Caheera acquiesça d’un hochement de tête tout en finissant de dévorer sa part de clafoutis.
- Bien réjumé, opina-t-elle, la bouche pleine. Pas la michion la plus… Face à la moue amusée de son frère, elle s’interrompit le temps d’avaler ses dernières bouchées de gâteau, puis reprit plus distinctement : Pas la mission la plus palpitante qui soit, mais ça peut être sympa… Et surtout, c’était le prétexte idéal pour te rendre visite !
Lorsqu’elle avait entendu dire que la Garde recherchait des volontaires pour cette patrouille, quelques semaines plus tôt, elle avait aussitôt sauté sur l’occasion : certes, la mission ne promettait d’être ni très bien payée ni particulièrement passionnante… Mais cela lui permettait de voir son frère, qui habitait non loin des trois hameaux où avaient lieu les festivités, et ça, ça valait bien tous les arguments du monde. Elle lui offrit un large sourire avant de beurrer sa troisième tartine du petit-déjeuner.
- Et toi alors ? Tout va bien ? Raconte, comment ça s’passe ?
La jeune femme n’était arrivée que la veille, en toute fin de soirée, et elle s’était écroulée sur son lit aussitôt après avoir dessellé son cheval. Autant dire que leur conversation avait été brève… Keylan, qui était en train de se servir un bol de lait, esquissa un sourire.
- Je vais bien, vraiment. Le haras marche bien, les chevaux sont en bonne santé, les clients ont l’air satisfaits… Deux nouveaux poulains sont nés le mois dernier, je te les présenterai quand tu rentreras ce soir. Tu verras, l’un d’entre eux est déjà extraordinairement vif, il passe son temps à jouer avec les brins d’herbe et à poursuivre les papillons… En fait, il me fait un peu penser à toi – mais en moins fatiguant, bien sûr !
Le jeune homme évita de justesse le coup de coude que Caheera, faussement vexée, lui décochait, et s’apprêtait à reprendre la parole quand son regard se posa sur l’horloge qui pendait au mur de la petite cuisine. Ses sourcils se froncèrent.
- Euh… Tu m’as dit que tu devais être là-bas à quelle heure, déjà ?
Les yeux de sa petite sœur suivirent les siens. Et s’écarquillèrent.
- Par les orteils de Lucy, j’vais être en retard !
Une fraction de seconde plus tard, elle avait quitté la pièce en coup de vent, un morceau de pain à moitié entamé et tartiné de confiture à la cerise abandonné sur la table.
- Caheera Dyn, du régiment des Belluaires.
- Ah, c’est vous ! Formidable.
L’homme par lequel elle avait été accueillie à son arrivée, vraisemblablement un membre de l’équipe d’organisation locale, laissa échapper un soupir soulagé. Quelques gouttes de sueur perlaient déjà le long de son front, et il faisait preuve d’une nervosité si manifeste que Caheera se demanda un instant si elle était censée le rassurer d’une manière ou d’une autre. Visiblement, la mise en place de la fête n’était pas de tout repos…
- Votre collègue vient d’arriver, justement. Venez, suivez-moi – laissez votre cheval à Judith, elle va en prendre soin, ne vous inquiétez pas…
Tout en parlant, il avait déjà commencé à se frayer un chemin entre les stands, les tables et les estrades qui finissaient d’être montés, et Caheera se hâta de lui emboîter le pas en s’efforçant d’éviter les hommes et les femmes chargés de bouquets qui couraient un peu partout. Apparemment, elle n’était pas la seule à avoir eu du retard ce matin… Des éclats de voix et des interpellations impatientes fusaient autour d’eux, et son guide se retourna pour lui grimacer un sourire un peu gêné :
- La fête commence dans moins d’une heure alors nous sommes un peu dans l’urgence, vous comprenez… Mais ne faites pas attention au désordre, tout sera parfait quand nous ouvrirons.
- Oh, j’en doute pas.
En réalité, une question tout à fait différente venait de surgir dans son esprit : avec qui était-elle en binôme, déjà ? Elle se rappelait qu’ils seraient deux, mais elle n’avait pas souvenir qu’on lui ai dit qui avait été affecté sur cette patrouille avec elle… Un autre membre des Belluaires, si elle en croyait sa mémoire, mais qui ? Elle s’apprêtait à interroger l’homme qui la devançait quand un bruit retentissant s’éleva tout à coup : un peu plus loin, une table décorée de pétales multicolores et chargée de paniers de fleurs venait de s’effondrer. Dans un chapelet de jurons, son guide l’abandonna aussitôt pour se précipiter sur les lieux du drame en s’épongeant le front, et Caheera dut se mordre les lèvres pour ne pas éclater de rire. Bon, cette journée promettait finalement d’être moins ennuyeuse que prévu…
La ligue des justipoules
Assignation : Bourgeons printaniers
Une fois de plus le soleil brille sur le village de trouduculpaumé. Les villageois s’affairaient un peu partout pour préparer la fête des bourgeons printaniers. De nombreux étales se décoraient de mille couleurs et les compositions florales fleurissaient un peu partout. Certains curieux étaient déjà là à inspecter un peu les marchandises après de longues heures de route depuis la capitale. Un doux brouhaha de vie commençait à s’installer entre les petites masures. Le village était calme, ou presque. En effet, il y avait un endroit très spécial de ce village où une agitation bien différente était en train de se dérouler.
AGENTS AU RAPPORT !
Bernard, le commandant en chef de la ligue des justipoules venait de sonner le rappel des troupes. En tant que seul coq de cette bassecour, il était de son devoir de guider les agents de la justice sur la voie de la grandeur. Deux poules sortirent immédiatement du poulailler pour se positionner devant lui les yeux encore ensommeillés.
Agent Bernadette au rapport ! Agent Gertrude au rapport !
GARDE-À-VOUS !
Les deux poules gonflèrent le torse en pointant le bec vers le ciel.
QUI SOMMES-NOUS ?
LES JUSTIPOULES !
ET QUE FAISONS-NOUS ?
NOUS FAISONS RÉGNER LA JUSTICE !
ROMPEZ
Les petites poules relâchèrent leur pose militaire et commencèrent à se dégourdir les pattes. Le chef était toujours intransigeant pour la réunion du matin, mais il était plus relax une fois qu’ils avaient fait toute cette cérémonie. Plusieurs paysans se retournèrent en entendant leur petit manège.
« T’ain mais elles ferment jamais leur gueule les poules de Lucien ? »
Bernard le coq ignora superbement cet habitant inconscient de tout le bien que ses poules et lui apportaient à la sécurité de ce village.
L’heure est grave, Mesdemoiselles ! La fête bat son plein, mais j’ai entendu grâce à mon sixième sens des ténèbres très très sombres, que des voyous se cachaient parmi la foule !
OOOOOOOOh, soufflèrent les poulettes impressionnées
Mais nous veillerons au grain ! Nous sommes les gardiens de la justice, les protecteurs de ce village. Grâce au pacte millénaire passé avec le dieu hibou, nous avons été investis d’une mission. Celle de protéger ces villageois du mal très sombre et ténébreux du roi dindon de la nuit éternelle !
Oui nous les protégerons, s’écrièrent Bernadette et Gertrude en chœur.
Alors aujourd’hui nous patrouillerons !
