Au fin fond de cette forêt, le silence régnait en maître. La faune encore endormie, seul le bruissement des feuilles venait accompagner les heurts de ses armes contre l'écorce. Peu de temps après, le gazouillement des oisillons venait s'y mêler, et s'ensuivit du chant plus mélodieux des adultes. L'aventurier novice s'en alla se reposer contre un rocher à proximité, profiter de cette harmonie.
Bercer par cet agréable orchestre, le jeune homme commençait à somnoler. Commencer, en effet, ce moment de calme ne dura pas longtemps : une voix s'éleva brusquement au loin, un appel à l'aide. Secoué, Volt se releva brutalement, tendit l'oreille pour en identifier la provenance, rassembla ses affaires et se précipita à son secours.
À bout de souffle, il finit par rejoindre une clairière parcourue par un sommaire chemin de terre. Au sol, étaient étendues de nombreuses marchandises aux côtés d'une charrette partiellement détruite. À quelques pas du véhicule, face contre terre, les mains recouvrant le haut de son crâne, un homme se faisait piétiner. Sans relâche, les coups de son agresseur étaient de plus en plus violents. Volt était perturbé par la scène qui lui était présentée, non seulement par l'impitoyable violence de cette dernière, mais aussi par ce sourire des plus perturbants dessiné sur le visage de l'assaillant.
Sans attendre une seconde de plus, il s'élance. Une rapide rotation du torse, il envoie son pied valser sur l'agresseur. Il esquive. De nouveaux sur ses appuis, l'aventurier se pencha vers la victime : elle était inconsciente.
— S'pèce de déchet ! C'quoi ton problème ?!
Des larmes commençaient à se former, à glisser sur ses joues. Il n'était pas effrayé, loin de là. Le jeune homme s'en voulait de n'être pas arrivé plus rapidement. Il essuya ses larmes, jeta un regard noir à son opposant avant de se remettre en position de combat. La garde haute, l'adolescent ne le quitta pas des yeux.
— J'vais te le faire pay-
Sa phrase inachevée, il se retrouve au sol, quelques mètres plus loin, en une fraction de seconde. Il releva difficilement la tête, la jambe de son adversaire était encore en l'air.
— Qu'est-ce que, c'quoi cette vitesse monstrueuse ?!
Le Sombre-Loup, chien de chasse de la Légion Noire, sciemment favorisé par son Maître dans le processus de clonage pour servir d’assassin, de traqueur, de pisteur ou de tirailleur. Avait-il reçu une mission précise ou était-il devenu incontrôlable, comme plusieurs de ses jumeaux au fil du temps ? Ce taré psychopathe avait la fâcheuse tendance à perdre la tête, prendre des initiatives insensées et se lancer dans des tueries imprévues. Malgré tout, le Maître laissait ses nombreux Sombre-Loup agir à leur guise… Peut-être que ces actes irréfléchis servaient tout de même ses intérêts, au final.
La petite auberge voisine avait connu un sort funeste : les membres du personnel - assassinés, les voyageurs de passage - éventrés. Seul un malheureux marchand avait eu le temps de prendre la fuite mais à son grand désarroi, le chemin de terre qu’il avait décidé d’emprunter, mal entretenu, n’avait pas épargné les roues de sa charrette : brisées par le chahut de sa fuite. Le cheval, paniqué, avait quitté les lieux en laissant seul le pauvre homme à terre, rapidement rattrapé par son agresseur pour être molesté à coup de geta. Sombre-Loup peinait à masquer son excitation, le visage déformé par un rictus d’amusement - qu’il était bon d’écraser les insectes.
Un intrus brisa cependant sa jubilation, le forçant à une rapide esquive sur le côté pour éviter un coup de pied, son long manteau suivant le mouvement avec un très léger retard. Oh, un petit héros en herbe - de quoi s'amuser bien plus que quelques citoyens perdus ! Il rendit sa frappe à l’arrivant, cognant prestement le buste de Volt du bois de sa sandale. Satisfait par le vol plané qu’avait subi le gamin, il redescendit lentement son pied - parfait sur ses équilibres.
L’Assassin jubilait en réalité, ravi d’avoir un adversaire armé à se mettre sous la dent - sa voix partant dans les aigus trahissant autant son dérangement que son excitation. Il s’approcha du marchand, dégainant en un éclair son katana pour planter le malheureux en plein ventre, frappant ensuite l’air pour projeter du sang en arc autour de lui, quelques gouttes venant s’attacher à l’aventurier qui s’interposait. De nombreux tics mettaient l’accent sur le dérangement mental du Sombre-Loup : oeil droit instable, main gauche prise de spasmes, sourire nerveux apparaissant et disparaissant très régulièrement.
