Tiens, ça a l’air d’être ici. Ce bâtiment est tout juste dans le périmètre et une passante me l'a indiqué. Toutefois, il y a plusieurs étages avec visiblement des locataires différentes à chaque endroit. N'ayant aucun indication sur l'étage sur lequel vit la personne que je recherche, à quelle dois-je m’adresser ? Au pire, je pourrai très bien tenter à toutes. Je commence au rez-de-chaussée, toque plusieurs fois et attends. Rien. Il semblerait qu'il n'y ait personne. Je tente alors à l'étage supérieur. Il y a bien quelqu'un, mais ce n'est pas l'homme que je cherche. Il ne me reste plus qu'une chance. Je me dirige alors au deuxième étage, devant la dernière porte et toque trois fois, de manière assez franche mais sans pour autant chercher à casser l’objet en bois.
– Bonjour, je viens pour…
Je m’arrête un instant et observe la personne, souriante.
– Excusez moi de vous déranger, je crois bien que je me suis de nouveau trompée de porte.
Je la fixe quelques secondes de plus en restant silencieuse. Elle me dit quelque chose. Nous nous sommes croisées plusieurs fois, si mes souvenirs sont bons.
– Nous nous sommes déjà croisées, non ? A la guilde, si je ne me trompe pas. Vous allez bien ? Ça n’a pas trop l’air.
Alors que je l’observe silencieusement, je me remémore certaines rumeurs qui courent dans la guilde. Même si je ne connais pas les détails ou n’y ai pas fait attention, de toute façon la vérité ne se trouve probablement pas à la guilde, je comprends tout de même qu’il s’est réellement passé quelque chose. Le quoi ne m’intéresse pas réellement à l’heure actuelle, m’inquiétant d’abord de l’état de santé de cette femme que je connais peu. Voulant me montrer rassurante, l’une de mes mains s’approche lentement de son visage.
– Est-ce que je peux faire quelque chose pour vous aider ?
Sans gêne, je continuer de l’observer, à la recherche de la moindre faille. Je ne compte pas partir de sitôt, mais je n’ai pas pour autant envie de trop la forcer non plus.
Orenffield
Après quelques jours depuis la visite du mort-vivant, il était temps pour Nevaeh de retourner à son logement. Elle avait une bonne distance à parcourir entre la prison et son appartement et elle ne pouvait pas se permettre de faire le chemin durant le jour. Il y avait trop de gens dans les rues et elle ne pouvait pas risquer de se faire voir. Elle attendit donc que la nuit tombe pour profiter du camouflage des ténèbres nocturnes pour se déplacer en toute discrétion. Se faufilant dans les ruelles, elle se déplaça en silence dans la ville endormi pour retrouver le lieu qu’elle avait fui. Elle n’avait pas osé y retourner se disant qu’il devait sûrement y avoir quelques personnes surveillant l’endroit. Mais après avoir observé les alentours depuis trois jours, personne ne semblait porter une attention particulière au quartier.
Doucement, sans faire de bruit et sans attirer l’attention des possibles passant, elle entra chez elle et commença à remplir son sac sans fond. Si elle allait devoir se cacher, elle n’allait pas pouvoir revenir chez elle avant un bon moment. Elle remplit le sac de tous ses objets magiques et vida aussi ses armoires de tout ce qui pouvait être utile. Cela n’avait pas été long, il faut dire. Puisqu’elle n’avait que très peu d’affaire personnel, en moins de trois heures, elle avait réussi à mettre l’essentiel dans son sac. Après avoir vérifié et revérifier qu’elle avait bien tout, elle se permis de s’asseoir dans la cuisine et d'observer avec le cœur lourd son salon. La table était encore au sol, brisé. Elle pouvait voir les morceaux de vitre du verre de vin qu’elle avait lancé au visage de l’hybride. Le vin, aussi rouge que sa chevelure, était sec et tachait le sol en bois. Elle pouvait encore revoir la scène jouer en boucle. Levant les yeux vers la chaise qui était tombée, elle pouvait encore voir celui que l’on appelait le Non-Mort assis et accompagner par ses hommes. Elle pouvait encore se souvenir de Gus. Soudainement, en se rappelant à son agresseur, un violent frisson parcourut son corps et elle dut se lever en vitesse pour vider le contenu de son estomac dans le levier derrière elle. Se rappeler de tous ces événements était trop pour elle.