Le chef de la bande ouvrit la marche suivie par ses deux petites protégées. Ils passèrent à travers un trou de la clôture qui se trouvait là comme par hasard et la petite troupe se mélangea aux humains. Tout aussi étrangement, personne ne semblait remarquer qu’il y avait un coq et deux poules qui se promenaient librement au milieu des allées et des stands. Les gens avaient bien d’autres choses à faire ! Bernard fendait la foule à la recherche d’un quelconque indice qui ferait frémir son sixième sens des ténèbres très très sombres. Soudain, il s’arrêta net, causant un véritable carambolage de Gallinacés en plein milieu de l’allée.
HALTE ! MAIS REGARDEZ DONC OÙ VOUS ALLEZ BANDE … Regardez devant vous ! La devant, c’est une de mes anciennes élèves. Je l’ai recueillie tout bébé alors que ses parents …
Le coq se mit à raconter une histoire abracadabrantesque dans laquelle il jouait le rôle d’un maître des arts martiaux ayant recueilli une pauvre orpheline avant de la former sous une cascade à libérer le tigre scellé en elle depuis des temps immémoriaux. Les petites poules ponctuaient son discours de Oh et de Ah en buvant ses paroles.
Mais m’sieur Bernard, c’est laquelle des deux, celle qui est toute noire ? s’interrogea Bernadette.
Immédiatement Bernard et Gertrude la regardèrent comme si elle venait de dire la chose la plus ignoble du monde. Ils inspectèrent tous les deux les alentours en secouant la tête avant de s’approcher de la poule fautive.
Ne redis jamais ça Bernadette, imagine si les pintades de la justice sociale de l’école de l’oiseau gazouillant t'entendent ? Elles te plumeraient sur place !
Désolé, tremblota la petite poule.
Bien maintenant que c’est réglé, suivons mon apprentie ! Je suis impatient de voir ses progrès ! Oh regardez, elle bouge, vite dépêchons-nous, je veux voir comment elle s’occupe de son apprentie !
En effet, la garde au teint sombre avait accueilli sa collègue avec un sourire et se dirigeait maintenant vers la table renversée pour aider les villageois à récupérer cette bavure avant l’arrivée des touristes qui allaient être nombreux. C’était aussi le rôle d’un garde d’aider la population.
Bernard et ses bernadettes coururent pour les rejoindre tout en se fondant dans le décor tel des espions en mission. Invisibles, ils observèrent avec quelle agilité le soldat Angrboda avait remis sur pied cette table défectueuse avec l’aide de son apprentie, et ce, sans dire le moindre mot depuis qu’elles s’étaient trouvées.
« Merci Silène, lui confia un habitant après que la dernière fleur eut rejoint son pot sur la table. »
La grande dame s’inclina sans dire un mot et repartit faire sa ronde avec sa collègue.
Voyez les filles, ça c’est une héroïne, formées par moi-même ! Humble et forte à l’intérieur ! Prenez-en du grain, car il vous faudra travailler d’arrache-pied pour arriver à son niveau !
Oui, chef !
Le petit trio s’élança à la poursuite des deux gardes. Mais le danger rôde autour d’eux et le sixième sens des ténèbres très très sombres de Bernard ne tardera pas à s’activer.
- Ça m’fait plaisir qu’on soit ensemble pour cette mission, lui glissa-t-elle spontanément tandis qu’elles commençaient à s’éloigner du stand remis en place.
Ce n’était ni de la flatterie ni de la gentillesse, mais pure sincérité – appuyée par un franc sourire. Sans attendre, bien sûr, aucune réponse de sa part. Autour d’elles, tout le monde continuait à s’affairer avec une telle frénésie que Caheera faillit ne pas remarquer que l’homme qui l’avait conduite jusqu’à Silène les avait rejointes au pas de course :
- Excusez-moi, j’espère ne pas vous déranger, mais… Raaah, ces poules !!
Interrompu au beau milieu de sa phrase par un petit groupe de volailles caquetantes qui venait de se jeter dans leurs jambes, il distribua quelques coups de pied pour libérer le passage – faisant voler du même coup un petit nuage de plumes blanches, grises et rousses. Ce ne fut pas sans des œillades explicitement accusatrices que les poules s’enfuirent en redoublant, pour la peine, de caquètements furieux.
- I’peuvent pas surveiller leur basse-cour, franch’ment, c’est pas croyable… Enfin, bref… Pardon… Où j’en étais, moi…
Puis, retrouvant tout à coup son ton sérieux et légèrement cérémonial :
- Ah, oui ! La patrouille. Voilà, les premiers visiteurs ne vont pas tarder à arriver, et on aurait bien aimé que vous commenciez par surveiller un peu les entrées… Rien de bien méchant, évidemment, mais simplement pour s’assurer que tous les arrivants ont l’air corrects… Vous pensez que vous pourriez vous en charger ? Au moins en ce début de matinée, pour la première vague d’entrées ?
Caheera accueillit sa demande d’un hochement de tête.
- Bien sûr. Pour moi, en tout cas, y’a aucun problème.
Et pour Silène non plus, sans doute. Mais elle coula tout de même un regard à la garde, dans l’attente de sa réaction.
La ligue des justipoules
Assignation : Bourgeons printaniers
Eh, Gertrude, tu sais si on deviendra un jour comme Silène ?
Seulement en suivant les enseignements de Bernard, Bernadette !
On devrait aller lui demander des conseils entre super poules ?
Oh oui, très bonne idée.
Bernard vit ses deux agents se précipiter hors de leur cachette révélant par la même occasion leur position à tout le monde. Le coq protesta avant de lever les yeux au ciel. Jamais il n’arriverait à faire de ces deux volailles des super poules dignes de ce nom. Elles n’auraient jamais la carrure de Silène ! La grande regardait d’ailleurs son apprentie avec un regard bienveillant et elle lui rendit son sourire tout en levant le poing pour faire une salutation amicale.
Eh eh Silène, on est vos plus grandes fans !
C’est vrai que vous avez combattu le dindon maléfique au bord d’un volcan, mais que le grand Bernard vous a sauvée avant que vous ne tombiez dans un océan de lave ?
Et est-ce que c’est vrai que vous avez …eh, mais pousse-toi gros lard !
Les petites poules furent chassées par l’organisateur du festival. Elles battirent rapidement en retraite sans s’être d’abord attiré un regard curieux de la part de Silène. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres, mais elle ne dit rien. Elle se contenta d’hocher la tête en direction de Caheera et de l’accompagner à l’entrée des festivités.
Bernadette et Gertrude revinrent vers Bernard, la plume entre les jambes. Le coq s’était caché pour ne pas être vu de Silène et les fixait de toute sa grandeur. Elles passèrent devant lui avant de s’aligner comme à leur habitude.
AGENT ! QU’EST-CE QUE C’ÉTAIT QUE ÇA !
On est désolée, chef … dirent les petites poules déçues de ne pas avoir pu parler avec leur héroïne.
NOUS NE DEVONS PAS INTERFÉRER AVEC LEUR MISSION, NOUS SOMMES DES JUSTICIERS DE L’OMBRE ! DÉSOBÉISSEZ ENCORE UNE FOIS ET JE CONSIDÉRERAI QUE VOUS ÊTES INDIGNES DE PORTER LE TITRE DE JUSTIPOULE !
COMPRIS CHEF !
Le coq hocha la tête maintenant qu’il avait ramené la bleusaille dans le rang et il était de commencer cette patrouille comme il faut ! Il ouvrit de nouveau la marche esquivant les coups de pied et béquetant les imprudents qui osaient s’en prendre à lui et à ses protégées. D’ailleurs quand il croisa l’organisateur qui les avait chassés, il lui planta les fesses avec son bec avant de courir avec ses deux compagnes en direction de l’entrée.
