La guerrière et la poupée
Feat Aniel Guradon
Tu salues une dernière fois tes parents, tentant de libérer ta mains de celle de ta mère qui te tenait fermement comme si tu allais mourir qu'une minute à l'autre. Un rire nerveux s'échappe de tes lèvres alors que tu lui demandes de te lâcher. Il est temps que tu partes mais elle te retient, visiblement trop inquiète pour sa fille. Il fait noir, elle a peur pour toi. Sauf que plus tu traînes, plus le temps passe et pire ce sera. A cette heure-ci, il y a encore quelques passants dans les rues. Ce n'est pas comme si tu allais te retrouver seule au beau milieu d'une jungle ! T'essayes de le faire comprendre à ta mère qui finit enfin par doucement lâcher ta main. Ce n'était pas la première fois que tu partais de la nouvelle maison de tes parents pour rentrer chez toi alors qu'il était tard pourtant. Mais elle te répète toujours le même scénario et tu te sens incapable d' hausser le ton de ta voix. Elle a déjà tellement fait pour toi...Mais en même temps, elle a toujours été tellement nerveuse dès que quelque chose te concernait. Tu te masses délicatement la main pendant quelques secondes, l'ouvres, la fermes, fais bouger tes doigts.
« La prochaine fois que tu veux me casser la main, prends un marteau, ça sera plus rapide. »
Tu lui souris. Tu ignores quelle expression elle affiche en ce moment-même mais tu te doutes bien qu'elle t'offre son sourire le plus bienveillant et doux qu'une mère puisse faire à sa fille. Tu lui adresses un dernier signe de la main ainsi qu'à ton père qui se tenait à un pas de vous. Tu le sentais. Il faisait toujours exprès d'être à côté de vous lorsque tu t'en allais.
Quittant enfin la petite maison, ta main se pose instinctivement contre le mur. Les pas s'enchaînent. Tu te repères grâce aux obstacles, à tes sensations. Un tour à droite, un tour à gauche. Un moment de totale dépendance afin de traverser une rue avant de retrouver un nouveau mur. T'es sur la bonne route comme toujours. T'arrives dans cette petite rue. T'es obligée de passer par là pour rentrer chez toi. D'habitude, c'est toujours calme ici et la plupart du temps, t'as jamais eus à te soucier de quoi que ce soit. Mais tu ne sais pas. Tu entends d'autres pas non loin de toi. Face à toi, c'est le néant et pourtant, rapidement, tu peux clairement dire que l'on est proche de toi. Trop proche, trop rapidement.
T'as voulu te reculer, par pur réflexe mais tu sens quelque chose t'agripper violemment et fermement le poignet. Un cri de surprise t'échappe. Décidément, quand ce n'est pas la main. C'est rapidement. Tu sens ton corps être poussé et coincé contre un mur. Le choc fut si fort que cette fois, c'est un cri étouffé qui se fit entendre.
« Laissez-moi ! »
Un rire mauvais résonna jusqu'à tes oreilles. Tu avais complètement cessé d'utiliser ton pouvoir et tu ne t'étais même pas rendue compte que quelqu'un d'autre s'était rapproché de vous. L'effet de la panique t'avais complètement figée, toi si frêle, et t'avait empêcher de pouvoir réagir d'une quelconque manière. Puis tu ne sais pas. Tu te sens légèrement tirée en avant, comme si ton agresseur venait lui-même d'être tiré. Tu sens qu'il te lâche et par réflexe, tu fais un demi-pas en arrière pour retrouver ton dos contre le mur. Tu ne comprends rien à ce qui se passe. T'es trop occupée à reprendre ton souffle. T'es juste sauvée ma petite.
Un cheroot au coin des lèvres, elle marchait, songeuse, à la lumière des réverbères. Elle revenait tout juste d'une mission, au fin fond des montagnes du nord. Un groupe de harpies dont une matrone, à exterminer. Une région pluvieuse, humide, et donc pénible pour elle. Et même si cette quête avait été un franc succès, elle ne pouvait s'empêcher de méditer sur la rencontre qu'elle y avait faite. Une jeune femme, délurée, proche amie des godets d'alcool, qui lui avait enseignée ce qu'elle-même ne parvenait pas à comprendre : « A combattre sans péril, on vainc sans gloire ». C'était donc ça, le mot d'ordre des gens normaux ? Vivre avec péril, quitte à mourir de tout ? Qu'y avait-il de si exaltant à être faible ?
