Ces derniers jours avaient été riches en réflexions. Plus le temps passait, plus le monde entier semblait avoir envie de te rappeler que peut-être, dans cette taverne, tu n’étais pas à ta place. Le sujet revenait sur le tapis plus régulièrement que tu ne l’aurais voulu et si en temps normal tu n’avais vraiment aucun souci à évoquer la Guilde, ton envie d’exploration, en ce moment tout ça s’avérait plus problématique. Tu réfléchissais plus que tu ne l’avais jamais fait. Les paroles de cette femme, celle qui était passée par la taverne cette semaine, résonnaient encore et toujours dans ta tête et le petit crâne de rongeur qu’elle avait laissé sur le bar et qui désormais traînait sur l’étagère de ta chambre te rappelait chaque matin ce que tu risquais en restant dans ta situation actuelle. Finalement, peut-être que tu pouvais tenter le coup … après tout, les aventuriers présents ce jour là lors de cette discussion animée avaient tous eu l’air de t’encourager à foncer. Tu ne serais probablement pas si seule, pas si perdue que tu te l’imaginais. Non vraiment …
Ça valait le coup d’essayer.
Tu avais donc décidé de te donner une petite chance. Si tu n’étais pas prête tout de suite, maintenant à te présenter aux portes de la guilde pour rejoindre ses rangs, tu avais tout de même la possibilité de tenter l’expérience de quitter la maison, seule. L’occasion s’était présentée un peu par hasard alors que ton père, une mine inquiète accrochée au visage, était venu t’annoncer que l’alcool commandé mettrait plus de temps à arriver. Visiblement, le marchand avait eu pas mal de soucis sur la route, une partie de son chargement avait été perdu, du coup, il avait décidé d’augmenter ses prix au dernier moment et surtout, il avait refusé de venir livrer jusqu’à la Capitale sans escorte. Ton père s’était alors proposé d’y aller. Peu importe le prix augmenté et la malhonnêteté de cet homme, Monsieur Heartlake dirigeait une taverne et une taverne sans alcool n’avait pas grand avenir. De ton côté, tu avais catégoriquement refusé qu’il s’y rende et vu l’urgence de la situation tu avais décidé que c’est toi qui irais à la rencontre de ce marchand. Tu n’avais laissé le choix à personne, et dés le lendemain, une cape sur les épaules, tu t’étais mise en route.
Normalement, l’homme avait fait halte non loin. A quelques kilomètres. Tu n’en aurais que pour quelques heures de marche pour le rejoindre … en apparence, tout ça avait l’air plutôt facile mais évidemment, alors que tu avais pris la route depuis déjà une bonne heure, tu ne pouvais pas t’empêcher de te sentir angoissée. Le monde extérieur te semblait être aussi vaste et intéressant que tout ce que tu avais pu imaginer, cependant, avec toutes les histoires que tu avais lu, tu n’arrivais pas à te retirer de la tête l’éventualité d’une attaque, de monstres, de bandits, peu importe, si ça arrivait, tu n’étais pas certaine de savoir comment réagir et ce qui faisait que tout en marchant tu gardais les poings serrés sous l’effet du stresse et de cette crainte dont tu ne parvenais pas à te débarrasser.
N’étant pas très matinal, Marc-Antoine eut la plus grande peine du monde à se lever. La nuit avait été courte pour l’interne. Il pestait à l’idée de reprendre la route mais fut bientôt remis à sa place par son acolyte. Siegfried était un aventurier expérimenté plein de bonne volonté. Ses priorités dans la vie ? Ne pas faire attendre le client et le satisfaire au mieux de ses capacités. Malgré sa petite taille et son air rabougri, il y avait chez cet homme ce petit quelque chose qui le rendait parfois admirable. Dans d’autres circonstances et si Marc-Antoine n’avait pas été un individu dénué de principes, les deux hommes auraient pu être bons amis. En apparence Siegfried n’avait rien de commode, il n’en restait pas moins quelqu’un d’agréable au quotidien. Un peu autoritaire par moment mais souvent à juste titre, le gaillard ne rechignait pas à la tâche et était avenant envers autrui. Bref, il était pour Marc-Antoine : « une bonne poire qui jouait les durs ».
Le diagnostic de notre héros se confirma quand Siegfried alerta le jeune homme du fait suivant : Une jeune fille marchait seule et empruntait la même direction qu’eux. Marc-Antoine n’avait que faire de cette information. Il comprit néanmoins rapidement où son camarade voulait en venir. Pour lui, il s’agissait là d’une mauvaise idée cependant il comprit tout aussi rapidement qu’il n’avait pas son mot à dire. Et c’est ainsi que Siegfried pressa le pas afin de proposer son aide à l’inconnue. Marc-Antoine pour sa part traînait. « Escorter un noble ne m’amuse déjà pas alors si en plus je dois accompagner les trois quarts des paysannes foulant les terres d’Aryon, ça va pas le faire » songea-t-il en son for intérieur. Bientôt, les traits de la dame à la cape gagnèrent en netteté et Marc-Antoine fut en mesure de la reconnaître. Il s’agissait de la fille du tavernier qu’il avait rencontré le jour de son anniversaire.
▬ Ah. Comme on se retrouve.
La surprise se lisait sur son visage, tout comme sur celui de Siegfried qui comprit que les deux jeunes gens s’étaient déjà rencontrés par le passé.
▬ J'imagine que mon collègue vous a fait son speech. Nous prenons la même route il semblerait. Notre homme nous attend à Bourre-la-Ville.
Notez que tout commentaire sur le nom de la bourgade en question serait malvenu.
Tu progressais plus lentement que tu ne l’aurais imaginé. Tu t’imaginais pouvoir atteindre le village indique en trois heures, environ, peut-être un peu plus. Le fait est qu’à l’allure que tu avais adoptée depuis le début de ton petit voyage, tu t’étais au moins rajoutée une heure, facilement. Tu étais loin d’être à l’aise. En réalité, tu regrettais déjà de ne pas avoir fait en sorte d’être accompagnée sur la route. Cependant, il était évidemment hors de question que tu te dégonfles maintenant. Tu voulais te prouver à toi-même que tu en étais capable, que tu pouvais faire l’aller et le retour sans encombre tout en rentrant avec le sourire et la satisfaction d’une espèce de quête accomplie. Ou presque.
