Parce qu'il fallait valoir le coup.

Ne pas lui faire honte.

Essayer de briller malgré tout le contexte bourgeois, dans ce monde que j'connais encore si peu.

Parce qu'il te faut le meilleur tout simplement...

...Haru Du Lys.

Deux semaines. Maintenant. Qu'on se les gèle avec Gromyr perdu dans le trou du fion du Nord. Pourquoi ? Parce que la soirée du Solstice m'a fait réfléchir, que la ceinture qu'Haru m'a offerte m'a fait réfléchir. Une grande gamberge impossible à contenir, tournant autour du pot comme le parfait des glandus qui m'a ramené d'un coup, comme ça, pris dans une fulgurance presque romantique à une évidence certaine.

Ouais, elle est la femme de ma vie.

Pas une autre, juste...Elle. C'est terriblement niais et débile. Terriblement fragile et innocent. Mais, c'est aussi certain pour moi que le porc-becue va vers la truffe. Mais j'ai pas répondu exactement à la question. Qu'est-ce que Jin Hidoru fout dans les montagnes du Nord, sur une charrette tirée par un Catosorus Rex qui lui, passe le meilleur jour de sa vie ? Un soir, alors que la première ministre dormait après une soirée sulfureuse, j'suis parti prendre la température discrètement dans sa bijouterie. La bonne grosse gifle va suivre : elle en avait pour des milliers, des milliers, et des milliers de cristaux. J'aurai dû le savoir, une donzelle qui bosse pour le gouvernement à assez de caillasses pour se racheter un morceau du continent. Encore avec l'écrin que Zah m'avait offert, et l'adresse de la bijouterie qui se trouvait dans la Capitale, j'me sentais extrêmement con du coup. J'ai beau avoir une certaine réputation, et une meilleure situation, j'peux pas casquer autant d'argent parce que cet argent je ne l'ai pas.

Par contre, j'suis un aventurier. Et chercher des cailloux et du métal, j'ai déjà fait une paire de fois. Qui peut se la péter dans la Guilde d'avoir ramené l'un des rares Lumis Sylvatica juste pour faire rougir la Reine pour son anniversaire ? A part bibi, personne. J'vais y arriver, même si j'y gagne un rhume, une grippe ou la chiasse. Et...

...Ouais, j'y suis arrivé.

Emmitouflé dans dans ma cape anti-climat et ma pano du solstice, j'claque les rennes pour faire demi-tour vers la Forteresse. Mon sac sans fond dans la benne, une caisse contenant des cailloux extraits sur des gisements que j'ai pu trouver via des cartes trouvées dans les archives de la guilde. Ce périple à d'abord commencé au Village perché, pour trouver l'ambre parfaite, résine longtemps fabriquée dans les grands arbres éternels de ce village. Le temps aussi de passer prendre des nouvelles de Java, Saryna j'ai pas réussi à l'avoir, probablement qu'elle est encore avec Devon à l'Aventurier Téméraire. Ensuite, il me fallait de l'améthyste, au pied des montagnes. Et enfin, le diamant, dans le cœur des ses dernières. Il fallait aussi le métal qui allait avec, aussi, j'ai pu parvenir à choper de l'or et de l'argent, dans des gisements occupés par l'armée du Nord, mais les accès sont assez souple à partir du moment où j'suis pas avec tout un régiment qui viendrait prendre des tonnes de ressources. Tout ce que j'ai pris tient dans une petite caisse.

Néanmoins une caisse qui coûte un paquet de pognon.    

J'me sens épuisé, abîmé, vieux. Sans mes pouvoirs. Mais c'était un mal nécessaire. Maintenant dans les entrailles du Bourg, j'cherche les portes de La Forteresse, à l'adresse qu'on m'a donnée. Lyle et Sia. Des noms qui commencent à circuler dans le pays. Maintenant faut espérer que leurs miches soient dans le secteur. Apparemment le bâtiment de la Forge serait dans les montagnes. Mais dans le doute, autant aller au magasin. Les routes abruptes de la montagne me mènent au loin sur une structure qui a sérieusement une sale gueule. Faut croire que ça n'arrête pas les clients de radiner chez eux.

