— Il te faut quelqu’un pour t’aider avec ici.
— Pas un vieux et un gamin.
— On fait les tâches ménagères et on aide pour les chiens.
— Je…
— Xarope, tu parleras plus tard.
— Mais…
— Ce n’est pas le moment gamin.
Il a les oreilles basses et bordel, avoir deux hybrides canins c’est tout sauf simple pour leur dire non. Je soupire et regarde la missive encore sur la table.
— C’est seulement pour une lune.
— Merci monsieur.
— Arrête ça, j’ai l’impression d’être noble ou vieux, voir les deux.
— Bien monsieur.
— Tu es le pire.
C’est sa manière à lui de me rappeler que lui sais que j’ai du sang noble dans les veines. Que lui sait même que je suis un putain de Milan et non gars minable du nom de Nalim ! Wanuts, se putain de loup, me fait chien. Le gamin s’est mis à sourire et quelque part j’ai hâte qu’ils partent. C’est que pour une lune. Je ne sais pas que le moi de plus tard, dans trois ans, est toujours avec eux sous mon toit.
— J’ai un invité donc vous me laissez avec, je vais peut-être conclure.
— Vous voulez que j’aide ?
— Xarope, tu vas arrêter tout de suite ce genre de proposition. Tu es plus là-bas, je ne t’ai pas fait sortir de ça pour faire d’ici un lupanar.
— Pourtant ça y ressemble parfois monsieur.
— Merci, mais personne ne paye ici.
— Il faut que je le fasse gratuitement ?
— Mais non Xarope ! Arrête de tout mélanger.
— Il risque de vouloir venir si vous concluez.
Je soupire alors que visiblement Walnuts s’amuse de cette conversation et que Xarope est toujours aussi perdu. J’entends l’aboiement d’Ardent au loin, quelqu’un vient de passer l’entrée de la propriété que je me suis construite durant ma mort officielle. C’est un simple aboiement pour prévenir de l’arrivée d’une personne. Soly s’est redressée de sa position de coucher sous la table et viens d’aller vers la porte pour se préparer à sortir.
— D’accord, je ne conclus rien du tout ou alors dehors.
— On va le faire dehors ?
— Xarope, tu as 14 ans, on ne fera rien.
— Mais les gens, ils…
— Oui, c’étaient des connards c’est pour ça que je t’ai sorti de là-bas, je ne suis pas eux.
— C’est pour quoi la visite du jour ?
— Un dressage de familier qui a été récupéré après des combats de familier.
— Je veux venir !
— Vas préparé un feu de cheminée bien chaud surtout, un thé et un repas si tu veux vraiment faire quelque chose, on m’a dit que c’était une personne qui avait facilement froid.
— Tout de suite !
Et les deux sont partis comme si être mes serviteurs était ce qu’ils attendaient depuis le début. Je ne les comprends absolument pas. Qu’importe, j’ouvre la porte et siffle, ardent stop à ce moment-là les aboiements tout en restant au niveau de nos futurs invités et Soly me suis sagement à deux pas de distance. Des années d’apprentissage et de travail quotidien pour arriver à ce résultat avec ces deux là.
Je suis habillé d’un pantalon en tissu marron assez confortable et d’un haut noir à manche courte tout aussi confortable et peu couvrant. Je trottine jusqu’à Ardent qui est un berger australien, alors que Soly, un berger suisse, est déjà parti au niveau du nouvel arrivant pour les sentir. Je la rappelle vers moi pour ne pas qu’elle approche trop du catorosur rex sans connaître ses réactions. Après une friandise au deux et l’indication de ne pas bouger de là je m’avance vers le beau gosse. On m’a parlé de gars ayant froid, pas que j’allais avoir envie de directement le réchauffer dans mon lit.
— Salut, mon beau, on t’a déjà dit que tu donnais envie de se bruler les doigts en te dévorant ? Parce que c’est totalement ce que tu donnes comme envie. Je suis Fauve Nalim, je suppose que tu es bien le gars pour le dressage de catorosur rex dont parlait Sanana. Si ce n’est pas le cas, ce n’est pas bien grave, je suis sur qu’on peut avoir plan de point d’accroche.
— Monsieur. On a les oreilles fines.
