An 1001
Saison Douce - Troisième lune
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La lumière d'un soleil estival annonçant bientôt le Solstice de la saison chaude tombait en rayons de verts et d'ors sur toute la hauteur du village perché. Plutôt protégés de la chaleur par la frondaison géante des arbres qui faisaient de cette forêt et de cette ville toute sa légende, ses habitants allaient et venaient, affairés à leurs occupation de milieu de matinée et entraînés par les sifflements des oiseaux ainsi que la douce marée de froissements de feuilles provoquée par le vent dans les branches. L'ensemble était plutôt agréable à observer et constituait probablement le seul exemple de cité urbaine au sein de laquelle Frey se sentait plutôt à l'aise. Marcher sur des ponts de cordes suspendues à plusieurs dizaines de mètres de hauteur, s'y retrouver dans un dédale tridimensionnel de chemins, d'accès et autres raccourcis n'était pas un problème pour lui et constituait presque un jeu. Il y avait un quelque chose de satisfaisant dans cet endroit qui sentait la résine et les fleurs, une forme d'équilibre qu'il était loin de retrouver à la Forteresse et ses pierres austères et froides.
Arpentant une arche constituée de deux branches entrelacées depuis presque un siècle et recouvertes de mousse, il était vêtu simplement. Seulement sa tenue de forestier : pantalon et haut à manches courtes qui laissait ses bras et avant-bras l'air libre, quelques outils à sa ceinture, pieds nus et les épaulières ornées de quelques plumes noires ornementales. C'était des habits qui privilégiaient le fonctionnel et la liberté de mouvement, taillés près du corps et confortables à porter. Il avait laissé dans la petite hutte à outils qui lui servait de lieu de repos sa tunique de cuir, ses gantelets, son bardas habituellement accrochés à sa ceinture, son arc et tout ce qu'il n'avait pas besoin de transporter dans un milieu urbain et c'était reposant, pour une fois, de se délester de tout cet attirail. Facilement reconnaissable à ses cheveux mi-courts d'un blanc argenté, on pouvait également apercevoir le début de lignes de tatouages de la même couleur sur le bas de son menton et descendant le long de son cou, ainsi que sur le dessus de ses pieds et sur ses bras, avant-bras et mains.
Se dirigeant d'un pas tranquille vers l'amas imposant de constructions organiques qu'était la caserne, il avait le pied léger et l'attention volage. Parvenu à l'entrée principale, il se présenta simplement comme étant Frey, forestier, et exposa le motif de sa visite. Le lieutenant Anggun, qui tenait absolument à ce qu'il l'appelle Java, semblait l'avoir dans ses bonnes grâces depuis ce jour où il lui avait offert naïvement de partager une partie de son repas avec elle suite à l'aide qu'il avait pu apporter pour la recherche d'un garde blessé disparu en forêt. Grossière erreur qu'il essayait d'éviter de reproduire de si tôt au vu des quantités industrielles de nourriture qu'elle ingurgitait, chose qui n'était pas gagnée maintenant qu'elle l'avait associé avec la perspective d'un bon repas. Depuis, elle ne manquait pas de l'appeler mon p'tit Frais et si une telle familiarité était singulière il devait avouer que ce n'était pas pour lui déplaire. Elle faisait maintenant partie des canaux de contact qu'il avait avec les Belluaires et il devait admettre que c'était parfois bien utile.
Aujourd'hui, donc, il allait à la caserne pour tenter de rendre service sur une histoire liée à un certain Maraas. Ou, du moins, c'était le contact qui travaillait dans l'administration du Village perché qu'elle lui avait donné. Un bon p'tit gars même si elle qualifiait souvent les gens ainsi, J'suis sûre que tu vas l'apprécier il est drôle comme tout.
Conduit au sein de la caserne par l'un des Belluaires qui l'avait accueilli à l'entrée, ils suivirent un dédale de petites plateformes qui devaient le mener jusque vers le dénommé Maraas. Curieux, Frey ne se priva pas pour observer le peu qu'il pouvait discerner de la vie entre ces murs, un peu mystérieuse pour un non initié, et qui l'avait toujours un peu intriguée. Son mode de vie était totalement à l'opposé de celui des gardes et il se demandait bien ce que ça faisait de vivre avec autant de personnes à la fois, tout le temps, pour tout.
Parvenant finalement devant un bâtiment, son guide lui désigna une porte. Quartier administratif ou autre, Frey n'en avait aucune idée.
_ C'est là, vous devriez trouver Maraas par ici.
Ouvrant celle-ci, pénétrant un peu à l'intérieur et suivi de près par le rôdeur, le Belluaires héla la personne qu'ils cherchaient avec autant de délicatesse qu'un buffle, même si on pouvait clairement discerner une esquisse de sourire sur les traits du garde.
_ OZAZIM T'AS DE LA VISITE. C'EST DE LA PART DU LIEUTENANT.
Le dénommé Maraas était un jeune homme comme on en fait plein dans le Village perché et Frey chercha rapidement dans sa mémoire s'il l'avait déjà croisé, sous une forme ou une autre, mais sa tête ne lui revenait pas et son prénom encore moins. Avisant de l'énergumène qui s'était présenté à lui, Frey se rappela les mots de Java et un imperceptible début de sourire apparu à la commissure de ses lèvres.
Question un peu bête, puisqu'il venait de lui demander ce qu'il pouvait faire pour lui, mais qui était plus une sorte d'introduction bancale qu'une réelle interrogation. Lui faisant un léger signe de tête en guise de salutations, il enchaîna directement sur le motif de sa visite.
C'était vrai qu'il avait une bonne tête, même si ça ne voulait rien dire, et Frey inspecta un instant à son tour son interlocuteur, tentant d'en deviner plus à sa tenue ou à ses accessoires, mais il n'y avait pas grand chose à dire pour le moment.
_ Si vous avez plus besoin de moi, j'vous laisse entre les mains de Maraas la terreur de l'administration. Aller, bonne journée !
D'un clin d’œil destiné à son comparse Belluaire, il fit un petit signe d'au revoir de la main. Juste avant de disparaître, il lança par-dessus son épaule, comme un détail qu'il n'aurait vraiment, vraiment pas fallu oublier.
_ Essayez de pas tout détruire hein !
Sans véritablement comprendre ce que le Belluaire voulait dire par-là, Frey le regarda partir en le remerciant d'un geste de la main. Son regard finit par glisser vers Maraas, d'un air un peu interrogatif, et il finit par hausser les épaules comme d'un air de dire qu'il n'avait aucune idée de ce qu'il entendait par là. Et, de fait, il n'en avait vraiment aucune idée.
Oui, il avait accepté d'aider Java en mettant ses connaissances à profit mais il venait les mains dans les poches, sans référence, sans nom exact, sans rien, laissant tout reposer sur les épaules du jeune Belluaire qui était à priori le boss de l'administration ou un truc dans le genre. Frey tiqua un instant, c'est qu'il était quand même un peu jeune pour ça non ?
Tout ce qu'il espérait, c'était ne pas tomber sur des saloperies ultra dangereuses, mais s'ils se contentaient de fouiller dans les dossiers, ça devrait aller, non ?