J'plante les freins en tirant les rennes d'un coup sec. Gromyr va grogner.

*fais encore et moi te manger.*
- Change de disque, ça fait un an et demi que t'as cette chanson.

Il rugit à m'en décoiffer les cheveux.

- BORDEL J'FAIS COMMENT POUR TE DEMANDER D'ARRÊTER ?!
*Demande.*
- Ah.

Il soupire, et moi j'vais me sentir assez débile. J'le détache et lui donne un peu d'eau, avant de m'approcher de la porte et frapper à plusieurs reprises. Ensuite, on verra. D'un rictus léger, j'fouille dans mon petit sac sans fond, une carte qui m'a sauvé la mise lors d'un tournoi qui, finalement, a pu me permettre de connaître ce nom qui va m'aider.

Sia Zmeï.

La voix d'une donzelle résonne dans la baraque. D'accord. J'entre.

A l'intérieur, j'pousse directement un soupir d'aise lorsque la chaleur vient m'étreindre comme la copine qui m'avait manqué. J'descend mon cache-nez - après avoir fermé la porte - pour laisser voir ma trogne, retire ma capuche de ma cape anti-climat, qui fait tomber ma chevelure détachée en cascade, et ouvre mon manteau, en gardant évidemment le pull du solnar, mes gants du solstice, qui ont fait un sacré boulot durant mon séjour ici.

J'vais sourire en toisant un peu l'intérieur, clairement plus balèze que dehors. Joli trompe-œil magique. Même fonctionnement qu'un emport'tout, version XXL. J'aime. J'ferme les yeux pour concentrer mon pouvoir. Ça marche. Y'a un feu pas loin, mais pas assez à proximité pour puiser dedans. Une forge ? Mes yeux vont se balader sur les étagères. Ça brille de partout. Mais j'suis pas venu pour faire du lèche-vitrine. Alors j'rejoins directement le comptoir où trône la Forgeronne. Chevelure d'argent, une fleur dans la tronche, des petites mimines, un corps souple, jeune, à se demander si elle peut tenir un marteau. Mais faut croire que si, alors je lui fait une confiance aveugle. J'pose la carte en évidence, entre nous, une fois qu'elle s'est présentée.

- Ouais, j'te connais. Tu m'as sauvé la vie... Dans une partie de Yu-Guilde-Oh. Ça te parle ? Voilà, tu peux te considérer comme une étoile montante de la guilde. T'as le droit d'en avoir rien à tartiner.

Sur le fond de la carte, on voit une Sia dans une énorme fournaise, un tablier de forgeron encrassé attaché à sa tenue d'aventurière, alors qu'elle écrase son marteau sur une espèce de lame légendaire qui crache des étincelles. De feu et de magie. Le tout contre une enclume hyper balèze. Rictus qui arrive aussi vite qu'il disparaît. J'toise le familier campé sur le comptoir, lui laissant un signe de tête. Pis mes yeux prennent feu pendant une fraction de seconde, amusé de le faire réagir.

- Jin. J'crois qu'on a pas eu l'occasion de se rencontrer à la guilde. J'suis venu pour passer commande.

J'fouille dans mon grand sac sans fond, sort le cahier d'exercice de Xylia et arrache une feuille dont le croquis - au trait très discutable - dessiné y'a quelques jours, traduit l'objet de mes souhaits.

- Une bague. J'ai ramené, en tout cas j'pense, les composants nécessaires pour la fabriquer. J'me cantonnerais de payer la main-d'œuvre. Ton prix est le mien, j'serais pas emmerdant.

