En cette nuit pluvieuse, le Non-Mort se sentait passablement contrarié. Il avait eu de multiples affaires à gérer depuis son arrivée à la Capitale et l'expansion de sa petite organisation lui avait vampirisé le plus clair de son temps, l'empêchant de se pencher sur certaines questions qui était, certes, techniquement d'ordre professionnelles, mais qui s'étaient peu à peu changées en histoires bien plus personnelles. Au détour de ses réunions à vocation commerciales, l'Immortel recevait parfois de déplaisantes nouvelles concernant un petit oisillon qu'on peinait visiblement à capturer malgré les moyens somme toute très raisonnables qu'il avait déployé à cette fin.

Il était temps de se repencher sur les affaires de la petite Nevaeh qui, étrangement, était parvenu à échapper à ses nombreux éclaireurs, non sans avoir manqué d'y laisser des plumes. Une chose était sûre, la volonté inébranlable de la fameuse hôtesse avait quelque chose d'impressionnant car, non contente d'avoir ouvertement refusé de serrer la main d'un criminel de son acabit, elle s'était permise de lui envoyer une table en plein dans les chicots, et vivait encore pour raconter l'histoire à ses petits camarades !

Des amis, elle ne devait cependant plus en avoir beaucoup à portée de main, car c'était avec la furtivité de l'anguille qu'elle semblait se faufiler aux quatre coins du royaume, échappant toujours de peu aux pièges que lui tendaient ceux qui étaient visiblement trop bien payés pour faire le boulot, étant donné qu'ils revenaient soit bredouille, soit blessés, soit pas du tout. La seule information qu'ils avaient pu confirmer était qu'elle maquillait son apparence d'origine et qu'elle errait partout dans le Royaume à faire Lucy savait quoi.

"Chef, on y va ?"

Khepra, affublé de son fidèle manteau à col de fourrure qui subissait déjà les aléas du temps et d'un mauvais traitement constant, fut tiré à ses réflexions par la voix fluette du jeune brigand qui lui servait de recrue. Le monstre encapuchonné jeta un regard en biais à ce dernier avant de hocher la tête en signe de confirmation. Il s'était pour l'occasion fait aussi terrifiant que possible, ayant adopté la forme d'un homme dont la carcasse desséchée semblait presque momifié. Il était venu pour intimider, après tout. La petite maisonnette dans laquelle se trouvait leur cible du jour n'était pas particulièrement isolée des autres, nécessitant d'agir furtivement ou rapidement, voir les deux de préférence. Le même garçon qui venait d'interpeller son chef s'empressa de se munir d'outils de crochetage, qu'il fourra sans une pointe d'hésitation dans la serrure, entamant de forcer l'accès.

"Ne me déçois pas."

Lorsque la voix caverneuse du mort-vivant s'éleva, le jeune homme sentit un frisson d'angoisse lui parcourir l'échine. Il savait qu'il ne pouvait pas se permettre la moindre erreur car ce soir, ils avaient enfin du neuf et le patron en personne s'était déplacé pour veiller à éviter un nouveau fiasco. Ils n'étaient que trois, ce soir, car un groupe plus important aurait attiré l'attention du voisinage. Ce n'était pas Nevaeh en personne sur laquelle ils avaient mis la main, mais sur son frère. C'était par miracle que les recherches concernant la jeune fille avaient donné quelque chose concernant sa famille car, aussi miraculeux que cela pouvait paraître : elle s'était tout bonnement volatilisé du jour au lendemain, ne laissant derrière elle qu'un appartement vide et des affaires à régler.

Un cliquetis caractéristique indiqua à Khepra que son apprenti était venu à bout du verrou les séparant de leur proie. Une fois le matériel récupéré, les trois criminels se jetèrent des regards durs avant de pénétrer dans la demeure de l'homme dont, finalement, ils ne savaient que très peu de choses au delà de son lien de parenté avec la jeune femme pour laquelle s'était obsédé le patron d'une manière tout à fait irrationnelle, lui-même le reconnaissait. Ce n'était pas par nécessité qu'il voulait détruire Nevaeh, mais bel et bien par principe.

Les mains dans les poches, il pénétra avec dédain dans la maison et tenta d'en détailler vaguement les contours, mais la pénombre ambiante l'en empêchait. Une fois tous à l'intérieur, ils refermèrent soigneusement la porte derrière eux. En l'absence de plan, ils allaient devoir progresser dans l'habitation jusqu'à tomber sur le propriétaire. Ils n'espérait pas trop de résistance, car le bruit était un ennemi de taille dans le cadre de cette opération, mais qu'en était-il de leur cible ?