N’ayant pas la force de repartir de son logement, elle décida de dormir chez elle une dernière nuit. Enfin. Dormir était un grand mot. Dès qu’elle fermait ses yeux, la scène rejouait dans sa tête. Elle était habituée que le quartier soit bruyant, mais ce soir chaque bruit la faisait paniquer. Éventuellement, le soleil se leva et elle n’avait réussi qu’à dormir qu’une heure ou deux. Il était temps pour elle de partir. Ou devrait-elle attendre que la nuit ne tombe ? Elle ne voulait pas que quelqu’un l’aperçoive. Préférant attendre que la nuit tombe pour quitter son logement, elle décida de prendre une douche pour se rafraîchir.
Après s’être dénudé, elle s’observa dans le miroir de la salle d’eau. Elle sentit ses yeux se remplir de larme. Elle ne se reconnaissait pas. La plupart des blessures avaient guéri, mais son dos était encore décoré d’ecchymoses. Encore un jour ou deux et les traces seraient effacés, mais le dégât psychologique ne guérirait pas en quelques jours. Est-ce que ça se guérissait même ? Passant un coup de peigne magique dans ses cheveux, elle retrouva sa chevelure noire. Pourtant, même avec son apparence naturelle, elle ne reconnaissait pas la femme qu’elle était. Peut-être était-ce parce qu’elle avait tué qui elle était.
Une fois sortie de la douche, elle fouilla son sac pour retrouver un chandail avec des manches longues et des pantalons. Lorsqu’elle entendit quelqu’un frapper à la porte, son cœur sauta hors de sa poitrine. Qui pouvait bien être à la porte ? Était-ce un des hommes du mort-vivant ? Elle cacha une dague dans son dos et se rendit à la porte, évitant les ruines du salon. Ne s’attendant pas d'avoir de la visite, elle n’avait pas pensé à utiliser son peigne pour teindre ses cheveux en rouge. Sur ses gardes, elle observa la jeune femme à sa porte lui expliquer qu’elle s’était trompée d’endroit.
« Oui. Clairement. Maintenant, partez. »
Malgré ces paroles froides, l’hybride ne bougea pas. Elle continua de parler. La guilde. Elle devait être une aventurière si elle l’avait croisé à la guilde. Ce n’était pas une bonne chose. Le monde devait la croire morte.
« Eh, non, vous vous trompez. Nous ne nous sommes jamais croisés. »
Elle était prête à lui fermer la porte au nez pour l’empêcher de se souvenir d’elle. Mais en voyant la main de la jeune femme s’approcher de son visage, elle recula et leva son bras comme pour se protéger d’une attaque. D’une voix un peu trop tremblante d’émotion, elle lui dit.
« Ne me toucher pas, s’il vous plaît. »
Même lorsqu'elle voulait se montrer forte, elle avait l'air aussi fragile qu'une coupe de verre.
– Ce n’est pas grave si je me suis trompée. Je peux quand même faire quelque chose pour vous.
Je reste devant cette jeune femme, potentiellement inconnue. Peut-être me suis-je trompée ? C’est tout à fait possible, juste son apparence me rappelait quelque chose. Pour autant, elle n’est probablement pas la seule brune aux yeux verts qui se promène dans la capitale. Enfin, cela dit, ce n’est pas le plus important. La demoiselle s’étant reculée, je m’avance légèrement à mon tour, m’imposant dans son espace pour ensuite refermer la porte derrière moi. Je continue de l'observer sans m'avancer plus, ayant vu que mes gestes n'étaient pas rassurants à ses yeux. Pour autant, je tente de la rassurer tant bien que mal.
– Je suis désolée si mes gestes vous font peur, là n’est pas le but. Vous n’avez pas besoin de me dire qui vous êtes. Même si cela m’intéresse, je… Je ne suis pas là pour vous forcer. Je veux juste vous aider. Laissez-moi faire quelque chose pour vous. N’importe quoi qui pourrait vous faciliter la vie.
Tant que ce n’est pas trop illégal. Je m’abstiens de le lui dire car, selon ce qu’elle pourrait demander, je pourrai quand même accepter. Cela aurait été intéressant que je sois un peu plus connue dans la capitale. La nana qui vient s’imposer un peu chez tout le monde pour tenter de rendre service. Même si je l’ai fait un nombre incalculable de fois, je n’ai pas l’impression que tant de rumeurs sur moi se soient répandues. Aujourd’hui, en cet instant, ça aurait pu me rendre service.