« Laissez-moi ! »
Aniel tiqua. La voix retentit d'une ruelle. Elle s'approcha, incrédule, comme si de rien n'était. Les agressions étaient choses courantes, en ville, mais tout de même... Si proche des commerces ? Quelques pas dans l'obscurité, et elle finit par les voir. Un groupe de trois hommes. De gros gaillards, taillés dans la roche. Même d'ici, elle pouvait voir les rictus de leurs affreuses tronches de gargouilles estampillées de cicatrices. Des loubards, comme il y en avait tant dans les pubs.
La Fée n'était pas du genre chevaleresque, en temps normal. C'était une prosaïque dure ; marche ou crève. Cette nuit-là, cependant, il y avait cette détresse, ce grain chevrotant dans la voix de la pucelle qui la fit agir.
Elle happa le premier gaillard par le col, le tirant sèchement en arrière. Ce dernier se retourna, ivre comme un moine, et hurla un court instant, le temps qu'Aniel abatte sa main sur son visage. Ca fumait comme un feu de bois. Il ploya sous la douleur et tomba à terre. Il s'agita comme une anguille avant que la combattante ne finisse par le relâcher, plus mort que vif, - mais encore respirant.
« Q-Qu'est-ce que t'as fait à Eliott, salope ? »
Le bougre titubait sur ses appuis. Il était plus rempli qu'un fût d'armagnac, ce qui ne l'empêcha pas d'enfoncer son coutelas dans les boyaux de la demoiselle... qui s'enfonça, s'enfonça... Un cri, de nouveau. Puis, plus rien. Il était encore en vie, la femme y avait veillé. Pour combien de temps, cependant ? Le gus restant détala comme un souriceau.
Cassiopée ne put pas en voir grand chose. Toutefois, elle sentit cette chaleur, incommodante, qui émanait de l'inconnue. Chaleur qui s'estompait peu à peu, mais tout de même... Qu'avait-elle diable bien pu faire pour faire fuir les trois mâtins ?
« Pourquoi tu n'as pas couru ? que fit cette inconnue. Ils t'auraient réservé un sort pire que la mort... Mrhh ? »
Aniel s'approcha. Quelque chose clochait, avec cette fille.
La guerrière et la poupée
Feat Aniel Guradon
Ta respiration était encore rapide. Bien trop rapide. En même temps, on venait de commencer à t'agresser, puis t'as cru comprendre aux cris et aux paroles des inconnus qu'il y avait eu confrontation. Comment réussir à ce calmer dans de telles circonstances, surtout quand on est incapable de voir ce qui se passe et donc de tout comprendre. Toutefois, maintenant que les inconnus semblaient avoir filé, tu pouvais commencer à te calmer. Tu tentes de contrôler ta respiration, de calmer les battements de ton coeur, de faire comprendre à ton esprit que c'était fini ou du moins, tu l'espérais. Mais tu la sens, cette chaleur. Il fait chaud et heureusement que tu n'as pas réactivé ton pouvoir sinon, tu deviendrais folle. De toute façon , vu les circonstances, pas besoin de ressentir ce qui t'entoure pour comprendre qu'on se rapprochait de toi : ton ouïe était suffisante. La chaleur se fait moins forte : comment ça se fait ? Tu te poses brièvement la question mais pas le temps d'y réfléchir. Une voix légèrement dure se fit entendre et tu releva doucement la tête, « observant » de tes yeux bleus vitrés ton interlocutrice.
«Je...Je n'ai pas d'excuse. C'est moi qui suis incapable de faire quoi que soit face à ce genre de situation. »
Tu baissas la tête. Tu te sentais un peu honteuse mais après tout, qu'aurais-tu pu faire ? Tu étais faible et sous l'effet de la panique, vu ta situation, tout ce que tu aurais pu faire, c'est de tomber et risquer de te faire mal, voir même te manger un mur. Tes agresseurs t'auraient aisément rattrapé. Ca ne te plaît pas, ce genre de situation. Mais il fallait bien t'y résoudre pourtant : t'es pas une combattante.
Tu poses une mains sur le mur, te redressant doucement. Tes jambes tremblent encore un peu mais déjà beaucoup moins qu'il y a quelques secondes. Au moins, tu n'as rien. Plus de peur que de mal...Enfin, même si c'est uniquement parce qu'on est venu te sauver.