Une grande bourse dort dans le sac, toutes mes économies. N'importe quel tocard dans le périmètre se foutrait bien de ma gueule à me ruiner pour une simple bague. Et tout ce pognon est dérisoire comparé à ce que Haru peut m'offrir. Mais j'fais ce que j'peux, avec ce que j'ai. J'vais pas m'amuser à braquer une banque. Quand on voit le brouillon que j'ai fait, on peut voir la bague arborant trois pierres ; le diamant au centre a une forme "marquise" d'après la revue de la bijouterie conseillée par Zah, l'améthyste a la forme des armoiries de la maison Du Lys, et la pierre ambrée ressemble à une flamme. Toutes serties sur un anneau en or blanc. J'espère que ça en jette, j'suis clairement pas à la page.

- Euh, j'suis vraiment une bille en dessin, alors j'ai écrit la description en bas de page, si jamais. Est-ce qu'on peut garder cette histoire secrète ? J'veux pas que la personne qui aura cet objet lui arrive des problèmes. A elle, ou sa réputation.

Voir la Première Ministre embrasser un aventurier avant le départ du Désert Volant a déjà fait retourner pas mal de monde dans des polémiques très chiantes. A entendre, ou à lire. Ses parents sont persuadés que j'serais que de passage, et n'envisage même pas le mariage. Une grande partie de la famille Milan se gêne pas d'humilier Haru en me qualifiant de pouilleux. Rien à carrer me concernant, mais... Si Haru lui arrive quelque chose, ce sera ma faute. Impossible de me le pardonner.

- Ça te va ?

Courage ou Dégage, poupée à fleur.

- J'sais pas si niveau qualité tu trouveras ton bonheur, tout est dans une caisse, dans un charriot à l'extérieur.

Un regard concentré sur ses petites pognes qui commencent à sortir tout un merdier d'objet, notamment de quoi calculer ce que j'vais casquer. J'ai renforcé mon esprit, j'vais rentrer chez moi les poches vides, plus un rond en boutique. C'est pas grave, il me suffira d'une nouvelle quête ou bien une prime pour essayer de remplir le portefeuille et tout comme les placards de m'man. Elle me détestera pour ça, puis j'espère qu'elle comprendra ensuite. Un rictus léger quant à sa confiance qu'elle m'accorde pour garder notre petite affaire secrète. Comme j'disais, j'veux pas savoir Haru dans une merde noire à cause de moi. D'un signe de tête je lui fait part de ma reconnaissance. Son sourire contagieux réchauffe le torse, et étire mes traits. 

- Merci. Vraiment. 

Maintenant la question suivante qui va teinter mes joues. Sa taille. Un silence pesant commence à s'étirer tandis que j'commence à bégayer d'onomatopées niaises tout en cherchant dans ma besace. Une bague finit sur le comptoir. Ma main couvre encore le bijou, n'osant pas tout de suite le dévoiler. Allez, faut porter ses valseuses. Du nerf, Jin. 

- Sa bague de contre-mouflet. Elle l'a laissée chez moi après... Bref. Je t'épargne les détails. Elle croit l’avoir oubliée dans ma chambre, je lui ai promis de la rendre.

Opinant du chef, j'écoute et bois ses paroles sur la procédure de la création. Evidemment, j'me doutais bien que les choses n'allaient pas se faire en une demi-heure entre deux conversations. Même si la magie a toujours son imprévisibilité surprenante à ce niveau. La fixant intensément, j'fais apparaître une boule de feu que j'fais passer d'une main à une autre, m'aidant à réfléchir à la démarche à suivre en jouant nerveusement. 

- Doit bien y avoir une auberge dans le coin, sinon j'ai le nécessaire pour camper dehors en attendant. J'vais te ramener d'abord le matos. 

J'étouffe la flamme en collant le creux de mes mains entre elles, et me prépare à renforcer mon esprit pour aller chercher les cailloux. Le vent glacial s'engouffre dans la pièce. J'vais apercevoir un Gromyr ronflant dans la neige, ne calculant absolument pas le temps désastreux qui se profile. 