Le fait un doigt d’honneur en directement de la petite maison un peu plus loin, où Walnut, le vieil hybride loup blanc viens de dire cela, alors que Xarope, l’enfant hybride Neptuchien, se cache derrière lui les oreilles basses. Empêcheur de coucher en paix. Les vieux et les gamins c’est des tues l’amour. Des tues la baise surtout.
— Enchanté.
On a clairement du mal à s'encadrer.
C'était la conclusion après les soins prodigués par Chrystielle dans son centre. Il était bien content le fumier, à se faire chouchouter, lui, rien que pour lui, dans le bon cadre qui respire la flemme et le confort. Quand il s'agit de radiner ou d'écouter mes directives, nope, ça veut pas entrer dans le merdier qu'il a dans la caboche. En parlant de ça, j'sais pas absolument pas ce qu'il pense, et j'ai cru comprendre qu'il y avait des pouvoirs où on pouvait partager nos pensées. Faudrait p'tete que j'y réfléchisse plus tard. Même si, en l'état, j'suis en train de me demander si j'dois pas le refourguer à quelqu'un qui peut mieux le blairer.
A partant du principe que ce quelqu'un existe.
J'peux pas le tenir en laisse, ni en longe, licol, que dalle. Il est là, à côté. Il me suit, sans pour autant me suivre, c'est à dire que j'suis son repère faute de mieux et que si quelque chose l'intéresse, j'suis bon d'avoir les miches coincées jusqu'à ce qu'il change d'avis ou trouve l'herbe plus verte ailleurs. La purge rien que pour rejoindre le contact qu'on m'a gracieusement donné à la guilde. Les infos circulent à grande vitesse et mine de rien ça fait construire un réseau assez conséquent autour de la guilde comme à l'intérieur.
Fauve, c'est ça ? Ouais, j'crois que c'est ça.
Si on note que le Gromyr est pas si dégueulasse à regarder, son pelage anthracite, ses yeux ambrés qui me rappellent curieusement les miens, son épaisse fourrure, la bonne nouvelle c'est qu'il a bien récupéré son poids d'origine. Mal nourri, maltraité, il a eu la totale. Pourtant, même si j'lui ai jamais fait quoi que ce soit dans ce genre, il me regarde comme si j'en étais capable. Mais j'peux pas lui en vouloir, c'est une appréhension naturelle dont il va être difficile pour lui pour s'en défaire. Fin, j'suppose ?
On arrive à la lisière d'une baraque, beau temps en ce moment, j'ai opté pour une chemise en lin, mon pantalon d'aventurier et des bottes hautes. Mon petit sac sans fond en besace, on s'approche finalement de l'entrée quand Gromyr flaire manifestement les cabots qui vont dans notre direction. Il grogne, puis finalement se calme. C'est officiel, je ne grille absolument rien à rien à sa langue. Un blondin va se ramener, accompagné d'un p'tit garçon dont l'hybridation rappelle de manière flagrante une espèce de canidé. J'suis pas venue pour jouer les experts, j'suis pas zoologiste, ni zoophile.
J'allais me présenter, car notre homme me fait du rentre-dedans dans les règles. J'bafouille. J'ai pas réellement compris ce que le jeune garçon voulait dire, mais faut croire qu'il a fait une connerie. Faut croire également que ma toute petite réputation d'aventurier me précède déjà, ma tête prend feu dans une combustion spontanée, aspirant l'air dans un crachat de flammes bruyant. Gromyr m'a vu en scène une chiée de fois, ce qui ne le fait plus réagir et tant mieux.
- Ouais, j'suis bien le mec qui a la surchauffe rapide. Que j'souffle après avoir étouffé le feu en fermant le poing. Gromyr, le catosorus rex. Connard à plein temps. Ouais, c'est bien elle qui m'a dirigé vers toi. T'es mon dernier espoir.
Le familier prend la tangente, et se... Casse ? Il rejoint la maison. J'pousse un grand soupir.
- J'sens que ça va être long. J'voudrais en faire une monture.
C'est terriblement mal parti.
Pas que j’ai déjà fait brûler quelqu’un, mais j’ai de vieux souvenirs de rire autour de feu parce qu’un camarade avait voulu se réchauffer l’arrière train à cause du froid. Il s'était tellement bien réchauffé qu’il avait fini cul nul avec le soigneur du groupe lui appliquant de la pommade sur son popotin pour lui rendre sur du long terme la douceur d’une peau de bébé. Je regarde la fameuse monture qui part sans demander son reste et cela me fait un peu plus revenir à l’instant présent.
