Une voix plutôt douce, si contrastée de ton caractère sauvage s’égara de tes lèvres lorsque d’un râle agacé tu t’accroupis au sol.
« Mais quelle purge… Qu’est-ce que je fais maintenant ? »
L’idée de te balader presque nu au milieu de la ville n’était pas vraiment un défi attirant. Et cet état était encore moins propice alors que tu n’avais pas la moindre idée de quelle était ton apparence. Seul ce courant d’air frais entre le tissu déchiré te faisait bien comprendre que tu n’étais plus vraiment dans le corps de ta sœur. Du moins, plus complètement. Quelques mèches noires glissaient le long de tes joues, et tu ne pus t’empêcher de t’observer brièvement. Ce n’était pas tant la déception du pouvoir mais de son aléa qui avait fini par te convaincre de ta propre déception. Qui était l’imbécile drogué au sucre pour avoir cette idée ingénieuse de créer un tel enchantement sans en parler au préalable à la personne concernée ?
Tu te pinças l’arête du nez, sans savoir depuis combien de temps tu étais bloqué dans cette ruelle miteuse. Tu avais l’impression alors de vivre face à une farce provocatrice de la déesse qui ne trouvait rien de mieux que de te punir encore de la vilaine curiosité qui t’avait poussé à pénétrer son lieu saint. Le vent tourna alors, faisant grincer la girouette au-dessus de ton crâne, le froid de l’hiver te pénétrant jusqu’aux os. Si tu continuais ainsi, tu serais tombé de froid avant le lendemain. À choisir, la honte ne tuait pas. Jetant dans un coin de rue les escarpins devenus trop étroits, tu repris ta route, choisissant minutieusement les ruelles les moins fréquentées, t’empourprant de honte à chaque fois que l’on murmurait pour te montrer du doigt.
« Je vous le jure, quand je remets la main sur cet enchanteur de mes deux, il va passer un sale quart d’heure, maugréas-tu dans ta barbe. »
Tu couvris brièvement tes épaules frissonnantes de tes doigts gelés, frottant vigoureusement pour ne pas te laisser emporter par le froid de la saison. C’était bien le moment d’avoir laissé ton sac à la maison pour aller faire ton boudin hors de la résidence de Wolfram après votre énième dispute. Tu rêvais d’un bain chaud et du feu crépitant d’une cheminée, à la place, tu étais simplement entouré de pierres aussi froides que la glace. Un nuage blanc s’égarant de tes lèvres dès que tu soufflais en claquetant tes dents.
La plante de tes pieds était rougie à mesure que la brûlure du froid s’attaquait à tes membres, impitoyable. Il fallait que tu trouves un moyen de t’abriter au plus vite, c’était un risque à ce que tu ne revoies jamais la lumière du soleil alors que celui-ci déclinait peu à peu à travers la grisaille des nuages. Une porte se fermant attira aussitôt ton regard, et en quelques enjambées, tu avais rejoint la boutique, ne t’arrêtant même pas pour regarder l’enseigne. Une chaleur presque invasive te picota aux endroits les plus froids, reprenant peu à peu des couleurs.
« Je… Je suis navré d’arriver ainsi… Dans cet accoutrement… Commenças-tu en direction du maître des lieux. Mais, j’ai besoin d’aide. »
Tu étais sincèrement confus, mais tu t’obstinais à garder la tête basse, mal à l’aise. Tu faisais peine à voir, les lèvres bleuies, le corps blanc comme un linge, tu avais plus la sensation de te rapprocher du cercueil que de l’apogée de ta vie. Relevant ton visage, tu pus croiser un visage qui t’était quelque peu familier, recherchant quelques instants dans ta mémoire, une grimace imperceptible finit par étirer mes lèvres. C’était vague et ça datait du Solstice. La demoiselle au chocolat, n’ayant pas pris le temps de noter autre chose que ‘’guenon’’ pour la nommer, tu te retins de la moindre réflexion pour t’éviter de te retrouver le cul dans le froid.