« Merci pour ton aide. » dis-tu en tendant ta main en signe de gratitude, même si sa destination n'était pas vraiment sûre. « J'espère qu'ils ne t'ont pas blessée au moins ? »
Tu t'en voudrais trop si c'était le cas. Déjà que tu lui en dois une...
Une odeur de soufre emplissait l'air, écoeurante et lourde ; celle des oeufs pourris. Et il y avait cette chaleur... Ce ne pouvait pas être dû qu'à l'effroi qu'avait subi Cassiopée, n'est-ce pas ? Non, c'était autre chose. Comme si un four brûlait à proximité. Peu à peu, cependant, cette atmosphère oppressante décrue, en même temps que l'odeur.
Tout le long que la jeune fille s'exprime, Aniel, dite la Fée Rouge, ne dit mot. Elle devait probablement la regarder, la jugeait, bras croisés sous sa poitrine. Ou bien... - et c'était le plus probable - ranger les corps, au vu de ce qu'on croyait entendre. Les ranger à sa façon. Comment ? Cassiopée ne le saurait jamais. Il y avait parfois des avantages à être aveugle.
« Merci pour ton aide. J'espère qu'ils ne t'ont pas blessée au moins ? »
Un silence. Elle la regarde, c'est certain. Elle cause, de nouveau... et sa voix s'est apaisée. Il n'y a plus cet étrange gargarisme ; une voix de femme, probablement la trentaine.
« Tu plaisantes ? »
Sur une pointe d'ironie. L'inquiétude de la jeune fille l'amuse. Elle comprit alors : seul quelqu'un qui n'avait rien vu de son pouvoir pouvait s'inquiéter pour elle. N'importe qui d'autre aurait balbutié quelques remerciements nasillards, avant de prendre ses jambes à son cou. Mais pas elle.
Elle s'approche ! Ca s'entend. Elle saisit le visage de la demoiselle à bout de doigts, dans une délicatesse qu'on ne lui soupçonnait pas ; elle mire sur tes yeux. Un soupir.
« Aveugle ? »
Elle lui laisse répondre, ce après quoi, elle ajoute.
« Je suis une aventurière. Tu as eu de la chance d'être tombée sur moi. Je te raccompagne, si tu le souhaites. »
Il y a toujours cet indescriptible amusement, dans sa voix. Cette jeune fille, cette poupée ce porcelaine était l'une des créatures les plus fragiles qu'elle avait vues de sa vie, et pourtant, c'était dans une ruelle sinistre de la capitale, en pleine nuit, qu'elle la rencontrait. Lucy était parfois farceuse, dans son genre. En somme, Cassiopée remarquera quelque chose, chez Aniel : il n'y a pas la moindre pitié, pas le moindre remord, dans sa voix. Un roc.
La guerrière et la poupée
Feat Aniel Guradon
Plaisanter. Si seulement tu le pouvais en de telles circonstances. Mais tu ignorais plus de la moitié des événements qui venaient de se produire. Quand bien même tu aurais pu voir ce qui s'était passé, tu aurais quand même posé cette question. Par pur principe certainement. Mais bon, à en juger par la reponse de la jeune femme ainsi que le ton de sa voix, tu en déduis qu'elle n'a rien. Vraiment rien. Aussi bien sur le plz que physique qu'émotionnel. Tant mieux : la culpabilité t'aurait rongé si jamais ta "sauveuse" s'était blessée par ta faute. Parce que tu es faible. Parce que tu es sans défense. La preuve étant que tu ne peux même pas réagir alors que ton interlocutrice avait posé ses doigts sur ton visage et ce avec une certaine délicatesse.
« Oui, totalement.» repondis-tu dans un sourire étrangement nerveux tout en te redressant. « En principe je devrais te dire que ce n'est pas la peine et que je n'ai pas envie de te déranger davantage. Cependant, je n'ai pas envie de suivre de principe donc ce n'est pas de refus.»
Tu soupires. Après tout, t'aimes pas trop déranger les autres, dépendre de quelqu'un. Mais parfois, il faut pouvoir admettre ses faiblesses et accepter l'aide d'une personne.
« J'habite... Par là...Du côté des plaines » dis-tu en pointant du doigt le bout de la ruelle, par où il fallait quitter cette dernière pour continuer ta route jusqu'à ton domicile. « Enfaîte, moi c'est Cassiopée. Je suis dresseuse de chevaux.»