La ligue des justipoules se dissimula à l’ombre derrière une botte de paille. Seule leur tête dépassait. Les trois paires d’yeux étaient fixées sur les deux gardes qui accueillaient les arrivants d’un simple regard froid. Pas la plus passionnante des occupations à vrai dire.
Vous voyez les filles, si notre rôle est de protéger les innocents le leur est de leur donner un sentiment de sécurité par leur présence ! Nous sommes l’ombre qui les protège et elles sont la lumière qui les guide !
Moi aussi j’aimerais être une lumière, soupira Gertrude.
Pour ça faudrait déjà que tu sois moins conne, persifla Bernadette.
SILENCE !
Bernard venait de dresser sa tête, agitant sa collerette dans tous les sens. Il plissa ses yeux, comme s’il cherchait quelque chose.
Tu vas pas nous pondre un œuf Bernard ?
Mais non, bande d’imbéciles, c’est mon sixième sens des ténèbres très très sombres qui vient de s’activer. Le mal rôde par ici mesdemoiselles. Soyez sur vos gardes. En avant !
La petite troupe de gallinacés sortit de sa cachette et au même moment un hurlement retentit. Les trois poules virent une silhouette encapuchonnée qui essayait de se frayer un passage au milieu de la foule en tenant un sac contre sa poitrine.
« Au voleur, criait une femme tombée au sol, choquée par ce qu’il venait de lui arriver. »
Silène se précipita sur la malheureuse et l’aida à se relever. Elle faisait de grands signes de tête à son apprentie pour qu’elle poursuive le voleur.
AGENT, LE VOLEUR S’EST ENFUI, POURSUIVONS-LE !
Les trois poules s’élancèrent filantes comme des fusées entre les jambes des passants. Leur petite taille leur permettait de courir plus vite et elles n’étaient pas gênées par la foule contrairement aux gardes et aux voleurs. Elles gagnèrent rapidement du terrain.
LES FILLES, ON FAIT COMME A L’ENTRAÎNEMENT !
Ils se divisèrent, chaque poule prenant un flanc tandis que Bernard filait tout droit. Il n’y avait que dans l’action que la bleusaille savait se montrer disciplinée. Gertrude fut la première à rejoindre le voleur qui venait de renverser une vieille dame.
TECHNIQUE SECRÈTE DE L’ÉCOLE DU COQ SPORTIF : LES MILLE AIGUILLES DE LA SOUFFRANCE.
Tout en criant le nom de sa technique ridicule, la poule se mit à attaquer sa cible de coups de bec précis et douloureux qui lui firent faire un pas de côté pile à la merci de Bernadette.
OH TÉNÈBRES PRÊTEZ MOI VOTRE FORCE ! TECHNIQUE D’IMMOBILISATION DU LOTUS SANGUINAIRE : KÖNIGIN DER NACHT.
Suite à cette nouvelle annonce d’un technique encore plus ridicule (sérieusement de l’allemand ? ça n’existe même pas sur Aryon les filles) la petite poule s’éleva dans les airs d’un battement d’ailes et s’attaqua au visage du voleur, finissant de lui faire perdre son équilibre.
AU NOM DES JUSTIPOULES, TU VAS PAYER POUR TES MÉFAITS BANDIT ! TECHNIQUE ULTIME DE COMBAT GALLYNACEEN : CASTRATION FORCÉE !
Attendez-la quoi ?
Le voleur hurla et lâcha son sac pour tenir un sac d’une tout autre nature qui venait de subir un assaut pour le moins … piquant.
Surveiller, donc. Attendre que la matinée s’écoule. Et essayer d’oublier la furieuse envie qui, au fil des minutes, lui dévorait de plus en plus les jambes – bouger, abandonner cette pause ennuyeuse à mourir, bref, faire quelque chose, n’importe quoi. Les nouveaux arrivants ne cessaient de croître – de vieux couples appuyés sur leur canne, des jeunes gens riant et bavardant chargés de paniers qui étaient sans doute destinés à revenir remplis de fleurs, de nombreuses familles, aussi, qui s’efforçaient d’empêcher leur marmaille de s’éparpiller dans la foule ou de se perdre au milieu des stands – les mères inquiètes, les pères sévères et débordés, les bambins surexcités qui sautillaient autour de leurs parents avant de se planter, émerveillés, devant une collection de bouquets où ils auraient pu rester des heures s’ils ne s’étaient soudain fait tirer par la manche ou pousser dans le dos… Les cris impatients des organisateurs avaient été remplacés par une cacophonie joyeuse et enthousiaste et tout semblait, selon la maigre expérience de Caheera en festivités, se dérouler à merveille.
Mais évidemment, ce fut, comme toujours, au moment où elle commençait à relâcher inconsciemment son attention qu’un hurlement s’éleva dans la plaine. Davantage de surprise et d’indignation que de peur ou de douleur, heureusement. Une femme, à plusieurs mètres de là où se tenaient les deux gardes, avait été projetée au sol par une silhouette indistincte qui s’enfuyait à travers la foule, un sac serré contre la poitrine. Un voleur, d’après les cris qui continuaient de résonner.
Enfin une occasion de bouger.
Il ne fallut qu’un signe de tête de Silène pour que Caheera se lance sur les pas du voleur. Il était à une certaine distance, mais la foule l’empêchait de progresser très vite et la jeune garde profitait de sa silhouette menue et de sa petite taille pour se glisser agilement entre les visiteurs qui, en reconnaissant son uniforme, s’écartaient aussitôt sur son passage. Et puis, elle était rapide – et, courir, elle aimait ça. Vraiment. L’avance se réduisait, et elle était en train de se demander comment elle allait l’aborder – se jeter sur lui pour le déstabiliser, le prendre à revers, l’hypothèse du croche-pied émergea même un instant dans son esprit – quand…
Eh bien, d’abord, elle ne comprit pas.
Une volée de plumes, un tourbillon de piaillements et de caquètements sonores… Et en moins de temps qu’il n’en faut pour dire « poulet », le voleur était à genoux, les mains crispés sur son bas-ventre, le visage déformé en un masque de souffrance. Avec, à côté de lui, deux petites poules et un coq à peine plus gros qui le toisaient d’une expression… victorieuse ? Si l’adjectif paraît difficilement applicable à un groupe de gallinacées, c’est du moins la très nette impression qu’en eut Caheera lorsqu’elle arriva sur les lieux, à peine essoufflée mais totalement incrédule. Le voleur à terre, le sac tombé près lui, le coq et les poules qui l’entouraient fermement, comme pour l’empêcher de s’échapper à nouveau…
Contre toute logique, les événements s’assemblèrent peu à peu dans le cerveau de la jeune femme, jusqu’à arriver à cette conclusion absurde mais irréfutable : un voleur venait de se faire maîtriser par deux poules et un coq. Outre la stupéfaction et la perplexité légitimes que suscita en elle cette information, un autre sentiment s’éleva également : une forme… d’humiliation. Poursuivre un criminel mais le voir finalement mis hors d’état de nuire par une bande de volailles, c’était tout de même légèrement embarrassant. Un petit groupe s’était formé autour des protagonistes du combat – le voleur, le coq et les poules, donc – et Caheera prit soudain conscience que, si elle n’avait rien fait pour arrêter le voleur, son travail n’était pas terminé pour autant.
- Ça va ? Tout l’monde va bien ?