« Je vous remercie par avance de votre hospitalité, achevas-tu avec un sourire crispé. »
La journée avait été relativement calme jusqu’à présent. Elle laissait de plus en plus le contrôle de sa boutique à Nessa, depuis qu’elle était libérée du mercenaire - dans l’idée de pouvoir rattraper tout ce qu’elle n’avait pas pu faire durant presque deux ans -, et, aujourd’hui, elle n’était que là pour être une paire de bras supplémentaire si la jeune apprentie avait besoin d’aide au salon de thé et, surtout, pour créer des sculptures. Nessa n’avait pas ce don, Ivara était la seule à pouvoir faire les statues de verre si particulières.
C’est alors qu’il - ou elle - était entré en trombe dans L’Atelier, dans un accoutrement des plus ridicules. C’était un véritable attentat à la pudeur. Une ignominie comme on en avait rarement vu. Nessa jetait des regards incrédules à Ivara, l’air de lui dire « Je suis vraiment en train de voir ce que je vois ? ». Si elles n’avaient pas été aussi stupéfaites par l’arrivée tonitruante de cet individu, et si elles n’avaient pas voulu garder leur professionnalisme, elles auraient sûrement ri aux éclats tant la coïncidence était troublante. Un homme habillé en femme venait d’entrer dans la boutique d’une femme qui avait partagé son corps avec l’âme d’un homme durant des lunes.
Mais, les secondes s’écoulant, Ivara commença à noter plusieurs choses sur le physique de l’inconnu. Ce furent surtout ses lèvres bleues qui commencèrent à éveiller un instinct protecteur chez la sculptrice. Il faisait froid. Ce n’était certainement pas la saison de porter des vêtements aussi courts et révélateurs de… Certaines choses. Cette constatation, liée aux premiers mots prononcés par l’homme en haillons, acheva de réveiller Ivara de sa torpeur première. Il était l’heure d’agir et sa bonté d’âme commençait à reprendre le dessus. Elle était pleine d’empathie pour le genre humain, et cela personne ne pourrait le lui retirer, pas même la personnalité sombre du mercenaire, qui était devenue une autre part d’elle-même malgré son départ.
- Nessa, je m’occupe de monsieur. Vous, elle darda son regard vers le grand brun qui faisait peine à voir, suivez-moi si vous ne voulez pas mourir de froid.
Elle aurait voulu se gifler. Certains mots ne venaient pas d’elle. L’ancienne Ivara n’aurait jamais dit ça. Pas comme ça. Et, lorsqu’elle croisa le regard de son apprentie - qui avait été au courant pour Inaros - elle vit qu’elle aussi commençait à comprendre qu’Ivara n’était plus seulement la douce et prévenante jeune femme qu’elle avait été. La femme sculpteuse fit néanmoins un signe de tête vers Nessa pour lui demander de s’occuper des quelques clients encore présents, avant de faire signe à l’homme de la suivre derrière le comptoir. Ils passèrent l’arche qui menait, un peu plus loin, à un escalier qui montait. Il conduisait à ses appartements et, dans l’état actuel des choses, elle ne voyait pas en quel autre lieu elle aurait pu l’emmener.
- Je ne vous ferai pas l’affront de vous demander comment vous vous êtes retrouvé dans une telle situation. Mais vous m’avez tout l’air d’avoir besoin de soin. C’est chez moi, ici. Je m’appelle Ivara Streÿk, mais vous pouvez m’appeler…, par habitude et politesse, elle tourna la tête pour jeter un coup d’oeil vers celui qui la suivait, avant de se raviser lorsqu’elle se rappela qu’il était presque nu. Ivara. Juste, Ivara. acheva-t-elle dans un souffle rapide.
En vérité, elle n’osait pas vraiment le regarder. Non pas qu’elle ait reconnu celle - celui? - qui l’avait insultée de guenon au Solstice, de toute façon elle n’aurait jamais pu la - le? - reconnaître sous cette apparence, mais elle était gênée par la nudité apparente que les haillons laissaient apercevoir et, si on tenait vraiment à avoir son avis, elle était presque certaine que la dentelle qu’elle voyait dépasser sur sa hanche n’allait pas tenir très longtemps. Elle ouvrit la porte et laissa l’homme entrer à sa suite. L’appartement n’était pas bien grand, suffisamment pour qu’elle puisse s’y sentir à l’aise. Il y avait une pièce à vivre avec une cuisine et trois autres portes menaient respectivement à sa chambre, la salle d’eau et une autre pièce dans laquelle elle passait le plus clair de son temps à créer tout un tas de choses.