Mon regard jusqu’alors fixé sur mon interlocutrice se déplace alors vers le lieu. L’endroit semble sans dessus dessous. Malgré un doux sourire restant sur mes lèvres, j’ai l’impression en cet instant de me mêler de quelque chose de dangereux. A moins que ce ne soit elle qui ait tout brisé ? Etant donné ses réactions, j’en doute… Une dispute avec un compagnon, peut-être ?
Orenffield
Si la demoiselle pensait l’avoir vu dans la guilde, elle devait en être membre. Nevaeh était certaine qu’elle n’était pas une hôtesse, sinon elle l’aurait reconnu. Elle ne se souvenait pas non plus d’avoir croisé une conseillère ou une examinatrice lui ressemblant. Par déduction, elle devait donc être une aventurière. Toutefois, n’arrivant pas à penser de façon calme et logique, elle l’idée que la demoiselle soit là pour la tuer se mélangeait à ses pensées. Elle essayait de se souvenir d’avoir vu son visage à la guilde, mais son esprit était vide de tout raisonnement rationnel. Ce fut encore pire lorsque la porte se referma derrière l’inconnu. Même si la demoiselle voulait sembler rassurante et semblait vouloir aider, la panique se fit rapidement visible dans les yeux de la brune.
La peur et la paranoïa enivrèrent ses sens, ce sentant prit au piège, coincé dans son propre appartement pour une deuxième fois, elle recula d’un pas vif et sortit sa dague cachée. La seule raison pour laquelle elle n’attaqua pas la demoiselle fut à cause de son calme. Elle garda un sourire et ne bougea pas. Nevaeh ne savait pas quoi penser. Devait-elle attaquer ? Rester immobile ? Elle pouvait sentir son cœur battre dans sa tête et elle avait l’impression de manquer d’oxygène. Confuse, par ce qu’elle devrait faire, elle prit un pas vers l’arrière. Cependant, elle oublia l’existence de la chaise brisée au sol et trébucha sur un morceau de bois, puis tomba à la renverse. Un gémissement de surprise et de douleur s’échappa de ses lèvres en atterrissant dans les éclats de verre.
Même s’il était tentant de rester coucher au sol, son dos et son bras gauche lui faisaient mal. Elle n’était pas sûre si c’était un morceau de vitre ou de bois qui était coincé dans sa chair, mais ce n’était pas agréable. Toujours restant au sol avec sa dague près d’elle, elle se releva pour prendre une position assise. Elle claqua la langue, irritée d’avoir déchiré le chandail et soupira voyant le sang tâcher la manche blanche de son vêtement. Elle aurait vraiment dû lui fermer la porte au nez. En fait, elle n’aurait simplement pas dû ouvrir cette porte ! D’une voix fatiguée et essoufflée, elle lui répondit.
« Le mieux que vous puissiez faire est de me laisser seule. »
Plus elle restait longtemps avec l’étrangère, plus il était dangereux que celle-ci la reconnaisse. Si elle voulait lui faciliter la vie, la laisser tranquille était sûrement le meilleur moyen. Rien de bon pouvait arriver à ceux qui se tenaient trop près de l’hôtesse. Le plus rapidement elle brûlait les ponts, le mieux c’était. C’était son combat à elle seule. Si elle devait échouer, elle ne pouvait pas emmener quiconque dans son échec.
« Vous ne pouvez rien faire pour moi… Il n’y a rien à faire. »
Non. Il y avait une chose qu’elle pouvait faire.
« Oubliez-moi. Oubliez cet endroit. Vous pourriez faire ça ? »
La dernière chose dont elle avait besoin était de quelqu'un pouvant affirmer qu'elle était vivante, alors qu'elle devait être morte.
Toujours, mes yeux la fixent alors que je reste immobile. Puis je soupire un instant. Comment désamorcer la situation ? J'ai l'impression de m'y être mal prise, mais… Je croise mes bras sous ma poitrine avant de reprendre la parole.
– Comment pourrais-je vous abandonner ici, vous laisser seule dans cet état ? Si je ne fais rien, je risque de revenir pour tenter de prendre de vos nouvelles. D'ailleurs, même si je fais quelque chose, je vous demanderai sûrement de me recontacter plus tard. Vous n'êtes pas obligée de me donner votre nom si ça vous fait peur, si vous n'avez pas confiance. Mais si vous ne me donnez pas régulièrement des nouvelles, je serai dans l'obligation de mener ma propre enquête pour tenter de vous retrouver afin de vous protéger.