Un murmure d’assentiment monta à ses oreilles, signe que personne n’avait été blessé, nouvelle qu’elle accueillit avec soulagement. Il était donc temps de s’occuper du voleur, toujours au sol. Elle n’eut aucun mal à le menotter puis, après avoir rabattu sa capuche – pour découvrir le visage dépité et tout à fait banal d’un homme d’une trentaine d’années –, elle le fouilla avec soin afin de s’assurer qu’il n’était pas armé. Rien à signaler. Ses yeux se posèrent alors sur le sac qu’il avait dérobé, et elle se baissa pour le ramasser. Elle ne comptait rien faire d’autre que le rendre à sa propriétaire, bien sûr, mais il lui sembla étrangement léger alors qu’elle s’en saisissait. La garde jeta un coup d’œil au voleur, qui avait baissé la tête :
- Pourquoi t’as volé ce sac ? Y’avait un truc qui t’intéressait particulièrement, dedans ?
Pas de réponse. L’homme ne bougea pas et, après une seconde d’hésitation, Caheera se décida à ouvrir le sac. Et là… Elle se rendit compte qu’il était vide. Totalement vide. À l’intérieur, il n’y avait rien, y compris dans les plus petites poches – absolument rien de rien, même pas de bout de papier froissé, de menue monnaie oubliée ou de quelques miettes de pain, comme c’est généralement le cas dans les sacs qu’on transporte souvent avec soi. Impossible qu’il ait répandu son contenu pendant la course-poursuite, il était bien fermé lorsqu’elle s’en était emparée – et la femme qui avait crié au voleur avait hurlé avec tant de force, comme si son sac était encore plus précieux que sa vie… La Belluaire fronça les sourcils et, de la pointe de son épée, redressa le menton du voleur jusqu’à ce que son regard rencontre le sien.
- Un sac vide ? Pourquoi t’être encombré de ça ? Tu t’es pas aperçu qu’il était anormalement léger, quand tu l’as pris ? Réponds !
Face à elle, un éclat de peur apparut dans les yeux de l’homme, mais nul étonnement. Et, tout au fond de son regard, une curieuse étincelle de triomphe – fugace, mais que la jeune femme eut le temps de saisir. La vérité la frappa de plein fouet.
- Ou… tu savais qu’il était vide. Mais alors…
S’il avait sciemment volé un sac vide, cela signifiait qu’il avait commis un crime qui ne lui était d’aucune utilité… mais aussi qu’il savait ce que contenait le sac avant même d’agresser la femme. Et donc… que tous les deux, le soi-disant voleur et la soi-disant volée, étaient complices. Le vol n’en était pas vraiment un, mais ressemblait bien plutôt à un canular destiné à détourner l’attention des deux gardes. Mais pourquoi l’homme et la femme auraient-ils décidé de simuler cette agression ? Caheera avait déjà été confrontée à quelques reprises à ce genre de situation – et, à chaque fois, cela ne pouvait vouloir dire qu’une seule chose…
Le cœur battant, elle fit volte-face et, les mains en porte-voix, cria en direction de Silène – qui, à l’entrée du festival, se trouvait toujours en compagnie de la prétendue victime :
- SILÈNE, ATTENTION, C’EST UN PIÈG…
Une formidable explosion retentit alors dans la plaine.
La ligue des justipoules
Assignation : Bourgeons printaniers
REGROUPEZ-VOUS LES FILLES, ON NOUS ATTAQUE.
Les trois petites poules durent danser parmi les dizaines de paires de jambes qui essayaient de les écraser. L’explosion avait créé un mouvement de panique tel que la foule s’était dispersée dans tous les sens. Lorsque la plupart des gens eurent fui, on put distinguer un peu plus ce qu’il s’était passé. À l’entrée du festival, l’herbe avait entièrement brûlé et plusieurs tables s’étaient envolées, emportées par le souffle de l’explosion. Il ne semblait pas y avoir de morts, du moins les corps gisants au sol bougeaient encore et gémissaient à pleins poumons. Ils n’étaient pas pour autant au meilleur de leur santé. Beaucoup avaient été brûlés, d’autres avaient la jambe brisée. Bref, l’attaque avait fait beaucoup de dégâts.
Au milieu de tout ce carnage se tenait une femme à la peau de flammes, littéralement. C’était elle qui s’était faite voler son sac tout à l’heure. Tout son corps grésillait d’un feu magique qui s’éteint peu à peu alors qu’elle essayait de reprendre son souffle après le spectacle pyrotechnique qu’elle venait de provoquer.
Un piège, murmura Bernard en gratifiant la terroriste de son regard le plus impérieux.
Qu’est-ce qu’on va faire Bernard, demandèrent les deux petites poules en tremblant sur leurs petites pattes à l’idée de finir en poulet rôti.
ON SE BAT, MESDAMES. RESPIREZ PROFONDÉMENT, CAR CE SOIR NOUS PICORERONS EN ENFER!
Derrière la femme et bien loin des justipoules, gisait Silène. La garde avait réussi à se protéger d’une grande partie de l’explosion, mais être juste à côté de sa source ne l’avait pas épargnée. Elle saignait abondamment sur tout son corps et la peau de ses jambes ainsi que de ses bras avait été brûlée par les flammes magiques. Elle toussa, soulevant un petit nuage de suif noirâtre qui se déposa dans ses cheveux devenus gris-noir. Elle se releva lentement, mais s’arrêta net quand la terroriste pointa une boule de feu juste sous son nez. Elles échangèrent un regard assassin.
« On ne bouge pas très chère. »
STOP ! hurla Bernard, arrêtant net la course effrénée de ses poulettes. ELLE PREND UN OTAGE.
Inconsciente du petit commando de poules qui se tenait derrière elle. La terroriste souriait en voyant la garde en si mauvaise posture à ses pieds. Silène tourna les yeux vers Caheera qui heureusement n’avait rien du fait de la distance entre elle et l’explosion. Cependant, le faux voleur en avait profité pour se faire la malle. L’ancienne lieutenant sera les dents, mais son visage restait totalement impassible.
« Vous nous avez bien emmerdés, vous la garde, mais vous ne pouviez rien face à la souveraine de la nature ! Je suis Odnarb Noiralk, le bras armé des plantes, leur voix auprès des hommes qui ont eu la bêtise de se croire supérieurs à elles ! Les plantes étaient là bien avant nous, nous sommes les intrus sur leur territoire. Aujourd’hui, le peuple d’Aryon va apprendre à les craindre et à les respecter.
Dis Bernard, demanda Gertrude.
QUOI ?
Elle vient pas de cramer toutes les plantes du festival la souveraine de la nature là ?
En effet, l’endroit ressemblait plus à un feu de joie, qu’à une prairie luxuriante où la nature prospérait. Beaucoup de fleurs avaient fini calcinées et d’autres agonisaient sur le sol, séparées de leurs pots et de leur terreau nourricier.
Je crois avoir cerné notre ennemi mes amies …
Grâce à ton sixième sens des ténèbres très très sombres Bernard ?
Oui, en réalité cette personne n’est pas ce qu’elle prétend être. Je sais maintenant que cette personne est … COMPLÈTEMENT STUPIDE !
Oh quel incroyable sens de l’observation Bernard ! s’extasièrent les deux gallinacés.
Silène ne répondit rien, seul un feu inextinguible brûlait dans ses yeux et qui en disait long sur ce qu’elle pensait de la « souveraine » de la nature. Elle aperçut alors une petite fille derrière la terroriste. La pauvre petite était sévèrement brûlée et soudain, elle vit rouge. Toutefois, elle était impuissante tant qu’elle serait menacée de combustion spontanée.
JE SENS UN DANGER ! hurla Bernard.