- C’est le bordel. Désolée. commença-t-elle à expliquer en ramassant divers objets qui traînaient ici et là pour les ranger à leur place. Raaaah… Pourquoi c’est toujours quand on a besoin d’un truc qu’on le trouve pas…
Toujours pas un seul regard en direction de l’inconnu. Sa priorité était de lui trouver quelque chose pour le recouvrir. C’est alors qu’elle l’aperçut. Sa couverture bleue. Elle était suffisamment grande pour l’envelopper entièrement mais, sur le brun, cela ne risquait pas d’être le cas. Enfin, au moins cela pourrait le couvrir un peu plus.
- Attrapez ça… dit-elle en lançant la couverture vers lui.
Erreur fatale. Les efforts des dernières minutes furent réduits à néant en un instant. Tandis que la couverture quittait ses mains pour rejoindre celles de l’homme, le regard d’Ivara eut tout le loisir de s’attarder sur le corps de celui qui lui faisait face. Merde, il était mieux foutu que ce qu’elle pensait. Qu’est-ce qu’il foutait dans de tels non-vêtements ? Et si tout cela n’était qu’un piège ? Et si c’était quelqu’un qui avait été envoyé pour la duper et la tuer parce qu’elle avait, tout au fond d’elle, récupéré l’intégralité des souvenirs du mercenaire ? Et si, et si, et si…
De l’extérieur, perdue dans ses réflexions et le regard focalisé sur la musculature apparente de l’homme, elle ne devait pas paraître très fine. Elle ne s’en rendit compte que trop tard, toussotant un petit coup pour essayer de passer à autre chose.
- Je… Euh, vous réchauffer. Oui. Euh. Vos lèvres, elles sont bleues.
Enroulé dans le drap, tu te permis enfin d’ouvrir la bouche, moins tremblant qu’à ton arrivée dans la boutique.
« Je vous remercie de ne pas vous questionner plus que nécessaire sur cette situation, Ivara. Je préfère éviter de rentrer dans ces détails, soupiras-tu avec dépit. »
Tu t’étais rapproché, perturbé par ta hauteur, avec ce qu’il s’était passé, tu ne t’étais même pas rendu compte que tu avais gagné quelques têtes en plus. Ton regard glissa sur la demoiselle t’amusant de ses diverses expressions qui passaient sur son visage, inconscient de ce qui se tramait dans son crâne. Tu remis de la distance entre vous afin d’éviter de la perturber plus que nécessaire.
Regardant autour de toi, tu n’osais pas vraiment te mettre à tes aises. En général, tu n’aurais même pas hésité à tirer une chaise pour poser tes pieds sur la table. Mais aujourd’hui, tu te contentais de garder un savoir-vivre sans en connaître les raisons. Probablement pour ne pas être jeté à la rue, du moins c’est ce que tu te persuadais.
« Vous pouvez m’appeler… »
Tu pris une pause, comment fallait-il t’appeler ? Une légère grimace apparut sur tes lèvres, tu n’avais pas pensé une seule seconde à un nom lorsque tu avais fait appel à cet enchanteur. Quel imbécile ! Ce tatouage devait pourtant t’aider à cacher ton identité pour éviter que l’incident avec Warren se reproduise. Tu réfléchissais à toute vitesse alors qu’un silence s’attardait dans la pièce. Mordant ta lèvre, tu n’avais pas la moindre idée de ce que tu devais inventer pour que ça ne paraisse pas trop gros.
« Neil… Neil Grim… Achevas-tu avec un léger sourire forcé. »
Tu avais sûrement vu ce nom dans un ouvrage qui traînait sur ta table de chevet – un cadeau de l’héritier O’Callaigh pour ton père, au moins il avait su se montrer utile – mais ça ferait l’affaire. Personne ne se poserait trop de questions à ce sujet. Du moins tu l’espérais. C’était peut-être encore un des artistes du mécène, tu t’en fichais.
