La communication, c’est important.

Si autant pour les communications descendantes entre le Conseil de la Guilde et les aventuriers, il n’y a pas à trop s’inquiéter du sujet ; nul aventurier n’est censé connaitre les règlements de la Guilde régulièrement mise à jour par le Conseil et évidemment, personne ne remettrait la probité de chaque aventurier à s’assurer d’être à jour des derniers développements procédurier. Autant pour que la base puisse communiquer au Conseil de la Guilde, c’est une autre histoire. Nombreux ont été les conseillers à s’essayer de mettre en place des moyens d’échanger avec n’importe quel membre de la Guilde et les échecs sont tout aussi nombreux. En tant que jeune conseiller de la Guilde qui défend bec et ongles les intérêts des aventuriers, j’ai à cœur de les écouter au plus près possible afin de porter toutes les voix qu’ils peuvent avoir au conseil. Il ne s’agit pas de les cajoler outre mesure, de les brosser dans le sens du poil, mais bien sûr de les comprendre. Car ils ont beaucoup de choses à dire. Et je leur suis totalement dévoué à ce qu’il se fasse entendre.

J’ai donc mis au point des rendez-vous en tête à tête. Dans le chaleureux cadre de la buvette des aventuriers, véritable cœur de notre belle et noble institution, je compte bien interroger un aventurier, tiré au sort et convoqué par les bureaux des hôtesses afin d’échanger sur de nombreux sujets. Il s’agit, un peu, de s’apprivoiser, l’espace d’une collation, même s’il faut bien se le dire, c’est surtout le coup d’une fois. Peu probable que l’on se revoit. Il y a tant d’aventuriers dans le Royaume qui aimerait avoir ma compagnie pour me partager ses mots et ses rêves, mettre une description sur ce qu’il ressent pour la Guilde. Sur ce qui le fait vibrer dans la Guilde. Et comme je suis un peu la Guilde, c’est normal que ça me préoccupe. J’écouterais ses doléances. Je lui parlerais de moi. De ce que je fais, pour la guilde. Je lui dirais que je m’intéresse à lui. A sa satisfaction. Le bonheur de tous, c’est mon credo.

Le bon jour, donc, je descends des étages réservés aux corridors de l’administration, une chemise sous et sur le bras, entre autres, pour aller à mon rendez-vous. Je vous avoue que je ne sais pas qui a été sélectionné. Il y a peu d’appréhension conjugué à un peu d’excitation, comme on pourrait l’être à un premier rendez-vous galant, même si ce n’est rien de tout ça, évidemment. Ici, on ne mélange pas le personnel et le professionnel. Il est onze heures. J’ai déjà bien travaillé ce matin, un peu perturbé par cette nouvelle échéance, et c’est l’heure ou l’estomac commence à s’éveiller de sa longue hibernation du matin. Partager de la nourriture avec quelqu’un, c’est un bon moyen de délier les langues et pour ce que je veux, il est très important que les langues soient libres et habiles. On commencera évidemment par une petite bière, l’alcool est festif et permet d’ouvrir plus facilement son cœur à ce que l’on pense réellement. Pas trop quand même, il s’agit de rester très professionnel.

Pas trop de monde à la buvette. Il est admis que l’aventurier est plutôt lève-tard. Je salue le chef au comptoir, pour aujourd’hui, un certain Valentin, avant de retrouver la table que j’ai choisi dans les dispositions que j’avais prévu. Une simple table pour deux, favorisant un tête à tête franc d’où il est difficile de s’esquiver. Dans un coin pour donner une certaine forme d’intimité avant que le candidat, ou la candidate, soit à l’aise pour s’exprimer. Je prends la place qui a la meilleure vue des deux, avec un visuel sur l’entrée, puis j’ouvre ma chemise pour jeter un œil à quelques documents, en attendant. J’attends mon invité pour boire, parce que c’est plus convivial. Il s’agit de le mettre en confiance pour qu’il m’ouvre son cœur. Et si on s’accorde bien, je lui ouvrirais peut-être le mien.

Professionnellement parlant.

Rappel:

Je suis surpris, je dois vous le dire. Alors, certes, je ne vais pas dire que les aventuriers n’ont, d’habitude, aucun gout vestimentaire, mais il faut quand même assumer que l’on accomplit plus facilement les boulots que la Guilde propose avec une tenue plus fonctionnelle que galante, quand ce ne sont pas juste des accumulations de fringues sans aucun lien entre elles, démontrant que les fautes de gouts peuvent être assez nombreuses. Les faiseurs de mode vont rarement regarder du côté de la Guilde et ce n’est pas plus mal. Alors, quand je vois débouler mon candidat qu’est une candidate dans sa robe qu’on aurait dit apprêter pour un bal et pas du tout pour un entretien informel avec un aussi charmant conseiller que moi.

-C’est moi. C’est moi. Merci d’être venu. J’sais que c’est parfois intimidant d’être approché par les conseillers.