— Adoption après coup je suppose et pas familier que tu as fait naître en pleine crise d’adolescence… Si je me trompe, n’hésite pas à m’interrompre. Lien de familier encore faible à créer et…
Je me stop dans mes paroles en voyant Soly approcher de lui et le début des poils du Catorosur se hérisser. Je siffle à nouveau pour faire revenir ma chienne qui le fait après une courte hésitation. Il n’a pas l’air à l’aise avec un autre animal robuste et qui pourrait être vu comme un adversaire, mais n’a pas attaqué pour autant.
— Je ne suis pas un faiseur de miracles, mais on va travailler en équipe pour en faire une d’équipe de ton connard et toi. Déjà c’est bien, il n’a attaqué aucun de mes chiens même si clairement il n’est pas à l’aise avec eux et va vers la maison au lieu de fuir en pleine nature. Est-ce qu’il a des magies de familier à faire attention ?
Parce que s’il commence à se téléporter à la moindre occasion ou même à prendre lui-même feu j’aimerais être au courant pour avoir la marche à suivre.
— Sinon, on va commencer par des questions qui semblent connes, mais c’est important. J’aimerais savoir quel jeu tu as déjà tenté et s’il y en a qui ont réussi ainsi que sa friandise favorite.
Souvent beaucoup de propriétaires oublient qu’avant de tenter de dresser un animal il faut connaître ses goûts pour l’aider avec à aller dans la direction de son choix.
— Puis, autre point. Tu veux une monture, d’accord, mais pour du voyage, de la traque, du transport ou du combat ?
Savoir s’il va falloir apprendre à la créature à support plus lourd que le poids d’un être vivant sur son dos, de s’il fallait voir pour le désensibiliser à certain son et ainsi de suite. Des petits détails de merde, mais qui mis bout à bout seront utiles pour plus tard.
— Tu veux boire quelque chose ou…
— Monsieur ! Je vais aller chercher la brosse et les sacs !
— Merci, Xarope, prépare surtout les chaises.
— Je les place comment ?
— De manière à ce qu’il puisse passer entre et faire des virages.
— Bien !
Aussitôt dit, aussitôt fait, un enfant hybride neptuchien sort de la maison et court vers la grange pour mettre les choses en place alors que je regarde Ardent et Soly faire plus ou moins les chiens de berger avec Gromyr pour ne pas le voir s’enfuir de la parcelle.
Un clin d'œil pour répondre par la positive que le résumé concernant mes pouvoirs est plutôt bien synthétisé.
- J’te le fais pas dire.
J'en ai cramé un paquet de loustic, et j'arrive toujours pas à m'y faire. Mais on est pas obligé d'en parler ici, non ? Pas envie de plomber l'ambiance sur la barbac de criminels ou n'importe quelle créature que j'ai pu rencontrer. Ce qui m'enchante jamais d'en arriver à ce genre de geste. Même pour Gromyr. J'ai pas gagné à la loterie niveau fidélité de l'animal domestique. Monark qui est encore un petit poussin me prend pour son propre père, donc c'est plutôt facile de poser un cadre avec. Mais avec lui... J'étais en train d'acquiescer à la première partie de sa théorie, mais le Cato ne lui laissera pas le luxe de terminer. J'vais me crisper quelques secondes, autant inquiet pour ma future monture que pour le clebs. Le poil hérissé, ce bourdonnement dans son torse qui trahit un grognement dangereux et menaçant.
J'vais pas lui foutre un Kaboom dans la tronche non plus quand même. Chiasserie. Toujours dans la petite investigation légitime de Fauve, j'peine à quitter des yeux Gromyr pour tenter de lui répondre.
- Euh, non, j'ai prévu d' utiliser un enchantement pour partager nos pensées. Mais nope, que dalle. Gromyr est assez intelligent, il m'utilise pour pouvoir manger et roupiller comme il l'entend, et ensuite bah... Tu l'as vu à l'œuvre hein. Je lui ai sauvé la vie il y a quelque temps. On l'utilisait pour se battre contre ses semblables dans des combats clandestins que j'ai démantelés. Avec Saryna, tu dois connaître cette Chasseresse j'imagine...
