Un bref sourire se dessina sur mes lèvres lorsque la dragonne se dirigea vers moi, son excitation prônait une certaine candeur tant d’un zèle contagieux. Je posai une main sur son épaule pour la rassurer. Je n’étais peut-être pas un vétéran mais j’étais suffisamment expérimenté pour savoir que cette chasse se passerait sans encombre.

« Ne restons pas là, lui intimai-je d’un ton doux. Rejoignons déjà le village pour savoir ce qu’il en est. »

Je jetai alors un léger regard à son familier puis je lui répondis d'un mouvement de la tête. Un familier pour un premier repérage n’était jamais un luxe dont on pouvait se passer. Il pourrait certainement se rapprocher sans mettre en alerte tout un troupeau qui risquait de charger face à la moindre menace.

« Le principe de la chasse repose en fait sur la traque et la patience. Se jeter sur les créatures ne nous poussera juste vers une mort certaine. »

Je réajustai mes gants, lui expliquant patiemment les rudiments de la chasse, du moins de ce que je savais. J’avais l’habitude de travailler seul pour ce type de mission, bien plus à l’aise et surtout moins gaffeur lorsque je n’avais pas la sensation permanente que l’on me jugeait sur mes compétences. Aux côtés de Sio, je ressentais cette même sérénité que lorsque j’étais accompagné de sa sœur aînée. Certainement la gentillesse qu’elles partageaient, commune à cette famille puis-je en déduire.

Sur le chemin, j’embrassai le délicat paysage sylvestre du regard. Il nous accueillait avant de pouvoir rejoindre les plaines. La carte indiquait que nous n’étions plus vraiment loin du domaine, et il était étonnant que le temps se montre aussi doux alors que nous étions en pleine saison froide, le sol recouvert désormais d’un vaste manteau neigeux. Mes bottes s’enfoncèrent dans la boue, preuve d’un passage régulier sur la neige. Le terrain avait été battu à mainte reprises.

Je n’étais pas un grand bavard, me contentant de quelques vagues explications, gardant les yeux rivés sur le sol. Si j’étais content d’accompagner Sio pour sa première mission, j’espérais que celle-ci ne regrette pas ma présence effacée. Nombreux étaient ceux qui rejetaient les propositions pour m’accompagner et je n’avais jamais eu le cran de les retenir. Je secouai la tête pour retirer ces mauvaises pensées. Il n’était pas temps de décevoir ma jeune amie.

Entrant dans un modeste hameau, je finis tout de même par jeter un regard dans la direction de Sio avant que nous commencions à glaner quelques informations.

« Tu sais te servir de quelles armes ? Une affinité avec quelque chose en particulier ? »

Je ne pouvais simplement la laisser rentrer sur le champ de bataille sans qu’elle ne soit un minimum formée. Même s’il ne devait s’agir que de faire le nœud de nos pièges. Observant son attirail, il était possible de voir qu’elle avait un matériel qui ne se contentait que d’une maigre protection.

« Il faut que tu restes consciente que même s’il s’agit d’une quête assez simple, ça reste un danger qui pèse sur nos épaules. Tant pour les autres que pour nous et je tiens à te ramener en un seul morceau. Alors si tu as le moindre doute, même si tu penses qu’il peut être stupide, je préfère que tu m’en fasses part. »

C’était un sujet qui me faisait perdre mon mutisme, je ne souhaitais pas jouer avec la vie d’autrui pour des erreurs qu’il était possible d’esquiver.

Je ne pus m’empêcher de laisser échapper un rire léger, son excitation et sa bonne humeur étaient vraiment contagieuses. Je repris alors ma route en direction de la maisonnée la plus grande et la plus ornée. Certainement la bâtisse du chef du village. Pendant ce temps, je pris le temps de réfléchir sur la réponse que j’allais donner à la jeune Zmeï.