Une brise légère était venue faire voler ta cape ainsi que quelques mèches de cheveux, c’est à ce moment précis, alors que tu détournais légèrement la tête pour échapper au vent qui venait picoter tes yeux que tu avais remarqué ces gens, ce groupe, probablement des voyageurs – de loin, c’est l’impression que ça te donnait – derrière toi, à plusieurs centaines de mètres sur la route. Tu ne parvenais pas à discerner quoi que soit, pas un visage, pas une arme, pas le moindre détail qui aurait pu te donner une indication sur ces gens … du coup, l’inquiétude en toi avait grimpé en flèche et un peu malgré toi, tu avais pressé le pas, légèrement. Aussi étrange que ça puisse paraître, tu n’avais encore croisé personne sur la route, tu étais loin d’être en confiance ici, sur cette route, au milieu de nulle part et une nouvelle fois, ton cerveau s’était mis à échafauder des scénarios parfois totalement improbables mais tous tout aussi effrayants les uns que les autres pour une jeune femme esseulée. Néanmoins, cette accélération n’avait pas suffi. Après une bonne demi-heure supplémentaire, l’un des hommes composant le groupe de voyageur avait fini par te rattraper, posant la main sur ton épaule pour arrêter ta progression et te faisant sursauter par la même occasion. Heureusement pour toi, il s’était rapidement expliqué, il s’agissait en réalité de l’un des aventuriers de la Guilde et l’homme s’était alors proposé pour faire un bout de chemin avec toi, si tu le désirais, invoquant le fait que la route n’était pas toujours très sûre et que tu serais probablement plus en sécurité ainsi. Tu avais pris le temps de la réflexion … pesant le pour, le contre, et puis finalement, avant que tu n’aies eu le temps de donner la moindre réponse, une autre voix s’était faite entendre. Et lui, tu le reconnaissais.
Tu te tournes donc de nouveau vers l’aventurier. Ce dernier attendait sans doute une réponse à sa proposition.
Siegfried était en quelque sorte les « bras » de ce duo. Marc-Antoine quant à lui était … La langue tout au plus. Comprenez par là qu’il n’était bon qu’à gesticuler et se plaindre. Comme tout parasite inapte, notre héros ne pouvait se satisfaire de cette situation. En cas de danger, Siegfried allait devoir protéger ses arrières, ceux de Marc-Antoine ET dorénavant ceux de cette serveuse. Poli et courtois, le garde fit ce qu’il savait faire de mieux : mentir.
▬ Cela ne nous dérange pas.
S’il avait été là, Shir se serait empressé d’esquisser un sourire narquois et de narguer amicalement son jeune frère. L’aîné de Marc-Antoine était en effet capable de lire dans les cœurs d’autrui. Bien que très doué dans l’art de cacher ses émotions, l’interne ne pouvait berner son frère.
▬ Avant que je n’oublie, lui c’est Siegfried et je suis Marc-Antoine de l’Épée. La dernière fois que nous nous sommes quittés, je n’ai pas eu le loisir de vous demander votre nom ni même de vous donner le mien.
Il avait surtout que faire du patronyme de cette jeune dame et n’avait pas jugé bon de se présenter à une simple serveuse. Une fois les banalités échangées, Siegfried interpella ses deux cadets. Curieux, l’aventurier souhaitait savoir quel lien unissait les deux jeunes gens et dans quelles circonstances ils s’étaient rencontrés. Marc-Antoine échangea un regard avec la demoiselle avant de laisser cette dernière expliquer au petit monsieur la déprimante histoire de son seizième anniversaire.
Le groupe dorénavant composé de trois personnes continua son bonhomme de chemin. Cependant leur route s’arrêta net quand ils firent face à un pont tremblant. Les cordes retenant l’édifice avaient été rongées par le temps et les aléas météorologiques. De plus il manquait quelques dalles. Tout ceci encourageait notre héros à prendre un détour. Lui qui avait la phobie des ponts insista pour ne pas emprunter cette voie. Plus courageux, Siegfried n’était pas de cet avis. Pour lui ce pont craquelant, loin d’être sûr, restait « relativement fiable ».
▬ Je propose que l’on règle cela de façon démocratique. Je vote contre. Terry ?
Il fusilla la rouquine du regard. C’était à elle de prendre la décision. Détour ou pas détour ?
Ton regard passe du jeune garde à l’aventurier, plusieurs fois. Si aucun des deux, du moins en apparence, n’a l’air contrarié par ta présence au sein de leur petit groupe, tu ne peux tout de même pas t’empêcher de te demander si tu ne seras pas une gêne à un moment donné. Il fallait dire que peu importe ce qui pouvait arriver … tu savais que tu n’étais pas utile pour rien, ou presque. Tes talents se limitaient à tout ce qui concernait la taverne de ton père et si tu étais capable de faire quelques nœuds et de soigner les petites coupures, tu doutais fortement que tout ça n’ait une quelconque utilité ici. De plus, même ton pouvoir s’avérait être sans aucune utilité. Cependant, tu n’ajoutes pas un mot, finalement bien trop rassurée à l’idée d’atteindre ce village en sécurité et surtout, de nouveau gonflée d’un peu de ce courage qui s’était envolé au fil des kilomètres que tu avais déjà parcourus.
D’un hochement de tête accompagné d’un sourire léger, et surtout poli, tu prends note des prénoms des deux hommes. Il est vrai que tu avais beau avoir déjà croisé le jeune garde, l’occasion ne s’était pas présentée ce jour-là pour que vous échangiez vos noms.
Malheureusement, cette cadence retrouvée se retrouve bien rapidement de nouveau coupée par un obstacle. Un pont que tu observes un moment d’un œil particulièrement méfiant. En réalité, tu avais la désagréable impression qu’il allait simplement craquer, et s’effondrer si on ne faisait ne serait-ce que le toucher du bout du doigt. Pourtant, si l’on écoutait l’aventurier … il était tout à fait possible de traverser sans encombre. Ce dont tu doutais fortement. Alors évidemment, lorsque l’occasion se présente de donner ton avis, tu ne te prives pas de partager tes doutes. Tu oses même un pas en avant et un pied sur la première des planches de l’édifice que tu sens craquer légèrement sous la semelle de ta chaussure.
▬ Il me semble que la démocratie a parlé. Deux contre un. Et quand bien même à nous deux la sommes de nos âges n’égal pas le tien …
Comme souvent, le jeune homme ne pouvait s’empêcher d’ajouter un commentaire désobligeant à l’utilité douteuse. Il fit mine d’analyser le pont d’un œil expert avant de faire volte-face, l’air de dire qu’en aucun cas prendre cette voie n’était raisonnable. Siegfried quant à lui n’en démordait pas et répondit aux interrogations de la jeune femme, dans l’espoir de l’influencer et lui faire changer son vote.