Sa réputation la précède, ça m'étonnerait pas. Maintenant il fallait répondre aux questions. Faut pas que j'me goure. Bizarrement les réponses vont venir assez vite.
- Il est pas coopérant avec moi. Assez ronchon, il a encore son esprit dans son passé. Pas de confiance, et j'ai même tenté le jeu. Rien. Il radine dans ma direction quand j'ai à bouffer. Mais j'ai jamais utilisé la nourriture comme moyen d'éducation. J'sais pas faire. J'veux une monture qui peut suivre une exploration sans avoir le souci de le perdre en route. Qu'il puisse entendre les combats sans avoir peur et prendre la fuite. Et qu'il soit assez silencieux pour que j'puisse chasser mes primes, mais c'est un énorme chat. Je l'entends jamais marcher même quand j'suis à côté, il a un pas de velours.
L'heure de la boisson arrive, j'incline doucement la tête pour lui répondre oui. Et nous nous approchons des chaises. J'finis par fixer le familier, entouré par les deux cabots. La pupille de ses yeux ambrés se dilate, ses babines se retroussent et laissent entrevoir ses canines acérées, gardant le dos rond, la queue immobile. Puis il rugit. J'me frotte la joue, un peu gêné...
- Tu crois que ça peut le faire, vraiment ?
— Cela ne le fera pas si tu n’y crois pas toi-même. Je ne fais pas de miracle, mais en soi, il n’a pas l’air traumatisé par toi, ne s’est pas enfui dès qu’il en avait l’occasion et accepte d’avoir assez confiance en toi pour lui fournir de la nourriture. Ça ne semble peut-être pas beaucoup d’un point de vue extérieur, mais pour un animal qui a connu une vie de maltraitance c’est énorme déjà.
Je pose ma main sur son épaule pour le réconforter un peu sans être trop intrusif. La drague sera pour plus tard, une fois qu’il sera plus à l’aise avec son adolescent en pleine crise.
— Dans ce genre de cas, il faut que tu ne regardes que les progrès et point positif, si tu t’arrêtes à chaque point qui ne va pas pour le moment autant le relâcher en pleine nature, rien n’avancera. Pour le jeu on va attendre un peu qu’il soit à l’aise. Arden, Soly, allez jouer avec les chiots.
Mon pouvoir agit et les deux y vont sans le moindre problème. Xarope suit le mouvement pour leur ouvrir l’enclos. Je vois Gromyr se détendre légèrement même si clairement il n’est pas à l’aise avec ce qui se passe en ce moment.
— Premièrement, est-ce que tu es allé consulter un vétérinaire pour lui donner un traitement pour soulager son stress ? Si ce n’est pas le cas, j’ai une pommade odorante à conseiller. C’est un mélange d’herbe assez doux et qui a des propriétés calmantes, cela ne fera pas de miracle, mais l’apaiser jour après jour est important. Ensuite, aujourd’hui on va faire quelque chose qui va sembler désagréable, mais on va le confronter.
Dit comme cela ça semble moche et en pratique c’est moche. Seulement, c’est tout le principe des animaux, on ne peut pas leur faire de séance de psychanalyse et il faut donc tester les limites pour les connaître et faire comprendre à l'animal que s’il ne veut pas on n’ira pas contre son gré. Lui faire comprendre qu’il doit avoir confiance en son propriétaire. Je me lève et approche un peu du catorosur qui clairement me grogne dessus. Je me stop et regarde Jin.
— Première étape mon grand, tu approches et poses ton cul sur son dos. Que cela lui plaise ou non. Tu as un popotin assez musclé pour supporter une chute à première vue si jamais cela arrive.
Silence religieux et introspection.
J'avoue, j'ai vraiment du mal à croire que c'est possible que ça aille mieux. Un jour, ou pas. Assis à l'extérieur, mon regard se porte sur Gromyr, comme pour essayer de le regarder autrement, avoir une meilleure lecture de la réalité, peut-être ou avoir des espèces de fulgurances évidentes en plongeant dans ses yeux. J'y connais que dalle en bestiole. Et pourtant, quand j'commence à écouter Fauve, on a pas l'air si différent. Sa main sur mon épaule essaie de me réconforter, il happe mon regard vers lui, comme pour appuyer ses propos.