Les petites poules se mirent à regarder de tous les côtés, mais elles ne virent rien. Toutefois, une sorte de sifflement reptilien commença à se faire entendre, de plus en plus proche. Tout d’un coup, des serpents sortirent des buissons calcinés qui entouraient le village. L’un d’entre eux, plus grand que les autres, s’avança devant son armée grouillante.
SSSSSSSeric SSSSSSessssmoour, siffla Bernard en protégeant de son aile ses deux camarades face au nouveau venu.
Ssssss Bernard sssssss, aussssoourd’hui tu vas connaître la désssssaite ! Noussss sssssommes venu nombreux pour prendre sssssse village et le rendre aux vraies SSSSSSSerpents !
De plus en plus de serpents sortaient des fourrés et commençaient à s’en prendre aux habitants qui avaient bien du mal à les chasser avec leurs pelles et leurs râteaux. Le sol devenait presque invisible sous les anneaux d’écailles et Silène se retrouva rapidement séparée de Caheera par une armée de reptiles. Au milieu se tenait le voleur que la jeune garde avait arrêté auparavant. Il était toujours menotté, mais comme les menottes anti-magie étaient à la ceinture de Silène, la plus expérimentée des deux, il avait utilisé son pouvoir pour lancer son attaque.
Mes amies … commença Bernard en se tournant vers les petites poules terrorisées. Mes amies ne tremblez pas !
Dans son regard, on sentait qu’il avait aussi peur, mais il était le chef de cette ligue de justicier, il devait être fort.
Ils comptent tous sur nous, ces pauvres âmes perdues, ces femmes brûlées et leurs enfants en pleurs. Est-ce que vous entendez ça ?
Effectivement il y avait beaucoup de monde en train de gueuler à ce festival.
C’est le son de la guerre mes amies. Aujourd’hui, notre destin va éclore dans ce combat pour la sauvegarde de l’humanité et des gallinacés ! Ne tremblez pas mes amies, vous êtes prêtes, je vous ai tout appris et je suis très fièr de vous.
Je veux pas mourir, chouina Bernadette.
Nous ne mourrons pas mes enfants, le dieu dindon nous protège, car nous avons su rester dans sa lumière protectrice. Les coups pourront pleuvoir, nous les encaisserons tous ensemble. Mais pour l’heure nous devons aider nos amies en mauvaise posture. Je vais aider la petite bleue, vous allez aider Silène.
Mais Bernard …
EXECUTION.
À contrecœur, Bernadette et Gertrude tournèrent le dos à leur mentor et coururent aider la grande garde aux cheveux blancs. Une petite larme coula dans le coin de leur œil. Elle savait qu’elle l’abandonnait à son triste sort, que son discours était creux et qu’il n’en reviendrait pas. Les petites héroïnes courraient à toute jambe, pleurant toutes leurs larmes. Elles arrivèrent derrière Silène qui leva instantanément ses deux bras sur le côté offrant aux poules un tremplin pour se propulser à la hauteur de la terroriste. Elles étaient détruites, ravagées par le chagrin, mais aussi plus déterminées que jamais à faire régner la justice, pour Bernard, pour les justipoules.
TEMPÊTE ÉCLATANTE DU COQ ÉTERNEL, crièrent-elles en chœur.
D’un rapide mouvement d’aile, les deux volailles réussirent à aveugler la terroriste qui tira sa boule de feu à un cheveu du visage de Silène. La vétérane en profita pour la faucher d’une clé de jambe précise et sournoise, avant de rouler sur le côté et de récupérer sa lance et son bouclier. La terroriste ne se laissa pas non plus faire et se releva d’un bon pour attaquer la garde avec sa magie. Silène parait aussi bien qu’elle le pouvait avec son bouclier tout en dansant d’un pied sur l’autre pour esquiver afin de ne pas trop chauffer son bouclier. Le combat allait être rude, mais la fauconnière se battait avec une rage qui lui était rare. Peut-être était-ce la vision de cette petite fille brûlée qui lui avait rappelé de mauvais souvenirs.
~~~
LES MILLE BECS DE LA SOUFFRANCE !
Bernard becqueta tous les reptiles qui passèrent à sa portée, perçant leur petit crâne avec avidité tout en écorchant leur corps écailleux. Il avait réussi à se frayer un passage jusqu’à la jeune recrue qui accompagnait Silène. Les serpents la submergeaient, elle aussi, revenant comme les vagues de la mer, toujours plus nombreux et denses. Le coq prit son élan et s’élança pour saisir au vol une vipère qui s’apprêtait à sauter sur la jeune garde dans son dos. Il lui arracha promptement la tête.
Fille de la justice, dit-il en couvrant ses arrières. Je te couvre, va régler son compte au maître des serpents !
- HRP:
- Je le précise au cas où, mais Caheera ne peut bien sûr pas comprendre ce que Bernard lui dit !
Son instinct l’aurait conduite à se précipiter auprès de Silène, pour l’aider à se relever et à affronter la femme-bras-armé-des-plantes-souveraine-de-la-nature-reine-des-plates-bandes-et-machin-chose, mais la horde de serpents qui jaillit soudain des buissons la coupa dans son élan. D’un côté, elle avait donc une folle furieuse prête à brûler toute la plaine, de l’autre, une armée reptilienne qui commençait à attaquer les villageois rescapés de l’explosion. Et au milieu de cette marée de serpents… le faux voleur qu’elle avait menotté un peu plus tôt et qui avait profité de la pagaille pour s’échapper.
Bon. Réfléchir. Vite.
Silène s’était relevée, et fusillait la terroriste d’un regard presque aussi incendiaire qu’une gerbe de feu magique. Elle avait l’air mal en point, mais elle était expérimentée et talentueuse dans son domaine. Caheera devait lui faire confiance. Car, de son côté, la jeune femme était la seule à pouvoir s’occuper du dompteur de serpents.
Réflexe. Rapidité.
Écarter Silène de son esprit, cesser de s’inquiéter pour elle. Et se concentrer sur sa cible.
Se frayant un chemin à coups d’épée à travers la masse de reptiles qui l’entourait en sifflant, la Belluaire entreprit de se diriger vers le voleur de sac. Ses menottes avaient le mérite de l’empêcher d’utiliser une arme, mais son pouvoir était bien suffisamment offensif en lui-même… Un battement d’ailes résonna derrière elle, et elle tourna la tête juste à temps pour apercevoir un coq trancher la gorge d’un serpent, dans son dos. Le… même coq qui avait permis d’arrêter le voleur, un peu plus tôt ? Dans d’autres circonstances, Caheera se serait sans doute interrogée au sujet de ces poules décidément bien entreprenantes mais, pour le moment, elle se sentait simplement soulagée et agréablement surprise de découvrir cette aide inattendue. Un coq venait de couvrir ses arrières – étonnant, mais tant mieux. Tout soutien était bon à prendre.
Plus elle se rapprochait du dresseur de reptiles, plus les serpents étaient nombreux – et compacts. Elle avait du mal à avancer, mais la lame de son épée et le tranchant de son sabre – qu’elle avait fini par dégainer à son tour – se révélaient plutôt efficaces. Sans compter qu’elle devinait, aux caquètements rageurs qui s’élevaient parfois dans son dos, que le coq la suivait toujours, picorant de violents coups de bec les reptiles qui menaçaient de l’attaquer.
- Eh, toi !
L’homme leva la tête, un rictus haineux figé sur le visage.