Fier de lui, le meurtrier pouffa de rire, déposant son katana sur son épaule d’un air nonchalant. Il n’avait pas l’air prêt au combat mais si Volt avait la moindre base en affrontement régulier, il pouvait sentir de plein fouet l’aura meurtrière du samurai qui lui faisait face.
Son adversaire l'attendait, arborant un sourire grimaçant, troublant ; s'éclipsant par moments derrière des spasmes musculaires. Une expression qui semblait grandir à la vue de la détermination du jeune homme, une expression qui laissait transparaître son excitation, son impatience : expression réductrice plaçant Volt au rang de simple divertissement. Toutefois, était-il judicieux de sous-estimer l'aventurier ?
D'une frappe contre le sol, il s'élance. Une première volée de coups fait reculer son adversaire, qui parvient à parer ses frappes. Volt manque de peu une contre-attaque, reprend son équilibre, et rebondit de nouveau sur son opposant.
Après quelques assauts, les deux combattants se séparèrent. L'adolescent haletait, peinait à tenir sur ses jambes vacillantes : il n'avait jamais expérimenté un tel combat. À l'opposé, le samouraï était loin d'être à bout de souffle, prêt à repartir. L'aventurier novice avait à peine le temps de se reposer que son adversaire se dirige vers lui.
Leurs armes s'entrechoquent, les voilà repartis. Une ouverture brise la monotonie des échanges, parade sur parade, Volt parvient enfin à taillader son adversaire, du moins son habit.
Ils se séparent une nouvelle fois, heureux d'être parvenu à toucher son adversaire, l'aventurier novice retrouva un semblant d'espoir. Une vive douleur traversa soudainement sa jambe droite, qui de plus en plus lourde, finit par s'écrouler.
— Q-quand est-ce que...
Il essayait tant bien que mal de se redresser, sa cuisse ouverte en deux, il tenait difficilement debout. La jambe ensanglantée, la vision troublée, avait-il encore une chance de remporter ce combat, voire d'en ressortir vivant ? Aveuglé par une soif de vengeance, il n'était pas d'avis à prendre ses jambes à son cou. Le jeune homme souleva ses armes, avec peine, et esquissa un léger sourire.
— J'ai pas tout ton t-temps, ramènes-toi.
Sombre-Loup ne pouvait s’empêcher de maintenir un rictus déformé à intervalles non réguliers par ses troubles nerveux. Il aimait ce combat, il appréciait la combativité du jeune homme et l’affrontement l’excitait au plus haut point : jouant sur sa fibre sadique et violente à l’en faire trembler de plaisir. Le fracas des lames s’entrechoquant rythmait le combat, le Legion ne forçant guère sur ses capacités. Trop sûr de lui, il fut surpris lorsque la lame de son adversaire manqua de l’entailler. Forcé d’accélérer le rythme, il frappa l’aventurier pour le blesser au sang : la fatigue commençait déjà gagner l’éphèbe - il ne manquait pas de conviction mais sa technique, imparfaite, lui faisait faire des dizaines de mouvements inutiles à la minute. Si la motivation était du côté lumineux, l’écart technique restait un gouffre entre eux, un gouffre qu’il ne pourrait pas franchir aujourd’hui.
Portée par l’hystérie du psychopathe, sa voix partait dans d’étranges aigus - il passa aux choses sérieuses, déployant toute la technique inscrite dans ses gênes et son esprit : le seul véritable point commun des Legion, transcendant les différences infligées par les mutations. Il frappa, frappa et frappa encore, assaillant le jeune homme de tous les côtés sans le laisser respirer, n’appuyant jamais assez une frappe pour tuer mais ne ratant pas une occasion de le faire saigner un peu plus - il comptait le pousser à bout, le laisser s’effondrer sur le poids de sa propre rage, hargne et conviction : une victoire psychologique et humiliante.
Lorsqu’il décida que son adversaire était assez à bout de souffle, il porta le coup de grâce, tentant de lui balafrer largement le torse pour endommager les muscles présents et l’empêcher de lever les bras, de tenir son arme - lui faire comprendre qu’il avait perdu.
Impitoyables, qui plus est, les attaques de l'assassin semblaient interminables. Le corps parsemé de plaies, Volt ne parvenait plus à montrer ne serait-ce qu'un semblant de force : à vrai dire, il avait déjà dépassé ses limites depuis un bon moment. Irrité par la véracité des propos de son opposant, il ne voulait pas l'admettre, il ne voulait pas voir la vérité en face, il ne voulait s'avouer vaincu, il ne voulait absolument pas s'incliner face à cet énergumène.
Exténué, l'adolescent finit par lâcher prise sur cette dernière attaque. Il céda sous le poids de son propre corps et s'effondra. Infâme mélange de salive et de sang, la toux grasse du jeune homme entrecoupée d'une respiration effrayante dominait les environs.