Ouais, il a raison. J'm'arrête sur ce qui m'emmerde. Tellement que j'ai même pas remarqué qu'effectivement il reste dans les parages, d'abord, et qu'ensuite il me fait assez confiance pour bouffer ce que j'lui donne. Mine de rien, nous sommes connectés par un petit quelque chose, mais connectés quand même. J'regarde les chiens décaniller et Gromyr finit seul. Sa colonne se relâche, ses épaules aussi, sa fourrure s'aplatit, ses canines disparaissent et ses griffes également. J'suis assez soufflé, impressionné par Fauve. Sa capacité à donner des autres à ses cabots et ces derniers qui écoutent sans broncher. C'est satisfaisant. Mais on voit qu'il y a plus qu'un maître et des chiens. On dirait... Une famille. A la question suivante, j'réponds doucement, les doigts sur mon menton pour me rappeler distinctement.
- Ouais, il a finit dans un centre de soin au Village Perché. Par contre j'ai aucun souvenir sur la concoction que tu mentionnes. J'm'en souviendrais.
Puis...
- Le confronter ?
Va falloir faire quoi ? L'avoiner ? Lui mettre des gnons dans la tronche ? Hm, on est loin de son premier discours pour le coup. Probablement que j'suis loin du compte. Il se lève, j'le talonne et Gromyr plante les pattes avant pour grogner. Fauve, impassible, me regarde. Moi j'suis pas serein. J'suis partagé entre lui foutre une explosion dans la gueule et me barrer fissa.
- Monter sur son dos ?
J'regarde Gromyr. Il a pas l'air d'avoir compris. Je m'approche, puis m'arrête aussitôt.
- T'es sûr ?
On note qu'il a pris un temps pour reluquer la musculature de mon derche. Donc, c'est ça, le confronter ? Bon, va falloir écouter et espérer que sa manière suffise.
- J'vais me poser, Gromyr.
Je m'approche de son flanc, mes mains s'approchent mais ne le touchent pas. J'ose carrément pas. Il se retourne et se remet face à moi dans un volteface rapide. Comme s'il s'attendait à une attaque dans son angle mort.
- Tout doux...
Et sans prévenir j'me hisse. D'un rugissement éraillé, voilà qu'il virevolte dans tous les sens, mes mains crochées dans sa fourrure, elles ne tiendront pas longtemps avant que j'me fasse catapulté dans un buisson. Un roulé-boulé plus tard, j'en ressors, les cheveux remplit de branches et de feuilles.
- PUTAIN DE.... RAAAAAAAAAAH !!!!!
J'trébuche contre une racine et tombe de nouveau.
- C'est ça, ta confrontation ?! Chiasserie.
J'me relève doucement et essaie de me rapprocher de Fauve, en essayant de dégager ma chevelure des conneries qu'elle a ramassé. Une fois à ses côtés, mon regard se pose de nouveau sur Gromyr. Un regard méprisant. Haineux. J'ai envie de le cramer.
- Bon, j'y retourne, j'imagine ? Ou je l'allume ? Tu noteras que l'une des deux idées m'enchante plus que l'autre.
Gromyr rugit. J'hurle à mon tour. Génial, le début des emmerdes.
— Si tu l’allumes, tu ne vaudras pas mieux que les connards à qui tu l’as pris et tu lui donneras raison à ne pas te faire confiance, donc oui, tu vas y retourner mon mignon. Après, il faut que tu penses à quelques détails un peu cons, mais qui ont tout de même leur importance.
Je m’approche et l’aide rapidement à remettre ses cheveux en place.
— C’est un être vivant intelligent, un enfant si on regarde avec un œil humain. Comme tout enfant si tu t’énerves, il va s’énerver en retour pour copier ta réaction et se défendre. Plus tu es calme, plus tu l’aides à se calmer, même si c’est très frustrant parfois et que tu ne vois aucune amélioration. C’est un enfant qui a peur, qui n’a pas le même langage que toi, qui ne te rends pas compte sûr du long de ses actions et qui a été habitué à des réactions de violence envers lui. Dis-toi que s’il avait réagi autrement ça aurait été inquiétant pour l’avenir parce que son esprit aurait été chamboulé et la possibilité d’une crise de colère sans raison suite à un rappel de mauvais traitement en pleine mission aurait pu être fatale.