- Si tu t’rends de ton plein gré, tu sais qu’la Garde se montrera plus clémente envers toi. Si j’étais toi, j’en profit’rais. Ton armée de serpents va pas résister indéfiniment…
- La nature ne s’épuise pas. Seuls les êtres humains, ces parasites faibles et pleurnichards, finissent pas mourir.
Bon. Voilà qui avait le mérite d’être clair… Tant pis pour lui.
Elle était presque à sa hauteur, à présent – d’un bond, elle se projeta en avant, sautant au-dessus des reptiles qui grouillaient à ses pieds. Un énorme serpent bondit alors dans sa direction, la gueule béante – il ne fallut qu’une fraction de seconde à Caheera pour activer son pouvoir. Un bouclier lumineux se matérialisa devant elle et le reptile, emporté par son élan, se cogna violemment contre la paroi et glissa à terre, assommé. L’esquisse d’un sourire se dessina sur les lèvres de la garde.
Son bouclier de lumière à l'avant, un coq combatif à l’arrière… Elle était bien protégée.
Un éclair de stupeur passa dans les yeux de l’homme qui lui faisait face – maintenant si proche.
La ligue des justipoules
Assignation : Bourgeons printaniers
Abandonne Bernard tu es ssssssscerné !
Effectivement, le coq se retrouvait acculé dans le dos de Caheera. Ils avaient beau réduire en charpie chaque ennemi qui leur fonçait dessus, ils semblaient revenir toujours plus nombreux, créant un véritable tapis de reptile autour d’eux. Comment SSSSSSSeric SSSSSSSesssssssmour avait fait pour recruter autant de ses compatriotes ? Avait-il fait le tour de la grande forêt pour lever une telle armée de rampants afin d’attaquer le village.
Un justicoq n’abandonne jamais, SSSSSSSeric, il se bat jusqu’à la mort, dans l’honneur et la justice !
Les yeux du coq se plissèrent et il écarta soudainement ses ailes pour sauter avec Caheera, l’accompagnant dans sa charge victorieuse. Il protégea le flanc qu’elle ne pouvait couvrir avec son bouclier de lumière, déchiquetant cette racaille avec ses pattes. Ils avaient avancé un peu au milieu de la mer de reptiles, mais leur maître restait toujours hors de portée. Pas fou, le terroriste recula, essayant de créer de la distance entre lui et la garde.
ATTENTION, hurla Bernard.
Un python, savamment caché par les autres bondit et s’accrocha à la jambe de la garde. Bernard tenta de l’aider, mais plusieurs de ses comparses passèrent à l’attaque pour le retarder. Il voyait la jeune garde essayer de se débattre, mais il ne pouvait pas l’aider. Si ça continuait comme ça, ils allaient se faire submerger ! Bernard poussa un caquètement de douleur, l’une des couleuvres venait de refermer ses mâchoires sur sa cuisse. Il la délogea d’un coup de bec meurtrier qui lui transperça le crâne. La douleur était vive et il pouvait sentir son sang couler, trempant ses plumes brunes d’une couleur écarlate. Momentanément déséquilibré, il baissa sa garde et d’autres serpents en profitèrent pour le mordre. Il allait perdre la bataille, cette simple erreur allait lu coûter la vie à lui et à la jeune gardienne de la justice. Il n’avait plus le choix, il devait l’utiliser …
Technique ancestrale : LE FIL ÉTERNEL DE L’OISEAU GAZOUILLANT !!
Il faut quasiment impossible pour les serpents de comprendre de ce qu’il venait de se passer. En une fraction de seconde, le coq s’était soudain mis à courir et bondir dans une danse gracieuse, rendant quasiment impossible de le suivre. Tous ses assaillants tombèrent raides morts, la tête tranchée nette. Même le python n’y avait pas échappé, Bernard avait sauté et son bec s’était planté dans le crâne de la bête le tuant sur le coup. Le grouillement autour d’eux s’était tu, plus aucun serpent ne bougeait. SSSSSSeric rampa jusqu’à Bernard.
Sssssscette technique … comment un simple coq de basse-cour peut la maîtriser.
Le serpent observa Bernard avec attention, le coq lui rendit son regard dans une bataille intense et pleine de dédain. Soudain, SSSSSeric recula vivement et s’il n’avait pas été un animal à sang-froid, il aurait probablement pâli.
SSSSSSe reconnaît ssssse regard, sssssssces techniques et sssssscette plume blanche sur ta poitrine. Tu es le prinsssssssce du tabou éternel !
Tous les serpents s’écartèrent, comme si Bernard était devenu un pestiféré. À bout de souffle, le coq dévisageait ses assaillants avec un regard mêlant fatigue et détermination. Lentement, il leva la tête fièrement.
Oui ! Entendez cela viles créatures, je suis l’infâme prince du tabou, celui qui fut chassé de sa basse-cour pour avoir appris les formules interdites. Tremblez mécréants, car je suis Bernard le réprouvé ! Et aujourd’hui, vous allez connaître la mort !
Le coq jeta un regard à ses poulettes. Avec Silène, elles commençaient à prendre le dessus sur la terroriste qui ne savait plus s’il elle devait cramer ces maudits poulets agiles ou se concentrer sur la garde. Une goutte de pluie tomba sur son bec, puis une autre et encore une autre. Une averse commença à se déverser sur le champ de bataille nettoyant le sang sur ses plumes et le glaçant jusqu’aux os. Il était entouré par ses ennemis, sans pouvoir fuir. Pourtant, c’est ce qu’il avait toujours fait. Depuis qu’on l’avait banni pour avoir découvert les formules interdites, pour avoir persisté dans ses recherches malgré le danger qui faisait courir à ses proches. Il les avait vus périr par sa faute détruite par la malédiction de ces mots impies.
Il avait alors essayé de se racheter par tous les moyens. Il s’était créé cette image de justicier, formant de jeunes pousses, croyant que cela pouvait racheter ses fautes et laver ses péchés. Il avait cru que c’était en atteignant la grandeur qu’il pourrait un jour se pardonner …
Une larme coula. Il savait ce qui lui restait à faire, il détenait le pouvoir de tout arrêter. Une dernière fois, il allait prononcer le tabou, le faire retentir dans le fracas du combat et utiliser son pouvoir pour faire le bien. Oui, il était tellement fier de ces justipoules, elles étaient tout ce qu’il avait rêvé d’être. Il les voyait se battre au loin, déterminé, magnifique …
- Pardonnez-moi, Gertrude … Bernadette … je vous ai menti … je ne reviendrai pas. Puissiez-vous garder cette image immaculée de ma personne et qu’elle vous guide dans votre combat. Je ne vous ai jamais mérité. Bernard prit une grande inspiration.
- TUEZ-LE ! IL VA PRONONSSSSSSSCER LES MOTS MAUDITS ? hurla SSSSSSeric en envoyant tous ses serpents disponibles arrêter le coq.
- DE MON TEMPS …. Commença Bernard.
Des dizaines de serpents, lui sautèrent dessus, déchirant sa chair et ses plumes, le coq n’essayait plus de les arrêter, c’était inutile. Il sentait le pouvoir des mots brûler le fond de sa gorge, embrasant son âme et son esprit par leur chaleur infernale. Il ne pouvait plus revenir en arrière. Son chant résonna partout dans le village et dans la plaine portant avec lui la fin de l’incantation ancestrale.
… UNE PERSONNE MENSTRUÉE ON APPELAIT ÇA UNE FEMME ! acheva-t-il de crier avant de s’effondrer, épuisé et vaincu.