J’ai été examinateur un sacré bout de temps et même si déjà, les fonctionnaires administratifs de la guilde ne côtoient pas si souvent les aventuriers, on ne voyait pas souvent les conseillers alors qu’’ils sont à un niveau d’administration bien plus grand que les examinateurs. C’est dire que pour les aventuriers, ce sont certainement de grands inconnus. Savoir même que la Guilde est dirigée par un Conseil n’est pas probablement pas à la portée du premier venu. Et en parlant du premier venu, j’ai la chance de tomber sur une recrue bien fraiche. Dans tous les sens, si je puis dire. Ceci doit expliquer sa tenue. Elle est impressionnée. Je comprends bien. Elle est jeune et novice, je suis expérimenté et grands connaisseurs de tous les arcanes de la guilde, il y a des raisons d’être intimidées, mais c’est certainement l’occasion pour elle de saisir à pleine main la possibilité d’apprendre les choses de la vie. De la guilde. Il ne faut pas avoir peur. Je compte bien être doux avec elle. Ne pas la brusquer. Alors j’essaie de la mettre à l’aise très tôt.

-Quelque chose à boire ? C’est moi qui paie. Valentin ? Tu me mets une petite mousse ? La cuvée de la semaine ?
-Ça marche !
-Lapis… on peut se tutoyer, non ? On m’appelle Jack, c’est plus simple. Tu peux te mettre à l’aise. L’important, c’est que ça soit agréable pour tout le monde. J’ai beau être conseiller, je ne suis pas méchant.

Je voudrais faire un truc de jeune pour consolider mon propos, mais rien ne me vient là, tout de suite, peut-être parce que je ne suis pas forcément très au fait des « trucs de jeune ». On peut les côtoyer sans vraiment connaitre leur code. J’ai bien une idée, et même si elle est peut-être datée, elle va faire son office.

-Je suis même plutôt sympathique.

Et je fais un dab. Même si ça peut paraitre déplacé, ça permet de dédramatiser la situation. Un conseiller moustachu qui fait se mouvement qui n’a peut-être pas grand-chose de sens dans l’univers d’Aryon, c’est sûr qu’il y a de quoi se poser des questions. Alors, j’enchaine aussi sur sa tenue.

-Ce n’était peut-être pas forcément indispensable de se mettre sur son trente. Tu n’obtiendras rien de moi de cette façon. Quoique…

Je me marre, mais j’ai un soudain doute fugace pile à ce moment. Et si c’était le cas ? Et si cette tenue n’était pas si anodine que ça ? J’ai le regard soudainement attiré par des courbes tout en cherchant à les fuir du regard. Étant donné mon ascendance professionnelle, ce serait tout bonnement réprimandable. Il faut rester professionnel. J’ai aussi une soudaine sueur froide. Je m’aperçois qu’à côté de nous vient passer un duo de personne. Si l’homme me rappelle un aventurier quelconque dont j’ai dû croiser le visage dans un rapport ou deux, la femme s’appelle Myrham Bopic, une secrétaire de la guilde avec laquelle j’ai eu une histoire tout ce qu’il y a de plus complexe. D’un baiser langoureux à la sortie de la guilde après la Kermesse de mon investiture en tant que conseiller jusqu’à ce qu’elle m’ignore et même pire, qu’elle nie ce baiser, on peut dire que mon cœur est passé par toutes les émotions dans un temps record. Si de nos jours, nos relations restent distantes et professionnel, je n’ai pas manqué son regard coulant sur la tenue de Lapis en passant à côté de nous, ses lèvres pincées dans un rictus difficile à interpréter si ce n’est qu’elle n’est pas indifférente à la situation. A-t-elle entendu ma blague ? Est-ce qu’elle le prendrait au pied de la lettre ? Soudain un peu inquiet que la situation m’échappe, je tousse dans mon poing avant de reprendre une attitude un peu digne et de faire mine de retourner à la raison de notre présence ici.

-Bien… commençons léger. La raison de cette entrevue et de pouvoir discuter de conseiller à aventurier afin de faire remonter tes retours et ceux des collègues jusqu’au plus haute instance de la Guilde. Comme tu es assez nouvelle, parlons de ton intégration. Est-ce que tu te sens à l’aise à la guilde ? Apprécies-tu nos membres ? Est-ce que tu aimes faire partie de la guilde. Et pourquoi ?

On nous sert. Et c’est tant mieux. On trinque même plus par reflexe et j’ai un regard pour Myrham. Elle m’observe. Je retourne à Lapis. C’est plus sain.

-Oh, ce n’est pas bien intéressant.

C’est un demi-mensonge. Pour moi, c’est palpitant, mais depuis le temps, j’accepte que ma vision des choses soient bien différentes du commun des mortels comme en atteste les difficultés pour le service des examinateurs de recruter du sang frais. Les aventuriers n’ont que peu d’intérêt pour les procédures, les règlements et les formulaires alors qu’ils sont le ciment d’une bonne gestion. Que tout s’accorde avec efficacité, c’est beau. Faire en sorte que la guilde soit parfaitement optimisée, c’est une récompense de chaque instant que les dieux font. Mais pour nos aventuriers, il faut aller vite sur ces éléments indispensables de la Guilde. Ils ont même des hôtes et hôtesses pour leur faciliter la vie. Je peux bien essayer de lui vendre un peu le métier, mais je ne me fais guère d’illusions. Les espoirs tués dans l’œuf sont nombreux et trop espérer aujourd’hui, c’est se faire du mal. Beaucoup trop.