Je prends une petite pause sans la quitter des yeux, guettant la moindre de ses réactions. Est-ce que ça va la rassurer, que quelqu'un la sache en vie sans même connaître son nom ?
– Vous n'aurez qu'à signer avec un nom que vous aurez décidé maintenant, par exemple. En attendant, je vous proposerai bien de manger quelque chose. Vous n'avez pas l'air de bien vous nourrir et ce n'est pas dans cet état physique que vous allez réussir à surmonter vos problèmes.
Je farfouille un peu dans mon sac, mais je n'ai pas grand chose de comestible. Est-ce qu'ici on peut retrouver quelque chose…? Je commence alors à m'avancer vers l'intérieur de son appartement, mais assez lentement, sans chercher à la brusquer, dans le but de trouver la cuisine et de fouiller ses placards. Une fois que je l'ai dépassée, je ne me retourne même pas pour vérifier ses faits et gestes, entrant simplement dans la pièce qui m'intéresse pour sortir une casserole et mettre de l'eau à chauffer, avant de fouiner le reste des placards à la recherche de n'importe quel denrée. Légume, viande, il doit bien avoir de quoi faire un semblant de soupe…
Orenffield
Non. Non ? Même si elle avait formulé sa phrase comme une question, c’était plutôt une demande. Et la seule bonne réponse était oui. Elle voulait l’aider et elle lui avait comment. Elle devait partir. Était-ce si difficile ? Elle commençait à croire que la seule façon de la faire partir était de la forcer hors de son logement. Cependant, avec le morceau de verre dans son bras, cela allait être difficile. Et puis avec ce qu’elle lui dit ensuite… Elle soupira longuement. Même si elle la forçait à partir, elle reviendrait. Cela allait être problématique. Pourquoi devait-elle tomber sur quelqu’un aussi problématique ?
« Je n’ai pas besoin de protection ! Et et… Et pourquoi je vous ferais confiance ? Je sais comment prendre soin de moi-même. Et ma nutrition est mon propre problème ! »
Ça y est, elle lui avait donné un mal de tête. Essayer de trouver un semblant de logique dans cette histoire était inutile. Pour qui cette femme se prenait-elle ? Elle n’était pas sa mère ! Et signer son nom. Comme si elle allait laisser des traces de sa présence ! Alors que la demoiselle se dirigea dans la cuisine comme si celle-ci lui appartenait, Nevaeh retira ce qui était coincé dans sa peau. Un filet de sang s’écoula, tâchant davantage le plancher. Si elle n’avait pas l’intention de quitter son appartement, elle aurait grogné à l’idée de devoir nettoyer les dégâts.
Elle tourna légèrement la tête pour observer ce que l’hybride tentait de faire… Que faisait-elle donc avec la casserole ? Et pourquoi faisait-elle bouillir de l’eau ? Elle n’allait pas commencer à cuisiner tout de même ? Ah ! Cette situation était tellement étrange, c’était frustrant. Elle se releva doucement, faisant attention à ne pas enfoncer d’autre débris dans sa peau. Puis, elle décida d’ignorer la demoiselle et se rendit sans sa salle de bain pour y trouver son peigne magique et un pansement pour son bras. Elle hésita une seconde à remettre ses cheveux en rouge. Est-ce que cela valait la peine ? Elle avait déjà vu son apparence originale. Il était mieux d’attendre qu’elle parte pour retrouver son déguisement. Après avoir appliqué le pansement, elle observa la demoiselle fouiller dans ses armoires.
« À part faire du thé, vous n’arriverez pas à faire autre chose. Mes armoires sont vides. »
Ne sachant pas cuisiner sans causer de désastre, il n’y avait pas beaucoup de choses dans son garde-manger. Elle avait quelques fruits et légumes, mais ses réserves étaient maigres.
« Je n’ai pas faim, alors dès que vous aurez terminé de visiter mon appartement… »
Elle s’avança un peu pour mieux voir les traits de l’étrangère, mais garda tout de même ses distances. Maintenant qu’elle était plus calme, elle réussit à replacer l’aventurière. Elle n’était pas méchante. Elle était même un peu trop gentille.
« Si vous avez faim, il y a un bistrot pas loin. Pour ma part… J’ai du ménage à faire. »
Pas vraiment, elle avait besoin d’une excuse pour ne pas sortir.