Khepra porta la main au fourreau de son khopesh dont il vint s'équiper. Il fut aussitôt imité par ses deux acolytes et, ensemble, ils s'aventurèrent dans les ténèbres à la recherche de l'homme mystérieux qui constituait peut être la clé de leur enquête. Sa main squelettique se referma sur la poignée d'une première porte, qu'il tourna lentement. Leur cible se trouvait peut être juste derrière ?

Entrouvrir la porte fut suffisant pour apercevoir la silhouette se trouvant à l'intérieur du bureau. Khepra accéléré le mouvement et pénétra avec vivacité dans la pièce, toutes lames dehors. Ses acolytes se postèrent à ses flancs, également armés et prêt à en découdre si l'individu tentait quoi que ce soit d'idiot. Les mains en l'air, celui qui devait être le frère de Nevaeh semblait prêt à coopérer, mais était-ce là un stratagème visant à leur faire baisser leurs gardes ? Peu désireux de le découvrir, l'immortel s'empressa d'écourter la distance qui le séparait encore de l'étranger et vint poser la pointe de son arme sur la gorge de ce dernier, le menaçant ouvertement en ignorant par contre son invitation à récupérer les cristaux.

"Les gars, vous nous faites la totale ? Asseyez-vous, mon brave."

Signe encourageant : l'homme obtempéra, ce qui permit également à Khepra de détailler avec un peu plus de précision sa silhouette ainsi que ses traits. Pendant ce temps, les malfrats qui l'accompagnaient ne s'étaient quant à eux pas privés de se servir lorsqu'ils y avaient été invités et c'était avec un regard plein de gourmandise que le jeune as du crochetage comptait déjà son butin au lieu de s'occuper de la tâche que Khepra lui avait confié. Après lui avoir jeté un regard mauvais, l'immortel usa de sa dextre libre pour administrer à son jeune sous-fifre une claque solide en plein derrière le crâne, ce qui le surprit à tel point qu'il en laissa tomber la bourse ainsi que son contenu.

"Ramasse, imbécile ! Et repose ça où tu l'as trouvé ! J'te paye pas assez, c'est le message que tu veux me faire passer ?"

"N...Non chef !"

"Alors arrête de faire l'andouille et mets-toi au boulot, bougre d'âne !"

Le garçon s'exécuta prestement tandis qu'un rire féminin s'échappait sous le foulard du dernier membre du trio qui était, vraisemblablement, une femme d'un âge plus avancé et potentiellement d'une expérience bien supérieure. Bien plus diligente que son confrère, elle avait quant à elle vérifié que les rideaux soient bien fermés, s'était assurée de caler la porte à l'aide d'une chaise et siégeait désormais aux côté de son employeur, le visage toujours dissimulé par son épaisse capuche de toile noire. D'un ton curieusement doux, le monstre reprit la parole et s'adressa directement à celui qui constituait l'objet de leur quête.

"M'sieur Farley, je présume ?"

"Docteur Farley."

Une coupure nette, presque arrogante. S'il avait eu l'intelligence de coopérer jusqu'à présent, cet homme intriguant n'était pourtant pas du genre à se laisser faire, de toute évidence. C'était respectable, au demeurant. Khepra porta une main à son foulard et l'abaissa, révélant ainsi son faciès décrépi et sa gueule abjecte tirée en un sourire décharné. Lorsqu'il entreprit de se découvrir, l'odeur d'herbes sauvages et de parfum visant à masquer ses remugles de carcasse embauma aussitôt la pièce, lui conférant une atmosphère olfactive très mystérieuse. Dans le noir, ses prunelles bleutées s'illuminaient, le rendant encore plus inhumain qu'il ne l'était déjà.

"Docteur Farley, mes excuses... Je suis profondément navré de vous importuner à une heure aussi indécente, mais j'ai néanmoins une question urgente à vous poser."

Puis, avec une vivacité formidable, il vint à nouveau lever sa lame et la positionna une seconde fois sur le menton de son vis-à-vis tout en postant son visage affreux juste devant le sien. Dans un éclat de voix incontrôlé, il vociféra en marquant chaque syllabe avec une insistance trahissant sa colère et son exaspération :

"Où - est - votre - sœur ?"

Un silence pesant fut maintenu lorsque le docteur eut fini de s'exprimer. Après avoir échangé un regard insistant avec son interlocuteur, Khepra finit par se raviser lentement, éloignant son arme du visage du jeune homme qui lui faisait face. Il était pour l'heure impossible de savoir si ce dernier se montrait honnête envers les trois criminels, car sa contenance apparente ne traduisait malheureusement aucune émotion lisible. L'immortel, ne parvenant pas à interpréter les raisons de cette lassitude manifeste, décida que la torture était pour le moment inadéquate en terme de solution et se contenta d'enchaîner sur une note plus calme :

"Vous n'en savez rien, dites-vous ? J'ai quelques doutes sur la question. Je veux bien envisager de croire qu'elle ne vous ait pas parlé de nous, cela dit..."

