tu peux avoir en ville et il n’y a aucune avance à faire.
Il ne s’était pas personnellement occupé de la signature du contrat, étant indisponible la semaine passée où la demoiselle était rentrée mais il ne s’était pas inquiété de sa bonne intégration plus tôt. Il aurait dû.
- Tu aurais besoin d’un logement dès maintenant ? Il me semble qu’il y a encore des chambres de libre.
Les appartements de l’Insomnie étaient très peu souvent complets. En général ils servaient surtout de logement d’urgence -comme dans le cas de Lena- pour les premiers temps en tant qu’artiste avant qu’ils ne trouvent leurs propres logements. Ils n’étaient pas nombreux à s’être définitivement installés dans le bâtiment annexe.
Alors c'est si simple ? Je... Vraiment ? Y'a des logements ? Disponible maintenant tout de suite ? Et...
- On m'a rien dit non !
Je m'exclame, à la fois surprise, outrée et soulagée. Franchement, pourquoi on me dit jamais rien à moi ! C'est injuste ! A moins que ce soit un moyen pour que le patron puisse me faire une surprise ? Raaah, je comprends pas tout mais... Mais en soit on s'en fout ! Je vais pas dormir dehors !
- Oui ! J'ai besoin d'un logement maintenant ! Tout de suite ! Enfin...
Tout de suite, peut être pas. D'abord, j'ai quand même une représentation à faire et avant ça je dois aller faire le service en salle... Et même si je suis arrivée en avance, je prends mon tour d'ici une vingtaine de minutes donc c'est un peu juste pour aller m'installer dans une nouvelle maison trop classe. J'espère qu'il y aura des servantes et majordomes...
- Je suppose que ça peut attendre ce soir, quand même... En tout cas, merci beaucoup Monsieur Soven, vous êtes vraiment le meilleur des patrons que j'ai jamais eu !
Et le seul aussi. Mais ça, il est pas forcé de le savoir.
- Je vous promets que je serais une employée modèle !
Enfin, mignonne, gentille, pas trop chiante, mais pas trop serviable non plus... Enfin au début si, mais c'est le temps qu'il comprenne que je suis trop choupie et qu'il cède à tous mes caprices, comme Papa. Après, je pourrais peut être être plus moi même. Mais en attendant, il faut que je fasse tout pour devenir indépendante ! Et grimper les échelons de la hiérarchie pour que les autres employés arrêtent de me prendre pour la petite nouvelle un peu gauche.
Bon, après, je suis la petite nouvelle un peu gauche... Mais ça va changer ! Ils verront ! Et bientôt malgré ma petite taille, c'est moi qui les regarderai de haut ! AHAHAH !
Mon visage trahit un peu tous mes espoirs et mes plans d'avenir. Puis je me rends compte que je suis toujours dans le bureau de mon patron, alors je me relève soudainement et le regarde.
- Du coup, je peux aller travailler sereinement. Merci beaucoup !
N'ayant plus rien à demander, je le salue et m'apprête à repartir pour ne pas le déranger plus longtemps...
A moins bien sûr qu'il ait autre chose à me dire ?
Il ne dit rien lorsque la jeune fille le remercia et sourit doucement. Elle n’était pas là depuis longtemps mais elle était mignonne. Le brun ne doutait pas qu’elle serait rapidement populaire et si elle se débrouillait bien, pourrait avoir un complément de salaire grâce aux pourboires, parfois généreux, donnés par les clients.
- Je vous promets que je serais une employée modèle !
- C’est le minimum que j'attends de toi.
Répondit-il en souriant, bien que les paroles étaient froides, le ton ne l’était pas. Bien sur, il était sérieux dans ses propos : il voulait que l’Insomnie soit un cabaret irréprochable, il fallait que ses employés le soient aussi. Lena n’était là que depuis une semaine, au yeux du propriétaire elle était remplaçable. Ce n’était pas comme Sakuna qui pouvait emporter avec elle une bonne partie de la clientèle si elle partait maintenant, même si elle ne faisait pas trop de caprices Ash était parfois obligé de lui concéder certaines choses pour être sûr qu’elle resterait danser sur la scène de l’Insomnie. La jeune hybride quant à elle, malgré la particularité attirante dû à son pouvoir, avait encore tout à prouver si elle voulait atteindre la réputation de la danseuse vedette du cabaret.