-Mon quotidien, c’est une affaire de détail. Pour faire une analogie, c’est un peu comme la vie. Il suffit d’un regard, d’un mot, d’un geste qui peut vouloir dire beaucoup de choses. Et il faut agir en conséquence. Faire son choix. Celui qui peut être déterminant pour les années à vie. Pour toute la vie même. Conseiller, c’est pareil, mais dans chaque détail de la Guilde et de son administration. Les aventuriers sont le corps et l’administration est l’esprit. Les aventuriers sont ce qu’on voit de la Guilde. Leurs actes, leurs résultats et leurs méthodes sont les gestes du corps. Et chaque petit détail compte comme chaque aventurier, aussi modeste soit-il. A l’inverse, l’administration est invisible, mais elle est capitale. C’est ce qui fait la guilde comme l’esprit fait l’individu. Il suffit d’un mot mal placé dans un règlement pour trahir ce qui fait l’essence même de la guilde. Tout comme il suffit de changer d’un cheveu un trait de personnalité pour être une toute autre personne. En tant que conseiller, je vielle à ce que l’esprit de la Guilde ne soit pas perverti. L’esprit est supérieur hiérarchique du corps, car c’est l’administration qui fait en sorte que les aventuriers ne font rien de déplacés.

Je suis plutôt fier de mon explication. Je renouvelle sans cesse mes techniques pour me faire comprendre et, peut-être que celle-ci fera davantage mouche, malgré quelques sous-entendus explicites.. Vous vous dites sans doute que je joue un peu trop avec le feu sur ce coup, c’est que vous n’avez pas toutes les billes.

Au moment ou Lapis s’est levé de la table pour prendre l’air, je suis resté un peu surpris. Je ne connais pas tous les détails, mais je me suis bien rendu compte qu’elle semblait émotionnellement réceptive à notre discussion concernant son activité d’aventurière, parlant facilement et buvant promptement. Quelle était cette petite étincelle dans son regard ? Les effets de l’alcool ou le regard portait sur ma personnalité agréable, il faut bien l’assumer ; je n’en sais rien, mais une petite voix me disait de pencher sur la deuxième option. Surtout en partant aussi soudainement en prétextant avoir besoin d’aide. Insister pour dire qu’on n’y est pour rien, c’est avoué qu’on y est pour beaucoup et qu’on ne veut pas créer une mauvaise opinion par son bref départ. Je sais ce que vous vous dites : j’arrive à voir beaucoup de choses dans les moindres détails. Je suis comme ça. Le sens de l’observation.

Bon, comme je vous l’ai dit plus tôt, ce n’est pas une bonne nouvelle de faire tourner la tête d’une jeune aventurière, mais c’est toujours bon pour le moral de savoir que l’on plait autant physiquement que socialement. Alors, je l’ai laissé partir sans trop sourciller, mais en la fixant un peu trop du regard quand elle est partie, m’attardant un peu trop, l’histoire retiendra que ce n’était que son doc. J’ai fini par me reprendre, le temps d’apercevoir mademoiselle Bopic me lancer un regard particulièrement réprobateur. Je suis retourné dans mon verre en évitant de penser, jetant un nouveau regard vers mon crush récent. Elle s’est arrêtée de me regarder, plonger son regard dans celui de son interlocuteur, ses doigts glissant beaucoup trop proche de la main de son vis-à-vis qui a toutes les peines du monde à ne pas sombrer dans le décolleté d’en face qui, malgré le temps, s’est ouvert d’un bouton. Diantre. Si elle a essayé de me rendre jaloux, c’est particulièrement réussi. Alors, ça a éveillé une petite part d’ombre en moi ou si on a joué avec mes sentiments par le passé, je ne compte pas me laisser faire si facilement et surement que Myrham ne sera pas insensible à ce que je préfère m’attarder sur une jeunette que sur elle.

-Pour en venir à ce que nous discutions plus tôt, il n’y a pas de mal à venir pour la guilde pour les cristaux. C’est sa raison première, même si j’espère que chacun pourra y voir plus grand. J’ai tendance à parler d’une famille. Au-delà des aspects purement professionnels, on peut y trouver des amitiés et voire même davantage. La guilde réunit souvent des jeunes gens pleins de vie, il n’est pas rare de voir des relations se créer, plus ou moins libre. Il n’y a pas de mal à ça. Nous sommes tous humains, répondant à certains besoins plutôt naturels. On ne mélange pas le professionnel et le personnel, mais les deux peuvent côtoyer l’un à côté de l’autre.

Je me penche en avant, réduisant la distance entre nous et comme ça marche plutôt bien du côté de Myrham, je tente le coup d’enlever aussi un bouton de chemise. Ça fiat pas le même effet, mais l’idée est là.

-J’ai particulièrement à cœur que nos aventuriers se plaisent dans la guilde. Qu’ils soient comblés dans de nombreux points. Alors, Lapis, es-tu comblé par ce que propose la Guilde ?