Le félin contourna la table pour venir s’installer sur le premier fauteuil à portée avant de venir poser sa joue contre son poing, se dissimulant derrière un sourire contrarié. Le vaste séjour était inondé d’une lumière apaisante, illuminant les tons crème de la pièce. Les orbes rouges du félin s’étaient étendus, ne laissant alors qu’un mince filet noir à travers ses iris. Il tapota un doigt nerveux contre sa joue alors que sa mère s’ornait d’un rire malicieux. C’était un défaut de famille qui ne les rendait au final que plus attachant à mesure qu’il se propageait dans le corps de la fratrie.
L’humeur du félin ne tarda pas à de détendre, avant qu’il ne secoue la tête d’un bref sourire.
« Si ta sœur et toi veniez nous rendre plus souvent visite, je ne serais pas obligée de vous envoyer des lettres, piailla la matrone en pointant un doigt accusateur. »
Tasyaen releva légèrement son visage, se détachant de son poing pour venir lancer un regard perplexe en direction de sa mère. Ses traits s’armèrent d’une expression sévère, alors qu’elle venait de soulever la possibilité que sa jeune sœur serait également de la partie. Le félin secoua la tête grossièrement.
« Maman… Tu sais quand même que nous travaillons… Si moi j’ai pu prendre ma journée, ce ne sera peut-être pas le cas de Yell, surtout si elle doit traverser la moitié du pays alors qu’elle est en pleine quête. Sous prétexte que papa est gravement malade.
- Oh par Lucy ! Qu’est-ce que tu es rabat-joie mon chéri. Sois juste heureux de revenir à la maison. C’est ça, ou je ne vous vois qu’une fois toutes les trois lunes. »
Il leva les yeux au ciel avant de se lever pour s’approcher de sa vieille mère, l’enlaçant d’une étreinte chaleureuse. Le félin avait senti son visage se pétrifier lorsqu’il avait déplié l’élégante missive au blason des Orenffield et s’était précipité aussitôt afin de saisir la première occasion et de prendre un portail de téléportation au plus vite. Et c’est à moitié en sueur qu’il avait pénétré le domaine sans s’annoncer. Cette fine mascarade dévoilant alors un rire moqueur de la génitrice qui les attendait patiemment dans sa méridienne faite d’un velours ivoire. Et si d’apparence, le félin arborait une mine renfrognée, ce n’était au final qu’un profond soulagement qui avait aussitôt levé un poids de ses épaules.
« Tu peux tout aussi bien nous inviter sans créer un drame, gronda-t-il sévèrement. Je trouverai toujours un moyen pour venir te voir sans que tu ne crées un nouveau scandale dans la caserne. »
Une main douce se posa sur l’avant-bras de Tasyaen, comme si la vieille tenait encore à maintenir ce contact, par peur qu’il ne s’envole. C’était un amour profond qui liait cette famille qui n’était que d’apparence mondaine. Il était bien possible contrairement à bien des noms d’entretenir des relations saines au milieu de la noblesse.
« Allez va t’installer en attendant que Yellana finisse par nous rejoindre, exigea l’hôte en tapotant le bras de son fils. »
À regret, il se détacha pour reculer de quelques pas, ses oreilles se dressant au-dessus de son crâne, un sourire amusé venant délicatement étirer ses lèvres. Il pouvait déjà entendre les pas de course qui se diriger vers eux.
« Je pense que nous n’aurons pas besoin de patienter encore bien longtemps. »
J’étais déjà à la capitale lorsque j’ai reçu cette lettre qui m’a incitée à rejoindre la maison familiale. Malheureusement, l’administratif à la guilde à la fin de cette quête m’a pris bien plus de temps que prévu, me tenant la jambe un nombre d’heures incalculables. Ce qui ne m’a, bien sûr, pas empêchée de rester polie et souriante envers ces personnes. Une fois les corvées faites, il ne me restait plus qu’à parcourir la ville en courant. Heureusement, c’est quelque chose auquel je suis habituée et qui est d’ailleurs facilité avec mon hybridation. Il me faut quand même un bon moment avant d’enfin ouvrir la porte, marchant vite à travers les pièces où j’entends les éclats de voix. Etonnamment, ils ont l’air plutôt joyeux. En cette situation, je ne suis pas sûre de bien comprendre, mais… Je finis par passer le seuil de la porte. Je m’arrête juste devant celle-ci et les observe. Malgré la fraîcheur de la saison, ils pourront aisément remarquer les quelques gouttes d’eau perler sur mon visage et ma tenue, montrant mon empressement pour les rejoindre.
– Maman ! Tasya !
Mes yeux passent de l’un à l’autre avec un petit air d’incompréhension sur mon visage, sans que je ne puisse empêcher un sourire passer sur mes lèvres. Même si la situation n’est pas la meilleure, les voir me fait toujours autant plaisir, et j’avais après tout déjà prévu de passer les voir dans les prochains jours.
– Papa va mieux ?
Le grand sourire que maman m’adresse me rassure beaucoup. Il va mieux. En si peu de temps, ce qui peut paraître surprenant, mais je ne me pose pas plus de questions. Mon stress maintenant calmé, je reprends ma marche et me rapproche d’eux, passant un bras dans le dos de chacun d’entre eux. C’est à ce moment-là qu’elle me murmure ces quelques mots.