- A quelle heure finis-tu ? Que j’aille te montrer le bâtiment et t’explique le fonctionnement de l’annexe.
Il sourit doucement en reprenant :
- Que cette fois l'on n’oublie aucun détail.
Il attendit que la jeune femme lui réponde et hocha la tête.
- A tout à l’heure
Puis lorsqu’elle repartit du bureau, Ash pouvait reprendre ses papiers. Il ne lui restait pas grand chose à faire mais il voulait le terminer avant le déjeuner.
Surtout que moi, je n'ai qu'un rôle très modeste sur la scène... Et finalement ce que je fais le plus, c'est servir les gens, et essayer de ne pas servir leur chemise ou leurs robes de soirées... Mais ça, je ne le fais plus trop depuis le troisième jours ! Et plus du tout par mégarde...
Oui, cette femme là a mérité sa marguarita dans son décolleté. Elle n'avait qu'à pas me regarder aussi méchamment en gloussant comme si je faisais partis des pauvres gens. Non mais, sait-elle de quelle famille je suis issue ?!
Non, bien sur que non, et personne ne doit le savoir mais... Mais c'est pas une raison pour juger les gens d'un simple regard !
Pimbèche va !
Heureusement ma bouille mignonne fait que son homme m'excuse immédiatement, et que finalement aucun incident n'est déclaré... Comme d'habitude en somme. Ce qui me laisse alors repartir comme si de rien était pour servir les autres clients.
- J'avais commandé un whiskey, pas un Cri du Solstice !
- Oh, pardon, je suis vraiment désolée...
Oui, bon. Faudrait que j'apprenne a ne pas négligée de prendre les commandes par écrit... Et peut être que prêter un peu plus attention aux clients quand ils commandent me permettraient de retenir leurs visages et donc de savoir qui a commandé quoi...
- Non, ça c'est pour la dame, moi c'est l'autre.
- Je... Je suis vraiment désolée...
Heureusement que je suis mignonne. Et que je suis plus douée en danse qu'en service. Et bien vite, après une longue pause aussi rassurante pour moi que pour Elion qui camoufle toutes mes conneries, je me prépare enfin à monter sur scène, révisant les pas et sentant le tract monter.
Car oui, cela fait une semaine que je suis ici maintenant, mais c'est aujourd'hui le moment de ma première représentation.
Le moment où enfin, je vais briller devant tous ces gens.
Parce que oui, si je sais bien faire une chose, c'est danser. Après tout, dans mon enfance dorée, je n'avais que ça pour me distraire, alors c'est bien la seule chose pour laquelle je suis douée.
J'espère que le patron va regarder ! Et s'apercevoir que la chambre dont j'ai besoin est la grande suite avec balcon, serviteur et service d'étage !
Finalement elle se déroula assez rapidement, comme tous les jours, et bien rapidement l’Insomnie ouvrit ses portes aux clients… La soirée se déroula comme tous les autres soirs, sans esclandres, catastrophes ou événements particuliers. C’était une soirée riche et calme -si on peut associer cet adjectif à l’Insomnie- comme il les aimaient.
Dans la soirée, Ash vérifia le planning de Lena avec qui il avait rendez-vous pour lui présenter le fonctionnement des logements. Après son service en salle, elle avait une courte représentation sur les planches puis elle était libre à partir de vingt trois heures.
Ayant terminé ses affaires une dizaine de minutes avant, le propriétaire alla se poster dans la grande salle pour observer le spectacle : la jeune recrue se débrouillait plutôt pas mal -sinon elle n’aurait pas été embauchée- mais il lui manquait encore la réputation qui faisait que les clients avaient les yeux rivés sur la scène comme lorsque Sakuna se produisait. Mais cela viendrait avec le temps, cela ne faisait aucun doute.
Il attendit ensuite à la sortie des coulisses :
- Tout est terminé ? Tu étais ravissante sur la scène.
Il sourit à la demoiselle :
- Suis moi, je vais te montrer les chambres.
Il la mena dans le bâtiment annexe, passant par l’intérieur du cabaret et lui présenta les lieux : une chambre simple bien que grande, meublé d’un lit, bureau et armoire et une salle d’eau avec cristaux à dispositions. Il lui montra également la petite bibliothèque et salle de repos ainsi que la salle à manger, commune à tous les résidents.
Puis il la laissa aménager et retourna à ses occupations.