▬ Prendre une autre route nous ferait perdre au moins une heure. Nous ne sommes pas pressés mais tout de même. Si à chaque aléa, nous effectuons un détour, nous ne sommes pas prêts d’arriver. Et je me souviens avoir foulé ce pont il y a à peine une semaine.
Face à ses arguments et bien que, de toutes évidences, il cherchait à gagner le vote de Terry, Marc-Antoine n’avait rien à redire. Dans le fond, Siegfried n’avait pas tort, prétendre le contraire aurait relevé du mensonge. Le de l’Épée se souvenait lui-même avoir emprunté ce pont six jours auparavant. Certes l’état dudit édifice n’était pas le même qu’à présent néanmoins, à aucun moment, quand bien même la voie aurait été totalement sûr, jamais Marc-Antoine ne se serait senti rassuré en foulant ses planches. Peut-être n’était-il pas objectif dans son analyse et que ce manque d’objectivité avait à voir avec sa phobie du vide. Afin de ne pas passer pour un lâche et dans le but d’impressionner la fille de tavernier, Marc-Antoine prit son courage à deux mains et se reprit :
▬ Finalement, je change mon vote ! Ah. La démocratie, un merveilleux outil, à n’en pas douter. Tu m’as convaincu mon ami. Nous sommes des aventuriers, comportons-nous comme tel. Allez, toi d’abord. Ouvre la voie.
Courage, courage … C’était vite dit. Marc-Antoine fit signe à Siegfried de fouler le pont le premier, ce que le petit homme s’évertua à faire. Il évita les planches les plus dégradées et rejoignit finalement l’autre côté. Pas peu fier de son habilité, l’aventurier esquissa un large sourire puis fit signe à ses deux camarades de le suivre.
▬ Cela ne m’a pas l’air si difficile après tout.
Et c’est ainsi que Marc-Antoine s’avança. Il évita deux dalles à l’aspect douteuse quand finalement quelque chose s’écroula sous ses pieds. Pris de panique, il empoigna la corde latérale du pont qui se mit à céder.
Et ce qui devait arriver arriva.
Tu es persuadée que non. Quoi que … Si tu étais arrivée seule, face à ce pont, tu aurais probablement tenté ta chance après une bonne heure à peser le pour et le contre, juste parce que tu n’aurais pas su quel détour faire pour l’éviter. Un soupire de soulagement s’échappe de tes lèvres, tu ne serais donc pas obligée de poser le pied sur ce pont à l’agonie, au final, malgré les dires de l’aventurier – qui lui avait plutôt l’air sûr de son coup – tu persistais à manquer de confiance en l’édifice. Il ne tiendrait pas, c’était évident, et d’un signe négatif de la tête, tu tentes de lui faire comprendre qu’il ne sert à rien de te convaincre, qu’en ce qui te concerne, ce non est catégorique. Après tout, tu étais bien trop heureuse d’y échapper.
Malheureusement, ton soulagement n’est que de courte durée. Ce n’est pas toi qui changes d’avis non, c’est le jeune garde qui finalement, décide qu’il est convaincu par le discours de son compagnon. Lui qui avait l’air sûr de lui il y a à peine une minute venait de retourner sa veste sans aucune once de pitié. Tu le fusilles subitement du regard, aussi effrayée qu’agacée.
C’est l’aventurier qui se lance en premier. Sûr de lui, il traverse le pont sans encombre sous tes yeux plus qu’étonnés. A vrai dire, tu t’attendais à le voir chuter dans le vide à chacun de ses pas. Cependant, tu n’es toujours pas convaincue quand le dénommé Marc-Antoine entame a son tour la traversée. S’il y parvient, tu seras sans doute assez rassurée pour y aller toi aussi … après tout, tu étais bien plus légère que ces deux-là, s’ils y arrivaient tous les deux, tu y arriverais. Du moins tu l’espérais. Tu gardes donc les yeux fixés sur le jeune homme, guettant chacun de ses gestes jusqu’à ce que l’une des planches craque sous ses pieds … Pendant une seconde, tu es prise d’une atroce envie de lui hurler un « Je vous l’avez dit. », évidemment, tu te ravises, réalisant bien assez vite l’urgence de cette situation complètement catastrophique.
Bien vite, tu sens la panique te gagner, instinctivement, alors que tu entends le craquement dans tes oreilles – tu pourras maudire tes réflexes plus tard – tu t’avances à ton tour, vivement, la main tendue, ne prenant pas réellement le temps en ce qui te concerne d’éviter les planches fragiles qui évidemment craquent sous tes pieds. Tu te sens chuter, happée par le vide, tu n’as pas réellement le temps de réaliser ce qui vient de se passer que déjà ton corps fend la surface de la rivière qui se trouvait sous le pont. Tu te débats dans l’eau durant plusieurs secondes avant de refaire surface tant bien que mal, luttant contre le courant avant de parvenir à t’accrocher à un rocher, le tout, en cherchant le jeune garde du regard.
▬ Je viens vous aider !
Pour la première fois depuis longtemps, Marc-Antoine s’apprêta à réaliser un acte un tant soit peu héroïque. Il faut dire qu’aider Terry n’engageait en rien sa santé ou sa sécurité – qu’elle soit physique ou financière. Si tel était le cas, il aurait probablement rechigné à l’idée de lui venir prêter main forte.
Le grand blond sortit une corde de sa besace puis la lança en direction de Terry. Il lui fallut pas moins de cinq essais avant de réussir à atteindre la jeune femme. Ceci-fait, il s’empressa de la traîner jusqu’à lui sans grande délicatesse. Non, Marc-Antoine n’était pas un gentleman. Il confirma d’ailleurs son statut de grand goujat en affirmant :
▬ J’ai toujours su que la démocratie était un mauvais système. C’est bien la faute de Siegried ça ! « Olala, nous allons perdre une heure, olala ». Nous voici bien avancés maintenant. Et dire que ma première intuition était la bonne !
Elle l’était. C’est néanmoins lui qui avait changé d’avis et avait conduit le groupe à traverser ce pont. Marc-Antoine avait oublié ce détail bien assez vite, préférant rejeter la faute sur autrui, en l’occurrence sur son camarade aventurier. Quoiqu’il en soit, il fallait retrouver Siegfried au plus vite. Pour ce faire, il leva les yeux au ciel et tenta de se repérer.