« Déjà nous allons nous renseigner sur l’état de la situation, constater la gravité des dégâts, puis nous aviserons ce qu’il faudra abattre afin de réguler la population, je pris une légère pause avant de continuer pensif. Les bouctons peuvent se montrer dangereux, mais ils ne sont pas très futés et c’est de grosses proies, facile à appréhender. Et surtout facile pour apprendre les rudiments de la chasse. »

Alors que nous arrivions devant le bâtiment, je pris une longue inspiration en fermant les yeux. Je détestais cette partie de notre travail. La communication n’était pas mon fort, et si je ne me mordais pas quatre fois la langue avant de parler, il était évident que je commettais toujours une belle gaffe. Sauf que cette fois-ci, j’avais une jeune recrue qui s’essayait à sa première quête. Lorsque je rouvris les yeux après avoir fait une brève méditation interne, la porte s’ouvrit à grande volée, et je me la pris dans le nez.

J’étouffai une plainte de douleur en posant ma main sur le visage, alors qu’un liquide écarlate dégoulinait de mon visage. Je retirai quelques secondes mes doigts pour voir l’étendue des dégâts avant de faire un point de pression.

« NON ! J’ai décidé ! Je veux y aller auss-… Oh non ! Excusez-moi ! »

Une fillette de quelques années s’approcha de moi confuse alors que je lui faisais signe que tout allait bien. Ce n’était pas très agréable, mais je savais que j’allais m’en remettre facilement. Grosse première impression… Je soupirai intérieurement, de toute façon, rien ne se passait vraiment bien avec moi.

La petite rouquine nous observa, puis je supposai qu’elle remarqua nos plaques d’aventurier, car son regard s’éclaira soudainement.

« Vous êtes là pour la mission ? Vous êtes des aventuriers ? Des vrais ? »

Un torrent de paroles interminables, et mon nez qui ne s’arrêtait pas. Pourtant, je ne pus m’empêcher de lui sourire légèrement amusé. J’opinai du chef en reculant de quelques pas pour la laisser nous tourner autour.

« Nous venons chercher quelques renseignements avant de commencer notre quête, répondis-je. Vers qui devons-nous nous tourner ?
- Eh ben à mo-…
- Annette ! Reviens ! Nous attendons les aventuriers ! C’est trop dangereux pour toi ! »

Une élégante dame sortit également du domicile le souffle court, à la recherche de la petite qui s’émerveillait devant nous. Puis son regard s’arrêta sur nous, et je vis son visage devenir soudainement blanc.

« Mais par Lucy vous êtes blessés ! Qu’est-ce qu’il s’est passé ? S’écria-t-elle.
- C’est ma faute maman… »

Celle-ci jeta un regard dans ma direction et je secouai légèrement la tête. Puis je baissai mon regard sur le sol, détestant devoir soutenir celui des autres.

« Rien de grave je vous assure, ça va passer. Nous sommes envoyés par la Guilde.
- Oh ! C'est vous, merci de vous être déplacés aussi vite ! S’exclama-t-elle d’un ton chaleureux en nous ouvrant la porte. Je vous en prie entrez, je vais vous chercher de quoi vous débarbouiller. »

Accueillis dans une pièce richement décorée, nous fûmes invités à nous installer sur un canapé en velours. Je me sentis d’autant plus mal à l’aise que cela me rappelait de mauvais souvenirs, mais je pris sur moi pour expliquer tant bien que mal comment nous allions procéder. En échange la maire du village nous donna davantage d’informations sur le troupeau de bouctons qui nous attendaient. Ils étaient une dizaine à rôder autour du village. Mais plutôt dociles car habitués au contact humain, ils ne chargeaient pas à vue.

« Il y a quand même eu de récentes attaques ?
- Des blessés même, c’est pour cela que nous avons fait appel à la Guilde. »

Je souris, affable. Nous avions recueilli les informations nécessaires. Je remerciai la cheffe du village de toutes ces informations avant de tourner mon regard vers Sio.

« Nous allons enfin pouvoir mettre un plan d’action pour voir ce qui est à éliminer.
- Moi aussi je veux venir ! »

Surpris je regardais la fillette s’accrocher à ma cape. Je passai ma main derrière ma nuque, un sentiment de malaise me traversant. Je ne savais pas quoi lui répondre. Mais il était évident que nous ne pouvions pas l’emmener.

Un mince sourire étira mes lèvres, alors que j’acquiesçai du chef en sortant de la bâtisse.