Une main fatiguée se glissa sur ton visage, puis tu entrepris à retirer les morceaux de tissu déchirés sous la couverture. Dommage, c’était l’une des robes préférées de Maximilia, tu passerais sûrement un sale quart d’heure en rentrant. Le moment fatidique arriva lorsque tes doigts effleurèrent la dentelle de ta culotte. Tes joues se teintèrent subitement d’un rouge furieux, et tu baissas la tête. Pressé par la situation, tu n’avais pas réalisé à quel point la situation était embarrassante. Il avait dû falloir un self-control à toute épreuve pour les deux jeunes femmes afin qu’elles n’explosent pas de rire. À leur place tu aurais très probablement ricané ouvertement.
La laissant finalement en place, tu détournas ton regard céruléen vers un point du mur.
« Vraiment merci… Tu repris mort de honte. Je suis désolé de vous demander ça… Je doute que vous ayez quoique ce soit, mais j’aimerais enfiler de véritables vêtements… »
Il n’y avait vraiment que toi pour finir dans un état pareil. Et surtout face à elle. Dans un sens, ce n’était pas plus mal qu’elle ne puisse pas te reconnaître. Mais maintenant que tu l’observais, tu pouvais bien admettre que la blondinette avait un certain charme pour ne pas dire qu’elle possédait un véritable visage d’ange derrière ses longues mèches dorées.
Tu ne sus combien de temps tu te mis à la dévisager avant de te détourner en te passant une main dans la nuque, agréablement surpris de sentir les muscles rouler sous ta paume. Tu prendrais le temps de te détailler plus tard lorsque tu aurais un moment d’intimité.
Plongeant tes orbes bleutés dans les siens, tu lui offris un léger sourire.
« Je suis vraiment navré d’abuser de votre temps, mais je pourrais encore vous demander un service ? Je vous en serais vraiment reconnaissant… Seulement je suis un peu pressé par le temps.»
Tu te doutais qu’aucun vêtement ne serait adapté pour toi ici, mais tu avais bien d’autres solutions pour te déplacer. Tu saisis la main délicate de la jeune femme entre les tiennes, baissant ton regard sur elle.
« Je vous rendrai pour sûr ce que vous avez fait pour moi, lui soufflas-tu suffisamment proche. »
Une vague prière pour la déesse fut murmurée entre tes dents, et la couverture retomba sur le sol mollement. Luisant et affuté, tu étais désormais cette belle épée dans la main d’Ivara. Si elle devait te lâcher de surprise tu te hâtas d’ajouter. Ta voix que seule elle pouvait entendre coula dans son esprit, claire et limpide.
« Ne me lâchez pas s’il vous plaît. Ce sera plus facile pour nous déplacer dans la ville sans que tous les regards soient sur moi. Vous voulez bien faire ça pour moi ? »
Tu ne savais pas si elle accepterait de t’aider, mais tu l’espérais vraiment. Au moins pour que tu puisses te trouver des vêtements décents.
Puis glissant le long de ta lame, la culotte en dentelles acheva son périple sur le sol, fendue par ton tranchant.
Son regard rencontra le sien, tandis qu’elle toussait encore un peu, et elle sentit une bouffée de chaleur lui monter jusqu’à la tête. Il avait sûrement vu la façon dont elle l’avait toisé. Quelle impolitesse de sa part ! Elle voulut se justifier, mais aucun mot ne sonnait bien dans son esprit et tous ne serviraient pas sa cause, bien au contraire. Mais, contrairement à tout ce à quoi elle se serait attendue, il ne sembla pas lui en tenir rigueur et la remercia.
Il y eut alors la chaleur des mains de celui qui se prénommait Neil Grim ; un nom qui, en cet instant, ne lui évoquait rien. Instinctivement, elle voulut se dérober à ce contact. Avant le mercenaire, elle avait, comme toutes personnes sensées, du mal à accepter la proximité des inconnus. Après le mercenaire, c’était encore pire. Encore plus quand l’idée que le jeune homme face à elle puisse lui vouloir du mal ou lui soutirer des informations sur le criminel ou l’Ordre avait germé dans son esprit quelques instants plus tôt. Ce furent les mots de Neil qui l’empêchèrent de sortir ses griffes et de réagir comme un animal en danger.
- Je, c’est normal, oui, bien sûr… commençait-elle à répondre.