Tous les serpents tremblèrent, il n’avait pas réussi à l’interrompre à temps. Même si le coq gisait misérablement sur le sol, les mots avaient été prononcés. Il ne se passa d’abord rien et puis elles arrivèrent. Ce fut une petite vipère qu’il les aperçut la première, hurlant à pleins poumons :
Elles ssssssont là ! Que le dieu crotale nous vienne en aide !
Partout dans la plaine et sur les toits, dans les maisons et charrettes, se tenaient les tristement célèbres pintades de la justice sociale. Leurs yeux rouges, injectés de sang et de frustration trop longtemps réprimée pulsaient d’une lueur malsaine. Une salive acide s’échappait de leur bec déformé par des années d’exécution sommaire et barbare. Un jour Bernard les avait invoquées et elles avaient massacré toute sa basse-cour, le laissant pour seul survivant.
Une pintade plus grande que les autres s’avança et poussa le hurlement de guerre de l’école de l’oiseau gazouillant :
TRANSPHOBIIIIIIIIIIIIE !
Un véritable torrent de pintade déferla sur les serpents totalement dépassés par la cruauté de leurs nouveaux adversaires qui les taillaient en pièce sans aucune difficulté.
BERNARD ! crièrent Gertrude et Bernadette qui venait de vaincre leur adversaire. En effet, une manipulatrice du feu n’avait plus aucun pouvoir en plein orage. Les deux poules voulurent aller aider leurs amis dont le corps était malmené au milieu du champ de bataille, mais Silène les retint. Les serpents perdaient, ou plutôt il se faisait défoncer et même SSSSeric SSSSSesssssmour fut tué. Plus aucun serpent ne s’interposait entre Caheera et le dernier terroriste. Il ne restait plus qu’à le cueillir.
Telle serait sans doute la teneur du dialogue entre Caheera et son frère, lorsqu’elle rentrerait chez lui et essaierait de lui raconter sa journée… Mais, en attendant cette discussion qui s’avérait décidément bien épineuse, la jeune femme avait d’autres priorités. Parmi lesquelles ne figurait pas, malgré les apparences, la question de savoir comment une marée de pintades avait soudain jailli de la plaine pour submerger l’armée de serpents. Elle résoudrait ce problème plus tard. À tête reposée. Ou pas.
Bref, attirées par le chant du valeureux coq combattant, les pintades avaient entrepris de massacrer méthodiquement les reptiles appelés par le complice de la Reine des plates-bandes, ce qui laissait à présent le champ complètement libre à Caheera pour arrêter une bonne fois pour toutes le criminel. Ce dernier essaya bien de prendre de nouveau la fuite mais, cette fois-ci, elle ne le laissa pas s’échapper : parmi les serpents qui le protégeaient jusqu’à présent de ses attaques, c’était la débande et, malgré ses blessures et les taches écarlates qui imbibaient son uniforme, elle n’eut guère de difficulté à le rejoindre. Enfin. Son bouclier avait disparu depuis de longues minutes, sa jambe était poisseuse de sang, sa course plutôt boitillante, mais elle le tenait. Pas trop tôt.
Lorsqu’elle fut à sa hauteur, son premier réflexe fut de l’assommer du plat de sa lame – sans réfléchir, et sans autre forme de cérémonie. Juste histoire de s’assurer qu’il n’allait pas encore en profiter pour s’enfuir, lui jeter un serpent à la figure ou invoquer Lucy-savait-quelles-créatures-démoniaques. Il s’écroula aussitôt dans l’herbe – vu la force qu’elle avait mis dans son coup, elle était sûre d’être tranquille de ce côté-là pendant au moins une bonne dizaine de minutes. Une bonne chose de faite.
Caheera prit ensuite le temps de balayer du regard la plaine qui s’étendait autour d’elle. Un désastre – et c’était peu de le dire… Les personnes touchées par l’explosion semblaient s’être toutes relevées, au moins en position assise – aucun mort à déplorer, donc – mais les bonnes nouvelles s’arrêtaient là. Certes, l’averse avait permis à Silène de venir plus facilement à bout de son adversaire, mais le festival avait à présent des airs de prairie post-apocalyptique. Herbe et fleurs calcinées, tables brûlées ou balayées par le souffle de l’explosion, stands et tréteaux renversés, visiteurs visiblement sous le choc, le visage noirci par la suif ou les vêtements déchirés par les crocs des reptiles… À quelques pas d’elle, un petit garçon sanglotait en serrant une main ensanglantée contre sa poitrine tandis que sa mère tentait désespérément de le consoler, visiblement aussi affolée que démunie. La Belluaire les rejoignit en quelques enjambées.
- Vous inquiétez pas, m’dame, c’est rien de grave. J’vais vous aider.
Elle déchira vivement une bande de tissu de son uniforme et, avec autant de douceur que possible, entreprit d’en bander la main de l’enfant afin de faire cesser l’écoulement de sang. Le petit, qui s’était arrêté de pleurer, la fixait avec des yeux immenses tandis que sa mère bafouillait des remerciements confus. Puis la garde se redressa, lança un coup d’œil en direction de Silène, qui avait elle aussi maîtrisé la terroriste et décidé de prendre soin des blessés, et remarqua que de nombreux villageois commençaient à se rapprocher d’elle – comme s’ils attendaient un conseil ou une indication de sa part. Qu’elle était bien en peine de donner.
- Euh…
Petite pause pour se racler la gorge et réfléchir à ce qu’elle allait dire – elle avait toujours détesté prendre la parole en public.
- Tout va bien, maint’nant. Enfin, j’veux dire, on va faire en sorte que ça aille bien. Si toutes les personnes valides pouvaient aider à s’occuper des blessés… Faire des compresses pour empêcher le sang d’couler, des bandages pour ceux qui savent… Essayez d’vous mettre par paires, quelqu’un qui sait faire avec quelqu’un de moins expérimenté, moi j’vais passer voir le plus de monde possible…
Pas qu’elle fût une grande soigneuse, mais sa formation lui avait permis d’apprendre les gestes et les techniques de bases en cas d’urgence – et elle avait pas mal de pratique. Ce fut alors qu’elle se fit la réflexion qu’elle n’avait pas revu l’organisateur du festival – alors qu’il faisait certainement partie des personnes habilitées à gérer ce genre de situation… Une pointe d’inquiétude monta en elle. Elle espérait qu’il allait bien.
La ligue des justipoules
Assignation : Bourgeons printaniers
Le son de la pluie était entrecoupé des gémissements de la terroriste qui recevait au choix des coups de griffes et de violents coups de point de la part de Silène et de ses deux compagnons poules. La garde ne la ménageait en aucune manière et les deux justipoules non plus.
Ça, c’est pour Bernard ! hurlaient Gertrude et Bernadette en cœur.
À trois elles firent regretter à Odnard Noiralk d’être venue au monde pour étaler sa connerie aux yeux de tous. Les petites poules pleuraient en se battant, sachant pertinemment que Bernard venait de se sacrifier pour les voir réussir et elles passaient toute leur frustration sur la souveraine de la nature. La terroriste flancha enfin, ses flammes n’étant plus que des étincelles ridicules. Silène saisit sa lance et faucha ses jambes d’un mouvement précis et maîtrisé. La femme tomba dans la boue en jurant.