▬ Au moins nous sommes de l’autre côté du pont. Longeons la rive et voyons si nous pouvons regagner les hauteurs. Siegfried nous attend peut-être.
Ce « peut-être » n’était pas des plus assurés. Le jeune homme connaissait l’aventurier depuis peu néanmoins il avait su cerner son caractère. Siegried était un homme plein de valeurs mais il n’était pas pour autant du genre à patienter ou à se laisser retarder. A tous les coups, il allait poursuivre sa route et patienter au prochain village en espérant que Marc-Antoine soit à même de se débrouiller seul. Selon toute logique il l’était. Du moins c’est ce que pensait Siegfried.
Finalement, tu commençais déjà à regretter d’avoir suivi ces deux-là. Seule, tu aurais probablement perdu du temps, beaucoup de temps, mais au moins tu serais restée sur la terre ferme et au sec. Tu agrippe donc fermement ton rocher trempé et glissant afin d’éviter d’être entraînée plus loin par le courant somme toute relativement puissant tout de même et puis, bien vite, tu repères le blond à quelques mètres de toi, sur la berge. Il ne lui faut pas moins de cinq lancés pour réussir à lancer la corde assez correctement pour qu’elle t’atteigne enfin, cinq lancés qui pour être tout à fait honnête ont raison de ta patience. De retour sur la terre – humide et boueuse – tu tousses, craches de l’eau sale avant d’enfin réussir à te remettre sur tes jambes. Une horreur. Tes vêtements sont trempés et leur poids t’es tout à fait désagréable, sans compter tes chaussures de marche remplies d’eau. En clair : c’est catastrophique, et tandis que tu enrages en silence, par courtoisie sans doute, à côté de toi, voilà que Marc-Antoine recommence. Soudainement, ses mots sonnent et résonnent de façon tout à fait irritante dans tes oreilles, alors, après avoir pris soin de vider tes chaussures tu approches du garde pour le fixer un instant avant de venir écraser ton petit poing fermé contre son torse – et donc son armure. Un son métallique se fait entendre, son écho se répercutant contre les parois rocailleuses qui se trouvent autour de vous et évidemment, tu agites la main tout en sautillant sur place. Et oui. Ça fait mal.
Ton petit manège dure une bonne minute entière, et lorsque tu cesses enfin de t’agiter pour rien, tu fronces les sourcils, toujours en maintenant ta main douloureuse.
▬ Je rêve ou elle m’a frappé ? s’était-il questionné en voyant la serveuse sautiller dans tous les sens.
La réponse était évidente mais le jeune homme avait eu du mal à y croire. Elle qui à la taverne paraissait si timorée et si frêle venait de lever la main sur un garde en devenir. Certes il n’allait pas l’envoyer en prison pour cela néanmoins il doutait de la légalité de cet acte.
Et la voilà qui revenait à la charge dans le but de faire la leçon au de l’Épée. Ce dernier écouta d’une oreille – et encore – les reproches de sa collègue. Totalement désinvolte et peu sujet à accepter la critique, Marc-Antoine ironisait en son for intérieur : « Bientôt elle va m’accuser de faire tomber la pluie » pensa-t-il.
… Et c’est ce qu’elle ne tarda pas à faire puisque la pluie se mit soudainement à tomber.
▬ QUOI ?! De ma faute ? C’est une blague ?
Marc-Antoine leva les yeux au ciel. Cette pluie n’avait rien de naturelle à ses yeux. Certes il ne faisait pas excessivement beau jusqu’à présent néanmoins rien ne laissait présager pareille averse. Décidément la chance n’était pas avec eux. Aux yeux de Marc-Antoine, ce manque de fortune corrélait parfaitement avec l’apparition d’un personnage roux, au teint pâle et aux pupilles noisettes.
▬ Figurez-vous que depuis que vous êtes là, il ne nous arrive que des malheurs ! C’est votre faute. Je suis persuadé que vous êtes maudite et qu’il faut vous exorciser ! Siegfried et moi avancions tranquillement jusqu’à ce que nous fassions votre rencontre, je peux vous l’assurer. Et c’est lui qui a insisté pour que nous fassions route ensemble. Si ça n’avait tenu qu’à moi, hein !
Encore une fois, la première intuition du de l’Épée était la bonne. Il n’aurait jamais dû accompagner cette Terry. A tous les coups un sorcier lui avait jeté un sort à la naissance.
▬ Rien d’étonnant à ce que votre père ne vous laisse pas devenir aventurière, vous êtes une vraie calamité. Et oui, je sais où je vais. Enfin je crois.
Il avait fait fort là et se rendit rapidement compte de son erreur. Citer le père de Terry ainsi que son désir de devenir une vraie aventurière n’était peut-être pas la meilleure chose à faire. L’ambiance de groupe allait sans nul doute en pâtir. En supposant bien entendu qu’il existait encore un groupe.
Où est le respect, Terry ? C’est que tu as dû le perdre dans la rivière en tombant, emporté par le courant. Tu ne t’énerves jamais. On te connait avenante, patiente, souriante. Si tu as effectivement des clients désagréables à gérer à la taverne, tu t’efforces de toujours rester courtoise, de ne jamais avoir une parole plus haute que l’autre. Tu es une fille bien élevée. Une fille à papa, diront certains, et ils n’auront absolument pas tort. C’est qu’il t’a transmis certaines valeurs, certaines qualités aussi – quelques défauts, évidemment – et que généralement, tu t’y tiens. Alors, non vraiment, lever la main sur un futur garde n’est pas dans tes habitudes. Élever la voix non plus. A croire que ton stresse est remonté en flèche. Cette mésaventure avec le pont, combiné aux craintes que tu avais entasser au fil de ton voyage toute seule, sans oublier la peur que tu ressentais de voir ce voyage tourner à la catastrophe à cause de ton inexpérience … ça commençait à faire beaucoup, sans oublier le comportement certes agaçant de ce jeune homme.
Tu lui mets tout sur le dos. Y compris la pluie. Bien entendu, tu sais que cette dernière est de ton fait, néanmoins, tu mets cette nouvelle manifestation involontaire de ton pouvoir sur le compte de l’agacement, un agacement provoqué par ce jeune homme, il était donc par conséquent responsable de la pluie. Cependant, tu te gardes bien d’avouer que tu es celle qui vient malencontreusement de déclencher cette averse. Surtout parce que finalement, après moulte reproches, voilà que Marc-Antoine semble imploser à son tour. Et vas-y qu’il te rend la monnaie de ta pièce, qu’il te renvoie chacun de tes reproches en pleine face. A l’entendre, c’est toi la source de tous ses problèmes du jour, tu es maudite. Voilà autre chose. Maudite. Il nageait en plein délire.