Il était étonnamment proche. Trop proche. Elle pouvait presque sentir le souffle chaud du brun sur son faciès tandis qu’il lui assurait qu’il lui rendrait le service qu’elle lui rendait. Nul doute qu’il devait être vraiment très gêné par la situation et la sculptrice allait lui dire que ce n’était pas nécessaire quand il n’y eut soudain plus personne devant elle. Plus de souffle chaud, plus de regard enivrant, juste le vide face à elle. Et un poids en plus dans sa dextre. Surprise, elle faillit ouvrir le poing pour relâcher ce qu’il y avait, sans même y avoir jeté un coup d'œil, quand la voix masculine résonna dans son esprit.
Au début, ce fut la panique. Son palpitant s’affola, la sueur commença à perler sur son front et elle se sentit à deux doigts de passer l’arme à gauche. Quelqu’un parlait dans son esprit. Avait-on de nouveau pris possession de son corps ? Cet homme était-il en réalité Inaros, revenu se venger ? Pourquoi ne la laissait-on pas en paix ? Pourquoi ne pouvait-elle pas être seule dans sa propre tête ? Pourquoi… ?
Au bord des larmes, presque convaincue de ce nouvel échec dans sa vie, elle était à deux doigts de s’effondrer quand les mots qu’elle avait perçu dans son esprit prirent soudain forme pour faire une phrase cohérente.
- C-c-comment ça… Ne pas vous « lâcher » ?
Elle baissa les yeux à l’instant même où la culotte en dentelles achevait sa course sur son parquet. Ses lippes s’entrouvrirent puis s’écartèrent pour former un O de surprise. Et quelle surprise ! Dans sa main droite, une épée qu’elle n’avait jamais vue auparavant et qui semblait être…
- Neil ?! Neil c’est bien vous ? Mais… Oh. Serait-ce votre don ou les facéties d’un enchanteur qui, non content de vous avoir vêtu d’une robe trop courte, s’amuse maintenant à vous transformer en épée ?
Quel soulagement, cela signifiait qu’elle n’était pas devenue folle, ni possédée une seconde fois !
- Que… Je dois faire quelque chose en particulier ? Vous m’entendez, quand je vous parle ?!
Et, tout en essayant d’établir un contact avec Neil l’épée, elle la portait jusqu’à hauteur de ses yeux, essayant de deviner si un visage s’y était dessiné. Elle n’aperçut rien, à son plus grand regret. Ni la petite bouche, ni les deux grands yeux bleus qui la fixaient encore quelques minutes auparavant…
- Et… Vous êtes humain, de base, hein ? Vous n’êtes pas une épée qui serait devenue humaine. Enfin, humain ?
Premier rire depuis l’étrange transformation de Neil. Par précaution, elle éloigna la lame de son visage. Si jamais celui-ci pouvait un minimum bouger sous cette forme, elle se serait sans doute retrouvée avec un œil en moins.
- Bon, je suppose qu’on a pas le choix. Je vais, euh… Vous voudrez récupérer votre culotte ? Je crois que c’est le seul morceau de tissu qui a résisté à… Quoique vous ayez fait.
Sortir acheter des vêtements était sans doute la meilleure solution, même si elle conservait beaucoup de tenues masculines, elle n’aurait jamais rien eu à lui proposer à sa taille. Elle posa la lame sur la table, essayant de continuer de communiquer avec elle pour lui expliquer ce qu’elle faisait. La blonde allait revêtir son manteau et, ainsi, elle pourrait plus aisément le cacher. Ils étaient à quelques pas de la Place Commerçante, se balader avec une arme en étant une simple citoyenne ne serait sûrement pas bien vu…
- … Et nous allons donc sortir par la porte de derrière, Neil.
Ce qu’ils firent et c’est ainsi que, soigneusement dissimulé sous l’épais tissu, Ivara redescendit les escaliers et emprunta une autre porte qui la mena sur la cour extérieure. Elle demanda à Neil s’il pouvait respirer et s’il était tout à son aise ainsi.
- Si je parle comme ça, vous m’entendez toujours ? souffla-t-elle. Allez, pendant qu’on marche et pour éviter que ce soit moi qui parle toute seule et passe pour une folle, racontez-moi un peu des choses sur vous. Je sais que vous portez des culottes en dentelles, mais je crois qu’on est allés trop vite trop loin dans les détails.