« Vous ne pourrez pas être aveugles plus longtemps ! La nature était là avant vous et … »
BOUM
Silène l’assomma d’un violent coup de pommeau en plein milieu du front. Elle s’agenouilla ensuite à côté d’elle et la menotta bien comme il faut pour s’assurer qu’elle ne ferait plus la moindre flamme. Un peu de sang coulait sur son front et ses plaies brûlées semblaient la lanciner énormément, pourtant elle n‘affichait rien sur son visage. Elle traîna sa capture jusqu’à Caheera la laissant mollement tomber à côté de son comparse. Une expression étrange s’était glissée sur ses traits. Elle posa la main sur l’épaule de sa cadette. La jeune fille semblait paniquée par la situation, aboyant des ordres comme elle le pouvait. Le genou de la vieille garde flancha un instant, mais elle utilisa sa lance pour se maintenir debout. Plongeant son regard dans celui de la jeune garde. Elle allait s’occuper du reste. Elle désigna les deux criminels du menton, puis désigna une grange un peu plus loin où ils pourraient être attachés comme il faut en attendant des renforts.
Gertrude et Bernadette courraient derrière eux, se précipitant sur le corps du coq noir qui gisait les deux pattes en l’air au milieu du carnage. Bernard ne ressemblait plus qu’à un sac de plume tâché de sang entouré par une armée de serpents déchiquetés. Les petites poules tremblaient sur leurs deux pattes fatiguées par cette bataille. Elles n’avaient plus de mentor, il s’était sacrifié pour tous les sauver. Elles tentèrent de le réveiller en le poussant timidement du bec, mais il ne réagit pas. Il était parti, parti rejoindre ses proches qu’il avait vu massacrer par sa faute, car aujourd’hui il était pardonné pour ses erreurs. Elles savaient qu’il était en paix. Bientôt, les sanglots des petites poules se perdirent au milieu de l’agitation ambiante.
Silène avait repris le contrôle de la situation. On reconnaissait bien l’ancien lieutenant, qui avait dirigé les faucons par le passé. Grande spécialiste du sauvetage, elle organisa tout de suite des groupes pour rassembler les blessés et les sauver de la pluie. Heureusement, il n’y en avait pas tant que ça puisque les terroristes avaient fait une explosion à l’entrée du festival et pas en pleine foule, mais cela aurait pu être bien pire … Silène avait de plus en plus de mal à marcher, mais elle portait les blessés sans rien dire, grimaçant de douleur à cause de sa peau à nue et meurtrie. Elle finit par s’asseoir parmi le campement jetant un regard à Caheera pour lui indiquer qu’elle devait elle aussi se reposer et se faire soigner, sinon elle allait manquer de s’évanouir.
Alors qu’on lui appliquait un cataplasme pour soulager ses brûlures, deux petites poules vinrent à sa rencontre pour se blottir dans ses bras.
Madame Silène qu’est-ce qu’on va devenir, demanda Bernadette en posant sa tête sur le bras de la garde.
- Bernard est plus là, sanglota Gertrude.
Doucement, Silène caressa leur dos en leur souriant. Les pauvres petites poules étaient perdues, encore trop jeunes pour voler de leurs propres ailes. Il n’y avait rien à faire, juste à leur donner un peu de réconfort. Silène savait ce que c’était de perdre quelqu’un de cher et elle savait que le seul remède à cette douleur venait de l’intérieur.
Vous savez mes petites poules, Bernard n’est peut-être plus là pour vous guider, mais il vous a formé. Oui, il a fait de vous des Justipoules qui sont parfaitement capables de se débrouiller toutes seules. S’il a décidé qu’il était temps pour lui de partir, c’est sûrement qu’il croyait ne plus rien avoir à vous apprendre. S’il n’avait pas été sûr que vous étiez prêtes, il n‘aurait pas pu se résoudre à vous abandonner.
Un homme s’écria alors.
« Eh Lucien, y a ton coq qui s’est fait bouffer par les serpents regarde ! »
Gertrude et Bernadette levèrent instantanément la tête.
Touche pas à Bernard ! Sacripant !
Et les deux poules coururent lui mettre la misère, arrachant un sourire à celle qui parlait aux oiseaux. Silène chercha alors une jeune pousse qui s’affairait un peu plus loin.
Caheera !
Silène lui fit signe de la main. Certains se retournèrent, curieux d’entendre sa voix pour la première fois pour certains. La garde attendit que sa collègue la rejoigne, puis tapota le sol à côté d’elle.
Assis-toi et repose-toi un peu. Les villageois peuvent se débrouiller tous seuls et mon familier va bientôt revenir avec des renforts.
Silène l’obligea à s’asseoir à côté d’elle, en tirant sur son bras.
Tu t’es bien battue, soldat.
Elle tourna ses yeux sur le corps de Bernard que les Justipoules étaient en train d’emmener.
Même si on a eu un peu d’aide.
Et elle rit de bon cœur.
- HRP:
- Tu veux ajouter quelque chose ? Tu peux me mp sur @Aord Svenn si tu veux ou sur discord
Malgré sa fatigue et les blessures qui se rappelaient parfois à elle aux moments les plus inopportuns, Caheera aidait du mieux qu’elle pouvait, courant partout, essayant de ne laisser personne de côté et de porter assistance à un maximum de monde possible… Elle avait fini par retrouver l’homme qui les avait accueillies au festival parmi les blessés – des brûlures lui couraient sur le flanc mais elles semblaient, par chance, superficielles. À sa vue, il esquissa un sourire douloureux, et Caheera se mordit les lèvres.
- Désolée… Désolée d’pas avoir pu empêcher tout ça. D’pas avoir été assez réactive…
- Vous plaisantez, jeune femme ?
Il secoua la tête, le regard ferme.
- Vous avez réussi à arrêter ces deux timbrés, c’est l’essentiel. Pour le reste… l’herbe finit toujours par repousser, comme on dit ! Même si… Il hésita un instant et baissa la voix : Je ne suis pas sûr d’avoir bien vu ni suivi tous les combats, mais, dites-moi… Il n’y avait pas une histoire de poules ?
La jeune garde allait lui répondre quand une voix inconnue résonna dans la plaine. Appelant son prénom. Elle fit volte-face, sourcils arqués… Et écarquilla les yeux. Silène ?? C’était la première fois qu’elle l’entendait parler. Et rien que ça, c’était une sacrée récompense.
Elle la rejoignit aussitôt et acquiesça lorsque celle-ci lui conseilla de se reposer – ses fesses n’eurent pas plus tôt touché le sol qu’elle sentit une immense vague de fatigue la submerger. La Faucon avait raison. Elle devait également faire attention à elle. Pour un peu, elle se serait affalée par terre de tout son long, laissant son dos trempé de sueur épouser la forme de l’herbe roussie qui lui chatouillait les chevilles… Mais à la place, elle se contenta d’offrir un franc sourire à Silène. Épuisé. Mais sincèrement touché par le compliment.
- Merci, lieutenant.
Et tant pis si, officiellement, la femme était une simple garde – tout comme elle.
- Mais c’est vrai, on a été bien assistées… Son regard s’adoucit. J’dois dire que j’vais avoir un peu d’mal à manger du poulet, maintenant.
Keylan était en train de nettoyer les boxes des chevaux, fourche et brouette à la main, lorsqu’il vit sa petite sœur remonter l’allée du haras d’un pas inhabituellement pesant. Il s’interrompit aussitôt pour la rejoindre.
- Alors, pas trop ennuyante, cette patrouille ? T’as vu de beaux bouquets et de jolies fl…
Les mots s’éteignirent sur ses lèvres alors que le visage poussiéreux, noirci de cendre, et les vêtements tachés de sang de Caheera lui sautaient aux yeux. La Belluaire ébaucha un sourire railleur.
- La flore était pas mal, c'est vrai. Mais si t’avais vu la faune…