– Ne t’inquiète pas, il ne s’est jamais senti mal.
A cet instant, je me suis éloignée de mon frère et maman, les observant avec surprise. A cela s’ajoute aussi le fait que je me rends compte d’à quel point les serrer contre moi n’est peut être pas la meilleure idée, humide comme je suis.
– Vraiment ?
Je soupire de soulagement une nouvelle fois, avant de croiser les bras et de l’observer un instant.
– J’avais de toute façon prévu de venir dans le coin ces jours-ci, mais… Avoir la possibilité de vous voir tous les deux en même temps me ravit.
J’aurais bien voulu garder un ton de reproche à leur propos mais j’en suis incapable, et ils le savent bien.
– Je ferai bien d’aller me changer avant d’attraper froid. D’ailleurs, où est papa ?
S’il est à la maison, je devrai le savoir bien vite. Alors, joueuse, je les abandonne dans le salon pour passer à l’étage. Dans la chambre, la salle de bains, fait-il semblant en attendant que l’on soit au courant ? A moins qu’il ne soit sorti. Peu importe, je m’amuse à ouvrir toutes les pièces, m’arrêtant au passage quelques minutes dans la salle de bains pour mettre ma tenue à étendre, me sécher, et changer de vêtements.
Tasyaen déposa un baiser sur le front de sa mère avant de se diriger vers la porte pour rejoindre sa sœur à l’étage. Grimpant deux par deux les marches du manoir, il souhaitait davantage s’assurer du bien-être de la cadette. S’arrêtant devant celle de la salle d’eau, il resta sur le pas de la porte, s’adossant au mur, les bras croisés. Les bruissements du tissu firent tiquer ses oreilles à plusieurs reprises, et il attendit patiemment que Yellana termine de se préparer en toute intimité.
« Papa est en voyage d’affaires, souligna le garde en regardant face à lui. Maman s’est juste amusée à nous faire une blague pour qu’on revienne à la maison. »
Ses orbes pourpre redessinèrent les courbes en bois qui s’étendaient jusqu’au plafond. Il souhaitait principalement s’assurer que sa jeune sœur soit bien revenue de sa quête sans accroc. Le félin ne perçut par ailleurs aucune odeur métallique semblable à celle du sang, ce qui le rassura. Il comprenait la détresse de sa vieille mère quand il y repensait, ses deux enfants menant une vie aussi attrayante que dangereuse, et au final ils n’avaient que peu de temps à consacrer au domicile familial, délaissant parfois ce qui était réellement important.
Le félin pencha la tête sur le côté afin de faire craquer sa nuque, puis lorsque la silhouette de sa sœur apparut à ses côtés, un mince sourire étira ses lèvres. Au final, il ne regrettait pas tant d’avoir dû abandonner ses devoirs pour une journée. Un bras s’enroula autour des épaules de l’hybride et il l’enlaça d’une étreinte bienveillante, inspirant longuement.
« Ça fait du bien de te voir sœurette. »
Sa main se glissa dans la chevelure blanche, puis il l’incita à la suivre à travers la demeure pour rejoindre le salon. Loin d’être très bavard, Tasyaen se contenta d’observer le visage de sa sœur en relevant ses mèches. Yellana avait toujours été la plus pétillante des deux, offrant à la famille Orenffield un foyer aussi chaleureux que joyeux, et ce malgré les nombreux désaccords qu’ils avaient pu rencontrer au cours de leur enfance.
Lorsqu’ils descendirent, et que Yell s’arrêta au milieu du salon où un buffet les attendait, fumant d’une douce odeur d’épices, le félin se glissa derrière elle pour l’entourer de ses bras, déposant son menton sur son épaule. Les servants de la maison se dépêchaient de tout mettre en place afin que les maîtres de maison puissent enfin prendre place. Sans relâcher son étreinte, Tasyaen releva une œillade blasée en direction de sa mère qui les attendait patiemment, assise.
« Tu n’étais pas obligée de faire tout ça pour un simple repas de famille. »
Il secoua brièvement son crâne en se redressant, incitant la cadette à s’installer à sa place, avant de prendre lui-même la sienne. Durant ce temps, il retira les gaines en cuir qui tenaient ses mains, puis les laissa sur le meuble le plus proche. Encore un peu, et à chaque retour de ses enfants, dame Orenffield aurait été capable de monter un banquet pour rappeler à la ville entière qu’ils existaient. Cette simple constatation fit soupirer le félin de dépit qui attendit devant son assiette.
« D’ailleurs, commença-t-il pensif. J’ai croisé Aurianne il y a peu. Elle fait ses débuts dans la haute, et c’est assez étonnant de la voir sans son père à ses côtés. Elle a hâte de te revoir, Yell. »
Il se garda bien de dire qu’il l’avait croisée au détour d’une enquête toujours en cours, c’était un sujet encore sensible qui aurait lancé sur lui une inquiétude inutile.
Elle doit surtout être bien occupée, ses obligations étant bien différentes des miennes où, globalement, je peux faire un peu ce que je veux quand ça me chante. Les revenus suivent juste en fonction des tâches accomplies, ce n’est donc pas toujours gagné d’avance. Cela doit tout de même faire plus d’un an que je n’ai pas eu l’occasion de la croiser. Après tout, quand je passe à la capitale, je priorise toujours ma famille au reste de mes proches. Même si certains pourraient comprendre, ils doivent penser que je les oublie…
– Je compte rester encore quelques jours dans les parages.
