Et en ce jour, c’était la fin. La fin de la célèbre barde enchanteresse qui n’avait que pour but d’égayer les plus beaux récits à l’aide de son amie la plus chère à ses yeux, sa lyre.
« Pardon ? »
Le regard de la jeune barde ne cilla même pas avant qu’elle ne dépose ses mains sur ses hanches. L’indignation était devenue une monnaie courante que les personnes qui connaissaient un tant soit peu Calcilia avaient appris à l’esquiver. Un profond soupir répondit alors à la question muette de la jeune femme, dont les billes violine dardaient d’un éclair fugace, à un tel point qu’il en était devenu difficile de soutenir son regard.
« Tu ne peux pas nous accompagner, réitéra l’aventurier d’une voix blanche. Il en va de ta sécurité en tant que citoyenne.
- Attends, attends, attends, l’interrompit la barde d’un mouvement de la main. Comment ça, ma sécurité ? C’est aussi de mon travail dont on parle ! »
Un sourcil bleuté se haussa au-dessus du front de la jeune femme qui ne pouvait décemment pas comprendre le résultat qui les avaient menés à lui interdire de voyager à leur côté. C’était une première si effarante que Calcilia sentait la colère poindre le bout de son nez, dans chaque nerf qui parcourait sa peau. L’aventurier ne put s’empêcher d’avoir un mouvement de recul lorsqu’il sentit la tension qui électrisait sa comparse. Et ce qui devait arriver, arriva.
« J’aimerais bien connaître les raisons qui soudain vous pousse à me mettre à l’écart. Jusqu’à preuve du contraire, ma présence ne vous a jamais causé de tort, asséna la barde d’un ton sec. Et par Lucy, épargne-moi tes prétendus beaux discours sur le bien-être de ma sécurité. Il y a encore pas moins de deux jours, tu as cogné le plafond de la grotte avec ton épée. Tout aventurier d’expérience sait que pour se battre, il faut une arme de poing. Surtout lorsque ton terrain de chasse est étroit.
- Tu ne vas pas recommencer ! S’insurgea l’aventurier. Il va falloir que tu arrêtes de caqueter à chaque fois qu’une idée ne va pas dans ton sens !
- Belle répartie, mauvaise défense, Jorvis. Je préfère encore que tu me dises que c’est parce que vous ne pouvez plus m’encadrer, si c’est juste un moyen de vous débarrasser de moi. »
Tandis que le bruit assourdissant de la guilde étouffait la dispute des deux protagonistes, Calcilia vint pointer un doigt accusateur sous le menton de l’aventurier. Il n’y avait de toute façon pas d’autres raisons – valables aux yeux de la barde – que celle qu’elle venait d’évoquer. Donc ce n’était en effet qu’un prétexte pour l’évincer de leur quête. Elle n’était certainement pas une demoiselle en détresse, et encore moins celle que l’on devait sauver.
Elle secoua la tête à plusieurs reprises afin de couper court au débat qui risquait de s’en suivre. Ce n’était pas le lieu pour ça, et c’était un risque à ce que ça s’éternise.
« Je ne suis pas là pour vous apprendre le corps du métier, mais je pense que mes années d’expérience seront plus parlantes que vos premiers pas sur une quête, acheva Calcilia. Ne soyez pas trop gourmands des quelques victoires que vous avez achevées en terminant vos quêtes. La chute n’est que plus douloureuse lorsque l’on se pense au sommet. »
La barde souleva sa besace en sifflant pour attirer l’attention de ses familiers. Elle ne menait pas un métier évident lorsque toutes les portes se fermaient une à une. Les quêtes de plus en plus dangereuses où tous souhaitaient se passer de sa présence rappelaient douloureusement à la jeune femme qu’elle n’était pas la bienvenue dans ce milieu qu’elle connaissait pourtant si bien. Malheureusement, elle avait vu bien des choses qui aujourd’hui la faisaient sonner comme une coquille creuse. Son plaisir de chanter s’était rapidement étiolé alors que toutes ses plus belles histoires ne relataient que les faits de ceux qui avaient malheureusement disparus.
Passant à côté de Jorvis, elle déposa une main compatissante sur son épaule. Une lueur vivace de compassion luisant dans son regard.
« Mais si c’est votre décision, je ne peux pas vous en vouloir, soupira la barde. Prends juste soin de ma cousine, Alice est un peu gauche, mais je suis sûre qu’elle sera une très bonne compagne de voyages dans le futur. »
Cette main qui relâcha son épaule fut sûrement son plus grand regret.
☆☆☆☆☆☆☆
Une nouvelle aussi sombre qu’écrasante attendit Calcilia lorsqu’elle déboula en sueur, et la respiration courte à l’accueil de la Guilde. Son faciès d’ordinaire loin d’exprimer cette inquiétude, s’était blêmi, et une lueur folle vacillait dans son regard prune. Ses mains rencontrèrent le bois du comptoir où l’hôtesse se tassa sur elle-même lorsque la barde arriva, les doigts crispés, leurs jointures devenaient blanches tant elle ne pouvait contrôler sa force.
« Où sont-ils ? Vociféra-t-elle. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
- Calme-toi Calci. »
Une main se posa sur son dos, et la mine déconfite de la barde se tourna vers son amie, qui arborait la même expression qu’elle, mais plus apte à garder son sang-froid elle secoua la tête. Calcilia s’apprêta à répliquer aussitôt, mais le regard ferme d’Amy l’empêcha de se révolter à nouveau. Elle serra ses poings tremblants, puis inspira longuement sa mine redevenant – bien que difficilement – imperturbable.