Elle laissa échapper un petit rire guilleret, sortant de la cour pour arriver dans l’une des nombreuses rues commerçantes. Elle ne perdait pas de vue leur objectif, cherchant un magasin de vêtements tout en marchant lentement pour ne pas donner la nausée à l’épée. Elle préférait bien faire… Même si elle n’avait pas de bouche, Ivara ne voulait pas que l’épée lui vomisse dessus parce qu’elle marchait trop vite et la secouait trop fort.
Puis tu t’apercevais qu’elle était loin d’être aussi désagréable que ce qu’elle avait laissé paraître lors de votre première rencontre. Mais tout aussi inconscient du débat interne qui assaillait la pauvre artiste.
« J’entends tout ce qu’il se passe autour de moi, mais dès que vous me lâchez, je suis incapable de parler. »
Tu ne savais pas si c’était une bonne idée de déballer tous les secrets de ton pouvoir, seulement il allait bien falloir que tu places ta confiance en elle au moins jusqu’à ce que tu puisses enfiler une tenue décente. Incapable du moindre mouvement jusqu’à ce que tu décides de reprendre forme humaine.
« Mais je suis bien humain, c’est juste… Mon pouvoir. »
Il était vrai que tu n’avais pas l’occasion de l’utiliser souvent, celui-ci ne t’étant pas vraiment utile lorsque tu étais seul. Et n’étant pas non plus un homme de terrain, tu n’avais que peu de raisons au final de te dissimuler. De plus, avec un nom d’emprunt, il y avait peu de chance qu’on remonte jusqu’à votre réelle identité. Et puis, quelle menace pouvait bien représenter une jeune femme aussi frêle que l’était Ivara.
Tu étais alors loin d’imaginer qu’un réel réseau enchevêtré vous reliait tous les deux.
« Vous pouvez la jeter, je doute qu’elle puisse servir de nouveau, soupiras-tu dans son crâne. J’aurais bien l’occasion d’acheter quelque chose de plus adapté.»
Tu te vis presque lever les yeux au ciel, alors que le morceau de tissu n’était plus qu’un chiffon sur le sol. Et tu avais également envie d’enterrer cette fichue journée dans un coin de ta mémoire. Tu imaginais sans mal Maximilia s’étouffer de rire, et le vieux bouc réprimer un sourire pour se moquer de ta condition. Tu te garderais peut-être bien d’évoquer cette situation embarrassante au détour d’un repas.
«Je n’ai pas grand-chose à raconter, du moins, je n’ai rien de plus qu’un autre si ce n’est une malédiction de malchance qui pèse sur moi, grommelas-tu dans la pensée de la jeune femme. Et croyez-moi, je n’ai pas ce genre de lubie étrange que vous semblez imaginer. Je pense simplement que Lucy cherche à me punir. »
Incapable de remuer, tu lui intimas d’au moins laisser dépasser le pommeau histoire de pouvoir cerner le monde autour de toi, non pas que tu étouffais, mais la vision des ténèbres n’était pas le plus agréable pour toi. Lorsqu’elle accéda à ta requête, tu la guidas à travers de nombreuses ruelles peu animées afin que vous puissiez continuer à communiquer sans qu’elle ne passe pour une folle.
« Je vous trouve quand même bien calme malgré la situation inédite qui s’est offerte à vous. Vous avez accepté de m’aider sans poser de questions. Vous avez dû en voir des choses durant votre vie pour rester autant de marbre. »
À sa place tu aurais probablement éclaté de rire avant d’humilier un peu plus la personne en question, mais c’était une réflexion que tu te gardas bien d’évoquer.
Arrivés devant une enseigne luxueuse, tu lui indiquas que c’était bien le lieu recherché. Tu savais que Maximilia aimait s’habiller ici, et faire de ton corps une véritable poupée vivante. Et malgré ses choix étrange tu devais avouer qu’elle avait bon goût.
« Vous pouvez vous présenter au nom des O’Callaigh, ils n’oseront pas vous faire la moindre réflexion. »
Tu la fis avancer à travers les diverses tenues jusqu’à trouver en trouver une complète. Une fois déposé dans la cabine, tu repris forme humaine, heureux de ne plus te sentir à l’étroit dans des vêtements déchirés. Tu enfilas bien vite ta tenue avant de sortir de la cabine plus à l’aise. Tu ressemblais enfin à un noble aux allures qui y correspondaient. Tu jetas un regard vers le bas pour observer la blondinette qui t’avait attendu.