Sous l’effet de la colère grandissante, tu sens déjà l’averse s’intensifier. Et la quantité d’eau qui vous tombe sur la tête redouble de plus belle lorsqu’il se met à évoquer son père. Quelle erreur tu avais fait de lui parler de tout ça à la taverne ce soir-là. Tu aurais mieux fait de t’abstenir. S’il t’avait paru plutôt sympathique au premier abord il y a quelques jours, actuellement, tu avais envie de lui mettre une gifle.
Comme il fallait s’y attendre, les propos de l’apprenti garde avait touchés son interlocutrice et provoqué chez elle une vive réaction. Marc-Antoine avait fait une erreur. Dire qu’il s’en voulait aurait été un mensonge car, à dire vrai, il n’éprouvait pas de grand remord. Néanmoins si cela avait été à refaire, il se serait abstenu. Terry n’était pas d’une grande utilité toutefois se la mettre à dos et rester seul n’était pas la meilleure option pour notre héros. En outre, il se devait d’avouer qu’il avait fini par apprécier la compagnie de la rousse.
Alors qu’il resta muet un long moment suite aux reproches de la serveuse, le de l’Épée observa Terry partir seule, le dépasser pour enfin tomber. Il tourna machinalement la tête de droite à gauche en signe d’exaspération puis rejoignit sa compagnonne de route.
▬ Laissez-moi vous aider.
Ses vêtements avaient pris l’eau et elle n’avait peut-être pas l’habitude de marcher en étant aussi chargée. Aussi, c’est sans attendre de réponse de la part de Terry qu’il saisit cette dernière par la taille afin de l’aider à se remettre sur ses deux jambes.
▬ C’est ridicule, nous prenons la même route. Et nous sommes tous deux bloqués ici. Maudite ou non, il ne peut pas nous arriver grand-chose de plus.
Marc-Antoine n’était pas doué pour les excuses. Encore à l’instant, il venait de sous-entendre que Terry était la cause de leurs problèmes. Le jeune adulte comprit assez vite que les mots prononcés-là n’étaient pas suffisants. Il était allé loin dans l’offense et se devait par conséquent d’aller tout aussi loin dans la procédure visant à gagner le pardon de la jeune femme.
▬ Et vous n’êtes pas maudite. Je m’excuse. Pour cela comme pour le reste. Continuons ensemble si vous le voulez bien.
Il espérait que ce « Je m’excuse » baragouiné à demi-mot suffise à calmer sa camarade. Dans tous les cas, il continua de marcher un moment avant de s’arrêter. La pluie avait rendu les parois rocheuses humides et il allait être difficile d’escalader mais gagner de la hauteur était une nécessité. Ils avaient marché pendant un petit moment et Marc-Antoine doutait de trouver meilleur endroit pour le faire. En effet, ces parois n’étaient pas parsemées de ronces et autres curieux végétaux.
Afin de faciliter l’escalade, Marc-Antoine se délesta de certains vêtements. Ainsi, il retira son armure, ses genouillères ainsi que ses spalières.
Et voilà, Terry. Tout ça, pour ça. Ah, c’était bien la peine de t’emporter, de partir dans des discours enflammés et surtout, de partir toute seule. Au final, tu n’avais eu le temps de faire que huit pas, tout au plus avant de maladroitement trébucher, à nouveau. Tu étais énervée probablement blessée aussi par les paroles du jeune homme, et puis, tu te sentais fatiguée ce qui arrivait relativement souvent lorsque ton pouvoir s’amusait à se manifester comme il venait de le faire. Tu te sens parfaitement démotivée, autant à cause de tout ce qui vient de se passer que de tout ce que tu viens d’entendre. Ah, il a été fort le bougre, il a appuyé pile sur tes points faibles. Rageusement, tu viens frapper la surface de l’eau à côté de toi. Et puis, tu soupires d’exaspération lorsque tu entends la voix du jeune garde de nouveau près de toi. Voilà qu’il se proposait de t’aider, maintenant. Tu résistes à l’envie de l’envoyer balader une nouvelle fois, disons simplement que tu n’en as même pas le force. Tu réagis à peine lorsqu’il vient te saisir par la taille pour te remettre sur tes jambes. Tu avais toujours envie de le gifler … cependant, il n’avait pas tout à fait tort. Tu ne serais pas capable de te sortir de là toute seule, et même si pour un garde il n’avait pas l’air bien dégourdi, finalement, tu avais bien plus de chance de rentrer chez toi en sa compagnie que toute seule.
L’allusion a ta pseudo malédiction ne t’échappe pas, pour autant. Evidemment, tu sais bien qu’il raconte absolument n’importe quoi, mais tu ne peux t’empêcher de tiquer, un peu comme s’il continuait à rejeter la faute sur tes épaules à toi pour se dédouaner totalement. Tu ne dis rien, cependant, tu préfères garder pour toi, souhaitant surtout éviter une nouvelle altercation inutile. Si tu avais des comptes à régler avec lui, tu le ferais quand vous serez plus en sécurité. Sauf qu’il te prend de court. Subitement, il retire ses paroles, tu entends même – à peine distinctement mais tout de même – ces quelques mots d’excuses.
Après un certain temps de marche silencieuse, le blond s’arrête et tu en fais de même, observant son ménage, tu tâches de suivre son regard pour tenter de comprendre ce qu’il a en tête et ce que tu as l’impression de saisir t’effraies immédiatement. Tu te mets à ton tour à détailler la paroi qui se tient devant toi … avec l’averse, c’était glissant, et pas qu’un peu. La roche était complètement trempée et même si la pluie que tu avais provoquée était maintenant calmée, tu doutais fortement de réussir de ton côté à prendre de la hauteur.
Après s’être délesté de ses effets personnels les plus pénibles à transporter, Marc-Antoine analysa plus en détail les parois. Terry quant à elle jugea le moment propice aux excuses et aux confessions. C’était bien elle la responsable de cette pluie torrentielle. Cette remarque intrigua l’interne qui ne demanda néanmoins pas plus d’explication. Dans le fond, il avait envie d’hurler : « Ah bah je savais bien que vous étiez maudite » mais cela n’aurait pas été constructif. D’autant qu’en vérité, il pensait avoir compris ce qu’entendait par là son interlocutrice. Comme toute personne, Terry devait posséder un don. Il imaginait à ce titre que son talent naturel était de commander aux nuages ou tout simplement de générer de la pluie. Tout comme lui, Terry ne devait pas être très habile avec son talent, d’où le caractère involontaire de son action.