J’ai prononcé ces mots en observant maman avec un grand sourire. Elle a l’air radieuse, visiblement contente de cette nouvelle. Après tout, à chaque fois que je passe, je tente de faire en sorte de rester un peu plus longtemps, notamment pour passer un tour dans le domaine familial et faire le plein de toute cette bonne énergie.
– J’espère que cela me laissera l’occasion de voir papa, et je tenterai d’en profiter pour passer voir Aurianne. Il y a aussi quelques autres personnes que je serais ravie de revoir…
En espérant que l’occasion se présente et que son emploi du temps ne soit pas trop chargé. Après, si ce ne sont que quelques minutes, c’est toujours ça de gagné, et elle pourra voir que je pense toujours à elle même si nous sommes rarement proches. Après tout, quand Tasyaen n’était pas là, c’est avec elle que j’ai passé le plus clair de mon temps dans nos jeunes âges. Même si notre éducation était différente, c’était peut-être ça qui nous rapprochait, à trouver du réconfort dans cette proximité qui est restée avec le temps.
Mon regard fixe alors mon frère un long moment alors que nous commençons à attraper les fourchettes, et à attaquer… ces assiettes immenses. Aurait-elle oublié que je ne suis pas une grosse mangeuse et que je risque de me forcer pour tenter de faire honneur aux domestiques qui ont pris tant de temps à préparer tous ces mets ? En tout cas, l’odeur donne envie.
Après s’être regardés dans le blanc des yeux un moment devant nos plats, nous entamons finalement ces assiettes. Le met n’a rien à voir avec ce que je mange habituellement, le tout étant bien plus sophistiqué. Pas forcément lourd, mais tout est fait pour le plaisir des papilles.
– C’est vraiment délicieux. Même s’il semblerait que tu aies oublié que je ne suis pas une grande mangeuse, j’aurais presque envie de tout avaler. Au moins de tout goûter. Oh ! S’il en reste, ce serait dommage de gâcher, on pourrait en emporter une partie et… la distribuer ?
Aux pauvres, à ceux qui n’ont pas de quoi manger. Sauf que ce repas, même s’il m’est servi, ne m’appartient pas vraiment. Et je ne me verrai pas tout embarquer comme une voleuse pour aller offrir le surplus à des inconnus. Enfin, si elle refuse, je pourrai peut-être envisager cette option.
« Pense aussi à toi, je sais que manger n’est pas ton fort, mais avec l’exercice que tu fais, faut que t’aies l’énergie nécessaire. Mais si c’est ce que tu veux, autant qu’on le fasse ensemble. »
Posant ses mains sur ses cuisses, le félin finit par se redresser pour venir déposer un baiser sur le front de sa vieille mère qui l’accueillit d’un sourire aimant. Mais avant qu’il ne puisse échapper à sa prise, elle saisit sa main endurcie par les années d’entraînement. La génitrice fit de même avec son deuxième enfant, ne se détachant alors d’eux que lorsqu’elle éleva la voix.
« Je suis si fière de vous mes enfants.
- Je suis rien de plus que ce que vous m’avez appris à être, bougonna le garde en détournant la tête embarrassé. »
Peu friand des compliments, surtout après les années de honte qui s’étaient ajoutées à sa vie, Tasyaen préférait faire la sourde oreille. Cependant, en guide de reconnaissance, il posa sa paume chaude dans la nuque de sa mère. Une caresse aussi discrète que simple qu’il aimait offrir à ses proches. Il n’était pas rare que ce soit Yellana qui reçoive cette attention, d’ailleurs celle-ci reçut un regard brillant d’affection lorsque leurs regards se croisèrent.
« Profitons de cette journée pour passer du temps ensemble, ce soir je retourne à la caserne, reprit le félin en proposant son coude à sa cadette. Ça te laissera le temps de me raconter ce que tu deviens. »
Il présenta son autre bras à sa vieille mère qui déclina d’un bref mouvement de la tête comme si elle cherchait à les laisser un peu entre eux. Tasyaen lui lança un regard interloqué, mais ne put rien ajouter alors qu’ils étaient tous les deux fichus à la porte, qui s’était close à peine furent-ils sur son palier. Le félin enfourna ses mains dans ses poches en grommelant.
« Ça valait le coup de traverser le pays pour ça, j’arrive jamais à savoir ce qu’elle a derrière la tête. »
À ces mots, il attira sa jeune sœur à travers les ruelles des habitations pour déboucher sur la place commerçante qui s’était animée d’une foule compacte sur les bâtiments les plus populaires. Certains se bousculaient pour profiter des dernières braderies avant la fin de la saison froide, tandis que d’autres hurlaient au milieu de la rue pour faire profiter de ses nouveaux produits. Tasyaen n’avait jamais trop apprécié la Capitale pour cette raison, une activité commerciale qui poussait les plus petits à s’écraser face au marché florissant des plus grandes. Une superficialité épuisante qui montait les plus riches les uns contre les autres, pour un rendement aussi important que médiocre.