– En êtes-vous sûre ? Etant donné votre état, ce n’est pas du tout l’impression que vous donnez. Depuis combien de temps n’avez-vous pas mangé ? En plus de cela, vous êtes blessée. Et ce n’est pas le ventre vide que vous allez réussir à tenir longtemps dans votre condition.
Je réfléchis un instant de plus à ses propos, me décidant finalement dans la marche à suivre.
– C’est bon à savoir. Je peux donc sortir et vous retrouver ici, vous n’aurez pas bougé.
Je continue alors mon chemin pour me diriger vers l’entrée de son appartement, tout en ayant laissé la casserole sur le feu. Après tout, je n’en aurai pas pour longtemps. Le tout est de savoir si elle va me rouvrir quand je reviendrai. Bah, c’est pour elle tout ça. Si elle ne souhaite pas recevoir un peu d’aide gratuitement, je ne peux pas y faire grand-chose. Si je pouvais quand même éviter de rentrer chez elle clandestinement… Quoi que, n’est-ce pas ce que j’ai tout à l’heure.
– Vous aurez besoin de forces. Je reviens dans quelques instants.
Je ressors finalement de chez elle et descends les escaliers pour revenir au milieu des passants. A force de tourner en rond et à l’odeur, il va m’être possible de retrouver rapidement les quelques marchands que j’ai pu croiser auparavant. Me voilà donc de nouveau à arpenter les rues pour arriver devant une petite famille possédant un certain nombre de légumes à vendre ainsi que de la viande séchée. Je leur indique plusieurs denrées, en faibles proportions pour les légumes, prenant en plus quelques fruits et une quantité assez importante de viande séchée. Une fois le tout entre mes bras, après leur avoir donné les cristaux que je leur dois, je les abandonne là et reprend le chemin inverse. Je tente de faire le moins de bruit possible, espérant plus la surprendre qu’autre chose. J’ai dû partir une petite dizaine de minutes, qui sait ce qu’elle a bien pu faire pendant ce temps…
Une fois revenue devant sa porte, avec mon coude qui vient se poser sur la poignée de la porte, espérant que celle-ci s’ouvre tout naturellement pour que je puisse continuer ce que j’étais entrain de faire peu de temps auparavant. Si la séparation en bois reste fermée à cause des verrous, il me faudra soit la convaincre, soit passer par une fenêtre. Avec les légumes, au deuxième étage, cette solution me parait plus compliquée. Mais pas infaisable. Je n’aurais qu’à les laisser devant et rouvrir un peu plus tard. Je soupire alors, appuyant cette fois sur la clenche.
Orenffield
Têtue. C’était le mot parfait pour décrire l’aventurière qui avait décidé de prendre soin de Nevaeh. Il y a bien longtemps, c’était quelqu’un comme elle que l’ex-hôtesse aurait eu besoin dans sa vie. C’était comme si elle rencontrait toujours les bonnes personnes au mauvais moment. Était-ce la nouvelle façon de Lucy de se moquer d’elle ? Ce n’était pas maintenant qu’elle avait besoin de quelqu’un pour s’inquiéter de sa santé. C’était il y a trois ans. Il y a trois ans, elle aurait eu besoin de quelqu’un. C’était lorsqu’elle s’était perdue dans les méandres de l’alcool et de la drogue qu’elle aurait eu besoin de quelqu’un. Lorsqu’elle était dans les montagnes, elle avait eu la chance de trouver un garde à qui elle pouvait se confier. Malheureusement, il ne pouvait pas la suivre jusqu’à la capitale. Une fois de retour dans la grande ville, elle n’avait plus personne pour partager un verre jusqu’aux petites heures du matin. N’ayant personne pour aider à apaiser sa peine, elle trouva le confort dans le fond d’une bouteille. Quatre mois de douleur dans les montagnes et des années à se battre pour retrouver une vie normale. C’était à ce moment qu’elle avait eu besoin de quelqu’un de têtu comme l’hybride.
