-Buuurp.
Astrid était toujours le genre de personne à être raffinée, et ce bruit n'avait rien d'étonnant venant d'elle, surtout avec sa bouteille d'alcool dans la main. Sauf que….c'était pas vraiment elle. Qui alors ?
-Abuh abuh !
-Ouais ouais ouais, j'ai bu j'ai bu.
Le baby-sitting n'était toujours pas terminé. Astrid portait dans son dos, en ce moment même, une gamine d'un an dans un porte bébé rose qui regardait les rues sombres de la ville avec fascination. La somme que les parents avaient proposé avait été trop belle pour refuser – il fallait bien payer le loyer et nourrir ses familiers - , et la citoyenne était donc bloquée avec jusqu'au lendemain. Est-ce que cela empêchait l'alcoolique d'aller picoler dans des bars ? Absolument pas ! Les parents étaient tellement contents de laisser leur rôle de papa-maman derrière eux l'espace d'une journée qu'ils n'avaient pas vu d'inconvénient à ce qu'Astrid aille boire.
-J'suis pas sûre que tes parents t'aiment bien ma petite.
-Abu ?
-Oula, sacrée question que tu me poses ! Ils doivent probablement être dans un hôtel pour….jouer.
-Baba….
-J'aurais aimé jouer aussi gamine, j'aurais aimé aussi…continuons à boire pour oublier nos soucis !
Sur ces belles paroles, la femme à tout faire leva sa bouteille pour prendre une grande gorgée, et la gamine l'imita en levant son biberon vers le ciel nocturne avant de se désaltérer. Les deux rotèrent cette fois à l'unisson.
-Bon, allons à la prochaine taverne ! L'avantage avec toi gamine, c'est que contrairement à d'habitude, j'attire toutes les jolies nanas qui viennent te tirer les joues tellement t'es mignonne ! Avec de la chance, j'vais pouvoir en serrer une hehe, après que tu dormes bien sûr hein.
-Areu !
Astrid claqua de la langue, agacée :
-Quand tu grandiras tu seras plus aussi populaire alors prend pas la confiance ! Non mais oh.
Au fur et à mesure de sa discussion avec l'enfant – sous le regard médusé des rares passants -, la citoyenne approcha d'un énième établissement.
-Abu !
-Huh ? Comment ça attention ?
Avant même de pouvoir dire «areu», un Rouplume bien pipou vola droit vers Astrid et l'enroula avec sa laisse à une autre personne, manquant de les faire tomber par la même occasion.
-Areuh ! S'exclama la gamine en jouant avec le Rouplume qui s'était posé sur la tête de la blanche qui, elle, se retrouva nez à nez avec une totale inconnue.
-Areu-areu ? Demanda-t-elle rapidement avant de se reprendre avec un sourire narquois et l'haleine sentant l'alcool. 'fin, j'voulais dire, c'est ton familier ? Il est pipou.
-Abuuu Abu !
-Andra tu dis ? Drôle de blase pour un familier !
Un dramaturge du Village Perché la croise, et l'invite à venir assister à ses dernières répétitions dans un petit amphithéâtre extérieur. Bien sûr, le petit animal en laisse s'agite dans tous les sens dès qu'il voit passer un comédien costumé, et Java finit par décider de laisser un clone dans le coin plutôt que de s'attarder et de rentrer avec un rouplume tout excité.
Elle reprend son trajet de retour, quand le petit animal lui échappe avec traîtrise. Note à elle-même : la prochaine fois, elle prendra un harnais avec une poignée, ça sera plus simple. La belluaire a à peine le temps de s'élancer à sa poursuite que la petite bête fait un virage en U pour foncer droit sur une jeune maman avinée – et voilà qu'elle se retrouve complètement emmêlée contre ladite demoiselle, le bébé qui gazouille, et le rouplume qui se blottit contre son arrière-train.
▬ Pardon, il est pas entraîné. 'Fin il vient de naître, donc forcément... Bref. On s'en fout des excuses, j'vais essayer de nous libérer.
Java se tortille un peu de gauche à droite, mais impossible de libérer un de ses bras de cette affaire. A la limite, elle peut bouger un peu ses mains, et d'ici une quinzaine de minutes, elle pourrait réussir à faire glisser une de ses lames retour dans sa paume... Mais le plus simple serait de juste défaire le nœud de la laisse.
▬ Oh non...
Elle reconnaît avec effroi le nœud qui bloque la laisse dans le dos de l'inconnue aux cheveux blancs.
▬ Le con, i' m'a fait un nœud en huit, le p'tit salopiaud ! Ah pardon, j'voulais pas jurer devant vot' p'tit bout. Ca va être plus difficile que prévu de se libérer, mais j'vais faire de mon mieux pour pas vous embêter plus que ça, promis m'dame. Au fait, vous pouvez m'appeler Java.
Effectivement, autant se présenter, vu qu'elles semblaient bien parties pour passer une bonne partie de la nuit ensemble.
*
Pendant ce temps, du côté du clone intermittent du spectacle...
▬ Bonjour à tous, j'ai l'honneur de vous accueillir au sein de l'Amphithéâtre de la Place Holder, pour assister à ma dernière tragédie en prose, j'ai nommé : Lorem Ipsum ! Vous trouvez que ça sonne bien, dit comme ça, vous ? Peut-être que je devrais dire « Mesdames, mesdemoiselles, messieurs » au début, non ?