Le calme de la cité sylvestre avait l’avantage de profiter des bienfaits que la forêt offrait à sa population. Une simplicité alors presque ingénue poussait les habitants à se saluer plus familièrement sans s’encombrer d’un masque d’hypocrisie. Non pas que Tasyaen tenait tant en grippe la noblesse, mais quelque part si lui avait eu de la chance, il était clair que d’autres n’avaient pas eu cette chance, surtout maintenant qu’il repensait à l’homme qui partageait son dortoir. Quand bien même celui-ci était particulièrement agaçant, il ne pouvait pas lui reprocher l’enfance difficile qu’il avait vécue par le passé.
Sans s’en rendre compte, le félin s’était éloigné, écoutant à peine sa sœur. Il secoua la tête en grognant, ce n’était pas le moment de ressasser ses idées sombres, il était là pour profiter d’une belle journée en compagnie de Yellana, et non pas de ce stupide Aurel.
C’est vrai que tout est passé vite, c’était bien court. Dans mon cas, cela ne me dérange pas tant. Après tout, j’ai laissé toutes mes affaires sur place. Je compte bien y retourner le soir et y passer au moins la nuit. Reste à voir combien de temps je compte rester ici, mais seul l’avenir me le dire. C’est à la fois l’avantage et le désavantage d’être aventurière : on peut planifier son emploi du temps en fonction de nos besoins, mais parfois on peut se retrouver bien plus longtemps que prévu à l’écart de la civilisation. Enfin, quand on voit la place bruyante dans laquelle nous marchons, ce n’est pas un mal. Mes oreilles se retrouvent à se balancer sur ma tête un peu dans tous les sens, tentant de caper bien trop de conversations à mon goût.
– Tasya, on pourrait…
Mon regard se tourne vers mon frère alors que mon bras s’est échappé du sien. Il a l’air complètement à l’ouest. Est-ce qu’il fait au moins attention à l’endroit où il marche ? Ce n’est pas le moment de bousculer des enfants ou d’écraser quiconque passerait par là. Bougonnant, je reste à l’observer un instant sans rien dire de plus alors que la distance nous séparant ne fait qu’augmenter. Enfin, cela ne dure qu’un temps. Je pars assez rapidement et, en quelques foulées, me voilà à courir vers lui alors qu’il ne semble pas l’avoir remarqué. J’espère juste qu’il a un minimum de réflexes.
Me voilà à prendre mon élan et quitter le sol, les bras en avant, à la recherche de son cou. Mon corps vient se poser… Non, plutôt s’écraser contre son dos, alors que mes jambes et mes bras viennent l’encercler. Heureusement qu’il fait un pilier plutôt solide, sinon nous serions probablement tombés tous les deux en arrière. Même si j’ai réussi à le surprendre, ça n’aura probablement duré qu’un instant étant donné la vitesse à laquelle il m’a rattrapée.
– Tu sais bien que tu n’as pas à garder ce que tu penses. Si quelque chose te préoccupe, dis-le-moi. Et si je peux faire quelque chose pour t’aider, tu sais bien que tu n’as pas à me le demander.
Je le ferai quoiqu’il s’agisse selon ce qui est dans mes capacités. passants nous regardent avec surprise, est-ce si peu courant que des personnes agissent de cette manière dans un lieu public ? C’est visiblement le cas pour des enfants.
– Allons dans un endroit plus calme, la capitale est un peu trop bruyante pour nos oreilles.
Je repose alors mes pieds au sol, attrapant sa main sans lui laisser le temps de refuser ou rouspéter, l’entrainant dans une direction autre que celle que l’on prenait. Plus loin, sur notre droite, je sais que la rivière passe et il sera un peu plus aisé d’y trouver un endroit au calme au bord de l’eau. De quoi pouvoir discuter sans être trop entendus. A moins d’avoir notre ouïe.
À peine fut-il proche de l’eau qu’il se laissa tomber sur l’herbe, s’allongeant entre ses brins, les bras croisés derrière le crâne. Ses pupilles fendues se dirigèrent vers la cadette avant qu’il ne repose son regard vers le ciel.
« C’est vrai que j’ai pris la décision de partir de la Capitale, mais je me rends compte que je me suis également éloigné de vous. Je ne t’ai pas vue grandir. Je ne t’ai pas vue faire tes débuts à la Guilde. »
Le félin ferma les yeux, ce n’était qu’à moitié un mensonge pour détourner l’attention de Yellana. Il était vrai que s’il avait pris le loisir de déployer ses ailes en quittant le domicile familial, et il avait également laissé des regrets. Il approcha délicatement ses doigts des mèches immaculées de sa sœur, les effleurant d’une douce caresse. Puis les écarta pour dévoiler le visage de poupée.
« Je n’ai même pas pu me rendre compte d’à quel point tu étais devenue si jolie. »
Tasyaen avait quitté la Capitale si jeune pour ne presque jamais revenir, laissant derrière lui parfois des cœurs brisés. Sans pour autant oublier le regard brillant de Yellana lorsqu’il avait pris la route pour le Nord, il savait aussi qu’il avait fait le choix de son bonheur. Il poussa un profond soupir, puis attira l’aventurière dans une nouvelle étreinte, l’incitant à s’allonger avec lui.
« Je vais voir pour passer une journée de plus à la Capitale. Le régiment devrait réussir à se passer de moi sans qu’ils ne mettent le feu aux arbres. »
Un léger sourire en coin étira la commissure de ses lèvres après sa boutade. Il ne savait pas quand il reviendrait, ni même quand Yellana cesserait de courir aux quatre coins du pays. Les longues expéditions de Primaël avaient été source de disputes interminables, mais il pouvait comprendre que les obligations étaient nécessaires.