« En effet, c’est une mission de la plus haute importance. »

C’était également un problème en moins à gérer, nous permettant de nous déplacer librement. Il était donc temps de vérifier la gravité de la situation. En marchant, je laissai mon corps s’étendre douloureusement, les oreilles pointant sur le haut de mon crâne, la queue s’allongeant dans mon dos. La traque pouvait enfin commencer. Nous sortions des sentiers battus pour nous diriger vers l’orée de la forêt, là où le dernier passage des bouctons avait été signalé. L’odeur boisée en plein hiver avait cette flagrance unique qui me rappelait à quel point la nature était agréable.

Peu après, je fis signe à ma comparse de garder le silence en lui intimant de s’accroupir sur le sol dans un bosquet. Juste sous nos pieds s’étendaient des traces dans la neige boueuse, toutes plus ou moins profondes. Les effluves étaient puissantes, preuve d’un passage encore frais, il n’était donc pas à négliger qu’ils n’étaient certainement pas très loin.

« Je ne sais pas ce que te permet ton pouvoir, mais à partir d’ici nous devrons faire attention, soufflai-je en direction de Sio tout en déposant une main sur son épaule. Nous ne pourrons pas les avoir s’ils sont en troupeau. Attaquons ceux qui sont isolés. »

Un faible bruissement me fit relever la tête, mais je me rendis bien vite compte qu’il ne s’agissait que d’un lièvre égaré qui repartit aussitôt se dissimuler au fond de son terrier. Je soupirai de soulagement, je n’aurais pas apprécié me retrouver nez à nez avec un boucton sans préparer ma jeune amie auparavant.

« Nous pouvons faire des pièges pour les attraper, ou chasser à l’affût. Le problème des pièges, c’est qu’un boucton possède une telle puissance que je doute qu’il tienne bien longtemps, il nous faudra agir rapidement. »

Il m’avait été possible de voir les ravages d’une ferme après le passage d’un boucton enragé. Ce n’était pas une expérience que je souhaitais réitérer, ni pour Sio, ni pour moi. Je laissai échapper un léger soupir, toujours aux aguets. Puis une nouvelle question me vint en tête et je lançai un regard en direction de la jeune dragonne.

C’était un point auquel je n’avais pas pensé, et je ne voulais pas que Sio puisse être traumatisée pour sa première expérience. Je la regardai droit dans les yeux, bien qu’il me faille les plisser pour correctement la discerner, avant de me rapprocher.

« Est-ce que tu as déjà tué ? Et est-ce que tu t’en sens capable ? Je te le demande très sérieusement parce qu’on ne se rend compte des dégâts que après ? Je n’agirai pas de la même façon si tu es incapable de porter le coup fatal. »

Et je tenais à lui faire comprendre que ce n’était pas grave, ni une obligation. Prendre la vie ou faire couler le sang n’était pas aussi facile que ce que laissait croire les roman, ou encore la Guilde. Accepter planter son épée était une épreuve à passer, et tous ne le vivaient pas forcément bien. Sio était jeune, parfois, et le recul ne nous permettait pas de le réaliser à toutes les mesures. Je la saisis par les épaules pour l’inciter à me faire part de ses inquiétudes.

« Nous avons le temps, d’accord ? Ne te force pas. Tu as tout le temps d’apprendre. »

J’avais légèrement élevé le ton. C’est alors que nous nous retrouvions nez à nez avec l’une des créatures que nous cherchions. Aussitôt je me mis face à lui, faisant barrière de mon corps devant la jeune aventurière. Je vis sa patte avant racler le sol, il était prêt à charger. Sans réfléchir, je fis s’étendre les chaînes de ma tenue tandis qu’elles s’enroulèrent comme un piège mortel autour de la créature. Celle-ci immobilisée, je resserrai la prise autour de sa nuque jusqu’à ce que celle-ci n’émette le bruit d’un craquement sonore.

Le boucton cessa de se débattre puis retomba inerte entre les fourrées, et je me laissai retomber sur le sol en inspirant longuement. Heureusement que j’avais eu le temps de faire enchanter les chaînes de ma tenue sinon la situation n’aurait pas été aussi simple. Je tournai alors la tête en direction de Sio, lui offrant un léger sourire.