Je fais un pas vers Gromyr, mais c’est uniquement un feulement des plus agacé qui me prévient de ne pas faire un pas de plus dans sa direction. Visiblement je vais devoir parler encore un peu plus pour le calmer. Il est plus sur les nerfs que ce que je pensais à la base, pas grave, on fera avec.
— Dis-toi que ce moment est certes frustrant pour toi, mais pour lui aussi. Tu es de la même espèce que ceux lui ayant fait du mal, mais toi tu ne lui en fais pas. Un animal n’oublie rien. Le fait de monter en boucle sur son dos est là pour lui montrer que tu ne vas pas lui faire du mal même si tu es à cette place-là. Que tu ne vas pas le frapper pour ses actions. Certes, tu peux être en colère, pester et utiliser ton pouvoir, mais jamais contre lui. Si tu as besoin de te passer les nerfs, on pourra se battre ensemble et tu te diras que je ne suis sa défense, aucun souci avec cela. Même si je suis proche de la mort, j'ai une potion miracle si besoin.
Même si j’aimerais ne pas avoir besoin de l’utiliser, mais il est mieux de le dire à ce moment-là.
— La grande question joli cœur c’est de savoir si tu auras les couilles de prouver à cette tête de mule que tu as plus de volonté et de force pour mériter sa confiance absolue.
Ce n’est pas comme si les liens de familier se renforçaient sans aucun effort. Je pense que de ce que j’ai pu voir de Jin que c’est une personne qui sera peut-être un peu plus réceptive de lui montrer les choses dans ce sens là. On verra bien.
Donc, encore un échec. Pourtant dans le discours de Fauve j'ai l'impression qu'il me fait croire qu'on avance quand même. J'aimerais avoir la même lecture de la situation, mais la douleur aux miches me ramène sur terre. Acceptant silencieusement son coup de main pour alléger ma tignasse des brindilles, poussières et autre écosystème bizarre dans mes cheveux, je l'écoute silencieusement. J'suis pas venu ici pour m'écouter parler ou râler, ni non plus laisser Gromyr nous faire son pitoyable spectacle. Nan, j'suis là pour entendre un gars qui connaît le boulot, de façon à pouvoir faire le mien correctement. Ardent est mon surnom, mais j'sais temporiser le truc.
Aveuglé par la colère, j'en avais oublié en effet que des loustics lui ont vraiment fait du mal, et que lui mettre une mandale ne ferait que me rabaisser à leurs pathétiques méfaits. Pour autant, beaucoup de temps est passé, et je n'ai jamais levé la main sur lui. Au des soufflantes, il en a eu, mais ce n'est jamais allé jusqu'au geste impardonnable. Mais, il est vrai que je lui ai fait réviser probablement tout le lexique de jurons disponibles sur Aryon.
J'essaie de saisir également la passerelle avec les gamins, en me rajeunissant pour visualiser et avoir une représentation concrète de ce que Gromyr voudrait pour tenter de faire descendre la tension palpable qui nous lie depuis trop longtemps pour m'en souvenir. J'opine du chef, déjà pour souligner que j'étais parfaitement d'accord avec son point de vue, mais aussi pour manifester que la partie était bel et bien pas terminée et que j'compte me remettre en selle. 'Fin, si notre gros chat me relaisse une marche de manœuvre. Fauve tentera de s'approcher mais ça sera un refus catégorique. Passant pour moi de la colère à la lassitude. Change de cristal gros chat, ça devient fatiguant.
En fait, maintenant, il me fait simplement de la peine.
- T'en fais pas, mec. On ira pas jusque là, j'crame et tabasse les criminels. Pas les types qui font du beau boulot.
Un clin d'oeil dans sa direction, un signe de tête pour appuyer mon commentaire lui concernant, puis voilà que j'tombe le haut. Puis resserre la lanière qui entoure mes cheveux. Puis, une lampée de ma gourde fontaine avant de commencer à pointer le goulot dans la direction de Gromyr.
- Une petite soif ?
Nouveau rugissement. Génial.
- Très bien Gromyr, pas de souci. On va se calmer, et on va poser les choses tranquillement.
J'pose ma chemise sur le sol avant d'y poser mon derrière encore endolori par la chute. Puis, j'vais rester silencieux, à l'observer, puis à regarder ailleurs pour éviter qu'il est l'impression d'être en proie à quelque chose. Fin, ce que j'supposerais si ça m'arrive. Le temps d'attendre que sa colonne arrête d'être ronde, que son poil s'aplatisse. Que ses oreilles se redressent, et que sa queue dorsale s'assouplisse. Il nous donne plus l'heure et commence à se balader plus loin. J'me mets à le suivre, et sur la route...