Curieux d’imaginer sa sœur sur le terrain, il se demanda un bref instant à quel point celle-ci maîtrisait ses arts martiaux. Leur père avait toujours aussi intransigeant pour chacun d’eux lorsqu’il s’agissait de tenir une épée. Ce devait être la raison pour laquelle il n’en portait jamais et préférait comme arme le poids de ses poings.
Il glissa ses doigts contre le crâne de sa sœur pour lui offrir de légères gratouilles. Un vague souvenir d’enfants alors qu’ils étaient presque inséparables durant leurs jeunes âges, Tasyaen lui portant un amour transi qui l’avait poussé à la protéger outre mesure. Tout comme il avait aimé lui faire des farces aussi immatures que stupides. À peine cette idée effleura son esprit qu’il finit par se lever en soulevant l’hybride pour la poser comme un sac à patates sur son épaule.
« Dis-moi, ça fait un moment que je t’ai pas vue. Il va falloir que tu me montres à quel point tu as su t’améliorer. Ce serait bête que tu rouilles par manque d’entraînement. »
À peine eût-il terminé sa phrase, qu’il envoya Yellana valdinguer à travers dans la rivière. L’eau était certainement bien froide, mais il n’y avait que peu de courant, donc il savait qu’elle ne risquait rien.
– Je continue de m’entraîner, mais tu dois bien te douter que m’attaquer à des créatures innocentes ou attenter à la vie n’est pas ce qui m’intéresse le plus.
C’est peut-être la raison pour laquelle une bonne partie choisit de devenir aventurier et encore, je ne connais pas leurs motivations pour la plupart. Mais il y a tout de même moins dangereux pour gagner de l’argent. En tout cas, tant que j’arrive à me défendre et à réussir à rendre l’adversaire incapable de pouvoir blesser quiconque, cela me suffit. Même si, malheureusement, on ne peut pas toujours en rester là.
Nous sortons alors de l’eau froide et, je l’observe un instant.
– Tu souhaitais me tester à mains nues ? Tu sais bien que ce n’est pas ce qui me va le mieux.
Je ricane un peu. Même si je suis naturellement un peu plus forte que la moyenne, ce n’est pas ce que je préfère utiliser. Mon agilité et ma souplesse me conviennent bien mieux. Ou un bon coup de bouclier pour assommer. Sauf que là, nous n’avons aucun autre équipement que notre tenue et quelques broutilles au fond des poches. Alors, pendant un instant, je l’observe avec une pointe de défi dans le regard, positionnant mes mains sur mes hanches.
– Qu’est-ce que tu dis de ça ? Tu peux tenter de m’attraper avant que je n’arrive à la maison.
Ce qu’il y a à gagner ? Rien, si ce n’est la notion d’avoir vaincu, finalement, mais ce doit être bien suffisant. Ce n’est probablement pas ce qu’il avait en tête, mais au moins, cela nous donne un objectif tout en nous rapprochant de la maison où nous pourrons nous réchauffer. J’attends son approbation, avant de partir dans la direction opposée à la sienne. Si je suis endurante, la vitesse n’est pas mon fort sur de longues distances. Mes oreilles tentent de rester concentrées sur les moindres faits et gestes de Tasya alors que je me suis mise à courir, esquivant les passants dans les ruelles qui nous observent interloqués.
Sautant d’une maison à l’autre, ça lui permettait de garder un œil sur la propre course de sa sœur. Tasyaen était formé pour la vitesse, et si vivre dans les montagnes lui avait appris l’endurance, il était incapable de combiner les deux simultanément. Seulement, son attention fut attirée par un mouvement à sa droite. Il se laissa glisser sur la pente du toit, se raccrochant au mur d’en face après avoir sauté, puis atterrit les deux pieds au sol. Ses oreilles remuèrent tandis que sa queue battait furieusement dans son dos.
Il fit craquer sa nuque à l’aide de sa main en poussant un léger grognement à travers sa gorge. Se mettant en travers du chemin de sa jeune sœur. Il saisit son poignet d’un geste sec pour la placer derrière son dos. Ses cheveux s’étaient hérissés dans sa nuque alors qu’il voûtait son dos, tel un chat prêt à bondir.
« Yell… Des hommes te suivent, souffla-t-il dans un grondement rauque. T’as fait quelque chose de spécial durant ta dernière quête ? »
Bien que n’apparaissant pas immense, Tasyaen semblait être devenu un mur infranchissable devant sa sœur. Son regard vogua d’une ruelle à l’autre, ses oreilles tiquant à chaque bruit pour repérer celui qui l’intéressait. Lorsqu’un visage se dévoila à lui, d’une rapidité foudroyante, le félin le saisit sous le cou, lui laissant à peine de quoi respirer.
Une colère aussi sourde que froide pulsait dans les veines du garde alors qu’il baissa ses rubis sur la silhouette de l’homme qu’il tenait.
« Qu’est-ce que vous voulez ? Réponds vite avant que je te brise la nuque. »
Si Tasyaen ne tenait pas autant à son rôle dans la garde, il aurait probablement mis ses menaces à exécution. Le simple fait que l’on puisse attenter à sa précieuse Yellana l’avait aveuglé d’une rage dangereuse. La pression autour du cou se raffermit, privant totalement son prisonnier d’air alors qu’il tardait à répondre.