Voyant que la tempête de flammes s’éloignait, l’hôtesse décida de ne pas jeter la barde hors de la guilde afin qu’elle évite de créer un nouvel esclandre. À la place, elle tenta au mieux de répondre aux attentes de la barde qui patientait difficilement devant son comptoir.
« Ça fait maintenant plusieurs semaines qu’ils sont partis accomplir cette quête, manda Calcilia. Et ça ne devait être qu’une simple quête d’investigation. »
L’émotion était palpable dans le timbre de la jeune femme qui tentait au mieux de ne rien laisser apparaître. Et la réponse lui arriva au final bien assez tôt lorsque l’hôtesse sortit d’une boîte les plaques encore ensanglantées des aventuriers précédemment cités. Le désespoir marqua soudainement les traits de la barde qui recula d’un pas comme frappée de plein fouet.
« C-c’est… ? »
À la question muette, l’hôtesse acquiesça d’un air grave. Elle referma la boîte, sans évoquer qu’à la réception du colis, une expression d’horreur l’avait saisie. Car les plaques n’étaient pas le seul cadeau offert dans ce colis putride. Elle se garda bien d’en informer la barde. Le poing s’abattit sur le bois, tandis que Calcilia tendit furieusement le papier de quête.
« Ce n’était qu’une investigation ! C-Comment est-ce juste possible ?! S’écria-t-elle.
- Je comprends… Mais la quête signalée s’est montrée plus ardue qu’il n’y paraissait à l’origine… Il semblerait qu’ils…»
La barde écrasa le document sur le comptoir en pointant l’hôtesse qui malheureusement n’y était pour rien dans cette histoire. Le souffle empli d’une émotion tremblante, Calcilia ne pleura pas, n’évoqua rien d’autre qu’une colère tempétueuse.
« QU'ILS QUOI ? Hurla-t-elle. Vous avez juste envoyé des enfants à la mort sans vous renseigner sur la situation de cette quête ! »
Violemment, la barde se détourna en prenant le papier, tandis qu’elle jetait un regard plein de dédain en direction de la jeune hôtesse qui peinait à maîtriser la colère de Calcilia. Non pas qu’elle appréciait particulièrement créer un scandale au milieu du hall de la Guilde, mais actuellement, elle les détestait tous autant qu’ils étaient. Elle détestait ce que représentait cette organisation qui lui avait tout volé.
« Si je dois raser la colline pour retrouver ma cousine, je le ferai, persiffla-t-elle entre ses dents. Au moins qu’elle puisse avoir le droit à un enterrement digne de ce nom. »
L’hôtesse se leva, et soudainement, Calcilia ne put plus bouger. Elle fulminait, la colère ravageait son esprit, elle ne pouvait simplement pas laisser la barde aller seule. Amy avait saisi le bras de son amie pour l’aider à reprendre contenance.
« Je suis navrée, mais dans votre état actuel, je suis obligée de vous demander de renoncer, et si je dois appeler la Garde pour qu’ils vous retiennent, je n’hésiterai pas à le faire, déclara l’hôtesse d’un ton calme, comme pour essayer d’apaiser la jeune femme.
- Alors quoi ? Je dois attendre ? Attendre que d’autres se fassent massacrer avant que vous ne trouviez la bonne personne qui règlera le problème ? Vous m’en voyez navrée, mais je ne fonctionne pas comme ça.
- Dans ce cas, rejoignez la Guilde, vous pourrez vous rendre sur les lieux, sans que je ne vous en empêche. »
Un long silence se joignit à la conversation, avant qu’un rire n’explose dans le hall. Calcilia ne put retenir ce rire nerveux qui secoua ses épaules. Un large sourire cynique apparut sur ses lèvres pleines tandis qu’elle cessa de résister.
« Ce sont vos arguments ? Ceux qui doivent me donner le droit d’accomplir ce que je souhaite. »
Elle était un papillon libre qui ne se laissait dresser d’aucunes chaînes, et autant qu’elle l’aurait souhaité, la barde ne pouvait malheureusement pas se battre contre le monde entier. Libérée de l’entrave de l’hôtesse de la guilde, elle se rapprocha à nouveau du comptoir, faisant planer au-dessus d’elle une menace sous-jacente.
« Devenir le chien d’une organisation et me plier à vos règles ? »
Son regard s’abaissa à nouveau sur le document, et elle claqua sa langue contre son palais, la situation était urgente, et elle n’avait pas le temps de débattre davantage.
« Très bien, mettez-moi la laisse. Je remuerai la queue et donnerai la patte, argua-t-elle. Mais en échange, je m’occupe de cette quête. »
La situation moins simple qu’il n’y paraissait, Calcilia se tentait à croire que la montagne de papiers à signer n’en finirait pas. Sa douce plume n’était maintenant qu’une rature écrasée de rage sur chaque document qui lui était fourni.
«Nous nous reverrons donc la prochaine fois, afin de valider vos aptitudes… Et vous serez en droit de réclamer cette quête si vous souhaitez toujours rejoindre nos rangs. Il vous faudra tout de même attendre que la Guilde examine cette quête en amont afin quelle soit réajustée à sa réelle difficulté. »
Le regard de l’hôtesse se baissa, malheureusement elle aussi très touchée par la situation. En une quête, ils venaient de perdre trois aventuriers beaucoup trop jeunes pour mériter un tel sort. Calcilia, elle ne répondit pas avant de s’échapper de l’accueil de la Guilde, accompagnée de sa fidèle amie. Lorsqu’elle fut éloignée des regards, la barde tomba sur ses genoux.
« I-Ils mont encore tout pris… »
Elle enfouit son visage entre ses mains en explosant en sanglots.
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