« Si je ne suis pas là à votre retour, que ferez-vous ? »
Elle n’avait aucune obligation de rester. Après tout, son plan était de disparaître une fois la nuit tombée. Elle roula ses yeux en l’entendant dire qu’elle allait revenir. Elle l’observa se diriger vers la porte, puis une fois seule dans son salon elle soupira. Elle leva la tête et fixa le plafond. Elle pouvait entendre l’eau bouillir, mais elle n’avait aucune envie d’aller enlever la casserole. En fait, elle n’avait envie de rien. L’idée de manger la répugnait, dormir ne lui causait que des cauchemars et elle ne pouvait pas sortir tant que la lune n’était pas sortie. Elle se sentait prisonnière. Prisonnière de son logement, de son corps et de ses pensées. Elle détestait sa situation. Elle détestait son apparence et son impuissance. Elle détestait cet appartement et le monde extérieur. Et elle détestait cette colère.
Ne sachant pas quoi faire de cette colère qui brûlait de l’intérieur et qui l’empêchait de respirer, elle resta un moment au centre de son salon. Elle avait envie de hurler, de frapper quelque chose, ou quelqu’un. Mais elle resta immobile. Ses yeux devinrent humides à cause de sa frustration grandissante. Elle n’était pas habituée à devoir gérer ses émotions. Que faisaient les gens ordinaires lorsqu’ils étaient fâchés ? Elle ne le savait pas. Dans un soupir irrité, elle se dirigea vers son canapé. Elle s’allongea sur les coussins essayant d’ignorer ce sentiment. Elle fixa la porte, attendant que la demoiselle revienne. Cela faisait quelques minutes déjà qu’elle était partie. Peut-être qu’elle ne reviendrait pas. Ce n’était pas un quartier très recommandable et elle lui avait mentionné plusieurs fois qu’elle ne voulait pas de son aide. Pourtant, au bout de quelques minutes, Nevaeh entendit des pas s’approcher. Elle observa la porte avec un regard acéré. Voyant la poignée tournée, elle retint son souffle. N’ayant pas verrouillé la porte, celle-ci s’ouvrit sans problème dévoilant l’aventurière avec des bras plein de denrées.
« Bien sûr, tu es revenue… »
Elle se redressa pour s’asseoir, puis observa ce qu’elle avait ramené.
« Je ne suis pas comme un chat qui a besoin qu’on s'occupe de lui, tu sais. »
Je lui souris, profitant du fait qu’elle soit passée au tutoiement pour faire de même. De nouveau, je m’avance alors dans son appartement et dépose tout sur le plan de travail dans sa cuisine, avant de récupérer quelques-uns des aliments avant de revenir vers la brune pour les lui tendre.
– Tiens, celles-ci peuvent se manger en l’état. Tu en auras sûrement besoin.
Je lui tends quelques provisions, majoritairement quelques fruits ainsi que la viande séchée. Une fois qu’elle les a récupérés, je retourne alors dans la cuisine à la recherche d’un couteau pour commencer à éplucher et découper grossièrement quelques légumes qui finissent rapidement dans l’eau bouillante. Quelques pommes de terre, carottes, ainsi qu’un poireau entier. Après cela, il ne restera plus qu’à attendre une petite vingtaine de minutes pour que l’on puisse manger quelque chose. Au pire, si elle n’a pas faim, elle pourra d’ailleurs les conserver pour plus tard. Qui sait, elle possède peut-être quelques outils utiles permettant de conserver de la nourriture pendant un temps plus important.
– Avec ceci, tu devrais pouvoir tenir quelques jours ici sans risquer quoique ce soit.
Ici ou ailleurs. La semi-inconnue fait encore ce qu’elle veut, après tout, et étrangement, je doute la revoir dans les jours qui viennent. A moins qu’elle n’ait prévu de nettoyer cet appartement et d’y rester un certain temps pour tenter d’éviter ce qui a l’air de lui faire si peur ? Après tout, si elle laisse les portes ouvertes, les risques que quelqu’un lui voulant du mal entre sont grandes… A moins que ce ne soit qu’une dispute entre amoureux, et que tout se règlera ou que c’est maintenant terminé mais qu’elle craint qu’il revienne… Je soupire à ces pensées. Des hypothèses, je peux en faire beaucoup, et lui demander ce qu’il en est réellement n’aboutira probablement pas. Alors, pour cette fois, je me retiens et m’assois à ses côtés alors que l’odeur du poireau, majoritairement, commence à se faire sentir dans son appartement.
– Tu as l’air un peu plus sereine… ça va un peu mieux, par rapport à tout à l’heure ?
De nouveau, je me tourne vers elle, sans qu’un léger sourire n’ait quitté mes lèvres.