Le mort-vivant échangea des regards complices avec ses collaborateurs qui lui rendirent des sourires malicieux, puis il entreprit de faire usage de sa langue de vipère afin de tenter une approche qu'il espérait fructueuse, celle de la collaboration. Ce fut pourtant avec une grande conviction qu'il sembla s'exprimer lorsqu'il entama par une demi-vérité, ce qu'il fit en ramenant sa lame au fourreau en gage de bonne foi.

"Effectivement, vous ne semblez pas tout savoir des habitudes de votre sœurette, mon cher ami. Restez assis, car certaines de nos révélations risquent de ne pas vous plaire."

L'immortel claqua des doigts et aussitôt, la femme postée sur son flanc empoigna la chaise qui bloquait la porte pour la placer derrière son patron, qui vint tranquillement déposer son postérieur sur l'assise. La criminelle s'installa ensuite dos à la porte et les bras croisés, montant la garde par précaution en observant le docteur d'un oeil attentif tandis que le jeune homme, partiellement désœuvré, restait aux côtés de son patron à la recherche d'une nouvelle directive à suivre. Khepra, sentant toute la détresse du petit voyou, lui confia une mission tout en pointant du doigt le mobilier du propriétaire des lieux.

"Fouille les affaires de ce gentilhomme, veux-tu ? Cherche des lettres, des échanges quelconques, des traces qui peuvent nous mettre sur la piste de la fille. Mais t'embarques rien, pigé ?"

Le gaillard confirma d'un signe de tête puis jongla un instant avec sa dague avant d'entamer les recherches, commençant à inspecter un à un les tiroirs du docteur sans se soucier de la conversation qui débutait au centre de la pièce. S'introduire de la sorte dans l'intimité du docteur risquait certes de ne pas l'encourager à collaborer avec les intrus, néanmoins Khepra s'autorisait à caresser l'espoir de mettre la main sur une pièce compromettante permettant de faire pression sur son vis-à-vis.

"Bien, pour revenir à notre charmante Nevaeh, je suppose qu'elle ne vous a pas informé qu'elle avait déjà fait ma rencontre par le passé."

En se frottant les mains avec insistance, il se lança dans son explication qui risquait fort de ne rien donner, mais il pouvait toujours tenter le coup :

"Je lui ai proposé un arrangement car je l'estimais à même de me rendre certains services, notamment le rassemblement de certaines informations, moyennant finance et garantie de sécurité."

Il renifla, hésitant comme s'il cherchait ses mots car la nouvelle était dure à annoncer. En vérité, il cherchait mentalement comment rendre son histoire plus convaincante.

"Le problème, c'est qu'elle s'est comportée face à cette offre avec un certain manque de courtoisie. Plutôt que de refuser poliment ou de renégocier les termes du contrat, chose que j'aurais pu concevoir et accepter, elle m'a ouvertement manqué de respect face à mes hommes, ce que je n'ai pas su oublier, malheureusement."

Ce fut à cet instant précis que son ton se fit plus dur et son regard, infiniment plus froid :

"J'ai donc quelques comptes à rendre avec elle, vous comprenez ? Et si je ne peux pas mettre la main sur votre sœur, il est bien naturel pour moi de vous demander de rembourser cette dette, n'est-il pas ?"

Puis, après un bref silence, il conclut en souriant de plus belle :

"Je n'ai aucune intention d'insulter votre intelligence et encore moins de vous manquer de respect. Passons les menaces et autres joyeusetés. Je suis un homme d'affaires, pas un tueur en série, d'accord ? Alors parlons affaire, docteur. Dites-moi ce que vous pouvez faire pour protéger Nevaeh de ce que je lui réserve."

Khepra ne réalisait même pas que son expression changeait lentement face au propos du docteur dont le calme olympien le frustrait au plus haut point. Malheureusement pour le trio malfaisant, le type n'était pas particulièrement idiot et semblait comprendre sans mal que c'était en désespoir de cause qu'ils s'attaquaient à lui et non par pure vilénie. C'était donc mollement et sans conviction qu'il répondait à toutes les questions de l'Immortel, mais ses dires faisaient malheureusement sens malgré leur inutilité évidente.