« Il ne te reste que deux minutes avant que le manque d’air ne te fasse sombrer, je te conseille donc de me répondre sur le champ. »
Il eût beau se débattre, griffant la peau du félin, celui-ci ne bougea pas d’un poil, la puissance de ses bras ressemblant à l’étreinte mortelle d’un serpent. Voyant qu’il n’en tirerait rien, il le laissa s’étouffer jusqu’à ce qu’il cesse de bouger. Il le laissa alors retomber inerte, inconscient mais vivant.
« J’en ai vu d’autres, je ne pourrais pas dire leur nombre. Tu en as entendu combien sur ton chemin ? »
Il saisit l’hybride par les épaules en lui lançant un regard reflétant son sérieux. Mais la question qui le taraudait surtout était de savoir qui étaient ces hommes.
– J’en ai entendu deux autres.
En remarquant que l’un des leurs s’est fait si vite attraper, peut-être se sont-ils stoppés ? A moins qu’ils ne soient encore dans le coin et que l’on ne puisse pas les entendre pour une raison inconnue. La raison la plus probable serait la première, mais…
– Ma quête n’avait rien de particulier. Je n’ai fait qu’escorter un marchand, et mis à part les broutilles habituelles que l’on peut rencontrer, tout s’est plutôt bien passé. Je n’ai même jamais vu cet homme.
Je grimace en le disant. C’est la quête ou le service rendu en même temps qui serait mis en cause ? J’ai ma petite idée à ce sujet, mais… Cet homme a une odeur qui me rappelle vaguement un lieu dans lequel je me suis rendue récemment. Le problème, c’est que s’ils ont réussi à me suivre jusqu’ici sans que je ne les repère, rester discrets là maintenant risque d’être complexe.
Je me rapproche alors de mon frère pour murmurer tout bas, pour que lui seul ne m’entende malgré des capacités d’écoute améliorées.
– A côté de la quête, j’ai livré une plante thérapeutique très rare en même temps. On m’avait demandé de ne pas être suivie pour je ne sais quelle raison, mais probablement pour que le destinataire ne soit pas connu de ces gens-là.
A moins que ce ne soit une plante interdite ? Il en existe, au moins ? Aucune idée, je n’ai pas plus d’informations à son sujet. Tout ce dont je me rappelle, c’est qu’ils semblent venir de l’endroit où j’ai moi-même récupéré la plante. Un trafic-vol lié à tout cela ? Dans quoi ai-je encore mis les pieds… Le mieux, ce serait de réussir à disparaitre de leurs radars ou simplement de les arrêter… Mais, est-ce qu’ils ne sont que tous les trois ? J’en doute, mais cela peut se tenter.
Mes oreilles gigotent vers l’arrière de mon crâne alors que celles de Tasya font probablement la même chose. Quelqu’un approche. J’attrape l’homme sol pour le hisser sur mon épaule. Heureusement que celui-ci est assez mince, mais il me ralentira probablement. J’attrape alors le poignet de mon frère pour le pousser dans une direction.
– Viens, je connais quelqu’un par ici, on pourra se cacher chez elle un moment. Pour l’interroger ou au moins réfléchir.
Je le guide alors parmi de petites ruelles sombres, où il sera probablement plus difficile de nous retrouver, jusqu’au moment où j’ouvre une porte sans même toquer pour me diriger vers la cave sous le regard interloqué de mon amie. De ma main libre, je pose un doigt sur mes lèvres pour lui faire signe de se taire et nous descendons les quelques marches où je peux reposer l’homme au sol.
Maria nous rejoint avec une bougie et fermant la trappe au passage.
– On devrait pouvoir être tranquilles un moment. Désolés de débarquer ainsi Maria, urgence oblige… Je t’expliquerai, mais il faut d’abord régler le problème de celui-ci.
« Yell ! Si ta première réaction est de te cacher au moindre écart, c’est normal que ça finisse ainsi ! Gronda-t-il son regard ne laissant transparaître qu’une colère froide. C’est pas possible ! »
Le félin relâcha son emprise pour se passer une main irritée sur le visage, puis extériorisa sa colère en soupirant longuement par le nez. Visiblement Yellana était elle aussi capable de se mettre dans des situations embarrassantes qui méritaient d’être revues. Avant qu’elle ne s’approche, le garde l’arrêta d’un mouvement de la main, il lui fallait le temps de réfléchir à leur problème. Prenant vite note des éléments qu’elle lui avait donnés plus tôt, il se rapprocha d’elle en quelques pas.
« Bien, nous allons discuter ici en sécurité mais après tu me feras le plaisir de faire une déposition en bonne et due forme à la garde. »
Maria leur apporta des assises, ce à quoi, le félin répondit d’un bref mouvement de la tête pour la remercier. Il s’y laissa tomber lourdement, ses orbes rougeoyants se mettant à luire faiblement avec le peu d’éclairage que procuraient les lieux. La colère alors pas totalement retombée, la queue de Tasyaen battait furieusement dans son dos comme incontrôlable. Puis, incapable de le contrôler, il poussa un profond râle de dépit en rejetant la tête en arrière. Puis il tourna le visage vers la jeune femme qui les avait accueillis, lui offrant un sourire fatigué. Cette situation aussi irritante soit-elle, elle leur offrait une cachette le temps qu’ils prennent le temps de remettre en place ces événements. Finalement, il se releva, saisissant le col de l’homme inconscient pour le détailler avec attention. Si le commanditaire de Yellana tenait tant à sa discrétion, c’est qu’il devait dissimuler quelque chose d’important.