L'aventurier novice n'était plus en état de se battre ; ses armes, qu'il empoignait fermement, reposaient à présent à ses côtés, tâchées de son propre sang. L'issue du combat était pourtant prévisible, toutefois ne pas tenir rigueur du vieil homme en détresse et passer son chemin ne répondait pas à ses principes. Principes, certes valeureux, dont il ne pouvait rendre compte une fois bafoués par cette humiliante défaite.
Des mots s'échappèrent de sa bouche, à peine audibles, secoués de sanglots.
— D-désolé... j-je suis désolé.
N'étant parvenu à le sauver, l'adolescent pleurait la mort du vieil homme. Et du peu de force restant, s'exprima à travers ses poings face au sol : son insoutenable frustration.
Sombre-Loup s’avança pour éloigner les armes de Volt de leur propriétaire d’un coup de pied, s’assurant d’être hors de danger. Dans un combat d’escrime pure, le jeune aventurier n’avait eu aucune chance face au maître samouraï. Pourtant, aussi détraqué que soit l’esprit du sabreur, les restes de son code d’honneur lui imposait certaines choses… Il traîna le corps du gros marchand jusqu’aux côtés du perdant, s’installant sur la couenne grasse du ventripotent pour se mettre à l’aise, croisant les doigts une fois son sabre rangé. Plus calme malgré ses tics persistants, il s’adressa à son adversaire.
Legion s'équipa d’une pipe récupérée dans sa besace qu’il commença à bourrer avec nonchalance, un fin sourire tremblant aux lèvres.
Cruelle leçon de vie que le maître samouraï avait décidé d’imposer à Volt, une décision impossible et horrible quel que soit son choix. L’instinct de survie était une chose formidable chez les êtres vivants - serait-elle aujourd’hui dépassé par l’altruisme du jeune homme ? Legion espérait sincèrement que non, il respectait bien plus la volonté de ce dernier que la vie d’un simple vendeur de tapis. Cependant, il respecterait sa parole qu’importe le choix de l’aventurier. Pensif, il tâchait de se remémorer la raison de sa venue ici : pas de témoins, lui avait-on dit. Au diable les ordres.
D'un mouvement las, le jeune homme bascula sa tête. Malgré ses capacités cognitives amoindries, Volt parvenait tout de même à saisir ce qu'il lui disait ; autant le sens des mots qui semblaient pourtant incompréhensibles à son oreille que la gravité de la situation. Une nouvelle fois, il se pinça les lèvres, posa les yeux sur le marchand agonisant, puis les leva vers son interlocuteur. De son regard affaibli se lisait un sentiment violent : une haine profonde, une aversion intense sans aucune limite.
Ses lèvres remuaient sans qu'un seul son ne parvienne à s'échapper de sa bouche, ne serait-ce que l'accroche et le décollement de la salive entre les parois buccales. Articuler semblait laborieux, pénible, toutefois un mot finit par se faire entendre.
— M-moi.
Son avenir ne tenait qu'à un mot, et le voici. Amère décision, néanmoins son adversaire avait raison : s'il voulait avoir une chance de pouvoir l'arrêter, c'était bel et bien en restant en vie.
L'adolescent souleva son bras avec peine, plaça sa main en l'air avant de la refermer au niveau du visage de son adversaire. L'acte symbolique achevé, il ferma les yeux et son bras retomba le long de son corps, inanimé.
Sombre Loup se para d’un funeste sourire. “La Vie !”, hurlait le peuple dans son crâne. Le jeune aventurier avait tranché et les dés étaient jetés. L’Assassin s’équipa de son arme courte, s’installa confortablement sur la bedaine du marchand et lui enfonça de toutes ses forces la lame dans le coeur, achevant la bête. Se redressant en tapotant le ventre sanguinolent de sa proie, il essuya ses armes rougies avant de les remettre au fourreau, satisfait. Techniquement, il n’y avait pas eu de témoins concernant le massacre de la taverne proche… Mais si Volt enquêtait dans le coin pour retrouver le Legion, il aurait une bonne surprise… Cette pensée fit sourire et frissonner Sombre-Loup. Son regard d’or s’arrêta sur le jeune homme au sol, il fouilla dans les affaires du marchand pour trouver de quoi lui préparer un bandage de fortune. Alors qu’il jouait au chirurgien amateur - visiblement habitué à devoir réparer des plaies - il souffla à l’inconscient.
Sa longue pipe expirant lentement une épaisse fumée alors qu’il remettait Volt en état de survivre au transport, il alla récupérer son cheval - une bête sans nom qu’il avait volé quelques jours plus tôt - un puissant étalon de guerre peu effrayé par l’odeur du sang dans la clairière.
Montant sur l’animal, chargeant les armes de l’aventurier et son corps sur la selle derrière lui, le samouraï se mit en route vers le village le plus proche. Une fois sur place, il laissa son adversaire aux bons soins du guérisseur local avec pour seule instruction : sauvez-lui la mise ou votre hameau sera rayé de la carte.