*Tu vas finir enseveli.* Que j'lui dis par la pensée tandis qu'il se réveille doucement. 
*Va mourir.* 
*...T'as raison, dors ici.* 

Il rugit en frappant le sol, éparpillant la poudreuse autour de lui, j'me décide à lui répondre d'un simple doigt d'honneur pour l'inviter à s'enfiler sa mauvaise humeur dans un endroit qui voit pas le soleil. Ouvrant la ridelle, porter la caisse va me coûter mes dernières énergies restantes avant de regagner l'établissement. Caisse qui va tomber lourdement sur le comptoir, laissant à la donzelle le soin de regarder l'intérieur tandis que j'ferme le battant, avant que le froid ne me bute pour de bon pour le bon plaisir du Catosorus le plus chiant d'Aryon. A l'intérieur du coffre, elle peut voir des cailloux bruts, sales, qui demandent à être nettoyés et prétaillé, bien évidemment. Le diamant est le plus petit. Un peu plus grand qu'une cerise, ce qui est énorme quand on y repense, mais pas mal d'impuretés et de gravats sont incrustés autour. L'améthyste et l'ambre n'étaient pas si compliqués à avoir en masse. Deux grosses géodes violettes trônent dedans, tout comme l'ambre. De l'or en petit morceau, tout comme l'argent, faut espérer que ça suffise pour le bijou. 

J'finis par poser un coude sur son comptoir, me frottant ma joue cicatrisée. 

- Ça suffira ? T'as besoin d'autres choses ?

Comme si j'étais prêt à repartir en cherchant alors que j'suis parfaitement au clair sur le fait que j'ai plus de carburant pour me regeler les bourses dans les montagnes. Le Blizzard se lève. 

Chiasserie. 

Un moment de répit.

J'avais presque oublié ce que c'était.

J'avais presque oublié pourquoi j'le faisais.

Puis ton visage est revenu dans ma tête, Haru, et c'est pour ça que j'souris niaisement alors qu'on me donne la marche à suivre. Pff, heureusement que mes esgourdes fonctionnent encore un peu. Gardant mon flegme habituel, j'en reste pas moins soulagé de savoir que ce que j'ai ramené ici suffit pour faire ce bijou. Ce que mes mains ont pu parvenir à extraire, même si la personne à qui je vais l'offrir mérite beaucoup plus. Aryon n'est pas assez grand pour Elle. Pas assez de trésors. Mes épaules se relâchent, et Sia m'offre l'hospitalité. J'allais dire non, ferme, sec et expéditif. Mais un regard à travers la fenêtre me refroidis dans tous les sens du terme. Il y a deux ans, j'aurais pris ma fierté à deux mains et bien parti pour m'envoyer crever dans la neige et le Blizzard.

Mais j'ai des amis qui m'ont appris que parfois, le plus grand courage n'est pas dans celui d'affronter tout seul un danger, mais bien celui qui admet qu'il a besoin d'aide. Qu'il puisse incendier des hectares, fondre le métal, exploser des cavernes ou lancer des rayons de 5000 degrés ne coupe pas à la règle.

"Merci, cocotte." Que je pense, d'un signe de tête reconnaissant, toujours.

- Je t'en dois une, et une belle. J'oublierais pas.

Je la vois fermer boutique, puis la suis docilement vers une pièce bien plus chaleureuse qui va éveiller autant mes sens que mes pouvoirs. Chaleureuse, presque intime et conviviale, de quoi suffisamment s'installer pour lâcher son meilleur soupir d'aise et remercier Lucy que de ne pas en branler une ça fait du bien. Arrive le moment où j’dois me défroquer, et elle a raison. Je retire ma cape anti-climat, mon pull en fourrure de Solnar et les autres fourrures épaisses qui se sont alourdies par l'humidité. J'finis par mes bottes, mes chaussettes, et par soucis d'intimité préfère garder mon pantalon. Chaque muscle, chaque tendons, chaque tissu enflé de mon corps se strie à cause du froid qui disparaît peu à peu. J'vais chercher ma serviette sèche pour retirer l'humidité qui me reste. Le tas de sapes fini dans ses bras, j'y laisse toujours avec ce regard reconnaissant.