« Désolé… Ça va ? »

Une journée plus éreintante que ce que j’aurais pu croire. J’avais la sensation que chaque muscle de mon corps me tiraillait, et ce fut non sans mal qu’il fallut se traîner jusqu’à la demeure de la cheffe de village. Pendant ce temps, je fis le décompte de notre travail, et remarquant avec une certaine fierté que le gibier ne manquerait pas pour la nouvelle saison à venir. Au milieu du chemin, je m’arrêtais afin de vérifier l’état de ma jeune amie qui malgré son enthousiasme semblait tout aussi fourbue par la fatigue et notre expérience pour le moins intense.

La forçant à s’installer sur le premier rocher, je pus remarquer avec soulagement qu’elle n’était pas blessée et qu’au final, tout s’était plutôt bien passé.

“Tu as fait du bon travail, tu peux être fière de toi.”

Lui offrant un maigre sourire, légèrement tiré par la fatigue, je finis par me laisser aller quelques secondes à ses côtés. Plus que leur éradication, c’était sûrement devoir rassembler tous les cadavres afin qu’ils ne soient pas éparpillés dans toute la plaine. J’espérais qu’ils possédaient des charrettes suffisamment solides pour transporter une cargaison de viande qui permettrait de sustenter le village durant plusieurs lunes. Un peu plus reposé, et surtout certain que Sio était en bonne forme, je l’incitai à reprendre la route jusqu’au village.

Couverts de terre, les cheveux en bataille, je devinais sans mal l’impression que l’on donnait au milieu des villageois, et je n’étais pas contre une bonne douche en rentrant.  

“C’est les aventurieeeers ! Hurla la voix juvénile de la petite Annette qui courait dans notre direction, accompagnée du familier de mon amie. Vous êtes de retour !”

Elle me jeta un bref regard, avant de se frotter le nez.

“Tu pues !”

Embarrassé, je détournai la tête, les joues un peu rouges de honte.

“Annette ! Ton langage !”

La marâtre s’approcha de nous, un immense sourire bienveillant sur les lèvres, ce qui m’apaisa aussitôt. Je baissai les épaules avec soulagement alors qu’elle nous invitait à nous restaurer afin qu’on lui fasse un rapport de la situation. Mais cela attendrait que nous puissions un peu nous décrasser de cette longue journée.  

Installé dans l’auberge du village, je laissai l’honneur à mon amie de se laver en première, profitant de cet instant pour me dévêtir et retirer le lourd équipement qui pesait sur mes épaules. Astrid reposait elle dans le creux de mon buste en cuir, et je lui jetai un regard pensif. C’était un achat qui s’était montré bien plus utile que ce que j’avais imaginé. Sa puissance de constriction était assez impressionnante maintenant que j’y repensais, réussir à immobiliser de telles créatures n’était pas à chaque portée, et elle avait réussi à nous faciliter le travail.  

Je glissai un doigt sur le chaînon luisant avant que la porte de la salle d’eau ne s’ouvre en fracas, me faisant sursauter. Profitant de cet instant, je me redressai comme un i avant de fuir dans la pièce. Enfin propre, nous pûmes rejoindre la demeure de la cheffe du village.  

Destitués de tout équipement, c’était tout de même plus confortable pour se déplacer, j’invitai alors Sio à prendre place avant moi, puis de m’installer à ses côtés.

“Nous n’avons malheureusement pas pu éradiquer tout le problème, en revanche, nous nous sommes chargés principalement des femelles afin de réduire la capacité de reproduction, murmurai-je en regardant le fond de mon assiette.”

Certaines en avait réchapper, mais le but n’était pas non plus de faire un génocide de la population, seulement de la réduire suffisamment afin qu’elle n’apporte plus de problèmes aux villages qui perpétraient dans les lieux.

“C’est parfait, je vous remercie ! Je ferai parvenir votre prime à la Guilde dans ce cas. Et merci beaucoup de nous avoir aidés, je saurai vous être reconnaissante.”

Un peu mal à l’aise, mais touché, je ne pus m’empêcher de sourire légèrement en relevant la tête. C'était agréable aussi d'être félicité de son travail.