- Fauve, j'suis pas mal, là ? Est-ce que j'peux recommencer...?
Quitte ou double, mais c'est pas moi qui décide.
Est-ce que caché le fait que je sois en vie à la garde tout en l’ayant déserté avec le reste de mon escouade qui est morte sans aucune explication n’est pas une action criminelle de base ça ?
Certainement, mais visiblement je fais un assez bon travail pour que cela ne pose pas de souci. Il ne sait surtout pas. Je réglerai ce souci un jour. Juste pas aujourd’hui. Ni demain. On s’en branle c’est Gromyr et Jin l’important là tout de suite.
— Tant mieux pour moi et pour lui aussi, il n’a pas l’air d’être un criminel.
Une touche d’humour et je les observe interagir avec un certain plaisir. Le voir proposer à boire à sa monture après la chute de manière beaucoup plus calme malgré ce qui s’est passé est plaisant. L'attitude en retour est plutôt positive aussi. Sa question me fait sourire et j’ai clairement le regard brillant en le voyant comprendre aussi rapidement de comment agir avec sa grosse bestiole grincheuse.
— C’est parfois joli cœur. Regarde de comment il est plus détendu, il n’a pas grogné depuis un moment et je pourrais presque parié que lui-même attend ton prochain essai. Il aurait mis plus de distance avec toi sinon.
Ce n’est pas con un animal, si cela voit que tu veux faire la même action en boucle, il va comprendre que tu vas vouloir recommencer encore cela. Je me décolle du bout de mur que j’avais pris en appui et décontracte un peu mon dos, cette simple action ne semble pas mettre Gromyr à l’aise du tout avec moi. Logique.
— Retente et moi je vais chercher mon cassos en monture, ça lui donnera peut-être une envie de compétition pour arriver à faire mieux que nous. Puis, on sera peut-être deux à finir le cul au sol peut-être.
Parfois Farouk, frouska, était d’une humeur joyeuse et plus rodéo que balade en amoureux au bord du lac. Je laisse l’aventurier avoir un peu plus d’intimité avec son matou. Ma monture semble assez excitée à l’idée de sortir et se dégourdir les jambes, bien plus que de rencontrer de nouvelles têtes. C’est en tenant sa longue et sans montée sur son dos que je reviens vers Jin.
— Mieux du coup ?
Fallait sortir du contexte du chasseur et du chassé.
J'pense que c'est la manière dont on fonctionne lui et moi. Passant d'un côté comme de l'autre, on se fuit mutuellement et quand la rencontre est inévitable, on se rentre dedans avec un maximum de méchanceté. Finalement, j'suis pas bien différent de Gromyr et c'est presque ça qui me surprend. Une farce de Lucy, de me foutre mon homologue animale ? J'commençais à me dire que rien ne m'arrive dans la tronche par hasard. Soit que j'ai provoqué l'événement, et quoi qu'il arrive en sortir une leçon, un message, une morale, ou une bonne ou mauvaise nouvelle. Soit c'est extérieur, et j'essaie d'interpréter, du moins, un maximum de ce que ma caboche peut faire. J'ai pas inventé l'eau chaude, j'crois pas être une très grande flèche dans le milieu.
Fauve a raison. Gromyr est dans les parages, pourtant il m'observe pas. C'était comme s'il n'en avait pas besoin. Mon mentor de la journée décanille pour récupérer sa monture également. Ne laissant plus qu'un catosorus et un homme dans la place.
- Que toi et moi. Que j'chuchote.
Il a pas l'air d'en prendre connaissance, ni alarmé par le départ de Fauve. Il renifle, observe les lieux, se frotte à un arbre comme pour marquer un territoire. Son regard perçant balaye avec une précision chirrugicale son environnement. J'avais marché dans sa direction pendant tout ce temps. Pas un mot est sorti de ma bouche, une faible respiration, légèrement irrégulière. Qu'est-ce que j'crains, une autre cabriole ? Jin, tu t'es battu contre des bestiaux bien plus coriaces. Ma main vient frôler son dos, ses oreilles se dressent, puis son museau tourne dans ma direction.