▬ …
Il venait d’avoir une révélation. Cela se lisait dans ses yeux. Évoquer le talent de Terry avait permis à Marc-Antoine de se rappeler de ses propres compétences innées. Dans la situation présente, son pouvoir – en supposant qu’il arrivait à l’activer – pouvait se montrer utile. Il devait néanmoins convaincre Terry du bien-fondé de son idée.
▬ Ce n’est rien. Et oui, je songe à escalader. Je pense pouvoir y arriver. Si c’est le cas, je n’aurais qu’à vous lancer la corde, vous vous attachez à celle-ci et je devrais pouvoir vous hisser jusqu’en haut.
D’après les savantes estimations de notre héros, sa camarade devait peser une cinquantaine de kilos tout au plus. Si tel était le cas, il n’y allait normalement pas avoir de problème. La corde pouvait tenir, de même que les bras du jeune homme. Par précaution, il tenta d’estimer la longueur du lien et compara celle-ci avec la hauteur de l’obstacle à franchir. Il se ravisa aussitôt après avoir constaté une différence significative :
▬ Hum. En fait je crois que ce plan est naze.
La corde n’était définitivement pas assez longue. Quelque peu gêné de voir son plan tomber à l’eau aussi vite, le bretteur se gratta l’arrière du crâne avant de reprendre :
▬ Mais ça ne change rien à notre affaire. Je ne pense pas qu’il y ait d’autres façons de faire. Nous pouvons attendre, démarrer un feu et espérer que quelqu’un nous vienne en aide mais c’est un peu présomptueux si vous voulez mon avis. De plus, cela peut alerter les voleurs et autres bandits de grands chemins. Nous ne sommes même pas sûrs d’attirer les bonnes personnes à nous. Vous êtes catégorique, vous ne pouvez pas escalader toute seule ?
La question était rhétorique. Il se doutait au vu de son expression faciale qu’elle répondrait par la négative. Aussi, il poursuivit :
▬ Je peux monter seul et de là, je chercherai un moyen de vous aider. Ou bien vous pouvez monter avec moi … Sur mon dos.
Si la seconde option était choisie, il allait l’attacher avec une corde qu’il pourrait rompre en cas d’ultime nécessité – car oui, tout Marc-Antoine qu’il est, il pensait avant tout à sa peau.
D’accord, alors. Il est réellement décidé à grimper par ici. Pas ailleurs, non. Ici. C’est vrai que cette paroi en particulier à l’air plus praticable … n’empêche qu’elle est loin de t’inspirer confiance, et que ça ne change rien au fait que non, tu ne t’en sens pas capable. Du coup, après avoir dit tout ce que tu avais à dire, ou presque, tu te contentes de croiser les bras tout en observant l’apprenti tandis qu’il se débarrasse de quelques affaires, qu’il observe la paroi à escalader. Visiblement, il avait une idée … si elle était bonne ? Tu n’en savais rien. Encore une fois, tu es était parfaitement inutile, non, mieux, cette fois, tu étais un poids et tu ne savais même pas encore à quel point tu l’étais.
Dans un premier temps, il semble plutôt certain de réussir à grimper là-haut pour ensuite te lancer une corde. Ce plan te plait davantage, évidemment, alors tu hoches la tête, bien décidée pour le moment à obéir sans faire d’histoire. Jusqu’à ce qu’il change d’idée, encore. Tu retiens la remarque qui remonte immédiatement jusqu’au bout de te lèvres et tu te contentes d’un roulement d’yeux.
▬ Je ne comptais pas vous demander de vous déshabiller, ne vous en faites pas.
Premier mensonge. Marc-Antoine avait passé en revue la tenue de sa camarade et il voyait là deux ou trois vêtements que la rousse pouvait abandonner sans grand mal ; Ses chaussures pleine de flotte, sa longue et épaisse cape … Tout ceci aurait pu être laissés au sol avec son armure. Dans tous les cas Marc-Antoine s’abstint de commenter les choix de Terry. En soi, tout ces vêtements ne pesaient pas plus de quelques kilos. Rien de comparable avec une armure et un équipement de garde.
Alors que son interlocutrice cherchait à savoir quel était le plan de Marc-Antoine, ce dernier improvisa :
▬ Votre pouvoir c’est de faire tomber la pluie, non ? Le mien c’est … Disons que c’est particulier. C’est un curieux mélange entre celui de ma sœur et de mon frère aventurier. Vous vous souvenez, je vous avais parlé d’eux à la taverne ?
Second mensonge – plus ou moins involontaire, notez-le. Son pouvoir n’avait rien à voir avec celui d’Adeline ou d’Albéric. La première possédait une force surhumaine tandis que le second était l’homme le plus chanceux du monde. Marc-Antoine quant à lui était simplement en mesure de sécréter des hormones en grande quantité et d’ainsi augmenter ses performances. Il lui était arrivé par le passé d’atteindre une forme de plénitude qu’il associait à une « chance incroyable » néanmoins il n’en était rien. Son pouvoir n’avait en réalité aucune similitude avec celui d’Albéric. Ayant bien conscience de ne pas avoir été clair, l’interne tâcha d’être plus explicite et moins énigmatique sur ses capacités :
▬ En bref et pour faire simple, je suis moins sujet à la pression et au stress. Je suis plus lucide et plus fort. Je ne peux pas l’activer longtemps et le contrecoup est important mais je pense être en mesure de nous faire atteindre les hauteurs si j’active ce don.
Marc-Antoine mêlait le vrai du faux. Si son talent lui permettait en effet de passer outre le stress et la peur, il n’était pas pour autant capable d’activer son pouvoir. En vérité, le jeune homme espérait que son don se manifeste de lui-même, comme souvent dans les situations désespérées. En l’occurrence, la situation n’avait rien d’enviable. Il aurait aimé réaliser cette ascension seul néanmoins l’idée d’être attachée à Marc-Antoine ne semblait pas déplaire à la serveuse. Elle craignait sûrement – à juste titre là encore – d’être abandonnée par Marc-Antoine une fois ce dernier en haut. Pensif, le grand blond se mordilla la lèvre inférieure. S’il était sûr ? Bien sûr que non. Néanmoins notre fieffé menteur répondit avec la plus grande sérénité qu’il lui était possible d’afficher en ces heures sombres :
▬ Oui. Vraiment.