Après un instant de silence, Khepra fronça subitement les sourcils et se dressa d'un bond sur sa chaise, qu'il envoya ensuite valser d'un coup de pied rageur. Profondément en colère, il se mit à faire les cent pas dans la pièce, une main posée sur la bouche, visiblement incapable de mettre au point une stratégie miracle face au mutisme parfaitement justifié de son vis-à-vis. Etrangement, ni l'homme ni la femme qui accompagnaient la créature maudite ne parurent surpris par son comportement, trahissant à quel point il était courant de le voir s'énerver de la sorte sans crier gare. Khepra reporta soudain son attention sur le docteur, auquel il cracha :

"Je commence réellement à détester profondément votre fratrie. Vous ne m'êtes d'aucune utilité. AUCUNE."

Toujours en proie à sa petite crise de nerf, il accéléra le rythme. Il ne se rendait compte de sa propre haine que maintenant qu'il était face au frère de celle qui était devenu son obsession du moment. Cet irrespect, cette irrévérence, il croyait revoir Nevaeh dans les yeux las et dénués d'effroi de cet insondable docteur. Nouvel éclat de voix, moins fort que le précédent :

"Alors je fais QUOI, du coup, hein ? J'vous tue ? Je vous enlève et je vous nourris avec de l'eau et des os de gloot pendant des mois, jusqu'à ce que votre foutue sœur daigne se repointer pour sauver vos miches ?"

Passant du coq à l'âne, il pointa subitement du doigt son jeune apprenti qu'il invectiva sur un ton presque accusateur :

"T'as trouvé un truc ? Quelque chose, n'importe quoi. Dis-moi que t'as trouvé."

Le garçon tria quelques papiers qu'il avait sélectionné parmi la myriade de documents que contenaient les affaires de l'homme de science, mais ce fut avec une mine désabusée qu'il vint répondre à son supérieur :

"Pas grand-chose. Des notes, des études... Ah si, j'ai trouvé deux ou trois lettres de sa mère."

"Parfait, cherche une adresse. Si le frère refuse de nous aider, on passera aux générations précédentes."

En prononçant ces mots, il ne se priva bien évidemment pas de jeter un regard profondément mauvais au docteur, auquel il accorda ensuite son entière attention. Les poings sur les hanches, le Non-Mort semblait peu à peu reprendre sa contenance, car la découverte de ces petits échanges familiaux lui offrait un nouvel axe d'attaque pour nuire aux Farley.

"Bon ! Changement de programme, j'ai décidé de ne pas vous tuer ce soir. Ca impliquerait un boulot logistique assez important et du temps que je n'ai pas. Pour ce qui est de la faveur que vous m'avez promis, je vous demanderai simplement de trouver un moyen de reprendre contact avec Nevaeh et de l'informer que je l'attends de pied ferme à la Capitale parce que, si elle ne vient pas, eh ben j'vais en parler à sa mère et ça va barder."

Il éclata ensuite d'un rire rocailleux et tonitruant, sans réaliser cependant que cette mission supposément furtive faisait désormais un boucan de tous les diables...

Face à l'apparente frustration de Lovis, née de la dernière provocation de Khepra, le monstre ne put s'empêcher de laisser son sourire malveillant s'agrandir une fois encore. Enfin, il parvenait à briser le masque parfait. Il était curieux de constater, par ailleurs, avec quel sérieux il prenait les menaces adressées à sa génitrice, là où les attaques clairement ciblées contre Nevaeh n'avaient pas l'air de lui faire le même effet. Avait-il confiance en les ressources de sa sœur à ce point ? Était-elle bien plus dangereuse qu'elle ne l'avait laissé croire lors de leur premier entretien ?

Le sourire toujours aux lèvres, le mort-vivant ne ressentait désormais ni colère ni frustration, mais bel et bien une morbide satisfaction à l'idée de pouvoir tenir dans le creux de sa main décharnée le destin de cette petite famille qui l'insupportait tant. D'un ton plein d'ironie et de moquerie, Khepra surenchérit en posant une main sur son torse, mimant d'un air caricatural la posture d'un nobliau vexé.

"Comment ça, pas professionnel ? C'est justement l'expansion prédatrice de mon organisation ainsi que mes mesures agressives qui m'ont permis de faire croître mes projets à une telle vitesse ! Et puis, détendez-vous, je n'ai aucune intention de faire réellement du mal à votre chère maman."

Puis, d'un ton infiniment plus grave, il compléta :

"Sauf si votre sœur continue à me filer entre les doigts, cela va de soi."