Et, j'saurais pas trop comment expliquer la situation. Il me toise, j'le toise, et ma main continue de courir sur sa colonne. Comme si Gromyr et moi-même prenions la température de la situation à notre façon, peut-être un peu d'interrogation, l'air de dire ; "depuis quand tu me caresses le dos, connard ?" Et si c'était ce qu'il voulait ? Que plutôt les mandales dans la trogne, je choisis les affections plus douces ? J'sais pas ? J'en sais foutrement rien. Ses pattes enracinées au sol, j'vais me saisir du moment pour m'aider de mes bras verrouillés sur son dos pour décoller mes jambes et grimper. Grognement, il décolle les pattes avant, cambrant comme un cheval avant de courir dans l'enclos, en cercle, de plus en plus...
- ... VIIIIIIIIIITE !
- Mieux du coup ?
- ARRÊTE LE, OU ON VA SE CRASHER DANS LE DÉCOR !
M'accrochant à son cou comme j'le peux, j'ose pas non plus tirer sur sa fourrure pour l'encourager à s'arrêter et planter les freins, ni non plus de l'engueuler. Perdu et impuissant, il y a comme une espèce de force centrifuge qui se crée, et voilà que j'me sens déporter sur l'extérieur. Encore un peu, et il me rapatrie chez moi depuis les airs.
- BORDEL DE...
Arrête toi, arrête toi, arrête toi.
— Ah !
— Ce n’est pas mieux.
— Oui, j’ai cru voir Xarope, merci.
L’adolescent s’amuse visiblement de la situation. Il n’a clairement rien fait pour rendre la situation moins catastrophique, au contraire, son future/actuelle, c’est compliqué à déterminer entre aux, familier, une dracoloutre, semble vouloir exciter un peu plus Gromyr. Farouk n’est pas mieux pour le coup et je soupire en descendant de son dos alors qu’il commence à courir vers l’autre familier pour sa danse de bienvenue. C’est plus une monture, c’est un danseur ce familier avec les autres pour s’exprimer.
Je m’approche de Jin pour l’aider à se mettre debout et je n’ai qu’à tendre la main en arrière pour sentir être mis dans ma main le baume pour apaiser les contusions. Ce n’est pas magique, mais cela permet de se calmer sur la longueur. Un grognement se fait entendre et je lève les yeux vers le trio de familier qui s’est formé. C’est clairement du deux contre un et ce n’est pas le familier de Jin qui a un soutien pour le moment.
— Xa…
— Non.
— Ce n’est pas une question.
— Je n’approche pas ce familier-là.
— Ce n’est pas ce que je te demande, fait partir ton familier.
— Ce n’est pas…
— Fait le partir, il énerve Gromyr.
Un claquement de langue agacé me répond alors qu’un sifflement sort de la bouche de l’hybride et que rapidement la dracoloutre est à ses côtés. Farouk à regarder cela arrivé et par la même occasion pris ses distances avec notre invité et a commencé à s’amuser à faire le parcours. Sans personne sur son dos il ne suit aucun ordre, mais rapidement Soly vient à ses côtés et une petite course se met en place.
— L’objectif de la fin de la journée c’est de faire la course qu’ils font avec nous sur le dos de nos montures. Tu veux reprendre de suite où une pause pour grogner contre ce qui s’est passé te tente plus ?
— Grogner c’est fuir.
— Donner des réponses à la con quand on n’a pas mal au cul ou ailleurs à la suite d’une chute c’est chiant.
— Les maux de cul je connais et…
— Xarope, ta gueule.
L’ordre a claqué dans l’air et je sais parfaitement que c’est qu’il souhaite de l’attention, mais ce n’est clairement pas le bon moment pour parler de cela et encore moins face à Jin. Il me fait un doigt d’honneur et part bouder vers l’enclos des chiens suivi de son familier. Un soupir sort de ma bouche en le regardant faire et je secoue la tête.
— Franchement, on a des têtes de nœuds tous les deux… Pour en revenir avec Gromyr, vu sa dernière réaction lui laisser de la moue et voir plus tard me semble pas mal, mais faire une dernière tentative avant est aussi une possibilité. Peut-être qu’il se laissera séduire par les danses de Farouk…
Un nouveau grognement me coupe.
— Ou clairement pas…
C’est une tête de mule, mais on va faire avec.