Attentionnée, généreuse, accueillante, gentille. J'vais finir par me radoucir comme un gosse bien heureux d'être materné à ce rythme. J'sais pas qui t'es Sia, mais si jamais un bel étalon commence à sentir que ta frimousse vaut le coup, il aura raison le fumier.

- Un thé. Et ça sera très bien.

J'la regarde faire, bouger machinalement dans la pièce afin d'y rassembler toutes les conditions décentes pour que j'puisse poser mes miches peinard sous une couverture. Un cristal réchauffant sur une table. Ouaw.

- Il fait assez bon dans la pièce, et y'a la couverture pas loin. Ça devrait aller.

Je la laisse prendre congé, et m'approche du foyer de flamme qui commence à prendre une énergie instable quand je m'approche. Une connexion qui m'avait bien manqué. D'une main je calme le phénomène et en aspire sa chaleur pour refaire le plein de batterie. Un soupir satisfait, je m'en vais rejoindre la table sous laquelle j'y fous mes jambons, les doigts de pieds bien au chaud sous une couverture chaleureuse et réconfortante. Un coussin pour soutenir ma tête, j'observe le plafond. La mine apaisée.

Le moment de faire le point. Et si toute cette aventure me menait à rien ? N'y pense pas, Jin... Laisse-toi emporter par l'obscurité de ta vision qui se trouble, les paupières trop lourdes pour se battre, et laisser ton corps se reposer...

-... Putain, oui.

Dans l'obscurantisme de ma vision, tout s'arrête. Le froid qui m'étrangle, les flammes de la cheminée gagnent la pièce pour une étreinte plus agréable. Ma fatigue. Plus rien. Comme en apesanteur dans mes pensées, j'y trouvais un confort dont Sia était la seule responsable. Grâce à elle. J'voulais quelqu'un pour s'occuper de ma bague, et finalement j'vais trouver la Forgeronne Aventurière qui viendra tendre sa main dans ma direction. Une main chaude depuis les abysses glaciales de ce patelin pourri. Des fragrances florales, légèrement boisées, léchant mes sinus grâce à sa fumée blanche émanant d'une tasse de thé. Battant doucement des cils, j'ai eu l'horrible sensation d'avoir roupiller des siècles, une belle impression de merde finalement. 

J'repense aux mots de cette donzelle. De pas canner débilement alors que ça caille dehors, de pouvoir choisir distinctement mes mots à Haru quand j'vais lui présenter ce bijou, ce symbole qui représente et va représenter beaucoup de choses. Alors mon con, qu'est-ce qu'on dit dans ce genre de situation ? Hein ? Bien ce qui me semblait.

"Pas. La. Foutue. Idée."

Ca m'fout les jetons rien que d'y penser. Partager entre garder mon franc parler ou bien refaire des courbettes que j'ai lu sur les bouquins de Xylia ou m'man. Chercher du sens dans la meilleure alternative. Pis, j'me suis rappelé que c'était l'Amour le sujet principal. Alors, autant dire que trouver du sens là-dedans, c'est comme chercher un loloris dans le fion d'un Parasyte en espérant qu'il se soit fait un nid à l'intérieur. 

Ouais, tissu de conneries. Probablement qu'il faut simplement se lancer et voir les choses se faire. Plonger, en espérant que l'eau soit bonne. Courage ou Dégage mon pote, tout simplement. 