Malgré le plaisir qu'il prenait à manipuler ainsi les émotions de son vis-à-vis, Khepra ne perdait pas le nord. L'objet de cette entrevue restait de gagner du terrain sur Nevaeh qui préparait sans doute un coup fourré, à en juger par les maigres informations que les hommes du Non-Mort étaient parvenus à obtenir la concernant. S'il ne souhaitait évidemment pas collaborer avec eux, le docteur accepta néanmoins de transmettre le message du criminel, ou du moins le prétendit. Avec une pointe de moquerie joviale, Khepra s'inclina dans une révérence parfaitement exécutée et offrit une réponse à son interlocuteur, non sans fierté :

"Le Non-Mort, en os et en os. Dites-lui simplement que je viendrai la traquer par delà les remparts de la Forteresse si elle ne vient pas s'excuser auprès de moi. Nous pouvons encore mettre de l'ordre dans tout ce chaos, les clés de cette malheureuse affaire sont toujours entre ses mains."

Triomphant, il s'apprêta à surenchérir mais fut subitement coupé dans son élan par le son frénétique de quelqu'un qui tapait du poing sur la porte d'entrée. Les trois criminels s'immobilisèrent et jetèrent des regards alarmés, d'abord derrière eux, puis à l'homme dont ils avaient organisé l'interrogatoire forcé. De l'extérieur, une voix forte résonna alors :

"Docteur Farley ! Ici la Garde ! Vous êtes chez vous ? Des voisins nous ont contacté à cause du bruit. Tout va bien ?"

Suite au silence pesant qui suivit, les coups sur la porte d'entrée reprirent. Khepra reporta son attention sur le docteur et porta lentement une main à la poignée de son arme, tandis que l'index de son autre dextre se plaquait lentement sur ses lèvres desséchées. En murmurant, il lui glissa :

"Je vais vous escorter jusqu'à la porte, d'accord ? Au moindre faux pas, je vous descends."

Ce faisant, il se posta derrière Lovis et l'invita, de la pointe de sa lame, à s'éxécuter.

Lorsque Khepra avait accompagné le docteur jusqu'à la porte, la tension était restée à son comble jusqu'au bout. La pointe de la lame positionnée non loin du dos de sa cible, le mort-vivant s'était apprêté à accueillir la trahison de sa cible et à mettre un terme à sa vie, mais le vaillant médecin semblait également doté d'une jugeotte suffisante pour savoir que desservir les intérêts d'une créature aussi malfaisante que Khepra ne pouvait que lui porter préjudice. Une fois les représentants de la justice écartée, ce fut avec une certaine satisfaction que Khepra remit son arme au fourreau, un sourire aux lèvres.

"Je dois vous avouer que je m'attendais à autre chose. Vous semblez infiniment plus raisonnable que votre sœur, cela vous mènera sans doute plus loin qu'elle."

Bien moins rassurés que leur patron après avoir échappé de peu à une interaction fort musclée avec la justice, les deux bandits qui suivaient le Non-Mort s'empressèrent de rassembler leurs affaires en prévision de leur départ. En repoussant l'un des rideaux du salon, la femme observait de loin la patrouille qui avait bien failli leur tomber dessus, non sans une pointe d'inquiétude. Avaient-ils réellement gobé l'histoire du docteur ? A défaut de pouvoir s'en assurer, il allait être temps de s'activer. Avec diligence, elle prit donc la parole pour la première fois :

"Chef, il va être temps de remballer. Ils pourraient se repointer."

"Laisse-moi un instant, veux-tu ?"

Tandis que le jeune homme s'activait en anticipant avec précipitation leur départ, Khepra se contenta quant à lui de chercher dans ses poches une bourse bien garnie qui paraissait pleine à craquer de cristaux. Se saisissant sans ménagement de la manche du bon docteur, il plaça la fameuse bourse dans sa main et lui offrit un sourire presque moqueur, avant d'expliquer son geste :

"C'est pour la chaise. C'était pas très correct de ma part de vous l'abimer, n'est-ce pas ?"

Khepra laissa un ricanement sournois lui échapper puis se détourna du jeune homme qui lui faisait face. Il ajusta ensuite sa capuche de toile, s'assura que le col de fourrure de son manteau était bien en place et fit signe à son acolyte de lui ouvrir la porte, avant de s'engouffrer dans le froid de la nuit. Avant de disparaître pour de bon, il se contenta de laisser basculement lentement la tête sur le côté, adressant au docteur un dernier regard plein de froideur :

"N'essayez pas me doubler. Votre sœur en a fait l'expérience et maintenant, elle est forcée de se cacher à l'autre bout du monde."

Il pivota enfin et disparut, laissant le docteur Farley seul avec ses pensées qui, de toute évidence, ne devaient pas être radieuses.