« Je pense que c’est un peu plus approprié pour discuter. »
Un vague sourire étira tes lèvres et tu tendis une main dans sa direction pour déposer un baiser chaste sur la sienne.
« Je n’ai pas les mots pour vous exprimer ma gratitude. »
Tu détestais cette façon pédante de t’exprimer, mais tu étais réellement reconnaissant envers la jeune femme de t’avoir permis de t’en sortir avec le moindre dégât. Tu observas le ciel brièvement, celui-ci présentant encore une heure décente.
« Puis-je encore abuser de votre temps ? Je tiens à vous remercier comme il se doit. »
Le temps que celle-ci prenne le temps de réfléchir, tu te permis de te diriger vers l’employé qui gardait la boutique, lui murmurant de laisser un mot ainsi que la note à la maison O’Callaigh. Ashley ne serait probablement pas le plus à plaindre s’il prenait sur ses biens, et Wolfram saurait parfaitement lui rendre ce qui avait été emprunté. Tu n’avais aucune inquiétude à ce sujet.
Lorsque ce fut bon, tu revins vers Ivara en lui présentant ton bras.
« Voyez ça comme une escorte. Et si vous vous êtes décidée, j’ai peut-être un endroit où vous inviter pour un thé et des pâtisseries de qualité. »
Tu avais gardé ce souvenir en tête où ses orbes bleutés s’étaient mis à luire devant diverses sucreries, peut-être que ça lui ferait également plaisir.
« Sinon, je vous raccompagne chez vous. Je vous laisse me faire part de ce que vous préférez. »
Ta course pouvait bien attendre encore un peu.
Après être entrés dans la boutique, elle aida Neil à choisir une tenue et le déposa dans la cabine avant de reculer de quelques pas et de rabattre le tissu en soie qui permettait d’occulter l’intérieur. En l’attendant, elle se promena parmi les rayons, cette fois côté femme, pour admirer ce qu’elle ne pourrait jamais s’offrir aisément. Chaque vêtement semblait encore plus précieux que le précédent. Les vendeurs n’avaient pas moufté, comme prévu, lorsqu’elle s’était présentée sous le nom de O’Callaigh. Qui que soit cette personne, elle n’était pas un simple et pauvre citoyen. Il vivait probablement dans un monde un peu plus doré que le sien. En était-il de même pour Neil, s'il avait un lien avec lui ? « Je vais tout de suite vous prendre ça. », indiqua-t-elle au commerçant, lui reversant la somme demandée en cristaux pour ce qu’elle venait de dénicher. Elle retourna ensuite près de la cabine, où sortait justement l’homme - sous son apparence d’homme et non plus d’épée. Elle plaqua aussitôt la paume de ses mains sur ses yeux.
- Vous êtes certain que je peux vous regarder ? Je ne voudrais pas que votre pudeur ne soit encore mis à mal… Rétorqua-t-elle en entrouvrant ses doigts pour laisser passer un peu de lumière et qu’elle puisse distinguer les traits du brun.
Elle ne put s’empêcher de rire sincèrement, une nouvelle fois, avant qu’elle ne tende en retour sa main vers la sienne pour qu’il y dépose un baiser.
- Allons, je vous en prie Neil ! C’était tout à fait normal que je vous aide. Ne me remerciez pas plus que ça, vous allez me vexer.
Elle avait vraiment l’air d’une paysanne à côté de lui et, tandis qu’il s’éloignait pour régler ses propres achats après avoir posé cette question, elle ne put s’empêcher de réagir comme n’importe quelle personne à qui on venait de proposer une sortie… En faisant un petit pas de côté pour se mettre face au miroir de la cabine d’essayage. Là, elle essaya d’arranger ses cheveux et son maquillage et en profita même pour lisser les plis de sa jupe. Elle pesta une nouvelle fois contre cette mèche blonde qui refusait de rester à sa place et ce fond de teint qui ne couvrait pas suffisamment les marques sur son faciès, tentant vainement d’en faire quelque chose avant de redescendre aux côtés de Neil qui l’attendait près du pas de la porte. Avec un demi-sourire, elle planta ses prunelles dans les siennes et attrapa le bras qu’il lui présentait.