Orenffield
Peut-être si elle avait verrouillé la porte lorsque l’hybride était sortie, elle l’aurait laissé seule. Quoi que… Bornée comme elle était, une porte verrouillée ne l’aurait peut-être pas arrêté. Sincèrement, était-ce une nouvelle tendance que de s’inviter chez les gens sans leur accord ? Elle l’observa déposer les aliments sur le comptoir avant de venir lui tendre une pomme verte. Épuisée par cette situation, elle ne trouva aucune remarque à lui lancer. Nevaeh tendit sa main pour attraper la pomme. Si elle mangeait un peu pour faire plaisir à la demoiselle, éventuellement, elle allait la laisser tranquille. Elle examina la pomme, cherchant une quelconque trace de drogue ou de poison. Ne trouvant rien, elle se permit de prendre une petite bouchée.
Dégustant tranquillement sa pomme, elle regarda la demoiselle cuisiner. C’était étrange de voir la cuisine être utilisée. À part pour du thé ou du café, il était excessivement rare pour elle de faire cuire quoi que ce soit. Si ce n’était pas de sa vue, elle aurait pu croire qu’elle avait le don de faire exploser les marmites. Elle ne brisa pas le calme régnant dans la pièce. Elle se contenta d’écouter le son sourd du couteau frapper la planche à couper. Elle repoussa ses pensées intrusives en se concentrant sur les carottes et les patates. Ne sachant pas quand serait la prochaine fois qu’elle profiterait de ce calme, elle décida d’en profiter maintenant.
« J’ai simplement décidé que t’écouter temporairement me donnerait moins de mal de tête. »
Se promener dans la capitale sans son bandeau était une tâche plutôt ardue. Avec tous les gens qui y vivent et qui se déplacent, elle commençait à s’habituer aux migraines quotidiennes. Chaque soir, lorsqu’elle trouvait un refuge pour se reposer du bruit et des foules, elle avait l’impression que sa tête allait exploser. Elle adorait la ville, mais sans son bandeau, c’était une autre histoire.
« Et puis, je suppose que l’odeur m’a donné faim, elle rajouta tout bas. Enfin, assez parler de moi. Que fais-tu dans ce coin de la ville ? C’est pas un endroit très recommandable. Les gens ici… Ils n’aiment pas beaucoup les intrus. »
Elle avait presque l’impression d’avoir déjà eu cette conversation avec quelqu’un d’autre. Étrangement, lorsqu’elle pensait à son passé, elle avait l’impression qu’il s’agissait d’une autre vie. Dans un certain sens, peut-être que c’était le cas. Elle devait arrêter de vivre comme si elle était Nevaeh. Elle devait se mettre dans la peau de sa nouvelle identité, Raelyn.
« De jour, les gens sont plus discrets, mais de soir le quartier est plus dangereux. Avant de te préoccuper de ma santé, il faut que tu te préoccupes de ta sécurité. »
Pourquoi avait-elle se sentiment de déjà vu ? Peut-être était-ce car elle avait eu une conversation similaire il y a quelques années. Elle avait été étonnée de voir une demoiselle aux allures fragile chez elle malgré la dangerosité du quartier.
« Même les aventuriers ne sont pas invincibles. Il faut faire attention. »
– Je suis à la recherche d’informations sur un livre qui serait rare et aurait été vendu dans le coin. Malheureusement les informations que l’on m’a données sont un peu trop approximatives et j’ai dû faire du porte à porte. Jusque là je suis bredouille et la dernière possibilité que l’on m’a indiquée se trouve dans l’immeuble dans lequel tu habites.
Je réfléchis alors un instant, posant un doigt sur mon menton alors que mon regard se tourne vers le plafond. Pendant ce temps je stoppe un instant mon activité.
– De souvenir je n’ai pas forcément à rendre ces informations aujourd’hui donc cela peut attendre demain.
Mes mains reprennent alors leur activité, continuant de découper les derniers légumes avant qu’ils ne terminent dans le récipient d’eau bouillante. Plus qu’à attendre quelques minutes. Je me rapproche alors de mon interlocutrice, l’observant quelques secondes de plus avant de finalement lui répondre.
– Si ce n’est que ça, je peux ne partir que demain matin.
C’est un sourire espiègle qui est venu se créer sur mes lèvres, à l'affut de la moindre de ses réactions. Il y a plus d’une dizaine de minutes, cette jeune femme ne souhaitait qu’une seule chose : me mettre dehors. Et voilà maintenant qu’elle s’inquiète pour moi.