Il avait abandonné son armure et son équipement pour finalement hériter d’une jeune femme du même poids. Ce calcul n’avait rien de logique aux yeux du de l’Épée. En parlant d’yeux, ceux de Marc-Antoine fixèrent avec attention son acolyte et plus particulièrement la chevelure de cette dernière. Son regard croisa celui de Terry et comme pour se justifier, il affirma :
▬ Attachez vos cheveux. Ils sont certes beaux à voir néanmoins, je ne veux pas les avoir devant les yeux une fois là-haut.
L’apprenti chevalier prit la corde et fit signe à son aînée d’approcher.
▬ Je ne doute pas que vous vous accrochiez à moi de toutes vos forces mais sait-on jamais.
Si ça n’avait tenu qu’à lui, il aurait fait cette ascension dos à dos. Ainsi, il n’aurait eu aucun mal à trancher la corde et laisser Terry tomber en cas de problème. En l’occurrence, la jeune femme était fermement attachée à Marc-Antoine, via la corde et via ses bras. La possibilité qu’avait notre héros de se débarrasser de ce « bagage » venait de partir en fumée. A moins que d’aventure, il ait l’indécence de couper la corde puis de mettre des coups de coudes à sa camarade afin de provoquer sa chute … Ce n’était vraiment pas digne d’un garde mais il y pensait sérieusement.
▬ Vous êtes prête ?
Que la réponse soit positive ou non, il était l’heure d’y aller. Marc-Antoine tenait dans sa main droite une dague qu’il plantait à même la roche afin de faciliter son ascension.
Tu te forces à faire confiance. Ou du moins, à donner l’impression que tu as confiance … ça n’est pas tout à fait le cas. A vrai dire, tu en es encore à te demander sur qui tu es tombée exactement. Au départ, voir un visage qui ne t’étais pas inconnu t’avais probablement rassurée un peu. Le fait est qu’au final, il ne fallait vraiment pas se fier aux apparences. D’ailleurs, tu ne peux pas t’empêcher de te demander comment il compte, exactement réaliser l’exploit de grimper là-haut avec toi accrochée dans son dos. L’effort te parais surdimensionné et tu n’as aucun mal à imaginer la force qu’il lui faudrait déployer pour y arriver. Se hisser soi-même te paraissais déjà complexe mais alors avec une charge supplémentaire.
Evidemment, il y avait des choses que tu ignorais. Son pouvoir, pour commencer. Tout le monde avait un pouvoir et si le tien, dans la situation actuelle était inutile voir même plus gênant qu’autre chose, le sien était peut-être en revanche plein de surprises, du moins, c’était à espérer.
Tu jettes un dernier coup d’œil à la paroi. Tu ne peux plus vraiment te raviser, maintenant. Il faut que tu prennes ton courage a deux mains. Du coup, tu t’occupes plutôt de détacher ta cape pour l’abandonner sur un rocher, et puis tu retires tes chaussures aussi. Tu sais que tu as dis que tu ne pouvais rien retirer, mais ces vêtements là au moins te paraissent largement superflus, même si ça ne fera sans doute pas grande différence de poids, tu veux au moins faire un effort pour soulager un peu le jeune garde. Après tout, dans l’histoire, c’est lui qui allait faire tout le boulot. Une fois débarrassée, tu relèves la tête, et tu croises ce regard … l’espace d’une seconde, tu te demandes ce que tu as encore bien pu faire de travers. Un doute qui s’envole rapidement lorsqu’il se décide à ouvrir la bouche. Tes cheveux … c’est vrai que tes cheveux pouvaient poser problème avec le vent. Tu passes tes doigts dans tes longues mèches et puis, tu viens attraper le lacet de l’une de tes chaussures abandonnées. Tu t’en sers pour attacher tes cheveux de manière a ce qu’ils ne puissent plus être un problème. Enfin, tu t’approches. Peu importe la corde, au fond, tu sais bien que tu ne risques pas de lâcher … tu sais ce que tu risques si tu venais à le faire, surtout après une certaine hauteur atteinte.
Totalement hésitante, tu viens te coller dans le dos du garde pour le laisser nouer la corde. Inutile de dire à quel point subitement, cette proximité forcée te semble gênante.
L’apprenti garde tendit le bras au plus haut et planta sa dague dans la roche. Ceci-fait, il se hissa jusqu’à elle. Il réitéra le procédé plusieurs fois, avançant lentement mais sûrement. Porter Terry n’était finalement pas si difficile que cela. La demoiselle avait fait l’effort de laisser au sol ses souliers ainsi que sa large cape. Quand bien même ces détails n’allaient pas – ou peu – jouer sur la capacité de Marc-Antoine à réaliser – ou non – son exploit, ce dernier avait apprécié le geste réalisé par la jeune femme.
A chaque fois qu’il parvenait à grapiller quelques centimètres, le bretteur prit vingt à trente secondes de pause afin de consolider ses appuis et éviter la chute. Il était lent. A ce rythme-là, les deux aventuriers allaient passer la nuit ici. Cela faisait un bon quart d’heure qu’ils avaient commencés leur ascension et la moitié du chemin n’avait pas encore été parcourue. En outre, Marc-Antoine commençait à ressentir une certaine douleur dans les jambes. Terry n’était pas excessivement lourde mais, sans elle, les chances qu’avaient notre héros de s’en sortir indemne augmentaient de façon conséquente. Malgré tout, l’épéiste écarta l’idée de se débarrasser de son acolyte. Il pouvait encore avancer. En étant positif – et un peu aveugle – il estimait avoir fait « presque la moitié du boulot ». Ainsi, il planta sa dague au plus haut et reprit sa besogne là où il l’avait laissée. Impatient et désireux d’en finir au plus vite avec ce calvaire, Marc-Antoine diminua de façon inconsciente ses temps de pause. Ses mouvements étaient moins assurés, plus brouillons et surtout plus dangereux. Au vu de la fatigue accumulée, progresser allait être plus difficile, surtout avec ce poids. A chaque centimètre gagné, Marc-Antoine songeait à se débarrasser de la rousse. Bientôt, il planta son couteau sur une paroi humide et cassante. La lame glissa le long de la roche et échappa au de l’Épée. Il tenta de rattraper l’arme au vol, sans succès. L’équilibre du jeune héros était précaire et il faillit tomber. Loin de le paralyser, cette frayeur venait d’activer chez Marc-Antoine une sorte de SIXIEME SENS. Il leva les yeux au ciel, estima de nouveau la distance qui le séparait du point d’arrivé puis tenta de rassurer Terry :
▬ Fiou. On n’est pas passé loin. Rassure-toi, je pense que c’est bon.