▬ Moi je trouve ça bien, Patrice.
▬ Bon, je vais rester sur « Bonjour à tous », alors. Au fait, aujourd'hui, nous avons l'honneur d'être accompagnés du lieutenant Java Anggun, ici présente pour nous prêter main forte derrière le rideau ! Elle est forte et vaillante, n'hésitez pas à réclamer son aide.
▬ J'suis pas douée pour donner la réplique mais j'peux soulever plein d'trucs !
▬ En effet, ma chère ! Et maintenant, je propose que nous répétions nos textes. N'oubliez pas de vous placer sur vos marques ! Véronique, à toi l'honneur.
▬ Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit. Sed non risus. Suspendisse lectus tortor, dignissim sit amet, adipiscing nec, ultricies sed, dolor. Cras elementum ultrices diam. Maecenas ligula massa, varius a, semper congue, euismod non, mi. Proin porttitor, orci nec nonummy molestie, enim est eleifend mi, non fermentum diam nisl sit amet erat. Duis semper. Duis arcu massa, scelerisque vitae, consequat in, pretium a, enim. Pellentesque congue. Ut in risus volutpat libero pharetra tempor. Cras vestibulum bibendum augue. Praesent egestas leo in pede. Praesent blandit odio eu enim. Pellentesque sed dui ut augue blandit sodales. Vestibulum ante ipsum primis in faucibus orci luctus et ultrices posuere cubilia Curae; Aliquam nibh. Mauris ac mauris sed pede pellentesque fermentum. Maecenas adipiscing ante non diam sodales hendrerit.
▬ Magnifique, très chère. La prononciation est impeccable !
Donc la jolie jeune femme tout en muscle à la peau mate s'appelait Java huh ? Inconnue au bataillon. Avec son éternel sourire narquois, la citoyenne répondit :
-Oh, dans d'autres circonstances ça me dérangerait pas d'être attachée avec une jolie nana athlétique comme toi. Même si je suis plus celle qui attache, que celle qui est attachée, heh. Clin d’œil lourd, suivi d'un :
-Abu ?
-Oh euh. Euh. Ouais, attacher comme dans attacher les criminels, t'sais, haha. Et moi c'Astrid. J't'inviterais bien à danser la Javanaise en ton honneur mais euh...ça a l'air compromis, heh.
La blanche remua dans tous les sens pour tenter de défaire les liens mais c'était en effet plus difficile que prévu, et elle se tritura la cervelle– un peu sous l'emprise de l'alcool – pour trouver une solution….Mais bien sûr ! L'idée du siècle !
-Hey l'gamine, tu pourrais pas défaire le nœud par tout hasard?
-Abu areuh !
-Rah putain c'est vrai, t'as raison. Vu que tu sais pas encore te nettoyer le derche, alors défaire un nœud en huit ça va être compliqué...Hmm…
Il fallait donc une autre idée qui pourrait les sortir de cette situation farfelue. Bien entendu, l'alcoolique ne manquait pas de ressources, et la présence de la bouteille d'alcool dans sa main lui rappela la raison de sa venue ici.
-Vasy la jeunette, j't'invite à boire un coup. Elle indiqua la taverne en face d'elles, celle que la chieuse avait prévu de rejoindre tout à l'heure. Suffit juste qu'on…..sautille jusqu'à là bas. En étant synchro. Puis à l'intérieur y'aura bien quelqu'un pour nous aider….probablement.
Elle disait probablement, parce que si elle avait été une cliente de la dite taverne et qu'elle avait vu 2 personnes saucissonnées l'une à l'autre, elle se serait contentée d'exploser de rire et de se foutre de leurs gueules. Fort heureusement, dans Aryon, il y avait des gens sympa et des gens bien. Un peu moins parmi les soûlards mais y'en avait quand même ! De temps en temps.
-Allez, au compte de 3 on y va. 1...2…3 ! Premier saut, réussi. 1...2...3 ! Deuxième saut, réussi. Hey pas mal, on est coordonnées.
Ainsi, incapables de bouger ni les bras ni les jambes, les deux énergumènes sautillèrent pathétiquement jusqu'à se retrouver proche de la porte de la taverne, non sans faillir tomber à de multiples reprises, ce qui aurait malheureusement scellé leur destin telle une tortue se retrouvant les pattes à l'air et immobilisée sur sa carapace.
-Un dernier saut ! 1...2…
-Abu !
-Oops.
La blanche rata son saut, bernée par la gamine qui s'amusait avec le rouplume. Et forcément, les deux jeunes femmes tombèrent lourdement sur le sol, le nez juste devant la porte de l'établissement salvateur. Si proche de leur but mais pourtant si loin. Astrid réprima un cri de douleur et de rage et s'était également assurée - instinct maternel ou esprit professionnel - que la gamine dans son dos ne se fasse pas de mal et soit en sécurité.
-Désolée Java, on dirait que... je t'ai….laissée tomber….litérallement..Hahaha.
Malgré sa souffrance, bien entendu, il fallait qu'elle fasse une blague foireuse. Elle était comme ça, Astrid Dalgaard, prête à rire de tout.
-Abu abu ?
-Ouais ouais ça va, merci d'avoir demandé.
Au moment moment, la porte s'ouvrit. Lucy ne les avait pas abandonnées ! Soulagée, la blanche leva les yeux, pleine d'espoir, et vit tout d'abord...une paire de godasses roses.