– Sinon, j’ai toujours moyen d’utiliser mon ouïe pour éviter la plupart des personnes que je peux croiser dans la nuit. D’autant plus qu’il y a moins de bruits ambiants, ce sera plus facile de détecter quelque chose. Ces oreilles ne sont pas que de la décoration après tout. Du coup, si cela te convient, je partirai une fois que je serai sûre que tu auras assez de réserves de nourriture.
Comme ça, qu’elle souhaite continuer à se cacher ou partir, tout sera prêt et elle pourra tenir quelques temps sans se mettre trop en danger. Après tout, même si je souhaite l’aider, je ne devrai pas m’imposer plus que nécessaire, à moins qu’elle ne souhaite partager ses problèmes. Ce qui n’a pas été le cas jusque-là… Je me retiens de soupirer à cet instant, n’ayant pas envie que ce soit mal vu à ses yeux. Enfin, ça ne peut probablement pas être pire qu’au début.
– Si jamais tu souhaites me recontacter, n’hésite pas à envoyer un courrier au manoir des Orenffield, pour Yellana. D’ailleurs je ne crois pas m’être présentée auparavant.
Le sourire ne quitte pas mes lèvres alors qu’un élan de tendresse se dirige vers elle. Ahlala, si je pouvais la rassurer en la prenant dans mes bras, je ne me serais pas fait prier. Elle a de la chance que je me retienne…
Orenffield
Un livre rare… La littérature n’était généralement pas un sujet qui intéressait beaucoup Nevaeh. C’était beaucoup plus Lovis, son frère, qui avait toujours son nez dans un bouquin. Bien que l’ex-hôtesse était quelqu’un aimant apprendre et qui était très curieuse, elle préférait apprendre par la pratique. Elle était plutôt quelqu’un qui apprenait sur le vif. Si elle avait un livre dans les mains, il s’agissait généralement de son carnet de note ou de dessin.
« Un livre… »
Elle pouvait facilement croire que l’hybride s’était perdue ou que la personne s’était trompée dans les directions. Cependant, elle souleva un sourcil lassement, ayant quelques difficultés à croire qu’un de ses voisins était capable de lire. Elle ne dirait pas que ses voisins étaient idiots, mais ils n’étaient pas les couteaux les plus aiguisés du tiroir. Terminant de manger sa pomme, elle se pencha par habitude pour poser le cœur du fruit sur la table. Elle soupira un instant oubliant presque que la table était en ruine.
« J’ai bien peur de devoir t’annoncer que tu n’es pas au bon endroit. Je doute énormément que mes voisins possèdent ce que tu cherches. »
Si elle cherchait quelque chose d’autre, comme une substance un peu moins légal qu’un livre, elle serait au bon endroit. Peut-être qu’elle aurait plus de chance dans le quartier à côté. Un endroit moins dangereux où les gens seraient plus enclins à l’aider.
« Non. »
Absolument pas. Elle n’allait pas rester pour la nuit. Bon sang, son plan était de s’enfuir durant la nuit pour éviter de se faire détecter par les hommes de son poursuivant.
« C’est peut-être un endroit dangereux, mais il y a un garde qui passe au moins une fois aux trois ou quatre heures. »
Normalement, elle aurait pu l’escorter vers un endroit plus sûr, mais pas ce soir.
« Assez de réserves ? S’exclama-t-elle en jetant un coup d’œil vers le comptoir. Je crois qu’il y en a assez pour une semaine ! »
C’était peut-être une exagération, mais selon l’avis de Nevaeh, il y avait bien trop de nourriture. Manger tout ce qu’elle avait préparé lui prendrait une lune avec l’appétit actuelle qu’elle avait.
« Yellana Orenffield. »
Mmm, elle reconnaissait vaguement ce nom, mais elle n’avait pas la tête à fouiller ses souvenirs d’hôtesse pour se souvenir de cette aventurière en particulier.
« Ne t’attends pas d'avoir de mes nouvelles… Mais, je garderais ton nom en mémoire. Maintenant, que tu sais que j’ai assez de réserve pour la semaine, et peut-être même pour la lune entière, il est temps pour toi de retourner à ton manoir. »
Elle se leva paresseusement, puis jeta un coup d’œil vers la fenêtre. Parfait. Un garde. Il pourra l’escorter au besoin. Elle se dirigea vers la porte et l’ouvrit, attendant que Yellena comprenne le message et quitte une bonne fois pour tout son appartement.