Ce « c’est bon » en disait long. Le pouvoir de Marc-Antoine venait de s’activer. Son cerveau venait de sécréter une quantité phénoménale d’endorphine et d’adrénaline. Son corps lui paraissait plus léger. Terry n’était plus un fardeau pour le garde qui se sentit soudain revivre. En outre, il était comme libéré de ses craintes. Le jeune homme avait atteint une forme de sérénité, d’euphorie qui lui permettait de croire que tout lui était possible. Outre cela, ses mouvements étaient plus simples, moins superflus. Une fois dans cet état second, Marc-Antoine ne réfléchissait plus. Fallait-il placer ses mains ainsi ? S’accrocher à tel rocher ? Placer ses pieds de tel sorte que … ? Toutes ces questions qu’il se posait jusqu’à présent, le de l’Épée les avait oubliés. Il se contentait de faire, de placer ses jambes et dextres comme il le sentait. Et cela semblait fonctionner.
Une fois la séance d’escalade terminée, il rompit le lien qui l’unissait à la serveuse et s’allongea à même le sol avant de se plaindre comme un enfant :
▬ Ah, j’ai mal à la tête.
Allongé sur le dos, il plaça ses mains face à lui. Petit à petit, Marc-Antoine recommençait à sentir la douleur. Ses dextres étaient pleines d’ampoules et de coupures. A tel point qu’il se demandait comment il avait pu passer outre ces sensations durant toute sa montée.
Loin d’être à l’aise, tu étais même relativement crispée. Le corps tendu par la crainte, le stress, la situation, la position, par tout ce qui pouvait te paraitre dangereux ou désagréable à cet instant précis. Tu ne voulais toujours pas regarder, tu te sentais ballottée, limite secouée par les mouvements de l’apprenti, cependant, tu persistais à simplement t’accrocher de toutes tes forces tout en gardant les yeux fermés. Tu espérais en faisant cela que tout passe plus vite, sans que tu n’ais réellement le temps de manifester le moindre signe de peur. Bien vite, tu te rends compte malgré tout que cette progression est lente … tu te sens responsable, coupable, et tu ne peux te retenir d’ouvrir un peu les yeux, de redresser un peu la tête pour constater qu’en effet, plus ça va, plus ton compagnon de route du moment semble avoir du mal à endurer l’ascension. Et puis, à un moment, voilà qu’il finit par perdre son arme, celle-là même dont il se servait jusqu’à présent. Alors qu’il s’agite durant quelques secondes pour la récupérer, tu refermes aussitôt les yeux, raffermissant – si c’est encore possible – ta prise atour de Marc-Antoine. Tu supposes que la fin de cette escalade va être davantage difficile pour lui maintenant … à tort, puisque subitement, il te rassure. Tout va bien. C’est bon. Et en effet, voilà que tout à coup, ses mouvements se font plus amples, plus fluides, plus rapides … c’est comme si en quelques secondes à peine, il venait d’oublier le poids qui se trouvait dans son dos et le caractère coupant et agressif de cette roche humide.
Une fois arrivés en haut, le lien coupé, tu te laisses tomber, assise au sol à côté du jeune homme. Les jambes coupées par la peur que tu venais d’accumuler ces dernières minutes, tu te sentais essoufflée alors que tu n’avais pas fait le moindre effort. Tu écoutes Marc-Antoine se plaindre sans dire un mot, et puis, tu poses les yeux sur ses mains en grimaçant légèrement. Tu te redresses alors, tirant légèrement sur l’étoffe de ton chemisier, tu viens en déchirer le bas pour en récupérer une bande de tissu que tu arraches encore une fois pour la couper en deux. Enfin, tu viens délicatement attraper l’un de ses poignets pour attirer l’une de ses mains vers toi.
Ce talent qu’il pensait être une forme de chance lui permettait d’oublier pour un temps la douleur. Notez que le jeune homme ne guérissait toutefois pas de ses blessures. A ce titre ses mains étaient dans un sale état. Afin de soulager notre héros, Terry appliqua les premiers soins. La jeune femme s’évertua à retirer les morceaux de roches les plus incrustés un à un avant de bander la main du garde. Pour ce faire la serveuse avait utilisé un morceau de tissu issu de son haut. Alors qu’elle en eut fini avec la première main du garçon, elle le remercia puis fit signe à Marc-Antoine de lui tendre la seconde. Pensif, le grand blond s’exécuta sans dire un mot.
Les mots de Terry avaient trouvé un écho particulier dans son esprit. Beaucoup l’auraient effectivement abandonné. Lui en tout cas y avait songé à maintes reprises. La « logique » aurait voulu qu’il la laisse tomber, qu’il l’abandonne à son sort ou, pire encore, qu’il se débarrasse de ce qu’il jugeait être un fardeau. Dans d’autres circonstances, c’est ce qu’il aurait fait. Et inutile de préciser que cela n’aurait pas empêché notre grand dadais de dormir comme un loir une fois la nuit tombée. Malgré tout, il n’en avait rien fait. Pour une fois au cours de sa vie, il avait agi noblement, conformément aux enseignements de ses maîtres et de ses frères et sœurs. Son comportement d’aujourd’hui était digne de Perceval, au moins en apparences. Car contrairement à son frère, Marc-Antoine était incapable d’agir de façon désintéressée. Et ce n’était néanmoins ni l’honneur ni la volonté d’aider son prochain qui avait motivé Marc-Antoine à se comporter ainsi. Incapable de s’en rendre compte – et encore moins de l’avouer –, l’apprenti garde éprouvait une certaine affection pour l’aventurière en devenir qu’était Terry. C’est ce sentiment naissant qui avait amené le bretteur à ne pas couper le lien qui les unissait lors de leur ascension.
▬ Ça va aller, oui. J’ai l’esprit un peu embrouillé, c’est tout.
Ses jambes ainsi que ses bras étaient lourds néanmoins notre héros était en mesure de marcher. Ses mains étaient elles aussi douloureuses mais Marc-Antoine avait vu pire.
▬ Nous devons continuer la route. Je pense que nous ne sommes plus très loin de Bourre-la-Ville.
Cette cité au nom ridicule était en effet à trois quarts d’heure à pieds de leur position actuelle. Marc-Antoine espérait que rien ne viendrait déranger leur marche. Pour cause, il n’était ni en état d’intimider un éventuel brigand, ni en état de se battre contre ce dernier s’il venait à présenter des intentions belliqueuses.