Le félin l’attacha avec ce qu’il trouva à disposition, avant de se rasseoir en croisant les bras.
« Il reste plus qu’à attendre qu’il se réveille. Donc maintenant Yell, j’aimerais que tu m’expliques en détail cette histoire. Qui était ton commanditaire ? Son nom, sa profession. Je veux tout savoir. Même ce qui te semble insignifiant. »
Le félin croisa ses jambes en attendant qu’elle lui réponde avant que leur poursuivant ne se réveille en hurlant. Le faisant sursauter et rabattre douloureusement ses oreilles sur son crâne. La panique se lisait dans son regard alors qu’il tournait la tête dans tous les sens, désorienté.
« J’suis où ? Qu’est-ce que vous me voulez ? LA GARDE ! OÙ EST LA GARDE ? Je suis retenu prisonnier ! Hiiiii ! »
Assez étonnant comme réaction, Tasyaen arqua un sourcil puis se leva en venant lui présenter sa plaque sous le nez, s’accroupissant face à lui.
« En personne. Même si j’admets que ça ne ressemble pas à mes méthodes d’ordinaire, soupira-t-il faiblement. Maintenant, calmez-vous, nous allons simplement discuter.
- O-oui… Tout ce que vous voudrez ! Mais ne me faîtes pas de mal ! »
Le félin leva les yeux au ciel. Cet homme était loin de représenter un danger. Ou tout du moins il devait être un très bon acteur. Il déposa une main sur son épaule, lui lançant un regard rassurant pour être certain qu’il ne lui fasse pas une crise de panique ingérable.
« Je vais vous détacher. Mais pour ça, j’ai besoin de connaître les raisons pour lesquelles vous suiviez la charmante demoiselle à mes côtés. »
Il désigna sa jeune sœur d’un mouvement du menton, et lorsqu’il porta son regard sur elle, son regard se durcit et il remua durement sur sa chaise. Tasyaen mit un peu plus de force dans sa main pour le forcer à se calmer. Au moins, il ne cachait pas son animosité envers l’hybride. Au bout de quelques secondes enfin, il réussit à récupérer l’attention de leur captif.
« C’est elle ! C’est elle l’assassin ! Il faut l’emmener à la garde ! »
Le félin se redressa avant de planter son regard dans les yeux de Yellana puis de revenir sur celui de l’homme, vraisemblablement confus. Il secoua brièvement son crâne.
« Je pense que vous faîtes erreur. Yell ne ferait même pas de mal à une mouche.
- Y a pas d’erreur possible ! C’est elle qui l’a vu en dernier vivant ! C’est sa faute. »
– Je n’ai pas son nom complet. Mon commanditaire s’appelle Stan, il ne s’est pas épanché sur sa profession. Je l’ai croisé à la sortie de Grand Port, il avait l’air embêté alors j’ai proposé de l’aider… Il m’a demandé de livrer pour lui un sachet contenant des plantes dont je n’avais jamais senti l’odeur par le passé, car il n’aurait pas été capable de traverser la région seul. Sa soi-disant cargaison étant très importante, il avait peur que quelqu’un soit au courant, donc il valait mieux tenter de garder ça secret le plus possible. Bref, le tout était de livrer les plantes à un homme du nom de Rolland, alchimiste, près d’un très grand arbre au nord-est de la capitale, un lieu assez excentré. Et l’homme que nous avons avec nous a une odeur très similaire à celle sentie sur l’alchimiste, sauf qu’il ne s’agit pas de lui…
Est-ce qu’ils se connaissent ? Ou est-il passé dans sa boutique à un moment ou un autre ? A moins que les plantes fournies auraient dû lui revenir après la conception du remède ? Je n’en ai aucune idée. En attendant, on n’a pas le temps de réfléchir plus longtemps puisque l’inconnu se réveille complètement paniqué. Je l’observe en laissant Tasya gérer la chose, les bras croisés sous ma poitrine. Au moins, il va peut-être pouvoir nous renseigner sur les raisons de son comportement.
Un de mes sourcils se hausse en entendant ses propos. Hein ? J’ai bien entendu ?
– Moi ? Assassiner quelqu’un ? Mais, de qui parlez-vous ?
Le commanditaire ou la personne à qui j’ai livré ? Ou, les deux peut-être ? En tous cas, son regard n’a rien d’agréable et se remettre en question n’a pas l’air à l’ordre du jour pour lui. Je soupire une nouvelle fois et commence à me rapprocher alors qu’il a visiblement peur de ce que je pourrai faire. Comme il est assis, tout ce que je fais c’est m’accroupir face à lui et le fixer. Non pas intensément, plus pour le rassurer, d’autant plus que dans cette position je ne risque pas de faire grand-chose…
– Détendez-vous, nous ne sommes pas là pour vous tuer. Et si vous nous aidiez à découvrir ce qui se cache derrière cette histoire ? Répondez donc à ma question. Qui est mort et quand ?
Il déglutit, lançant un regard inquiet à mon frère pour observer ses yeux insistants avant de se retourner vers moi qui n’ai pas bougé, patiente.