- J’accepte uniquement parce que vous parlez de sucreries, et non pas parce que vous me devez quelque chose.
Tenant d’une main Neil et de l’autre son précieux paquet fermé par un ruban, elle sortit à ses côtés en le laissant la guider vers l’adresse qu’il connaissait. Ivara était gourmande et celui-dont-elle-ne-voulait-plus-pronnoncer-le-nom n’avait pas retiré cette particularité. Tandis qu’ils marchaient, le regard de la sculptrice allait de ruelles en toits, de toits en recoins et de recoins à Neil. Méfiante car elle savait que le mercenaire lui avait laissé plusieurs ennemis, bien qu’ils ne le reconnaîtraient sûrement pas en elle, la blonde ne pouvait s’empêcher d’imaginer plusieurs situations problématiques et leurs solutions. Une autre part d’elle avait pourtant envie de se détendre un peu plus pour profiter de cette agréable compagnie.
- J’espère que vous ne m’emmenez pas chez un de mes concurrents, plaisanta-t-elle alors en coulant un énième regard vers lui.
Thé, pâtisseries, elle connaissait bien ça. Mais, à sa connaissance, aucun ne proposait un spectacle mettant en avant la fabrication de sculptures de verre. Naviguant ensemble dans les rues de la Capitale, ils arrivèrent à bon port. Ses yeux s’illuminèrent devant tout ce sucre à portée de bouche.
- Concurrent ou pas, je ne peux que m’incliner devant la beauté de ces pâtisseries. Avez-vous vu celui-là ? Je me demande comment toutes ces couches peuvent tenir en équilibre…
Le reste de la journée se passa sans aucun accro particulier. Neil lui avait fait découvrir un superbe salon de thé, très différent du sien, mais qui eut le mérite de ravir ses papilles. Elle ne découvrit pas grand-chose de plus, sur cet homme qui avait débarqué dans son atelier sans crier gare. Il lui apparaissait comme quelqu'un de très sympathique, sous ses airs bougons au premier abord et, elle n'aurait su expliquer pourquoi, mais elle adorait la façon dont il avait de tordre ses lèvres lorsqu'il lui parlait, ou encore d'admirer son profil lorsqu'il se tournait.
Ils s'étaient quittés devant L'Atelier. Et, alors qu'il s'apprêtait à lui faire un baise-main, elle s'était penchée pour déposer un baiser sur sa joue. Son geste n'avait aucune explication. Elle avait passé un moment très agréable, qui lui avait fait oublier les tracas de son quotidien. C'était presque sa façon à elle de le remercier. Qui sait si elle le reverrait un jour ? Ils ne faisaient pas partis du même monde. La dorée s'était ensuite reculée, un sourire irrésistible collé sur son visage, et elle lui avait fait signe de la main en s'exclamant.
- Au revoir, Neil ! Restez méfiant, surtout ! Ce serait dommage que vous débarquiez une nouvelle fois dans ma boutique, uniquement vêtu d'une culotte en dentelles...
Elle était ensuite rentrée à l'intérieur, avait verrouillé la porte à clés et était montée à l'étage pour prendre une bonne douche chaude après cette journée pleine de rebondissements. Ce n'est qu'une fois sortie, uniquement vêtue d'une serviette enroulée autour de sa poitrine, qu'elle eut soudain une pensée dérangeante. N'était-il pas un peu jeune, ce Neil ? Qu'est-ce qui lui avait pris d'être aussi gentille avec lui ? La part du mercenaire en elle désapprouvait déjà cette attitude et le lui faisait savoir, rendant ses réflexions sur la journée plus confuses encore.
- Allez, ma vieille, ressaisis-toi... se marmonna-t-elle, tout en faisant bouillir de l'eau dans une casserole.
À bien y réfléchir, elle avait probablement eu un coup de cœur, un « crush » qui ne durerait probablement pas et qu'elle aurait délaissé d'ici quelques jours voire semaines. C'était sans doute pour le mieux. Elle ne devait pas oublier de se concentrer sur ses autres objectifs. Aucune idylle n'avait encore sa place dans sa vie.