Alors que j'suis dans mes pensées, j'ai même pas remarqué que mes yeux se sont de nouveau fermés, mon corps apaisé mais mon esprit dans la tourmente. Un bordel, un véritable n'importe quoi. Le putain de grand n'importe quoi. Imaginer les scénarios : Haru me dit "oui", c'est une page décisive qui se tourne. Mon nom, ma vie, mes projets, tout. Je deviens le plus heureux des hommes. Elle dit "non"... Tout se disloque. Tout s'arrête. 

Et pas le temps de se faire davantage de mal, un bruit me sort de mes pensées. Mes yeux, plus rapide dans un réflexe méfiant, tourne froidement vers ledit endroit. Sia. Tout doux Jin, tu peux ouvrir ton poing et calmement te redresser, pas besoin de casser la bouche de qui que ce soit. M'étirant doucement, évitant de marcher sur mes cheveux en me relevant délicatement, j'me saisis donc de ce devis en écoutant silencieusement l'ouvrière qui s'attellera à la besogne, du moins, une partie. Taille de pierre, joaillerie, un beau merdier. Un sourire en demi-lune témoigne de ma gratitude sur sa promotion. Sa motivation et sa détermination viendront effacer toute culpabilité à lui avoir foutu un sale boulot. Nah, elle voit clairement ça comme un défi et c'est tout à son honneur de le relever avec toute la force qui l'habite. 

- J'me fais aucun souci à ce niveau. Si tu sais aussi bien accueillir les clients qu'honorer tes prestations, y'a pas de raisons que le boulot soit laborieux. 

Que j'susurre d'une voix un peu cassée et fatiguée, en se voulant quand même le plus rassurant possible. Joignant ses mots à mon regard, j'vais observer donc la fenêtre la plus proche de notre duo pour constater qu'en effet le temps est vraiment horrible et que Gromyr doit bien être content d'être un animal qui a l'habitude de ce genre de milieu. 

*T'es où connard ?* 
*Côté, maison. Moi, attendre toi mourir. Hâte.*
*J'vais continuer à vieillir, p'tete moi qui va t'enterrer qui sait.* 

Un feulement agacé se fera entendre depuis l'autre côté d'un des murs de la bâtisse. Bonne nouvelle, Gromyr va bien. Il va avoir besoin de prendre des forces pour notre virée jusqu'à La Forteresse demain. J'm'observe brièvement sur les derniers mots de Sia. Taquine, ouais, mais terriblement proche de la vérité. Je suis dégueulasse à voir. Abîmé, épuisé, vieux. Un étalon de mon âge devrait pas avoir une tronche pareille. 

- A se demander comment t'as pu accepter une épave comme moi ici. Et lui donner à becter, en plus. 

La honte me prend quelques secondes. Surtout quand elle accentue "le Grand Jin Hidoru". J'suis ridicule et faible, et ça commence à me bouffer. J'récupère mes quelques affaires avec moi, et commence à suivre cette protectrice de fortune qui vient m'apporter ma meilleure soirée depuis le début de mon épopée dans le Nord. Chambre modeste, simple et efficace. Tout ce que j'aime. J'pose mon barda, et avant qu'elle ne quitte la pièce, une main vient attraper son épaule. 

- Merci. 

Un échange de regard, c'est une fois que la porte est fermée que je me déshabille complètement pour mettre les changes secs. et laisser les autres pendre au bord du lit. Par réflexe j'fais apparaître un orbe de feu qui viendra facilement, preuve étant que mes pouvoirs retrouvent leurs droits ici. Et donc ma forme par ricochet. Au reflet de la bassine, ma gueule devient moins morne, mais une fringale me tort le bide. Pendant un instant j'me suis senti inutile. Pendant un instant, j'ai pensé à Sia. 

Et j'me dis que c'est une rencontre que j'oublierais jamais. Si des gens à la Capitale s'inquiètent sur le fait que ça fait un p'tit moment qu'on voit pas mon pif, ça sera grâce à elle si ces mêmes personnes me retrouvent entier sur le chemin du retour. 

Putain, ouais. Sans hésiter.