– Rolland. Ce matin, juste avant l’aube. Chez lui…
– Et quand l’avez-vous trouvé ? Vous étiez là ?
– Non…Non ! En fin de matinée, il y avait de la fourrure vous appartenant sur place et quelqu’un vous aurait vue entrer aussi tôt ce matin… C’est lui qui a découvert le corps !
Et lui, ils ne l’ont pas interrogé plus ?
– Vous êtes donc en train de me dire que la personne à qui j’ai livré les plantes n’était pas Rolland ? C’est bien ça ?
Ses yeux s’écarquillent face à cette question, alors que ma mâchoire se crispe face à cette révélation. Il a l'air au courant pour les plantes…
– Qu’est-ce que vous voulez dire ?
– Je n’ai aucune idée de l’endroit où travaille Rolland, et l’aube était déjà passée quand l’heure du rendez-vous est arrivée.
Nous avons donc quelqu’un qui se balade avec les plantes rares dont on ne connait pas l’utilisation et un homme mort… Un coup monté ? Et Stan, dans tout ça, est-il réellement resté à Grand Port ? Aaah… La main posée sur mon front, je finis par me redresser et m’éloigner de cet homme. Rien ne va dans cette histoire.
– Et, le témoin ? On peut le retrouver ? Où est-ce qu'il vi…vait ?
« Ce que je ne saisis pas, c’est pourquoi n’êtes-vous pas allés directement faire une déposition à un poste de gardes ? Dans l’état des choses, vous êtes en tort. Actuellement, ce n’est qu’un règlement de compte. De ce que je constate, vous ne vouliez juste pas que quelque chose ne soit pas découvert.»
Cette histoire n’était pas claire, et le fait qu’il ait refusé de faire appel à des services compétents prouvait que la victime avait des choses à se reprocher. Seulement, ce n’était pas le rôle de Tasyaen. Pas en ce jour, et surtout pas à la Capitale. Il ne pouvait pas se permettre d’émettre d’hypothèse. Et ce même si ça impliquait sa sœur. Surtout si ça impliquait sa sœur. D’un geste de la main, presque tendre, le félin l’accompagna à la surface.
Il salua d’un mouvement de la main la jeune femme qui les avait accueillis puis tendit sa paume vers Yellana pour qu’elle les accompagne. Son visage s’arma d’un sourire bienveillant pour la rassurer.
«On va remettre ça aux mains de la garde civile, ce sera vite réglé, assura-t-il en glissant une main sur son épaule. Mais la prochaine fois, fais en sorte à ce que ton réflexe ne soit pas d’aller te cacher. C’est suspicieux. »
Le garde se dirigea entre les rues de la cité, observant que l’homme ne tente pas de fuir, ce qui le rendrait d’autant plus suspicieux. Cette histoire semblait déjà être un enchevêtrement de problèmes tous plus compliqués les uns que les autres. Il jeta un léger coup d’œil en direction de la jeune femme, les orbes noirs s’étrécissant dans la prunelle écarlate. Le félin l’attira par l’épaule dans une chaude étreinte pour la rassurer. Il n’avait peut-être pas les mots sur le moment, mais ce n’était pas pour autant qu’il ne serait pas présent pour elle.
Il avait totalement confiance en sa déclaration, malheureusement, son cœur au sein de la garde l’obligeait à agir en conséquence.
Lorsqu’ils pénétrèrent dans le premier poste, Tasyaen les laissa en arrière pour expliquer la situation. À cheval sur les détails, il n’omit aucun passage, retraçant avec soin chaque élément de leur rencontre, allant même jusqu’à admettre son élan de rage. L’homme protesta à plusieurs reprises pour contredire certains, faits, mais fut rapidement dissuadé par le regard sévère du félin.
« Tu veux que l’enquête avance et qu’on trouve le véritable coupable ? Alors contente-toi de me laisser parler, soupira-t-il agacé.
- Je reste persuadé que c’est l’autre hybride qui en est à l’origine.
- Et son discours prouve le contraire. Alors laisse les autorités compétentes se charger du reste. »
Le dossier remis entre les bonnes mains, le garde regrettait tout de même de ne pas pouvoir y participer et de blanchir Yellana. Mais il savait également que ce serait plus vite réglé s’il ne venait pas y ficher son nez. Non pas qu’il était un mauvais enquêteur, mais il aurait cherché le moindre détail pour innocenter sa sœur, faisant perdre son temps aux gardes assignés à cette tâche.
Dans les couloirs du bâtiment, il attendit patiemment que l’hybride termine de faire sa propre déposition. Il ferma les yeux, faisant taper son crâne plusieurs fois contre le mur pour combler l’impatience qu’il ressentait. Lorsque la porte s’ouvrit, il se précipita à sa suite puis poussa un profond soupir de soulagement alors qu’il rencontra le regard de l’inspecteur qui lui signala que tout était bon pour le moment. Cependant, l’enquête toujours en cours, Yellana devrait revenir lorsque de nouvelles questions se poseraient. Mais pour aujourd’hui, ils en avaient fini.
Le félin glissa un bras autour des épaules de la jeune femme en grommelant alors qu’ils retournaient à leur domicile.
« Tu parles d’une journée… Maman va nous passer un savon, on va pas l’oublier celui-ci… »