Pourquoi est-ce que j’essayais encore ? Je pense que mes années de débâcles nuptiales auraient dû m’avoir convaincu que je ne prendrais jamais femme avant d’avoir trouvé un moyen de stabiliser mon apparence, mais je n’avais su dire nom à ce vieux noble qui cherchait un moyen d’assurer l’avenir de sa petite fille. Il m’avait l’air très pressé durant nos échanges épistolaires, une faiblesse que je pourrais exploiter pour le contraindre au mariage, même si ma promise se mettait à hurler en m’apercevant, ce qui ne manquerait pas d’arriver, car j’avais la poisse pour ces choses-là. Il n’y en avait pas une seul qui me voyait avec une apparence correcte. Vraiment quelle était la probabilité pour que ça arrive à chaque fois ?

J’avançais sur le pont du bateau, un splendide bâtiment richement décoré que mon correspondant avait choisi pour la rencontre. Ce n’était pas un mauvais choix, l’endroit était chic et le service semblait correct. De quoi me laisser le temps de bien connaître ma promise, même si je ne doutais pas que notre rencontre allait tourner court comme d’habitude. Je soupirai intérieurement en prenant place à une table sur le pont et commandai un verre de vin. Leur carte était très intéressante et riche, il me tardait de goûter leurs bouteilles pour noyer mon ennui.

Je me surpris à m’imaginer à quoi pouvait ressembler cette femme, ou plutôt cette enfant étant donné son âge. Il y avait forcément anguille sous roche, j’en étais sûr. On ne se précipitait pas autant pour marier une jeune femme à peine sortie de l’adolescence si le produit n’était pas défectueux d’une certaine manière. Elle était probablement incroyablement laide ou incroyablement bête … ou les deux. Peu m’importe du moment que je pouvais avoir un héritier ou une héritière pour continuer ma lignée.

Charon s’agita sur mes genoux, visiblement distrait par de l’agitation sur les quais. Je reconnus le valet de mon correspondant qui accompagnait une silhouette féminine cachée sous un voile. Tant de mystère c’était suspect. Je fis mine de ne pas les remarquer et les laissait monter à bord et s’approcher de moi avant de tourner la tête. Le valet s’inclina respectueusement avant de me présenter.

« Messire Cloverfield, voici dame Fedora Sanward, je vais vous laisser faire plus ample connaissance. »

Mon regard se planta dans celui du valet. Quelle était cette lumière fugace que j’avais cru y percevoir. Je le remerciai d’un signe de tête avant d’inviter la dame à s’asseoir à ma table.

« Asseyez-vous, je vous en prie … »

Je pris moi-même place tandis que Charon regardait l’étrange dame voilée avec curiosité. J’émis un petit claquement de langue pour lui intimer de se calmer avant de tourner mon regard vers le valet qui était en train de discuter avec le capitaine. Quelque chose ne tournait pas rond.

« Désirez-vous vous désaltérer pour vous mettre un peu plus à l’aise et peut-être retirer votre voile ? »

Me voyait-elle comme un être hideux comme toutes les autres avant elle ? Je devais en avoir le cœur net, alors je pris mon monocle et observai la jeune femme à travers. Tss, le monocle était inefficace vu quelle cachait son visage.

Soudain le bateau se mit en branle, me prenant par surprise et le son d’une trompette retentit.

« Bienvenue sur la croisière de l’amour mes amis, cria le capitaine. Nous sommes ravis de recevoir tous ces magnifiques couples pour notre traversée de deux jours à travers les archipels. De nombreuses activités vous seront proposées pour vous rapprocher de votre moitié comme vous ne l’avez jamais été auparavant. Mais avant de commencer les festivités, quelques consignes de sécurité … »

La croisière de l’amour ? Mon front se plissa et je crois même que mes sourcils tiquaient d’énervement. C’était un coup du vieux débris ça … Mon regard se posa sur Fedora, comme si elle avait les réponses qui me manquaient pour comprendre enfin dans quel traquenard j’étais tombé.

« Eh bien nous voilà pris au piège par les manigances de votre grand-père. Cela va nous laisser pleinement le temps de faire connaissance. »

À moins d’être une championne de natation, j’étais sûr qu’elle ne s’enfuirait pas maintenant que la côte s’éloignait à vue d’œil.